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Berlioz et Marseille: amis et connaissances

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Présentation

    Un certain nombre d’amis et connaissances de Berlioz étaient originaires de Marseille; deux d’entre eux, Hippolyte Lecourt et Auguste Morel, lui ont été particulièrement proches pendant une trentaine d’années, ce dernier en particulier. Cette page donne une liste alphabétique de ces amis, suivi d’un résumé de ce que l’on sait de leurs rapports avec Berlioz, avec documents à l’appui, notamment un choix de lettres présentées en ordre chronologique. Elle fait pendant à la page sur les rapports de Berlioz avec Marseille, et est comparable aux trois pages Berlioz à Londres: amis et connaissances, Berlioz et la Russie: amis et connaissances, et Berlioz et l’Allemagne: amis et connaissances.

Abréviations:

CG = Correspondance Générale, 8 tomes (1972-2003)
CM = Critique Musicale, 10 tomes (1996-2020)
Reyer 1875 = Ernest Reyer, Notes de musique, deuxième édition (Paris, 1875)
Reyer 1909 = Ernest Reyer, Quarante ans de musique, publiés avec une préface et des notes par Émile Henriot (Paris, 1909)
Rostand = Alexis Rostand, La Musique à Marseille (Paris, 1874)

Noms inclus:

Alizard, Adolphe Bennet, Toussaint Lecourt, Hippolyte Méry, Joseph
Morel, Auguste Rémuzat, Justinien de Reyer, Ernest  

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Alizard, Adolphe (1814-1850; dessin). L’exécution par la basse Alizard de la cantate Le Cinq mai est un des hauts moments des deux concerts donnés par Berlioz à Marseille en juin 1845, et l’emporte de beaucoup sur les exécutions du même ouvrage par un autre chanteur aux deux concerts donnés le mois suivant à Lyon (CG no. 977). Alizard avait déjà chanté la cantate sous la direction de Berlioz à un concert à Paris (13 décembre 1840), et sa présence à l’opéra de Marseille en 1845 a peut-être encouragé Berlioz à accepter l’invitation de venir à Marseille.

    Alizard remporte un premier prix de chant au Conservatoire en 1836 et entre à l’Opéra l’année suivante. Presque dès le début de sa carrière Berlioz s’intéresse au jeune chanteur et ne tarde pas à l’appuyer. Il en parle pour la première fois dans un feuilleton du Journal des Débats de 1838 (25 avril; CM III p. 453-4), où il loue son talent mais aussi signale un désavantage qui va nuire à sa carrière sur la scène:

Alizard, cette voix de basse si franche, si naturelle et d’une si belle sonorité […] Alizard est en bon chemin; s’il peut seulement acquérir, non pas de la souplesse, son puissant organe n’en est pas dépourvu, mais un peu d’agilité dans le mouvement général de son exécution, nul doute qu’il n’arrive bientôt, malgré l’exiguïté de sa taille, à une place des plus honorables parmi les chanteurs du genre dramatique sérieux.

    D’autres notices élogieuses vont bientôt suivre, par exemple la même année dans le même journal (5 novembre; CM III p. 543):

Alizard est un de ces jeunes artistes laborieux, auxquels on ne rend pas encore tout à fait justice, mais qui parviendront tôt ou tard à conquérir la place et le rang qui leur sont dus.

    Ou encore dans les Débats en 1839 (10 mai; CM IV p. 95; autres exemples dans CM IV p. 15, 17-18, 462-3, 473-4; V p. 157-8):

En vérité c’est être bien peu soucieux des intérêts de l’art et de son intérêt propre que de ne pas donner les moyens de se produire à un pareil talent [Alizard], quand on est directeur de l’Opéra, et qu’il coûterait si peu. Alizard est de petite taille, et peu de rôles lui conviendraient, dit-on. Eh bien! qu’on remonte Œdipe à Colone [de Sacchini]; c’est l’affaire de quinze jours; et le personnage de cet exilé aveugle,
    Usé par la douleur, appesanti par l’âge

couvert de haillons royaux, en dépit des exigences de la stature héroïque que la tradition lui prête, fournira à Alizard l’occasion de montrer tout ce que sa voix a de beauté et de puissance, tout ce que sa méthode a de largeur et sa sensibilité de communicatif […].

    Berlioz de son côté n’attend pas pour tirer parti du talent du jeune chanteur; il l’invite à se produire dans des concerts qu’il donne en 1838 (25 novembre, cf. CG nos. 586, 587; 16 décembre, cf. CG no. 660). Il lui confie notamment le rôle important du Père Laurence dans les premières exécutions de Roméo et Juliette en novembre et décembre 1839, dans lequel Alizard fait merveille. Jules Janin le souligne dans son compte-rendu, et Berlioz y fait allusion dans sa correspondance (CG nos. 671, 700). Quand en février 1843 Berlioz tente d’exécuter le final de l’ouvrage à Leipzig mais échoue du fait de l’insuffisance du chanteur, il ne peut s’empêcher d’évoquer le souvenir d’Alizard dans ce rôle (Mémoires, Premier voyage en Allemagne, 4ème lettre). À ce moment Alizard est engagé par l’opéra de Bruxelles où il reste jusqu’en 1844; il retourne en France en 1845 et chante pour l’opéra de Marseille à l’époque de la visite de Berlioz en juin de cette année. Mais Berlioz estime que seul Paris est digne du talent d’Alizard, et à son retour de Marseille il use son influence pour essayer de lui trouver un place dans un théâtre lyrique (CG no. 993, la seule lettre connue de Berlioz à Alizard). Pour finir Alizard réussit et revient à l’Opéra, et Berlioz salue l’évènement (Journal des Débats 7 octobre 1846; CM VI p. 235):

Alizard est réengagé à l’Opéra, où il doit rentrer, au plus tard, au mois de mai. Alizard laissera de vifs regrets à Marseille, et il doit lui-même regretter un public qui sait si bien apprécier la beauté de son talent; mais la place d’un artiste pareil est évidemment à Paris, et, quel que soit aujourd’hui l’état de l’Opéra, c’est à ce théâtre seulement qu’il lui convenait de se fixer.

    Berlioz continue à suivre la carrière d’Alizard, même de l’étranger. En juin 1847 il écrit à Auguste Morel de Berlin: ‘Dites mille choses de ma part à Alizard dont les succès vont, dit-on, grandissant à l’Opéra’ (CG no. 1114). Mais vers la fin de 1848 Alizard tombe malade; il va s’établir à Marseille, et le 28 janvier 1850 le Journal des Débats porte cette annonce (p. 2):

— On lit dans le Sémaphore, journal de Marseille, du 24 janvier :
« L’art du chant vient de faire une perte douloureuse dans la personne d’Alizard, mort hier à Marseille des suites d’une maladie du cœur. Alizard était à peine âgé de trente-six ans ; c’était le meilleur élève de Banderali, et l’on sait quels beaux et légitimes succès il a obtenus à l’Opéra de Paris dans sa carrière si brillante et si courte. Notre population, que son beau talent avait si souvent charmée, s’associera aux regrets des artistes et des amis d’Alizard. »

    Après cette date le nom d’Alizard ne reparaît pas dans les écrits de Berlioz, sauf pour deux mentions significatives de son talent exceptionnel, aux chapitres 18 et 52 des Mémoires posthumes, publiés pour la première fois en 1859 dans Le Monde Illustré dans le cadre des Mémoires d’un musicien (1er janvier, p. 10 et 23 juillet, p. 59). Berlioz tenait évidemment à préserver pour la postérité la mémoire de ce grand artiste.

Bennet, Toussaint (? – 1875) et son fils Théodore Ritter (1841-1886; portrait): Riche constructeur de navires né à Marseille (CG no. 2105), mais aussi musicien amateur et mélomane: il joue du basson (CG no. 2152) et en octobre 1857 ouvre la Salle Beethoven à Paris (CG no. 2257). Son fils naturel, connu sous le nom de Théodore Ritter, est un enfant prodige doué d’un talent musical exceptionnel, et Berlioz se prendra pour lui d’une vive affection (Ritter est né à Nantes et non à Marseille). Bennet est connu d’Auguste Morel et son nom revient plusieurs fois dans la correspondance de Berlioz avec ce dernier (par exemple CG nos. 1972, 1996, 2128, 2257), mais on ne sait si c’est par l’entremise de Morel (ou, ce qui est concevable, Ernest Reyer) que Berlioz fait la connaissance de Bennet et de Ritter. Leur première rencontre a peut-être été fortuite: Bennet et son fils se trouvent être à la première de l’Enfance du Christ le 10 décembre 1854, et écrivent une lettre de félicitations à Berlioz après (CG no. 1831bis [tome VIII]). Cette lettre, la première connue de leur correspondance, est polie dans la forme: Bennet appelle Berlioz ‘Monsieur et illustre maître’). Dans la première lettre connue de Berlioz à Bennet quelques semaines plus tard il l’appelle ‘Mon cher Monsieur Bennet’, mais il est déjà tellement impressionné par le jeune Ritter qu’il lui confie sans délai la tâche de réduire la nouvelle partition pour piano (CG no. 1879).

    Leurs rapports deviennent ensuite très étroits. Bennet et Ritter accompagnent Berlioz à Londres en juin 1855, pour que Ritter puisse entendre Berlioz diriger des extraits pour orchestre de Roméo et Juliette (CG nos. 1984, 1991, 1996), ouvrage qu’il transcrit ensuite pour le piano (CG nos. 2059, 2237bis [tome VIII]). En février 1856 père et fils accompagnent de nouveau Berlioz à Weimar (CG no. 2079), et Bennet lui sert d’intermédiaire dans ses rapports avec l’éditeur Kistner à Leipzig (CG no. 2095). Le mois suivant il offre à Berlioz de trouver un emploi pour Louis, le fils de Berlioz, sur un navire marchand à Marseille (CG no. 2105), et en juin il est un de ceux qui écrivent à Berlioz pour le féliciter de son élection à l’Institut (CG V p. 322 n. 1).

    Le ton des lettres écrites par Berlioz au père et au fils, ensemble ou séparément, pendant les années de 1855 à 1857 est souvent particulièrement enjoué et badin (voir par exemple CG nos. 2071 à Bennet, Ritter, et les membres d’un quatuor, 2132 à Bennet et Ritter, 2152 à Madame Bennet, 2196 à Bennet). Le jeune Théodore en particulier semble stimuler la verve spirituelle de Berlioz comme peu de ses autres correspondants (par exemple CG nos. 1991, 2059, 2080). Son jeu au piano, et notamment son talent pour rendre sur le piano la musique pour orchestre de Berlioz de manière convaincante, le remplissent de joie (par exemple CG nos. 1887, 1937, 1984, 1996, 2077, 2237bis [tome VIII]). Quand Berlioz veut organiser la première audition de deux scènes des Troyens le 6 août 1859 devant un public de choix dans la Salle Beethoven, trop petite pour accueillir un orchestre, c’est à Ritter qu’il s’adresse pour accompagner les chanteurs au piano, et Ritter s’en tire à merveille. Berlioz le mentionne fréquemment dans ses feuilletons du Journal des Débats, comme pianiste mais aussi comme compositeur, et toujours avec les plus grands éloges (26 janvier et 17 avril 1855; 15 novembre 1856; 23 avril et 20 juillet 1858; 18 février, 12 mars, 19 mai et 9 décembre 1859; 26 juin 1860; 13 février et 7 avril 1861; 16 février 1862). En avril 1860, avant le départ de Ritter pour Londres pour une tournée de concerts, Berlioz écrit une lettre de recommendation pour lui à son ami James Davison (CG no. 2499).

    La correspondance connue de Berlioz avec Bennet et Ritter ralentit subitement après 1857, et seules quelques lettres ont survécu après cette date (une à Ritter en 1861, CG no. 2587, et deux à Bennet en 1864, CG nos. 2834, 2843). Mais leur amitié persiste, même si les contacts sont devenus plus rares; Bennet est mentionné pour la dernière fois dans une lettre du début de 1868, adressée à Ernest Reyer (CG no. 3332), ami intime de Bennet et lui aussi de Marseille. Dans plusieurs passages écrits par Reyer après la mort de Berlioz il évoque les occasions où Ritter captivait le compositeur en lui jouant sa musique sur le piano, par exemple son discours de 1886 et un article de souvenirs publié en anglais en 1893.

    Mentionnons pour conclure un événement qui eut des conséquences majeures pour la réputation posthume de Berlioz en Allemagne. Le 19 mai 1875 Théodore Ritter rencontre le jeune Felix Mottl à Graz en Autriche; les deux hommes ont une longue conversation au sujet de Berlioz, et d’après le témoignage de Mottl en personne, c’est cette rencontre qui inspire à Mottl une passion pour la musique de Berlioz, dont il va devenir tout au long de sa carrière le partisan de loin le plus convaincu et le plus actif en Allemagne. C’est notamment Mottl qui est le premier chef d’orchestre à faire représenter tous les trois opéras de Berlioz, y compris la première exécution intégrale des Troyens au théâtre de Carlsruhe en décembre 1890.

Lecourt, Hippolyte (1797-1868), est né à Marseille où il passera presque toute sa vie; avocat maritime (CG no. 2076) il a de très nombreuses relations dans le monde du commerce de Marseille. En même temps il est un musicien amateur de talent: il participe activement à la vie musicale de sa ville natale, écrit sur la musique dans la presse locale (CG nos. 632, 712), joue du violoncelle et de la contrebasse (CG no. 666), et s’il ne dirige pas de manière régulière il est tout à fait versé dans la pratique d’un orchestre (CG nos. 666, 867, 1378). Ami intime d’Auguste Morel, la correspondance de Berlioz avec les deux hommes les suppose pratiquement inséparables; une lettre de Berlioz est même addressée aux deux en même temps, Morel d’abord puis Lecourt (CG no. 1805).

    C’est probablement Morel qui a présenté Berlioz à Lecourt en 1837 ou 1838 (cf. CG no. 604). Ils deviennent rapidement amis et le resteront jusqu’à la fin de leur vie, même si Berlioz ne sera jamais aussi proche de Lecourt qu’il l’est de Morel: sa correspondance connue avec Lecourt est moins abondante et soutenue qu’elle ne l’est avec Morel (il y a un long intervalle entre 1856 et 1863). Dès le départ Lecourt s’intéresse activement à la musique de Berlioz et son intérêt se maintiendra jusqu’aux dernières œuvres majeures, les Troyens (CG nos. 2257, 2755, 2929) et Béatrice et Bénédict (CG nos. 2705, 2708). À plusieurs reprises Berlioz lui envoie des exemplaires de ses œuvres (CG no. 1502: partitions de la Symphonie fantastique, Harold en Italie, et Roméo et Juliette; les Soirées de l’orchestre; CG nos. 2705, 2708: la partition piano et chant de Béatrice et Bénédict). Dans les limites des ressources disponibles sur place Lecourt s’efforce de faire exécuter la musique de Berlioz à Marseille, du moins jusqu’en 1845. Il aide à organiser une exécution de l’ouverture du Roi Lear dans les premiers mois de 1840 (CG no. 712), et en décembre 1843 une exécution du Chant sacré que Berlioz a instrumenté en réponse à une demande de Marseille (CG no. 867). Quand Berlioz se rend à Marseille en 1845 il aide à la préparation des deux concerts donnés par Berlioz, et Berlioz le remercie en lui faisant une place de choix dans le récit de cette visite qu’il publie en 1848. En 1850 Berlioz dédie à Lecourt la version pour orchestre du chœur Sara la baigneuse (CG nos. 1357, 1376, 1378), et le jeune Théodore Ritter lui dédie aussi en 1855 sa transcription pour piano de l’adagio de Roméo et Juliette (CG no. 1937).

    À plusieurs reprises Lecourt fera le long voyage de Marseille à Paris pour assister à la première exécution de plusieurs œuvres majeures de Berlioz: la Symphonie funèbre en 1840 (c’est probablement l’occasion à laquelle Berlioz fait allusion dans son récit de 1848, repris dans les Grotesques de la musique), et le Te Deum en 1855 (CG nos. 1959, 1961). Il a peut-être assisté aussi à la première de l’Enfance du Christ en 1854 (Berlioz lui suggère de venir, CG no. 1805) et les Troyens à Carthage en 1863; du moins Berlioz avait suggéré à Morel et à Lecourt qu’ils voudraient peut-être venir à cette occasion (CG no. 2755), et des amis de Marseille sont certainement venus assister aux exécutions (CG no. 2815; aucun nom n’est cité). Un an plus tard, à l’occasion de l’anniversaire de l’évènement, Lecourt écrit à Berlioz pour le féliciter (CG no. 2929).

    Un service d’un ordre tout à fait différent que Lecourt et Morel rendent ensemble à Berlioz sera d’aider Louis Berlioz, le fils du compositeur, dans les premières étapes de sa carrière dans la marine marchande: grâce à leurs nombreuses relations dans les cercles commerciaux de Marseille les deux hommes sont en mesure de contribuer de manière décisive à lancer la carrière du jeune homme dans les années 1856 à 1858. Cet épisode est traité en détail dans l’article sur Auguste Morel sur cette page.

    La dernière lettre connue de Berlioz à Lecourt date de novembre 1864 (CG no. 2929), mais leur amitié persiste: après cette date Lecourt est mentionné dans les dernières lettres connues de Berlioz à Morel (CG nos. 3117, 3241, 3360), et la dernière montre que Lecourt venait juste d’écrire à Berlioz (mai 1868), après son retour de Russie. Berlioz promet de répondre, mais on ne sait s’il l’a fait, et Lecourt meurt cette même année.

Méry, Joseph (1789-1865; portrait), écrivain et poète, né à Marseille, que Berlioz nomme ‘un de mes amis, un artiste et un homme d’esprit’. Méry assiste au premier concert de Berlioz à Marseille le 19 juin 1845, et Berlioz l’a certainement vu au cours de son séjour: au soir du 25 juin il écrit une sérénade sur un texte de Méry dans l’album de ce dernier (voir Julien Tiersot, Berlioziana 1er décembre 1906). On ne sait s’ils se sont rencontré avant cette visite, mais Berlioz connait sans doute déjà l’œuvre de Méry et sa réputation d’homme d’esprit, et Auguste Morel a pu entretenir Berlioz à son sujet (Méry est lié avec Morel, et l’appuie au début de sa carrière à Paris). Il n’y a pas trace de correspondance entre Berlioz et Méry, mais les deux hommes se rencontrent sans doute souvent à Paris (par exemple CG no. 1975). Ils se trouvent ensemble à Bade en août 1858, et Méry, en plus de s’adonner à sa passion pour le jeu (CG no. 2307; Journal des Débats 24 novembre 1860), ajoute quelques vers en l’honneur de Berlioz au prologue d’une de ses pièces (CG nos. 2308, 2315, 2318), et Berlioz l’invite à dîner avec le compositeur Ernest Reyer (CG no. 2307bis [tome VIII]). Reyer, marseillais lui aussi, a déjà écrit un opéra, Maître Wolfram, sur un livret de Méry, qui écrira pour lui un autre livret plus tard, Érostrate (cf. Rostand p. 75-83). Dans ses feuilletons du Journal des Débats Berlioz mentionne Maître Wolfram plusieurs fois avec éloge (10 juin, 11 octobre et 25 novembre 1854; 26 janvier 1855; 24 octobre 1857; 3 septembre 1863).

    Berlioz apprécie le talent d’écrivain de Méry; il loue chaudement un livret de sa plume sur un sujet antique, Herculanum, bien plus que l’opéra lui-même, mis en musique par Félicien David (Journal des Débats, 12 mars 1859). Il prise particulièrement l’esprit de Méry, et dans ses écrits cite plusieurs de ses bons mots (par exemple CG no. 1258; Journal des Débats 4 septembre 1856, repris dans les Grotesques de la musique; Mémoires, Deuxième voyage en Allemagne, 4ème lettre). À l’occasion il n’hésite pas à marquer son désaccord avec Méry, par exemple à propos de l’engouement de Méry pour Rossini ou ses opinions sur la musique de Palestrina (CG nos. 1975, 2557; cf. Journal des Débats, 6 septembre 1854), mais Méry ne lui en tient sans doute pas rancune.

Morel, Auguste (1809-1881; portrait), musicien, compositeur et écrivain, né à Marseille, et l’un des plus loyaux amis de Berlioz pendant une période de trente ans. Morel est, pourrait-on dire, un des héros secrets de la vie de Berlioz, sans l’appui duquel la carrière du compositeur aurait été sinon impossible du moins plus difficile. Sa profonde amitié pour Berlioz lui donne une place de choix parmi un groupe restreint d’intimes en dehors du cercle familial, qui comprend les noms d’Humbert Ferrand, Franz Liszt et la princesse Carolyne Sayn-Wittgenstein. De son vivant il est un compositeur remarqué, notamment dans la musique de chambre, mais il aura du mal à s’imposer dans la capitale. Ami intime de Berlioz et compositeur de valeur, le nom de Morel mérite certes plus que l’oubli presque total dans lequel lui et ses œuvres semblent être tombés. Une raison pour ce manque de réputation posthume réside sans doute dans le caractère de Morel: à l’encontre de Liszt, par exemple, il est discret, modeste et fuit la publicité (CG nos. 1449, 1542, 1937, 2487); sérieux, compétence, bonté, loyauté envers ses amis, probité, telles sont ses principales qualités. ‘Le plus obligeant homme que je connaisse’, selon Félix Marmion, l’oncle de Berlioz (lettre du 30 décembre 1858). Autre raison: Morel semble avoir très peu voyagé, et la majeure partie de sa carrière se déroule soit à Marseille soit à Paris; il ne recherche pas les occasions de se faire connaître à l’étranger, à l’encontre de la plupart des premiers musiciens de l’époque (par exemple outre Berlioz lui-même on peut citer Mendelssohn, Liszt, Wagner, Verdi et bien d’autres personnages de moindre envergure). Une dernière raison accessoire est l’absence de descendants: il se marie tard (CG nos. 1937, 2392) et n’a pas d’enfants; à sa mort tous ses biens reviennent à son neveu qui lui était particulièrement cher (CG nos. 2138bis, 2505, 2580bis).

    Correspondance. Il n’est pas possible dans le cadre de cet article d’entrer dans tout le détail des lettres échangées entre les deux hommes ni de tracer plus qu’une esquisse de leur longue amitié. La correspondance connue entre Berlioz et Morel comprend 70 lettres en tout (dont deux seules de Morel à Berlioz, CG nos. 2148bis et 3115). À part celle avec les membres de la famille de Berlioz, elle se place donc par l’importance juste après celle avec les trois noms cités (Ferrand, Liszt, et la princesse Sayn-Wittgenstein); Morel est de plus un correspondant assidu (ce que Ferrand n’était pas). Une caractéristique de cette correspondance est la grande varieté de sujets dont Berlioz entretient Morel: ses activités au jour le jour, l’évolution de sa carrière, ses idées, ses espoirs et ses craintes, mais aussi des problèmes personnels et des affaires de famille. On peut supposer que Morel lui rend la pareille. Autre caractéristique, le ton généralement sérieux de leurs échanges: écrivant à Morel il est rare de voir Berlioz s’adonner au genre de persiflage qu’on trouve, par exemple, dans sa correspondance avec Toussaint Bennet et Théodore Ritter. Dans une lettre du 30 décembre 1842, au début de son premier voyage en Allemagne, Berlioz demande plusieurs services à Morel et ajoute ‘Voilà bien des choses mais l’amitié a des droits superbes et j’en use, à charge de revanche’ (CG no. 795). Leur correspondance est pleine de requêtes de ce genre. Les deux hommes ont évidemment une confiance totale l’un en l’autre, et si leur correspondance se ralentit dans les dernières années pour diverses raisons, leur amitié reste intacte et durera jusqu’à la fin (comme avec Humbert Ferrand, et à l’encontre de Liszt et de la princesse Sayn-Wittgenstein).

    Débuts. Morel est destiné par ses parents à une carrière dans le commerce, mais comme le raconte son élève et biographe Alexis Rostand, c’est en entendant jouer des quatuors que son instinct musical s’éveille pour la première fois. ‘Marseille est la première ville de France qui comprit les grandes œuvres de Beethoven’, écrit Berlioz en 1848, utilisant des informations qu’il a pu tirer de Morel lui-même [CM VI p. 404, repris en 1859 dans les Grotesques de la musique]. ‘Elle précéda Paris de cinq ans sous ce rapport; on jouait et on admirait déjà les derniers quatuors de Beethoven à Marseille, quand nous en étions encore à Paris à traiter de fou le sublime auteur de ces compositions extraordinaires’. Morel décide de se porter vers la musique. Fait remarquable, il est presque entièrement autodidacte: quand il arrive à Paris en 1836 il a déjà dépassé l’âge d’inscription au Conservatoire, mais devient néanmoins un musicien complet. Il est altiste et sans doute aussi violoniste (CG no. 666), mais joue aussi du piano, les instruments à percussion (CG no. 1996) et est un chef capable: il dirige, par exemple, une exécution d’Antigone, opéra de Mendelssohn à l’Odéon en mai 1844. Commentaire de Berlioz: ‘M. Morel […] a monté cette partition en dix-huit jours, et […] en dirige l’exécution avec le soin et le talent qu’il apporte dans toutes les affaires musicales’ (Journal des Débats, 26 mai 1844; CM V p. 483-4). À Paris Morel écrit d’abord pour la presse musicale et dans d’autres journaux, et reçoit l’appui de Méry. Il a dû vite rencontrer Berlioz, mais leurs premiers rapports connus datent de 1838 et remontent peut-être au moins à l’année précédente: à l’occasion de la première exécution du Requiem aux Invalides le 5 décembre 1837 Morel se déclare ouvertement partisan de Berlioz. Leur amitié se développe rapidement, et le terrain d’entente entre eux est très large: ils sont tous deux musiciens pratiquants, compositeurs, écrivains et critiques musicaux, et leurs goûts en musique se rejoignent. Ils se comprennent et sont en mesure de se rendre service l’un à l’autre.

    Morel et Berlioz. Morel revendiquait fièrement l’honneur d’avoir été parmi les premiers à reconnaître le génie de Berlioz et de l’avoir appuyé dès le début: il déclare son admiration pour le Requiem en décembre 1837, et à l’occasion des premières représentations de Benvenuto Cellini à l’Opéra en septembre 1838 publie dans le Journal de Paris trois articles enthousiastes et perspicaces sur le nouvel ouvrage. En décembre il publie dans ce même journal une étude d’ensemble de l’œuvre de Berlioz. Dans la première lettre connue de leur correspondance on le voit au travail sur un arrangement pour piano de musique de Benvenuto Cellini qui est bientôt publié (CG nos. 573bis, 622), la première de plusieurs transcriptions pour piano qu’il fera d’œuvres de Berlioz (Sara la baigneuse [CG no. 1376] et Le Cinq mai). La lettre suivante montre que Morel a conseillé à Berlioz, à court d’argent, de s’adresser à un ami de Marseille, Hippolyte Lecourt, pour faire un emprunt (CG no. 604). C’est sans doute grâce à Morel, que Berlioz voit maintenant souvent (CG no. 632), que Berlioz est présenté à un nouveau cercle d’amis à Marseille, entre autres Lecourt et de Rémuzat. Morel semble avoir pris part aux premières exécutions de Roméo et Juliette en novembre et décembre 1839 (CG no. 666) où il a joué la partie des petites cymbales antiques dans le scherzo de la Reine Mab (CG no. 1996). Le groupe suivant de lettres connues date du premier voyage de Berlioz en Allemagne en 1842-3: Morel y apparaît comme un ami et correspondant fidèle sur lequel Berlioz peut compter pendant sa longue absence de la capitale (CG nos. 795, 800, 815, 818, 824). Morel tient Berlioz au courant de tout ce qui se passe à Paris, tandis que Berlioz de son côté envoie des nouvelles de sa tournée de concerts, mais demande aussi à Morel des services divers, et lui parle même en confidence de ses rapports avec Marie Recio. On sait que Morel désapprouvait l’influence exercée par Marie Recio sur Berlioz (voyez la lettre de Morel à Lecourt citée par David Cairns, Hector Berlioz tome II [2002], p. 252; publiée en partie dans NL, pp. 228-9), mais les impératifs de l’amitié l’emportent. C’est sans doute en témoignage de reconnaissance de l’appui de Morel pendant ce premier et décisif voyage en Allemagne que c’est à Morel que Berlioz adresse la première de la série de lettres ouvertes publiées après son retour (Journal des Débats, 13 août 1843; CM V p. 245-55), à la fin de laquelle il fait l’éloge de mélodies que Morel vient de composer. Dans la version reproduite plus tard dans les Mémoires Berlioz ajoute une note pour présenter Morel: ‘M. A. Morel est un de mes meilleurs amis, et l’un des plus excellents musiciens que je connaisse. Ses compositions ont un mérite réel. Il est aujourd’hui directeur du conservatoire de Marseille.’ Une autre mention de Morel dans les Mémoires (chapitre 53) concerne sa participation comme chef d’orchestre adjoint au vaste concert donné le 1er août 1844 à l’occasion du Festival de l’Industrie à Paris. Le chapitre recevra une publication anticipée dans Le Monde Illustré du 13 février 1858, et le nom de Morel y apparaît comme dans les Mémoires posthumes.

    L’absence de lettres à Morel datant de l’époque du second voyage de Berlioz en Allemagne en 1845-6 est surprenante et sans doute fortuite: on n’a pas connaissance d’une quelconque brouille entre eux à ce moment, et Morel à Paris a peut-être aidé à corriger les épreuves du boléro Zaïde composé par Berlioz pendant son séjour à Vienne (CG nos. 1011, 1013). Morel fait surface de nouveau dans son rôle de correspondant fidèle à Paris alors que Berlioz est en tournée en Russie et en Allemagne en 1847; il est particulièrement utile à Berlioz grâce à ses relations dans la presse de Paris, et il peut aider Berlioz à organiser la publicité pour ses succès russes (CG nos. 1101, 1105, 1114). De même pour le séjour prolongé à Londres en 1847-8, pour lequel beaucoup de lettres ont survécu, qui de nouveau traitent d’un grand nombre de sujets (CG nos. 1149, 1160, 1162, 1173, 1184, 1191, 1195, 1197, 1199).

    En 1850 intervient un changement de cap important dans la vie de Morel, qui va toucher Berlioz presque autant que Morel lui-même. Il est membre de la Société Philharmonique fondée par Berlioz au début de l’année 1850, joue dans l’orchestre, et fait partie du comité de la société dont il est un membre très actif, comme le montre les procès-verbaux des séances du comité. Mais la dernière séance à laquelle il assiste est celle du 20 août 1850, et à la séance du 10 septembre suivant on apprend que Morel a donné sa démission du comité et va être remplacé par Léon Gastinel. Pour des raisons de famille semble-t-il, Morel a décidé de renoncer à sa carrière à Paris pour revenir à Marseille (CG no. 1357). Après un certain délai il est finalement nommé en 1852 directeur du Conservatoire de Marseille, consécration remarquable pour un musicien en grande partie autodidacte; il y restera jusqu’en 1873. Berlioz a travaillé à sa nomination (CG no. 1542) et leur amitié continue sans interruption (Morel, Lecourt et de Rémuzat font à l’occasion des voyages à Paris). Mais Berlioz regrette naturellement la présence d’un appui solide à Paris qui pendant des années paraissait aller de soi (voir déjà CG no. 1162, en 1848), et il ne peut s’empêcher de faire part de sa conviction que la véritable place de Morel est dans la capitale (CG nos. 1376, 1399, 1496, 1542, 1805, 1937).

    Tout au long de sa carrière Morel s’intéresse de près à tout ce que Berlioz écrit et publie, et Berlioz le tient au courant de tous ses grands travaux depuis Benvenuto Cellini: par exemple l’Enfance du Christ (CG no. 1805), le Te Deum (CG no. 1937, 1972), qu’à l’encontre de Lecourt et de Rémuzat il n’a pu entendre à Paris (CG nos. 1959, 1961), et les Troyens (CG nos. 2128, 2257, 2266, 2294, cf. 2148bis). Berlioz lui envoie régulièrement des exemplaires de tout ce qu’il publie (CG nos. 1357, 1376, 1771, 1805, 3241), et Morel fait aussi l’acquisition d’exemplaires pour le Conservatoire de Marseille (CG no. 1784, cf. 1449). Berlioz lui envoie même son portrait (CG no. 2184). Il fait don à Morel de la partition autographe d’Harold en Italie, que Morel lèguera par la suite à son élève de prédilection Alexis Rostand, qui à son tour en fera don au Conservatoire de Paris. Parmi les lettres de félicitation que Berlioz reçoit à l’occasion de son élection à l’Institut en juin 1856 il en existe une de Morel (CG no. 2148bis).

    Berlioz et Morel. Berlioz de son côté ne cessera d’appuyer Morel le compositeur et de prôner sa musique (plus qu’il ne le fera pour Liszt, soit dit en passant). Dans les années 1840 il a souvent occasion de parler dans ses feuilletons du Journal des Débats des mélodies de Morel, qui ont une certaine popularité à Paris (7 juin 1840; 20 mars 1842; 13 août 1843; 1er avril et 17 mai 1845; 29 novembre 1846; 24 janvier 1847; tous reproduits dans CM IV p. 345; V p. 75, 255; VI p. 29, 86, 248, 272). Dans les années 1850 Berlioz se tourne vers d’autres compositions de Morel. Dans les premiers mois de 1851 il demande à Morel la musique d’une ouverture en vue d’une exécution à un concert de la Société Philharmonique qu’il vient de fonder l’année précédente (CG nos. 1376, 1377; en l’occurrence ce sera le dernier concert officiel de cette société). Après les répétitions de l’ouvrage il écrit à Lecourt en termes très élogieux (CG no. 1399), procure des billets pour les amis de Morel pour le concert du 29 avril (CG no. 1401) et informe Morel après coup du succès de l’exécution (CG no. 1411, cf. 1449). Un compte-rendu de L’Argus des théâtres (10 mai 1851) est particulièrement élogieux. Mais en fait l’œuvre n’a pas été bien reçue d’un public d’ailleurs très restreint, et Lecourt semble-t-il exprime sa déception (CG nos. 1496, 1502). Berlioz s’intéresse particulièrement aux quatuors de Morel, genre dans lequel ce dernier semble avoir produit ses meilleures œuvres, et il en est souvent question dans leur correspondance; Berlioz prodigue ses bons offices pour la publication d’un des quatuors (CG nos. 1449, 1542, 1768, 1771, 1784, 1937, 1996, 1972). Dans ses feuilletons du Journal des Débats Berlioz vante à plus d’une reprise les mérites de la musique de chambre de Morel (28 septembre 1849; 29 juin 1850; 2 mars et 4 juillet 1854). En 1856 Morel entreprend d’écrire un opéra, Le Jugement de Dieu, au même moment où Berlioz se lance dans la composition des Troyens; dans sa correspondance avec Morel Berlioz s’enquiert des progrès de l’ouvrage en même temps qu’il donne des nouvelles des Troyens (CG nos. 2170, 2225, 2266). Il déclare vouloir assister à la première représentation (CG no. 2247), s’informe du progrès des répétitions (CG nos. 2354, 2363), mais pour finir la maladie l’empêchera de faire le voyage à Marseille (CG no. 2421). En guise de compensation il écrit un compte-rendu élogieux dans le Journal des Débats (28 mars 1860) avec l’aide de notes fournies par Lecourt (CG no. 2487). L’opéra sera par la suite représenté aussi à Rouen, mais l’espoir de voir l’ouvrage monté sur une scène parisienne ne se réalisera pas (CG no. 2858).

    Louis. L’un des plus importants services rendus à Berlioz par Morel, de concert avec son ami Lecourt, est d’ordre personnel: ils aideront à lancer la carrière de Louis, le fils de Berlioz, à un moment où Berlioz a peine à faire face aux conséquences de l’enfance malheureuse du jeune homme et de ses déchirements familiaux. La première mention connue de Louis dans les lettres à Morel, en 1850, suppose que ce dernier connaît bien Louis dès cette date et s’intéresse à sa carrière (CG no. 1357), et une lettre de 1851 montre que Louis s’est déjà lié d’affection pour Morel (CG no. 1399). Morel et Louis ont sans doute fait connaissance au cours des années 1840, alors que Morel est toujours établi à Paris, et avant que Louis prenne la décision d’entreprendre une carrière dans la marine. La décision de Louis est mentionnée pour la première fois en octobre 1848 (CG no. 1227), et son intention se précise l’année suivante (CG nos. 1266, 1279). En septembre 1850 il s’embarque au Havre pour les Caraïbes, le premier de bien des voyages à venir, et son père l’accompagne jusqu’au port (CG no. 1343).

    C’est le début d’une nouvelle phase pour le père et le fils, et Berlioz doit maintenant compter avec les longues absences en mer de Louis et des mois d’inquiétude en attendant des nouvelles, et seul le retour de son fils sain et sauf peut appaiser ses craintes (CG nos. 1357, 1399, 1542). Quand la guerre de Crimée éclate en 1853, nouvelle source d’inquiétude: quand les hostilités éclatent entre la France et la Russie Berlioz est à l’agonie sachant son fils exposé à de nouveaux risques (CG nos. 1768, 1771, 1784, 1805; Mémoires chapitre 57). Louis se tire de la guerre indemne, mais en novembre 1854 nouveau rebondissement: pour une raison ou une autre Louis manque le départ de son navire à Cherbourg (il est alors au Havre), et son protecteur l’amiral Cécille le punit, ce qu’il prend mal (CG nos. 1824, 1901). Avec l’aide semble-t-il de Morel, qui en informe Berlioz, Louis se rend alors à Marseille où il s’embarque sur un autre navire (CG no. 1853). Querelle entre père et fils (CG nos. 1891, 1892, 1899), qui sera suivie par d’autres, mais qui est finalement apaisée (CG no. 1933). Malgré ses expériences de la guerre de Crimée Louis semble toujours se passionner pour une carrière dans la marine impériale, que son père lui recommande (CG nos. 1945, 1960). Puis au début de 1856 il change d’avis et décide de s’orienter vers la marine marchande, contre l’avis de son père, son grand-oncle Marmion et sa tante Adèle, mais avec le soutien de Morel et Lecourt, qui ont tous deux une longue expérience du monde commercial et de nombreuses relations dans les cercles maritimes de Marseille (CG nos. 2076, 2077, 2105, 2128). Au cours des années précédentes Louis a souvent eu l’occasion de les voir à Marseille pendant les escales de ses voyages à l’étranger, mais maintenant ils sont en mesure de lui trouver une place sur des navires convenables (CG no. 2257, 2266). Pour Louis, Morel et Lecourt sont des alliés, et ils sont prêts à reprocher doucement à Berlioz d’être parfois trop dur avec son fils (CG nos. 2148bis, 2158bis), circonstances qui pour finir aideront à les rapprocher tous les quatre. Berlioz est profondément reconnaissant à Morel et à Lecourt de tout ce qu’ils font pour son fils (CG nos. 2247, 2266), et Louis de même. Outre l’aide pratique et matérielle fournie à un moment critique de la carrière de Louis, Morel et Lecourt peuvent aussi lui offrir à Marseille une ambiance de famille sympathique qui lui a si souvent fait défaut chez lui (CG nos. 2138bis, 2247, 2266, 2294, 2392, 2505, 2964). Louis ne peut s’empêcher d’établir un contraste entre l’ambiance familiale stable du neveu de Morel et du fils de Lecourt avec ses propres expériences malheureuses (CG no. 2580bis).

    Il n’y a pas lieu ici de retracer en détail toutes les péripéties de la carrière future de Louis, qui continue à figurer dans la correspondance de Berlioz avec Morel et Lecourt pendant les années qui suivent (CG nos. 2294, 2354, 2384, 2421, 2505, 2596, 2929, 3115, 3117, 3241). Peu à peu cette correspondance se ralentit, comme ils le constatent chacun de leur côté (CG nos. 3115, 3117). L’éloignement n’en est pas la cause principale – le départ de Morel pour Marseille en 1850 n’avait pas amené de césure dans leurs relations – mais il faut plutôt faire la part de la santé de Berlioz qui s’aggrave, du ralentissement de ses activités et de sa désillusion grandissante sur ses perspectives à Paris (CG nos. 2888, 2929, 3117, 3241).

    La mort imprévue de Louis à La Havane en juin 1867 est un choc terrible pour tous. On ne sait comment Morel et Lecourt ont été informés (il existe des lettres de Berlioz à d’autres amis annonçant la nouvelle). Mais il est maintenant pénible pour Berlioz d’entretenir une correspondance avec ses amis à Marseille; il est presque certain qu’il ne leur écrit pas pendant son séjour en Russie durant l’hiver de 1867-8. À son retour Berlioz reçoit une lettre de Lecourt, qui fait part d’une autre lettre de Morel qui ne lui est pas parvenue à Nice en mars dernier: eux du moins ne l’ont pas oublié. La lettre que Berlioz écrit à Morel en mai 1868 expliquant ses raisons pour ne pas s’arrêter à Marseille est sans doute la dernière de leur correspondance (CG no. 3360). On remarquera aussi qu’alors que quelques amis intimes de Berlioz sont mentionnés dans son testament, le nom de Morel n’y figure pas.

    Épilogue. Morel subit coup sur coup deux pertes cruelles, la mort de son ami intime Lecourt en 1868 et celle de Berlioz en mars 1869. Il ne semble pas avoir écrit d’article nécrologique sur Berlioz, mais par contre il prête attention à ce qu’on écrit au sujet de son ami après sa mort. En septembre 1869 le Figaro publie un article anonyme dans lequel Berlioz est injustement accusé d’avoir usé de son influence pour faire engager des actrices, en l’occurrence une certaine Mlle Willès (voir le numéro du Figaro du 10 septembre sur le site internet de la Bibliothèque nationale de France). Il s’agissait en fait de Marie Recio, qui avait débuté sous ce nom; Berlioz avait rendu compte avec éloges d’un concert donné par elle dans la Salle Herz le 4 février 1841 (Journal des Débats, 14 février 1841), et quelques mois plus tard il rend compte de sa participation à des représentations à l’Opéra, mais cette fois sous le nom de Mlle Recio (Journal des Débats, 14 décembre 1841; 30 janvier 1842). Morel envoie au Ménestrel une mise au point: Mlle Willès/Recio n’avait pas été engagée à l’Opéra-Comique mais au Grand-Opéra, et ce contre l’avis de Berlioz (Le Ménestrel, 31 octobre 1869).

    Morel continue dans son poste de directeur du Conservatoire et aurait pu terminer sa carrière à Marseille, sauf pour un autre coup du sort. En 1872 la municipalité de Marseille décide de rabaisser le Conservatoire au niveau d’une simple école communale de musique, à la grande et légitime indignation d’Alexis Rostand, élève de Morel [Rostand 1874, 93-125]; l’année suivante Morel est écarté de son poste, qui avait d’ailleurs perdu beaucoup de son poids. Tard dans sa vie Morel se voit donc forcé de reconstruire sa carrière, et il décide de quitter sa ville natale après plus de vingt ans de séjour pour revenir à Paris.

    On ne sait quand exactement le déplacement a eu lieu, mais sans doute en 1875 au plus tard. Dès le début de 1876 Morel signe des comptes-rendus pour l’hebdomadaire Le Ménestrel à Paris, et le 21 octobre 1877 son nom apparaît pour la première fois dans la liste des collaborateurs réguliers à ce journal, où il continuera à figurer jusqu’à sa mort. En plus de l’estime personnelle qu’il inspire à tous ceux qui le connaissent bien, Morel jouit d’une auréole particulière en tant que vieil ami de Berlioz qui lui a été très proche. Un compte-rendu de la Correspondance inédite de Berlioz de Daniel Bernard paru dans Le Ménestrel du 5 janvier 1879 (p. 44-46) fait cette remarque pleine de délicatesse: ‘Un bon nombre de ces épîtres, soit dit en passant, portent l’adresse de notre collaborateur M. Auguste Morel, un des plus vieux amis de Berlioz; qui soutint le maître dans les moments les plus difficiles de sa carrière militante, et qui a la joie maintenant d’assister à son triomphe’. Morel signe un nombre d’articles dans le journal, le dernier seulement quelques semaines avant sa mort (Le Ménestrel, 4 mars 1877; 1er et 22 décembre 1878; 12 janvier et 16 mars 1879; 28 novembre 1880; 13 février 1881), et de plus il rend compte régulièrement de concerts à Paris. Fidèle jusqu’à la fin, Morel a la satisfaction d’assister à la réhabilitation posthume de Berlioz en France et de pouvoir signer plusieurs articles en son honneur de 1876 à 1881, dont quelques-uns sont reproduits sur ce site.

    Morel meurt subitement dans la nuit du 22 au 23 avril 1881, et sa mort est annoncée le lendemain dans Le Ménestrel. Le journal fait un hommage digne à son collaborateur dans plusieurs notices nécrologiques et articles, dont deux sont de la plume de son ami et élève Alexis Rostand, qui venait lui-même d’être admis dans l’équipe des collaborateurs au Ménestrel. On trouvera tous ces articles reproduits dans l’original sur une page séparée de ce site, avec des extraits d’un livre de Rostand sur la musique à Marseille.

Rémuzat, Justinien de (1803 – ?). On sait peu de Rémuzat (que Berlioz appelle toujours soit Rémusat soit de Rémusat), et on n’a pas connaissance de lettres échangées entre eux, mais il est souvent question de lui dans la correspondance de Berlioz avec Lecourt et avec Morel pendant presque trente ans, de 1839 à 1867. Il est évidemment un ami intime à la fois de Morel et de Lecourt, et Morel l’a sans doute présenté à Berlioz peu après avoir fait connaissance lui-même avec ce dernier. Comme Lecourt et Morel, il est de Marseille et semble y avoir domicile, comme plusieurs lettres le laissent entendre (CG nos. 666, 1959, 1996, 2494, 2929). Dans plusieurs autres lettres on le voit séjourner à Paris à diverses époques, du moins temporairement (CG nos. 2257, 2354, 2549, 2596, 3241), et d’après une autre lettre il a alors un appartement à Paris (CG no. 2505). On ne sait quelle est sa profession, mais d’après les allusions dans la correspondance il est fervent mélomane (il joue du violon et compose de la musique, CG no. 2505), et comme Morel et Lecourt il soutient Berlioz constamment: en 1855, avec Lecourt, il fait le voyage de Marseille à Paris pour assister à la première exécution du Te Deum (CG no. 1959). Bien plus tard, en 1883, il est membre d’un sous-comité à Marseille qui étudie le projet de construire un monument à Paris en l’honneur de Berlioz (Le Ménestrel, 11 mars 1883, p. 120).

    Il fait distinguer Rémuzat de son presque-homonyme Charles de Rémusat, ministre de l’intérieur en 1840 qui commande à Berlioz la Symphonie funèbre et triomphale. Berlioz raconte cet épisode longuement dans ses Mémoires (chapitre 50), et présente Rémusat comme un ami convaincu de la musique, mais dans ses propres Mémoires Rémusat entend dissiper cette impression (citation d’après CG II p. 650 n. 1):

Berlioz était un homme d’esprit que quelques amis appelèrent un homme de génie. Il a raconté dans ses Mémoires publiés après sa mort toute l’histoire de cette marche funèbre à laquelle il attachait un grand prix, et il a enjolivé son récit de quelques historiettes en mon honneur, quoique nous n’eussions ensemble aucune relation. Comme il croyait avoir eu à se plaindre des ministres et des bureaux de l’Intérieur, il s’est complu à faire mon éloge, et si les Mémoires de Berlioz vont à la postérité, je laisserai le souvenir fort usurpé du ministre qui a le mieux aimé la musique et le mieux traité les musiciens.

    Il est évident d’après ce passage que l’ancien ministre de l’intérieur ne peut être identique avec l’ami de Lecourt et de Morel dont il est question dans la correspondance de Berlioz.

Reyer, Ernest (1823-1909; portraits), compositeur et écrivain, né à Marseille (son véritable nom est Rey). À l’encontre de Morel et de Lecourt, ses origines marseillaises n’ont aucune influence particulière sur ses rapports avec Berlioz, et la majeure partie de sa carrière se déroulera à Paris. Élève du Conservatoire de Marseille il se destine d’abord à une carrière administrative avant de se tourner vers la musique en 1848 quand il vient s’établir à Paris. Parmi d’autres personnalités marseillaises il connaît Toussaint Bennet ainsi que l’écrivain Méry, qui lui fournira le livret de deux de ses opéras. Il a peut-être connu aussi les deux plus proches amis marseillais de Berlioz, Morel et Lecourt, mais les noms de ces derniers ne figurent pas dans la correspondance connue de Berlioz avec Reyer, et de même son nom ne se trouve pas dans la correspondance de Berlioz avec Morel et Lecourt. Il est donc peu probable qu’il ait appartenu à ce cercle particulier des amis de Berlioz à Marseille. Aucun indice ne laisse supposer que Reyer et Morel se soient connus personnellement avant 1877, date à laquelle Morel est de nouveau établi à Paris. Morel mentionne Reyer dans un article du Ménestrel en mars 1879 et ailleurs, et Reyer a plusieurs fois l’occasion d’évoquer le nom de Morel dans ses feuilletons du Journal des Débats (13 mars 1877; 15 décembre 1878; 22 mars 1879; 30 janvier 1881; 14 avril 1889).

    Berlioz sur Reyer. Selon Reyer lui-même, il aurait fait la connaissance de Berlioz peu avant la première exécution de l’Enfance du Christ en décembre 1854 à laquelle il assiste: Berlioz lui envoie des billets pour ce concert, comme il ressort de la première mention du nom de Reyer dans la correspondance de Berlioz (CG no. 1816). Mais Berlioz a déjà entendu parler de Reyer depuis plusieurs années. Le premier ouvrage qui porte Reyer à la connaissance du grand public est sa symphonie le Selam sur un texte de son ami Théophile Gautier, exécutée pour la première fois à Paris en avril 1850. Elle est mentionnée favorablement par Berlioz dans un feuilleton du Journal des Débats (13 avril 1850, p. 2): ‘Je louerai M. Reyer de n’avoir employé qu’avec réserve les instrumens violens, et les harmonies violentes, et les modulations violentes. Son orchestre est doux, rêveur, berceur autant que simple.’ Mais Berlioz laisse ensuite entendre que le coloris oriental de l’ouvrage est une concession à la mode: ‘Je louerai bien davantage Félicien David d’avoir eu l’esprit d’écrire son Désert le premier ; car s’il était venu le second, on l’accuserait à coup sûr d’avoir imité le Selam’. Le nom de Reyer paraît ensuite dans un feuilleton du 2 mars 1854 dans lequel Berlioz annonce la représentation imminente d’un opéra de Reyer, ‘le spirituel auteur de la symphonie orientale du Selam et d’une foule de morceaux de chant pleins d’originalité et de verve’. L’opéra en question est Maître Wolfram sur un livret de Méry; il est représenté pour la première fois la même année et Berlioz en rend compte longuement (10 juin 1854), de manière généralement positive: ‘Ce qui manque à M. Reyer, c’est l’habitude d’écrire, le procédé, le mécanisme, le prix de l’Institut. Mais ses mélodies ont du naturel, elles touchent souvent, il y a du cœur et de l’imagination là-dedans’. Par la suite Berlioz a plusieurs fois l’occasion de parler de l’ouvrage, et toujours favorablement (11 octobre et 25 novembre 1854; 26 janvier 1855; 24 octobre 1857; 3 septembre 1863). D’autres ouvrages de Reyer sont de même mentionnés favorablement par Berlioz dans le Journal des Débats, avec seulement quelques réserves passagères: le ballet Sacountala (15 septembre 1858; 19 mai 1859), un recueil de vieilles chansons françaises avec accompagnement de piano (5 mai 1860), et l’opéra La Statue (24 avril 1861; 16 février 1862; 8 octobre 1863).

    Rapports personnels. La correspondance connue des deux hommes va de 1856 à 1868, mais comporte seulement un petit nombre de lettres et ne donne qu’une idée incomplète de leurs relations: domiciliés tous deux à Paris la plupart du temps ils ont souvent l’occasion de se rencontrer et le besoin d’une correspondance écrite soutenue ne se fait pas sentir. On ne connaît que deux lettres de Reyer à Berlioz (CG nos. 3017 et 3148). Quelques unes des lettres de Berlioz à Reyer sont brèves et avares d’informations (CG nos. 2081bis, 2236quarter [toutes deux au tome VIII], 3365, la dernière lettre connue). Quelques unes sont des invitations (invitation à une lecture du poème des Troyens en octobre 1858, CG no. 2322bis [tome VIII]; invitation à dîner vers 1863, SD 113 [tome VIII p. 613]). En septembre 1858 alors qu’ils sont à Bade Berlioz invite Reyer et Méry tous les deux à dîner (CG no. 2307quater [tome VIII]). Les deux seules lettres plus développées concernent des récits de concerts donnés par Berlioz à l’étranger, à Vienne en décembre 1866 (CG no. 3200), et en Russie au début de 1868, en réponse à une lettre de Reyer quelques semaines plus tôt (CG no. 3332). Cette dernière lettre incite Reyer à insérer quelques lignes sur le voyage de Berlioz en Russie dans le Journal des Débats (6 février), où il a pris en charge le feuilleton musical après la mort de Joseph d’Ortigue en 1866, qui avait lui-même pris la relève de Berlioz après sa démission en 1863.

    Berlioz apprécie et respecte Reyer comme compositeur et comme ami, et cependant Reyer ne fait probablement pas partie du cercle de ses amis les plus proches. Selon le témoignage de Reyer lui-même (voir la notice nécrologique de 1869 et les souvenirs de 1893), ce n’est que tout à la fin, quand Berlioz est mourant, que Reyer reçoit un exemplaire personnel des Mémoires encore inédits, alors que d’autres on reçu le leur plus tôt (Estelle Fornier, Berthold Damcke, Stephen Heller, la Grande-Duchesse de Russie, entre autres). Une question qui les sépare est leur attitude envers la musique de Wagner; ce n’est sans doute pas par hasard que dans ses articles sur Berlioz après sa mort Reyer évite de citer le nom de Wagner, et ce n’est que plus tard, dans les années 1890, qu’il se sent libre de soulever ce sujet délicat (les rapports de Berlioz avec Wagner font l’object d’une page séparée sur ce site). L’attitude de Reyer envers Wagner évolue dans le temps au fur et à mesure que sa musique lui est mieux connue (en 1864 il ne comprend rien à Tristan und Isolde, mais vingt ans après il change ouvertement d’avis – Reyer 1909, p. 76-87), et Reyer ne comptera jamais parmi les admirateurs inconditionnels du compositeur allemand; mais dès le début il le prend au sérieux, défend Tannhaüser à l’époque des représentations à Paris en 1861, et dans un de ses derniers feuilletons en 1896, le dernier à parler de Berlioz, il salue un concert qui associe la musique des deux compositeurs: ‘Sur la même affiche, les noms des deux plus grands musiciens de ce siècle, unis aujourd’hui dans la même auréole… et peut-être réconciliés’ (Journal des Débats, 12 avril 1896). On remarquera que quand Reyer prend en charge le festival de Bade en 1865, en plus de Berlioz il fait exécuter aussi des œuvres de Liszt, Wagner et Schumann, écartés du programme par Berlioz entre 1856 et 1861 (CG nos. 3025, 3032). Quand en 1866 Reyer est nommé successeur de d’Ortigue au feuilleton musical du Journal des Débats, la réaction de Berlioz est réservée (CG no. 3185). Mais dans la dernière phrase de son testament Berlioz lègue ‘à M. Reyer mon ami, rédacteur du feuilleton musical du journal des débats et compositeur qui dans peu sera célèbre, mon Paul et Virginie annoté de ma main sur les marges’. Reyer est au chevet de Berlioz mourant, épisode qui le marque profondément, comme il le rappelle dans son article nécrologique publié peu de temps après et de nouveau dans ses souvenirs personnels plus de vingt ans après (1893). Dans un article du Journal des Débats (21 janvier 1876) il décrit l’exemplaire de Paul et Virginie qu’il garde précieusement, et évoque les annotations en marge faites par Berlioz (reproduit dans Reyer 1909, p. 190-5).

    Reyer sur Berlioz. Selon Reyer (1893) c’est en entendant l’Enfance du Christ en décembre 1854 que pour la première fois il prête attention au compositeur Berlioz et commence à étudier son œuvre. En 1857 il demande à Berlioz des exemplaires de toutes ses œuvres pour un article qui paraît dans la revue L’Artiste le 6 décembre (cf. CG no. 2259), son premier article de fond sur Berlioz, dans lequel il cherche à défendre le compositeur contre les attaques de critiques mal intentionnés comme Pierre Scudo, qui est cité mais sans être nommé. C’est le premier d’une longue série d’articles que Reyer va consacrer à Berlioz par la suite, datant pour la plupart d’après 1869: aucun autre critique en France ne défendra Berlioz si constamment et pendant si longtemps après sa mort. Pour le Journal des Débats du 31 mars 1869 il écrit une notice nécrologique très personnelle. Un an après la mort du compositeur il organise un Festival en l’honneur de Berlioz (8 mars 1870), sur lequel il s’étend longuement dans le Journal des Débats (31 mars 1870, repris dans Reyer 1875, p. 292-304). En octobre 1886 il prononce un discours au Square Vintimille à l’occasion de l’inauguration de la statue de Berlioz, et l’année suivante (mars 1887) il assiste à l’inauguration d’un monument funéraire pour Berlioz au Cimetière de Montmartre. En 1889 il signe un chapitre sur Berlioz dans le tome publié pour commémorer le centenaire du Journal des Débats auquel Berlioz lui-même avait collaboré de 1834 à 1863. En 1890 il prononce un discours à La Côte-Saint-André à l’occasion de l’inauguration d’une statue en son honneur. Un article dans une revue publiée aux États-Unis en 1893 rassemble d’autres souvenirs personnels sur le compositeur (article sans doute dérivé d’un original en français que nous n’avons pu identifier). En 1903, âgé maintenant de 80 ans, Reyer prononce un autre discours pour l’inauguration de la statue de Berlioz à Grenoble en sa capacité de président d’honneur des fêtes du Centenaire; le discours est publié par la suite dans le Livre d’or du centenaire.

    Sur l’ensemble de la carrière de Reyer on lira aussi les deux notices nécrologiques par son ami Adolphe Jullien dans le Journal des Débats du 17 janvier et du 24 janvier 1909.

    Plusieurs des articles de Reyer sur Berlioz ont été repris par Reyer lui-même de son vivant (Reyer 1875, p. 264-76, 292-357), et après sa mort par son ami Émile Henriot (Reyer 1909, p. 155-95). On trouvera une liste complète de ses articles dans le Courrier de Paris entre 1857 et 1859 et dans le Journal des Débats entre 1866 et 1899 dans Reyer 1909, p. 403-20. La table ci-dessous donne une liste de tous ses articles sur Berlioz dans le Journal des Débats, dont la majorité est reproduite sur ce site dans l’original, pour la première fois depuis leur publication d’origine à la fin du 19ème siècle.

ANNÉE DATE TITRE RÉIMPRESSION
1867 16 février Les décors des Troyens, de Berlioz  
1868 6 février Berlioz en Russie  
  28 décembre Roméo et Juliette, de Berlioz  
1869 10 mars Mort d’Hector Berlioz  
  31 mars Hector Berlioz Reyer 1875, 264-76
  23 novembre Faust, de Berlioz  
1870 22 février Festival pour l’anniversaire de la mort de Berlioz  
  31 mars Festival en l’honneur de Berlioz, à l’Opéra Reyer 1875, 292-304
1871 15 mars, 16 mars,
4 juin, 5 juin
Mémoires d’H. Berlioz Reyer 1875, 305-57
  29 juillet Une lettre d’H. Berlioz  
1873 9 mars Symphonie fantastique, de Berlioz. — Le Carnaval romain, de Berlioz  
  28 octobre Roméo et Juliette, de Berlioz  
  13 décembre Roméo, de Berlioz  
1874 15 mars La Marche troyenne, de Berlioz  
1875 15 janvier La Damnation de FaustL’Enfance du Christ  
  29 juillet Roméo, de Berlioz  
  21 novembre Roméo et Juliette, de Berlioz  
  12 décembre Roméo et Juliette, de Berlioz, au Châtelet  
1876 21 janvier Harold en Italie, de Berlioz  
  1er mars Deux premières parties de la Damnation de Faust. — Lettre de Berlioz à Deldevez  
  25 novembre Un exemplaire de Paul et Virginie, annoté par Berlioz Reyer 1909, 190-5
1877 13 mars La Damnation de Faust, de Berlioz Reyer 1909, 155-66
  30 mars Exécution de la Damnation de Faust au Châtelet  
  23 mai Hector Berlioz  
  19 décembre Damnation de Faust  
1878 30 mars Requiem de Berlioz  
  12 novembre Symphonie fantastique et Harold en Italie, de Berlioz  
  15 décembre Correspondance inédite de Berlioz, 1819-1868, par Daniel Bernard  
1879 16 février Roméo et Juliette, de Berlioz  
  22 mars Festival Berlioz à l’Hippodrome  
  11 août Transcription de la Damnation de Faust, par M. Pfeiffer  
  17 octobre Prochaine exécution de la Prise de Troie  
  30 novembre Premier acte de la Prise de Troie  
  12 décembre La Prise de Troie, de Berlioz Reyer 1909, 167-83
  26 décembre Exécution de la Prise de Troie, au Châtelet  
1881 30 janvier L’Enfance du Christ, de Berlioz. — La statue de Berlioz  
  13 décembre Lélio ou le retour à la vie, de Berlioz. — Lettres intimes de Berlioz. — Hector Berlioz, par Ad. Jullien  
1882 26 novembre L’ouverture des Francs-Juges, de Berlioz. — Béatrix et Bénédict, de Berlioz  
1883 29 janvier La Messe des morts, de Berlioz  
  28 octobre La Damnation de Faust et le monument de Berlioz  
1884 16 mai Le monument de Berlioz  
  14 septembre Une étude sur Berlioz et son œuvre, par M. Ernst  
  28 septembre La partition d’orchestre des Troyens. — Reprises projetées de Benvenuto Cellini et de Namouna  
1885 18 janvier La Damnation de Faust, de Berlioz, aux Concerts Lamoureux  
  15 novembre La partition d’orchestre des Troyens. — Benvenuto Cellini en Allemagne  
1886 26 septembre A propos de Benvenuto Cellini  
  31 octobre Concert à la mémoire d’Hector Berlioz, au Châtelet  
  14 novembre Les Troyens, à l’Opéra  
1887 9 octobre Le Benvenuto Cellini, de Berlioz  
1888 22 avril La Damnation de Faust, au Châtelet  
  3 septembre Berlioz et M. Eugène Diaz  
  4 novembre Hector Berlioz, sa vie et ses œuvres, par M. Ad. Jullien  
1889 3 février Hector Berlioz, par Adolphe Jullien  
  14 avril Berlioz intime, d’Ed. Hippeau  
1890 8 juin Béatrix et Bénédict, de Berlioz Reyer 1909, 184-9
1892 12 juin Les Troyens, de Berlioz, à l’Opéra-Comique  
  11 décembre L’Enfance du Christ  
1894 8 décembre Le cycle Berlioz aux Concerts Colonne : Roméo et Juliette  
1895 25 mai La Damnation de Faust, à l’Opéra  
1896 12 avril Berlioz et Wagner  

Choix de lettres de Berlioz et autres

    On trouvera sur cette page plusieurs renvois à des lettres concernant Berlioz et Marseille qui ne sont pas reproduites ici mais sur la page Marseille. Toutes les lettres connues de la correspondance entre Berlioz et Hippolyte Lecourt et Berlioz et Auguste Morel sont inventoriées ci-dessous année par année, et plusieurs sont reproduites en partie (il existe aussi deux lettres de Berlioz à Morel sans date précise qui appartiennent aux années 1840; voir CG VIII p. 603-4).

1838

    Voir CG nos. 573bis [tome VIII], 604 (toutes deux à Auguste Morel)

1839

À Liszt (CG no. 660; 6 août, de Paris; reproduit dans CM IV p. 134-7):

[…] Alizard, jeune chanteur qui s’est élevé en ton absence, conquiert chaque jour une place plus belle dans l’opinion des connaisseurs et même dans celle du public; il chante de temps en temps des rôles fort courts dans lesquels il trouve toujours le moyen d’impressionner son auditoire. Il a été immensément applaudi cet hiver dans les concerts du Conservatoire; il parviendra. […]

À sa sœur Nancy (CG no. 671; 21 octobre, de Paris):

[…] J’ai fait répéter plusieurs fois le Père Laurence et le rôle de ce bon moine va parfaitement à la voix grave et onctueuse d’Alizard. […]

    Voir aussi CG nos. 632, 666 (toutes deux à Hippolyte Lecourt)

1840

À Humbert Ferrand (CG no. 700; 31 janvier, de Paris)

[…] Alizard a eu un véritable succès dans son rôle du bon moine (le Père Laurence, dont le nom lui est resté). Il a merveilleusement compris et fait comprendre la beauté de ce caractère shakespearien. […]

    Voir aussi CG no. 712 (à Hippolyte Lecourt)

(1841)

1842

    Voir CG no. 795 (à Auguste Morel)

1843

    Voir CG nos. 800, 815, 818, 824 (à Auguste Morel), et 867 (à Hippolyte Lecourt)

1844

    Voir CG nos. 881bis [tome VIII], 900 (toutes deux à Auguste Morel)

1845

À Adolphe Alizard (CG no. 993; 29 août, de Paris):

[…] Tous nos efforts sont inutiles: l’imbécillité triomphe partout! au théâtre Italien ils ont engagé Dérivis! à l’opéra je suis fort mal avec l’administration, mais j’ai envoyé Perrot qui est toujours fort de mes amis, jusqu’à présent il n’a obtenu que cette réponse: « Alizard a fortement déplu à Mme Stoltz! ». Réponse venue de Gentil. De Perrot je ne sais rien. […]
Je ne perdrai aucune occasion soyez-en sûr; déjà le 20 de ce mois dans ma première lettre sur Bonn et à propos de Staudigl j’ai parlé de vous et de l’opéra, et cette manière de vous demander aura peut-être à la longue son effet. […]
Votre bien dévoué comme artiste et comme am
H. BERLIOZ
P.S. Marie vous serre la main et regrette autant que moi de vous voir hors de votre place.

1846

    Voir CG nos. 1059, 1073 (toutes deux à Auguste Morel)

1847

    Voir CG nos. 1101, 1105, 1114, 1149 (toutes à Auguste Morel)

1848

À Auguste Morel (CG no. 1162; 14 janvier, de Londres):

[…] Un vif regret pour moi dans mes absences de plus en plus fréquentes de Paris, c’est de ne pas vous voir; et vous n’en doutez pas j’espère. Vous savez combien j’apprécie la rectitude de jugement, la bonté d’âme, et l’amour de l’art dont vous m’avez donné tant de preuves. Pardonnez-moi donc de vous faire aussi franchement ma profession de foi nationale. […]

    Voir aussi CG nos. 1160, 1173, 1184, 1191, 1195, 1197, 1199 (toutes à Auguste Morel)

(1849)

1850

À Auguste Morel (CG no. 1357; 15 novembre, de Paris):

[…] Dites à Lecourt que sa Ballade de Sara a obtenu, aux deux concerts qui viennent d’avoir lieu, un très grand succès. Les critiques quand même, m’en veulent néanmoins d’avoir fait un chœur sur de semblables paroles; il ne fallait, disent-ils, qu’une seule voix. J’avoue que je ne m’attendais guère à une pareille récrimination. Dès que les épreuves de la grande partition seront bien corrigées, Lecourt et vous recevront vos exemplaires. Nos choristes savent maintenant ce morceau par cœur et le chantent à merveille, quoiqu’un peu trop fort encore. J’ai bien regretté avant-hier votre absence; vous me manquiez surtout pendant l’Adagio [de la Symphonie fantastique]; et je cherchais dans tous les coins de l’orchestre votre regard sympathique qui m’eût fait tant de bien. Nos musiciens ne se possèdent pas de joie d’être sortis à leur honneur d’une épreuve aussi rude. D’autant plus qu’au premier concert, les choristes avaient remporté sur eux un avantage marqué. Quand ils seront un peu plus sûrs d’eux-mêmes il faudra que je demande l’exécution de votre admirable quatuor dussions-nous le répéter jusqu’à ce que le sang nous sorte du bout des doigts. […]
Je ne puis me figurer que vous soyez encore longtemps éloigné de Paris, où est évidemment votre place. Si au moins la direction du Conservatoire de Marseille vous était offerte, avec des appointements convenables et deux ou trois mois de congé tous les ans… Mais vous ne m’en dites rien… […]
Adieu mon cher et excellent ami, écrivez-moi toujours quand vous le pourrez, ou répondez-moi si je vous devance; ce ne sont pas cent quatre-vingts lieues qui doivent interrompre des relations nécessaires à tous les deux. Je serre les mains à Lecourt.
Marie vous remercie de votre bon souvenir. Voulez-vous saluer de ma part M. Pascal l’excellent artiste que j’ai connu à Marseille et qui, si je ne me trompe, fut un peu votre maître. […]
Je ne puis encore avoir des nouvelles de mon pauvre Louis. Il a dû arriver il y a huit jours à Haïti, où il aura trouvé une lettre de moi. Le bateau à vapeur de Southampton revenant le 15 m’apportera sa réponse. Malgré la volonté ferme et l’espèce d’enthousiasme avec lesquels il a commencé sa carrière de marin, vous devinez mon anxiété jusqu’à ce que sa lettre me soit parvenue. Je vous en ferai part immédiatement.

    Voir aussi CG no. 1292 (à Auguste Morel)

1851

À Auguste Morel (CG no. 1376; vers le 31 janvier, de Paris):

Je vous remercie de votre lettre et de la bonne nouvelle qu’elle contient. Malgré votre grande valeur musicale vous serez donc placé à la tête d’une école de musique et vous pourrez y faire beaucoup de bien. C’est un miracle…
Je ne vous écris que quelques lignes pour vous prier de m’envoyer le plus tôt possible la partition et les parties de votre ouverture; nous la jouerons, très probablement au concert de mars. Ces messieurs se sont empressés de se rendre à l’observation que je leur ai faite à ce sujet. […]
Adieu, je vous envoie, avec l’exemplaire en grande partition de Sara pour Lecourt, un exemplaire de votre excellente réduction de ce morceau pour piano. […]

À Hippolyte Lecourt (CG no. 1378; 1er février, de Paris):

Je vous envoie la partition de ma ballade de Sara la baigneuse, qui vous est dédiée. Si vous avez par hasard dans une de vos poches 70 choristes musiciens, qui aient de la voix et qui sachent chanter et qui veuillent bien faire une douzaine de répétitions, régalez-vous de ce fruit musical, peut-être le trouverez vous rafraîchissant. […]

À Hippolyte Lecourt (CG no. 1399; 3 avril, de Paris):

Allez trouver Morel et dites-lui de ma part que nous venons de répéter pour la première fois son ouverture et que tous nous la trouvons admirable. Elle sera exécutée à notre concert du 29 de ce mois. Nous l’avons dite trois fois ce matin, l’orchestre était à peu près au complet et déjà elle marche assez bien. Nous aurons encore quatre répétitions.
Je jure que c’est un meurtre de voir éloigné du centre musical un artiste de la valeur de Morel. Son ouverture le prouverait seule. Il y a là une habileté harmonique, une science d’instrumentation et de modulations, un sentiment de rythme et une distinction mélodique qui, selon moi, sont du premier ordre. Et je puis vous dire à vous, Lecourt, que mon amitié pour l’auteur ne m’influence pas le moins du monde en sa faveur. Ce serait de Caraffa ou d’Adam que je dirais la même chose. Seulement je serais mille fois plus surpris.
Je ne retrouve pas la dernière lettre de Morel et j’ai encore oublié son adresse, voilà pourquoi je ne lui écris pas directement. […]
P.S. Dites-lui que Louis est arrivé bien fort, bien portant, bien épris de sa carrière, qu’il repart pour les Antilles dans quinze jours et qu’il serre la main de son ami Morel.

À Auguste Morel (CG no. 1411; 9 mai, de Paris):

[…] Après le concert où votre ouverture a si brillamment figuré nous en avons eu deux autres coup sur coup, au jardin d’hiver, pour lesquels l’orchestre était payé, et qu’il n’y avait, en conséquence, pas moyen de refuser. […]
Votre ouverture a été fort bien exécutée et médiocrement applaudie par le public de M. Cohen [M. Cohen avait payé pour faire exécuter son grand ouvrage le Moine au concert du 29 avril], mais admirée de tous les artistes et des vrais amateurs. Vos billets ont été remis d’après vos indications. Je me réserve de vous la faire entendre quelque jour avec un orchestre immense, car c’est une œuvre de grandes masses. Bourges en a assez bien parlé dans la Gazette musicale. J’y viendrai à mon tour je ne sais quand, dans le Journal des Débats. […]

À Auguste Morel (CG no. 1428; 16 août, de Paris):

Mme Demeure [sic] (Melle Charton) se rend avec son mari à Marseille où de beaux succès l’attendent sans aucun doute. Je l’ai entendue dernièrement à Londres et son talent est réellement de ceux que vous devez encourager et prôner de toutes vos forces. Tâchez donc de l’aider dans ses entreprises musicales, présentez la à notre ami Lecourt; c’est une bonne fortune pour Marseille que l’arrivée à votre théâtre d’une artiste pareille. M. Demeure est, lui aussi, un virtuose distingué, et s’il y a des concerts il vous sera d’une grande utilité. […]

    Voir aussi CG no. 1401 (à Auguste Morel)

1852

À Auguste Morel (CG no. 1449; 10 février, de Paris):

Je ne vous ai pas écrit depuis longtemps, c’est mal très mal de ma part et je vous prie de me pardonner cette négligence apparente. […]
Que devenez-vous? que devient Lecourt? Richaut me disait l’autre jour qu’on lui avait demandé de ma musique pour Marseille; qu’est que c’est?…
Notre Philharmonique de Paris étant à vau-l’eau, j’ai fait porter votre ouverture (très belle) dans ma chambre de la bibliothèque du Conservatoire, où se trouve exclusivement la musique qui m’appartient. Si vous en avez besoin, Rocquemont (qui demeure Rue St-Marc No 27) irait la prendre avec un mot de moi et vous la ferait parvenir. […]
Et votre nouveau quatuor quand le grave-t-on? Quand l’entendrons-nous? Ah scélérat! Si vous vous mettez à faire ainsi modestement des chefs-d’œuvre!… Il était temps; personne ne pouvait plus faire de quatuors. […]

À Hippolyte Lecourt (CG no. 1496; 22 juin, de Paris):

[…] Je suis bien heureux d’apprendre que Morel va revenir à Paris; je suis inquiet sur sa santé; sa dernière lettre m’avait péniblement affecté. Il paraissait profondément triste. J’ai pour lui, vous le savez, une vive et sincère affection, indépendante de toute influence musicale. Dites-lui mille choses de ma part. […]

À Auguste Morel (CG no. 1542; 19 décembre, de Paris):

Vous auriez le droit de m’adresser de vifs reproches sur la longue interruption de notre correspondance et pourtant vous me les épargnez!… Je reconnais là bien votre bonté ordinaire. Si quelque chose peut atténuer mes torts c’est la certitude que j’ai, moi, de l’intention où j’étais de vous écrire après-demain. Eh bien je vous écris ce soir […] Oui, j’ai grande envie de dormir et pourtant je vous écris tout de suite, pour vous assurer que j’ai ressenti une grande joie en apprenant votre tardive nomination. Je m’étais fait depuis un an le flatteur de Batton pour l’exciter à sévir contre vos obstacles; car il avait vu et il n’avait pas encore vaincu. Heureusement il était presque aussi indigné que moi, et je n’ai pas eu besoin de descendre à des flatteries excessives. Enfin vous voilà à peu près tranquille, sinon bien portant!…
Je vous cherche bien souvent au café du Cardinal, et je ne conçois pas pourquoi on y déjeune sans vous. Mais vous me faites espérer votre visite et un 2ème quatuor. […]
Louis m’a chargé l’autre jour de le rappeler à votre souvenir. Il est au Havre où il achève les cours d’hydrographie. Il arrive de la Havane. […]

    Voir aussi CG nos. 1502, 1504 (à Hippolyte Lecourt)

1853

À sa sœur Adèle (CG no. 1619; 16 juillet, de Paris):

[…] Ce qui n’empêche que j’aime plus que jamais cette chère partition de Benvenuto plus vivace, plus fraîche, plus neuve (c’est là un de ses grands défauts) qu’aucun de mes ouvrages. Liszt m’écrit qu’on va la remonter avec soin à Weimar. On me le demande pour Marseille; mais je ne les crois pas de force à s’en tirer. […]

1854

À Auguste Morel (CG no. 1768; 4 juin, de Paris):

[…] J’ai fait ce que vous m’avez dit pour le quatuor. Desmarest a organisé une séance musicale chez lui, j’ai entendu votre ouvrage. C’est très beau, et je ne puis dire celui de vos deux quatuors que je préfère. L’adagio et le scherzo de celui-ci m’ont beaucoup frappé.
J’ai vu ensuite Brandus. Il ne veut pas graver la chose, ainsi que vous l’aviez prévu. Hier j’ai fait dire à Desmarest de me renvoyer le manuscrit, et suivant vos instructions je le porterai chez Brandus afin qu’il le publie, en appliquant aux frais de la publication les 300 fr de la souscription ministérielle. Lesquels trois cents francs Brandus ne savait pas avoir touchés; mais Laval s’en est souvenu et l’a fait s’en souvenir. […]
Je suis pour ma part fort triste; Louis est dans la Baltique sur le Phlégéton. Ce vaisseau n’est pas, dit-il, destiné à prendre part aux combats… mais je n’en crois rien. Et ce doute me fait un mal affreux. […]

À Auguste Morel (CG no. 1771; 26 juin, de Paris):

Je n’aurais pas manqué de surveiller la gravure de votre beau quatuor; je l’ai fait confier à M. Lavillemarais qui vient de graver pour moi (c’est-à-dire pour Richaut) la partition de piano de Faust; mais je suis bien aise de savoir que M. Baudillon voudra bien m’aider un peu à revoir les épreuves. Il paraît que je suis un détestable correcteur. […]
Vous avez bien raison de me rappeler la promesse que je vous avais faite de la collection de mes partitions; malheureusement les Editeurs n’attachent pas leurs chiens avec des saucisses, et je n’ai à ma disposition que quelques exemplaires de petits ouvrages comme Tristia, Sara, Vox populi […]
Je n’ai point de nouvelles de la Baltique, l’amiral Cécille, le protecteur de Louis, n’en a pas non plus. Où sont-ils? que fait la flotte?… Je serre la main à Lecourt. Marie vous remercie de votre bon souvenir. […]

À Auguste Morel (CG no. 1784; 28 août, de Paris):

J’espère que vous êtes bien portant et que vous et notre ami Lecourt avez échappé à la terrible maladie dont Marseille a eu tant à souffrir [le choléra]. Donnez-moi vite de vos nouvelles.
Vous avez dû recevoir il y a trois semaines l’épreuve déjà corrigée de votre quatuor. L’avez-vous renvoyée? avez-vous écrit à Brandus? Il s’est passé de très graves événements commerciaux dans cette maison, dernièrement. C’est Jemmy [sic] et un associé qu’ils avaient à St Pétersbourg qui dirigent maintenant l’entreprise. Brandus l’aîné a dû se retirer. Il est sans doute utile que vous soyez informé de tout cela. Dites-moi ce que je dois faire relativement à votre ouvrage, et je le ferai. […]
Je viens de passer huit jours aux bords de la mer, à St Valery, pour me décholériser. Ce grand air des falaises, ce vaste horizon, cette solitude et ce silence m’ont tout à fait remis. J’y serais demeuré plus longtemps sans les anxiétés que j’éprouvais au sujet de Louis. Et je suis revenu dans l’espoir d’obtenir plus vite à Paris des nouvelles du siège de Bomarsund où il se trouvait. Heureusement il s’en est tiré sain et sauf, je viens de recevoir une lettre de lui. Dieu vous préserve, mon cher Morel, de connaître jamais de semblables émotions……… […]
Richaut a-t-il envoyé au Conservatoire de Marseille les deux partitions, de Faust et de La fuite en Egypte, que vous m’aviez chargé de lui commander?… […]

À Auguste Morel et Hippolyte Lecourt (CG no. 1805; 1er novembre, de Paris):

(À Morel)
[…] Je m’occupe de l’exécution chez Herz de ma trilogie sacrée L’Enfance du Christ. Je ne puis résister, quoi qu’il m’en coûte, à la tentation de faire entendre cet ouvrage à mes amis de Paris, avant de partir pour l’Allemagne. Un de mes grands regrets sera que vous n’y soyez pas ainsi que Lecourt. Je vous en enverrai le livret avec votre musique. Ce sera pour le 10 décembre. […]
Louis vient d’arriver de Cherbourg et j’espère le voir dans quelques jours. Il s’est trouvé à Bomarsund, le pauvre enfant, au milieu de toutes ces horreurs, et le voilà sur le point de partir pour Sébastopol. Vous ne sauriez croire, mon cher ami, combien je suis sensible à l’intérêt que vous prenez à lui. Il en est digne, c’est un brave garçon, qui fera son chemin.
Vous savez peut-être déjà que je suis remarié. Tous mes amis, mon oncle même, étaient d’avis que je devais au plus tôt régulariser ma position. Marie vous dit mille choses. […]

(À Lecourt)
[…] Mon cher Lecourt, si vous n’étiez pas devenu sage, vous feriez la folie de venir à Paris le 8 ou le 9 décembre prochain pour entendre mon oratoire L’Enfance du Christ. Je le ferai exécuter pour la première fois le 10, la veille de mon jour de Naissance, fêté l’an dernier de la même façon à Leipzig, et que nous fêterons par extraordinaire à Paris. Mais ne faites pas cette extravagance, je vous en prie; je serais désolé d’être la cause d’un pareil déplacement.

1855

À Ernest Legouvé (CG no. 1887; 18 janvier, de Paris):

[…] Si vous voulez bien me le permettre j’irai accompagné d’un accompagnateur chez vous un de ces jours calomnier Faust de mon mieux. L’accompagnateur est un enfant prodige, nommé Ritter, qui a l’aplomb d’un homme très intelligent, et que je crois destiné à un grand avenir musical. Il a déjà écrit plusieurs morceaux de Piano d’une valeur très réelle et tout à fait exceptionnelle. Son père est M. Bennet de Cette, dont la fortune lui permet de bien diriger son fils loin des boueux sentiers de la musique productive. […]

À Auguste Morel (CG no. 1937; 14 avril, de Paris):

[…] Maintenant me voilà plongé dans le Te Deum, et c’est en ce moment que votre absence me semble étrange… J’espère pourtant que tout marchera bien. Voulez-vous être assez bon pour faire reproduire dans les journaux de Marseille la réclame ci-jointe [texte dans CG V p. 52 n. 1]. Il faut que l’immense église soit pleine ou nous sommes flambés. Cela coûte sept mille francs.
J’apprends que vous écrivez un nouveau quintette?… tant mieux. Que ce genre difficile fleurisse donc enfin en France!
Votre ami Baudillon se marie, il épouse une jeune pianiste qui a l’air fort gracieux et tout à fait agréable. Et vous? ne vous mariez-vous point? Vous auriez pourtant besoin d’un intérieur, vous manquez de dorloteries, je le crains, sensible et mélancolique comme vous l’êtes.
Je serre la main à Lecourt. Théodore Bennet (Ritter) lui a dédié sa réduction pour le piano de notre adagio de Roméo.
Cet enfant est bien remarquable et je l’aime sincèrement. […]

À sa sœur Adèle (CG no. 1961; 4 mai, de Paris):

[…] Ce sont choses qu’il faut voir et entendre… M. Lecourt, un amateur savant et chaleureux qui était venu de Marseille tout exprès, ruisselait de larmes après le dernier morceau, et il n’était pas le seul. Je suis resté entouré, après que tout a été fini, à ne pouvoir quitter ma place et je crois que si ce n’eût été la sainteté du lieu on m’eût étouffé d’embrassades. […]

À Auguste Morel (CG no. 1972; 2 juin, de Paris):

[…] Quant au Te Deum, c’est moi qui le publie en société avec Jemmy Brandus; et si le conservatoire de Marseille peut m’en prendre un exemplaire je me recommande à lui. Le prix de la souscription est de 40 f. Parlez donc de cela à Lecourt; Bennet prétend que je pourrai trouver cinq ou six souscripteurs à Marseille. Laval m’a dit vous avoir envoyé les dernières épreuves de votre quatuor; avez-vous fini? ai-je quelque chose à dire chez Brandus à ce sujet? […]
Vous me demandez de vous parler du Te Deum; c’est très difficile à moi. Je vous dirai seulement que l’effet produit sur moi par cet ouvrage a été énorme et qu’il en a été de même pour mes exécutants. En général la grandeur démesurée du plan et du style les a prodigieusement frappés; et vous pouvez croire que le Tibi Omnes et le Judex dans ces deux genres différents sont des morceaux Babyloniens, Ninivites, qu’on trouvera bien plus puissants encore quand on les entendra dans une salle moins grande et moins sonore que l’Eglise de St Eustache. […]

À Liszt (CG no. 1975; 7 juin, de Paris):

[…] Avant-hier Méry lui a été présenté. En voyant Rossini le poète Provençal s’est trouvé mal, noyé sous la marée montante de ses larmes, Rossini aussitôt de fondre en pleurs, à son tour; puis Mme Rossini d’imiter son époux, enfin le Portier de sangloter dans sa loge, ému par cette harmonie de sanglots.
UNE ORGIE DE LARMES!! Tout le monde là possède une telle sensibilité!… Il n’y a que Méry de sincère. Le Rossinisme est chez lui une monomanie comme la passion du Plain-Chant chez d’Ortigue. Pro-di-gious!… […]

À sa sœur Adèle (CG no. 1984; 22 juin, de Londres):

[…] Nous sommes venus ici avec un Français père d’un enfant prodigieux (le petit Ritter âgé de 14 ans) et qui nous a accompagnés uniquement pour faire entendre Roméo et Juliette à son fils. Ils repartent demain. […]

    Voir aussi CG no. 1996 (à Auguste Morel)

1856

À sa sœur Adèle (CG no. 2076; 8 janvier, de Paris):

[…] Je ne t’entretiens pas de Louis; je n’ai de lui que des nouvelles inquiétantes. Il veut maintenant rentrer dans la marine marchande; mon ami Morel de Marseille m’écrit ce matin qu’il est de son avis et qu’il pourra, ainsi que mon autre ami Lecourt, avocat maritime à Marseille, lui trouver une bonne position sur quelque vaisseau marchand. Dieu le veuille! je ne sais plus que faire! je n’ose plus importuner l’Amiral Cécille. […]

À Auguste Morel (CG no. 2077; 9 janvier, de Paris):

[…] Merci de vos bonnes intentions et de celles de Lecourt pour mon fils; je n’entre pas dans votre manière de voir au sujet de la marine marchande; tant mieux si je me trompe. Mais il n’y a point de carrière assurée pour Louis dans ce moment, en quittant la marine de l’Etat, et je suis dans la plus complète impossibilité de lui venir en aide. C’est l’opinion de ma sœur et de mon oncle qu’il devrait rester où il est; il va les mécontenter tous, surtout mon oncle, qu’il a tant d’intérêt à ménager. Je ne sais plus que dire; il m’a fait écrire à l’empereur pour qu’il l’aide à arriver à un grade qu’il ambitionne; j’ai mis sans succès en mouvement l’amiral Cécille et tous mes amis des Débats. Maintenant je ne puis plus rien; Louis s’est posé l’arbitre de sa destinée en n’agissant qu’à son gré. Il faut me taire et attendre avec anxiété le résultat de sa conduite irréfléchie. En tout cas, je n’ai pas besoin de vous dire combien je suis touché de l’intérêt que vous lui témoignez et de vous assurer de ma vive reconnaissance pour ce que vous ferez pour lui. […]

À sa sœur Adèle (CG no. 2105; 9 mars, de Paris):

[…] Mes amis de Marseille me donnent l’assurance qu’ils pourront lui faire avoir une position lucrative sur un bâtiment marchand. Un autre ami, M. Bennet, un constructeur de navires, qui habite Paris, prétend qu’il pourra, lui aussi, lui venir en aide, et que la marine militaire est une impasse où Louis demeurera de longues années sans avancement. Je ne sais que croire; en tout cas il ne s’agit pas pour lui de faire le commerce, mais de naviguer pour le compte de négociants et de finir par commander des expéditions commerciales. […]

À Auguste Morel (CG no. 2128; 23 mai, de Paris):

Louis m’écrit de Toulon. Il va quitter le service de l’Etat, et il cherche un embarquement pour un voyage d’un an à 15 mois.
Soyez assez bon pour l’aider à trouver un navire où il soit convenablement et qui parte bientôt. Priez instamment Lecourt de ma part de vous seconder dans cette recherche. Vous m’obligerez beaucoup. […]
J’ai vu votre ami, dont je ne me rappelle pas le nom (M. Rostand) et qui cause très bien de toutes choses et même de musique. Il aurait voulu entendre quelque ouvrage de moi pendant son séjour à Paris, mais il n’y avait pas de possibilité de le satisfaire.
Je suis immensément occupé, et pour vous dire la vérité, très malade, sans que je puisse découvrir ce que j’ai. Un malaise incroyable; je dors dans les rues, etc, enfin, c’est peut-être le printemps.
J’ai entrepris un opéra en cinq actes dont je fais le tout, paroles et musique [Les Troyens]. J’en suis au troisième acte du poème, j’a fini hier le second. Ceci est entre nous. Je le ciselerai à loisir après l’avoir modelé de mon mieux. […]
Adieu, mon cher Morel, je sais que votre affaire avec Brandus est enfin terminée. Il était temps. Bennet est à Nancy avec son fils. Je ne vois jamais le fils de Lecourt, j’aurais pourtant bien du plaisir à causer avec lui. On dit que c’est un charmant garçon. […]

Louis Berlioz à Marseille à son père à Paris (CG no. 2138bis [tome VIII]; 13 juin):

[…] M. Morel chez qui je loge et je mange, a été d’un grand secours dans les démarches, il connaît tout le monde; il m’a présenté au premier Courtier de Marseille, lequel m’a immédiatement désigné deux bâtiments en partance. Les personnes auxquelles appartiennent ces navires sont des amis, mais les places sont prises […]
Je suis très mal à mon aise ici, M. Morel est d’une telle bonté que je crains d’être très gênant pour sa famille, je mange et je loge chez lui, je suis enfin comme l’enfant de la famille; j’ai été une fois lui parler de prendre une pension et une chambre en ville, il n’a pas voulu comprendre cela. […]

Auguste Morel à Berlioz à Paris (CG no. 2148bis [tome VIII]; 28 juin):

Enfin, premier commencement d’un réparation beaucoup trop tardive! Vous voilà de l’Institut. Vous savez sans que je vous le dise, tout le plaisir que cette nouvelle m’a fait, à moi et à tous ces bons et vrais amis de Marseille. Vous n’en resterez pas là, il faut l’espérer, et peut-être cet opéra auquel vous travaillez en ce moment vous fera-t-il prendre sur la scène lyrique française le rang auquel vous avez droit.
Je ne vous ai pas écrit plutôt [sic], parce que j’espérais d’un jour à l’autre pouvoir vous annoncer que nous étions parvenus à caser Louis. Mais jusqu’à présent la chose a été impossible. Ce n’est pas que le bon vouloir de nos amis à Lecourt et à moi ait fait défaut. […] Mais il ne s’agit que d’avoir un peu de patience. […] Ainsi soyez sans inquiétude à ce sujet, bien certainement Louis sera casé et avec le temps quand il pourra passer Capitaine il trouvera dans la marine marchande de notre ville un bon commandement et une bonne position.
Je n’ai pas fait voir, et pour cause, votre dernière lettre à votre fils. Y pensez vous d’aller parler d’indiscrétion à propos du plaisir qu’il nous fait d’accepter notre modeste hospitalité. Nous avons une chambre libre, peu belle il est vrai, mais qui lui suffit, il l’occupe, quoi de plus simple. Quant à notre ordinaire il veut bien aussi s’en contenter, et nous sommes cinq à la maison y compris ma petite nièce et vous savez que lorsqu’il y a pour cinq, il y a pour six. C’est le B a Ba de l’économie ménagère. Ainsi ne parlons plus de cela et n’allez pas sur ce point faire une mauvaise querelle à ce pauvre enfant. […]

À Madame Bennet (CG no. 2152; 1er juillet, à Paris):

[…] Vous y trouverez (à dîner) un jeune homme vraiment extraordinaire nommé Ritter, qui joue du piano à rendre fous de désespoir ceux qui ne l’ont pas entendu, et compose à rendre fous de joie ceux qui ont pu entendre ses œuvres. Il a un père, tant soit peu original, entre nous soit dit, qui a la manie de jouer du basson dans les repas, dans les noces, et qui en jouerait même aux enterrements si on le laissait faire. Mais j’ai fait mettre un tampon solide dans le tube de son instrument, et vous pouvez être tranquille, le basson ne donnera pas son son. […]

Hippolyte Lecourt à Berlioz à Bade (CG no. 2158bis [tome VIII]; 5 août):

Je comprends votre sollicitude pour Louis et souvent nous en parlons avec Morel. Malheureusement il faut attendre. Louis veut faire un voyage dans l’Inde ce qui est exigé pour passer capitaine au long cours, et ce n’est pas le moment des départs. Dès qu’il y aura quelque chose de convenable, nous lui obtiendrons une place.
Je voulais voir Morel et lui communiquer votre lettre avant de vous répondre. Je ne l’ai pas rencontré. Mais je crois pouvoir prendre sur moi de vous dire que votre délicatesse s’alarme trop facilement des conséquences de l’hospitalité qu’il est très heureux d’offrir à Louis. […]

À Auguste Morel (CG no. 2184; 15 novembre, de Paris):

[…] Je viens de me procurer un de mes portraits, vous le recevrez prochainement.
Comment se porte Lecourt? Que fait-on, sinon de bon, au moins de mauvais en musique à Marseille? […]
Marie vous remercie de votre bon souvenir. […

    Voir aussi CG no. 2170 (à Auguste Morel)

1857

À Auguste Morel (CG no. 2225; 25 avril, de Paris):

Je vous remercie de votre empressement à me faire savoir que vous aviez reçu des nouvelles de Louis: mais j’avais déjà, moi aussi, une lettre de Bombay, dans laquelle il m’apprenait à peu près les mêmes choses qu’il vous a dites. Je vous enverrai plus tard une lettre, que je vous prierai de lui remettre à son arrivée à Marseille, qu’il m’annonce seulement pour la fin d’août.
[…] Je reçois à l’instant une lettre de Lecourt. Il m’apprend que vous vous donnez un mal d’enfer pour faire aller la Fête de Roméo et Juliette. Pourquoi avez-vous tenté cela? sans harpes?.. et sans un orchestre assez fort… Dites-moi comment il a marché au concert. […]

À Auguste Morel (CG no. 2247; 7 septembre, de Paris):

Vous avez encore comblé Louis de bontés et de témoignages d’affection; laissez-moi vous en remercier et vous prier aussi de présenter l’expression de ma vive reconnaissance à Madame votre mère dont Louis ne parle qu’avec attendrissement. Il commence à se montrer moins enfant et plus préoccupé de son avenir; je ne doute pas que vos bons avis ne soient pour beaucoup dans ce progrès. […]
Quand va-t-on s’occuper au théâtre de Marseille de votre opéra? Tenez-moi au courant de tout ce qui s’y rapporte. Si j’avais un peu d’argent de côté, je ne manquerais pas d’aller assister à sa première représentation. […]

À Auguste Morel (CG no. 2257; 27 ou 28 octobre, de Paris):

Grâce à vos relations et à l’intervention de Lecourt, Louis est enfin reçu comme Lieutenant à bord de La Reine des Clippers; c’est un important avantage pour lui. […] Il va d’ailleurs profiter du répit qu’on lui laisse pour passer quelques jours à Vienne chez ma sœur et faire une visite à mon oncle à Tournon. Je pense qu’à son arrivée à Marseille il vous trouvera de retour de votre excursion à Aix. Dans le cas de son séjour se prolongerait chez vous, il est convenu que me permettriez de payer sa pension et que vous ne vous fâcherez pas.
J’ai vu ces jours-ci M. de Rémusat qui m’a le premier appris la bonne nouvelle de la réception de Louis. Je crois qu’il assistait hier à l’inauguration de la petite salle de concerts (La salle Beethoven) que Bennet vient d’ouvrir au public. […]
Lecourt dans une de ses lettres semble craindre que j’aie choisi un mauvais sujet. Aurait-il conservé ce vieux préjugé contre les sujets antiques?… Les sujets antiques sont redevenus neufs, à la condition pour les auteurs de ne pas les traiter à la façon lamentable de M. de Marmontel, Durollet et Guillard. Je crois que ce n’est pas le cas dans mon ouvrage. Je vous assure qu’il y a un mouvement, une variété de contrastes et une mise en scène extraordinaires. Et cela doit faire pardonner au sujet d’être beau par les sentiments et les passions, et la pensée poétique. J’ai mis au pillage Virgile et Shakespeare, et j’ai trouvé en outre une scène d’un effet terrible, qui n’est pas dans les allures des tragédies lyriques du siècle dernier. J’écris cette partition avec une passion qui semble s’accroître de jour en jour. Dites à Lecourt que très probablement il s’est fait de mon poème une fausse idée, puisqu’il ne le connaît pas, mais qu’il résultera de tout cela (paroles et musique) quelque énormité dont il sera content, je lui en donne ma parole. […]

À Auguste Morel (CG no. 2266; 21 décembre, de Paris):

Je ne puis plus parler, vous me l’avez défendu, de toutes vos bontés pour Louis et de l’intérêt constant que vous prenez à tout ce qui le regarde. J’y suis de plus en plus sensible cependant. Mon oncle et ma sœur sont également bien touchés de vos soins et de votre affection pour lui. Grâce à vous et à cet excellent Lecourt, le voilà monté sur un magnifique navire et investi de fonctions qui doivent le forcer à devenir laborieux et raisonnable de plus en plus. Veuillez vous présenter le lendemain du jour où vous recevrez cette lettre chez MM. Roux et Fressinet banquiers, ils ont 150 fr à vous remettre de ma part. C’est bien la moindre indemnité que je puisse vous offrir pour les dépenses que vous a causées mon fils pendant son séjour chez vous.
J’espère beaucoup du mode de traitement auquel votre médecin vient de vous soumettre. En tout cas, s’il a raison ou non dans ses conjectures, vous ne tarderez pas à le savoir. Vous devez être tourmenté par la suspension du travail de votre partition. Je serais au supplice en ce moment surtout s’il m’arrivait d’être obligé d’abandonner la mienne. Et pourtant qu’y a-t-il de plus triste, de plus misérable que notre monde musical de Paris!… […]

    Voir aussi CG no. 2253 (à Auguste Morel)

1858

À Auguste Morel (CG no. 2294; 7 mai, de Paris):

Je viens de recevoir une lettre de Louis; je m’empresse de vous annoncer, comme à son meilleur ami, qu’il est arrivé sain et sauf et très content à Bombay. Il est à craindre que la Reine des Clippers ne soit obligée d’aller à Canton, et de faire le tour par le Cap Horn pour revenir en France. Ceci prolongerait beaucoup l’absence de notre cher voyageur. Je n’ai pas voulu vous ennuyer au sujet de l’argent que vous m’avez envoyé; mais convenez que le prix auquel vous avez bien voulu fixer la dépense de Louis chez vous est d’une modicité fabuleuse.
J’ai fini entièrement depuis un mois ma partition des Troyens, je m’occupe maintenant à la réduire pour le piano. Ce travail me sert d’étude critique des détails de l’ouvrage, je découvre ainsi bien mieux certains défauts et je les corrige au fur et à mesure que j’avance.
Je ne sais ce que cet ouvrage deviendra; les lectures que j’ai faites, en divers lieux, du poème ont eu un succès extraordinaire. […]
Adieu, cher ami, donnez-moi de vos nouvelles et de celles de Lecourt à qui j’envoie milles expressions affectueuses. Son fils est venu me voir une fois. C’est un bien charmant jeune homme. […]

1859

À Auguste Morel (CG no. 2354; 13 février, de Paris):

Où en êtes-vous de vos répétitions? donnez-moi donc de vos nouvelles. J’ai vu deux fois dernièrement M. de Rémusat qui ne m’a rien appris de précis au sujet de votre opéra. […]
Louis va arriver dans un mois, j’espère; soyez assez bon pour lui remettre la lettre ci-jointe.
Je compte le retrouver tout à fait sérieux, et décidé à travailler vaillamment pour son examen. […]

À Auguste Morel (CG no. 2384; 19 juillet, de Paris):

Merci, mon cher Morel, de votre bonne nouvelle. J’étais horriblement inquiet et n’osais vous communiquer mes inquiétudes, persuadé d’ailleurs que vous m’écririez aussitôt que la moindre nouvelle vous serait parvenue.
[…] J’ai été bien malade encore ces jours derniers; mais je crois que l’anxiété y était pour beaucoup. Je ne vous dirai pas combien j’aime Louis, car vous le savez et vous l’aimez vous même, et cette affection que vous lui portez a redoublé la mienne pour vous. Enfin le voilà, j’attends un mot de lui; mais j’attends tranquillement à cette heure. Mes amitiés à Lecourt. […]

À Auguste Morel (CG no. 2392; 14 août, de Paris):

[…] Adieu, mille amitiés pour vous et pour cet excellent Lecourt, et présentez mes salutations respectueuses à Mme Morel que Louis aime et respecte comme une mère. […]

À Auguste Morel (CG no. 2421; 26 octobre, de Paris):

Mme Meillet est engagée par le directeur du théâtre de Marseille. Elle va chanter chez vous le répertoire du grand Opéra. C’est une charmante femme et une artiste d’un véritable mérite, musicienne excellente d’ailleurs. Soyez assez bon pour aller la voir et lui offrir vos bons offices, et la recommander à notre confrère Bénédit. Vous m’obligerez personnellement beaucoup et vous ferez un chose excellente et de tout point digne de vous. Elle va partir demain je crois. Donnez-moi cette preuve d’amitié.
Louis me charge de vous dire toutes sortes de choses affectueuses. Il travaille beaucoup à Dieppe et commence à bien augurer de son examen.
Je suis toujours sur le gril de ma névralgie. On m’électrise chaque jour. Cela ne fait ni bien ni mal. Les médecins actuels sont bien les fils de ceux du temps de Molière. Quels farceurs!… Quelle farce que la médecine! Et vos yeux, comment vont-ils? […]
Je ne pourrai pas aller à votre première représentation; je suis trop malade; je passe la moitié de mes jours au lit.

    Voir aussi CG nos. 2363, 2377, 2398 (toutes à Auguste Morel)

1860

À Auguste Morel (CG no. 2487; 9 mars, de Paris):

[…] Laissez-moi vous embrasser pour vous féliciter, et permettez-moi une prière; envoyez-moi quelques notes sur les principaux passages de la partition, afin qu’en constatant son succès je puisse les citer. Cela ne peut en rien blesser votre modestie, et j’ai une foi entière dans votre manière de vous juger.
Lecour[t] ne me donne guère de détails, les vôtres me seront d’autant plus utiles. […]

À Auguste Morel (CG no. 2494; 4 avril, de Paris):

Je suis bien heureux que mon article des Débats  [28 mars 1860] vous ait fait quelque plaisir; il était bien mal tourné et il finit bien court, mais j’étais si malade en l’écrivant que je m’étonne même d’avoir pu remplir mes cinq colonnes. La lettre de Lecourt m’a servi après la vôtre, et personne, ce me semble, ne peut trouver étrange ma confiance en mon correspondant. J’irai samedi prochain au bureau du Journal (impossible d’y aller plus tôt) et je vous enverrai une demi-douzaine d’exemplaires du No qui vous concerne. Je ne suis pas bien portant, je reste presque toujours couché, de cruelles préoccupations me tourmentent, je ne désire que le sommeil, en attendant mieux. Ne parlez pas de mon malaise à Louis qui s’en alarmerait. […]
Votre succès ici fait grand bruit. Je suis bien heureux d’apprendre qu’on gravera votre partition; mais il faudra pour cette dépense bien plus de six mille francs; la souscription y pourvoira.
Adieu, mille amitiés à Lecourt et rappelez-moi au souvenir de M. de Rémusat. […]

À Auguste Morel (CG no. 2505; 17 juin, de Paris):

Je viens de recevoir votre charmante lettre et le billet qu’elle contenait. Merci de toutes les choses amicales que vous me dites. Je suis bien heureux d’apprendre que votre intérieur se soit animé par la présence de votre neveu, et je serais charmé que l’occasion se présentât pour Louis de faire la connaissance de cet aimable garçon. Louis est en ce moment au Havre, sur le point de subir son second examen; le premier a été passé avec succès. S’il en est de même du second, Louis sera Capitaine au long cours en quête d’un navire. […]
J’ai dîné dernièrement avec d’Ortigue chez cet excellent Rémusat et nous y avons bu à votre santé et à celle de Lecourt. On y a exécuté après dîner un trio de piano et un autre morceau de Rémusat qui sont, parbleu, très bien. Je ne savais pas même que Rémusat jouât du violon. Ah ça! l’air de Marseille est donc essentiellement musical? […]

1861

À son fils Louis (CG no. 2549; 18 avril, de Paris):

[…] On m’a fait au Conservatoire une ovation rare après l’exécution des scènes de Faust. M. de Rémusat, qui y était, a dû écrire cela à Morel et à Lecourt. […]

À la princesse Carolyne Sayn-Wittgenstein (CG no. 2557; vers le 10 juin, de Paris):

[…] Vous vous êtes un peu moquée de moi à propos de ce fameux jardin du Vatican; et vous avez bien fait; cela m’apprendra à ne parler que de ce que je sais bien. Je dois avoir nié son existence, de ce fameux jardin, à propos d’une phrase de Méry. Il citait les fleurs de mélodie de l’œuvre de Palestrina, qui furent (dit-il) les premières écloses dans le jardin du Vatican. Or, s’il y a un jardin au Vatican, à coup sûr, il n’y a pas de mélodies dans Palestrina. […]

Louis Berlioz à Marseille à son père à Paris (CG no. 2580bis [vol. VIII]; 24 novembre):

[…] Je dois passer un tiers de mon existence sur la terre, je devrai le passer seul. J’ai sous les yeux: Joseph Lecourt; il a le même âge que moi, il vit heureux dans sa famille; Léon Morel, choyé par son excellent oncle et par sa grand-mère; mes collègues, presque tous mariés, courant à leur arrivée se chauffer, se reposer sans souci près de leurs foyers.
Et moi, seul, paria abandonné de ses parents, de son ami intime (Alexis ne m’écrit plus) je ne puis compter que sur la charité d’une personne étrangère, sur Madame Lawson…… […]

1862

À Auguste Morel (CG no. 2596; 2 mars, de Paris):

Soyez assez bon pour me donner des nouvelles de Louis. Est-il parti pour les Indes? Ce que j’avais prévu est arrivé, il ne m’a pas écrit une ligne. Je ne puis vous dire à ce sujet rien que vous n’ayez dès longtemps deviné; mais, j’avoue que ce chagrin est un des plus poignants que j’ai jamais éprouvé. […]
M. de Rémusat est venu me voir, nous avons beaucoup parlé de vous et de cet excellent Lecourt, à qui je vous prie de porter mes amitiés.
Quand viendrez-vous? nous avons tant de choses à nous dire… mais je vous en prie de nouveau donnez-moi des nouvelles de ce malheureux enfant qui me torture. […]

1863

    Voir nos. 2705, 2708 (toutes deux à Hippolyte Lecourt), 2713, 2755, 2760 (toutes à Auguste Morel)

1864

À Auguste Morel (CG no. 2888; 21 août, de Paris):

Je vous remercie de votre cordiale lettre; cette croix d’officier et surtout l’avis non officiel que m’a donné de cette faveur le maréchal Vaillant, m’ont fait plaisir à cause de mes amis et aussi un peu à cause du déplaisir que cela fait aux autres. Mais comment pouvez-vous conserver encore des illusions sur les réalités musicales de notre pays? Tout y est mort, excepté l’autorité des imbéciles; il faut bien se résigner à le reconnaître, puisque cela est. […]

À Hippolyte Lecourt (CG no. 2929; 10 novembre, de Paris):

Vous êtes un bien bon camarade, mon cher Lecourt, vous pensez à des choses que moi-même j’avais oubliées. L’anniversaire de la première représentation des Troyens me rappelle guère pourtant que des tourments de toute espèce. […]
Je viens de faire un voyage à Grenoble, à Vienne et à Lyon; je suis allé visiter notre merveilleuse vallée du Grésivaudan, plus belle que tout ce que j’ai jamais vu ou rêvé… J’en suis revenu plus triste, plus exaspéré contre les réalités de la vie, contre le temps qui passe et ne revient jamais, contre cet avenir stupide qui nous aspire comme des brins de plume pour nous porter au néant… Mais votre observation sur le suicide est sans objet; je n’ai pas grand goût pour le suicide; c’est sale, c’est toujours dégoûtant et malséant, cela est presque compromettant pour les amis de celui qui se tue. Il n’y a guère que des douleurs physiques qui puissent le justifier. […]

1865

Louis  Berlioz à St Nazaire à son père à Paris (CG no. 2964; 5 janvier):

[…] Quand je me prends à part, que je cause avec moi (cela m’arrive souvent) je passe une inspection sérieuse de mes nombreuses affections; je trouve M. Morel, M. Lecourt, mes cousines, Mme Lawson, M. Frosmont, Mme Wilckens.
Je les aime tous sincèrement.
Mais Alexis est au-dessus de tous, bien au-dessus, c’est mon ami. […]

1866

Auguste Morel à Marseille à Berlioz à Paris (CG no. 3115; 13 mars):

Il y a longtemps que notre correspondance est interrompue. Pourquoi? Je n’en sais rien.
Mais je ne puis résister au plaisir de vous dire combien j’ai été heureux de lire dans Le Ménestrel l’article de Gasperini* et le récit de l’ovation que votre Septuor des Troyens vous a valu au concert Pasdeloup.
Que n’étais-je là!
Mais vous y aviez votre ami, j’oserais presque dire, notre ami Liszt!
Adieu, cher Berlioz, je vous aime et je vous admire toujours
AUG. MOREL
Et Louis? Il y a bien longtemps que nous n’avons plus eu de nouvelles de lui.


* Dans le Ménestrel du 11 mars 1866, p. 117, on lit sous la plume de A. de Gasperini, au sujet du concert donné par Pasdeloup au Cirque Napoléon le 7 mars:

Le superbe septuor des Troyens a été bissé. On n’imagine pas l’effet irrésistible de cette page sur un public impressionnable, haletant, tout ému par le voisinage des grandes œuvres au milieu desquelles il plongeait ce jour-là. Quelqu’un appelle par son nom Berlioz, fort peu en vue dans sa stalle et qui ne s’attendait probablement pas à ce débordement d’enthousiasme. Son nom passe de bouche en bouche ; on se lève, on bat des mains ; la salle entière le salue. Berlioz s’incline et balbutie quelques mots de remercîment. Son émotion était grande ; un éclair de joie ineffable venait de traverser cette vie de lutte et de tourments. Ceux qui le touchaient de plus près virent que Berlioz avait pleuré ; il n’était pas le seul dans la salle.
Liszt, l’abbé Liszt avait applaudi avec frénésie !

À Auguste Morel (CG no. 3117; 15 mars, de Paris):

Merci, mon cher Morel, de votre bon souvenir. Je ne sais pas pourquoi nous nous écrivons si rarement; ou plutôt je sais trop; je suis toujours malade, la moindre écriture m’accable et redouble mes douleurs, je passe les trois quarts de ma vie au lit.
Vous avez dû voir sur l’exécution du Septuor bien d’autres articles que celui du Ménestrel; on fait de cela un bruit immense. Il n’y a qu’heur et malheur en ce monde. Hier on exécuté à St Eustache la Messe de Liszt… Louis va être capitaine en premier.
P.S. Louis est encore à St Nazaire. Il a passé trois semaines avec moi.

1867

À Auguste Morel (CG no. 3241; 12 mai, de Paris):

Je vous remercie de votre cordiale lettre; mais votre chaleur d’âme au sujet de la question musicale m’a presque étonné. Telle est aujourd’hui mon indifférence pour toutes ces choses. Pourtant quand je vois quelques cœurs chaleureux s’en occuper avec passion il me semble que je me ranime; mais c’est court. Tout me paraît à cette heure si puéril et si plat. Je souffre de plus en plus de ma névralgie, et le reste ne m’intéresse guère. […]
Je n’ai pas de partition à vous envoyer, mais voilà autre chose: dites-moi si vous avez la grande partition du Requiem; on vient d’en faire une correction sévère à Milan et j’ai prié Ricordi de m’en envoyer quelques exemplaires. Donc, si vous voulez, je vous expédierai la nouvelle édition exempte de fautes de gravure et des quelques fautes de prosodie latine qui m’étaient échappées et que j’ai corrigées avec le plus grand soin. Cela fait pâlir notre édition française de Schlesinger. […]
Louis est toujours au Mexique; je lui écrirai ces jours-ci et il sera certainement très touché du bon souvenir que madame Morel a conservé de lui. Il est comme vous, il se passionne pour mes petites affaires musicales.
Serrez la main pour moi à notre bon ami Lecourt. J’ai quelquefois de vos nouvelles à tous les deux par M. de Rémusat qui est encore à Paris. En voilà un qui garde ses illusions musicales! il m’attriste, il croit tout ce qu’il dit. […]

1868

À Auguste Morel (CG no. 3360; 26 mai, de Paris):

Je viens d’apprendre par Lecour[t] que vous m’aviez écrit à Monaco et qu’on vous avait renvoyé votre lettre. Merci de votre attention. J’ai été bien éprouvé et j’ai encore en ce moment bien de la peine à écrire. Ne soyez pas étonné si je ne vous ai rien dit, mes deux chutes, l’une à Monaco et l’autre à Nice, m’avaient ôté toutes mes forces. A présent les suites directes de ces deux chutes sont à peu près effacées, mais ma maladie d’entrailles est revenue et je souffre plus que jamais. Je n’ai que des choses cruelles à vous écrire. Je suis allé en Russie pour me distraire un peu et j’ai assez bien supporté ce double voyage à Moscou et à Pétersbourg; ils m’ont fêté de toutes les manières. La Grande Duchesse m’a comblé de soins et d’attentions.
J’ai dirigé six concerts du Conservatoire de Pétersbourg et deux de Moscou. Maintenant je ne pense à rien, je vous vois désenchanté comme moi, Lecour[t] tout comme vous; j’aurais eu un grand plaisir à vous voir tous les deux, quand j’étais dans les environs de Marseille, et j’y serais allé en revenant de Nice, si je n’avais pas été en si mauvais état. Mais le moyen; et puis je serais bien plus brisé par votre société que par toute autre. Peu de mes amis ont aimé Louis comme vous l’aimiez. Et je ne puis oublier…
Pardonnez-moi tous les deux.
J’écrirai dans quelque temps à Lecour[t]. […]

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