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Le grand concert donné par Berlioz dans la salle du Festival de l’Industrie le 1er août 1844 tient une place de choix parmi les nombreux concerts donnés à Paris par le compositeur au cours de sa carrière. Il rassemble en effet plus de 1000 musiciens (1022, d’après le récit publié par Berlioz plus tard), ce qui représente une forte proportion des ressources musicales disponibles alors à Paris, auxquelles s’ajouteront des contingents envoyés par quelques villes de province. L’auditoire est vaste: écrivant à son père après l’événement Berlioz donne un chiffre de 8000; c’était, dit-il, ‘la plus grande fête musicale qui ait jamais eu lieu en Europe’ (CG no. 919). Le concert représente la réalisation partielle d’un rêve que Berlioz caresse depuis longtemps, celui de rassembler pour une grande occasion toutes les ressources musicales de la capitale, rêve qu’il vient juste d’évoquer dans la dernière partie de son Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes paru sous forme de livre quelques mois plus tôt (mars 1844). Quels que soient les résultats du point de vue purement musical, le festival représente dans sa conception, son organisation et sa réalisation une prouesse de taille qui ne peut que rehausser son auteur dans l’estime publique. Il fournira le modèle pour d’autres concerts à grande échelle donnés ultérieurement par Berlioz à Paris, au Cirque Olympique en 1845 et au Palais de l’Industrie en 1855.
On conçoit l’importance attribuée par Berlioz au concert dans sa carrière de chef d’orchestre: quelques années plus tard il en publie un récit circonstancié sous le titre de ‘Souvenirs du monde musical’ dans l’hebdomaire Le Monde Illustré (13 février 1858). Le succès de cet article auprès du public incite l’éditeur à demander à Berlioz la publication en série d’extraits de ses Mémoires encore inédits se rapportant à sa carrière musicale, qui paraîtront dans le même journal de septembre 1858 à septembre 1859 sous le titre de Mémoires d’un musicien. Le récit du concert de 1844 deviendra plus tard le chapitre 53 des Mémoires posthumes, plus ou moins inchangé par rapport à la publication de 1858 (on citera ci-dessous la version définitive des Mémoires plutôt que la version antérieure). Au récit des Mémoires s’ajoute des textes contemporains de 1844: d’une part plusieurs lettres de Berlioz, dont un choix est reproduit ci-dessous, et de l’autre des articles dans divers journaux, dont un de Berlioz lui-même, dont on trouvera également un échantillon sur cette page.
Le Festival dirigé par Berlioz le 1er août consiste en fait en deux concerts, celui de Berlioz, et un deuxième concert, plus léger, le 4 août dirigé par Isaac Strauss (1806-1888). L’intention du Festival est de célébrer la clôture de l’Exposition des produits de l’industrie qui s’est ouverte le 1er mai et va durer jusqu’à la fin juin. Le récit des Mémoires donne l’impression nette que la décision d’organiser les deux concerts n’est prise par Berlioz et son associé Isaac Strauss que peu de temps avant la clôture du Festival, soit en juin 1844 ou peut-être le mois précédent. Mais ceci fait difficulté: une lettre de Berlioz, signée également par Strauss, les montre s’adressant au Préfet de police Delessert avec une proposition de conclure l’Exposition avec un Festival de deux concerts et un dîner (CG no. 888). La lettre est publiée dans CG avec la date ‘mars 1844’, ce qui soulève un autre problème. La lettre ne contient en elle-même aucune indication de date, et la datation de mars remonte à la publication d’origine de deux lettres de Berlioz ayant trait au Festival dans Le Ménestrel (12 septembre 1880, p. 324-5), lettres en possession de Strauss et communiquées par lui au Ménestrel en vue de leur publication (l’autre est CG no. 912). La date de mars est donnée là mais sans explication ou justification (elle a pu être fournie par Strauss lui-même, mais dans ce cas on ne sait sur quelles preuves il s’appuyait). Si la date de mars est exacte, elle montre que Berlioz songe déjà à un grand concert dans le bâtiment de l’Exposition plusieurs mois avant même le début de cette Exposition, mais ceci ne correspond pas à l’affirmation de Berlioz lui-même (Journal des Débats, 23 juillet) que ce n’est qu’au cours de sa visite à l’Exposition que l’idée lui vient d’y donner un concert. Il semble donc qu’en réalité la lettre serait à dater plus tard que mars et se placerait au mois de mai, après l’ouverture de l’Exposition.
Quelle que soit la date, le Préfet de police, selon le récit des Mémoires, rejette la proposition de Berlioz et Strauss sous un prétexte de sécurité publique, et son opposition doit alors être circonvenue au moyen de pressions politiques en coulisse. Si la démarche de Berlioz et Strauss remonte vraiment à mars, la question serait restée en suspens pendant plusieurs semaines: écrivant à Ludwig Schlösser à Darmstadt le 20 avril Berlioz laisse entendre qu’il va bientôt être libre de concerts et pourra voyager à l’étranger: ‘Je viens de donner ici trois concerts, j’en organise un quatrième au th. italien, après quoi ma saison musicale de Paris sera finie et je ne demanderai plus qu’à vagabonder, surtout de votre côté’ (CG no. 895 [voir le tome VIII]). On pourrait bien entendu déduire de ceci qu’en avril Berlioz et Strauss ne se sont pas encore adressés au Préfet de police. Mais le mois suivant l’affaire semble maintenant être en train. Une lettre de Berlioz du 19 mai semble faire allusion aux préparatifs pour le concert du festival mais donne à croire que l’affaire n’est pas encore décidée (CG no. 902). Si cette interprétation est exacte, la décision de principe sera prise peu après: le 1er juin Berlioz envoie une série de circulaires à des musiciens à Paris les engageant à s’inscrire pour participer au Festival (CG no. 904; voir aussi CG nos. 909bis, 911). En l’occurrence la plupart des artistes de Paris participeront, auxquels s’y ajouteront beaucoup d’amateurs, avec quelques exceptions remarquées, notamment la plupart des musiciens de l’orchestre du Conservatoire et leur chef Habeneck (CG no. 912). Quelques villes de province envoient aussi des délégations, notamment Lille (CG nos. 909D, 912; Journal des Débats, 23 juillet). Le 14 juin Berlioz écrit à Auguste Barbier, l’un des auteurs du livret de Benvenuto Cellini et auteur de l’Hymne à la France que Berlioz met en musique pour le Festival (CG no. 905, cf. 909D), tout en s’excusant le même jour auprès d’un autre poète, Adolphe Dumas, de ne pouvoir mettre en musique son Chant des Industriels qui fait aussi partie du programme (CG no. 906). Le 14 juin encore Berlioz écrit à son éditeur Schlesinger pour expliquer son retard à terminer la rédaction d’Euphonia (CG no. 908; Euphonia paraissait depuis février dans la Revue et gazette musicale mais la dernière livraison ne sortira que le 28 juillet). L’organisation du Festival est un immense labeur (CG no. 915), particulièrement à cause du système de répétitions partielles que Berlioz juge indispensable (CG no. 904; Le Ménestrel, 21 juillet; Journal des Débats, 23 juillet); mais Berlioz trouve quand même le temps d’écrire un article approfondi sur les instruments de musique exposés au Festival (Journal des Débats, 23 juin), comme il le fera plus tard pour l’exposition de Londres en 1851 et celle de Paris en 1855. Et les soucis personnels ne manquent pas: on se souviendra qu’à cette époque Berlioz traverse une crise très grave dans son intérieur (CG no. 910, 920).
Quand Berlioz et Strauss s’adressent pour la première fois aux autorités (quelle que soit la date), la date prévue par eux pour le Festival est le début du mois d’août (CG no. 888). Mais une fois la décision de principe prise les dates proposées sont d’abord avancées au mois de juillet (CG no. 904), et ensuite reculées vers la fin du mois (CG no. 909D et l’affiche publiée à la mi-juin). En l’occurrence la date du concert principal sera fixée au 1er août, et Berlioz annonce le Festival et son programme dans un article détaillé où naturellement il garde le silence sur toutes les batailles qu’il a dû livrer avant de pouvoir réaliser son projet (Journal des Débats, 23 juillet).
Outre le chapitre (assez objectif) des Mémoires (chapitre 53), une longue lettre de Berlioz à son père, plus de deux semaines après le Festival, en donne un récit très détaillé (CG no. 919). Comme Berlioz le souligne, les réactions de la presse ont varié en fonction des sympathies des critiques et de leurs journaux. Une brève notice dans le Journal des Débats le lendemain (2 août), bien qu’anonyme, a sans doute été inspirée par Berlioz lui-même (le chiffre donné pour le total des musiciens, 1022, correspond à celui de la lettre à son père). Les comptes-rendus de la Revue et Gazette Musicale (4 août) et du Ménestrel (4 août) sont généralement positifs, alors que celui de L’Illustration (10 août) adopte un ton plus critique. Un compte-rendu en anglais du Times de Londres (5 août), qui diffère sur quelques points avec les récits de Berlioz, est particulièrement intéressant. L’auteur ne ménage pas ses louanges, même si l’événement le plus marquant du concert est une manifestation de caractère politique contre l’Angleterre provoquée par un chœur du Charles VI de Halévy, événement qui donnera du fil à retordre à Berlioz et Strauss vis-à-vis des pouvoirs publics, comme le racontent les Mémoires (voir aussi CG no. 919). Tous les récits, et particulièrement celui de L’Illustration, concordent sur les insuffisances acoustiques de la salle; Berlioz lui-même l’admet après le concert, mais l’entreprise n’en est pas moins une réussite de taille, et tous s’accordent pour louer la direction de Berlioz et souligner l’étonnante précision d’une exécution par des masses aussi imposantes. Mais malgré l’affluence la recette est quand même décevante, à cause des frais énormes encourus, mais aussi des taxes prélevées (le droit des pauvres, cauchemar de Berlioz), et l’échec relatif du concert de Strauss le 4 août — les pouvoirs public avaient interdit le bal — même si le prix des billets pour le deuxième concert avaient été fixé beaucoup plus bas (Journal des Débats, 2 août). Pour Berlioz l’entreprise est épuisante; il pense d’abord partir pour Bade à la fin du mois (CG nos. 919, 920), mais en l’occurrence il suit le conseil de son ami le docteur Amussat et s’en va passer un mois à Nice pour se remettre. À son retour on lui propose bientôt une série de concerts à grande échelle qui feraient suite au grand concert du mois d’août, et qui auront lieu dans le Cirque Olympique dans les premiers mois de 1845.
Nous remercions vivement le Musée Hector-Berlioz de nous avoir accordé la permission de reproduire sur cette page une image du programme du Festival, et M. Jean-Claude Luc de nous avoir envoyé une photo des pages 371-3 de L’Illustration du 10 août 1844, d’où proviennent la transcription du texte de l’article.
Berlioz et Isaac Strauss au Préfet de Police (CG no. 888, mars [?]; sur la date voir ci-dessus):
Les villes d’Allemagne et d’Angleterre, dans certaines occasions, donnent des fêtes musicales qui excitent toujours au plus haut degré l’intérêt des amis de l’art et sont en même temps un sujet de nobles jouissances pour les populations. Quelques villes du nord de la France ont suivi cet exemple ; Paris seul n’a point encore eu de véritable festival.
Une circonstance se présente de lui faire connaître l’effet et l’importance de ces solennités. Il s’agirait, après la clôture de l’Exposition des produits de l’industrie, du 3 au 6 août, d’organiser dans les vastes salles où cette exposition a lieu, un grand festival conçu dans les dispositions suivantes:
Le premier jour, samedi, de deux heures à cinq heures, aurait lieu le concert, dans lequel de larges compositions, dont le sujet se rattache à des idées grandes et nationales, seraient exécutées sous la direction de M. Berlioz, l’un des signataires, par mille musiciens, formant la réunion complète des ressources vocales et instrumentales de Paris, Versailles, Rouen et Orléans, accrue de députations envoyées par les principales Sociétés philharmoniques des départements. Le surlendemain (lundi), un grand bal (de jour également) réunirait une second fois la partie la plus aisée de l’auditoire du concert. Le bal serait dirigé par M. Strauss. Les prix des billets d’entrée au concert seraient de dix francs, cinq francs, trois francs. Les billets du bal coûteraient dix francs. On achèterait des places d’avance dans divers bureaux de location. Cinq cents personnes seulement seraient admises, au prix de vingt francs, à la répétition générale qui aurait lieu la veille du concert.
Enfin, un dîner par souscription, présidé par les principaux fabricants et exposants, terminerait le festival.
M. le Ministre du Commerce, à qui nous avons soumis ce projet, l’approuve beaucoup et pense qu’une pareille fête couronnerait dignement la solennité de l’Exposition. Les moyens de l’exécuter sont à notre portée, si nous pouvons être mis en mesure de commencer assez tôt nos préparatifs. Votre autorisation et votre appui, Monsieur le Préfet, nous sont nécessaires pour cela et nous venons vous demander l’une et l’autre, en vous priant, si ce projet vous paraît digne d’encouragement, de nous indiquer les conditions qu’imposent les exigences du service de sûreté publique. Veuillez, d’ailleurs, nous permettre de venir vous donner verbalement à ce sujet de plus amples détails. […]
À sa sœur Nanci (CG no. 902, 19 mai):
[…] Et avec tout cela il faut finir mon livre sur l’Italie, corriger les épreuves de mes symphonies, et organiser une entreprise immense dont je te parlerai si elle arrive à terme et qui fera plus de bruit à elle seule que tout ce que j’ai tenté jusqu’à présent. […]
À Mademoiselle Jacques (CG no. 904, 1er juin):
Un Festival en deux journées aura lieu dans la salle de l’exposition des produits de l’Industrie les 18 et 21 juillet (jeudi et dimanche) à 1 heure après-midi. Je suis chargé d’organiser et diriger le Concert du 18, pour lequel je tâche de réunir toutes les ressources vocales et instrumentales qui existent à Paris.
Le Programme est composé exclusivement de morceaux d’un style simple et large et conséquemment peu difficiles. Il nous sera donc possible de l’exécuter après deux répétitions. On répétera d’abord par fractions de l’orchestre et des chœurs, soit dans la Salle du Garde meuble de la Couronne, soit dans tout autre local du centre de Paris; la 2e répétition d’ensemble se fera ensuite dans la Salle de l’exposition. Il y aura un jeton de 15 fr.
S’il vous est possible de faire partie de cette grande exécution, veuillez venir vous inscrire avant le 20 juin chez M. Ferrière au Conservatoire. […][Des lettres indentiques auront sans doute été envoyées à bien d’autres musiciens]
À Auguste Barbier (CG no. 905, 14 juin):
J’ai enfin trouvé la musique de votre hymne magnifique à la France, et vous êtes depuis hier affiché sur tous les murs de Paris. Je crois que ce sera assez grand et assez simple de forme pour supporter tant bien que mal le poids écrasant du parallèle qu’on ne pourra manquer d’établir entre vos vers et ma musique. J’ai fait de mon mieux. Quant à l’exécution elle sera assez grandiose; il y aura (pour l’Hymne à la France) cinq ou six cents voix et quatre cents instruments.
La dernière strophe surtout est orchestrée monumentalement. […]
À Adolphe Dumas (CG no. 906, 14 juin):
Ne m’en veuillez pas trop! J’ai fait d’inutiles efforts pour trouver quelque chose de digne de votre poésie [le Chant des Industriels]; il m’a fallu y renoncer, mes inventions (si tant est qu’on doive appeler ainsi mes trouvailles) ne valaient pas le diable, et la circonstance est trop solennelle pour risquer un morceau manqué, surtout en compagnie de vos beaux vers. […]
À Maurice Schlesinger (CG no. 908, 14 juin):
Je suis tellement absorbé par l’affaire du Festival qu’il m’est fort difficile de trouver le temps d’écrire; je finirai pourtant bientôt notre éternelle Euphonia qui touche à sa fin et fera au plus un grand article ou deux d’une longueur moyenne. […]
Félix Marmion (l’oncle de Berlioz) à Nanci (CG no. 909D, 26 juin):
[…] Ton frère à qui j’avais donné une commission (je m’adressais joliment!) m’annonce que son grand festival dans une des salles de l’exposition est en train pour le 29 juillet — il n’y aura que 900 musiciens. Les villes du nord lui demandent de recevoir des députations de leurs meilleurs artistes — que l’incendie gagne. Il termine, ajoute-t-il, une composition: l’hymne à la France dont les vers sont de M. Barbier, l’un des premiers poètes du jour. […]
À un correspondant non identifié (CG no. 909bis [tome VIII], 20 juin):
Recevez tous mes remerciements pour la peine que vous avez prise de m’envoyer les noms de vos élèves et de leur demander de prendre part à l’exécution du festival. Ils recevront dans peu une lettre d’invitation. […]
À sa sœur Nanci (CG no. 910, 23 juin):
Je te remercie de ta bonne lettre, il ne faut pas m’en vouloir de la lenteur de mes réponses, tu sais à peu près pourquoi. Le grand Festival que j’organise pour la fin de juillet est une chose monstrueuse de difficultés; j’espère pourtant en venir à bout; je n’ai guère d’autre inquiétude que du côté de la recette qui doit nécessairement être monstrueuse aussi pour que j’y puisse gagner quelque chose. Enfin c’est une bataille à livrer. Mais mon intérieur est toujours plus horrible; il n’y a pas un seul instant de répit maintenant. J’ai loué un appartement à la campagne, elle [Harriet] y a demeuré quinze jours et à son retour mon supplice a recommencé. […]
À Isaac Strauss (CG no. 912, 25 juin):
L’affaire est en bon train, tout marche à souhait; mais le second concert m’inquiète et il y a une foule de détails, même pour le premier, qui rendent votre absence très fâcheuse. Je vous en prie, revenez donc le plus tôt possible pour engager votre orchestre et m’aider dans les répétitions qui vont commencer. C’est de la plus grande importance. Habeneck fait (comme on pouvait s’y attendre) sa petite opposition; sa bande se compose de sept personnes et nous sommes déjà plus de neuf cents!! C’est assez drôle. Vous savez que la ville de Lille envoie une députation de ses premiers artistes, qui viennent à leurs frais prendre part à l’exécution. Tâchez donc qu’il vienne aussi quelqu’un de Lyon, ce serait d’un excellent effet (et même de Moulins et de Dijon). […]
À Robert Griepenkerl (CG no. 915, 26 juillet)
À son père (CG no. 919, 19 août):
Vous ne devez rien comprendre au silence que j’ai gardé depuis la grande affaire Festivalesque… je n’ai écrit que six lignes à mon oncle, pendant que je prenais un bain, au sortir de cette bataille. C’est un immense succès pour moi, dont vous n’avez probablement pas une idée, à cause des journaux que vous recevez, le Siècle et les revues des Deux mondes; si vous voulez prendre la peine de lire les autres, non ennemis, je vous les enverrai. Je croyais avoir fait aussi une magnifique affaire d’argent puisque mon concert du Ier jour a produit trente sept mille francs! nous comptions que le concert-bal à bas prix dirigé par Strauss, le second jour, attirerait la foule, la classe moyenne, le peuple… il n’en a rien été… J’ai eu la satisfaction (assez désagréable cependant) de voir que la musique populacière n’a plus d’auditeurs; Strauss n’a fait que deux mille six cents francs de recette, et comme nous étions associés, il a fallu payer les frais du second jour sur la recette du premier. Puis, comme les artistes sont (en France) de véritables serfs taillables et corvéables l’administration des Hospices est venue nous prendre un impôt de Cinq mille francs et M. Delessert le Préfet de Police m’ayant envoyé une véritable armée de gardes municipaux, de sergents de ville etc, pour maintenir l’ordre m’a fait allouer à ces Messieurs la modeste somme de douze cents trente et un francs. Tellement qu’après avoir payé tout ce peuple d’exécutants, d’imprimeurs, de copistes, de graveurs, de charpentiers, de marchands de bois, de zinc, de toiles, de meubles, etc, il me reste de cette monstrueuse recette, le bénéfice net de huits cent soixante francs…
MM. les ministres ont assisté aux répétitions et au concert, ont écrit de belles lettres et payé leurs places comme de simples bourgeois; l’un 40 fr pour quatre places, l’autre 150, pour quinze. Mais les ministres n’ont pas plus d’argent que la ville de Paris, qui ne peut payer elle-même ses agents et nous les impose en nombre exorbitant.
Vous voyez si j’ai tort de dire que les artistes, en France, sont des serfs. Nous payons la dîme. J’ai été imposé pour mon compte, cette année, à l’occasion de mes cinq concerts, de près de neuf mille cinq cents francs. Telle est la liberté dont nous jouissons. Telle est la belle récompense que j’ai reçue du pouvoir, pour avoir joué ma vie et donné à Paris la plus grande fête musicale qui ait jamais eu lieu en Europe. Mais c’est déjà beaucoup qu’on m’ait laissé faire, j’en ai douté jusqu’au dernier moment.
C’était, je vous jure, un curieux spectacle, à part l’intérêt musical!!! Cet enthousiasme de huit mille auditeurs… ce silence profond pendant les morceaux; ces cris, ces hourras après; tous les hommes debout, le chapeau en l’air, redemandant la dernière strophe de mon Hymne à la France. Il y a eu un instant terrible (Politico-musical) c’est celui où le refrain du chant d’Halévy « Jamais en France, jamais l’Anglais ne règnera » a été entonné; on eût dit d’une émeute, c’était un cri de guerre, c’était le premier grondement d’une révolution Européenne.
Le concert fini j’étais à demi-mort, on peut s’en douter, on m’a apporté linge et flanelle, puis on m’a construit sur l’estrade, au milieu de l’orchestre, une petite chambre avec des Harpes recouvertes de leur chemise et j’ai changé de tout avant de sortir. J’avais été saigné largement quelques jours auparavant; et je sentais ma poitrine se reprendre.
Je vais un peu mieux depuis quelques jours, mais j’étais réellement exténué et je toussais d’une horrible manière. Amussat m’assure qu’il ne s’agit que d’obtenir un repos complet… mais on ne vend pas plus au marché le repos que le dormir, le loisir et l’oubli.
Cependant je compte partir dans quels jours pour Bade où je tâcherai de ne rien faire de fatigant. […]
À sa sœur Nanci (CG no. 920, 24 août):
Tu as dû avoir de mes nouvelles par mon père qui t’aura sans doute communiqué la lettre qu’il a reçue de moi [CG no. 919]. La vraie raison de ce long silence je ne saurais précisément la donner; il y en a mille, dont la principale est le tourment permanent de mon intérieur. Les choses ont été poussées à un tel point, même pendant ces terribles répétitions du festival, qui me renvoyaient à demi mort à la maison, que faute de pouvoir supporter plus longtemps des nuits blanches ainsi passées l’œil ouvert et l’oreille obsédée de cris et d’injures, j’ai dû prendre une chambre dehors où je vais coucher tous les soirs. Je ne parais à la maison que le moins possible. Mercredi prochain très probablement je partirai pour l’Allemagne. Elle [Harriet] a enfin consenti à retourner à la campagne pendant mon absence et j’ai donné congé pour mon appartement de Paris. […]
Note: sauf correction d’erreurs évidentes on a reproduit la typographie et l’orthographe des originaux.
Journal des Débats, 23 juin
— Les premières répétitions pour le festival-monstre de M. Berlioz se sont effectuées cette semaine salle Herz, et promettent les résultats les plus beaux. La Bénédiction des poignards des Huguenots, interprétée par cinq cents instrumentistes et cinq cents chanteurs, offrirait seule de quoi faire courir tout Paris. Ce sera magnifique !
Journal des Débats, 23 juillet
L’article donne entre autres le détail du programme du concert dirigé par Berlioz:
1° Ouverture de la Vestale (Spontini) ; 2° Scène du troisième acte d’Armide, chœurs et airs de danse (Gluck) ; — 3° Marche au Supplice, fragment de la Symphonie fantastique (Berlioz) ; — 4° Prière de Moïse (Rossini) ; — 5° Ouverture du Freyschütz (Weber) ; — 6° Hymne à la France, chœur (Berlioz), paroles d’Auguste Barbier, composé pour cette solennité, et exécuté pour la première fois ; — 7° Prière de la Muette (Auber) ; — 8° Chœur de Charles VI (Halévy) ; — 9° Chant des Travailleurs français (Méreaux) ; — 10° Final de la symphonie en ut mineur (Beethoven) ; — 11° Chœur de la bénédiction des poignards, du quatrième acte des Huguenots (Meyerbeer) ; — 12° Hymne à Bacchus, d’Antigone (Mendelssohn) ; — 13° Oraison funèbre et apothéose, final avec chœurs et deux orchestres, de la Symphonie funèbre et triomphale, composée pour la translation des restes des victimes de Juillet et l’inauguration de la colonne de la Bastille (Berlioz). Le solo de trombone sera joué par M. Dieppo. On commencera à une heure de l’après-midi.
[Voyez aussi ci-dessous l’affiche du premier concert du Festival dirigé par Berlioz.]
— Le grand concert du festival a eu lieu aujourd’hui [le 1er août], sous la direction de M. Berlioz, avec un succès qui a dépassé toutes les espérances. Un public immense, tour à tour attentif et enthousiaste, une exécution d’une précision et d’une splendeur à peine croyables, quand on songe qu’il y avait mille vingt-deux musiciens, ont fait de cette solennité une des plus belles et des plus imposantes qu’on puisse citer dans les fastes de l’art. Les morceaux qui ont produit la plus vive impression sont la Prière de Moïse, le chœur des Huguenots, l’Hymne à la France de M. Berlioz, dont la dernière strophe a été accueillie par une véritable explosion d’applaudissemens, et le chant de Charles VI de M. Halévy, qu’on a fait répéter. La recette s’est élevée à 37,000 fr. S. A. R. M. le duc de Montpensier occupait une des loges réservées en face des exécutans.
La deuxième journée du festival aura lieu dimanche prochain [4 août], à une heure. Un orchestre de bal de quatre cents musiciens exécutera, sous la direction de M. Strauss, des ouvertures, des quadrilles, des valses, des polkas. Pour que l’admission à cette dernière fête populaire soit à la portée d’un plus grand nombre de personnes, on n’a point fait de différence entre les places, et le prix du billet a été fixé à 2 francs.
Revue et Gazette Musicale, 4 août
FESTIVAL DE L’INDUSTRIE.
(1re journée.)
Cette mémorable solennité s’est enfin effectuée jeudi dernier, en présence d’une foule innombrable.
L’orchestre et les chœurs placés sur un immense amphithéâtre, offraient à eux seuls le coup-d’œil magique d’une vaste salle de concert.
Au premier plan, brillaient d’abord sur huit rangs, toutes nos illustrations vocales et les meilleurs choristes de nos théâtres royaux : les soprani et les contralti, sur les quatre premiers rangs, ensuite les ténors et les basses-tailles.
Au second plan, s’élevait l’orchestre, M. Berlioz en tête, ayant à sa gauche les premiers violons, à sa droite les seconds, derrière lui la masse des instrumens à vent ; un vaste réseau de basses et de contrebasses soutenait le tout. N’oublions pas un bouquet de harpes sur le devant de l’orchestre.
A côté de Berlioz siégeait Tilmant, comme second chef d’orchestre ; et comme maîtres de chant, MM. Banderali, Benoît, Laty, Dietsch, Tariot et Lebel, se partageaient le soin de diriger les chœurs : et quels chœurs ! Bordogni, Ponchard et Poultier, lisaient au même pupitre ; à côté d’eux, vous voyez Wartel-Schubert, Masset, Mocker et le baryton Tagliafico. Ici, c’est Barroilhet avec sa voix stridente, et là Levasseur, la basse-taille satanique. Voici Mme Dorus-Gras, le rossignol sans pareil, à la tête des soprani ; puis la charmante Mme Potier, et non loin d’elles brille la ravissante vignette anglaise Mme Anna Thillon.
Et combien d’autres noms illustres échappent à notre plume ! autant vaudrait faire l’énumération de nos célébrités parisiennes.
Voici, devant l’orchestre, nos sommités artistiques et littéraires ; un peu plus loin toute l’aristocratie de la capitale, puis vis-à-vis de l’orchestre, une loge royale ayant pour hôtes M. le duc de Montpensier et les autorités de la ville, dominant sur une foule immense.
Partout c’est un air de joie et de satisfaction, partout se trahit le légitime orgueil du sentiment national, et dans tous les cœurs on semble lire ces mots : « La France a voulu avoir son festival, et d’un coup de sa baguette magique elle a jeté ce nouveau défi au monde. » Quel pays eût pu réunir un semblable faisceau de capacités musicales ? Et quelle ville pourrait offrir un spectacle aussi imposant, aussi grandiose ?
Malheureusement la salle ne pouvait répondre à une semblable audition musicale. Au lieu d’une grande case mal distribuée et construite dans de mauvaises conditions d’acoustique, il aurait fallu un véritable palais, tel qu’il devrait en exister un à Paris, la capitale des arts.
L’orchestre, surtout, n’a pas produit l’effet qu’on aurait pu attendre du concours de tant de talens réunis.
Un assistant disait que l’effet de cet orchestre était tellement mesquin, qu’au bout de la salle « on croyait entendre quelques méchantes sonates exécutées sur un mauvais clavecin. » L’homme qui établissait ce bizarre parallèle était vêtu d’une longue redingote bleue et coiffé d’un chapeau des plus excentriques. A ce costume et surtout à l’exagération de la métaphore, vous avez reconnu l’auteur de Pigeon vole, le maestro Castil Blase, jaloux de n’avoir pas inventé le festival.
Quoi qu’il en soit, le final de la symphonie en ut mineur de Beethoven a été rendu par l’orchestre avec un magnifique ensemble et une merveilleuse perfection.
Les morceaux avec chœurs ont rallié toutes les sympathies, notamment la Prière de Moise dont on a redemandé un couplet, la bénédiction des poignards, sublime fragment des Huguenots, dont l’exécution aurait été admirable sans un incident vocal que Meyerbeer n’avait pu prévoir dans sa partition ; et le bel apothéose de la symphonie de Berlioz, qui a dignement couronné la séance.
Mais le morceau qui a reçu les honneurs du bis, c’est le chant national de Charles VI :
Jamais en France l’Anglais ne régnera !
D’une facture parfaitement appropriée à la circonstance, ce chœur a produit la plus vive sensation. Plusieurs Anglais s’en seraient trouvés suffoqués, et la malignité publique ajoute que la charmante Mme Anna Thillon se serait abstenue d’y prendre part :
A tous les cœurs biens nés que la patrie est chère !
Cette jeune cantatrice voudrait-elle que l’Anglais régnât en France ? Passe encore pour les Anglaises, quand elles sont jolies, pour peu qu’elles se résignent à partager l’empire avec nos jolies compatriotes.
Deux morceaux de circonstance avaient été préparées pour cette fête : l’un, le Chant des travailleurs, par M. Méreaux, n’a pas obtenu de succès ; l’Hymne à Bacchus, de Mendelsohn, a subi le même sort. Mais c’est encore un honneur que de succomber en aussi belle compagnie.
L’Hymne à la France, de M. Berlioz, a eu plus de bonheur. La cinquième strophe surtout, avec le chœur : Dieu protège la France, a laissé une impression profonde.
Maintenant, honneur à l’artiste courageux et persévérant, honneur à Berlioz, qui a conçu cette grande idée, et qui l’a si heureusement réalisée ! Honneur à toutes nos célébrités instrumentales, honneur à toutes nos illustrations chantantes, qui sont venues là, comme de simples choristes, rendre hommage à l’art musical ! Honneur aussi à l’immense auditoire, qui a récompensé de ses bruyans bravos et de son noble enthousiasme les efforts généreux de tant de volontés réunies !
La recette s’est élevée à 36,000 fr. (dont 15,000 fr. de recette à la porte, de midi à une heure) !
Les hospices recevront pour leur part 4,500 fr.
Tout le monde aura donc gagné à cette belle fête musicale, qui laissera de longs souvenirs chez le riche, comme dans les classes pauvres.
The Times, 5 août (en anglais)
L’Illustration, 10 août (p. 371-3)
GRAND FESTIVAL DE L’INDUSTRIE.
Neuf cent cinquante musiciens rassemblés, enrégimentés, et manœuvrant simultanément sous la direction et à la parole d’un seul homme ! Certes, il y avait bien, dans la seule annonce d’un pareil fait, de quoi exciter la curiosité publique, surtout si l’on ajoute que cet homme, ce commandant unique et suprême, devait être M. Berlioz, qui n’a pas coutume de se mettre en mouvement pour peu, et de qui l’on sait d’avance qu’on ne doit attendre que des choses extraordinaires. Aussi, plus de cinq mille curieux avaient répondu à l’appel de M. Berlioz, et avaient cédé à l’attraction de sa monstrueuse affiche. — Neuf cent cinquante musiciens ! cinq cent cinquante instrumentistes ! quatre cents chanteurs ! Que cela doit être beau !
Là-dessus pourtant il faut s’entendre. Mille musiciens feront dix fois plus de bruit que cent musiciens, si vous les entendez dans le même local. Cela ne peut être révoqué en doute. Mais si le local s’agrandit dans la même proportion que le nombre des exécutants, il est évident que dans les deux cas l’effet sera le même. Or, c’est là ce qui doit naturellement arriver. Mille musiciens, — ou neuf cents cinquante, — ne tiennent pas dans le pas d’un cheval, comme dit Géronte. D’un autre côté, l’on ne hasarde pas les frais énormes qu’entraîne nécessairement un aussi vaste déploiement de forces musicales, si l’on ne compte sur une recette proportionnée, qui ne saurait venir que d’une immense quantité d’auditeurs, qu’il faut loger. On peut donc poser comme une règle générale que ces grandes réunions de voix et d’instruments, ayant à remplir de leur vibrations un espace immense, doivent produire à peu près le même effet qu’un orchestre et des chœurs ordinaires dans un espace ordinaire.
Le 4 septembre 1842, la statue de Mozart fut solennellement inaugurée à Saltzbourg, patrie de ce grand homme. Le lendemain, un service funèbre fut célébré en son honneur dans la cathédrale, et son requiem y fut exécuté par deux mille huit cents musiciens. C’est bien autre chose que les neuf cents exécutants de M. Berlioz, et ce grand festival de l’industrie paraîtrait, en Allemagne, qu’un enfantillage. J’ignore quel effet a produit cette formidable armée sonorifique ; mais les journalistes allemands qui ont rendu compte de la cérémonie ont très peu insisté sur le bruit qui s’y était fait.
Il y a dix-huit mois, les élèves de l’Orphéon, réunis au nombre de sept à huit cents, ont exécuté une messe solennelle à Notre-Dame. Ils y ont produit moins d’effet que vingt choristes n’en produisent les soirs à l’Opéra-Comique.
Il est donc évident que les curieux qui s’étaient portés en foule au grand festival « pour être saisis, atterrés, foudroyés par la puissance des moyens sonores employés, » avaient compté sans leur hôte, et n’avaient pas une idée exacte de l’immensité du local où cette « solennité musicale » devait se passer. L’Opéra n’emploie guère plus de cent exécutants, orchestre et choristes réunis, et le rez-de-chaussée (orchestre, parterre, baignoires et amphithéâtre) n’y contient pas assurément plus de mille spectateurs. Or, il y avait dix mille places de plain-pied au palais de l’exposition.
En supposant donc la salle, disposée à la hâte pour l’exécution du festival, eût offert les mêmes combinaisons acoustiques que la salle de l’Opéra, on ne pouvait raisonnablement attendre qu’un résultat à peu près égal à celui qu’on obtient à l’Académie royale de musique : cent est à mille comme mille est à dix mille. Mais les termes de cette proportion étaient altérés par une foule de circonstances défavorables. Il n’y avait aucune proportion entre la longueur du lieu et sa largeur. Le plafond n’avait pas assez de hauteur pour que le son pût se former et se propager convenablement. La salle consistait en une nef centrale, et deux bas-côtés latéraux sous lesquels les vibrations venaient s’étouffer et mourir. Le plafond n’était formé que de toiles flottantes, et les banquettes étaient posées sur la terre nue, de sorte qu’en haut et en bas, les ondes sonores, au lieu de se répercuter, s’absorbaient.
Il n’y a donc pas à s’étonner que l’effet du festival ait été beaucoup moindre que celui des exécutions ordinaires. Cela devait arriver infailliblement ; le contraire eût été un phénomène inexplicable, et qui eût donné aux lois de l’acoustique le plus violent démenti.
Mais les lois de la nature ne reçoivent point de démentis. Il y a bien paru. On a rarement entendu rien d’aussi terne, d’aussi sec, d’aussi lourd que la sonorité produite par ces quatre cents voix et par cet immense orchestre ; et ceux mêmes des auditeurs qui avaient prévu ce résultat étaient obligés de convenir qu’il dépassait leur attente. On eût dit qu’un enchanteur malveillant s’était amusé à rendre les instruments muets, ou bien que chaque auditeur eût de la cire dans les oreilles, comme autrefois les compagnons d’Ulysse. L’ouverture de la Vestale, celle du Freyschütz, la marche du supplice, la symphonie en ut mineur étaient réellement méconnaissables.
Les morceaux où les voix se mêlaient aux instruments ont été moins complétement amortis. C’est que le chœur placé en avant de l’orchestre, n’était plus sous le bas-côté, dans la nef ; qu’il avait par conséquent beaucoup plus d’air au-dessus de lui, et se trouvait plus loin de ces toiles flottantes qui absorbaient si complétement les vibrations instrumentales. Le chœur des Huguenots, la prière de la Muette, celle de Moïse ont fait moins d’effet qu’à l’Opéra, mais assez, cependant, pour qu’on n’ait eu qu’à se louer de les avoir entendus. La prière de Moïse surtout a transporté l’auditoire, qui l’a fait répéter immédiatement. Le chant national de Charles VI,
Guerre aux tyrans ! Jamais en France
Jamais l’Anglais ne règnera,
a eu le même honneur, et a même excité un enthousiasme beaucoup plus bruyant. C’est qu’à ce moment les acclamations du public avaient un double sens, et qu’au plaisir musical se joignait la passion politique qu’avaient irritée les nouvelles arrivées de Taïti, et propagées par les journaux du matin. D’ailleurs le bruit ne s’était-il pas répandu que l’ambassadeur d’Angleterre était dans la salle ? Quand l’orchestre s’est mis en devoir d’obéir aux injonctions de l’auditoire, qui criait bis à renverser le fragile édifice, deux Anglaises ont jugé à propos, dit-on, de protester en se retirant. Voilà bien de la susceptibilité, mesdames, ou bien de la prudence !
On imaginerait difficilement quelque chose de plus médiocre et de plus plat que le Chant des Travailleurs, cantate composée par M. Méreaux pour cette circonstance.
L’Hymne à la France, de M. Berlioz, a beaucoup plus de valeur, et se termine par un développement de sonorité qui a vivement ému, et dont l’effet eût été colossal, si elle avait été exécutée dans un milieu plus favorable.
En général, on n’a que des éloges à donner à l’exécution. Orchestre et chœurs ont manœuvré avec un ensemble parfait, et M. Berlioz a tenu le bâton du commandement avec une intelligence et une énergie peu communes. Pourquoi seulement avait-il choisi pour champ de bataille cette affreuse baraque des Champs-Élysées, si grotesquement affublée du titre de palais ? Que n’avait-il plutôt demandé à l’autorité compétente le magnifique et inutile monument qu’on appelle le Panthéon, et où se trouvent réunies toutes les conditions de sonorité dont la salle de l’exposition était dépourvue ?
Recto |
Verso |
© Musée Hector-Berlioz
L’original de ce programme se trouve dans les collections du Musée Hector-Berlioz. Nous remercions vivement le Musée de nous avoir accordé la permission de le reproduire sur cette page. Tous droits de reproduction reservés.
Cette image est reproduite d’après L’Illustration, 10 août 1844 ( p. 372) dont un exemplaire est dans notre propre collection.
© Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page. Tous droits de reproduction réservés. Cette page créée le 15 octobre 2012, mise à jour le 1er décembre 2012.
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