(Textes corrigés, en ordre chronologique)
Liste chronologique des lettres d’Adèle Berlioz-Suat
La transcription littérale des lettres d’Adèle Berlioz-Suat se trouve sur des pages séparées:
I. Lettres R96.260.02, R96.856.1
à 3, 2011.02.116 à 153
II. Lettres 2011.02.154 à 196
III. Lettres 2011.02.197 à 265, 2011.02.298
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2011.02.222 | Avril 1848 (?) | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur le contexte politique de cette lettre voir le commentaire chronologique. Si le ‘Mr Crémieux’ dont il est question est bien Adolphe Crémieux, Ministre de la Justice dans le Gouvernement Provisoire, l’allusion pourrait expliquer les réformes proposées pour la Cour et l’École de droit de Grenoble. Sur les troubles en France suite à l’abdication de Louis-Philippe le 24 février 1848 et l’installation du Gouvernement Provisoire; voir aussi la lettre suivante (2011.02.250).
Vienne vendredi
Je crois que je suis un peu en retard avec toi, chère sœur, mais je deviens d’une paresse sans égale pour écrire depuis quelque temps ; cependant tu m’avais donné le bon exemple par une immense lettre pleine de détails intéressants sur bien des gens de notre connaissance. Mon oncle m’a écrit depuis aussi une relation du mariage Bergeron, telle que je lui ai répondu qu’à part les Bannières et le Char de triomphe rien ne devait manquer ; plaisanterie à part, ce jeune couple devait te faire plaisir à voir, chère sœur, c’est si rare les gens heureux par le temps qui court. Qu’ils jouissent bien, cela dure si peu et c’est si doux ! ....
Je suis seule complètement aujourd’hui ; mon mari est absent pour une affaire et mes fillettes sont restées hier soir à la campagne chez une dame de mes voisines où je les avais menées, et qui a voulu absolument les garder jusqu’à demain matin. Elles auront été bien heureuses avec ce beau temps aujourd’hui ; leur bonne est avec elles, sans cela je ne serais pas tranquille.
Je suis un peu lasse de cette course d’hier, deux
heures pour aller et un peu moins pour revenir, par un petit chemin charmant le long du Rhône, il est vrai. Bien que Nancy eût fait ce trajet très gaillardement, j’avais peur pour le retour, et c’est ce qui m’a rendu si facile à céder aux instances de leur petite amie.
Nous faisons souvent d’immenses promenades depuis mon retour de la Côte, et je trouve très commode d’avoir de bonnes jambes faute de voiture ....
J’espère que Marc aura pu passer à la Côte et voir mon père ; Monique à ma demande m’avait fait écrire par Mme Guichard en même temps à peu près que Mme Pion t’en donnait des nouvelles. Elles étaient peu satisfaisantes, puisque ce pauvre père mangeait à peine et restait au lit, mais sans être plus malade d’après Mr Rabin et Monique ; malgré les souvenirs de choses de ce genre que j’ai vues pendant mon séjour
auprès de lui, je t’avoue que j’attends d’autres nouvelles avec anxieté, je désire vivement que Marc puisse y passer et je l’attends demain avec une double impatience.
J’ai appris avec grand plaisir que Mme Gagnon était hors de danger ; cette pauvre femme a dû te tourmenter. Je te comprends, chère sœur, tu l’apprécies beaucoup, puis ses souffrances devaient être cruelles.
J’espère aussi qu’on ne vous enlèvera point votre Cour et votre École de droit, ce serait une ruine par trop complète pour Grenoble ; les projets du Gouvernement tiennent à un fil et tout le monde prédit un nouveau bouleversement. « La République est grosse d’un roi », c’est le mot du jour, mais Dieu seul sait ce qui surgira de tout cet abominable chaos, on use un homme en huit jours et même moins. Voilà déjà Mr Crémieux exterminé à fond, la séance d’hier était étonnante à son occasion ; tout cela ne nous donne pas du repos et de l’argent. Voilà toujours mon refrain et celui de bien d’autres. À propos d’argent connais-tu ces mauvaises affaires de Mr de Ventavon, le mari de la comtesse de je ne sais quoi ? Mr Casimir [Faure] y perd une dizaine de mille francs à ce que me raconta sa femme il y a quelques jours, ce qui la rendait fort dolente ; je la connais, sa santé est
déplorable toujours, et les impressions pénibles ont plus d’effet sur elle qu’autrefois.
J’ai eu jeudi passé l’abbé Faivre et mon neveu, que j’ai trouvé très bien portant, très content et ayant déjà gagné beaucoup depuis qu’il est en de si bonnes mains, ce dont nous nous félicitons tous les jours, Marc et moi, en dépit des gens intéressés à nous blâmer sur tout ce que nous faisons pour ce pauvre enfant ; peu importe, du reste.
Adieu, chère sœur, l’heure et mon papier me disent de finir. J’ai une commission à faire avant la nuit et
je jetterai ma lettre à la poste en sortant.
Je t’embrasse tendrement ainsi que Mathilde.
Toute à toi
A
Tu es peut-être à St Vincent ou à la veille d’aller t’y installer d’après tes projets, ne laisse pas passer les roses et les cerises.
2011.02.250 | Dimanche 21 mai 1848 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
En séjour à La Côte pour soigner son vieux père malade Adèle Suat donne un témoignage saisissant sur les troubles politiques qui balayaient la France au même moment (voir aussi 2011.02.222).
La Côte dimanche [21 mai 1848]
J’ai vu avec plaisir par ta dernière lettre, chère sœur, que tu avais repris ta sérénité d’esprit depuis ton retour chez toi. Le beau temps, des charmantes promenades aux environs de Grenoble, tout cela te faisait grand bien ; tu en avais besoin, ton séjour ici ayant par trop ébranlé tes pauvres nerfs.
Que te dirai-je de notre bon père ? Hier et aujourd’hui il est dans son état ordinaire ; il arrive du Chuzeau et vient de se recoucher, autant pour tuer le temps que pour se reposer. Il a mangé un énorme morceau de moëlle de bœuf et de la soupe au bouillon gras ; c’est bien !
Jeudi et vendredi il n’avait rien voulu manger, s’étant bourré de saucisses et de porc-frais la veille ; je ne pouvais voir ce régime sans trembler .... Aussi jurait-il après qu’on ne l’y prendrait plus ; hélas ! je ne le crois pas. Vendredi il paraissait si abattu dans son lit, il nous disait des choses si navrantes, et surtout Monique était si montée que j’étais cruellement ennuyée ; mais tu connais mieux que moi, chère sœur, ces épreuves douloureuses.
Il faut que notre pauvre père soit de fer pour résister à son regime d’opium et de purgations tous les deux jours ; son idée fixe est qu’il ne peut aller du ventre et Dieu sait qu’il ne reste pas longtemps sans s’en mettre des pieds à la tête. Il raconte ces détails à haute voix, dans la rue ...
Je ne puis me résigner à cette décadence morale, chère sœur, cela m’attriste profondément.
Mes enfants l’ont ranimé les premiers jours, mais ce moyen est usé et moi bien plus encore ; j’ai passé deux heures hier à la pluie sur la galerie à parler de tout ce que je pouvais. Mes ressources sont à bout, je m’éteins à vue d’œil ; comme tu le dis, chère sœur, quand on parvient par hasard
à faire plaisir à cet excellent père on jouit beaucoup, mais cela dure si peu, et cela est si rare !.. Je lis le journal avec plaisir, au moins on sert à cela !... Les événements de la semaine étaient de nature à intéresser, nous l’avons manqué belle avec le gouvernement Blanqui, Barthès, et compagnie ; quelle scène que l’envahissement de l’assemblée ! ... Nos pauvres représentants ont dû passer par de terribles émotions ; ils ont été calmes et dignes, honneur à eux ! Bien plus encore à la Garde Nationale qui a sauvé le pays et maintenu l’ordre ...
On vient de me dire qu’à Lyon on a voulu tuer le substitut du procureur de la République qui n’avait pas voulu délivrer deux ouvriers prisonniers ! ... Il y a eu des barricades à la Croix-Rousse, de graves désordres à cette occasion, et cela n’est pas encore terminé, dit-on !....
Mr Froussard a été mal traité à Paris ; j’ai été assez méchante pour dire tant mieux ... cela le guérira un peu de son ardent amour pour la canaille ! ... à
Vienne il avait été stupide avec les ouvriers ...
Mon mari n’a pu venir me voir comme il en avait le projet, et j’ai été obligée à grand peine à me résigner à l’attendre jusqu’à demain soir. Il restera, je pense, deux jours puis nous repartirons ensemble jeudi ... J’ai perdu appétit et sommeil ici ; comme toi je me ranimerai bien vite une fois chez moi avec mon cher mari, à qui le temps dure cruellement tout seul, en dépit des nombreuses et aimables invitations qu’il reçoit à Vienne et dont je suis bien reconnaissante. Ici je dîne seule à mon aise [la
fin de la lettre est perdue]
Aucune lettre de cette année
Aucune lettre de cette année
R96.856.1 | Jeudi 30 octobre 1851 | À son frère Hector Berlioz | Transcription littérale | — |
Ce brouillon de lettre est en réponse à une lettre de Berlioz à Adèle du 1er octobre (CG no. 1433; R96.234) et une à Marc Suat du 25 octobre (CG no. 1435; R96.235). La lettre de Berlioz à Adèle du 9 décembre évoque la question des intérêts dûs par lui à ses beaux-frères (CG no. 1437; R96.236) et suppose qu’il avait reçu entre-temps une ou plusieurs lettres des Suat concernant sa situation financière de la même teneur que ce brouillon.
Vienne 30 octobre 1851
Mon mari était à Tournon avant hier, mon cher ami, lorsque ta lettre m’est arrivée ; à peine de retour une autre affaire importante l’appelle ailleurs aujourd’hui ; mais avant de monter en voiture il a hâte de calmer ton inquiétude et de te donner les explications précises que tu nous [a] demandées.
Les six mille francs que tu reçus de notre père le 16 mai 1841 furent fournis par mon mari à qui ils sont encore dûs parce que notre père, loin d’avoir des capitaux disponibles, avait lui-même des dettes alors.
Ce n’était point un legs de notre mère comme tu le crois, mais seulement une somme que tu aurais eu le droit de demander sur sa succession ; mon père en a payé les intérêts à mon mari jusqu’à sa mort (au cinq pour cent et non point au six) et depuis cette époque les intérêts se sont accumulés et font mille francs de plus, ce qui fait 7000 ; tu as pris en outre mille francs à Camille l’année dernière et mille francs à mon mari au mois de décembre 1850, ce qui fait en tout 9000 que tu dois ; ces 9000 font 450 francs d’intérêts au cinq pour cent et non cinq cents comme te l’avait écrit mon mari par erreur, parce qu’il croyait que Camille au lieu de mille francs t’avait envoyé deux mille francs ; ce qui fait ton erreur c’est que tu ne te rends pas compte que les deux successions de notre père et de notre mère ne font maintenant qu’un seul tout et que si tu n’avais rien retiré en capitaux jusqu’à présent ta part serait de trois mille francs dans les revenus actuels ; desquels par conséquent il faut distraire les 450 f d’intérêts.
Tu dois te souvenir que notre père te donnait 1500 francs par an pour te tenir lieu des revenus de notre mère, ajoutés à ce qu’il pouvait te donner de lui-même ; mais du moment que tu reçus les 6000 f les 1500 se réduisirent à 1200 par an ; il en est
de même aujourd’hui, sur les trois mille francs que tu aurais il faudrait prendre les 450 f d’intérêts.
Ces Messieurs ne se doutaient pas que tu ne l’eusses pas compris quand nous fîmes nos arrangements provisoires à la mort de notre père, dont tu as une copie ; mon mari depuis lors ne t’en a point parlé, parce que il a vu que tu avais de grandes charges avec ton fils et ta femme et qu’il espérait qu’elles diminueraient et que plus tard tu parviendrais à le libérer de ce surcroît de charges arriérées.
L’administration de notre fortune ne peut pas être meilleure, ce serait la dilapider que de vouloir vendre nos
propriétés dans ce moment ; on a profité de quelques bonnes occasions
pour se défaire de certains immeubles dont le prix a servi à payer les dettes que notre père avait laissées, mais si nous voulions à toute force vendre nos [pro]priétés nous n’en trouverions pas la moitié de leur valeur, tellement tout est déprécié dans les circonstances actuelles.
Pour conclure, mon bon frère, ces explications que nous avons tâché de rendre les plus claires possible, il est certain que ce qu’il y aurait de plus sage pour toi serait de prendre un
peu moins sur tes revenus afin de laisser de quoi payer l’intérêt des 9000 f pour qu’il ne s’accumulassent pas, ce qui est très important.
Mais si cette année encore à cause de ce que te coûtes ton fils tu ne pouvais le faire, il serait malgré cela préférable de ne pas vendre, de temporiser et de ne donner point tes biens à vil prix ; ta position nous préoccupe tous beaucoup et nous ne négligerions rien pour la rendre meilleure ; crois-le bien, mon cher ami, et rapporte-t-en a l’expérience en affaires de tes beaux-frères comme en leur affection.
Aucune lettre de cette année
Aucune lettre de cette année
2011.02.227 | Samedi 24 juin 1854 (?) | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Une lettre de Berlioz à Camille Pal du 6 juillet (CG no. 1774) fait allusion au séjour de Félix Marmion à Paris en juin. — Le ‘nouveau procès’ est sans doute le procès Pion: voir la lettre suivante (2011.02.224).
Vienne mardi 24 juin [sic]
Ta dernière lettre était triste, ma chère Mathilde, je crains que le séjour de St Vincent ne t’inspire mal ; tu y es trop seule, cela me préoccupe, je vois que même ton jardin n’est plus une distraction comme les autres années. Ranime-toi, chère petite, je ne te permets point de voir l’avenir avec tant de découragement ; j’espère pour toi au contraire un établissement brillant. La providence te dédommagera ainsi de t’avoir enlevé ta pauvre mère ; je comprends ta sympathie pour les demoiselles Faure, comme toi elles sentiront toujours davantage leur isolement. Elles sont à la campagne depuis quelques jours ; Mme Alizou n’a pu s’y
arrêter, mais Mme St Rome [?] doit venir la remplacer quelques jours auprès de ces pauvres enfants.
J’ai reçu hier une lettre de ton oncle Marmion ; il a vu plusieurs fois mon frère et déjeunait chez lui ce matin. À son retour il pourra me donner bien des détails, j’espère. Il ne ne me parle pas de Louis ; je viens de lui répondre et de lui en faire le reproche. Il compte partir pour Vichy la semaine prochaine ; ma tante renonce décidement à aller au Montdor cette année. Mme Boutaud ira à Marseille prendre les bains de mer, plusieurs dames de ma connaissance y vont également, d’autres partent pour Vichy, pour Uriage. Mmes Dutriac sont à la campagne ; la ville se dépeuple absolument. Hier j’eus la visite de Mme Recourdon ; elle me donna des nouvelles de la Côte ; sa sœur va à Allevard. Mr Joseph est décidément mieux, mais il a donné sa démission au grand regret de sa famille. Melle Asine se marie avec un des fils Déplagnes de Balbins ; je ne sais si c’est l’aîné qui est contrôleur ; il est très bien, je le connais, mais ce qui me fait croire que c’est son frère c’est qu’il va habiter la Côte l’appartement de Mr Joseph Lacroix. Voilà monsieur Camille heureux de garder sa nièce près de lui ; bien que le mariage ne soit pas très brillant, il vaut mieux que si elle avait épousé Mr Gerbolet à mon avis.
Mon mari a reçu la lettre de ton père pour notre nouveau procès ; il a fait ce qu’il fallait, dis-le lui je te prie. D’après le journal de Grenoble la procession de dimanche a été magnifique ; il parle beaucoup d’un reposoir extraordinaire, où trônait le Père éternel, les anges des bergers, des capucins et des animaux de toute espèce. Il me semble que c’est bien étrange et bien primitif pour une ville d’une civilisation si avancée ...
J’ai reçu la semaine dernière une lettre de notre cousine Odile pour me prier de faire des démarches pour faire rentrer un
jeune homme renvoyé du collège de Vienne auquel elle s’intéresse ; j’ai inutilement fait plusieurs tentatives et je vais lui écrire pour lui exprimer mes regrets de mon non-succès.
J’en suis à ma quatrième lettre ce matin ; je me trouve sublime, ni plus ni moins, car avec la chaleur et ma paresse c’est énorme.
Adieu, chère petite, tes cousines t’embrassent bien affectueusement.
Nos amitiés à ton père.
Mes compliments aux dames Gagnon.
Raconte-moi ce que tu fais et ce que tu lis.
A S
2011.02.224 | Vendredi 14 juillet 1854 | À son beau-frère Camille Pal | Transcription littérale | — |
Sur l’épidémie de choléra voir aussi 2011.02.229, 2011.02.231. — La lettre de Berlioz à Camille Pal dont il est question ici est sans doute CG no. 1774 du 6 juillet. — Sur les Suat et Louis Berlioz voir 2011.02.136. — Sur le long procès Pion qui opposa la famille Pion de La Côte aux héritiers du Dr Berlioz, voir aussi 2011.02.229, 2011.02.231, 2011.02.233, 2011.02.235, 2011.02.310 et les lettres de Berlioz à Camille Pal du 26 mai 1854 (CG no. 1763), à Marc Suat du 15 mars 1856 (CG no. 2107), à Adèle Suat du 9 avril 1857 (CG no. 2222), et à Marc Suat du 3 novembre 1858 (CG no. 2329).
Vienne vendredi 14 juillet [1854]
Je vous remercie, mon cher beau-frère, de l’affectueuse lettre que vous m’avez écrite pour nous offrir l’hospitalité ; grâce à Dieu nous n’en sommes pas à prendre la poste pour fuir le choléra, et j’aime à me persuader qu’il n’arrivera pas jusqu’à nous.
On parle cependant de quelques cas à Lyon, mais rien n’est moins sûr, et c’est peut-être des gens du midi ? À Coudrieux il n’y a pas eu de nouveaux malades, et les médecins lyonnais envoyés sur les lieux n’étaient pas très sûrs que ce fût le choléra asiatique ; ici on en parle le moins possible dans la peur de prendre peur, vous savez qu’une vive préoccupation de ce fléau est déjà un danger de plus.
Je voudrais bien avoir des nouvelles de Mme
Boutaud et de Raoul, toutes les personnes qui devaient aller comme elle aux bains de mer y renoncent après des informations précises ;
comment alors Mme Boutaud s’exposerait-elle ? Mon oncle ne m’écrit point et doit être à Vichy, et j’ignore son adresse ; je crois ma tante à Anjou, mais quand je saurai positivement où les trouver je leur écrirai pour être rassurée.
Je vous remercie de me donner des nouvelles d’Hector ; je m’étonnais de n’en pas recevoir et prévoyait un nouveau départ pour l’Allemagne. Vous ne me dites point si son séjour doit y être long ? et si Louis lui donne signe de vie ? Ce pauvre enfant me tourmente beaucoup, entre la guerre et le choléra on varie ses inquiétudes : vous êtes bien tranquille dans votre solitude de St Vincent sous vos frais ombrages, on pourrait même dire humides, car la pluie cesse si peu que je ne puis me persuader que nous sommes au mois de juillet ? On commence à moissonner cependant dans
nos environs ; je vis cela hier avec surprise en allant avec mes filles faire une visite à Reventin à la famille Faure. Ces pauvres jeunes filles sont bien tristes et bien seules, leur frère est accablé, il renonce à plaider jusqu’à la rentrée, mais l’hiver prochain on espère qu’il recommencera ; que ferait-il de son activité ?
Je ne crois pas qu’il songe à aller habiter Grenoble ; ses filles tiennent à ce pays-ci et sauf un mariage pour l’une d’elles n’en sortiront certainement point autrement. Nous avions pris l’omnibus pour faire cette course ; en revenant nous le manquâmes, et revînmes très lestement à pied pour la plus grande gloire de Nancy, très fière d’une si longue promenade, au moins huit kilomètres.
D’après ce que vous me dites, mon cher beau-frère, votre sœur se trouve heureuse à la campagne ; je vous prie de lui faire mes compliments. Puisqu’elle est en bonne disposition d’esprit et de santé sa visite ne fatiguera point Mathilde, au contraire, cette chère petite sera moins seule, la solitude est mauvaise à son âge.
Mon mari pense vous trouver à la Côte à la fin de ce mois comme cela avait été convenu pour le célèbre procès Pion et compagnie ; il doit voir Mr Gentil à ce sujet. Du reste si vous voulez lui parler à Grenoble il y sera le 18 pour le mariage de son beau-frère avec une demoiselle Désayes d’Allevard, je crois.
J’ai fait avec plaisir la connaissance de Mme Gentil, elle est gracieuse et simple au possible ; si vous tenez à joindre son mari il sera chez sa mère. Notre jeune et belle substitute Mme Callin est malade assez sérieusement.
Mmes Alméras, Coutet et Charmeil devaient faire une caravane cette semaine aux Grottes de la Balme ; Mme Charmeil a passé deux jours ici avec son frère ; je ne l’ai point vue. Je m’étonne que ses filles ne soient point venues avec
elle à Reventin ?
Adieu, mon cher beau-frère, mon mari se joint à moi pour vous renouveler mille remerciements de votre amicale invitation. Nous vous embrassons ainsi que Mathilde.
Votre dévouée sœur
A S
2011.02.229 | Lundi 24 juillet 1854 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Sur les Suat et Louis Berlioz voir 2011.02.136. — Sur la participation de Louis à la guerre de Crimée dans la Baltique, voir les lettres de son père CG nos. 1761 (à Adèle, 15 mai), 1768 (à A. Morel, 4 juin), 1771 (à A. Morel, 26 juin), 1774 (à Camille Pal, 6 juillet), 1783 (à Adèle, 27 août), et Mémoires ch. 57.
Vienne lundi 26 juillet [sic] [Lundi 24 juillet 1854]
La chaleur est si accablante depuis quelques jours, ma chère Mathilde, qu’il me faut faire un effort de courage pour prendre la plume. Écrire est un travail pénible, à peine si on trouve la force de sortir à huit ou neuf heures du soir pour chercher un peu d’air au bord du Rhône, mon aiguille se rouille dans mes doigts, je m’endors sur mon livre, aussi j’en ai déja assez de l’été quelque tardif qu’il soit cette année ... Les récoltes en avaient grand besoin, et les preneurs d’eaux commençaient à désespérer. Mon oncle m’a écrit de Vichy la semaine dernière qu’on avait quitté les paletots d’hiver que la veille ; sa santé était bonne malgré cela. Il me disait que Mme Boutaud était à Marseille, sans parler de Raoul. Depuis lors il est probable qu’elle sera revenue à cause du choléra ; il est fini à Avignon ou à peu près, dit-on. Tranquille sur ce point la pauvre femme reviendra chez elle sans regretter les bains de mer ; quand j’aurai des détails plus complets je t’en ferai part. Pour passer à une autre cause d’inquiétude, j’ai reçu une longue lettre de Louis pleine de détails très intéressants sur les événements
où il s’est trouvé ; son batiment (le Phlégéthon) est celui qui s’est approché le plus de Cronstad. Il avait eté envoyé prendre des plans à portée de canon, pas un boulet n’a été lancé heureusement à leur grande surprise ; le branle-bas de combat était fait à bord des frégates anglaises et francaises ... Il paraît que le moment de la réunion des deux flottes a été un spectacle magnifique ; elle a eu lieu à Borasund [Bomarsund], petite île déserte, au bruit de la musique et des canons. Louis a pu admirer l’arrivée de 47 navires, sans compter ceux des Russes qui étaient à très petite distance ... Il paraît très enchanté de sa position, et ne dit rien du choléra qui d’après les journaux ferait de grands ravages dans la Baltique. Il pense retourner sous peu au mouillage (où est-il je l’ignore) ; on ne fera rien à Cronstad cette année, il faut attendre les chaloupes canonnières qui ne sont pas encore finies ... peut-être ira-t-on bombarder Revel ? On regarde le retour en France comme fixé au mois de septembre ; le rêve de ton cousin serait d’être libre quelques jours pour venir avec son père compléter notre réunion de famille ; je la désirerais vivement ...
Il était très fier d’avoir reçu une lettre de l’amiral Cécille, et de celle qu’il avait écrite à son commandant pour le lui recommander chaudement ; avec des protections et les circonstances favorables je commence à espérer que Louis réussira dans sa carrière. Je lui ai répondu de suite comme il me le demandait si affectueusement ; il me chargeait de le rappeler à ton souvenir. Il n’y a pas besoin d’être sur le théâtre de la guerre pour voir sa vie en danger ; notre bonne Monique a failli être tuée il y en a hier huit jours par une voiture à la porte de la maison. Le cheval lancé au grand trot l’a renversée contre le mur où elle s’est crue écrasée, on poussait des cris affreux autour d’elle, enfin on est parvenu à temps à renverser ce terrible cheval. Mais sa frayeur avait été si forte que pendant plus d’une heure cette pauvre fille est restée comme stupéfiée .... On l’avait portée chez sa nièce où les soins ne lui ont pas manqué ... On hésitait à la soigner, elle a été malade toute la semaine, mais grâce à une éruption de boutons elle va bien. Je ne puis te dire, ma chère Mathilde, combien j’étais
émue en lisant ces détails ce matin ; j’aime cette pauvre Monique comme un des membres de la famille, et si elle avait péri d’un accident pareil je n’aurais pu m’en consoler ; remercions Dieu qui l’a sauvée. Mon mari et ton père la verront lundi 31 ; le Tribunal est toujours decidé à faire ce jour-là sa descente de lieux ; ton oncle a vu hier Mr Gentil pour cela. Quant à l’autre procès Baujean mon mari fit donner il y a longtemps l’assignation, l’avoué adverse est constitué ;
il faudra que ton père réunisse les papiers, les titres concernant cette sotte affaire pour les remettre à mon mari. Il pense se rendre à la Côte dimanche soir ; si ton père était libre aussi, il serait bien que ces
Messieurs eussent le temps de se concerter avant l’arrivée du Tribunal.
Je présume que ta tante restera à St Vincent pour te tenir compagnie pendant l’absence de ton père ; je regrette beaucoup pour elle et toi le refroidissement de l’amitié Gagnon, mais le nuage est peut-être dissipé à l’heure qu’il est, ce n’est pas le premier et ce ne sera probablement pas le dernier. En l’honneur du premier jour de beau temps nous allâmes il y a dimanche huit jours passer la journée chez Melle Tisserandôt à Tornoy près Grigny, où son père à loué le château de l’ancien républicain Bertholon [?] ; ton père doit connaître cela ? Cette habi[ta]tion est très belle, tes cousines étaient bien heureuses de cette campagne qui fut une surprise ; Nancy était ravie de traverser le Rhône en bateau, tout ce qui est nouveau la transporte. Dans l’après-midi Melle Tisserandôt les fit pêcher à la ligne, autre nouveauté et juge de sa joie, du premier coup elle prit une carpe d’une livre et demie ? ... Elle poussait de tels cris que nous fûmes effrayés, nous courûmes, Joséphine aussi émue que sa sœur essayait en vain de décrocher la pauvre bête ; voilà une impression qui fera époque dans leurs souvenirs ... Comme nous n’étions pas attendus et que la bande d’amis
était nombreuse, chacun avait porté son plat, poulets, pâté etc., l’accueil le plus aimable ne nous a pas manqué plus que l’appétit et la partie a été charmante.
Voilà, ma chère petite, une lettre immense, j’ai vidé mon sac à fond ; dans ta solitude je sais que tu n’est pas trop difficile, les distractions sont rares, tu travailles donc beaucoup, je t’en felicite. Joséphine vient de me broder un magnifique col, Nancy termine les manches ; nous te montrerons ces chefs-d’œuvre. Adieu, chère petite, à bientôt, les vacances arrivent à grands pas ; je ne sais comment l’été aura passé ? ...
Donne je te prie de bonnes nouvelles de mes domestiques à leurs parents ; mes compliments à ton pere et à Mme
Pochin.
Nous t’embrassons tous.
A S
2011.02.231 | Vendredi 18 août 1854 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Berlioz devait écrire à Adèle peu après (CG no. 1783, 27 août).
Vienne 18 août [1854]
Je suis peut-être un peu en retard avec toi, chère petite, mais mon mari voulait répondre à ton père au sujet de notre procès, et comme il est assez souffrant depuis huit jours ni lui ni moi n’avons pris la plume. L’influence cholérique est très générale ici, on se soigne et se préoccupe cent fois plus qu’en temps ordinaire ; ton oncle a eu de violentes coliques, elles ont cessé maintenant mais il est au régime, et
ne mangeant pas n’a pas beaucoup de courage ; l’humidité du soir est très pernicieuse cette année. Mercredi j’étais allée à un grand diner chez Mr Tisserandôt à Tornoy et très tourmentée de laisser mon mari ; il voulut venir le soir à ma rencontre dans l’omnibus jusqu’à Givors pour me rassurer, il faisait très frais et cela a augmenté ses malaises ; j’espère qu’en évitant de nouvelles expériences il sera parfaitement d’ici à quelques jours. À quelque chose malheur e[s]t bon ; cette nuit on est venu sonner à notre porte ce qui m’a fort bouleversée, on venait chercher ton oncle pour aller faire le Testament d’un voyageur malade dans un hôtel place St Maurice. Il hésitait à y aller, mais il était facile de prouver quelle imprudence il y aurait à sortir aussi mal disposé ; on a renvoyé le domestique chez un autre notaire à ma prière, et ce
malade de cette nuit a été enterré ce matin à dix heures. J’en suis encore à ne pas le croire ? C’est un médecin de Rive de Gier mort du choléra ...... Hier à 7 heures du soir il était au café, il arrivait ...... On dit qu’il avait soigné admirablement les cholériques dans un petit village près St Chamond (il était venu ici attendre sa femme arrivant de Marseille), le pauvre homme ; Dieu lui en tiendra compte, j’espère. Je puis t’assurer, ma chère enfant, que ce matin en voyant passer ce convoi et en apprenant ces tristes détails j’ai été aussi bouleversée que le 1er jour de la République en voyant un drapeau et un bonnet rouge !! Quels horribles fléaux nous sommes condamnés à subir ?. La mort de ce médecin a fait une très vive sensation dans notre ville, la crainte de l’infection a fait précipiter ses obsèques ... Il avait sa femme avec lui, dit-on, comprends-tu cette horrible position ? Je ne saurais te parler d’autre chose, ma pauvre enfant, excuse-moi.
Mercredi notre dîner de Tornoy eût été fort agréable sans la contrarieté d’être forcée d’y aller sans ton oncle ; le temps était superbe, la réunion choisie, nous avions un ingénieur, Mr Lacordaire cousin du dominicain, homme très aimable, très original et causant beaucoup.
J’ai vu il y a huit jours notre oncle Marmion à son retour de Vichy se rendant à Avignon ; il allait à merveille, et
ne songeait qu’à faire des projets pour les vacances ... Il attendra le signal du rendez-vous général avec impatience ; je ne reçois point de lettre de mon frère, je vais lui en demander raison, je sais qu’il est à Paris par Mr Dufeux chez qui il était allé sans le rencontrer la semaine dernière ... Tes cousines ne seront en vacances qu’à la fin du mois, mais à part notre réunion à la Côte les pauvres petites probablement n’iront pas ailleurs cette année ; il faut rester chez soi, et surtout ne pas se séparer sous peine de n’avoir pas une minute de repos, toutes ces préoccupations sont bien tristes ... Notre procès en est toujours là ; il
ne se jugera pas avant la rentrée, ce que mon mari avait craint un moment et c’est pour cela qu’il avait demandé à ton père l’acte de Mr Paret afin de coordonner notre position vis-à-vis de ce dernier avec celle que nous aurait faite le jugement si mon mari en croit notre avocat (qui se garde d’en parler). La paresse de Mr Masclet pourrait nous conduire jusqu’au mois de juillet prochain, époque à laquelle nous pourrons faire expliquer Mr Paret en exigeant notre payement échu ... Personne n’a fait aucune démarche pour traiter comme ton père le croyait d’après sa lettre ; si l’occasion se montrait mon mari s’y prêterait certainement par l’intermédiaire de notre avocat. Voilà tout ce que je puis te dire à ce sujet. Adieu, chère nièce, fais nos compliments à ton père.
On nous a dit que le Général et sa femme étaient au Chevallon [Voreppe] ; fais leur nos empressés compliments. Mme Dutriac et sa fille sont à Uriage depuis quinze jours ; notre substitut Mr Callin est nommé juge d’instruction à Gap. Je sais grâce à Dieu que vous n’avez plus de cas de choléra à Grenoble.
2011.02.233 | Lundi 28 août 1854 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
La lettre de Berlioz dont il est question est CG no. 1783 du 27 août (R96.257). En mai Berlioz avait écrit à Adèle qu’il viendrait à la Côte en septembre (CG no. 1761), mais en juillet il parlait effectivement à Camille Pal de venir en octobre (CG no. 1774). Adèle avait sans doute raison de supposer que son frère avait écrit dans sa lettre à elle novembre quand il voulait dire octobre. En l’occurrence la réunion familiale pour régler la succession du Dr Berlioz aura bien lieu à la Côte en septembre (voir ci-dessous 2011.02.244). — Sur le procès Pion voir 2011.02.224. — Cette lettre est un exemple de la rapidité des courriers de l’époque: la lettre de Berlioz du 27 août de Paris arrive le lendemain à Vienne, et la lettre d’Adèle partie de Vienne le 29 août arrive le jour même à Voreppe.
Vienne lundi 28 [août 1854]
Je viens de recevoir, ma chère Mathilde, une lettre de mon frère qui me cause un grand étonnement ; il prétend avoir prévenu ton père qu’il ne viendrait qu’au mois de novembre ... Comme tu ne m’as pas parlé de cela je suppose que peut-être il s’est trompé en écrivant et aurait mis novembre pour octobre — en conséquence je viens de lui écrire sans perdre un instant pour qu’il s’explique ... Notre contrariété
serait grande à tous si notre réunion d’affaires ne pouvait avoir lieu comme nous comptions depuis si longtemps !.
Il venait de recevoir une lettre de Louis écrite avant et après le bombardement de Bomarsund ; il en est sorti sain et sauf heureusement, ton oncle a été affreusement tourmenté à son sujet.
Il vient d’échouer à l’Académie des Beaux-Arts ; pour cette présentation il avait renoncé à son voyage en
Allemagne. Voilà donc qui sera à recommencer à la première vacance ; il est de toutes les Académies de l’Europe, comme il me dit, et ne pourra peut-être jamais être de celle de France.
Le Tribunal sans crier gare a jugé notre procès, après
avoir seulement prévenu la veille les avocats que le jugement serait prononcé sans plaidoirie.
Il a ordonné que les travaux de réparation seraient faits sous la direction du voyer qui habite la Côte, et que l’entretien à l’avenir aurait lieu suivant le titre, c’est-à-dire par les Pions et Paret ... Il a mis à notre charge les trois quarts des frais du procès et un quart à celle des Messieurs Pion, et enfin il a ordonné que les réparations seraient supportées dans cette
même proportion.
Mon mari ne s’explique pas bien encore si les trois quarts des réparations mises à notre charge sont les trois quarts de la moitié que nous prétendions faire supporter aux Messieurs Pion ou si c’est les trois quarts de la totalité des réparations.
Marc attend que le jugement soit couché pour s’édifier complètement ; en attendant il se garde de soulever cette question prudemment, il se propose même dans le cas où cela serait à notre avantage de bien vite faire expédier le jugement pour qu’aucune modification ne fût possible.
Voilà donc une sotte affaire terminée.
Les choses ne s’arrangent en rien comme nous voudrions pour les vacances ; si mon frère ne vient qu’en novembre que ferons nous ? pourrons nous l’attendre ?.. quelles complications commises pour tous ... Mon oncle m’écrivait ce matin aussi et brûle de recevoir le signal ; sa
femme perd la tête de peur du choléra et voulait se sauver. On a fini par lui prouver qu’il était impossible de savoir où aller et que
le plus sage était de rester à Anjou ; la pauvre femme doit être bien à plaindre avec sa monomanie dans ce moment.
Je viens de répondre à mon oncle que nos projets étaient moins arrêtés que jamais ... Mon mari est mieux mais point complètement rétabli. J’espère que trois prises de quinine lui auront coupé sa fièvre nerveuse venue à la suite de ses coliques.
Voilà trois semaines que j’ai passé bien tristement, ma chère Mathilde ; ton oncle a des vapeurs comme une jolie femme. Je ne puis le quitter un instant sans être tourmentée ;
il sort cependant même par ordonnance du médecin ... aujourd’hui il va bien.
Si cela continue je serai peut-être au bout de mes peines .... Je n’aurais pu songer à aller à la Côte si cet état de malaise avait continué.
Tes cousines seront demain en vacances.
Adieu, chère nièce, je te transmettrai la réponse de mon frère de suite et nous aviserons alors seulement.
Nos amitiés à ton père.
Je t’embrasse
A
2011.02.244 | Mercredi 1er novembre 1854 (?) | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Cette lettre se situe très probablement après la longue et pénible réunion de famille qui eut lieu à La Côte en septembre-octobre 1854 pour régler la succession du Dr Berlioz (voir la lettre du 28 août 2011.02.233 et le commentaire chronologique).
Vienne 1er novembre [1854]
J’espérais recevoir des nouvelles de votre bonne arrivée à St Vincent avant de vous donner des nôtres, ma chère Mathilde, mais je présume que tu as été trop occupée à caser tes meubles et que de plus tu as voulu attendre ton retour de Grenoble afin de me dire ce que tu aurais appris de notre cousine. Marie [Burdet] a écrit hier à Nancy et annonce leur retour à la ville pour le dix, Ernest [Caffarel] ne repartira qu’à la fin novembre, et nous verra au passage peut-être ; sa mère l’accompagnera jusqu’à Lyon.
Nous voilà donc enfin revenus les uns et les autres à une vie ordinaire. J’ai retrouvé ma bonne et jolie chambre avec délice ; je présume, chère nièce, que tu as eu comme moi mille petites jouissances de ce genre. Malgré nos prévisions peu encourageantes au départ, notre voyage a eu lieu sans encombre, et après avoir terminé tout ce que je voulais faire avant de quitter cette triste maison dévastée, à Beaurepaire également grâce au beau temps nous pûmes aller à nos fermes, et en revenir avec force poulets, marrons etc. etc. Le petit cheval d’Antoine nous avait conduit jusque là parfaitement.
Mr et Mme Michel voulaient nous ramener à Vienne, mais je leur [ai] confié seulement Joséphine, ayant encore plusieurs personnes à voir et craignant de les gêner ; nous préférâmes garder notre modeste équipage et avoir plus de temps. Le cheval bien reposé nous ramena très bravement jusqu’à notre porte à huit heures du soir ; Joséphine était installée depuis six et avait fait faire bon feu et à souper, deux choses excellentes après une journée de fatigues. Notre chargement de meubles n’est arrivé que lundi matin et tout est maintenant en ordre autour de moi, rien n’avait été cassé grâce aux emballages de Jean.
Voila, ma chère petite, la conclusion d’un bien pénible voyage ; le mauvais état de santé de ton oncle était une douloureuse complication pour moi, la moindre contrariété lui faisait tant de mal que je ne vivais pas, tellement mon anxiété était grande de ne pouvoir lui en épargner. Pour moi mes cheveux auraient dû achever de blanchir à la suite de cette rude campagne, mais je l’oublierai bien vite si je puis me tranquilliser sur la santé de mon mari. Je le soigne comme un enfant gâté depuis notre retour, il en avait grand besoin. J’espère que dans quelques jours j’en aurai de bons résultats.
Tes cousines rentreront demain ou lundi, Joséphine a
retrouvé son piano avec bonheur, Nancy son moineau et la pension ne les effraye nullement ; leurs petites amies y sont déja rentrées.
Depuis mon retour je n’ai vu que des gens tristes, Mme Marchand désespérée de la mort de sa petite fille, Mme Alizon, les demoiselles Faure, Mme Donnat dont le mari est très gravement malade ; j’ai déjà une si grande
disposition aux idées noires que ce n’est pas ce qui me faudrait pour m’aider à distraire ton oncle. Il souffre souvent et s’inquiète encore plus souvent ; je suis bien usée, ma bonne petite, un peu de repos d’esprit me serait nécessaire, mais je n’en espère pas dans ce moment, loin de là. Depuis trois mois je n’ai pas eu trois jours de bons, sans exagération ; enfin Dieu m’aidera,
je l’espère.
Adieu, chère enfant, pourquoi attrister ta belle jeunesse pleine d’avenir ; pardonne-moi et embrasse-moi. Fais nos compliments à ton père ; tes cousines te regrettent tendrement.
Adieu, pense à nous tous
A S
R96.260.02 | Vendredi 3 novembre 1854 (?) | À son oncle Félix Marmion | Transcription littérale | — |
Voir le commentaire sur la transcription littérale de cette lettre. Dans sa lettre à Adèle du 2 novembre (CG no. 1806; R96.260.01), Berlioz disait: ‘Je lui (sc. à Louis) ai fait part du désir que vous aviez tous de le voir ; si la chose est possible, c’est-à-dire si vous étiez à Vienne et si mon oncle est à Tournon, écris-moi courrier par courrier et je vous l’enverrai. […] Suat a-t-il tiré quelque chose de la vente du mobilier ?… Quant à ce qu’il m’annonce avoir fait pour la terre, je le remercie en l’approuvant tout à fait, comme j’approuve d’avance tout ce qu’il fera.’ L’allusion au partage familial qui venait d’avoir lieu est évidente (voir la lettre précédente, 2011.02.244). — Sur le séjour de Louis chez les Suat et les Marmion voir la lettre suivante (2011.02.235).
J’ai répondu de suite à mon frère que nous attendions Louis avec impatience et que nous présumions que vous étiez à Tournon. Soyez assez bon, cher oncle, pour me renvoyer cette lettre en me répondant.
Mille choses à ma tante et à Louise [Boutaud] ; la santé de mon mari est toujours couci couci comme je vous l’écrivais dimanche tristement.
Les Pal vont bien ; il n’est pas probable que Louis aille les voir ; je n’oserais l’y envoyer (pour cause).
2011.02.235 | Mercredi 15 novembre 1854 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Il existe au Musée Hector-Berlioz dans le fonds Chapot (inventaire R96.09) une lettre de Louis Berlioz à sa tante Adèle Suat, écrite le 9 novembre 1854 de Tournon (avec quelques lignes de la main de Félix Marmion). — La lettre de Berlioz aux Suat dont il est question ici est CG no. 1812 écrite à Paris la veille et arrivée le lendemain 15 novembre à Vienne (R96.263). La transcription d’Adèle du paragraphe concernant l’amiral Cécille est exacte. — Sur les premières exécutions de l’Enfance du Christ voir 2011.02.293.
Vienne mercredi 15 novembre [1834]
Je ne sais, ma chère Mathilde, si cette lettre te trouvera encore à St Vincent, je l’y adresse croyant la prolongation de votre séjour plus probable qu’un départ anticipé ; ton père n’aime pas l’imprévu. Ta réponse à Joséphine est arrivée pendant que nous avions ici ton cousin [Louis Berlioz] ; sa visite m’a fait un plaisir immense, mais
elle a été par trop courte. Il arriva ici mardi matin [7 novembre], y repartit le lendemain pour Tournon d’où il ne me revint que le vendredi 10 pour repartir en toute hâte le samedi à deux heures sur un ordre imprévu de son commandant ; son nouveau bâtiment le Laplace s’embarquant pour la Mer Noire le 14 il n’y avait pas un instant à perdre. Je te dirai, ma chère petite, que nous avons été tous enchantés de notre jeune marin ; il est très bien et ressemble à son père d’une manière incroyable, c’est le mot, son de voix, geste, démarche, enfin un je ne sais quoi à prendre l’un pour l’autre si les cheveux du fils était aussi bruns que ceux du père ; il a une tournure et des manières de très bonne compagnie et m’a semblé avoir des goûts et des idées très aristocratiques ... Il cause bien, et raconte sans forfanterie tous les dangers qu’il a courus dans ses divers voyages ; il aime son état malgré toutes les épreuves qui en sont inséparables. Je lui crois du sang-froid, un genre de courage Anglais, si je puis m’expliquer ainsi .... L’annonce du départ pour le théâtre de la guerre en Orient l’a enchanté et moi bien attristé, je t’assure ; j’aime ce jeune homme comme je t’aime, ma fille, pour l’un comme pour l’autre je me sens un cœur de mère, et vous ne sauriez courir un danger sans m’y associer beaucoup trop pour mon repos .... Je regrettais de n’avoir pas mes quatre enfants réunis la semaine dernière, et j’avais eu (le croirais-tu ?) la stupidité d’espérer un peu que ton père nous ferait la charmante surprise de t’amener en venant à la
Côte ; ce voyage coïncidait si bien avec l’arrivée de Louis !.. La visite de ce dernier a fait grand bien à mon mari ; il est réellement bien mieux depuis lors, je respire un peu et j’en avais trop besoin après tant de sollicitudes. Il continue le traitement ordonné par son médecin.
— Mais à l’instant une lettre on ne peut
plus affectueuse de ton oncle Hector pour m’annoncer le départ de Louis pour Cherbourg et me remercier du tendre accueil que nous lui avions fait les uns et les autres. Mon oncle et ma tante l’ont comblé, mon oncle lui a donné deux cents francs ; c’est un joli cadeau venant fort à propos pour s’équiper avant une nouvelle campagne. J’en ai été aussi joyeuse que si je les avais reçus moi-même, et j’aurais voulu pouvoir être aussi généreuse.
Mon frère me raconte que l’Amiral Cécille était venu la veille leur faire une visite, dans laquelle il a expliqué à Louis avec les plus grands détails les diverses étapes de sa carrière, en l’assurant avec la plus cordiale bienveillance de l’intérêt avec lequel il la suivait de l’œil, et de son empressement à l’appuyer en toute occasion ... J’ai copié ce passage de la lettre textuellement ... Tu vois que ton oncle a raison d’être
heureux d’avoir pu obtenir à son fils un si excellent protecteur.
Le grand-duc de Weimar l’attend pour le premier janvier ; c’est son patron à lui, qui a bien son prix aussi ?... On doit jouer à Paris le 10 decembre son nouvel ouvrage la Trilogie sacrée ; il en espère du succès comme en Allemagne. Voilà de longs détails sur le père et le fils. Changeant de sujet pour abréger, chère nièce, je prierai ton père de vouloir bien remettre en avance sur nos comptes futurs 100 au père Maffi de la part de ses filles pour réparer et ajouter sa petite maison. Elles trouvent à leur convenance de faire ce placement sans intérêts pour le bien de la famille ; leur sœur de Voiron se joint à elles également. Comme il n’est pas facile d’envoyer de l’argent j’ai pensé que ton
père voudrait bien se prêter à cet arrangement pour simplifier. Je te prie alors de dire à Maffi d’écrire à ses filles après ce payement ; sa lettre leur servira de reçu et de titre pour l’avenir ......
Je pense aller peut-être à Lyon la semaine prochaine et m’occuperai de tes commissions avec le plus grand soin, tu peux y compter.
Mon mari me charge de vous dire au sujet du procès Pion qu’ils veulent en appeler malgré les conseils de leur avocat ; la signification du jugement n’a pu être faite parce que le nôtre ayant perdu sa fille unique ne veut en aucune façon s’occuper d’affaires, et qu’on n’a pu obtenir de lui la rédaction des quotités du jugement. Cependant mon mari a pénétré jusqu’à lui à grand’peine et il a été convenu que ton père enverrait les conclusions qu’il avait prises, sauf à les modifier sur celles prises par nos adversaires s’il y a opportunité de le faire. Voilà, ma chère, tout ce que je puis le mieux expliquer sur cet ennuyeux chapitre.
J’ai dîné hier avec Mesdames Dutriac, mais elles sont encore à la campagne et n’étaient venues qu’en courant pour des affaires ; les demoiselles Faure sont installées à la ville, je les ai vues aussi hier ; les unes et les autres se rappellent à ton souvenir.
Adieu, chère nièce, dis-moi si tu as commencé les rideaux en tricot, moi je me lance on ne peut mieux.
Ton oncle et tes cousines t’embrassent ; nos compliments à ton père.
2011.02.236 | Dimanche 10 décembre 1854 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
La proposition de M. Mou: sans doute une proposition de mariage à Mathilde (voir aussi 2011.02.240). — La lettre de Berlioz à Adèle est celle du 9 décembre (CG no. 1824; R96.264), la veille de la première exécution de l’Enfance du Christ à la Salle Herz; le lendemain 11 décembre Berlioz écrivit à Marc Suat pour lui annoncer le succès de l’ouvrage (CG no. 1830; R96.265). Voir aussi 2011.02.293.
Vienne dimanche [10 décembre 1854]
Je suis bien paresseuse, chère petite, mais pardonne, je ne puis écrire souvent sans en être fatiguée ; hier une réponse trop tardive à notre cousine Odile [Burdet] et une à mon oncle étaient tout ce que je pouvais faire. Aussi avais-je prié la première d’aller te donner de nos nouvelles, et te rassurer sur la réception du billet de 101 f 50 ... Elle a dû te dire que nous allions mieux, ton oncle et moi ; je commence à
reprendre les habitudes de tout le monde, à respirer un peu, il s’en faisant plus que temps je t’assure, chère nièce, car j’ai cruellement souffert depuis quelques mois ..... Aussi suis-je devenue si impressionable que ton oncle voudrait m’environner de soins les plus minutieux, les rôles sont changés dans notre ménage ; il me gâte, il se tourmente à mon sujet et fait plus qu’il ne faudrait souvent. Il faut espérer que je n’abuserai pas, et pourvu que sa maudite gastralgie le laisse au moins reprendre haleine jusqu’à
la saison des eaux de Plombières, nous nous tirerons encore de ce triste
hiver si mal commencé ... Mais je n’ose me flatter de rien et vis au jour le jour dans la crainte et le tremblement ..... ce qui ne m’empèche pas, ma chère enfant, de m’occuper de ceux que j’aime, et de toi très particulièrement ...
Ta cousine ne me disait plus un mot de la proposition de M. Mou .... j’ai hésité hier à lui en demander la raison ... puis j’avais cru plus convenable de rester sur la réserve .... il paraît cependant d’après ta lettre qu’on revient à la charge ... a-t-on donné de meilleurs renseignements d’argent ? Passe encore sur la cohabi[ta]tion avec la mère, comme tu le dis très sérieusement il y a des mais partout, mais les revenus
étaient plus que médiocres, sans état ... et les dettes du père, cela me semble louche. Va doucement, ma fille, ton avenir est long, ta position bonne, ne t’inquiète pas, ta mère veille sur toi, et souvent au moment où l’on croit le moins au bonheur il vous arrive ... Je te comprends, et te blâme beaucoup de ton peu de foi en ton étoile. Tiens-moi au courant de toute cette importante affaire ... les V... ne se sont donc point avancés ? On dit que Mr Boscati [?] est nommé substitut à Gap ; peut-être l’autre viendra-t-il le remplacer ici .. et il attend ....
Je viens de recevoir une lettre de mon frère qui à l’heure qu’il est donne son concert, le cœur me bat en songeant à ses émotions du moment. Que je voudrais qu’il eût un brillant succès ! Il aurait grand besoin de cela pour le remettre des sollicitudes que son fils vient de lui donner. Par une fatalité inouïe, et des incidents qu’il serait trop long d’énumérer, il était arrivé après le départ de son navire à Cherbourg !.. On lui donna l’ordre d’aller à ses frais le rejoindre à Toulon .... Tu peux te figurer l’inquiétude de son père à cette occasion ... l’Amiral [Cécille] est intervenu, enfin le voila embarqué ... mais ses effets avaient été laissés à son insu à Cherbourg sur le Stationnaire .... il croyait les retrouver sur le Laplace à Toulon ; juge de sa désolation en se voyant obligé de partir pour une rude campagne sans effets que le peu qu’il avait dans un sac de nuit, et surtout sans manteau ! Ce malheureux enfant me tourmente plus que tu ne saurais l’imaginer ..... S’il a été étourdi, il paye cruellement sa peine. Que les fils donnent donc de
tourments, et je remercie Dieu de ne m’en avoir point donné .... Raoul [Boutaud] est en route pour revenir en France au camp de Lyon, son régiment du moins, et lui ira à Saumur probablement. J’ai lu dans le Salut public d’avant-hier beaucoup de détails sur le passage à Turin du 11ème ; cependant sa mère n’a point de lettres de lui et s’inquiète excessivement de ce silence. Le service de la poste est mauvais en Italie, prétend mon oncle, et cela explique ce retard ... La pauvre Mme Boutaud a dans ce moment pour surcroît de préoccupation son cousin Marc Rocher très malade chez elle ; Mr Mme Hypolyte et Brin [?] y sont depuis jeudi ... Voilà encore un jeune homme qui ne laisse pas un moment de repos à sa famille ... Mme Laroche doit être bien tourmentée. S’il se rétablit on l’emmènera à tout jamais planter ses choux à la Côte ... comment faire mieux ? .. Mme Amélie
n’allait pas trop bien et le voyage ne la guérira pas de ses idées noires. Mon mari vous fait ses amitiés et prie ton père de voir Mr Picot pour notre affaire de moulin ; il a fait une pétition en arrivant ici, et n’en a point de réponse. Ton père nous obligerait beaucoup de vouloir bien obtenir une réponse écrite pour faire titre, si cela est possible ; mille pardons de la peine. Notre avocat a empêchement sur empêchement et cela retarde notre malencontreux procès Pion, ce dont j’enrage. Adieu, chère petite, merci de tes offres de soins. J’y compterais bien mais il faut espérer que nous n’en aurons pas besoin ... Je t’embrasse, Ad(èle).
On a parlé de cas de choléra dans le midi et ma tante effrayée a écrit pour bien savoir la vérité ; ils devaient partir hier, leurs malles sont déjà en route, que feront-ils ? ........
2011.02.238 | Vendredi 22 décembre 1854 | Joséphine et Adèle Suat à leur cousine/nièce Mathilde Pal |
Transcription littérale | (Image) |
La lettre de Berlioz à ses nièces dont il est question à la fin de la lettre de Joséphine et de celle d’Adèle est CG no. 1853 du 19 décembre. La lettre a effectivement été ‘religieusement conservée’ (mais avec une déchirure en haut) et fait maintenant partie de la collection Chapot au Musée Hector-Berlioz (R96.266). Nous reproduisons une image de cette lettre ici.
[De la main de Joséphine Suat]
Je viens vite te remercier, chère cousine du joli cadeau que tu nous a envoyé. Tu es vraiment trop bonne : tu nous brodes de charmants mouchoirs de poche ; tu nous envoies des robes superbes ; tu ne nous oublies jamais. Nous avons été très surprises en arrivant de la pension, de voir cette robe sur le lit de maman. Nous en désirions beaucoup une pour cet hiver, on allait arranger à Nancy notre rose et noir, et à moi la robe changeante et à mille raies que j’aime tant comme tu sais. La tienne ne pouvait venir plus à propos ; mais elle est si jolie, qu’il faut absolument que tu te maries pour l’inaugurer ; maman nous fait un chapeau blanc pour cette occasion. Dépêche-toi, ne nous fais pas trop attendre. Maman nous a déjà donné notre cadeau du jour de l’an ; c’est un manchon en petit-gris, doublé de satin gris et que nous désirions depuis deux ans. Nous sommes donc très contentes de tout cela, chère cousine ; nous ne nous attendions à rien cette année, et nous sommes très agréablement surprises. Il faut à présent que tu viennes nous voir ; voilà l’hiver, et tu te souviens de ta promesse. Tu sais aussi que je t’aime bien, et qu’il me tarde de te revoir.
Papa et maman sont toujours un peu souffrants ; il y a cependant un grand mieux. Le mauvais temps de ces jours derniers les avait un peu fatigués ; mais le froid qui revient, les rétablira j’espère. Maman aurait besoin de distraction ; il faut venir, tu la guériras, j’en suis sûre.
Tu apprends à danser, chère Mathilde et moi à chanter ; je veux devenir ce qui s’appelle une musicienne, et j’aurai de jolis morceaux à te jouer à ta prochaine visite.
Ta tante Félicia doit être une grande ressource pour toi ; tu dois la voir souvent. Ta couverture est-elle finie ? celle de maman est très avancée ; elle a remonté ses fleurs qui font une
très jolie corbeille.
Adieu, chère cousine, je te remercie un million de fois, et je t’embrasse autant. J’ai peur que tu sois obligée d’emprunter les lunettes de ton père pour lire ma lettre.
Ta cousine qui t’aime
J
P.S. Tu nous demandes si nous n’aurons pas assez d’ouvrage pour notre robe mais il y en a énormément, je te remercie, il en restera même.
Mon oncle Hector nous a répondu hier une lettre charmante, il a poussé la bonté jusqu’à ce point. Nous en sommes très heureuses aussi nous la conserverons religieusement.
[De la main d’Adèle Suat]
Je te prie de gronder ton père, ma chère Mathilde, de faire de si beaux cadeaux à mes filles, ses robes sont charmantes et je le remercie beaucoup ainsi que toi de cette aimable attention. Si tu avais vu leurs tranports de surprise et de joie tu en aurais ri ... Nancy était folle. Nos santés s’améliorent, chère nièce, mais je ne puis pas sortir des impressions tristes ; hier la mort d’une dame qui demeure en face de chez moi m’avait bouleversée, Mme Turin la tante de Mme Léon Teissier, une mère de cinq enfants, un mari à peu près paralytique ... Cette malheureuse femme est morte en trois jours d’un transport au cerveau ; elle était folle à l’attacher, quatre hommes ne pouvaient la retenir dans son lit, c’était affreux ; cette famille fait pitié pitié. Je ne sais pourquoi je te parle de cela, chère nièce ... Ton oncle nous a écrit hier une lettre délicieuse, des lettres plutôt ... il a eu 500 f de bénéfice et aura bien davantage probablement au second concert ... c’est réellement un succès. Adieu, chère nièce. Je n’aime pas les mystères de Mr Mou ..
Je t’embrasse tendrement
A S
2011.02.240 | Jeudi 4 janvier 1855 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Sur Sophie Munet voir R96.864. — Sur les propositions de mariage à Mathilde Pal voir aussi 2011.02.236. — On connaît deux lettres de Berlioz aux Suat de la fin décembre 1854, une à Adèle du 27 ou 28 (CG no. 1865; R96.267), et une à Marc Suat du 31 (CG no. 1867; R96.268). La paraphrase que donne Adèle de la lettre d’Hector ne correspond qu’en partie au contenu de ces deux lettres prises ensemble; par exemple la lettre à Suat parle d’être de retour de Bruxelles le 20 janvier et non d’y être à cette date, et la lettre à Adèle parle de l’article de Théophile Gautier paru le 28 décembre mais ne dit rien de Scudo et de la Revue des deux mondes. Y aurait-il eu une autre lettre d’Hector à Adèle, plus récente et contenant d’autres informations, mais maintenant perdue?
Vienne 4 janvier 1855
Je te remercie, chère nièce, de tes tendres souhaits de nouvel an pour moi et tous les miens, je te les retourne très affectueux et très multipliés de moitié avec ton père ; espérons que nos santés et nos affaires nous donneront moins de sollicitudes. Je suis allée passer les derniers jours de cette pénible année à Lyon pour revoir mon médecin et de plus faire arracher un sur-dent à Josephine, corvée que je redoutais horriblement ; je me sens soulagée qu’elle soit faite. Ma visite à ma pauvre amie Mme Munet me peinait aussi beaucoup ; je l’ai trouvée encore plus désespérée que je ne le pensais. D’autres visites d’amis m’ont un peu fait diversion et j’en avais besoin. J’ai rencontré Mr Boutaud à mon hôtel qui m’a donné de bonnes nouvelles de sa femme et de son fils [Raoul], lequel était arrivé à
Tournon depuis trois jours et il allait l’accompagner à Saumur le lendemain ; j’espérais donc voir ce beau dragon, mais il a malencontreusement prolongé d’un jour son séjour près de sa mère et je l’ai manqué ainsi.
=
Parlons vite maintenant, chère nièce, de ta grande affaire manquée pour une cause si imprévue ; j’en suis très contrariée puisque cela te convenait, le jeune homme m’avait
semblé bien, et la fortune était convenable ; cette pauvre mère est bien malencontreusement venue se mettre à la traverse. Tu me raconteras cette affaire en détail à ta prochaine visite sur laquelle je compte positivement, chère petite, d’après ce que tu écrivais à Joséphine ; mais il me la faut de quelques jours au moins, ou je n’en veux point .... Mon mari va pas trop mal maintenant, il irait mieux encore si mes idées noires ne le peinaient pas ; il me gâte outre mesure pour m’en distraire. Il m’a fait venir un superbe
manteau pour mes étrennes ; son attention m’a touché plus que je ne saurais te dire .... mais je suis toujours dans un état d’ébranlement nerveux très pénible, dans le genre de ce que Mme Hypolite éprouvait pendant notre séjour à la Côte.
À propos de la Côte, nous avons appris ce matin que nos
granges ont failli brûler ... celles de Mr Paret et la petite maison de charité ont été consumées. Tu peux croire, chère nièce,
que je regrette fort que le dommage ne soit pas tombé sur notre caserne ; les assurances nous auraient bien payé et tout aurait été pour le mieux ; nous n’avons point de chance.
J’ai reçu hier une lettre de ton oncle Hector ; il est accablé de demandes pour aller monter son dernier ouvrage à Londres, à Bruxelles, en Allemagne et ne sait comment tout concilier. Enfin il sera le 20 à Bruxelles pour commencer, puis le Théâtre Italien lui fait des offres pour la Semaine Sainte etc. etc. etc. De ce brillant succès il résultera bien aussi des résultats d’argent à ce qu’il paraît. Il y avait vendredi dernier un feuilleton de Théophile Gautier sur la Presse qui était un éloge d’un bout à l’autre ; il n’y a que la Revue des deux mondes qui l’injurie, c’est le mot, d’une manière scandaleuse ..... c’est de la haine furieuse et il ne sait pas pourquoi ?... Ne connaissant nullement Mr Scudo qui fait les articles Musique, mon oncle Marmion était exaspéré de ce style, à ce qu’il m’écrivait hier ..... il avait su par des lettres de
gens de Paris très bien informés que le succès avait été incontesté
et incontestable, cependant.
Ma tante allait bien comme lui ; il me demandait beaucoup de tes nouvelles, il se plaignait de n’en recevoir jamais que par moi, chère petite paresseuse. Mme Maistre était venue les voir, et reviendra passer quelque temps à Montpellier avec Flavie, qui ne se marie pas non plus ; elle a le droit comme toi d’être difficile et on aime mieux attendre .... Je te prie d’aller de ma part faire une visite à notre bonne cousine Odile [Burdet] pour lui faire mes souhaits de nouvel an, et la féliciter de la nomination d’Auguste à Lons-le-Saulnier. Tu lui diras de m’excuser si je ne lui écris pas, mais une lettre est une fatigue pour moi souvent très grande ...
Mr Almaros vient d’être décoré, je crois qu’il en sera bien aise ; mes compliments à sa femme si tu la vois .. ne m’oublie pas auprès de Melle Clappier non plus, je te prie.
Adieu, chère nièce, nous t’embrassons tous très
affectueusement.
A S
2011.02.263 | Vendredi 9 février 1855 (?) | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Suite à cette lettre Mathilde Pal fit un séjour à Vienne en février ou mars 1855 comme la lettre suivante le montre (2011.02.241).
Vienne vendredi [9 février 1855 (?)]
Pourquoi n’arrives-tu donc pas, chère nièce, en vain depuis huit jours j’attends une lettre qui m’annonce celui fixé pour ton voyage .... et rien encore ce matin .. Je m’impatiente, tes cousines se désolent, ma société s’irrite ... Il est question d’un
pique-nique, le sort veut qu’il soit chez moi et je ne veux pas fixer rien sans toi ... D’après ta lettre je croyais que tu serais ici à l’heure qu’il est ; tous les matins j’attends le facteur en vain, les provisions, les invitations en souffriront ; les derniers jours du carnaval il y a complication. On parle de deux soirées la semaine prochaine, tu seras cause peut-être que rien ne s’arrangera bien pour personne ; réponds-moi donc vite, nous aurions voulu la soirée lundi. Tu aurais le temps si demain tu m’écrivais que tu m’arrives dimanche, sinon il faudrait renvoyer à mercredi 14 ; encore on ne sait si ce jour sera libre ?
Ton oncle est à la Côte et à Beaurepaire depuis deux jours ; il ne reviendra que dimanche matin. Il avait compté sur toi pour me tenir compagnie en son absence ; tu as laissé revenir la neige et les mauvais chemins maladroitement. Ton père saisira peut-être ce prétexte pour te retenir jusqu’au Carême ; je ne puis te dire, chère petite, combien je serais contrariée de ce retard, ta visite arriverait si bien ces jours ci, je comptais sur toi avec tant de plaisir ..... Le bal Giroux a-t-il été retardé, est-ce la cause de ton silence ? Je me perds en conjectures, courrier par courrier il me faut une réponse. J’espère un peu que celui de demain éclaircira tout cela, en attendant adieu, je suis de mauvaise humeur, tous mes projets, mes plans sont contrariés et je ne saurais te dire autre chose. Je t’embrasse par grande faveur, et ne veux pas faire d’amitiés à ton pere s’il est la cause de ce retard si prolongé, comme je l’en accuse ...
Adieu Adèle
Apporte tes toilettes de bal à tout hasard.
2011.02.241 | Dimanche 1er et lundi 2 avril 1855 | Joséphine et Adèle Suat à leur cousine/nièce Mathilde Pal |
Transcription littérale | — |
Le séjour de Berlioz à Bruxelles pour y faire exécuter l’Enfance du Christ avait duré du 12 au 29 mars.
[De la main de Joséphine Suat]
Vienne 1er avril (18)55.
Il nous tardait, chère Mathilde, de savoir de tes nouvelles, et si tu avais fait bon voyage, aussi, ta lettre était attendue avec impatience. Ton départ nous a rendues bien tristes je t’assure ; nous nous étions si vite habituées à t’avoir au milieu de nous, que ton absence nous fait un grand vide, nous nous trouvons seules à présent ; mon père n’est pas encore de retour, nous l’attendions aujourd’hui, ou au moins une lettre qu’il devait écrire dans le cas où il prolongerait son
séjour ; il n’est pas arrivé et il n’a rien fait dire, j’espère qu’il sera ici demain matin.
Maman est toujours très enrhumée ; elle n’est sortie que pour aller à la messe, et pour faire ta commission. Mr Gentil est parti aujourd’hui pour Grenoble, ce qui est fort contrariant. Ta coupe est emballée dans une caisse, mais il faudra attendre une occasion, ou, si tu le préfères, maman te l’enverra par la diligence ; elle a pris du vernis blanc, ce que la marchande lui a conseillé, et une planche fort jolie ; en faisant ta potiche il faudra bien appuyer la main en collant et faire attention à ce que ta gomme soit de bonne qualité et ni trop claire ni trop épaisse. C’est un article important. Il serait même bien de tremper chaque dessin dans l’eau avant d’y mettre la gomme. Tu auras soin encore d’espacer les dessins les uns des autres et de ne pas te guider sur la planche qui est très serrée pour pouvoir en contenir davantage. Quand tu auras collé tous tes petits papiers, en ayant soin de mettre les objets les plus mignons, tels que les papillons, les mouches etc. sur les endroits non plats de ton suspensoir, il faudra repasser une autre couche de gomme sur tout l’intérieur du verre sans craindre de le barbouiller, puisque le vernis fait disparaître tout cela. Dernière observation et la plus essentielle. Après avoir collé tous les dessins, tu devras les laisser sécher pendant 2 ou 3 jours avant de mettre le vernis. Voilà, ma chère Mathilde une pancarte d’avis qui te guideront, ton bon goût et ton adresse feront le reste. Maman t’envoie également les cordons. Tu trouveras peut-être le tout un peu cher, maman t’avait dit que sa marchande de modes donnait à moitié prix ; elle y est allée, mais il n’y avait que des vases et point de suspensoirs. Il me tarde, ma chère, de voir ton ouvrage qui sera je crois fort joli ; pour une dizaine de francs tu t’en passeras la fantaisie. J’ai le projet d’apprendre aussi, et de faire une grande coupe de dessert et celle de nous deux qui réussira le mieux, la concurrence est ouverte.
Adieu, chère et bonne cousine, nous ne t’oublions pas, et nous t’embrassons toutes trois bien tendrement.
Joséphine.
Léonie, que je viens de voir me charge pour toi d’un gros baiser.
[De la main d’Adèle Suat]
Lundi [2 avril 1855]
La lettre de Joséphine n’ayant pu partir hier soir, chère nièce, je la reprends ce matin après l’arrivée de mon mari pour te faire ses amitiés et les miennes. Ma solitude m’a paru longue ; tu me fais un grand vide, chère nièce, on s’accoutume si vite à être ensemble et il en coûte beaucoup de se séparer, mais je comprends aussi combien il tardait à ton père de te retrouver.
Ton oncle [Marc Suat] a fait bon voyage à la Côte et à Beaurepaire, en voilà j’espère pour quelques mois maintenant ... Monique n’allait pas mal de l’avis même de Mr Rabin ... Mmes Laroche et Rocher très bien ... On parlait beaucoup de la banqueroute énorme de Mr Gourjin [?] qui ne m’a nullement étonnée, mais peinée pour sa femme et sa
famille ; Mme Blanc y avait trente mille francs, mais sous la caution de Mr Victor Blanchet elle ne perdra rien heureusement.
Point de nouvelles toujours de notre oncle [Marmion] ; Mme Almiros est partie pour Paris, et m’a écrit pour me prier de demander à mon frère un billet pour les concerts du Conservatoire. Je vais lui écrire pour cela ; il est de retour de Bruxelles depuis deux jours. Adieu, chère petite, je t’enverrai
demain par la diligence ta potiche, la caisse serait un peu volumineuse pour en charger quelqu’un.
Tu auras du vernis de reste et des dessins également ; Léonie doute de ton succès n’ayant pas le moyen de te faire montrer ; elle me charge de mille souvenirs très affectueux pour toi.
Je reçois à l’instant quelques lignes de mon oncle ; il m’annonce qu’ils vont bien et arriveront aujourd’hui 2 avril à Tournon. La pauvre Mme Donnat a son enfant très malade de la scarlatine ! .......
2011.02.243 | Mardi 6 mai 1856 | À son neveu J.-A. Masclet | Transcription littérale | — |
Mathilde Pal avait épousé Jules Masclet le 17 décembre 1855. Leur fils Camille naîtra le 20 septembre 1856. — L’installation de Berlioz au 17 rue de Vintimille eut lieu le 15 avril 1856; Berlioz avait informé les Suat de son déménagement dans une lettre à Marc du 1er mai qu’Adèle avait visiblement sous les yeux (CG no. 2123; R96.301).
Vienne 6 mai [1856]
Je m’empresse, mon cher neveu, de répondre à votre affectueuse lettre, et de vous faire mon sincère compliment sur la grossesse de Mathilde ; je comprends toute la joie que vous devez en éprouver l’un et l’autre ; un début aussi heureux doit vous rassurer pour les suites. Soignez bien cette chère nièce, ne lui laissez point faire d’imprudence. J’aurais hâte de savoir Madame votre Mère de retour à Grenoble pour vous aider de ses conseils dont vous devez avoir besoin dans cette circonstance ;
il ne faudrait peut-être pas trop abuser des courses en voiture, au
commencement surtout.
Consultez ma cousine [Odile] Burdet de temps en temps ; elle ignorait encore quand elle est venue nous voir cette grande nouvelle. On m’en avait parlé de plusieurs côtés, mais je n’y croyais pas présumant que Mathilde m’en aurait écrit, connaissant la tendresse toute maternelle que je lui porte, mais je comprends maintenant qu’elle préférait attendre une certitude complète. Mon mari et mes filles se joignent à moi pour lui faire leurs plus tendres félicitations et vous remercier tous deux de l’empressement que vous auriez à nous recevoir si vous étiez à votre ménage ; nous vous verrons cet automne chez ma cousine certainement.
Je ne sais encore si je serai forcée d’aller à
Plombières, j’espère que non, mais dans le cas contraire je remettrais Joséphine avec sa sœur en pension comme l’année dernière, les leçons ne seraient point interrompues, je serais très tranquille. Ma fille est fort raisonnable et m’engage à ne pas hésiter à reprendre ce moyen qui est le plus simple sous tous les rapports.
Veuillez, mon cher neveu, remercier votre femme des offres empressées qu’elle a bien voulu me faire à cette occasion ; si je ne puis les accepter je n’en suis pas moins reconnaissante, croyez-le bien.
Mon frère est à Paris dans ce moment ; il a changé d’appartement à son grand regret, mais on lui demandait une augmentation si énorme qu’il n’y avait pas à hésiter. Il en a un maintenant très très petit au cinquième Rue Vintimille 17 et que je trouve encore dans ces conditions-là d’un prix fabuleux. Les propriétaires de maisons doivent se faire cette année à Paris de beaux revenus ; il faudrait bien qu’elles eussent un peu de
cette valeur à la Côte. J’en ai reçu des nouvelles ce matin, la gelée n’y a pas fait le mal que nous redoutions, grâce à Dieu ; espérons que le soleil va enfin nous revenir comme il doit être au mois de mai.
Adieu, mon cher neveu, embrassez bien votre femme de ma part ; il me semble que mes cheveux vont blanchir encore un peu plus vite maintenant que je vais être une respectable grande tante, c’est effrayant ... mais je n’en suis pas moins votre bien affectionnée et toute dévouée
A Suat
2011.02.246 | Lundi 23 juin 1856 | À son frère Hector Berlioz | Transcription littérale | Image |
Berlioz avait écrit à Adèle le 14 juin, une semaine avant l’élection à l’Institut (CG no. 2139; R96.304), et lui écrivit de nouveau le 22 pour annoncer son succès la veille (CG no. 2141; R96.305). Sa lettre arriva le lendemain à Vienne et Adèle y répondit sur le champ. Cette lettre d’Adèle n’était pas connue des auteurs de la CG (tome V, p. 322-3); c’est une des rares lettres d’Adèle à son frère à avoir survécu (on se demande par quel cheminement elle s’est retrouvée dans la collection Reboul). — Sur les Suat et Louis Berlioz voir 2011.02.136.
Vienne lundi 23 juin [1856]
Que je t’embrasse donc après tout le monde, cher frère, puisque à la distance où nous sommes je n’ai pu le faire avant. Enfin .. Enfin justice est faite, te voilà membre de l’Institut.
Le facteur vient de me remettre ta lettre au moment même où mon mari heureux de m’apporter cette bonne nouvelle, accourait le journal à la main ... Je redoutais ce matin de m’informer, mon anxiété était si grande que j’aimais mieux attendre sans aller au devant d’une déception. Je m’impatientais
d’espérer !!.
Josephine avait rêvé avant-hier que tu étais nommé ; la voilà triomphante ... Que ne sommes nous plus près, cher frère, pour nous réjouir en famille, quel beau bouquet tes nièces t’auraient porté aussi, à quel bon petit dîner j’aurais voulu te convier avec force Champagne pour boire à la santé du nouvel Élu.
Tes amis sont plus heureux que nous, cher frère, à cette occasion, je leur envie les premières embrassades, et la
charmante inspiration d’orner ton escalier de fleurs ... Je comprends si bien l’émotion de ta femme que jamais je n’aurais eu le courage d’aller sur les lieux attendre ma sentence ... tu étais plus calme qu’elle certainement ... prie-la d’accepter mes sincères compliments.
Louis doit se réjouir aussi à l’heure qu’il est de ton succès ; il m’a répondu de Marseille à mon offre d’argent en me demandant 150 f que je lui ai envoyés vendredi (20) ; il attendait de Bordeaux un grand navire sur lequel il va s’embarquer pour les Indes avec le titre de Lieutenant, mais il ne dit pas avec quels appointements ?.. Il paraît assez raisonnable, et assez satisfait dans cette lettre, ce qui ne lui arrive pas souvent ... que Dieu le garde dans ce long voyage.
Je vais écrire à notre oncle que j’ai quitté jeudi très impatient de savoir comme moi si tu réussirais.
Adieu, cher frère, Marc veut une mention très particulière auprès de toi à cette occasion ; Joséphine et Nancy en sautaient de joie, elles t’embrassent à t’étouffer, et moi pour t’achever je ne te ménage pas ; mille choses encore à ta femme.
Toute à toi toujours
A S
Il reste à Louis environ 500 f
R96.856.2 | Samedi 2 août 1856 | Deux pages d’un journal ou mémoire | Transcription littérale | Image |
Sur le séjour d’Adèle à Plombières en juillet-août 1856 et sa rencontre avec son frère Hector, voir aussi la lettre de Nancy Suat à Mathilde Masclet du 8 août 1856 (2011.02.327). Une lettre de Berlioz à Odile Burdet fait allusion à ce même séjour (CG no. 2156bis [tome VIII], 29 juillet 1856): ‘Nous sommes arrivés ici il y a 8 jours ma femme et moi, et nous y avons trouvé ma sœur et son mari. Juge de notre joie réciproque et des rudes parties de plaisir que nous accomplissons chaque jour, par un soleil d’Austerlitz, en char à bancs ou en âne, ou à pied (mais non sans ânes, il y en a toujours dans les sociétés de Plombières comme ailleurs). Et puis l’Empereur qui fait perdre à tout ce monde son peu de cervelle, les paysans qui se font bénir, les goûters ou les dîners sur l’herbe donnés par Sa majesté, les bals champêtres, les farces et le lait.’ — Sur Vivier le corniste, souvent mentionné par Berlioz dans ses feuilletons du Journal des Débats, voir celui du 9 septembre 1856 sur ses représentations à Plombières et la soirée chez l’Empereur: ‘Trois jours après, soirée intime chez l’Empereur, où Vivier a produit ses charges les plus inouïes, ses ingénieux proverbes semi-lyriques, ses idylles soldatesques, enfin tout son grand répertoire. Jamais soirée ne fut plus gaie ; S. M., qui cédait comme ses invités à une irrésistible hilarité, a plusieurs fois complimenté le spirituel violoniste-acteur-pianiste-mime-chanteur sur l’incomparable originalité de composition de ses scènes et sur la verve qu’il mettait dans leur exécution.’ — La lettre de Berlioz à laquelle la fin de la lettre fait allusion semble perdue.
2 août 1856
Réunion dans notre chambre à Plombières avec mon frère, sa femme, Mmes Boutaud, Maisonnolée, Chevrier, Porcher, Cuvillier-Fleury ... Mr Vivier, artiste de Paris très distingué et ami de mon frère, a fait les honneurs de la soirée ; il a joué des scènes comiques avec un esprit, une verve à mourir de rire, il faisait parler son violon, imiter le chant des animaux, et jusqu’aux plaidoiries des avocats. Il a chanté des romances délicieuses et très touchantes ; il passait d’un genre à l’autre avec une facilité qui confondait, aussi les applaudissements étaient étourdissants.
La première scène a été celle du Cabinet de lecture.
La seconde la Leçon de natation du sergent, c’était à se rouler par terre, puis est venue celle du Monsieur qui manque le bateau à vapeur et qui finit par être condamné à mort prevénu d’assassinat, rien n’est [aussi] amusant malgré cette fin tragique que cette scène ... La Romance du muletier était ravissante de sentiments — celle du ruisseau également ...
Après le thé autre charge, le Soldat en Afrique, les rires redoublaient à un tel point que la foule s’arrêtait sous nos fenêtres, et que la police s’inquiétait.
Le Mendiant espagnol a terminé la soirée, c’était le bouquet du feu d’artifice ... j’oubliais encore le Musicien ambulant, et l’Aveugle.
Enfin, tout le monde était ravi d’un talent pareil ; cette soirée fera époque dans les souvenirs de ceux qui y ont assisté.
Je tiens à me rappeler les détails afin que de ne rien en oublier.
Mr Vivier s’est fait entendre le lundi
suivant chez l’Empereur qui a fait des rires aussi fous que les nôtres. Mon frère y était et m’a raconté des détails de cette soirée, dont Sa Majesté faisait les honneurs comme un maître de maison ordinaire avec une affabilité parfaite.
2011.02.225 | Dimanche 14 décembre 1856 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Camille Masclet été né le 20 septembre 1856. — En décembre Berlioz avait envoyé à ses nièces un exemplaire de l’édition allemande des Nuits d’été avec aussi des paroles françaises; cf. CG nos. 2185 (15 novembre; R96.314), 2194 (18 décembre; R96.315). Joséphine et Nancy écrivirent à Berlioz pour le remercier et Berlioz leur répondit le 1er janvier 1857 dans une lettre délicieuse (CG no. 2198; R96.316) dont nous reproduison l’image à la suite de celle de cette lettre. Sur le sac brodé voir ci-dessous la citation de CG no. 2238.
Vienne dimanche 14 décembre [1856]
Je reçois ta lettre, chère nièce, au moment où je me disposais à t’écrire pour m’informer de vos nouvelles ; j’avais appris hier indirectement que la nourrice de ton petit garçon avait été très malade et que tu avais été forcée de t’en procurer une autre ; inquiète de ce changement pour le pauvre enfant j’avais hâte de savoir comment il l’avait supporté.
Je ne me doutais pas de la complication de sollicitudes que tu avais eue dans le même moment, chère nièce, c’était trop à la fois ; enfin grâce à Dieu ton mari n’a pas été plus gravement malade et le marmot va bien. Je comprends que tu ne devais savoir où donner de la tête ; je regrette beaucoup cette femme de Soutanil, elle m’avait semblé bonne nourrice et gentille à avoir dans la maison. Je désire que celle qui la remplace soit aussi bien sous tous les rapports ; tu me diras mieux ce que tu en penses dans ta prochaine lettre.
Je n’ai pas très bien compris vos projets de séparation ; prendrez-vous un appartement l’hiver prochain ? ou resterez-vous encore chez ton beau-père ou chez ton père ? Tes explications n’étaient pas très claires, tu avais trop de choses à m’apprendre pour entrer dans les détails.
Je n’avais point de nouvelles de ma cousine [Odile Burdet] depuis longtemps et la pauvre femme n’a pas été sans embarras non plus ; dis-lui je te prie mille choses de ma part ; elle doit attendre Ernest [Caffarel] prochainement. Mon oncle et ma tante l’auront encore trouvé à Montpellier ; ils sont partis mercredi laissant à Tournon toute leur famille assez bien portante, même
Mr Bergeron un peu mieux. Mme Boutaud attend Raoul pour ses étrennes avec un galon à sa manche ; il ne voulait
pas revenir sans cela en congé ; il prend sa position à cœur. Je félicite beaucoup ton mari, chère nièce, de son projet de se créer une position de travail ; encourage-le dans cette voie, plus tard vous vous en féliciterez l’un et l’autre dans l’intérêt de vos enfants. À propos d’enfant tu sais peut être déja que Mme Ausias [?] est accouchée ici d’un garçon vendredi dernier ; huit jours après être arrivée, elle a peu souffert, et va à merveille. On baptisera le nouveau-né ce soir, son mari grâce au télégraphe a pu arriver ici quelques heures seulement après la délivrance de sa femme.
Emy est très heureuse de sa nouvelle dignité de tante ; mes filles regrettent tous les jours que ton petit garçon soit si loin, elles seraient si contentes de le caresser et le porter à qui mieux mieux. Tu sais comme elles adorent les poupons ; est-il toujours aussi mignon ?
Madame Couturier voudrait bien le pareil ; elle n’est toujours pas grosse à sa grande désolation. Elle est encore à Chasse ainsi que sa mère mais reviennent cependant cette semaine ; son mari vient de vendre sa propriété de St Julien à sa grande satisfaction, mais à présent comme le tien il songe sérieusement à s’occuper ailleurs.
J’ai reçu ce matin de la musique pour Joséphine de la part de ton oncle Hector ; il est rempli d’attentions aimables pour mes filles, aussi elles travaillent avec zèle depuis un mois à lui broder des pantoufles et un sac de voyage avec son chiffre. Joséphine veut joindre à l’envoi un pâté froid de sa façon sachant que son oncle les aime fort. Elle fait des tourtes aussi dont elle voudrait te faire juger ; les journées ne sont pas assez longues pour elle, son Italien, son chant, son piano et le reste l’absorbent
complètement ; je viens de la forcer à venir avec sa sœur promener un
peu au beau soleil .... Maintenant je te quitte, chère nièce, pour aller à Vêpres et au sermon ; nous allons avoir cette semaine une retraite prêchée pour les dames dans la chapelle de l’hôpital par le
père Ducreux de Lyon, et il faut bien assister à l’ouverture ce
soir. Adieu donc, chère Mathilde, mille choses très amicales à ton mari ; ton oncle t’embrasse ainsi que tes cousines ; elles n’oublient pas le poupon. Adieu, adieu.
2011.02.226 | Lundi 20 juillet 1857 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Sur le séjour des Suat à Plombières en 1856 voir R96.856.2. Dans une longue lettre à Adèle du 4 août Berlioz donne un récit détaillé de son séjour de 1857 (CG no. 2238; R96.326); il mentionne la présence de Mmes Boutaud et Blachier, et termine ainsi sa lettre: ‘Le beau petit sac de voyage brodé par mes nièces a fait son premier service; nous en sommes enchantés’ (voir 2011.02.225).
Vienne lundi 20 juillet [1857]
Je suis bien aise, chère nièce, que tu ailles un peu cette semaine respirer le bon air de St Vincent, avec l’affreuse chaleur que nous avons ton petit Camille y sera mieux qu’a la ville, ce joli mignon aurait besoin de se fortifier à la montagne jusqu’à l’automne ; il te donnera des sollicitudes étant en retard pour sa dentition.
Tout le monde me dit des merveilles de sa beauté ; on m’assure que c’est tout le portrait de sa grand-mère Nancy et je ne puis te dire, chère nièce, combien j’ai hâte de juger de cette ressemblance si chère à mon cœur, comme au tien sans doute ?.. J’avais très spécialement chargé Emy de le regarder avec soin pour m’édifier sur ce point, et elle m’a confirmé l’opinion
de notre cousine ; mais comme cette dernière aussi elle te trouve bien maigre, cela me préoccupe, soigne-toi donc mieux, mon enfant, à present que mère de famille à ton tour tu es nécessaire à plus de gens et à plus de choses. Les embarras ne feront que grandir pour toi quand tu seras à ton ménage ; à propos de cela pourquoi ne prierais-tu pas
Mme Boutaud de ton emplette de toiles ? Elle le fera avec soin et plaisir certainement, et si tu ne veux pas lui écrire directement pour cela réponds-moi et je m’en chargerai ; c’est une occasion à saisir, elle est encore à Plombières pour près de quinze jours ; mais hâte-toi si tu veux de me donner tes instructions et de me dire la quantité et les prix ... Si tu en veux
pour des draps de maîtres ou de domestiques, tu pourrais lui laisser la décision suivant l’occurrence et dans de certaines limites, tu sais qu’elle est femme entendue et économe s’il en fut. Je t’écris vite aujourd’hui pour cela en joignant à ma lettre un échantillon que j’avais pour te donner une idée des prix ... il était de 2f 20c le mètre et avait 1m 20c de large ce qui est convenable ... cette finesse pour le prix est très jolie, on en vend même de plus fins mi-roux plus avantageux. Plusieurs dames en ont acheté ainsi pour les payer moins cher, avec le projet de les faire servir momentanément aux domestiques avant qu’ils fussent blancs.
Il est possible que les toiles aient un peu augmenté comme tout le reste.
Réponds-moi si tu désires que j’écrive à ce sujet
à Mme Boutaud ?.
J’en ai reçu une longue lettre cette semaine et une autre ce matin de Mme Blachier, toutes deux ont la bonté de me donner des détails sur Plombières et la bonté plus grande encore de m’y regretter ... Mon frère et sa femme y sont aussi depuis samedi, et logés par les soins de ces deux dames chez Mme Lippmann avec elles comme l’an dernier à 6 f par personne, logement et nourriture ; ce n’est pas trop cher, mais avec chambres modestes. À leur arrivée la grande table étant comble
à cette pension ils ont obtenu d’en avoir une dans un petit salon à part où ils sont seuls, très agréablement réunis en petit comité ; que ne suis-je là aussi, comme j’y ferais bien ma partie ! Vraiment, chère nièce, je regrette fort ce voyage cette année dans de si bonnes conditions ... l’Impératrice y a passé quelques jours, et il y a eu de belles fêtes à son occasion dont Marthe [Boutaud] était
ravie ; les grands personnages y affluent plus encore que l’an dernier ... mais la chaleur n’est pas moindre ... ouf ... ici c’est à en mourir ... votre cavalcade a dû fondre hier littéralement ... nous avons eu ces jours ci quelques petites réunions en l’honneur de quatre dames de Nancy amies de Mme Dutriac et fort aimables ..... il y avait de plus un des secrétaires de l’Empereur ici chez son père, jeune homme charmant, plus son frère venant d’Ajaccio ... ces Messieurs sont bons
musiciens, et Joséphine a osé jouer et chanter tout doucement devant eux ; enfin cela la stimule un peu .... Léonie est décidément enceinte, grande joie mais triste mine ... je ne te souhaite pas de suivre son exemple de sitôt au moins. Adieu, chère petite, mon papier finit, tes cousines et ton oncle t’embrassent et moi de même A
Mon oncle et ma tante sont à Cauterets où ils s’ennuient horriblement ; ma tante à la suite de son petit rhume se
croyait perdue et vite on est allé aux eaux ; mon oncle regrette Allevard et surtout Plombières ; je viens de lui répondre pour doubler ses regrets.
Fais mes compliments à la famille Gagnon, je te prie.
Tes cousines espèrent aller à la Chartreuse cet automne
avec Odile.
2011.02.249 | Vers la mi-août 1857 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Adèle fait allusion ici à la lettre de son frère du 4 août, CG no. 2238 (voir 2011.02.226). Le concert de Berlioz à Bade eut lieu le 18 août. — Sur Monique Nety voir 2011.02.309 et la lettre suivante (2011.02.247); la vieille et fidèle domestique de la famille Berlioz, dont le nom apparaît souvent dans ces lettres, devait en fait mourir quelques semaines plus tard (voir la citation de la lettre de Berlioz du 7 septembre, CG no. 2245).
[Le début de la lettre manque]
Nous parlerons de tout cela et de choses plus amusantes au mois de septembre à Claix où j’espère bien te voir, chère nièce ; mon projet est d’y aller vers le 8 ou le 9 .... J’attends d’ici là mon neveu
[Louis Berlioz], il s’arrêtera quelques jours au passage à son retour des Indes. Son père a quitté Plombières en même temps que Mme Boutaud, ses eaux lui ont fait grand bien ; il allait de là à Bade où il sera me dit-il royalement payé pour le concert qu’il va y diriger ... Il sera le 26 à Paris pour y attendre Louis avec impatience.
Mon oncle et ma tante Marmion sont de retour de Cauterets ; j’en ai reçu une longue lettre hier ... Ils vont bien se reposer avant d’aller à Anjou finir la belle saison ...
Ton petit Camille doit attendre l’automne comme nous avec impatience ; les chaleurs abîment les enfants. J’ai hâte d’admirer ce joli bijou ... j’espère qu’il se tirera bien de son sevrage ... et que tu ne l’amèneras pas à Crémieux avant de me le montrer.
Je te félicite d’avoir vendu la Côte et assez avantageusement à ton gré ; mon mari ira peut-être demain pour faire
un nouveau bail avec Mr Murys, de tous le premier cette fois, mais je tremble en me rappelant toutes les exigences plus ou moins absurdes qu’il avait il y a trois ans ... c’était à rendre fou, et je plains mon mari .... Monique est toujours plus affaiblie, mais elle peut vivre encore longtemps ainsi, la malheureuse martyre ; ses besoins augmentent. N’oublie pas, chère nièce, de lui faire très régulièrement payer sa pension comme nous le faisons avec plus de soin que jamais ; je m’arrêterai pour la voir au mois de septembre.
Mme Boutaud part pour Pointières la semaine
prochaine ; je l’y trouverai.
Adieu, chère petite, mes amitiés à ton mari, je te prie ; nous embrassons tous le charmant Baby sans t’oublier cependant.
Ton affectionnée tante
A S
Les chaleurs m’ont affreusement fatigué ; j’en suis encore un peu malade, mais au moins je respire !.. c’est beaucoup.
2011.02.247 | Dimanche 30 août 1857 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Sur les Suat et Louis Berlioz voir 2011.02.136 et la lettre suivante (R96.856.3). — Sur Monique Nety voir 2011.02.249. — Berlioz avait déménagé au 4 rue de Calais en octobre 1856.
Vienne dimanche 30 août [1857]
J’étais presque inquiète de toi, chère nièce, tellement tu as tardé à répondre à ma lettre où je te rendais compte de ta commission de linge ; je craignais surtout que ton petit Camille ne fût souffrant, heureusement il ne va pas trop mal malgré la fin des chaleurs. J’espère que tu as enfin trouvé une bonne convenable pour lui, et qui te donnera plus de satisfaction que sa bête de nourrice. Tu ne seras pas malgré cela sans un peu d’embarras pour le sevrer ; notre cousine te donnera de bons conseils pour cette grande affaire. Je me réjouis de l’espoir de te trouver chez elle à la Balme ; mon projet (sauf avis contraire de sa part) est de m’y rendre vers le 9 ou 10 septembre. J’ai eu tant à faire depuis huit jours à cause de l’arrivée de Louis que cela m’a mise en retard pour mes petits préparatifs de départ. J’ai eu beaucoup de plaisir à revoir ce cher neveu et à m’occuper de le
ravitailler, pour me servir de ses expressions. Il est revenu bien portant et très satisfait de son long voyage (10 mois en mer). Il venait de Bombay directement sans avoir touché terre une seule fois, aussi Dieu sait comme il avait besoin de linge propre et autres vêtements, n’ayant à bord ni tailleurs ni blanchisseuses .... Aussi toute ma maison a été activement occupée pour lui ; comme il avait hâte d’aller embrasser son père je me dépêchais le plus possible, et il est parti pour Paris hier soir pourvu de tout ce qu’il lui fallait ... À son passage au retour il prendra le reste de ses effets que je ferai faire et réparer en attendant ; il ne pense avoir un congé que d’un mois ou six semaines.
Son capitaine a été charmant pour lui, le bâtiment (La Belle Assise) est excellent ; il avait cent francs par mois et nourri confortablement, enfin ce voyage a été très heureux sous tous les rapports, il a appris beaucoup ... sa raison s’est mûrie.
Mon mari et moi avons trouvé un grand changement en bien ...... deux ans sont énormes pour transformer les jeunes gens ... il a un cœur excellent qui le rend très attachant ; j’avais le cœur gros hier en lui disant adieu, mais j’espère l’arrêter au passage encore quelques jours.
Je ne puis te dire, chère nièce, combien il nous a
intéressé par la relation de ses voyages ; il a apporté nombre de petits objets curieux, tes cousines s’en amusaient beaucoup .... Victoire ne s’occupait que de lui, il animait toute la maison par sa gaîté et ses histoires de l’autre monde ; nous en savons long maintenant sur les termes de marine ...
Mr Raymond que tu as vu chez moi et qui dessine en véritable artiste a voulu faire le portrait de Louis, et a bien réussi. J’ai été très reconnaissante de cette charmante attention ... Tu vois, chère nièce, qu’en dix jours j’ai pu faire
faire beaucoup de choses, mais j’ai deployé une activité féroce et je me repose aujourd’hui avec plaisir.
Je regrettais bien que notre réunion de famille ne fût qu’incomplète. Mon oncle a été souffrant et n’a pu venir comme il l’avait promis .... À son retour des eaux il a été pris d’une espèce de dysenterie, qui j’espère bien va mieux maintenant ; je vais lui écrire pour m’en informer ... Louis ne le verra alors qu’en revenant à Marseille. J’aurais voulu mener aussi ce dernier à la Côte mais le temps me manquait ; il a écrit à Monique une affectueuse lettre ainsi que tes cousines pour lui en exprimer le regret ; cette pauvre fille en a été très touchée ... elle est toujours de même.
Nancy est en vacances depuis jeudi dernier ; elle a eu cinq prix et celui de sagesse en première ligne ...
Comme sa sœur elle compte les jours jusqu’au départ pour la Balme, et le voyage à la Grande Chartreuse encore plus ........ Nous avons eu plusieurs dîners à la campagne cette semaine ; Louis y était fort entouré et questionné. Nous avons vu aussi Mme Teisseire, et Mme Robert chez Mme Michel, et ces dames riaient beaucoup de ses boutades de marin ; tu conviendras que c’est un triomphe que de dérider Mme Robert !.. J’en étais stupéfaite.
Adieu, chère petite, mon papier finit, à bientôt ; je t’embrasse de moitié avec ton mari et ton Camille.
Adèle
Dis je te prie à ton père que mon frère est à Paris rue de Calais 4.
R96.856.3 | Mercredi 11 novembre 1857 | À son frère Hector Berlioz | Transcription littérale | Image |
Sur le contexte familial voir la lettre de Marc Suat à Berlioz du 8 novembre 1857, R96.857.1 (CG no. 2259bis [tome VIII]), et la lettre de Berlioz à Marc Suat en réponse CG no. 2260 (R96.333; la fin de la lettre dans le tome VIII). Cette lettre de Berlioz date sans doute du 10 novembre 1857 plutôt que du 11 comme il est dit dans CG no. 2260: Berlioz date sa lettre ‘mardi 10 ou 11 novembre’ et le mardi est un 10 et non un 11. Postée le 10 la lettre de Berlioz a pu arriver le 11 et Adèle et Marc Suat y ont répondu le jour même, d’où la date du mercredi 11 novembre au début de la lettre d’Adèle. Rappelons que ce texte est un brouillon de lettre qui n’a sans doute pas été envoyé; par conséquent la version corrigée donnée ci-dessous masque toutes les hésitations auxquelles la rédaction de la lettre a donné lieu.
Vienne mercredi 11 novembre [1857]
Mon bien cher frère,
La lettre que tu réponds à mon mari nous fait de la peine en nous prouvant que tu ne nous a pas bien compris ; jamais nous n’avons douté de ta profonde affection pour ton fils, nous connaissons trop le fond de ton cœur pour cela ; nous avons craint seulement qu’au milieu des préoccupations de ton grand ouvrage et de la maladie de ta femme, Louis n’eût éprouvé des impressions fâcheuses.
Je sais que le rôle de belle-mère est très difficile ; que les enfants ont des préventions contre elles, et que celui du père au milieu de ce conflit est souvent le plus cruel !... Cependant lui seul est appelé à servir de lien par tous les moyens en son pouvoir et en ménageant toutes les exigences.
La profonde tristesse que Louis a rapportée de Paris m’avait donné à craindre qu’en raison de ton caractère
un peu faible tu n’eusses pas assez pris d’initiative... ce que tu dis de la chambre à donner à Louis serait parfaitement sensé si ta femme était sa mère, mais, mon cher frère, ce sont là des nuances qu’il faut deviner.
Toutefois en raison des difficultés des logements à Paris nous avons peut-être eu tort de te parler de cela, surtout après ta
proposition de lui en louer une près de chez toi... J’en reviens donc à te dire encore une fois que jamais je n’ai douté de ta
tendresse pour ton fils, cher frère, et que nous avons été entraînés à t’écrire comme nous l’avons fait par sa tristesse et son découragement ; ils étaient tels que nous en étions tous impressionnés, et que je n’en dormais plus ; un moment j’avais craint qu’il n’eût laissé un attachement à Paris, et ce n’est que plus tard que j’ai
été rassurée sur ce point.
Mon mari n’a rien négligé pour le rappeler vigoureusement aux nécessités de sa position, et aux réalités de la vie ; il faut absolument arriver au but.
C’est à notre invitation qu’il a écrit à M. Lecourt et à M. Morel, et je suis fâchée de l’avoir engagé à le faire au premier, soit parce qu’il n’a pas répondu soit parce que cela t’a contrarié. Quant à l’excellent M. Morel il en a reçu hier une réponse très affectueuse et
explicative, et rassurante sur son embarquement qui, dit-il, est certain et avantageux ; quoiqu’il n’ait pu le renseigner sur les destinations du navire ni dire quels seront les appointements, sinon qu’ils seront satisfaisants d’après les habitudes de la maison Aquarone.
Louis s’arrêtera peu à Tournon où ta lettre lui sera parvenue ce matin peu après, en même temps que la mienne, et demain ou après-demain il sera à Marseille et pourra immédiatement s’occuper de sa nouvelle position ; Marc lui a fait comprendre qu’il devait de suite voir ceux qui lui ont valu son nouvel emploi, s’occuper ensuite du capitaine et tâcher de se le rendre favorable.
Ne t’inquiète nullement de sa prolongation de séjour ; Mr Morel lui dit qu’il peut rester jusqu’à nouvel avis, ou se rendre chez lui si cela lui convient mieux.
Hier matin avant son depart Louis m’a montré ta lettre à Mr Morel ; il me semble que tu ne pouvais rien lui dire de mieux.
2011.02.248 | Dimanche 27 décembre 1857 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | — |
Sur Louis Berlioz voir ci-dessus 2011.02.247. — Les informations concernant Berlioz découlent de sa lettre à Adèle du 21 décembre (CG no. 2267; R96.335).
Vienne dimanche 27 décembre [1857]
J’ai eu de bonnes nouvelles de toi, ma chère nièce, par notre cousine Burdet à son retour de Lons-le-Saulnier la semaine dernière ; elle me dit que ton séjour à l’Arsenal rendait un peu difficile d’aller t’y voir, c’est trop loin ; de ton côté tu redoutais les chiens enragés pour sortir, ce qui m’a fort diverti. Tu as donc toujours des terreurs de ce genre, ma pauvre enfant ? Quand ton fils sera grand tu seras bien obligée de t’en guérir pour ne pas le rendre aussi
pusillanime, ce qui serait plus grave pour un jeune homme. En attendant
tu cherches une nouvelle bonne et un domestique ; tu n’es pas heureuse depuis que tu as quitté Henriette, plus tu iras plus tu apprendras combien il est difficile d’avoir de la sécurité sur ce chapitre important. Quand tu seras à ton ménage peut-être auras-tu moins de choses à concilier ; tu ne tarderas pas à déménager, je crois, et je t’en fais mon compliment puisque ton nouvel appartement sera si agréable.
J’ai reçu de bonnes nouvelles de mon oncle à son arrivée à Hyères ; sa santé est enfin tout-à-fait rétablie ; ils ont trouvé un bel appartement tout meublé à neuf très luxueusement pour 800 f pour six mois dans un superbe quartier Boulevard des Îles d’or 6 ...
Le beau monde afflue cet hiver à Hyères et j’avais tort de redouter pour eux l’isolement, car ils ont en arrivant trouvé des gens de leur connaissance ; les voilà donc casés dans les meilleures conditions ... En passant à Marseille mon oncle a pu visiter l’avant-veille de son départ pour Bombay le bâtiment de mon neveu.
Il m’écrit que la ville de Vienne danserait à l’aise dans ses vastes flancs, il est de trois mille tonneaux ; tu peux juger de ses dimensions, après l’Atlantique et le fameux Léviathan c’est le plus grand navire qui existe ; Louis aura là une bonne position, mais aussi bien plus de responsabilité. Son père est à Paris travaillant à terminer son grand ouvrage [les Troyens] ; il espère n’en avoir plus que pour deux ou trois
mois, et ne fera aucun voyage avant de finir son cinquième acte.
Sa santé n’est pas trop mauvaise.
Te disposes-tu, ma chère nièce, à bien employer ton carnaval ? Peut-être la danse ne conviendrait-elle pas beaucoup à l’indisposition dont tu me parlais dans ta dernière lettre ; soigne-toi mieux qu’à ton habitude, je t’en prie, il ne faut pas jouer avec les maux des femmes .....
Ton petit garçon doit commencer à te donner moins d’embarras, à marcher certainement ; les plus menus sont ceux qui se lancent le plus vite.
Mme Léonie Couturier est enceinte et doit
accoucher fin février ; sa grossesse est excellente à la fin, c’est une grande joie dans la famille. Sa mère est seulement venue de la campagne il y a huit jours ; nous voyons souvent ces dames ainsi que notre bonne voisine Mme Savoye ... Notre hiver s’annonce aussi triste que celui de l’année dernière, nos autorités font des économies ridicules ... chacun vit chez soi ... pour moi peu m’importe. Mes filles sont trop jeunes, et je ne les aurais pas menées dans le monde ; nous restons sans nous ennuyer une minute nos longues soirées en famille à lire et à travailler ... la musique de Joséphine nous distrait aussi souvent ; nos santés ne sont pas mauvaises, point essentiel.
Voilà, chère nièce, comment nous terminons l’année ; ton oncle et tes cousines se joignent à moi pour te faire ainsi qu’à ton mari nos affectueux souhaits pour 1858. Nous embrassons Camille aussi bien fort à cette occasion. Adieu, adieu, soigne-toi bien.
Ton affectionnée tante.
Martin n’est pas venu à Vienne et ne nous a pas envoyé d’argent.
2011.02.260 | Mercredi 29 décembre 1858 | À sa nièce Mathilde Pal-Masclet | Transcription littérale | Image |
Sur la longue maladie de Joséphine en 1858, le groupe de lettres de la famille Suat concernant la période de novembre à décembre 1858 et les autres lettres qui s’y rapportent, voir la page sur la chronologie. — Sur la consultation de la spécialiste Mlle Bressac voir aussi R96.858.2.
Il est piquant de constater que Mlle Bressac avait à ce moment des démêlés avec la justice et avec ses confrères médecins de Lyon. Nous transcrivons ici un extrait du Journal des Débats du 19 juin 1859, p. 2, dans la rubrique Faits divers:
Il y a quelques mois une demoiselle Bressac était poursuivie et condamnée devant le tribunal et la Cour de Lyon pour exercice illégal de la médecine, avec récidive. Sur le pourvoi formé par la demoiselle Bressac, la Cour de cassation avait renvoyé l’affaire devant la Cour de Grenoble. Cette dernière vient de prononcer un arrêt conforme à la doctrine de la Cour de cassation sur la pénalité applicable à l’exercice illégal de la médecine avec récidive.
Le même arrêt, contraire en cela à la doctrine de la Cour de cassation et à celle de la Cour de Lyon, rejette l’intervention des médecins à titre de parties civiles.
Voici ce qu’on lit à ce sujet dans la Gazette médicale de Lyon :
« Le 26 mai, la Cour impériale de Grenoble faisant droit à l’appel interjeté par Mlle Bressac envers le jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 25 décembre 1858, et statuant en vertu de l’arrêt de renvoi de la Cour de cassation du 31 mars dernier, a réformé ledit jugement en ce qu’il a prononcé une amende supérieure à celle déterminée par la loi, et a réduit ladite amende à la somme de 15 fr.;
» Et, en ce qui concerne l’intervention de quelques médecins de Lyon comme parties civiles, a rejeté leur demande en 2,000 fr. de dommages-intérêts comme n’étant en aucune façon justifiée;
» A condamné Mlle Bressac aux dépens vis-à-vis du ministère public, et les parties civiles aux dépens résultant de leur intervention. »
» Cette décision, dit la Gazette des Hôpitaux, a une portée qui n’échappera à personne, et qui doit surtout appeler l’attention des membres de la commission constituée sur la demande de la Société du 2e arrondissement. »
Vienne 29 décembre [1858]
Je te remercie, chère nièce, de vouloir bien t’informer avec une si affectueuse sollicitude de la santé de ta cousine ; la pauvre enfant a une maladie qui découragerait par sa nature et sa longueur la patience d’un saint, et comme ni elle ni moi ne sommes encore dans une voie si parfaite tu peux juger de l’état où nous devons être ? ...
Ton oncle seul est admirable de soins et de résignation ; il est vrai que ses affaires le retiennent souvent dans son étude ou au dehors et qu’il a ainsi un peu de diversion ; mais moi toujours là à voir souffrir, à entendre pleurer, gémir, sans pouvoir ni soulager ni distraire ma fille, c’est à en devenir folle certains jours .... Ce qui m’enlève tout courage surtout c’est que je ne suis pas plus avancée que le premier jour quand il y en a bientôt huit [mois] que cette infernale maladie a commencé ! ........ Rien ne
fait, pas même les promenades à cheval sur lesquelles je fondais tant d’espérances ; après en avoir fait 7 ou 8 le mauvais temps et une augmentation de malaises les a interrompues, sauf à essayer plus tard d’y revenir ..... Nos deux médecins ne sachant plus qu’essayer, Joséphine a voulu absolument aller consulter à Lyon la fameuse Melle Bressac qui devine vos maux sans les lui dire.
Le fait est qu’il y a de quoi confondre ; elle ne connaissait nullement ta cousine et après l’avoir légèrement palpé sur la tête, l’estomac et le ventre elle lui dit « Mademoiselle vous n’avez aucun organe malade positivement, mais les nerfs .. votre constitution était très bonne ; vous guérirez certainement mais ce sera long, bien que depuis plusieurs mois déjà vous souffriez, le sang vous fait la guerre aussi il vous faut une bonne hygiène, la promenade, de la distraction [»], et ainsi de suite. Elle lui a énuméré tous les symptômes de sa maladie avec la plus grande exactitude ....
Sa consultation a eu beaucoup de rapports avec les
ordonnances des autres médecins et semble très bien raisonnée.
N’y a-t-il pas de quoi confondre ? Comment expliquer l’espèce de divination de cette fille ? ..
Nous suivons depuis quelques jours ses prescriptions ; que risquons nous ? Le médecin les a vu et n’a su que dire ... il en était de mauvaise humeur je crois un peu.
Notre cousine Odile connaît Melle Bressac ; raconte-lui tout cela, je te prie. Son projet d’aller à Paris existe bien toujours, j’espère, j’aurai ainsi le plaisir de la voir d’ici à quelques jours à son passage ; sa visite nous sera une précieuse distraction à tous, ses conseils, ses encouragements bien nécessaires, car nous ne savons quel parti prendre souvent, et si nous devons craindre ou espérer. Les crises sont peut-être un peu moins violentes, mais le mal est plus incessant .. elle mange et engraisse plutôt que de maigrir ... sa tristesse est pire que jamais ... rien au monde ne saurait lui causer le moindre plaisir.
Nancy est encore à Tournon ; mon oncle et ma tante sont partis pour Hyères lundi mais elle est chez Mme Boutaud en attendant une occasion que j’aurai la semaine prochaine pour la ramener après six semaines et plus d’absence ; elle trouvera sa pauvre sœur de même. Mon Dieu que tout cela est triste !
Jouis bien de ton petit garçon, chère nièce, apprécie le
repos dont tu jouis ; il y a dans la vie des temps de cruelles épreuves ... La famille Teisseire a dû être foudroyée par la mort de Mr Charles ; que de changements pour sa femme ?
Je pense que ton père en a été très peiné aussi. Sa
santé à lui est toujours bonne, qu’il évite les rhumes.
Pour ton mari à son âge tout va bien ; fais-lui nos amitiés et nos souhaits de nouvel an dont tu prendras la moitié avant.
Adieu, chère nièce, nous t’embrassons tous. AS
Je te prie d’aller chez ma cousine lui donner de nos nouvelles. Je lui écrirai plus tard ; ayant si peu de temps à moi, cette lettre fera pour vous deux.
2011.02.144 | Entre mai 1845 et fin 1847 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Vienne samedi
Voila trois matinées de suite, chère sœur, que je veux en vain trouver le temps de t’écrire avant le courrier de midi (si sottement organisé) sans pouvoir y réussir, aussi cet après-midi je me hâte de prendre au vol un moment de calme pour te le consacrer. Tu ne dois guère en avoir non plus, chère sœur, les premiers jours de ton arrivée à Grenoble tu dois avoir pas mal à faire, mais ton rhume t’aura forcé de rester chez toi afin de ne pas le prolonger et l’aggraver ; j’en étais en peine avec raison lorsque tu partis d’ici, je trouvais le temps bien froid, et la voiture bien ouverte pour une personne mal disposée déjà ; aussi je t’approuve fort d’avoir pris un autre moyen plus convenable pour te transporter à ton domicile.
Notre pauvre père m’a écrit depuis ton départ une lettre bien triste comme toujours en pareille circonstance ; ayant une occasion pour la Côte mardi j’en profitai pour causer un peu longuement avec lui, et essayer de faire une petite diversion, mais sans grand espoir, je l’avoue, d’y réussir.
J’aurai de ses nouvelles encore la semaine prochaine par Billiat ; le beau temps l’aura un peu distrait en lui permettant de rester beaucoup dehors, c’est précieux.
Depuis toi, chère, j’ai eu encore des tribulations
domestiques sans nombre ; Claudine après avoir changé quatre fois d’avis m’avait dit enfin qu’elle préférait s’en aller …. Bien, je fais venir celle que Mr Gattin m’avait adressée, il est convenu que Claudine la mettra au courant de mon
service pendant huit jours. Ce nouveau visage, et cette nouvelle éducation me mettait hors de moi ; Joséphine pleurait nuit et jour de ce changement nouveau de bonne, ne voulait pas aller à la pension dans la crainte que Claudine ne partît en son absence ; de là des scènes très
ennuyeuses, j’offrais des gages plus forts, rien ne me semblait pire que de recommencer une autre épreuve. Je m’y étais résignée cependant, Rose paraissait très intelligente, et surtout ravie d’être chez moi …… alors l’autre a pris le regret et est venue me demander en grâce de la garder… grandes indécisions pour moi, Marc était à St Chamond, je ne savais que faire ? Enfin je cédai à la crainte que Rose ne fût trop jeune et trop jolie, j’aurais été sans cette tourmente à son sujet ; la difficulté était de la congédier, je dis à Claudine de se charger de la communication. Ce furent alors des larmes, des reproches, la cuisinière du curé qui est un personnage d’importance ici prenait fait et cause pour Rose et malmenait rudement Claudine qui s’arrachait les cheveux de désespoir, et moi au milieu de tout ce tapage, chère sœur, je ne puis te dire combien l’absence de mon mari m’était pénible. Il fallait pacifier,
promettre, chercher à placer Rose, faire des visites chez le curé. Enfin j’étais harassée d’ennui et fatiguée de la crainte de sacrifier
peut-être une domestique active et adroite, ou la crainte d’une surveillance trop inutile souvent ; puis Claudine me faisait des protestations si touchantes que j’étais attendrie en sa faveur. Enfin je verrai si je m’en repentirai ; à ma place qu’aurais-tu fait ?
Ce que tu m’écrivais de Louis m’avait attendri comme toi pour ce pauvre enfant délaissé ; et je lui ai écrit une longue lettre très affectueuse qui j’espère lui fera plaisir en attendant la tienne.
J’espère un peu que son père lui aura donné de ses nouvelles et qu’en nous répondant il nous tranquillisera à son sujet ; tout cela est bien bien triste.
Je n’ai vu ta belle-sœur qu’une minute en courant ; depuis toi je n’ai pas eu le temps de sortir, j’ai des visites à faire en masse, mais je renvoie chaque jour pour une raison ou pour une autre. Madame Casimir [Faure] vint chez moi avant-hier et m’apprit que Mme Almiros sa nièce était accouchée à grand’peine d’une fille ; la pauvre Madame Charmeil doit en être maintenant plus malade que sa fille, trois jours de tortures pareilles ont dû être au-dessus de ses forces. Mme
Casimir en était vraiment préoccupée affreusement contre son habitude.
On doit attendre que Mme Almiros soit rétablie pour faire le mariage de sa belle-sœur avec Mr Bouvier, le procureur du roi d’Embrun.
À propos de mariage mon mari n’a pu voir seul Mr Portier pour lui parler de notre projet pour Mlle Eugénie.
Peut-être irai-je à St Chamond prochainement, on m’y attend ; mais j’attendrai avant la visite de Madame Veyron, bien entendu.
Je compte sur toi, chère sœur, pour avoir de longs détails sur tous nos amis et connaissances, et me rappeler affectueusement au souvenir de nos parents ; donne-moi bien vite des nouvelles de ton rhume.
Adieu, mille caresses à Mathilde ; mes amitiés à ton mari.
Ton affectionnée sœur
AS
Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; pages Lettres de la famille du compositeur créées le 11 décembre 2014, mises à jour le 1er avril 2015. Révision le 1er décembre 2023.
© Musée Hector-Berlioz pour le texte et les images des lettres
© Michel Austin et Monir Tayeb pour le commentaire et la présentation
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