Berlioz

Site Hector Berlioz

Berlioz en Russie

Page d'accueil   Recherche

Berlioz le troisième siècle

 

 

Contenu de cette page:

Présentation   
Premier voyage (1847)  
Interlude (1847-1867)  
Second voyage (1867-1868)  
Épilogue  
Chronologie  
Choix de lettres de Berlioz et autres  
Villes visitées par Berlioz  

Cette page est disponible aussi en anglais

Abréviations:

CG = Correspondance générale, 8 volumes (1972-2003)
CM = Critique musicale, 7 volumes parus (1996-2014)
Fouque = O. Fouque, Les Révolutionnaires de la musique (1882); le chapitre 2 (‘Berlioz en Russie’, p. 185-256) est reproduit intégralement sur ce site
NL = Nouvelles lettres de Berlioz, de sa famille, de ses contemporains (2016)
Stasov = Vladimir Stasov, Selected Essays on Music trad. Florence Jonas (Londres, 1968)

Avertissement: Tous droits de publication et de reproduction des textes, photos, images, et partitions musicales sur l’ensemble de ce site, y compris leur utilisation sur l’Internet, sont réservés pour tous pays. Toute mise en réseau, toute rediffusion, sous quelque forme, même partielle, est donc interdite.

Présentation

Il doit exister une sympathie particulière entre la musique de Berlioz et le sentiment intime des Russes
(Le prince Odoievsky en 1847)

    Dans l’histoire des voyages musicaux de Berlioz en dehors de la France, la Russie occupe une place à part. Berlioz n’y fera que deux voyages, le premier en 1847, plusieurs années après avoir fait déjà deux grandes tournées en Allemagne (en 1842-3) puis en Europe centrale (en 1845-6), et le second vingt ans après en 1867-8 tout à la fin de sa carrière active. Les deux voyages ont cependant une signification particulière, pour Berlioz d’abord à des étapes décisives de sa carrière, et ensuite pour l’impulsion qu’ils fourniront indirectement au remarquable essor de la musique russe dans la dernière partie du 19ème siècle. Pour des raisons tant historiques que de géographie, la musique russe prend plus longtemps à trouver son propre visage que ce n’est le cas pour l’Italie, l’Allemagne et la France. Mikhail Glinka (1804-1857), contemporain de Berlioz, est sinon le premier compositeur russe à s’exprimer de sa propre voix, mais du moins la première personnalité d’envergure sur la scène musicale russe. À partir de la fin des années 1850 un cercle de jeunes compositeurs russes, avec Balakirev à leur tête, commence à poursuivre la voie qu’il a tracée: ils partagent tous avec Glinka une admiration sans équivoque pour la musique de Berlioz (et de même pour celle de Liszt et de Schumann), et c’est ainsi qu’en Russie l’influence à long terme de Berlioz se fera sans doute sentir le plus directement.

    Par hasard Berlioz rencontre tôt dans sa carrière des musiciens russes: pendant son voyage en Italie en 1831 il fait la connaissance à Rome de Glinka ainsi que du ténor Nikolai Ivanov, arrivés tous deux en Italie en mai 1830. Après un séjour à Milan Glinka et Ivanov se rendent ensuite à Rome en septembre 1831 où la rencontre avec Berlioz a lieu; le séjour italien de Glinka se poursuivra jusqu’en août 1833. Glinka et Ivanov ne sont pas les premiers musiciens russes à faire le voyage d’Italie: depuis que la Russie a commencé au cours du 18ème siècle à s’ouvrir aux influences occidentales sous les règnes de Pierre le Grand (1721-1725) puis de Catherine la Grande (1762-1796), les musiciens russes se tournent vers l’Europe de l’ouest à la recherche de modèles, en Italie d’abord, ensuite en France et en Allemagne. Dimitri Bortniansky (1751-1825), qui deviendra directeur de la chapelle impériale de St Pétersbourg, et dont Berlioz admirera plus tard la musique chorale, fait lui-même un séjour d’études de dix ans en Italie. Mais en ce qui concerne Glinka son séjour italien aura une conséquence inattendue: il le convaincra que son avenir de compositeur réside non dans l’imitation de modèles italiens mais dans la recherche d’une voix russe authentique.

    La rencontre de Berlioz avec ces musiens russes en 1831 semble n’avoir eu aucun effet direct, et sauf pour une allusion à cette rencontre dans un article sur Glinka publié en 1845 dans le Journal des Débats (voir ci-dessous) elle n’a pas laissé de traces dans les écrits de Berlioz. On peut y opposer une autre rencontre romaine de Berlioz à la même époque: celle de Mendelssohn, qui marquera Berlioz de façon immédiate et durable et laissera de nombreuses traces dans sa correspondance et ses écrits. En 1831 Glinka n’a pas encore signé d’œuvre majeure, et de son côté il n’est pas en mesure d’apprécier les promesses de Berlioz compositeur. Si l’on scrute les travaux critiques de Berlioz au cours des années 1830 les mentions de la Russie frappent par leur absence quasi-totale: Berlioz ne prête pas à cette époque la même attention à la Russie qu’à tout ce qui se passe en fait de musique en Allemagne et en Angleterre. La Russie est bien loin, les conditions de voyage à l’époque sont difficiles avant le développement à venir des chemins de fer, et la rigueur de l’hiver russe est un obstacle de plus (Mozart, par exemple, ne se rendra jamais en Russie). Les projets de voyage de Berlioz au cours des années 1830 se tournent en premier lieu vers le voyage d’Allemagne si souvent remis et qu’il n’entreprendra qu’à la fin de 1842.

Le Requiem

    Deux évènements vont modifier la perspective de Berlioz sur la Russie. Tout d’abord une exécution inattendue mais couronnée de succès du Requiem en entier à St Pétersbourg en mai 1841. Depuis le milieu des années 1830 le public musical russe, sensible à tout ce qui se passe en Europe occidentale et attentif aux nouvelles de la presse française et allemande, s’intéresse à la carrière de Berlioz. On publie même à St Pétersbourg des journaux en français et en allemand, langues couramment lues par le public cultivé russe de l’époque. Quand paraît en 1838 à Paris la grande partition du Requiem, la première œuvre majeure de Berlioz à être publiée (les symphonies ne viendront que plus tard), les Russes saisissent l’occasion. En 1841 le violoniste et chef-d’orchestre allemand Heinrich Romberg (1802-1859) prend une initiative remarquable: il organise une exécution intégrale du Requiem à St Pétersbourg; elle demande deux mois de préparations et constitue la première exécution de l’ouvrage depuis sa création à Paris le 5 décembre 1837. Berlioz, semble-t-il, ne sait rien d’avance de cette exécution et n’en est informé qu’après coup. L’exécution est un grand succès, tant sur le plan artistique que financier; un compte-rendu fort élogieux d’un correspondant sur place paraît dans la Gazette musicale de Paris et des extraits en sont reproduits dans le Journal des Débats du 19 juillet 1841. On ne sait si Berlioz, collaborateur au Journal des Débats depuis plusieurs années, aurait suscité cette publication, mais il en fait part à ses familiers et se renseigne de son côté sur l’évènement (CG nos. 751bis, 755). La Russie (ou plus exactement St Pétersbourg, capitale impériale et le centre artistique de la Russie), s’intéresse donc à sa musique, et qui plus est, y donner des concerts peut s’avérer lucratif. D’emblée de nouvelles perspectives s’ouvrent et Berlioz est encouragé à porter ses espoirs vers la Russie. Dans son feuilleton du Journal des Débats du 18 décembre 1841 il évoque St Pétersbourg, pour la première fois, semble-t-il, en tant que destination régulière de chanteurs d’opéras, comme d’autres villes d’Europe, et dans le même article il annonce l’arrivée de Liszt en Russie pour sa première tournée – annonce en fait prématurée: Liszt ne débarque à St Pétersbourg qu’en avril 1842 où il fait sensation (CM IV p. 597, 601; cf. CG no. 1108). En septembre 1842, alors qu’il achève son Traité d’instrumentation, Berlioz s’adresse à un éditeur de St Pétersbourg dans l’espoir de lui vendre les droits sur l’ouvrage en Russie (CG no. 775); la proposition n’aura semble-t-il pas de suite, mais l’ouvrage sera vite remarqué et aura une longue influence en Russie (cf. CG nos. 1111, 2676). L’année suivante, au cours de son voyage en Allemagne, Berlioz visiblement cherche à se renseigner sur la musique en Russie: c’est pendant son séjour à Berlin qu’il entend parler pour la première fois du général Lvov, directeur à cette époque de la chapelle impériale russe, et un compositeur et musicien avec lequel il deviendra fort lié par la suite (Journal des Débats, 16 avril 1845). À Berlin également il monte des extraits du Requiem qui lui rappellent à l’esprit l’exécution de l’ouvrage donnée par Romberg à St Pétersbourg deux ans plus tôt (Mémoires, Premier voyage en Allemagne, Lettre 9). Berlioz aura sans doute aussi recueilli de la bouche ou de la plume de Liszt des échos des grands succès remportés par ce dernier lors de ses voyages en Russie en 1842 et 1843. De retour de son premier voyage en Allemagne Berlioz pense donc sérieusement à faire de la Russie son prochain objectif (cf. CG no. 847).

Glinka

    Deuxième évènement qui va modifier l’attitude de Berlioz envers la Russie: sa rencontre l’année suivante avec Glinka (juin 1844), leur première depuis le séjour romain de 1831. Glinka vient s’installer à Paris pendant près d’un an, et au cours de l’hiver de 1844-1845 et du printemps suivant les deux hommes ont souvent l’occasion de se voir. Tous deux ont maintenant accompli un long parcours: Glinka s’est imposé comme le premier compositeur russe de son temps et a signé deux grands opéras, La Vie pour le Czar (1836) et Russlane et Ludmila (1842), dont le premier a remporté un succès immédiat, mais la réception équivoque accordée au second est un sujet de déception pour Glinka. Berlioz de son côté a maintenant composé ses quatre symphonies et l’opéra Benvenuto Cellini, en plus du Requiem. Critique influent dont les articles sont lus partout en Europe musicale, sa récente tournée en Allemagne en 1842-3, à laquelle il donne une large publicité grâce aux dix lettres ouvertes publiées dans le Journal des Débats, ajoute encore à sa réputation internationale grandissante.

    Le résultat de leurs fréquentes rencontres à Paris à cette époque est une entente profonde entre les deux hommes, comme on n’en avait pas vu lors du séjour italien de 1831; tous deux manifestent maintenant un vif intérêt pour la musique de l’autre. Berlioz fait jouer des œuvres de Glinka à deux de ses concerts en 1845 (16 mars et 6 avril) et publie à leur suite un article dans le Journal des Débats (16 avril; CM VI p. 33-39) qui vante les mérites du compositeur russe. De son côté Glinka transmettra son enthousiasme pour Berlioz à la génération suivante de musiciens russes (Balakirev et son cercle de disciples). Peu après la rencontre entre Berlioz et Glinka, le général Lvov, qui avait été mentionné avec éloge dans le même article, écrit à Berlioz (cf. CG no. 986) et amorce ainsi une amitié qui durera plus de vingt ans jusqu’à presque la fin de leurs carrières actives. Encouragé par ces nouveaux amis russes, Berlioz prévoit de se rendre à St Pétersbourg au cours de l’hiver 1845-6 (CG nos. 962, 985, 986; cf. la lettre du 25 avril de son oncle Marmion). Avec ce voyage en perspective il dédie en mai-juin 1845 la première édition de la Symphonie fantastique à l’empereur Nicolas Ier de Russie (cf. CG no. 1094), qui lui envoie l’année suivante une bague de diamants, sans doute en signe de remerciement (CG no. 1034).

    Mais le voyage prévu se trouve ajourné à la suite de la visite faite par Berlioz à Bonn au mois d’août 1845 pour assister aux célébrations en l’honneur de Beethoven. Un seul représentant de St Pétersbourg y est présent semble-t-il (l’éditeur du journal l’Abeille du Nord), et dans son rapport Berlioz relève l’absence entre autres de Glinka (qui poursuit à ce moment un long voyage en Espagne). Mais un groupe d’admirateurs de Vienne persuade Berlioz de se détourner vers un nouveau voyage en Allemagne et en Europe centrale avec Vienne pour destination principale (CG no. 992). À son retour en mai 1846 Berlioz s’occupe ensuite à achever et faire exécuter son nouvel ouvrage, la Damnation de Faust, mais l’échec relatif de cette œuvre à ses premières exécutions à Paris en décembre, et la ruine financière qui en résulte, amènent Berlioz à revenir à son premier projet, celui du voyage en Russie: il s’agit non seulement de refaire sa fortune mais aussi de donner une revanche à l’œuvre. Tout laisse croire que Berlioz sera bien reçu. La décision semble avoir été prise avant la fin de l’année (cf. CG no. 1085bis [tome VIII]), et en janvier 1847 Berlioz prépare activement son départ. La correspondance du compositeur nous renseigne sur ses espoirs et les préparatifs nécessaires (CG nos. 1089, 1092, 1094, 1095, 1096), entre autres la rédaction d’une traduction de Faust en allemand en vue d’exécutions en Russie (CG nos. 1089bis [tome VIII], 1090, 1092, 1093; en l’occurrence cette traduction, peu satisfaisante, devra être refaite après son arrivée, cf. CG no. 1098; Mémoires, chapitre 55). Berlioz part par le train le 14 février, avec arrêt en route à Berlin pour solliciter une précieuse lettre de recommandation du roi de Prusse à sa sœur l’impératrice (Mémoires, chapitre 55; CG no. 1100).

Premier voyage (1847)

    Le voyage, entravé par de lourdes chutes de neige, dure deux semaines: c’est le plus pénible qui Berlioz ait eu à faire au cours de ses nombreuses pérégrinations. La première étape, faite en chemin de fer avec arrêts à Bruxelles et Berlin, est relativement aisée, mais après Berlin il faut en revenir à une voiture de poste, et pour les quatres derniers jours à un traîneau enfermé traversant des paysages de glace. La correspondance du compositeur ne fournit que peu d’informations sur le voyage même, mais Berlioz en donnera par la suite un récit détaillé (publié d’abord en 1855-6 et repris ensuite dans les Mémoires posthumes); les épreuves de la fin du parcours lui rappellent le sort de l’armée de Napoléon… (chapitre 55). Mais une fois arrivé Berlioz est reçu avec chaleur et le voyage tient ses promesses. Le séjour dure presque trois mois en tout; Berlioz demeure la plupart du temps à St Pétersbourg, sauf pour trois semaines à Moscou en avril. Les lettres qu’il envoie à ses correspondants en France donnent de nombreux renseignements sur le séjour en Russie (voir notamment CG nos. 1100, 1101, 1102, 1103, 1106); s’y ajoutent le récit des Mémoires (chapitres 55 et 56) ainsi que l’important chapitre sur Berlioz en Russie publié par Octave Fouque en 1882, qui comporte de larges extraits de la presse russe de l’époque.

    C’est le besoin d’argent qui a poussé Berlioz en Russie, et de ce point de vue le voyage est couronné de succès: si Berlioz ne gagne pas les sommes fabuleuses évoquées avec optimisme par Balzac (Mémoires, chapitre 55; cf. CG nos. 1096, 1334), le voyage en Russie lui rapporte beacoup plus que tous ses voyages précédents (cf. CG no. 1114), et Berlioz n’oubliera jamais que c’est la Russie qui l’a sauvé de la banqueroute (cf. Mémoires, chapitre 59 [fin], daté du 18 octobre 1854). La Damnation de Faust (ou du moins les deux premières parties, les seules à être jouées) remporte une éclatante revanche après leurs débuts décevants à Paris, et les deux exécutions intégrales de Roméo et Juliette le 5 et 12 mai resteront dans le souvenir de Berlioz comme l’une des grandes joies de sa carrière d’artiste (Mémoires, chapitre 56). Le public est enthousiaste, la presse généralement très favorable, et Berlioz est fêté partout comme une célébrité: l’aristocratie et la famille impériale le comblent de cadeaux. Au cours de son séjour il a l’occasion de rencontrer plusieurs musiciens et amateurs russes dont il a déjà fait la connaissance à Paris ou avec lequels il a commencé à entretenir des rapports (le général Lvov, le comte Mikhail Wielhorsky et son frère, le général Guedeonov, l’écrivain Wilhelm von Lenz). Glinka, par contre, est toujours en voyage en Espagne, et le seul contact de Berlioz avec lui est par l’entremise de sa musique: à Moscou il assiste à une représentation de La Vie pour le Czar. Heinrich Romberg, le chef d’orchestre qui a monté le Requiem à St Pétersbourg en 1841, prodigue son soutien. Berlioz rencontre de nouveaux amis, notamment le musicien allemand Berthold Damcke (1812-1875), et la princesse Sayn-Wittgenstein, qui par hasard vient juste de se lier d’amitié avec Liszt au cours du voyage de ce dernier à Kiev en février 1847. Berlioz fait aussi la connaissance du prince Odoievksy, un chaleureux défenseur de sa musique, mais la rencontre ne mènera pas à des rapports personnels durables. Il semble par contre peu probable qu’il ait rencontré à cette époque la Grande-Duchesse Yelena Pavlovna qui vingt ans plus tard devait l’inviter à St Pétersbourg (elle n’est pas mentionnée dans les chapitres russes des Mémoires; cf. CG no. 3274).

    Un autre personnage de grande importance pour l’avenir qui n’est pas mentionné par Berlioz est le jeune écrivain et critique Vladimir Stasov. Mais Berlioz l’a certainement rencontré: on le tient de Stasov lui-même qui racontera plus tard les circonstances de leur première entrevue (Stasov, p. 161-2). En 1847 Stasov est ébloui par la maîtrise de Berlioz chef-d’orchestre et son génie de l’instrumentation, mais il hésite encore sur les mérites du compositeur. Stasov à cette époque passe presque entièrement inaperçu de Berlioz, mais dans les années à venir il deviendra le défenseur le plus convaincu de Berlioz en Russie, et à partir de la fin des années 1850 il réunit un cercle de jeunes compositeurs russes (d’abord Balakirev, ensuite Cui et d’autres) qui font de Berlioz leur idole. Dans la longue durée c’est là sans doute le résultat le plus important du voyage de 1847, même si à l’époque Berlioz ne peut pas le savoir.

    Silence également des Mémoires sur certains aspects personnels du voyage de Berlioz en Russie: la correspondance du compositeur apporte ici quelques lumières supplémentaires. Berlioz aurait d’abord voulu faire le voyage seul, c’est-à-dire sans Marie Recio (comme il le fera plus tard la même année avec son voyage à Londres): à cette fin il s’ingénie à lui cacher ses projets de voyage (CG no. 1089). La suite exacte n’est pas connue, mais des allusions dans plusieurs lettres laissent entendre que Marie Recio est bien à ses côtés au cours du voyage en Russie (cf. CG nos. 1109, 1114, 1134bis, 1135) – ce qui soulève une autre question d’ordre personnelle. Pendant le séjour à St Pétersbourg Berlioz se lie avec une choriste russe: brève idylle sans lendemain qu’on ne connaît que par un échange de lettres entre Berlioz et le violoncelliste Tajan-Rogé qui faisait partie de son orchestre (CG nos. 1135, 1147). Berlioz n’en souffle mot à personne d’autre, pas même à sa famille et à ses amis les plus proches (cf. CG nos. 1106, 1108).

Interlude (1847-1867)

    Berlioz quitte St Pétersbourg en mai 1847, s’arrête à Riga où il donne au passage un concert, puis poursuit son chemin vers Berlin où il monte une exécution intégrale de la Damnation de Faust. Il envisage à l’époque de pouvoir revenir en Russie dans un avenir pas trop lointain, mais en l’occurrence vingt ans se passeront avant son prochain voyage, et les circonstances auront alors beaucoup évolué.

    Pendant le séjour de Berlioz à St Pétersbourg il a été question de le nommer à un poste en musique qui lui assurerait une position d’autorité à long terme en Russie (CG no. 1106). À l’automne de 1847 son nouvel ami le général Lvov intervient à la cour pour l’appuyer (CG no. 1134bis), mais Berlioz prudemment ne se fait pas trop d’illusions: dans l’empire absolu des tsars tout dépend de la volonté de l’empereur, et pour ce dernier la musique n’est pas le premier de ses soucis (CG nos. 1170, 1443). Le projet n’aura pour finir aucune suite. Autre déception: parmi toutes les personnalités que Berlioz rencontre pendant son séjour à St Pétersbourg, seul le général Lvov entretiendra une correspondance soutenue avec lui, alors que le comte Wielhorsky, auquel il écrit à deux reprises après son départ (CG nos. 1113, 1240), ne semble pas s’être donné la peine de répondre et Berlioz préfère ne pas insister (CG no. 1170). En octobre 1853 Berlioz constate en passant qu’il n’a pas eu de nouvelles de Moscou depuis sa visite de 1847 (CG no. 1631).

Impressions musicales; le Te Deum

    L’une des impressions musicales les plus profondes ressenties par Berlioz au cours de son voyage est d’avoir pu entendre le célèbre chœur de la chapelle impériale de St Pétersbourg, placé depuis quelque temps sous la direction de Lvov; il en gardera longtemps le souvenir. En 1850 et 1851 Berlioz inscrit au programme de ses concerts à Paris deux morceaux de Bortniansky, qui avait été naguère directeur du chœur; en même temps il se sert de sa tribune au Journal des Débats pour vanter les mérites de la chapelle impériale, de l’œuvre de Lvov son directeur, et de la musique de Bortniansky (19 octobre 1850; 17 janvier et 13 décembre 1851). L’essentiel de ces articles sera reproduit par Berlioz dans ses Soirées de l’orchestre en 1852 et recevra ainsi une plus large diffusion dans le monde musical d’Europe.

    Une question plus difficile à résoudre est celle d’un rapport éventuel entre le monumental Te Deum et le voyage en Russie. La première allusion à l’ouvrage se trouve dans une lettre à Lvov de février 1849 (CG no. 1246), mais ni cette allusion, ni les autres dans la correspondance du compositeur ne révèlent ce qui aurait pu inciter Berlioz à entreprendre la composition de cet ouvrage à ce moment précis (voir par exemple CG no. 1552, qui donne la description la plus complète de l’œuvre). Les autres écrits de Berlioz, y compris les Mémoires, n’ajoutent aucune lumière. De ce point de vue la cas du Te Deum est particulier par rapport aux autres ouvrages à grande échelle de Berlioz pour lesquels la source de l’inspiration ne fait généralement pas de doute. À l’encontre d’autres œuvres qui nécessitent d’importants effectifs pour leur exécution (le Requiem, la Symphonie funèbre et triomphale), il n’y a pas au départ de commande officielle, et les perspectives d’une exécution à Paris sont peu encourageantes après les bouleversements causés par la révolution de 1848: le Te Deum devra attendre avril 1855 pour recevoir sa première et unique exécution intégrale du vivant de Berlioz (alors que le Requiem sera exécuté dans son entier pas moins de quatre fois à Paris). Il se peut que l’audition de la chapelle impériale aurait fait naître dans l’esprit de Berlioz l’idée de composer une nouvelle œuvre de musique chorale; mais d’autre part la chapelle de St Pétersbourg est un chœur d’élite de seulement 80 voix sans femmes, et non le grand chœur double de voix mixtes, 200 chanteurs en tout, tel que le demande le Te Deum (pour ne pas parler du 3ème chœur de voix d’enfants que Berlioz ajoutera plus tard). Autre indice d’un lien possible entre Te Deum et la Russie: la question posée par Stasov à Berlioz en mai 1847, juste avant son départ de St Pétersbourg, concernant l’utilisation de l’orgue avec l’orchestre. La réponse de Berlioz (CG no. 1111), qu’en musique religieuse il vaut mieux faire dialoguer l’orgue avec l’orchestre plutôt que de les faire jouer en même temps, correspond exactement à ce que Berlioz fera dans le Te Deum. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage deviendra par la suite particulièrement cher aux admirateurs russes de Berlioz: ils étudieront la grande partition de très près, et pour eux c’est tout simplement le chef-d’œuvre de Berlioz. Leur récompense viendra en 1862 quand Berlioz fera don du manuscrit original à la Bibliothèque Impériale Publique de St Pétersbourg où il est resté depuis (CG nos. 2650, 2676, 2676bis; cf. 3375).

Récits de voyage

    Comme pour ses voyages en Allemagne de 1842-3 et 1845-6, Berlioz envisage dès le départ de rédiger le récit de son voyage en Russie en vue d’une publication à Paris, dans l’espoir d’agir favorablement sur l’opinion publique; mais en l’occurrence le travail prendra beaucoup plus longtemps que prévu. Quand Berlioz arrive à Londres en novembre 1847 il doit d’abord achever la rédaction des lettres sur son séjour à Prague avant de pouvoir se tourner vers la Russie (CG no. 1135). Les lettres sur Prague paraissent en juillet et août 1848 dans la Revue et gazette musicale, et non dans le Journal des Débats comme pour les lettres précédentes (cf. CG no. 1186). En novembre 1848 Berlioz n’a pas encore donné suite à son intention d’écrire ses Lettres sur la Russie : Armand Bertin, le directeur du Journal des Débats hésite à les accepter, et Berlioz pour sa part préfère publier dans les Débats plutôt que dans l’autre journal (CG no. 1240). La rédaction du voyage en Russie s’en trouve ajournée, et ce n’est qu’à l’automne de 1853 qu’on voit Berlioz à l’ouvrage; le récit a maintenant perdu un peu de son actualité et Berlioz ne semble pas à ce moment envisager de publication dans l’immédiat (CG no. 1631). À cette date plusieurs des réflexions de Berlioz sur ses expériences russes ont d’ailleurs paru dans des journaux au cours des années précédentes et dans les Soirées de l’orchestre en 1852. En 1855 un éditeur propose la publication des chapitres sur la Russie sous forme de livre, mais Berlioz n’est pas convaincu (CG no. 1939); ils paraîtront finalement en cinq livraisons entre novembre 1855 et avril 1856 mais dans une publication inattendue, le journal mensuel Magasin des Demoiselles qui s’adresse à un public féminin élégant. En conséquence la publication en série des Mémoires d’un musicien qui paraît dans Le Monde Illustré entre 1858 et 1859 ne comporte qu’un très bref résumé du voyage en Russie et renvoie à cette publication antérieure (3 septembre 1859, p. 154). Les chapitres sur la Russie ne paraîtront sous forme de livre que dans les Mémoires posthumes où ils constitueront les chapitres 55, 56 et la Suite du voyage en Russie.

    Pendant plusieurs années après le voyage de 1847 Berlioz continue à espérer de retourner en Russie, comme on peut le voir d’après une lettre de septembre 1850 (CG no. 1340). Il reçoit en fait une invitation de St Pétersbourg l’année suivante, mais les conditions ne lui semblent pas suffisamment intéressantes (CG no. 1437). En attendant il entretient ses relations avec la Russie, comme le montre sa correspondance avec le général Lvov et ses articles sur la musique en Russie. En 1853 il caresse le projet d’une exécution de Benvenuto Cellini en Russie qui serait accompagnée par une tournée de concerts (CG no. 1620) ; ‘je suis capable de retourner en Russie’, écrit-il avec optimisme, et y ‘faire une petite razzia de roubles’ (CG no. 1631), mais le projet n’a pas de suite. Peu à peu le profil de la Russie semble s’estomper, et Berlioz à cette époque est très pris par une série d’activités à Londres et en Allemagne. L’hostilité envers la Russie suscitée en Europe occidentale par la Guerre de Crimée de 1853-6 complique aussi la situation. La correspondance de Berlioz avec ses relations russes semble marquer le pas après 1853, et deux lettres de septembre 1855 à des correspondants russes ne font aucune mention de projets de voyage en Russie (CG nos. 2021, 2022). À partir de 1856 Berlioz se consacre à la composition des Troyens, puis à essayer de faire exécuter le nouvel ouvrage, et les possibilités de voyage s’en trouvent d’autant réduites. Mais la Russie est toujours là à l’arrière-plan, et les feuilletons de Berlioz y font allusion de temps en temps (Journal des Débats 2 octobre 1855; 15 novembre 1856; 3 juillet 1857; 6 novembre 1862; 13 janvier et 26 janvier 1863). Quand le Te Deum est publié en 1855 Berlioz cherche des souscripteurs parmi les familles princières d’Europe, y compris la Russie, avec un certain succès: outre le prince Youssopov auquel il écrit (cf. CG no. 2212), l’Impératrice de Russie et la Grande-Duchesse sont parmi les souscripteurs.

Les années 1860

    Au début des années 1860 le monde musical russe est en pleine fermentation. De nouvelles institutions surgissent: la Société Musicale Russe est fondée en 1859, et le Conservatoire de St Pétersbourg en 1862. Évènement de non moindre importance, un groupe de jeunes musiciens russes se développe sous l’impulsion de Stasov: ils partagent tous une admiration pour la musique de Berlioz. Berlioz en prend conscience sans doute pour la première fois en 1862 quand il reçoit à Paris la visite de Stasov et lui fait don du manuscrit autographe du Te Deum pour la Bibliothèque Impériale Publique de St Pétersbourg (voir ci-dessus). Vers la fin de 1863 il reçoit les félécitations du général Lvov à l’occasion des premières des Troyens à Paris, signe de l’intérêt grandissant que les musiciens russes portent à cet ouvrage (CG no. 2808). En 1864 il reçoit une invitation, on ne sait de qui exactement, pour venir diriger au printemps suivant à St Pétersbourg: c’est la première invitation connue venant de la Russie depuis plusieurs années, mais Berlioz à ce moment reste encore à convaincre (CG nos. 2920, 2930). Au cours des deux années suivantes on l’informe du succès d’exécutions de sa musique à St Pétersbourg et à Moscou (CG nos. 3027, 3151). À l’été de 1867 il reçoit une autre visite d’un Russe, le compositeur Cui, qui lui demande l’autorisation de copier des extraits de la grande partition des Troyens, encore inédite; Berlioz hésite puis refuse en raison du problème des droits de reproduction (CG no. 3268). Finalement en septembre nulle autre que la Grande-Duchesse de Russie, de passage à Paris à ce moment, se tourne vers lui avec une proposition de venir diriger une série de six concerts à St Pétersbourg l’hiver suivant; les conditions sont les plus généreuses qui lui ait jamais été faites au cours de ses voyages. Après consultation avec ses amis à Paris Berlioz accepte (CG no. 3274).

    La décision de reprendre le chemin de la Russie, vingt ans après le premier voyage, les préparatifs nécessités par l’entreprise, et les sautes d’humeur de Berlioz à l’idée des difficultés qu’il va avoir à affronter, tout cela est abondamment documenté en détail dans sa correspondance. Les lettres s’étalent sur une période de plusieurs semaines, depuis son accord le 18 septembre jusqu’au jour du départ le 12 novembre (CG nos. 3274, 3279, 3282, 3283, 3286, 3287, 3289, 3290, 3293, 3294, 3299, 3302, 3303, 3304). Les raisons que Berlioz donne pour accepter une charge qui ne pouvait qu’être pénible vu la fragilité de sa santé, sont en partie le besoin d’argent (CG nos. 3286, 3290, 3294), et en partie l’avis de ses amis qu’une activité musicale renouvelée ne pouvait que lui être bénéfique (CG nos. 3274, 3283, 3294). Par contre sa famille s’inquiète et le met en garde contre les fatigues qu’un tel voyage suppose (CG nos. 3279, 3299). Depuis 1863 Berlioz n’a fait que deux voyages musicaux à l’étranger, à Vienne en décembre 1866 et à Cologne en février 1867, et en juin 1867 il vient de subir le choc terrible de la mort inattendue de son fils Louis (CG no. 3290). Mais le voyage, tout pénible qu’il soit, va galvaniser Berlioz: en témoigne l’abondance de lettres qui ont survécu pendant les semaines qui précèdent son départ et tout au long des trois mois de son séjour en Russie.

Second voyage (1867-1868)

    C’est ainsi que Berlioz, vingt ans après sa première visite, revient à St Pétersbourg, mais les circonstances ont beaucoup changé depuis. Les conditions de voyage sont maintenant très supérieures: il y a une ligne de chemin de fer continue de Berlin à St Pétersbourg, avec des wagons confortables et chauffés (CG no. 3279). Mais Berlioz est en fort mauvaise santé, et il est étonnant qu’il ait eu la force d’abord de faire le voyage, et ensuite de le mener à bien: les six concerts qu’il donne à St Pétersbourg feront date dans l’histoire artistique de la capitale (CG nos. 3364, 3374), et les deux concerts qu’on le décide finalement à donner à Moscou l’emportent de très loin sur l’unique concert d’il y a vingt ans (CG no. 3326). Le niveau de l’exécution en Russie s’est sensiblement élevé depuis 1847 comme ailleurs en Europe occidentale, comme Berlioz a déjà pu le constater en Allemagne dans les années 1850. Mais son frêle état physique limite ses activités et sa possibilité de sortir beaucoup, et il doit constamment se reposer avant et après les répétitions (CG nos. 3302, 3310, 3314, 3330, 3331, 3332). Quand il est au pupitre les forces lui reviennent et l’accueil chaleureux du public le touche profondément (CG no. 3310, 3314, 3315), mais néanmoins il refuse de s’astreindre à d’autres concerts à St Pétersbourg que les six convenus au départ (CG nos. 3319, 3331, 3334). À l’encontre du voyage de 1847 il ne cherche plus à impressioner de loin le public de Paris, et les nombreux bulletins qu’il envoie dans ses lettres sont uniquement destinés à ses amis et proches. On le sollicite constamment de reprendre la plume pour composer à nouveau, mais il refuse de revenir sur une décision prise il y a déjà plusieurs années (Stasov, p. 166; cf. CG nos. 3346, 3374, 3375).

Relations

    De ses anciennes connaissances de 1847 quelques-uns ne sont plus (CG nos. 3274, 3303), et de ceux qui sont toujours en vie il revoit certainement le général Lvov (CG nos. 3329bis et 3329ter dans NL pp. 663, 664) ainsi que Wilhelm von Lenz (CG no. 3340); il a sans doute aussi vu le prince Odoievsky à Moscou. La Grande-Duchesse, personne d’une haute culture littéraire et musicale, lui réserve un accueil à la fois fastueux et plein de tact: il ne saurait rêver de meilleure hôtesse. Mais l’élément nouveau qui donne au voyage de 1867-8 son caractère particulier est l’apparition de fraîche date d’un groupe de jeunes musiciens russes totalement dévoués à Berlioz et qui connaissent sa musique à fond: dans la carrière antérieure de Berlioz l’analogie la plus proche est le groupe des ‘Néo-Weimariens’ qui l’ont fêté à Weimar en 1855 (cf. CG nos. 1899 et 1903), même si Berlioz se refuse par la suite à prendre parti pour eux et devenir leur porte-étendard (CG no. 2274). Stasov, qu’il a rencontré en 1847 et revu en 1862, est grâce au séjour de 1867-8 en voie de devenir un de ses intimes, et Berlioz rencontre aussi les jeunes compositeurs russes du cercle de Stasov. Ce sont sans doute eux qui figurent parmi les ‘amis qui viennent me voir et qui ont pour ma musique une ardeur ressemblant beaucoup à du fanatisme’, comme il l’écrit dans une lettre (CG no. 3332). Mais entre ces jeunes musiciens russes une hiérarchie de fait semble s’instituer dans leur rapports avec Berlioz: les noms de Stasov, Balakirev et Cui figurent dans sa correspondance, mais non ceux de Borodin, Moussorgsky ou Rimsky-Korsakov, et à la déception de ces trois derniers ils ne sont pas invités au dîner offert par Berlioz le 24 novembre pour les musiciens russes au palais Mikhailovski. Quelle tournure les rapports de Berlioz avec ces jeunes Russes aurait prise s’il avait vécu plus longtemps on ne saurait dire. Pendant son séjour à St Pétersbourg il est peu probable qu’il ait eu l’occasion d’entendre de leur musique: la seule musique russe qu’il entend est de Glinka (une partie d’une représentation d’Une Vie pour le Czar le 5 février 1868: CG no. 3335), et un extrait de cet opéra, ainsi qu’un hymne de Lvov,, sont les seuls morceaux de musique russe qu’il dirige à un de ses concerts (Moscou, 8 janvier 1868). Liszt, de son côté, vivra assez longtemps encore pour pouvoir connaître et apprécier la musique de la jeune génération de compositeurs russes (Stasov, p. 179-94).

Programmes

    Il y a une différence frappante entre les programmation des concerts de 1847 et celle de 1867-8. En 1847 Berlioz dirige exclusivement sa propre musique, y compris les deux premières parties de son œuvre la plus récente, la Damnation de Faust, exécutée pour la première fois à Paris quelques mois plus tôt et encore inédite. En 1867-8, par contre, les programmes d’abord prévus par Berlioz pour ses six concerts à St Pétersbourg excluent sa propre musique des cinq premiers, sauf pour deux extraits, et seul le concert de clôture est consacré exclusivement à sa musique. Dans ce dernier concert toutes les œuvres au programme sont publiées de longue date et connues, et ses compositions les plus récentes n’y figurent pas (CG no. 3289). La question se pose donc de savoir quelle latitude Berlioz a dans sa programmation, et il semble établi que le cadre d’ensemble a été fixé par la Grande-Duchesse (cinq concerts de musique classique, un de Berlioz), et que Berlioz doit se charger du détail. C’est ce qui ressort de sa lettre à Kologrivov, le secrétaire de la Sociéte Musicale Russe: en réponse à l’objection qu’il fait une part trop modeste à sa musique, Berlioz rétorque: ‘je n’ai fait que suivant les intentions de madame la Grande-Duchesse et qu’il ne peut pas me convenir d’agir autrement’ (CG no. 3293). L’intention de la Grande-Duchesse, qui peut fixer les conditions puisqu’elle finance entièrement la série, semble donc de donner à la saison un cachet essentiellement classique, avec un seul concert, le dernier, consacré à Berlioz. Berlioz pour sa part n’y voit rien à redire: exécuter Beethoven et surtout présenter Gluck à un auditoire russe sont pour lui un des hauts moments de sa tournée, avec toutefois la déception d’avoir à supprimer la Neuvième Symphonie du fait de la faiblesse des chœurs et de ne pouvoir ainsi renouveler le succès londonien de 1852 (CG nos. 3310, 3314, 3315, 3318, 3319, 3332). Il en découle également que la Grande-Duchesse veut du même coup écarter toute musique russe du programme: on se rappellera que, selon le récit de Berlioz de son entrevue avec elle, la Grande-Duchesse ‘veut faire voir au parti russe, qui tend à régenter en ce moment le petit monde musical de Pétersbourg, qu’il n’est que vaniteux et ridicule’ (CG no. 3274). En l’occurrence, une fois arrivé à St Pétersbourg, Berlioz se voit contraint par Kologrivov et Balakirev de faire dans la programmation une part bien plus grande à sa musique que d’abord prévu: seul le 5ème concert ne comporte aucune de ses œuvres. On ne sait la réaction de la Grande-Duchesse à ces changements, mais dans les circonstances elle n’est sans doute pas en mesure de soulever d’objections, si elle en a. On ajoutera que le choix fait par Berlioz de sa musique se limite à des œuvres publiées, dont plusieurs sont sans doute connues du public russe. Le seul extrait d’une composition relative récente à être entendu en Russie est le duo nocturne de Béatrice et Bénédict, mais seulement à une soirée chez la Grande-Duchesse avec accompagnement de piano, et non dans la version avec orchestre prévue au départ pour le 5ème concert (CG no. 3318, cf. 3289).

Les Troyens

    Ceci soulève la question des Troyens. L’opéra de Berlioz suscite une vive curiosité vive parmi les musiciens russes, même avant sa création, comme s’ils avaient pressenti sa signification dans l’œuvre de Berlioz. Quand Stasov remercie Berlioz pour le don du manuscrit du Te Deum en 1862, il suggère que Berlioz devrait penser sérieusement à déposer un jour le manuscrit des Troyens à la Bibliothèque de St Pétersbourg (CG no. 2676). L’année suivante le général Lvov félicite Berlioz à l’occasion des premières représentations de l’ouvrage (CG no. 2808). À l’été de 1867 Cui se rend à Paris pour essayer d’obtenir de Berlioz la permission de faire une copie d’extraits de la grande partition, encore inédite, mais Berlioz refuse à cause de la question des droits de reproduction que l’éditeur détient (CG no. 3268). Mais les Russes, captivés par l’ouvrage comme personne d’autre en Europe à l’époque, ne veulent pas en démordre. Peu après son arrivée Berlioz se voit reprocher de n’avoir pas apporté de musique des Troyens, et on insiste tellement qu’il fait envoyer de Paris une copie de l’ouvrage (CG no. 3308). À son arrivée on établit un contrat avec l’assentiment de l’éditeur Choudens: on fera une copie de l’ouvrage à St Pétersbourg en vue d’exécutions en Russie (CG no. 3313 [no. 3316bis dans NL p. 661]). Par contre Berlioz se refuse à exécuter aucun extrait pendant son séjour en Russie (CG no. 3332). Fouque cite le texte du contrat dressé entre Berlioz et Kologrivov au nom de la Société Musicale Russe, ainsi que le reçu signé par Berlioz. L’évènement fait l’objet d’un entrefilet inséré par Cui dans la Gazette de St Pétersbourg. En l’occurrence le projet d’exécuter les Troyens en Russie n’aura pas de suite. Après son retour à Paris Berlioz s’enquiert à plusieurs reprises du sort de la copie des Troyens envoyée de Paris et insiste pour qu’elle lui soit renvoyée (CG nos. 3346, 3356, 3359). On ne connaît pas la suite exacte de l’affaire, mais comme il n’en est plus question dans les toutes dernières lettres échangées entre Berlioz et ses correspondants russes, on est en droit de supposer que la copie originale a bien été renvoyée et que les Russes ont de leur côté gardé la copie faite à St Pétersbourg (CG nos. 3373, 3374, 3375).

Épilogue

    ‘Au moins si j’en meurs je saurai que cela en valait la peine’ écrit Berlioz à Damcke avant son départ pour la Russie, pleinement conscient de ce qui l’attend (CG no. 3275).

    Le voyage en Russie galvanise Berlioz et l’achève en même temps: c’est la fin de sa carrière active de musicien, et il le sait. Il n’a aucune intention de plus diriger après son retour à Paris, et attend avec impatience d’avoir battu la dernière mesure d’Harold en Italie, de retourner en France et d’aller se reposer au soleil de sa chère Nice (CG nos. 3319, 3327, 3330, 3334). Le sixième concert à St Pétersbourg sera donc le dernier qu’il aura dirigé. Stasov raconte qu’il fait alors don à Balakirev de sa baguette de chef, et à la Société Musicale Russe d’une paire spéciale de petites cymbales (les cymbales antiques) qu’il a fait fabriquer spécialement à Paris pour le scherzo de la Reine Mab et a colporté pendant des années dans ses tournées de concerts (Stasov, p. 168).

    Berlioz revient complètement épuisé de Russie. Deux semaines après son retour, et le jour de son départ pour Monaco et Nice, il écrit à Stasov au sujet d’une demande faite avant son départ de Russie: le Conservatoire de St Pétersbourg veut acquérir un buste en bronze du compositeur (CG no. 3346; une copie sera envoyée plus tard en Russie). Mais le voyage au sud de la France qu’il a appellé de ses vœux tourne à la tragédie: il tombe deux fois dans les rochers et est atteint d’une congestion cérébrale, et ne se remettra jamais tout à fait. Sa correspondance pour le reste de l’année 1868 diminue rapidement. C’est maintenant un effort pour lui d’écrire des lettres: il lui faut deux jours pour en composer une à la Grande-Duchesse en avril pour lui raconter son accident (CG no. 3354, cf. 3363), et la dernière lettre connue qu’il lui adresse date de début juillet (CG no. 3368). Entre le 25 mars et le 14 juin il n’a pas la force d’écrire à Estelle Fornier (cf. CG nos. 3348, 3362, 3363), et à la fin de juillet a beaucoup de mal à terminer la dernière lettre à elle que l’on connaît (CG no. 3369). Mais parmi les toutes dernières lettres de sa correspondance quelques-unes traitent encore de questions musicales et concernent comme de juste ses nouveaux amis russes (CG nos. 3373, 3374, 3375). Dans ces deux dernières Balakirev et Stasov lui parlent du retentissement de son voyage en Russie, évoquent leurs projets d’avenir et insistent pour que Berlioz se remette à composer: mais Berlioz presque certainement n’a plus la force de leur répondre, et quelques mois plus tard il n’est plus.

Chronologie

Note: la chronologie des séjours de Berlioz en Russie est compliquée du fait que la Russie a continué à utiliser le calendrier julien jusqu’en 1918, calendrier qui était en retard de 12 jours par rapport au calendrier grégorien utilisé dans la partie ouest de l’Europe depuis création en 1582. Pour tenir compte de ce fait on a donné ci-dessous les dates suivant les deux calendriers: la première renvoie au calendrier grégorien, la deuxième (entre parenthèses) renvoie au calendrier julien.

Avant le premier voyage

1831
Septembre: Berlioz rencontre le compositeur russe Glinka à Rome

1841
Mai: première exécution du Requiem à St Pétersbourg, sous la direction de Heinrich Romberg (qui fournira son assistance à Berlioz à St Pétersbourg en 1847)

1842
Avril: Liszt à St Pétersbourg

1843
Avril: Liszt à St Pétersbourg pour son deuxième voyage; il donne des concerts à Moscou

1844
4 août: Glinka s’établit à Paris pendant un an

1845
16 mars: Berlioz fait jouer plusieurs œuvres de Glinka à un concert au Cirque Olympique
25 mars: Berlioz écrit à Glinka pour lui demander des renseignements biographiques pour un article qu’il est en train d’écrire sur lui (CG no. 953)
6 avril: Berlioz fait jouer d’autres œuvres de Glinka à un concert au Cirque Olympique
16 avril: Berlioz consacre un article entier à Glinka dans le Journal des Débats
Mai-juin: Première édition de la Symphonie fantastique, dédiée au tsar Nicolas Ier de Russie
Été: Berlioz a l’intention de voyager en Russie à l’automne
Octobre: Berlioz part pour Vienne, avec l’intention de se rendre ensuite en Russie (ce dernier projet n’aboutit pas)

1846
6 et 20 décembre: les deux premières exécutions de la Damnation de Faust in Paris laissent Berlioz gravement endetté

Premier voyage – 1847

Janvier: Berlioz se prépare à faire un voyage en Russie, avec l’appui financier de plusieurs amis et suivant les conseils de Balzac
14 février: Berlioz quitte Paris pour la Russie, et voyage semble-t-il seul
15-17 février: Berlioz s’arrête à Bruxelles
18-20 février: Berlioz s’arrête à Berlin, où il reçoit du Roi de Prusse une lettre de recommendation à sa sœur la Tsarine
21-27 février: Berlin voyage de Berlin à St Pétersbourg; les quatre derniers jours de voyage se font en traîneau
28 février (16 février): Berlioz arrive à St Pétersbourg et loge dans une maison privée sur la Perspective Nevsky
14 mars (2 mars): Le prince Odoievsky publie un article sur “Berlioz à St Pétersbourg” dans le Sankt-Peterburgskie Vedomosti
15 mars (3 mars): Premier concert de Berlioz à St Pétersbourg
25 mars (13 mars): Deuxième concert de Berlioz à St Pétersbourg, avec le même programme; les concerts rapportent beaucoup à Berlioz et lui permettent de liquider ses dettes
27 mars (15 mars): Exécution du dernier mouvement (Apothéose) de la Symphonie funèbre et triomphale à un festival pour le bénéfice des invalides
31 mars (19 mars): Berlioz quitte St Pétersbourg pour Moscou en traîneau; le voyage prend quatre jours
Vers le 5 avril (24 mars): Berlioz arrive à Moscou
Vers le 10 avril (29 mars): Concert de Berlioz à Moscou; le Moskovskiye Vedomosti nomme Berlioz le Victor Hugo de la musique
Avril (fin mars - début avril): A Moscou Berlioz assiste à une représentation du premier opéra de Glinka, La Vie pour le Czar
20 avril (8 avril): Berlioz revient à St Pétersbourg
Avril - début mai (avril): Idylle avec une jeune choriste russe
4 mai (22 avril): Berlioz rencontre pour la première fois la Princesse Sayn-Wittgenstein
5 mai (23 avril): Troisième concert de Berlioz à St Pétersbourg: intégrale de Roméo et Juliette au Théâtre Impérial, avec l’ouverture du Carnaval romain et les deux premiers mouvements d’Harold en Italie
6 mai (24 avril): Berlioz assiste à un messe spéciale à la Chapelle Impériale
12 mai (30 avril): Quatrième concert de Berlioz à St Pétersbourg; deuxième intégrale de Roméo et Juliette au Théâtre Impérial, avec en outre la IIème partie de La Damnation de Faust
Vers le 20 mai (8 mai): Concert d’adieu de Berlioz à St Pétersbourg, avec la Symphonie fantastique et d’autres morceaux
22 mai (10 mai): Berlioz quitte St Pétersbourg pour Riga
Vers le 24 mai - 2 juin: Berlioz séjourne à Riga
29 mai: Berlioz donne un concert à Riga, avec Harold en Italie, des extraits de la Damnation de Faust et d’autres morceaux
Vers le 4 juin: Berlioz arrive à Berlin
19 juin: Berlioz joue la Damnation de Faust à Berlin
Vers le 25-30 juin: Berlioz est de retour à Paris

1862
11 septembre: Berlioz fait don à Vladimir Stasov de la partition autographe du Te Deum pour la bibliothèque municipale de St Pétersbourg

Second voyage – 1867/68

1867

Début août: César Cui demande à Berlioz la permission de faire une copie de plusieurs morceaux de la partition des Troyens
18 septembre: Berlioz accepte une invitation de la Grande Duchesse Elena Pavlovna pour donner une série de six concerts à St Pétersbourg
27 septembre: Berlioz refuse une offre de Steinway de faire une tournée à New York pour la somme de 100,000 francs
2 octobre: Wieniawksi, premier violon de l’orchestre de la cour de St Pétersbourg, demande à Berlioz de lui laisser jouer la Rêverie et caprice et la partie d’alto dans Harold en Italie à un concert à St Pétersbourg (CG no. 3282; cette dernière demande n’aura pas de suite)
Octobre: Préparations pour le voyage en Russie
12 novembre: Berlioz quitte Paris pour la Russie
14 novembre: Berlioz s’arrête à Berlin
15 novembre: Berlioz quitte Berlin pour St Pétersbourg
17 novembre (5 novembre): Berlioz arrive à St Pétersbourg et loge au Palais Mikhailovski
26 novembre (14 novembre): Berlioz écrit à Damcke à Paris lui demandant d’envoyer une copie de la grande partition des Troyens
28 novembre (16 novembre): Premier concert de Berlioz à St Pétersbourg
7 décembre (25 novembre): Deuxième concert de Berlioz à St Pétersbourg
11 décembre (29 novembre): Célébration de l’anniversaire de Berlioz à St Pétersbourg; il est fait Membre Honoraire de la Société Musicale Russe
14 décembre (2 décembre): Troisième concert de Berlioz à St Pétersbourg
28 décembre (16 décembre): Quatrième concert de Berlioz à St Pétersbourg

1868

1 janvier (20 décembre 1867): Berlioz quitte St Pétersbourg pour Moscou
8 janvier (27 décembre 1867): Premier concert de Berlioz à Moscou
11 janvier (30 décembre 1867): Second concert de Berlioz à Moscou
12 janvier (31 décembre 1867): Réception en l’honneur de Berlioz
13 janvier (1 janvier 1868): Berlioz quitte Moscou pour St Pétersbourg
25 janvier (13 janvier): Cinquième concert de Berlioz à St Pétersbourg
5 février (24 janvier): Berlioz assiste à une représentation de La Vie pour le Czar de Glinka mais sort avant la fin du IIème acte
8 février (27 janvier): Sixième et dernier concert de Berlioz à St Pétersbourg
13 février (1 février): Berlioz quitte St Pétersbourg
17 février: Berlioz est de retour à Paris
21 août: Dernière lettre de Berlioz à Stasov (CG no. 3373)
22 septembre (10 septembre): Lettre de Balakirev à Berlioz (CG no. 3374)
17 octobre (5 octobre): Lettre de Stasov à Berlioz (CG no. 3375)

1869

8 mars: Mort de Berlioz

Choix de lettres de Berlioz et autres

Un certain nombre de lettres de Berlioz qui ont trait à ses rapports avec la Russie sont citées sur d’autres pages de ce site; on en trouvera la liste avec liens à la fin de chaque année.

1841

À sa sœur Nancy (CG no. 751bis; entre le 23 et le 25 août, de Paris):

[…] Tu as vu sans doute dans les journaux que celle de mes compositions qui excite le plus la curiosité (le Requiem) a été dernièrement exécutée à St Pétersbourg avec un grandissime succès. J’ai eu des détails ces jours-ci par un artiste qui vient de Russie. On avait réuni aux chanteurs de la Chapelle Impériale (les premiers choristes du monde) les chœurs des deux Théâtres Lyriques et ceux d’un régiment de la garde (excellents), plus tous les orchestres de St Pétersbourg. Henri Romberg, qui n’a pas reculé devant les frais énormes d’une pareille entreprise y a gagné encore cinq mille francs. Ici à Paris je ne ferais pas le tiers des frais. Il paraît que le Lacrymosa et le Dies Irae ont rudement impressionné l’auditoire; et que si j’allais en Russie à présent je serais bien reçu.
Avant de songer à réaliser cet éternel projet de voyage, il me faut achever la partition de la Nonne. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 755; 3 octobre, de Paris):

[…] Vous savez sans doute le succès spaventoso de mon Requiem à Saint-Pétersbourg. Il a été exécuté en entier dans un concert donné ad hoc par tous les théâtres lyriques réunis à la chapelle du czar et aux choristes de deux régiments de la garde impériale. L’exécution, dirigée par Henri Romberg, a été, à ce que disent des témoins auriculaires d’une incroyable majesté. Malgré les dangers pécuniaires de l’entreprise, ce brave Romberg, grâce à la générosité de la noblesse russe, a encore eu, en sus des frais, un bénéfice de cinq mille francs. Parlez-moi des gouvernements despotiques pour les arts!… Ici, à Paris, je ne pourrais sans folie songer à monter en entier cet ouvrage, ou je devrais me résigner à perdre ce que Romberg a gagné. […]

1842

À Moritz Bernard à St Petersburg (CG no. 775; 10 septembre, de Paris):

Je vais terminer dans quelques semaines un Traité complet d’Instrumentation et d’Orchestration modernes; mes articles sur ce sujet publiés dans la Gazette Musicale de Paris n’en sont en quelque sorte que le sommaire; je crois que ce sera un ouvrage utile à tous les amateurs et artistes qui s’occupent de composition. […]
Je serais heureux, Monsieur, qu’il vous convînt d’en acquérir la propriété pour la Russie. J’en voudrais deux mille francs. Veuillez me répondre promptement, dans le cas où nous pourrions entrer en arrangement. […]

1843

À sa sœur Nancy (CG no. 847; 6-7 septembre, de Paris):

[…] Si je n’avais vendu mon traité d’instrumentation je n’aurais pas fait mon voyage d’Allemagne qui doit avoir pourtant une si grande influence sur mon avenir. Si j’avais de l’argent maintenant, assez pour exécuter un projet que j’ai, vous entendriez parler de quelque chose de grand… mais rien, rien, dans notre bête de gouvernement représentatif. Si l’empereur de Russie me veut je me vends à lui; il faut que je prenne des informations… […]

1845

    Voir CG nos. 953, 986

1846

À Joseph d’Ortigue (CG no. 1034; 16 avril, de Prague):

[…] L’empereur de Russie et le Prince d’Hechingen viennent de m’envoyer chacun un fort beau présent, (bague de Diamants et Tabatière).

[Sur la réception de la partition dédicacée de la Symphonie fantastique à la cour de St Pétersbourg en février-mars 1846, voir G. Petrova et L. Braun, ‘Berlioz und Russland – neue Ansätze, neue Quellen’, Die Musikforschung 69.3 (2016), p. 216-18]

1847

À A. Roquemont (CG no. 1089; janvier ou début février, à Paris):

Diligence et mystère! Je veux partir seul pour la Russie. Il faut pour y parvenir que vous m’aidiez. En conséquence, veuillez demain sans tarder aller chez Sax faire un paquet des ouvrages que je veux emporter… […] (suit le détail) […] Vous comprenez qu’il ne faut parler de tout cela à âme qui vive et que vous êtes aussi tout ignorant […]

À sa sœur Nancy (CG no. 1092; 21 janvier, de Paris):

[…] Il n’y a rien à faire dans cet atroce pays, et je ne puis que désirer de le quitter au plus vite. J’attends que la traduction allemande de Faust soit finie pour repartir et aller trouver des villes plus hospitalières que notre gredin de Paris. Je suis comme les oiseaux de proie obligé d’aller chercher ma vie au loin; les oiseaux de basse-cour seuls vivent bien sur leur fumier. Malgré la rigueur de la saison j’ai pris mon parti, et j’irai le mois prochain par terre à Pétersbourg. Il faut que j’y puisse être au commencement du carême. Ce sera rude mais il n’y a pas à balancer. Après quoi j’irai probablement en Angleterre par mer quand les glaces auront rendu la navigation libre. Tu vois que je n’ai pas lieu d’être satisfait, forcé de m’expatrier pour pouvoir vivre quand je suis entouré de crétins qui cumulent jusqu’à trois places largement rétributées, tels que Carafa, par exemple, un musicien de Pacotille qui n’a pour lui que de n’être pas Français. […]

À J.-F. Kittl à Prague (CG no. 1093; 22 janvier, de Paris):

[…] Faust a marché, vous le savez; j’attends maintenant que la traduction allemande en soit terminée pour partir pour la Russie. M. Meissner n’étant pas venu à Paris comme on me l’avait fait espérer, j’ai eu recours à une autre littérateur qui, m’assure-t-on, vaut un peu mieux que le traducteur de Roméo et Juliette. […]

À un correspondant inconnu (CG no. 1094; 26 janvier, de Paris):

[…] Le vif désir de faire connaître quelques-unes de mes compositions au public de la capitale Russe m’a décidé à faire cet hiver le voyage de St-Pétersbourg […] Mon intention est de faire entendre des fragments sinon la totalité de mes deux grands ouvrages, Roméo et Juliette et la Damnation de Faust, et surtout ma Symphonie Fantastique dont sa Majesté l’empereur de Russie a daigné accepter la dédicace l’an dernier […]

À Heinrich Ernst (CG no. 1095; 28 janvier, de Paris):

[…] Je dois faire ces jours-ci un autre article où j’annoncerai votre beau voyage à Berlin, à Kœnigsberg et votre arrivée à St Pétersbourg [Journal des Débats 5 février 1847, p. 1; CM VI p. 279]; il s’agit seulement de trouver le temps d’écrire l’article et un jour de liberté pour l’imprimer. Les deux chambres remplissent tout, et cette damnée Politique, que Dieu confonde, nous fait en ceci, comme dans toutes les choses de l’art, un tort énorme. En tous cas ce ne peut être qu’un retard momentané.
Maintenant sachez que nous allons nous retrouver à St Pétersbourg, je fais comme vous ce grand voyage tant de fois projeté, tant de fois remis. J’ai écrit au comte Wielhorski, au général Lwoff et à M. Gévéonof pour les prévenir de mon arrivée et obtenir trois jours pour mes concerts pendant le Carême.
Soyez assez bon, quand vous aurez réglé vos affaires, pour donner un coup d’œil aux miennes en causant à leur sujet avec ces messieurs.
Vous pourriez ainsi m’écrire quelques lignes soit à Berlin à l’Hôtel de Russie, soit à Kœnigsberg poste restante, pour m’informer de la disposition des hommes et des choses à mon sujet.
J’attends encore ici que la traduction allemande de la Damnation de Faust soit terminée; je compte en faire entendre au moins des fragments à St Pétersbourg. […]

À Honoré de Balzac (CG no. 1096; 14 février, à Paris):

Vous avez eu l’obligeance de m’offrir votre pelisse, soyez assez bon pour me l’envoyer demain rue de Provence 41, j’en aurai soin et je vous la rapporterai fidèlement dans quatre mois. Celle sur laquelle je comptais me paraît beaucoup trop courte et je crains surtout le froid aux jambes. […]

Cf. CG no. 1334

    Voir aussi CG nos. 1100, 1101, 1102, 1103, 1105, 1106, 1108, 1111, 1112, 1113, 1134bis, 1135

1848

À Joseph d’Ortigue (CG no. 1185; 1er mars, de Londres):

[…] En résumé je resterai ici tant que je pourrai, car il faut du temps pour s’y faire une place et s’y créer une position; heureusement les circonstances sont favorables, tôt ou tard, cette position arrivera et sera, me dit-on, solide. Je n’ai plus à songer pour ma carrière musicale qu’à l’Angleterre ou à la Russie; j’avais depuis longtemps fait mon deuil de la France, la dernière révolution rend ma détermination plus ferme et plus indispensable. J’avais à lutter sous l’ancien gouvernement contre des haines semées par mes feuilletons contre l’ineptie de ceux qui gouvernaient nos théâtres et l’indifférence du public, j’aurais de plus maintenant la foule des grands compositeurs que la république vient de faire éclore, la musique populaire, philanthropique, nationale, et économique. Les arts en France, sont morts maintenant, et la musique en particulier commence déjà à se putréfier, qu’on l’enterre vite, je sens d’ici les miasmes qu’elle exhale…
Je sens, il est vrai, toujours un certain mouvement machinal qui me fait me tourner vers la France quand quelque heureux évènement survient dans ma carrière, mais c’est une vieille habitude dont je me déferai avec le temps, un véritable préjugé. La France au point de vue musical n’est qu’un pays de crétins et de gredins, il faudrait être diablement chauvin pour ne pas le reconnaître. […]

    Voir aussi CG nos. 1170, 1240, 1242

1849

    Voir CG nos. 1246, 1261

1850

À Honoré de Balzac (CG no. 1334; 12 juin, à Paris):

J’apprends à la fois et votre mariage et votre retour. Je ne vous ai pas vu depuis la veille de mon départ pour la Russie, il y a trois énormes années. […]

[Note: Balzac, gravement malade, mourut le 18 août 1850]

À son beau-frère Camille Pal (CG no. 1340; 1er septembre, à Paris):

[…] Si je pouvais de nouveau voyager, faire une seconde tournée en Russie, je me tirerais d’affaire bien vite; mais le moment n’est pas convenable, et d’ailleurs je ne puis laisser Louis avant d’avoir assuré sa position pendant un an au moins, ni sa mère (moins encore) à cause de l’incertitude effrayante de sa santé, et de la chance qu’elle court à chaque instant d’être emportée par une nouvelle et dernière attaque d’apoplexie. Ainsi j’ai besoin d’argent et mes efforts pour en gagner sont paralysés. […]

1851

À sa sœur Adèle (CG no. 1437; 8-9 décembre, à Paris):

[…] On m’a écrit dernièrement de Pétersbourg pour y aller au mois de mars diriger un Festival, mais la somme offerte pour un tel voyage m’a paru mesquine, et eu égard aux dangers d’une absence en pareilles circonstances, j’ai dû refuser. […]

Alexandre de Wolkow à St Pétersbourg à Berlioz (CG no. 1438; 30 décembre [18 décembre]):

Monsieur, dans un de vos intéressants feuilletons, vous avez eu l’aimable idée de consacrer quelques lignes à la chapelle impériale de Saint-Pétersbourg, l’arche sainte, en quelque sorte, de la musique spirituelle et au souvenir de Bortniansky [Journal des Débats, 13 décembre 1851; reproduit dans les Soirées de l’orchestre, 21e soirée]. C’est ce grand maître qui sut porter cette chapelle au degré éminent de perfection, qui a motivé votre admiration. Ces lignes sorties de votre plume, et où on retrouve votre haute intelligence musicale, dignement appréciée dans le monde savant, ont été lues chez nous avec un intérêt tout particulier, et vous ont valu bien des sympathies.
Vous dites, dans votre article, que vous ne savez pas à quelle époque précise vécut Bortniansky, et que vous croyez que la chapelle impériale fut pendant quelques années, sous sa direction. Permettez-moi, monsieur, de venir à votre aide; à cet effet j’ai l’honneur de vous transmettre une courte notice biographique sur ce remarquable compositeur, que j’ai traduite en français d’après le Dictionnaire de la Conversation russe. Je joins à cette biographie un portrait très fidèle de Bortniansky.
J’ai longtemps désiré voir ce portrait reproduit dans le journal français l’Illustration. Après ce que vous avez dit de la chapelle impériale et de Bortniansky, vous comprendrez facilement ce désir d’un de ces compatriotes, et j’ai la persuasion que vous trouverez du plaisir à le satisfaire. […]

    Voir aussi CG no. 1379

1852

    Voir CG nos. 1443, 1496

1853

À Liszt (CG no. 1620; fin juillet, de Paris):

[…] Tamberlick et Tagliafico qui sont annuellement engagés pour la saison de Russie, me parlaient dernièrement du désir qu’ils auraient de faire donner Benvenuto au Grand Théâtre de Pétersbourg. Ils sont excellents l’un et l’autre dans les rôles de Cellini et de Fieramosca. La chose serait peut-être faisable si Mme la Grande Duchesse voulait en écrire à l’Empereur. Si l’Empereur prenait bien la proposition, j’irais alors en Russie et grâce à deux concerts, je serais à peu près sûr de faire un voyage utile.
D’ailleurs peut-être l’Empereur trouverait-il convenable de me faire inviter à venir diriger l’ouvrage? On sait que le pauvre chef d’orchestre (Boveri) qui règne en ce moment ne gouverne pas. […]

À sa sœur Adèle (CG no. 1631; début octobre, de Paris):

[…] Il s’agit pour moi de faire exécuter ma partition de Faust partout en Allemagne; on en fait deux éditions, une en Angleterre, l’autre en France; et tu conçois qu’avant de perdre par la publication le privilège exclusif que je possède encore de produire en public cet ouvrage, je veuille en profiter. Dans peu tous les théâtres et concerts d’Allemagne et de Russie en auront un exemplaire et pourront en conséquence se passer plus ou moins de moi. […]
J’ai été interrompu ici par un artiste Danois qui m’apporte cinq lettres de recommendation ou d’introduction, que lui on données mes amis de Moscou. Je n’avais plus eu de nouvelles de cette grande cité semi-asiatique depuis que je l’ai quittée en 1847. Quelle drôle de choses que ces relations lointaines… j’écrivais justement mon voyage à Moscou, il y a quelques semaines, dans un volume de mémoires que j’ai entrepris depuis longtemps….. […]
Si mon affaire d’Angleterre se conclut je vous invite tous à un dîner fameux à Vienne ou à Grenoble ou à la Côte d’ici en deux ans. Et nous rirons.
Si l’affaire de Londres manque, je suis capable de retourner en Russie, faire une petite razzia de roubles et nous dînerons à mon retour. […]

1855

À Adolphe Samuel (CG no. 1939; 14 avril, de Paris):

[…] Je reçois une lettre de M. Briavoine [propriétaire du journal belge L’Emancipation] au sujet de mon voyage en Russie. Il croit que cela peut former un livre, mais il s’en faut de beaucoup. Cela fera quelques feuilletons, je ne sais au juste combien. Je sais encore bien moins quand je pourrai avoir le temps de m’en occuper. […]

1857

    Voir CG no. 2216

1862

    Voir CG nos. 2650, 2676, 2676bis

1863

    Voir CG no. 2808

1864

À Humbert Ferrand (CG no. 2920; 28 octobre, de Paris):

[…] On veut aussi me faire aller à Saint-Pétersbourg au mois de mars; mais je ne m’y déciderai que si la somme offerte par les Russes vaut que j’affronte encore une fois leur terrible climat. Ce sera alors pour Louis que je m’y rendrai; car, pour moi, quelque mille francs de plus ne peuvent changer d’une façon sensible mon existence. […]

À Mathilde Masclet (CG no. 2930; 10 novembre, de Paris):

[…] Peut-être dans quelques mois irai-je moi aussi faire un long voyage; on me fait des propositions pour St Pétersbourg. Si je me trouve assez bien portant pour braver la neige et les frimas je me déciderai; mais si je n’allais pas mieux qu’en ce moment, il n’y a pas d’argent qui me fît retourner en Russie avec les douleurs que j’endure, presque du matin au soir. […]

1865

À son fils Louis (CG no. 3027; 18 juillet, de Paris):

[…] On a joué dernièrement ma symphonie d’Harold à Moscou avec un foudroyant succès. C’est là qu’il y a des impressions de la nature, des nuits splendides et sereines. Tu ne l’as jamais entendue, celle-là. C’est l’Italie sauvage, l’Italie des Abruzzes, où j’ai tant erré. […]

    Voir aussi CG no. 3032

1866

À son oncle Félix Marmion (CG no. 3151; 31 juillet, de Paris):

[…] Henri Wieniawski, ce fougueux violoniste que vous avez entendu avec tant de plaisir chez Massart, vient d’arriver de Russie. Il m’apprend que plusieurs de mes partitions sont fréquemment exécutées à Pétersbourg et à Moscou, avec des enthousiasmes russes. C’est presque comme les enthousiasmes viennois. […]

1867

À sa nièce Nancy Suat (CG no. 3274; 19 septembre, de Paris):

[…] Le lendemain j’ai reçu à Paris la visite d’un secrétaire de Mme la grande duchesse Hélène de Russie qui venait me faire de la part de la princesse des propositions musicales. J’ai demandé deux jours avant de donner ma réponse; mais tous les amis que j’ai vus, Hiller, Heller, Bressant et d’autres ayant émis l’avis que je devais accepter, que cela me ferait plus de bien que de mal, etc, j’ai fini par dire oui. Hier soir je suis allé chez la princesse qui avait demandé à me voir. C’est une des plus charmantes femmes âgées que j’aie jamais vues, musicienne lettrée et parlant notre langue avec la plus rare perfection. En conséquence je partirai pour St Pétersbourg le 15 novembre prochain pour diriger six concerts du Conservatoire dont un sera exclusivement composé de ma musique. Je serai logé au palais Michel, chez la grande Duchesse, qui me fait payer en outre mes frais de voyage, me donne une de ses voitures et m’assure une somme de quinze mille francs. J’ai signé hier l’engagement. Ce sera pénible, mais la princesse (qui n’est pas russe, elle est allemande et belle-sœur de l’Empereur Nicolas, et tante de l’Empereur Alexandre) veut faire voir au parti russe, qui tend à régenter en ce moment le petit monde musical de Pétersbourg, qu’il n’est que vaniteux et ridicule. Elle m’a donc remercié chaudement d’accepter sa proposition. Elle part ce soir pour la Suisse, mais après avoir envoyé une dépêche à Pétersbourg pour annoncer mon acceptation.
Voilà donc encore une tentative musicale malgré mes douleurs. Le voyage n’est pas la chose pénible; les wagons russes sont des wagons chauffés, où l’on trouve des lits et tout ce qu’il faut pour le confort. Peut-être en effet ce rude travail me fera-t-il du bien. Malheureusement, à l’exception du prince Nicolas et de l’Empereur que j’ai connus autrefois, je ne retrouverai plus aucune de mes connaissances de 1848 [1847 en fait]; tout ce monde est mort. […]

À sa nièce Nancy Suat (CG no. 3279; 29 septembre, de Paris):

[…] Tes réflexions sur mon voyage en Russie sont très justes, trop justes; mais j’ai signé, il n’y a plus rien à faire qu’à partir. Seulement, sache qu’à Pétersbourg on ne s’aperçoit guère du froid, et que, après Berlin, les wagons du chemin de fer sont des salons chauffés, avec des lits et tout ce qu’il faut. Ce que je redoute sont les fatigues et les impossibilités musicales. Mais peut-être tout cela disparaîtra-t-il.
J’ai encore eu une proposition de Steinway, le riche fabricant de pianos de New Yorck; il est venu avant-hier me demander avant son départ d’aller au moins l’an prochain en Amérique et sais-tu ce qu’il m’a offert?…
CENT MILLE FRANCS!
Il est bien temps, à présent que je ne suis bon à rien!
Pourtant je tâcherai de faire en Russie quelque chose de bien. Ah! si j’avais seulement la force. […]

À Josef Derffel (CG no. 3282; 2 octobre, de Paris):

Je viens de voir Wieniawski, qui est venu me prier de lui laisser jouer dans un de nos programmes ma romance pour le violon que je n’y avais [pas] placée et l’alto Solo d’Harold, que nous avions destiné à un autre. Cette proposition du virtuose m’a fait un très grand plaisir et j’ai en conséquence modifié pour lui deux programmes. Mais il m’a appris ce matin quelque chose de fort désagréable et que je vous prie de dire à madame la Grande Duchesse, pour qu’elle y remédie si cela est vrai. Il m’a dit qu’il venait de lire dans les journaux allemands que les premiers concerts du Conservatoire de St Pétersbourg seraient dirigés par un M. Bourakoff ou quelque nom semblable [Balakirev] et que je ne viendrais que plus tard. Or je suis engagé à diriger le 1er dans le mois de novembre 27/15 et je dois partir de Paris le 15/3. Ce serait donc rester à Pétersbourg à ne rien faire. En outre j’ai eu une peine extrême à faire les six programmes que je dois diriger, et il ne faut pas que le chef d’orchestre russe vienne les user en partie avant moi. Veuillez, je vous en conjure, prier Madame la Grande Duchesse de mettre tout cela en ordre. […] Je vous prie, répondez-moi quelques lignes et faites en sorte qu’on ne fasse pas de sottise à Pétersbourg. […]

À Estelle Fornier (CG no. 3283; 4 octobre, de Paris):

[…] Je vous racontais le coup d’état que je viens de faire: Mme la Grande Duchesse Hélène de Russie était ici il y a peu de jours, elle m’a fait enguirlander par des propositions, qu’après deux jours de réflexions et sur l’avis de tous mes amis j’ai fini par accepter.
Il s’agit d’aller à St Pétersbourg au mois de novembre pour y diriger six concerts du Conservatoire, dont cinq consacrés aux grands maîtres et un qui devra être composé exclusivement de mes ouvrages. Cela me retiendra en Russie jusqu’au mois de février. La Grand Duchesse me loge chez elle au palais Michel, me donne une de ses voitures, paye mon voyage aller et retour, et m’assure quinze mille francs. Je serai exténué mais j’essaie tout de même. C’est une femme artiste (allemande et non russe) qui comprend la musique et exerce une grande influence sur le monde russe musical.
Tout me vient à présent que je n’en puis plus. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 3286; 8 octobre, de Paris):

[…] Je ne gagne rien à Paris, j’ai de la peine à joindre les deux bouts de ma dépense annuelle, et je me suis laissé aller à acquérir un peu d’aisance momentanée, malgré mes douleurs continuelles. Peut-être ces occupations musicales me feront-elles du bien au lieu de m’achever. […]

À Josef Derffel (CG no. 3287; 9 octobre, de Paris):

Votre aimable lettre qui m’est arrivée ce matin, m’avait rempli de joie, celle de M. Kologrivoff qui est arrivée ce soir m’a calmé. Je vois qu’en Russie comme ailleurs on ne peut pas faire de l’art. J’avais cru pouvoir faire entendre au public russe une exécution irréprochable, exceptionnelle, et je suis un niais, nous ferons ce que nous pourrons et ce ne sera pas grand chose. On fait deux répétitions par concert, me dit M. Kologrivoff, on ne peut en faire davantage. Il m’assure que par exception pour moi on en fera davantage. Eh par-dieu il s’agit bien de moi! Si on ne peut pas répéter mes partitions on ne les jouera pas, voilà tout. Des répétitions de trois heures!! ce sont des LECTURES et non des ÉTUDES. Je vais lui répondre, et le remercier de tous les détails qu’il me donne. Vous n’avez pas beaucoup de musique à Pétersbourg, je serais obligé d’en porter. DEUX LECTURES!! […] 
Je suis bien heureux d’apprendre que vous serez en même temps que moi à St Pétersbourg, nous nous désolerons ensemble. Je partirai d’ici le 12 novembre; je demanderai un congé de 3 mois, du 1er décembre au 1er mars. Ne vous inquiétez pas de Wieniawski, il fera son devoir, je vous en réponds. […]

[La lettre de Kologrivov à laquelle Berlioz fait allusion est CG no. 3282bis dans NL pp. 657-9]

À la Princesse Carolyn Sayn-Wittgenstein (CG no. 3290; 11 octobre, de Paris):

[…] Depuis cet affreux coup [la mort de son fils Louis] je suis plus accablé que jamais par mes anciennes misères, je passe presque toute ma vie au lit, je ne m’intéresse à rien et je refuse à peu près tout ce qui se présente d’occupations musicales.
Je vais pourtant en Russie le mois prochain; la Grande Duchesse Hélène, qui était à Paris dernièrement, a tant fait qu’elle m’a décidé à aller à St Pétersbourg diriger quelques concerts classiques du Conservatoire. La raison d’argent m’a fait tenter ce pénible voyage; je vais cruellement souffrir de toutes façons, je m’y attends. Mais le besoin d’un peu d’aisance me fait faire cet effort, et braver la routine que j’aurai à combattre chez les Russes comme partout ailleurs. La Duchesse pourtant en promet monts et merveilles. Enfin pourvu que je résiste à toutes ces luttes combinées… […]

À sa nièce Joséphine Suat (CG no. 3294; 23 octobre, de Paris):

[…] Je voulais t’écrire tous ces derniers jours, mais j’avais tant de choses à mettre en ordre avant mon départ pour la Russie que je ne savais où donner de la tête; emplettes de toute espèce à faire, musique à me procurer, longues lettres à écrire, télégrammes à envoyer; et puis je reste dix-huit heures au lit et je souffre comme un misérable. Il faut bien que j’aie signé de contrat pour persister à faire le voyage. Encore la Grande duchesse m’a prié de solliciter au Conservatoire de Paris un congé d’un mois de plus, parce qu’elle sait qu’on veut me demander un septième et huitième concert quand je serai à Pétersbourg. Faut-il avoir besoin d’argent?… et aimer la musique?…
Dieu veuille qu’on ne me contrarie pas trop dans ces fêtes musicales russes! On me promet monts et merveilles, mais je ne crois pas grand’chose maintenant. […]

À son beau-frère Marc Suat (CG no. 3299; 1er novembre, de Paris):

Je vous remercie de votre sollicitude, mais il faut faire ce voyage, je ne puis m’en passer. Tout est en train, on copie, on étudie en m’attendant à Pétersbourg. Deux artistes de ma connaissance [cf. CG no. 3304] viendront me prendre à Berlin le 14 de ce mois, et de là nous nous acheminerons ensemble. J’ai acheté ici à très bon compte d’excellentes fourrures que le hasard m’a fait trouver, je n’attends plus que l’argent promis avant mon départ. Je quitterai Paris le 12 de ce mois et je resterai probablement à Pétersbourg jusqu’au 15 février.
J’ai reçu mon congé du Conservatoire de Paris avant-hier, et le Ministre (le maréchal Vaillant) en m’annonçant [CG no. 3297] que je ne perdrais pas pendant ce temps mes appointements, me disait les choses les plus gracieuses. […]

À Estelle Fornier (CG no. 3302; 9 novembre, de Paris):

Je vous remercie! Pardonnez-moi de m’être tourmenté, votre lettre m’a ôté une montagne de dessus la poitrine. Maintenant je vais partir plus tranquille, je vous écrirai beaucoup plus tard, pour ne pas vous ennuyer. Je vais avoir, je ne me dissimule pas, un rude voyage à faire. Une fois en train de diriger mes concerts à Pétersbourg, tout ira mieux si la Grande Duchesse surtout me laisse disposer de mes soirées et ne m’invite pas trop souvent à venir dans son salon. J’ai besoin de dormir et de me reposer quand j’ai passé une journée en répétitions. Peut-être tout sera-t-il plus facile que je ne crois; mais j’avoue que j’eusse mieux aimé être logé tout bonnement dans un hôtel et n’avoir pas tant de monde à mes ordres. […]

À son oncle Félix Marmion (CG no. 3303; 11 novembre, de Paris):

[…] Je suis plein d’entrain pour mon voyage en Russie après midi, mais le matin, quand je souffre, c’est autre chose. Quand je serai lancé dans les répétitions je serai plus maître de mes maux. La Grande Duchesse me fait dire qu’on me demandera deux autres concerts après ceux du Conservatoire; je ne sais pas si j’aurai la force de faire tant de choses. Au reste son altesse est d’une bonté parfaite; elle m’a déjà fait remettre ici six mille francs, et je ne pars que demain.
Je ne trouverai plus guère de mes connaissances Russes de 1848 [1847!], tout le monde est à peu près mort. Le général Lwoff seul vit encore mais il est absolument sourd [CG no. 2808]. J’aurai les chanteurs italiens, Mario, Tamberlick, Tagliafico, qui menacent de venir me désennuyer le soir quand ils ne joueront pas… Je connais un officier du Génie Russe qui me désennuiera mieux et qui est un véritable amateur de musique. Nous avons passé quelques heures ensemble à Paris, dernièrement [César Cui, cf. CG no. 3268]. […]

Antoine Choudens à Berlioz à St Pétersbourg (CG no. 3313; vers la fin décembre):

Voir Fouque

    Voir aussi CG nos.  3268, 3289, 3293, 3304, 3305, 3308, 3310, 3314, 3315, 3318 (Moscou, St-Pétersbourg), 3319

1868

    Voir CG nos. 3326, 3327, 3330, 3331, 3332, 3334, 3335, 3340, 3346, 3354, 3356, 3359, 3361, 3364, 3373, 3374, 3375

Villes visitées par Berlioz

St Pétersbourg

Moscou

[Voyez aussi Concert au Manège (en traduction anglaise) et Концерт в Манеже (dans l’original russe)]

Riga (en Russie à l’époque de Berlioz)

Voyez aussi sur ce site:

Berlioz: Voyage en Russie (1847) – Magasin des Demoiselles, XII, 1855-1856
Octave Fouque: Berlioz en Russie
Berlioz et la Russie: amis et connaissances
The Russia that Berlioz visited, par Dr Linda Edmondson  (en anglais)
Hector Berlioz as reflected in the Russian press of his time, par Dr Elena Dolenko (en anglais)
Berlioz, Dörffel and Derffel, par Grigory Moiseev (en anglais)   

Biographie de Berlioz
Mémoires de Berlioz
Index des lettres de Berlioz citées

Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997;
Pages Berlioz en Russie créées le 7 décembre 2003; révisées et augmentées le 15 juin 2010 et le 1er février 2018.

© (sauf indication contraire) Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes photos, gravures et informations sur les pages Berlioz en Russie.

Retour à la page principale Berlioz en Europe

Retour à la Page d’accueil