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Présentation
1843
1852-1856

   Benvenuto Cellini
   Novembre 1852
   Février 1855
   Février-mars 1856
Après 1856
   Liszt et la princesse
   Amis de Weimar
   La famille ducale
Chronologie
Choix de lettres de Berlioz et autres correspondants

Weimar en images:  Weimar autrefois  Weimar de nos jours  Goethe et Schiller à Weimar

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Présentation

Weimar est une ville artiste et la famille ducale sait honorer les arts
(Berlioz, Premier Voyage on Allemagne, Lettre 10 – en 1843)

Des grands compositeurs français, Berlioz est celui qui a le plus de points de rattache avec Weimar
(Liszt, lettre au Grand-Duc Charles Alexandre – en 1883)

    Dans l’histoire des rapports de Berlioz avec l’Allemagne, Weimar tient une place de premier choix: les relations du compositeur avec la ville s’étendent sur plus de deux décennies, de 1843 à 1863 et au delà. Pendant cette période Berlioz développera de multiples liens avec des musiciens et écrivains actifs à Weimar, particulièrement dans les années 1852-1856 quand une cercle de jeunes enthousiastes se forme autour de Liszt, l’ami de Berlioz de longue date et la compagne de Liszt, la princesse Sayn-Wittgenstein, qui sont à cette période le moteur de l’activité musicale de la ville. Un lien parcourt toute cette aventure: la protection bienveillante fournie par une suite de Grand-Ducs et Grandes-Duchesses de Saxe-Weimar, de Charles Frédéric (1783-1853) et sa femme Maria Pavlovna (1786-1859), sœur du Tsar de Russie, à son fils et successeur Charles Alexandre (1818-1901) et sa femme Wilhelmine Marie Sophie Louise (1824-1897), fille du roi de Hollande. Tous ces souverains pérpétuent consciemment une tradition de mécénat éclairé pour l’activité artistique et intellectuelle qui remonte à Charles Auguste (1757-1828), père de Charles Frédéric et ami et protecteur de Goethe. Sous son règne, et malgré ses dimensions modestes, Weimar se hisse au rang de centre intellectuel du monde allemand et acquiert la réputation d’une ‘Athènes moderne’. Il va de soi que tous les membres de la famille ducale parlent français couramment (la correspondance entre Liszt et Charles Alexandre, tous deux d’éducation allemande, est entièrement en français).

    Les rapports de Berlioz avec Weimar peuvent être divisés en trois périodes: la première visite en 1843; la période de relations étroites entre 1852 et 1856, quand l’influence de Liszt à Weimar est à son apogée; et la période après 1856 quand l’influence de Liszt décline et lui et la princesse Sayn-Wittgenstein quittent finalement Weimar pour Rome et l’Italie, mais la cour de Weimar continue à entretenir des rapports bienveillants avec Berlioz.

1843

    À son retour d’Italie en 1832 les projets de Berlioz de voyage en Allemagne se fixent d’abord sur Berlin. Il connaît bien entendu Weimar de réputation, mais tout d’abord non comme ville musicale mais comme le centre intellectuel et culturel qui est lié au nom de deux de ses idoles littéraires, Goethe et Schiller, et de leur patron le Grand-Duc Charles Auguste (cf. CG no. 100). Berlioz connaît les œuvres de ces deux poètes, bien que seulement en traduction française. En 1828 il découvre le Faust de Goethe dans la traduction de Gérard de Nerval, qui l’inspire à écrire les Huit scènes de Faust qu’il publie sans tarder comme son Œuvre 1; mais il retire bientôt l’ouvrage, qu’il développera plus tard pour en faire la Damnation de Faust (Mémoires, chapitres 26 et 54). Berlioz pousse même l’audace à écrire au célèbre poète pour lui envoyer un exemplaire de la partition dès sa publication (Correspondance générale no. 122, 10 avril 1829; ci-après CG tout court), mais Goethe, se fiant au jugement négatif du compositeur Zelter, ne se donne pas la peine de répondre.

    Au départ Berlioz ne connaît personne parmi les musiciens de Weimar. La première relation éventuelle à se présenter est Jean-Baptiste Chélard (1789-1861), violoniste, compositeur et chef d’orchestre, dont Berlioz fait la connaissance à Paris dans les années 1820 quand Chélard fait partie de l’orchestre de l’Opéra (cf. CG nos. 126, 154). Après plusieurs tentatives de faire carrière à l’étranger Chélard s’installe enfin à Weimar en 1836 comme Kapellmeister, mais sans jamais s’imposer là ou ailleurs, et Berlioz visiblement ne le considère pas comme méritant d’être cultivé. Bien plus prometteur est le musicien et écrivain Johann Christian Lobe (1797-1881), ‘ce type du véritable musicien allemand’ comme Berlioz l’appellera plus tard (Mémoires, Premier voyage en Allemagne, Troisième lettre). Ami de Goethe, il est flûtiste à l’orchestre du théâtre de Weimar jusqu’en 1842 et fonde un institut de musique dans la ville. Lobe est parmi les premiers et plus chaleureux partisans de Berlioz en Allemagne: ‘j’étais votre ami depuis le moment, que j’ai ouï l’ouverture des Francs-Juges, et je le serai jusqu’à la fin de ma vie’, écrira-il à Berlioz quelques années plus tard (CG no. 793). L’ouverture avait été exécutée à Weimar à un concert en 1837 (le 19 mars) et avait suscité de la part de Lobe une lettre ouverte enthousiaste dans la Neue Zeitschrift für Musik de Schumann le mois suivant (9 mai), où Lobe exprimait l’espoir d’une visite de Berlioz à Weimar. Schumann, lui-même partisan de première heure de Berlioz, s’empresse de lui envoyer un exemplaire de l’article (CG no. 496bis [tome VIII]).

    Quand Berlioz se met finalement en route en décembre 1842 pour le voyage en Allemagne si souvent ajourné, Weimar est donc une étape qui s’impose: avant la fin du mois il est en rapport avec Lobe et reçoit de lui une lettre à la fois instructive et chaleureuse (CG nos. 792, 793), mais Lobe le prévient toutefois de concilier par prudence Chélard pour éviter des froissements, conseil que Berlioz s’empresse de suivre (CG nos. 796, 798bis et 798ter). Il arrive à Weimar vers le 18 janvier en provenance de Francfort et séjourne jusqu’au 28 quand il part pour Leipzig (CG nos. 806, 807). Après les déceptions du début du voyage le séjour de Weimar marque le début d’une phase plus positive. Mais c’est aussi à Weimar que Marie Recio, à qui Berlioz a tenté de fausser compagnie à Francfort, le rejoint et ils feront ensemble le reste du voyage (CG no. 815).

    Il subsiste un certain nombre de lettres datant de janvier 1843 mais elles donnent peu de détails sur le séjour de Weimar. Le récit publié par Berlioz plus tard dans l’année dans la troisième de ses lettres sur son voyage (Journal des Débats, 28 août 1843; Critique Musicale tome V, p. 275-84) est un peu plus fourni. La lettre sera bientôt reprise avec les autres dans le premier des deux tomes du Voyage musical en Allemagne et en Italie de 1844, et sera finalement intégrée dans les Mémoires posthumes.

    À l’époque les ressources musicales de Weimar sont modestes; le chœur du théâtre est très faible, l’orchestre comme d’habitude a ni cor anglais (cf. CG no. 970 [tome VIII]), ni ophicléide, ni harpe, et il faut renforcer les cordes avec des joueurs supplémentaires (cf. CG nos. 792, 793, 799). Berlioz demande audience au Grand-Duc et à la Grande-Duchesse mais ne semble pas l’avoir obtenu (CG no. 801); le silence des Mémoires est significatif. Le concert du 25 janvier au théâtre comprend l’ouverture des Francs-Juges, bien connue à Weimar, la Symphonie fantastique, le deuxième mouvement de Harold en Italie, et trois mélodies chantées par Marie Recio (Le Jeune pâtre breton et Absence avec accompagnement de piano, et La Belle voyageuse avec orchestre). Comme d’habitude la participation de Marie Recio n’est pas mentionnée dans les Mémoires.

    Berlioz se déclare satisfait des résultats et de la réception qu’on lui accorde (CG nos. 806, 806bis [tome VIII], 807), et de toute sa tournée en Allemagne Weimar est la seule ville où on lui laisse la totalité de la recette du concert. Il aurait voulu faire un autre passage à Weimar avant son retour à Paris, mais le projet échouera (CG no. 831). Conscient de l’avertissement de Lobe, Berlioz a bien soin de rester en rapport avec Chélard pendant le reste de son voyage (CG nos. 810, 826, 831). Dans la lettre sur le séjour de Weimar qu’il publie dans le Journal des Débats il souligne expressément l’appui qu’il a reçu de Chélard, qu’il nomme son ‘savant compatriote’ et ‘un artiste noble et digne’ (Critique Musicale V, p. 281-2). Chélard ne peut contenir sa joie à cet hommage public inaccoutumé, et il en conçoit de grands espoirs pour l’avenir (CG no. 864). Mais Berlioz gommera les épithètes flatteurs de la version qui sera reprise plus tard dans les Mémoires. Chélard sera plus tard remplacé par Liszt à Weimar; le reste de sa carrière musicale est sans relief et son nom ne figure que rarement dans la correspondance de Berlioz; il meurt en 1861 (CG nos. 2071, 2207bis [tome VIII], 2536).

    L’amitié avec Lobe durera par contre encore bien des années, bien que ce qui reste de leur correspondance est assez modeste (pour la suite voir CG no. 1655 et au tome VIII les nos. 1598bis, 1663bis, 1751bis et 2707bis). Lobe quitte Weimar pour Leipzig en 1846 où il devient rédacteur de son propre journal (cf. CG no. 1444). Berlioz l’y reverra plus tard, et en avril 1863 il sont toujours en rapport: Berlioz l’invite à venir entendre Béatrice et Bénédict à Weimar (CG no. 2707bis).

1852-1856

    Pendant bien des années Weimar disparaît de l’horizon de Berlioz, malgré l’accueil bienveillant qu’il y a reçu. C’est grâce à Liszt qu’il est invité à revenir des années plus tard, et cette fois Weimar va jouer un rôle de tout premier plan dans sa carrière musicale. La lettre qu’il publie en août 1843 sur sa visite à Mannheim et Weimar est en fait adressée à Liszt, mais on n’y trouve aucune allusion évidente aux liens que Liszt était en train de développer avec Weimar dès avant le passage de Berlioz en 1843. Liszt s’y produit en virtuose pour la première fois en novembre 1841 et fait tout de suite une grande impression sur le public et sur la famille ducale. Il revient on octobre 1842, et le mois suivant (2 novembre) est nommé Kapellmeister extraordinaire. Le contrat précise qu’il consacrera trois mois par an à cette tâche, et au début de 1844 Liszt dirige une première série de concerts. Berlioz est sans aucun doute au courant de la situation: il voit Liszt à plusieurs reprises au cours de ces années, à Paris en avril 1844 (CG nos. 896-8), à Bonn en août 1845 aux cérémonies en l’honneur de Beethoven, et de nouveau à Prague en avril 1846. Les deux hommes sont en correspondance, et dans une lettre de juin 1845, Berlioz, qui sait que Liszt cherche à développer les ressources instrumentales de l’orchestre de Weimar, lui recommande un joueur de hautbois et de cor anglais (CG no. 970 [tome VIII]).

    Pendant quelques années Liszt n’est associé à Weimar qu’à temps partiel. Mais au cours d’une tournée en Russie en février 1847 il rencontre la princesse Sayn-Wittgenstein (cf. CG no. 1108) qui le convainc d’abandonner la carrière de virtuose errant qu’il a poursuivi au cours des années 1840 pour s’installer avec elle à Weimar, ce qu’ils feront en 1848 (ils n’auront cependant jamais l’occasion de se marier). Liszt va se consacrer à composer, mais il a aussi comme Kapellmeister permanent remplaçant Chélard le projet de faire de Weimar un nouveau centre de musique progressive. Berlioz est au courant de ces événements: en janvier 1849 Liszt lui adresse une lettre l’informant de ses activités à Weimar et d’une prochaine exécution du Tannhäuser de Wagner (CG no. 1242bis [tome VIII]). Effectivement, l’effort de Liszt va se porter tout d’abord sur Wagner, dont il vient de découvrir la musique et qu’il va soutenir de multiples façons pendant des années à venir: Tannhäuser en 1849 sera suivi de la première de Lohengrin en août 1850. Mais outre Wagner Liszt a également l’intention de se faire tout autant le champion de la musique de Berlioz, son ami de longue date: leur première rencontre remonte à 1830 et à la première de la Symphonie fantastique (Mémoires, chapitre 31; CG no. 190), et depuis cette date ils restent en contact malgré leurs voyages et obligations. Liszt s’efforce sans cesse d’appuyer son ami: ainsi en janvier 1839 il publie dans la Revue et Gazette Musicale un article à la louange de Benvenuto Cellini, peu après la première malheureuse de l’œuvre à l’Opéra (CG no. 622). Et cependant il ne semble pas être venu à l’esprit de Berlioz que Liszt aurait pu tirer parti de sa nouvelle situation pour appuyer son ami, et c’est pour Berlioz une surprise totale quand en août 1851 il apprend que Liszt à l’intention de monter Benvenuto Cellini à Weimar (CG no. 1426).

    Benvenuto Cellini

    La chute de Benvenuto Cellini à l’Opéra en septembre 1838 est pour Berlioz un des plus graves échecs de sa carrière; l’œuvre ne sera jamais représentée à nouveau à Paris du vivant du compositeur. Mais au cours des années suivantes Berlioz peut tout de même sauver par la publication une partie de la musique. La grande partition de l’ouverture, souvent exécutée par Berlioz au concert à Paris et à l’étranger, est publiée par Schlesinger en 1839, ainsi que 9 airs de l’opéra avec accompagnement de piano (cf. CG no. 1690). En 1841 Berlioz arrange la première version de l’air de Teresa au premier acte pour en tirer Rêverie et caprice pour violon et orchestre, et en 1843-4 il adapte la musique de deux scènes de l’opéra pour en faire l’ouverture du Carnaval romain. Ces deux morceaux figurent souvent dans ses tournées à l’étranger, et la deuxième version de l’air de Teresa est chantée plusieurs fois séparément aux concerts de son voyage en Allemagne de 1843 et ultérieurement. Mais pour l’œuvre dans son ensemble Berlioz n’envisage visiblement pas d’avenir en France ou ailleurs, et pendant des années elle sera mise de côté. Il est frappant de constater à ce sujet que quand Berlioz est nommé chef d’orchestre au théâtre de Drury Lane à Londres en 1847 et est chargé de fournir un opéra pour la saison à venir, il ne lui vient pas à l’esprit de reprendre Benvenuto Cellini mais pense plutôt à adapter la Damnation de Faust à cette intention.

    Berlioz accepte avec reconnaissance l’offre de Liszt et se met tout de suite au travail pour restaurer la partition (encore inédite) avant de l’envoyer à Liszt; il s’agit aussi de rétablir plusieurs coupures faites à l’Opéra en 1838 (CG nos. 1426, 1430). Dans cette forme, et dans une traduction allemande dûe à A. F. Riccius, l’opéra est monté avec succès à Weimar trois fois le 20, 24 et 27 mars 1852. Berlioz, absent à Londres et dans l’incapacité d’assister aux représentations, est tenu au courant par Liszt (CG nos. 1449, 1459), pour lequel il déborde de reconnaissance (CG nos. 1462, 1463, 1471, 1489), et il n’oublie pas non plus de remercier la Grande-Duchesse (CG no. 1464). Mais Liszt, avec la collaboration de son élève Hans von Bülow qui publie deux articles sur l’opéra en avril 1852, parvient vite à la conviction que le deuxième acte nécessite de profonds changements, et d’ailleurs l’opéra dans sa version originale dépassait ‘la durée d’un spectacle ordinaire’ en Allemagne (cf. CG no. 1501). Il fait part de ses doutes à Berlioz dans une lettre (perdue) de juin 1852; il est en fait possible (selon David Cairns) que Liszt et Bülow auraient déjà introduit des coupures et changements dans l’ouvrage dans une quatrième représentation le 17 avril, avant même d’avoir consulté Berlioz, et avant la publication le 30 avril du deuxième article de Bülow dans lequel il recommende de faire des changements à l’opéra. Quoiqu’il en soit, Berlioz est prêt à consentir aux changements suggérés et de bouleverser le deuxième acte pour ne pas sacrifier de la bonne musique; mais il se voit obligé de faire des coupures importantes, et l’opéra maintenant raccourci est divisé en trois actes au lieu des deux d’origine (CG nos. 1499, 1501). Sous cette forme l’opéra est exécuté quatre fois en novembre 1852 (CG nos. 1520, 1532, 1533, 1537, 1542), et encore deux fois en février et mars 1856 (CG nos. 2076, 2092, 2093, 2100, 2104, 2128), cette fois dans une nouvelle traduction allemande dûe à Peter Cornelius (CG no. 1690). Elles seront les seules exécutions en Allemagne du vivant de Berlioz (il est question de monter l’ouvrage à Dresde en 1854 et 1855 [cf. CG no. 1690], mais le projet n’aboutit pas, pas plus que d’autres projets ailleurs, comme à Karlsruhe – CG nos. 1542, 1548, 2351). L’ouvrage sera repris plus tard par Hans von Bülow à Hanovre en 1879 — Benvenuto Cellini occupe une place de choix dans le cœur de Bülow, place qui remonte à son travail sur l’ouvrage à Weimar en 1852 — et son exemple sera suivi ailleurs en Allemagne où l’opéra s’installe de façon durable au répertoire de nombreux théatres lyriques.

    Il n’y a pas lieu de s’étendre ici sur les modifications apportées alors à l’opéra, qui vont transformer la ‘version de Paris’ originale dans ce qui deviendra la ‘version de Weimar’, ni non plus de peser le pour et le contre des différentes versions (voir par exemple les articles publiés en 1905 par Julien Tiersot dans sa série de Berlioziana; NBE tome 1a, p. XXIV-XXXVII; David Cairns, Hector Berlioz, tome II [2002], p. 531-7, les articles de Hugh Macdonald, Christian Wasselin et Pierre-René Serna sur ce site, et Serna Berlioz de B à Z [2006], p. 18-32). On pourrait avancer que la cause première des difficultés qui vont assaillir l’opéra (et Berlioz lui-même) est que dès le départ Berlioz n’est pas le maître sans partage de son œuvre, puisqu’il n’écrit pas son propre livret (ce qu’il fera plus tard pour l’Enfance du Christ, les Troyens et Béatrice et Bénédict), sans parler des obstacles présentés par la suite par chanteurs et exécutants. On constatera que Berlioz était infiniment reconnaissant à Liszt et à la maison ducale pour avoir permis la résurrection heureuse de l’ouvrage, comme toute la correspondance du compositeur l’atteste. Il accepte avec bonne grâce les changements proposés par Liszt (CG nos. 1499, 1501), et continue de sa propre initiative à travailler à d’autres révisions et changements jusqu’en 1856 (CG nos. 1538, 1617). Il se déclare enchanté des résultats, qui selon lui marquent un progrès sur la version originale (CG nos. 1532, 1537, 1542, 1563, 1609, 1617, 2100), et rien dans sa correspondance ne laisse supposer qu’en son for intérieur il aurait voulu revenir sous une forme ou une autre à la version de 1838. Quand dans la foulée du succès de Weimar l’œuvre est montée au Covent Garden de Londres en 1853 dans une traduction italienne, les révisions de Weimar servent de point de départ (CG nos. 1563, 1568, 1581, 1589, 1609, 1617). Berlioz décide de sanctionner la version de Weimar en la faisant publier, décision de principe prise dès l’été de 1853 et poursuivie activement par la suite (CG nos. 1620, 1690, 1918). La partition chant et piano est finalement publiée par Litolff à Brunswick en 1856 avec le texte français et la traduction allemande de Cornelius (CG nos. 1935, 2012, 2143, 2149, 2159, 2179; la transcription pour piano de l’ouverture est dûe à Bülow – CG no. 1776); ‘notre édition de Cellini’, dira Berlioz à Liszt (CG no. 1995). L’ouvrage est dédié, comme il se doit, à la Grande-Duchesse Douairière de Weimar (CG nos. 1918, 2012, 2013, 2029, 2191, 2199bis [tome VIII]). Berlioz aurait-il fait par la suite d’autres remaniements si l’occasion s’en était présentée? on ne saurait trancher. L’échec de la représentation de Londres de 25 juin 1853 prive le compositeur de la possibilité d’étudier l’ouvrage d’un œil critique dans une série d’exécutions sous sa propre direction (l’exécution de Londres est la seule de son ouvrage qu’il ait jamais dirigée lui-même; cf. CG no. 2104). Fin 1856 et au début de 1857 il est question de monter l’œuvre au Théâtre Lyrique à Paris ‘avec une partie du livret mise en prose pour le dialogue et quelques changements avantageux qu’y ont introduits les auteurs’, mais le projet tourne court (CG nos. 2178, 2183, 2195, 2209; cf. NBE tome 1d, Appendice 4). Après cette date les allusions à l’ouvrage dans la correspondance de Berlioz se font rares jusqu’en 1863 quand en juillet Berlioz signe un contrat avec l’éditeur Choudens à Paris; le contrat donne pleins droits à Choudens pour la publication de la partition chant et piano ainsi que de la grande partition, dans la version de Weimar mais avec les paroles en français. La partition chant et piano paraît en 1865 avec quelques coupures dans les récitatifs (CG nos. 2660, 2827-8, 2855, 2991); la grande partition ne sera publiée qu’en 1886.

    Novembre 1852

    Liszt ne se contente pas d’inviter Berlioz à entendre son Cellini ressuscité: il insiste en juin 1852 pour qu’il vienne diriger un concert de sa musique (CG nos. 1496, 1505, 1510, 1511). ‘Cette petite excursion en Allemagne a été la plus charmante que j’aie jamais faite’ dira Berlioz de la visite qu’il fait à Weimar en novembre, accompagné de Marie Recio (CG no. 1542). L’accueil qu’il reçoit dépasse en chaleur tout ce qu’il a connu avant, comme sa correspondance l’atteste (CG nos. 1532, 1533, 1537, 1542). Il entend son opéra remis sur pied, joué avec bienveillance devant un public enthousiaste (17, 21, 23 novembre), et le succès de l’ouvrage suscite des projets de le monter ailleurs, dont il est vrai seul celui de Londres aboutira, comme il a été dit ci-dessus. Il dirige avec grand succès un concert comprenant les quatre premières parties de Roméo et Juliette et les deux premières de la Damnation de Faust (20 novembre). Il est reçu à plusieurs reprises par la famille ducale, par Liszt et la princesse Sayn-Wittgenstein, et par les musiciens de Weimar et des villes avoisinantes (21, 22, 23 novembre). Le Grand-Duc le décore de l’Ordre du Faucon Blanc (cf. CG no. 1725). Les solennités attirent une foule de visiteurs de nombreuses villes (CG nos. 1533, 1542, 1563) et les comptes-rendus de la presse allemande sont élogieux (CG no. 1561). Berlioz peut renouer contact avec de vieilles connaissances qui ont fait le voyage de Weimar pour l’occasion, tel Robert Griepenkerl de Brunswick. Particulièrement importants pour l’avenir sont les liens qu’il noue en novembre 1852 et par la suite avec des membres du cercle de Liszt, tel Hans von Bülow qui avait aidé à la révision de la partition de Cellini. Le séjour de Weimar mènera à la relance des voyages musicaux de Berlioz et à la série la plus réussie de concerts jamais donnés par lui en Allemagne, notamment à Francfort, Hanovre, Leipzig, Dresde, Bade et Weimar, où il est invité à revenir. Après son séjour de novembre il reste en contact régulier avec Liszt sur toutes ses activités musicales, et leur correspondance ne sera jamais plus soutenue que dans la période de 1852 à 1856. En avril 1854 Berlioz espère s’arrêter en route à Weimar pour voir Liszt et le jeune Grand-Duc qui a pris la succession de son père mort l’année précédente (CG nos. 1717, 1725, 1726), mais le voyage doit être reporté au début de mai à son retour de Dresde (CG nos. 1738, 1751bis [tome VIII], 1753, 1756). Détail pittoresque: en quittant Paris Berlioz a oublié d’emporter les croix reçues de feu le Grand-Duc et il est obligé de les faire venir spécialement avant sa venue (CG nos. 1725, 1739, 1746). À la fin de l’année il reçoit une invitation en bonne et due forme de revenir à Weimar au début de 1855 pour un autre festival consacré à sa musique (CG nos. 1811, 1812, 1847, 1869).

    Février 1855

    Le succès de la visite à Weimar de février 1855 est sans doute encore plus décisif que celui de novembre 1852. Berlioz donne deux concerts et on le presse de donner un troisième, ce qui s’avère impossible bien qu’il ait prolongé son séjour plus que prévu (11-27 février). Conséquence embarrassante: il est obligé d’ajourner un concert à Gotha décidé depuis plusieurs mois. Le premier concert, donné à la cour le 17 février dans une salle du palais ducal, comporte au programme des extraits de ses œuvres et la première exécution du nouveau concerto pour piano en mi bémol de Liszt, qui joue la partie de solo (CG nos. 1880, 1897, 1899, 1903). Le second, le 21 février au théâtre, fait date, non seulement par sa longueur mais à cause du programme. Pour commencer l’Enfance du Christ, choix qui s’impose à cause du succès récent de l’œuvre lors des premières exécutions à Paris en décembre 1854. Ensuite, la Symphonie fantastique, mais cette fois pas toute seule, comme dans les nombreuses exécutions dirigées par Berlioz à l’étranger à partir de 1842, mais avec sa suite et complément le Retour à la vie. Les deux œuvres n’ont pas été jouées ensemble depuis mai 1835, et le Retour à la vie n’a pas été entendu de nouveau avant le concert de Weimar. Il est présenté maintenant pour la première fois dans une version mise en scène et avec les monologues de 1831 profondément remaniés (CG nos. 1897, 1899, 1903). C’est une idée très personnelle de Berlioz, et qui mérite commentaire.

    La nouvelle version de l’ouvrage est sans doute conçue par Berlioz comme un hommage à Harriet Smithson, l’actrice qui en 1827 lui avait révélé Shakespeare. La mort de Harriet moins d’un an avant, le 3 mars 1854, avait bouleversé Berlioz (CG nos. 1701, 1702, 1704, 1705, 1708; Mémoires, chapitre 59). Liszt de son côté avait été intimement mêlé à la passion de Berlioz pour Harriet, et lors de leur mariage le 3 octobre 1833 il est un de leurs témoins. À l’occasion de sa mort il envoie une émouvante lettre de sympathie que Berlioz met en valeur en la citant à la fin du récit de la mort de Harriet dans les Mémoires. Les changements faits pour l’exécution du Retour à la vie en 1855 accentuent l’inspiration shakespearienne qui est au cœur de l’œuvre; les passages du monologue qui concernent Beethoven sont maintenant supprimés. Le lien avec Harriet est souligné pour un double retour de l’idée fixe de la Symphonie fantastique, pendant la première chanson (Le pêcheur) et tout à la fin après la Fantaisie sur la Tempête.

    Autre explication probable pour le choix de Berlioz (elle n’exclut pas la première): c’est précisément la juxtaposition inattendue de l’Enfance du Christ et des deux autres œuvres qui suivent. La lettre de Berlioz à Liszt au début de l’année (CG no. 1869) fournit une clef: il suggère en effet de faire suivre ‘un concert pie’ par ‘un concert impie’. Berlioz est certes ravi du succès de sa ‘petite Sainteté’ (CG no. 1874) mais aussi plutôt irrité à l’idée qu’il aurait changé de style (cf. CG nos. 1847-8, 1851, 1853; Post-Scriptum des Mémoires). Il veut donc sans doute réaffirmer sa personnalité artistique en faisant jouer dans un même concert deux (ou plutôt trois) œuvres d’un caractère bien différent, son oratorio sacré et les manifestes iconoclastes de sa jeunesse. Il sent qu’il trouvera à Weimar un public bienveillant qui sera également réceptif; sa correspondance montre que c’est le succès du Retour à la vie à Weimar qui fait le plus plaisir à Berlioz, et il s’étend longuement là-dessus (CG nos. 1897, 1899, 1903). Tout de suite après l’exécution de Weimar il prépare une publication intégrale de l’ouvrage dans sa version revue, sous le titre de Lélio, ou le retour à la vie (CG nos. 1907, 1916, 1918); la partition chant et piano paraît en décembre (CG no. 2070), et la grande partition l’année suivante (CG no. 2169).

    Tout comme en novembre 1852 Berlioz est accueilli et fêté généreusement, et invité à revenir l’année suivante quand Liszt a l’intention de monter Benvenuto Cellini de nouveau (CG nos. 1902, 1908, 1975). La veille de son deuxième concert il est même fait membre honoraire de la Neu Weimar Verein (CG nos. 1899, 1903), ‘club de jeunes artistes dits progressistes, dont je suis censé porter le Drapeau’, comme il l’explique. La réaction de la princesse Sayn-Wittgenstein à la nomination de Berlioz à l’Institut l’année suivante rend manifeste la pensée des cercles de Liszt à Weimar: la nomination ‘est une fête de famille pour tous les musiciens de l’avenir’ (CG no. 2148ter, mais cf. le no. 2143). On touche là l’origine d’un problème qui va compliquer les rapports de Berlioz avec Liszt dans les années à venir: Berlioz n’appartient à aucune secte, et ne veut pas être promu porte-étendard de tel ou tel mouvement ou école (cf. CG no. 2274).

    Février-mars 1856

    Pour éviter l’embarras de l’année précédente Berlioz commence par aller à Gotha où Liszt, bien que souffrant, tient à assister au concert de Berlioz (CG nos. 2093, 2094); ils se rendent ensuite ensemble à Weimar où ils arrivent le 8 février. De même qu’en 1855 Berlioz donne deux concerts (CG no. 2076). Le premier, le 17 février, est à la cour et comprend des extraits de la musique de Berlioz, y compris l’ouverture du Corsaire que le public de Weimar ne connaît pas encore (CG no. 2100), et un concerto de Litolff joué par le protégé de Berlioz, le jeune prodige Théodore Ritter (Litolff est à la fois musicien pratiquant et directeur de la maison d’édition à Brunswick qui va publier Benvenuto Cellini pour la première fois à la fin de l’année). Le deuxième concert, au bénéfice des veuves et orphelins de musiciens, a lieu au théâtre le 1er mars et comporte la première intégrale à Weimar de la Damnation de Faust (on se demande comment Goethe aurait jugé l’ouvrage). Berlioz ne dit rien de particulier sur le premier concert et se déclare satisfait du deuxième (CG nos. 2104, 2128), mais de nouveau ses lettres insistent sur sa joie à entendre la dernière version de Benvenuto Cellini remanié, cette fois dans la traduction de Cornelius (CG nos. 2092, 2093, 2100, 2104, 2128; cf. CG nos. 2101, 2101bis). Il assiste à la première exécution le 16 février, mais non à la seconde le 16 mars. Liszt lui écrit deux jours après cette dernière (CG no. 2109, cf. 2115) – elle sera en fait la dernière de l’ouvrage du vivant de Berlioz.

    Pendant son séjour Berlioz a aussi l’occasion d’entendre pour la première fois à Weimar la musique de Wagner: Liszt dirige deux exécutions de Lohengrin, la première le 18 février ou peu après, et la deuxième le 24, mais elle seront l’occasion d’une altercation publique et du premier désaccord ouvert entre les deux amis. La vérité des faits n’est pas claire, et le rôle de Berlioz dans la controverse n’est connu que de seconde main. Il n’y fait qu’une brève allusion dans une lettre quatre mois plus tard (CG no. 2128), et il semble vouloir réduire la portée de l’événement; une lettre antérieure à sa sœur Adèle brille par son mutisme sur l’affaire mais laisse aussi percevoir une certaine réserve à l’égard de Liszt (CG no. 2104). Liszt de son côté prend l’affaire très au sérieux, comme on peut le voir d’après sa correspondance, et à tort ou à raison il trouve le comportement de Berlioz peu bienveillant et entaché d’envie (CG V pages 272 n. 2 et 304 nn.  1-2). Les faits connus se réduisent à assez peu. Berlioz et Marie Recio sortent de la première représentation de Lohengrin pendant le deuxième acte; à la seconde représentation ils restent jusqu’au bout. Selon un récit dans un journal de Dresde, repris à Paris par La France musicale le 20 avril, il y aurait eu à un moment donné une altercation en public au sujet de la musique de Wagner, entre d’une part Litolff et Berlioz et de l’autre Liszt. Au cours des mois suivants Berlioz et Liszt vont cependant continuer à correspondre comme si de rien n’était (CG nos. 2109, 2115, 2149, 2178), mais leurs lettres n’ont plus la même chaleur spontanée ni la franchise ouverte des années passées.

Après 1856

    Comme lors des visites précédentes, le Grand-Duc insiste auprès de Berlioz pour qu’il revienne le plus tôt possible (CG no. 2104), mais bien des années vont s’écouler avant que cela soit possible. En août 1858 Berlioz ne peut accepter une invitation de la princesse Sayn-Wittgenstein de rendre visite à Weimar apres son concert à Bade (CG no. 2317), et il faudra attendre avril 1863 pour qu’il reprenne le chemin de Weimar.

    Liszt et la princesse

    Entre-temps la position de Liszt à Weimar s’affaiblit et finit par s’écrouler complètement. Malgré le soutien de la famille ducale, Liszt a toujours été contesté sur place et plus largement parmi certains cercles conservateurs de l’Allemagne musicale (cf. CG no. 2093). Par exemple, le violoniste Joachim, nommé premier violon de l’orchestre de Weimar en 1850, quitte son poste en 1852 pour rejoindre l’orchestre de Hanovre; par la suite il prendra parti pour Brahms dans la réaction contre Liszt et Wagner. Le soutien de Liszt pour Wagner, exilé de l’Allemagne pendant toutes les années 1850 pour des raisons politiques, et ses relations avec la princesse, sont autant de griefs contre lui (la correspondance de Berlioz est très discrète sur ces questions). La crise éclate en plein jour en 1858, lors de la première de l’opéra de Cornelius, Le Barbier de Baghdad (cf. CG no. 2521) dirigée au théâtre le 15 décembre par Liszt: face à une manifestation publique hostile Liszt en colère donne immédiatement sa démission comme chef d’orchestre du théâtre. La princesse quitte finalement Weimar pour Rome en 1860, où Liszt la rejoint l’année suivante.

    Berlioz et Liszt ne cesseront jamais d’être amis; ils restent en rapport, même indirectement, et se rendent service quand l’occasion s’en présente. Mais au cours des dix années à venir ils s’éloignent insensiblement l’un de l’autre, épreuve sans doute également pénible pour tous les deux. En 1830 la musique les réunit et va cimenter leur amitié pendant 25 ans, pour leur bien mutuel; mais maintenant la musique les sépare de plus en plus. Au cœur de leur désaccord est ‘la musique de l’avenir’, ou en d’autres termes l’admiration sans bornes vouée par Liszt à Wagner et que Berlioz ne peut partager. Pour Berlioz ‘la musique de l’avenir’ va devenir synonyme de ‘l’école du charivari’. Une lettre de Berlioz à Humbert Ferrand datée du 29 octobre 1864 montre la distance qui sépare désormais les deux hommes: ‘Liszt est venu passer huit jours à Paris, nous avons dîné ensemble deux fois, et toute conversation musicale ayant été prudemment écartée, nous avons passé quelques heures charmantes. Il est reparti pour Rome, où il joue de la musique de l’avenir devant le pape qui se demande ce que cela veut dire’ (CG no. 2920). Mais Liszt, de son côté, ne cessera jamais de défendre la musique de Berlioz.

    Mais le relâchement progressif des liens avec Liszt aura sa contrepartie. Le résultat le plus important du séjour de 1856 est la décision de Berlioz d’entreprendre, enfin et après bien des résistances, la composition d’un grand opéra d’après l’Énéide de Virgile, projet qui le hante dès son enfance et de plus en plus au début des années 1850 (Mémoires, chapitre 59). Il a déjà évoqué son projet durant sa visite de 1855 (CG no. 1903, P.S.). À cette occasion il résiste encore aux pressions exercées sans doute par Liszt et surtout par la princesse Sayn-Wittgenstein. Mais en 1856 il cède, et c’est la princesse qui a gain de cause. La correspondance de Berlioz avec elle remonte déjà à plusieurs années (la lettre la plus ancienne, CG no. 1463, date de 1852), mais à partir de mai 1856 elle va s’épanouir de façon remarquable. Au départ c’est le travail sur les Troyens qui est le fil conducteur de leur échanges. Berlioz ne cessera de reconnaître le rôle décisif joué par la princesse en le poussant à entreprendre l’ouvrage, et c’est elle qui partagera la dédicace avec Virgile (CG nos. 2264, 2293, 2799, 2814; Mémoires, Postface). Mais leur correspondance s’étend bien au delà: malgré leurs différences de points de vue (sur les questions religieuses, par exemple), la princesse lui accorde le droit de s’exprimer librement avec elle, et Berlioz ne se fait pas prier. Avec des interruptions (tel le départ pour Rome) leur correspondance durera jusqu’en 1867, et comblera en parti le fossé avec Liszt (la correspondance avec Liszt ne va pas au delà de 1864). Liszt est ainsi au courant de la genèse et du sort des Troyens et s’intéresse au nouvel ouvrage, de même que pour la dernière œuvre d’envergure de Berlioz, Béatrice et Bénédict (CG nos. 2632, 2634, 2651).

    Amis de Weimar

    Au cours de ses visites à Weimar dans les années 1850 Berlioz rencontre de nombreux membres du cercle de Liszt, et ses lettres à Liszt évoquent plusieurs fois ce groupe d’amis (CG nos. 1538, 1848, 1927, 1959, 2056). Parmi eux seuls quelques-uns formeront des liens plus approfondis et durables avec Berlioz. Ainsi le compositeur Joseph Joachim Raff (1822-1882) est mentionné plusieurs fois comme ami dans plusieurs lettres de 1854 à 1856 (cf. CG no. 1899), mais il n’y a pas de trace d’une correspondance entre lui et Berlioz, et son nom disparaît des lettres de Berlioz après cette date. Trois noms cependant retiennent l’attention.

    On a évoqué ailleurs en détail les rapports entre Berlioz et Hans von Bülow (1830-1894): les réactions de Bülow envers Berlioz sont le reflet de celles de son maître et beau-père Liszt – Bülow ne cessera d’admirer Berlioz et de prôner sa musique, mais le rejet de Wagner par Berlioz le blesse.

    Un cas différent est celui de Peter Cornelius (1824-1874), traducteur de Benvenuto Cellini pour les représentations de 1856 à Weimar, ainsi que de l’Enfance du Christ, le Retour à la vie et La Captive, tous également joués à Weimar (CG nos. 1690, 1869, 1880). Sa correspondance avec Berlioz commence en 1853 et se poursuit jusqu’en 1866. Personnage particulièrement sympathique, Cornelius réussit la gageure d’être admirateur à la fois de Berlioz et de Wagner et de garder l’amitié des deux. C’est lui qui dans un article à la louange de Berlioz publié à Berlin (cf. CG no. 1690) lance l’expression ‘les trois B’, qui signifie pour lui Bach, Beethoven et Berlioz, (déformé plus tard par Hans von Bülow pour devenir Bach, Beethoven et Brahms). Il reconnaît ouvertement la dette de son opéra Le Barbier de Baghdad envers Benvenuto Cellini (CG no. 2521) et reste très lié avec Berlioz jusqu’à la fin (CG nos. 2521, 2522, 2594, 2599, 2605, 2843, 3191). Berlioz est très touché quand en décembre 1866 Cornelius insiste pour venir de Munich à Vienne dans les plus brefs délais pour le voir et loger au même hôtel. Berlioz tient en haute estime son travail de traducteur et exprimera dans son testament le souhait que Cornelius fasse une traduction allemande des Troyens – souhait qui cependant ne sera pas réalisé.

    Moins prisé comme traducteur par Berlioz, mais non moins dévoué à sa cause, est le critique musical et écrivain Richard Pohl (1826-1896). On citera aussi en même temps sa femme Joanna (1824-1870); de 1854 à 1864 elle est harpiste dans l’orchestre de Weimar (cf. CG no. 2509). Berlioz avoue avoir un faible pour cet instrument (par exemple CG nos. 1568, 2297; Mémoires, chapitre 59), et le jeu de Mme Pohl remporte évidemment son suffrage: il le loue à plusieurs reprises (CG nos. 1811, 1869) et s’estime toujours heureux de pouvoir faire appel à Mme Pohl pour ses concerts en dehors de Weimar, comme à Leipzig en décembre 1853 (CG no. 1654), Gotha en février 1856, Bade en 1858 (CG no. 2289), et Löwenberg en avril 1863 (cf. CG no. 2722).

    C’est à Bade en 1853 que Richard Pohl rencontre Berlioz pour la première fois (il ne s’installe à Weimar que l’année suivante). La première lettre a avoir survécu date de 1855 (CG no. 2089) mais leur correspondance a commencé en fait plus tôt (CG no. 1704) et va se poursuivre jusqu’en 1864 (CG nos. 2355, 2571, 2670, 2678, 2691). Pohl défend la musique de Berlioz dans ses travaux critiques, et ambitionne aussi d’être son traducteur. Dès 1855 Berlioz envisage une édition allemande de ses Mémoires à venir, et le nom de Pohl lui vient à l’esprit, mais avec hésitation (CG nos. 1965, 1975, 1995), tandis que Pohl lui-même s’offre pour faire le travail (CG nos. 2074, 2355). Pour finir il n’y aura pas de traduction allemande des Mémoires par Pohl. Mais en 1859 Berlioz suggère à Pohl de traduire les Grotesques de la musique (CG nos. 2355, 2479), et en 1862 Pohl offre de faire également À Travers chants (CG no. 2663), puis une édition complète en allemand des écrits de Berlioz (CG no. 2678). Quatre tomes paraîtront finalement en 1864 comprenant en outre les Soirées de l’orchestre et le Traité d’instrumentation.

    C’est également à Richard Pohl que revient l’honneur d’avoir indirectement frayé le chemin pour Béatrice et Bénédict à Weimar: journaliste et écrivain, il est souvent en visite à Bade (cf. CG nos. 2678, en 1853; no. 2163, en 1856; nos. 2297 et 2317, en 1858; 2355 et 2393, en 1859), et il finira par s’y installer vers la fin de 1863 (CG no. 2797). Il est le seul journaliste allemand à assister aux premières représentations de Béatrice et Bénédict en août 1862 (CG VI p. 325 n. 1 et nos. 2632, 2663), et de retour à Weimar il suggère de monter l’œuvre au théâtre dans une traduction allemande dont il serait responsable. À Weimar les avis sont semble-t-il d’abord partagés; Dingelstedt, le directeur du théâtre, est peu enthousiaste, et les conditions proposées au départ à Berlioz le mettent en fureur (CG no. 2670). D’où intervention de Pohl et de la Grande-Duchesse: Dingelstedt est mis au pas et tout s’arrange rapidement (CG nos. 2678, 2692). Berlioz revient ainsi à Weimar pour la première fois depuis 1856, mais les circonstances ont bien changé: Liszt et la princesse ne sont plus là, et les Néo-Weimariens se sont dispersés. Deux exécutions de l’opéra, maintenant augmenté de deux morceaux supplémentaires, ont lieu le 8 et 10 avril 1863: grand succès, et la correspondance de Berlioz donne un récit très détaillé de l’évènement (CG nos. 2708, 2709, 2710, 2711, 2712, 2713, 2715). Deux autres exécutions auront lieu après le départ de Berlioz, le 29 mai (CG no. 2725) et le 13 novembre (CG nos. 2771, 2797).

    Berlioz a sans doute des réserves sur le travail de son traducteur (CG no. 2712), mais pendant les mois qui suivent ses rapports avec Pohl et sa femme harpiste n’auront jamais été plus cordiaux. Les Pohl accompagnent Berlioz dans son excursion à Löwenberg, puis Berlioz insiste pour faire inviter Pohl à Strasbourg en juin pour l’exécution de l’Enfance du Christ (CG nos. 2738-9), et Pohl assiste de nouveau aux représentations de Béatrice et Bénédict à Bade en août (CG no. 2757). Mais de manière surprenante leur correspondance prend fin subitement l’année suivante, et une série de lettres de Berlioz à Pohl reste sans réponse (CG no. 2913). En l’occurrence Pohl n’a pas tourné le dos à Berlioz, et vingt ans après, en 1884, il publiera un recueil bienveillant d’études et de souvenirs sur Berlioz (cf. la lettre de Liszt de 1883; on trouvera des extraits du livre de Pohl [Hector Berlioz: Studien und Erinnerungen] dans Michael Rose, Berlioz Remembered [2001], pages 131-2, 148, 245, 248-9, 251).

    La famille ducale

    L’accueil que me fait toujours cette charmante famille ducale est si gracieux et si cordial malgré l’étiquette!’ s’écrie Berlioz au début de 1856 (CG no. 2076). À l’époque de sa première visite de 1843, le Grand-Duc et la Grande-Duchesse lui sont certes bienveillants (cf. CG no. 793), mais ne semblent pas l’avoir rencontré en personne et se contentent d’envoyer leurs chambellans pour lui présenter leurs compliments; Berlioz néanmoins quitte Weimar avec le sentiment que ‘la famille ducale sait honorer les arts’ (cf. CG no. 826). Mais à partir de la visite de novembre 1852, et d’une génération ducale à la suivante, il se sentira toujours le bienvenu à la cour: tous les souverains s’intéressent à sa musique et lui prodiguent un appui constant, comme la correspondance du compositeur le démontre abondamment (CG nos. 1533, 1537, 1542 en 1852; 1811 et 1869 en 1854; 1869, 1899, 1903 en 1855; 2076, 2104 en 1856). La Grande-Duchesse Douairière soutient particulièrement la reprise de Benvenuto Cellini, et comme il se doit l’ouvrage lui sera dédié (CG nos. 1464, 2013, 2029, 2191, 2195). Dans ses Mémoires Berlioz distingue trois souverains allemands qui se passionnent pour la musique; le (jeune) Grand-Duc de Weimar est l’un d’eux et lui adresse une invitation ouverte à Weimar en 1856; et c’est à l’influence de la (jeune) Grande-Duchesse que Berlioz attribue la décision de monter Béatrice et Bénédict en avril 1863.

    À l’occasion de la visite de Berlioz en 1863 le Grand-Duc et la Grande-Duchesse le comblent à nouveau de gracieusetés, comme les écrits du compositeur en témoignent: de ce point de vue il n’y a aucune solution de continuité dans les traditions de Weimar, malgré le départ de Liszt et de la princesse. Le Grand-Duc va même plus loin: il s’enquiert des Troyens, demande à Berlioz de lire le poème de l’opéra à la cour devant un auditoire de choix, et intervient auprès de sa cousine la Duchesse de Hamilton pour essayer de pousser Napoleon III à faire monter l’ouvrage à l’Opéra dans sa totalité (CG nos. 2713, 2715, 2722, 2724, 2728). Quand en novembre 1863 les Troyens à Carthage sont finalement montés au Théâtre Lyrique il fait parvenir ses félicitations au compositeur (CG nos. 2798, 2805). L’année suivante Berlioz lui écrit une longue lettre d’adieu pour le remercier de son appui et l’informer du destin de l’opéra et de sa situation personnelle (CG no. 2857).

    Après 1863 le Grand-Duc continue à s’intéresser à Berlioz et reste en rapport avec lui (CG no. 3217), et de temps en temps on joue Berlioz à Weimar. Un projet d’exécuter au début de 1864 le duo de Cassandre et Chorèbe n’aboutit pas (CG nos. 2810, 2811, 2820), mais on exécute Harold en Italie le 2 février, Sur les lagunes le 16 (CG VII p. 19 n. 1; cf. no. 2840), et la Symphonie fantastique en janvier 1867 (CG no. 3217). Bien des années plus tard, une souscription est lancée à Paris en 1883 pour l’érection d’un monument en l’honneur de Berlioz: Liszt attire là-dessus l’attention du Grand-Duc dans une lettre où il évoque les rapports de Berlioz avec Weimar et son propre rôle dans la propagation de la musique de son ami. Liszt, le Grand-Duc et la Grande-Duchesse ajoutent leurs propres contributions à la souscription, mais quand le monument est finalement inauguré à Paris en 1886 la presse parisienne passera semble-t-il le fait sous silence.

Chronologie

1837

19 mars: exécution de l’ouverture des Francs-Juges à Weimar
9 mai: lettre ouverte à la louange de Berlioz par J. C. Lobe dans la Neue Zeitschrift für Musik à Leipzig

1842

Décembre: Berlioz écrit à J. C. Lobe au début de son premier voyage en Allemagne

1843

Vers le 18 janvier: Berlioz arrive à Weimar
25 janvier: concert de Berlioz au théâtre
28 janvier: Berlioz et Marie Recio quittent Weimar pour Leipzig
28 août: publication dans le Journal des Débats de la troisième lettre du Voyage musical en Allemagne, adressée à Liszt

1851

Août: Liszt offre à Berlioz de monter Benvenuto Cellini à Weimar

1852

20, 24 et 27 mars: trois premières exécutions de Benvenuto Cellini à Weimar sous la direction de Liszt; Berlioz est absent à Londres
17 avril: quatrième exécution de Benvenuto Cellini
Fin juin: Liszt propose à Berlioz des modifications à Benvenuto Cellini
2-4 juillet: Berlioz répond aux propositions de Liszt
12 novembre: Berlioz et Marie Recio quittent Paris pour Weimar par le train du soir (CG no. 1529)
14 novembre: arrivée à Weimar le matin (CG no. 1529)
17 novembre: exécution de Benvenuto Cellini sous la direction de Liszt
20 novembre: concert au théâtre dirigé par Berlioz
21 novembre: Berlioz dîne à la cour à l’invitation de la Grande-Duchesse Maria Pavlovna; le soir, exécution de Cellini
22 novembre: banquet et bal en l’honneur de Berlioz, qui est décoré par le Grand-Duc; soirée de gala à l’hôtel de ville
23 novembre: exécution de Cellini; réception à l’Altenburg
24 novembre: Berlioz et Marie Recio quittent Weimar
25 novembre: arrivée à Paris; exécution de Cellini
30 novembre: exécution de Cellini

1853

25 juin: unique représentation de Benvenuto Cellini à Covent Garden
8 juillet: mort du Grand-Duc Charles Frédéric

1854

4 mars: mort de Harriet Smithson
Avril: un arrêt prévu à Weimar ne se réalise pas
3 mai: Berlioz et Marie Recio quittent Dresde pour Weimar
3-6 mai: arrêt à Weimar
7 mai: arrivée à Paris
Novembre: Berlioz est invité par le Grand-Duc Charles Alexandre à revenir à Weimar

1855

8 février: Berlioz et Marie Recio partent pour Weimar
9 février: arrêt à Bruxelles
11 février: arrivée à Weimar
2ème moitié de février: portrait de Berlioz à Weimar par Richard Lauchert
17 février: premier concert de Berlioz, à la cour de Weimar; réception à la cour par les Grandes-Duchesses
18 février: réception à l’Altenburg pour l’anniversaire de la Princesse Marie von Sayn-Wittgenstein; Berlioz improvise la Valse chantée par le vent sur l’album de la princesse
20 février: Berlioz est élu membre honoraire du Neu Weimar Verein
21 février: deuxième concert de Berlioz, au théâtre
26 février: réception en honneur de Berlioz au ‘Musée de Goethe’
27 février: départ pour Gotha
2 mars: retour à Paris
27 mars et 3 juin: publication d’un article de Cornelius sur ‘Hector Berlioz à Weimar’ dans la Revue et Gazette Musicale

1856

6 février: concert à Gotha, en présence de Liszt
7 février: Liszt accompagne Berlioz et Marie Recio dans leur voyage à Weimar
8 février: arrivée à Weimar
11 février: Berlioz est invité à rendre visite à la Grande-Duchesse (CG no. 2097)
16 février: Liszt dirige une version révisée de Cellini
17 février: premier concert dirigé par Berlioz, au palais ducal
Vers le 18 février: Liszt dirige une exécution de Lohengrin; Berlioz et Marie Recio sortent pendant le 2ème acte
24 février: deuxième exécution de Lohengrin sous la direction de Liszt, en présence de Berlioz et Marie Recio
1er mars: deuxième concert dirigé par Berlioz, au théâtre
2 mars: départ de Weimar
3 mars: arrivée à Paris
16 mars: deuxième (et dernière) exécution de Benvenuto Cellini
Début décembre: publication de la partition chant et piano de Benvenuto Cellini par Litolff à Brunswick

1858

Août-septembre: Berlioz ne peut faire le voyage de Weimar après son concert à Bade

1859

23 juin: mort de la Grande-Duchesse Maria Pavlovna, dédicatrice de Benvenuto Cellini

1862

8 août: Richard Pohl assiste à la première représentation de Béatrice et Bénédict à Bade

1863

Janvier: Berlioz accepte de faire monter Béatrice et Bénédict à Weimar
30 mars: départ pour Weimar
6 avril: Berlioz assiste à une représentation de Tannhäuser de Wagner
8 avril: première représentation de Béatrice et Bénédict au théâtre, dirigée par Berlioz; banquet après la représentation
10 avril: deuxième représentation de Béatrice et Bénédict dirigée par Berlioz, qui dîne après avec le Grand-Duc
12 avril: Berlioz lit le poème des Troyens au Grand-Duc
14 avril: Berlioz part pour Löwenberg
29 mai: troisième représentation de Béatrice et Bénédict
13 novembre: quatrième représentation de Béatrice et Bénédict
Novembre: le Grand-Duc félicite Berlioz sur les représentations des Troyens à Carthage à Paris

1864

Janvier: un projet d’exécution du duo entre Cassandre et Chorèbe à Weimar n’aboutit pas
2 février: exécution d’Harold en Italie au théâtre de Weimar
16 février: Mme Milde chante à Weimar la version avec orchestre de Sur les lagunes
12 mai: dernière lettre connue de Berlioz au Grand-Duc

1867

Janvier: exécution de la Symphonie fantastique au théâtre de Weimar

1883

Mars: le Grand-Duc, la Grande-Duchesse de Weimar et Liszt souscrivent au monument pour Berlioz à Paris

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Choix de lettres de Berlioz et autres correspondants

1842

À J. C. Lobe à Weimar (CG no. 792 [tome VIII]: 24 décembre, de Stuttgart):

[…] Peut-on avoir à Weimar une bande respectable d’instruments à cordes? Car il me faut des violons et des basses et des altos comme s’il en pleuvait; je ne marche pas sans eux, ils sont ma force et ma vie; quand on me les ôte je demeure comme Samson après que sa femelle Dalilah lui eût coupé les cheveux. Que peut rapporter de métal un concert heureux à Weimar? Combien peut-on avoir de répétitions? dites-moi tout cela en allemand, on me traduira votre lettre en langue humaine. Quelle honte pour moi de ne pas savoir un mot de Germain!
Mais soyez tranquille nous nous comprendrons bien. Mon ancien ami Chelard me donnera bien, j’espère, sa main pour m’aider à franchir les obstacles que naturellement je trouverai chez vous… n’est-ce pas?
Je tiens surtout à vous faire entendre mes symphonies que vous ne connaissez pas; c’est-à-dire les symphonies sans chœurs, car pour Roméo et Juliette et la Symphonie funèbre, je n’y songe pas, c’est un attirail infernal; il faut des chanteurs…… des chanteurs et des chanteuses…. n’est-ce pas pis que cinq cents diables?… […]
Oh que je serai ravi de vous serrer la main et de connaître quelques-uns de vos ouvrages qui me sont encore tout à fait étrangers!… Vous ne pouvez imaginer quelle joie, quel rajeunissement je ressentirai de trouver une âme d’artiste, non blasée, forte, ardente et hardie comme on me dit qu’est la vôtre. […]
Je me suis persuadé qu’il n’y avait rien de pareil en vous et je me fais une véritable fête de notre rencontre. […]
Tenez-moi pour un de vos plus anciens et solides amis. […]

J. C. Lobe à Berlioz (CG no. 793; 29 décembre, de Weimar):

[…] Vous comprenez comme je suis ravi de votre lettre, qui m’apporte l’espoir de l’accomplissement d’un de mes désirs les plus ardentes, de celui, de voir vous et de serrer ta main comme ami et frère artiste! Oui, M. Berlioz, qui a dit à vous que j’eusse une âme artiste, il n’a pas dit un mensonge, vous le trouverez si nous nous rencontrons dans cette vie. J’étais votre ami depuis le moment, que j’ai ouï l’ouverture des Francs-Juges, et je le serais jusqu’à la fin de ma vie. […]
Outre cela, vous avez bien écrit quelques mots à Monsieur Chelard? Entre nous, il n’a pas beaucoup d’influence sur les affaires musicales chez nous, mais si peu d’hommes peuvent être utiles à leur prochain, tous les hommes peuvent être nuisibles à leur prochain. […]
Madame la Grande-Duchesse aime la musique, elle a ouï votre Ouverture aux Francs-Juges, elle a lu ma lettre à vous dans la Gazette Musicale, et elle possède elle-même la partition de votre Ouverture, ... par notre directeur de Musique, Goètz. Si vous pouviez recevoir une lettre de la Cour de Stuttgart à la nôtre, il serait bon. […]
J’aurais pu trouver beaucoup de personnes à Weimar qui m’auront traduit une lettre d’allemand en français, ou corrigé cette lettre-là. Mais, j’ai mes raisons que personne n’en sait un mot avant votre concert: Si, par exemple, Monsieur Chelard savait, que vous m’aviez écrit, et pas d’abord à lui, il se trouvera peut-être blessé, son amitié pour vous pourait aller au diable, et c’est au moins à ce spectre que vous croyez un peu.
Oui, Monsieur, il y a un diable, et surtout dans le monde musicale! Il se nomme, envie! vous le connaissez bien, n’est-ce pas? Vous le trouverez aussi en Allemagne. Gardez-vous! […]
J’étais, je suis, et je serai toujours un de vos plus solides amis. […]

[Note: on n’a pas corrigé le texte de Lobe]

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1843

À Karol Lipinski à Dresde (CG no. 807; 27 janvier, de Weimar):

[…] Celui [sc. le concert] qui j’ai donné ici a été très brillant et très heureux, les habitants de Weimar ont accueilli ma musique, comme l’auteur, avec une rare bienveillance. […]

À J.-B. Chélard (CG no. 826; 3 avril, de Berlin):

M. Parish Alvars qui vous remettra cette lettre se fera certainement entendre à Weimar; je vous donne ma parole d’honneur que c’est le Harpiste le plus prodigieux qui ait jamais existé; c’est un phénomène. Sans aucun doute le Grand-Duc et la Grande-Duchesse auront le plus vif plaisir à l’entendre. Je n’ai donc pas besoin de vous prier de faire pour lui ce que vous avez si gracieusement fait pour moi; les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. […]

J.-B. Chélard à Berlioz (CG no. 864; 15 novembre, de Weimar):

Lors de votre court séjour ici vous me fîtes le reproche d’avoir négligé mes anciens amis de Paris au nombre desquels vous vous êtes compté si cordialement, et vous me fîtes entrevoir l’agréable perspective d’une correspondance avec vous. Le reproche de négligence, je viens le décliner et en rejeter toutes les fausses apparences par la complication des chances que le parti que j’avais pris m’avait faites; et, quant à la correspondance, vous avez pris, dans vos lettres du feuilleton des Débats sur Weimar et Leipzig, l’initiative avec tant de vraie bienveillance à mon égard, tant de mesure et de délicatesse, que ce serait bien mal à moi de ne pas y apporter au moins le tribut de ma gratitude. Me voici donc… et je me reproche presque de n’être pas venu plus tôt. Vous dire quel bien m’a fait la vue de mon pauvre nom dans une feuille française, et ce nom presque toujours oublié ou persiflé par la presse parisienne, de le voir dans un de ses principaux organes si simplement mais si dignement réintégré… vous dire, donc, l’émotion que j’ai ressentie, ce serait aussi puéril qu’inutile […]  Merci, merci, cher Berlioz: ces nobles mouvements d’un bon cœur valent bien la bonne musique et la bonne critique, sans leur faire tort. Vos articles font sensation […] J’attends Liszt bien impatiemment pour causer de tout cela avec lui, et malheureusement il ne se presse guère… Que tout cela reste entre nous […]

    Voir aussi CG nos. 796, 798bis et ter [tome VIII], 799, 801, 803-4, 806, 806bis [tome VIII], 810, 815-17, 831, 848

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1851

À Liszt (CG no. 1426; 6 août (Paris):

J’arrive de Londres. Belloni [l’agent de Liszt] m’apprend que tu as le projet de monter Benvenuto à Weimar. Je te remercie mille fois d’y avoir songé. Ce sera pour moi un grand plaisir de voir ce pauvre ouvrage renaître ou plutôt naître sous ta direction. Je viens de mettre la partition entre les mains de mon copiste qui la répare et y fait quelques changements que je crois nécessaires. Tout sera prêt dans quelques jours et Belloni t’enverra le paquet. N’oublie pas de m’informer de son arrivée, car je n’ai pas d’autre copie de cet ouvrage. Puis quand le copiste de Weimar n’en aura plus besoin retire-le de la circulation du théâtre; je sais ce que les manuscrits deviennent dans ces bagarres.
Je t’enverrai en même temps un livret imprimé conforme à la partition, et indispensable au traducteur. […]

À Liszt (CG no. 1430; 29 août, de Paris):

[…] Je crains qu’il ne te manque à Weimar quelques instruments à vent. Il faudrait donc que tu eusses la complaisance d’arranger certains passages.
Ainsi j’ai employé 4 Bassons; quand ils forment des accords à découvert, remplace le premier et le second par deux clarinettes si elles n’ont rien d’important à faire au même instant.
J’ai mis aussi une clarinette Basse dans le Septuor et dans l’ouverture. Si l’on ne peut en avoir une il vaut mieux presque partout faire jouer sa partie par une clarinette ordinaire in B.
Avez-vous deux Harpes? – Deux cornets à Pistons? Ceux-ci peuvent être remplacés par deux Ventil-Trompettes, en La bas et en si b bas. Quant aux trois Timbales on en supprimera une et il est aisé de trouver un deuxième timbalier tel quel pour les endroits où il y a deux roulements simultanés sur les deux caisses.
Je ne te dis rien des chanteurs, je ne connais pas le personnel de Weimar ni la manière dont le chœur est maintenant composé. Seulement il est plus que probable que tu auras à faire des actes de volonté pour obtenir l’exécution réelle de beaucoup de morceaux dont les difficultés rythmiques doivent être enlevées avec verve et non abordées avec hésitation et en tâtonnant. C’est presque une éducation à faire. […]
Maintenant quelque enfantine que ma joie puisse te paraître, je ne la dissimulerai pas avec toi. Oui je suis très heureux de voir cet ouvrage présenté à un public sans préventions et présenté par toi. Je viens de l’examiner sérieusement après treize ans d’oubli, et je jure que je ne retrouverai jamais cette verve et cette impétuosité Cellinienne, ni une telle variété d’idées. Mais l’exécution n’en est que plus difficile, les gens de théâtre, les chanteurs surtout, sont si déshérités de l’humour! Au reste je compte sur toi et sur ta flamme pour Pygmalioniser toutes ces statues. […]

    Voir aussi CG no. 1428bis

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1852

À Auguste Morel (CG no. 1449; 10 février, de Paris):

[…] Je suis au fond assez vexé de ne pas aller entendre Benvenuto. Liszt me dit que cela va à merveille, voilà quatre mois qu’on y travaille. J’avais bien nettoyé, reficelé, restauré la partition avant de l’envoyer. Je ne l’avais pas regardée depuis 13 ans; c’est diablement vivace, je ne trouverai jamais une telle averse de jeunes idées. Quels ravages ces porcs de l’opéra m’avaient fait faire là-dedans!… J’ai tout remis en ordre. […]

Liszt à Berlioz (CG no. 1459; 21 mars, de Weimar):

Honneur aux ciseleurs! Gloire aux belles choses et place pour elles! Benvenuto Cellini, représenté hier, restera debout et de toute sa hauteur. C’est sans puff qu’on peut informer de son succès Londres et Paris. Je remercie bien sincèrement Berlioz du noble plaisir que m’a procuré l’étude attentive de son Cellini, qui est une des œuvres les plus puissantes que je sache. C’est à la fois de la ciselure splendide et de la statuaire vivante et originale.

À Liszt (CG no. 1462; 29 mars, de Londres):

Mon bon, cher, admirable ami,

Je suis bien moins joyeux, crois-moi, de ce que tu m’annonces, et de l’heureux résultat de tes efforts, que de tes efforts mêmes et de la nouvelle preuve qu’ils me donnent de ton amitié pour moi. Je t’embrasse donc de tout mon cœur, en te disant: Merci! sans phrases. […]
P.S. Ne manque pas d’adresser de ma part aux artistes du théâtre de Weimar des paroles de reconnaissance pour le zèle et le talent qu’ils ont mis à te seconder, en y ajoutant des excuses sur les difficultés que présente ma partition et qui ont dû si souvent mettre leur patience à l’épreuve. Dis-leur qu’en exécutant comme ils l’ont fait cette musique capricieuse et emportée, ils ont donné la plus grande preuve de valeur musicale qu’il soit possible de demander à des artistes aujourd’hui, et que je les crois capables de tout. […]

À la princesse Sayn-Wittgenstein (CG no. 1463; 29 mars, de Londres):

[…] La conduite de Liszt, dans cette occasion, conduite si originalement belle, fait l’admiration de tous les esprits élevés et de tous les cœurs artistes, amis ou ennemis. Les méchants imbéciles en cherchent le motif qu’ils ne comprendront jamais… […]

À la Grande-Duchesse de Weimar (CG no. 1464; 29 mars, de Londres):

Permettez-moi de mettre aux pieds de votre Altesse l’expression de ma reconnaissance pour la bonté avec laquelle vous avez daigné accueillir le projet de faire représenter mon opéra à Weimar. Le constant appui, la haute protection que vous avez ensuite accordé à l’éminent artiste qui en dirigeait les études, ont pu seuls amener à un résultat favorable une entreprise difficile, et qui devait d’ailleurs attirer sur elle une sorte de blâme. Ce témoignage d’estime donné par votre Altesse à une œuvre vaincue dès sa première bataille et qu’on avait laissée parmi les morts, cette confiance en sa force vitale, ne pouvaient manquer de la ranimer, si une étincelle de vie lui restait encore. […]

À Liszt (CG no. 1471; 12 avril, de Londres):

[…] Les détails que tu me donnes m’ont beaucoup intéressé, je dirai même étonné. Comment as tu fait pour avoir tout le bataclan instrumental contenu dans ma partition?… Tu as donc le pouvoir de Moïse, et ton bâton, en frappant les murailles du théâtre, peut donc faire sortir des flots d’instrumentistes, comme sa baguette tirait de l’eau des rochers. […]

À Dieudonné Denne-Baron (CG no. 1489; 26 mai, de Londres):

[…] Veuillez aussi mentionner [dans un article biographique sur Berlioz] la belle conduite de Liszt qui vient de monter à Weimar avec un grand succès mon opéra de Benvenuto tombé avec éclat à Paris en 1838. Liszt a proposé cette mise en scène de mon ouvrage et l’a dirigée malgré toutes les oppositions que les souvenirs de la chute devaient naturellement faire naître. […]

À Liszt (CG no. 1499; 2 juillet, de Paris):

[…] Je te dirai au sujet de tes observations sur Benvenuto qu’elles sont parfaitement justes, et que tout la partie que tu proposes de supprimer, m’a toujours paru glaciale et insupportable. Mais personne ne m’avait encore mis sur la voie du moyen tout simple qui en permet la suppression; c’est toi qui l’as trouvé. Il ne s’agit en effet que de ne pas faire sortir le Cardinal après la scène de la statue et de courir au dénouement. Seulement j’ai trouvé le moyen de conserver et le chœur des ouvriers (Bienheureux les matelots) qui commencerait le dernier acte en donnant les soli à Francesco et à Bernardino, l’air d’Ascanio (avec un changement de paroles) et l’air de Cellini « sur les monts ». Ces trois morceaux malgré le peu d’élévation du style du second doivent je crois être conservés. […]
Il résulte de ton idée et de la mienne que l’opéra sera maintenant en 3 actes, que la décoration du 3ème acte étant celle du dernier tableau celle du 3ème tableau sera supprimée. […]

À Liszt (CG no. 1501; 3 ou 4 juillet, de Paris):

[…] L’opéra ainsi réduit, surtout si l’on ne conserve pas la Stretta à 6/8 du sextuor, ne doit pas dépasser la durée d’un spectacle ordinaire d’Allemagne. D’autant plus sûrement qu’il n’y aura plus maintenant que deux changements de décors à faire. […]

À Liszt (CG no. 1520; 10 octobre, de Paris):

[…] La Gazette musicale a annoncé l’autre jour que j’allais en Allemagne pour diriger en personne une représentation de Benvenuto; je ne suis pour rien, comme tu le penses, dans cette nouvelle inexacte que Brandus aura trouvée dans quelque feuille allemande mal informée.
Benvenuto est entre bonnes mains, et je suis même extrêmement curieux de voir jusqu’où va la synonymie de nos deux manières de sentir les mouvements dans une œuvre de cette espèce. […]

À Auguste Barbier (CG no. 1532; 19 novembre, de Weimar):

Je profite d’un quart d’heure de liberté que me laissent nos répétitions pour vous dire que la 1ère représentation de Benvenuto a eu lieu avant-hier avec un succès pyramidal, sous la direction de Liszt. On m’a forcé de comparoir après le dernier acte et acclamé d’une façon fort comfortable.
Vraiment, parole d’honneur, tel qu’il est maintenant, Benvenuto est un gentil garçon. Le grand final du Carnaval, le Serment des Ciseleurs, les airs d’Ascanio et de Teresa, et la prière à deux voix avec les litanies, et surtout la scène du Cardinal ont produit un effet assez rare. Nous avons deux femmes de talent, un très bon Fieramosca et un Cellini convenable pour les scènes énergiques. Néanmoins il dit assez bien la Romance; quant à l’air: Sur les monts, il n’a jamais osé le chanter… La mise en scène est excellente, la Pantomime d’Arlequin et Pierrot très bien exécutée. En somme c’est charmant.
Vous dire ce que j’ai éprouvé de triste joie, en établissant une comparaison entre cette exécution bienveillante et la sale cabale que nous avons subie à l’Opéra, me serait difficile. J’en avais le cœur serré. Je vous quitte pour aller à la dernière répétition du concert que je donne demain, et dans lequel figurent Roméo et Juliette en entier et les deux premiers actes de Faust. J’ai cent choristes et un bon orchestre. Tous les hôtels de Weimar sont pleins d’amateurs de musique venus de Hanovre, de Brunswick, d’Iéna, d’Eisenach, et de Leipzig pour assister à ce concert et à la 2ème représentation de Cellini qui aura lieu après-demain Dimanche. […]

À J.-E. Duchesne (CG no. 1533; 21 novembre, de Weimar):

Grandissime succès! Après Benvenuto j’ai été rappelé par toute la salle et prié par l’Intendant de paraître pour que le public consentît à sortir. Après le concert d’hier que je dirigeais la frénésie a été bien autre encore. La Grande Duchesse m’a fait appeler dans sa loge et l’intendant m’a remis de sa part aussitôt après la décoration du Faucon blanc. J’ai dîné à la Cour avant hier et les princesses m’ont comblé de gracieusetés. Le vieux Duc est dans une jubilation curieuse. Ce soir seconde représentation de Benvenuto sous la direction de Liszt qui a été dans cette circonstance d’une admirable chaleur d’âme. Demain Grand dîner qui m’est offert par tous les artistes du théâtre, chœurs, orchestre, chanteurs, comédiens, réunis à une foule d’amateurs et d’artistes, de Weimar, d’Iéna, de Brunswick, de Hanovre et de Leipzig et d’Eisenach, accourus pour ces trois fêtes musicales.
Nous avons donné hier soir sous ma direction au concert Roméo et Juliette en entier et les 2 premiers actes de Faust. J’avais un grand chœur, tous les amateurs hommes et dames de la ville s’étant réunis, pour la première fois, aux artistes à cette occasion. Le serment final a été splendide, il y a eu bis, rappels, couronnes, tout le tremblement… […]
Pourrez-vous faire un peu parler les journaux de votre connaissance? Si vous le pouvez n’y manquez pas. […]

À sa sœur Adèle (CG no. 1537; 27 ou 29 novembre, de Paris):

J’arrive de Weimar; je ne puis que t’embrasser et de [te] prier de lire le paragraphe du Journal des Débats ce matin. M. Bertin a fait faire cela par un de nos confrères d’après une lettre que je lui avais écrite; tu y verras ce qui cause ma joie. […]
Il me faudrait des longues pages pour te donner tous les détails de ces fêtes de Weimar, et te répéter les charmantes choses que m’ont adressées le Grand Duc, la Grande Duchesse, et surtout les princesses de Prusse. Pourtant j’ai éprouvé un bien violent serrement de cœur le premier jour en remarquant le contraste que cet enthousiasme du public et des artistes faisait avec les sales et odieuses cabales dont cet opéra fut l’objet il y a 13 ans à Paris. Je l’avais presque oublié; je l’ai entendu du fond d’une loge avec le sang-froid d’un simple auditeur, et à part quelques petites modifications de détail que j’y ai faites j’ai trouvé la partition jeune et fraîche; certainement je ne ferai jamais rien en ce genre de plus vif et de plus coloré. […]

À Liszt (CG no. 1538; 30 novembre, de Paris):

[…] J’ai trouvé, en revenant, une assez bonne modification à apporter au dénouement de Cellini, je la ferai dès que la partition me sera revenue. J’ai profité aussi de ton observation pour le petit mesquin allo fugué en mi majeur, qui interrompt le Sextuor; cela est du plus petit style d’opéra comique, et je le supprime. Ce sont les paroles qui m’avaient amené à l’écrire; on peut parfaitement les faire disparaître, elles ne tiennent en rien à l’action.
Je vais limer cette scène dont plusieurs détails ne me satisfont pas. […]
[…] Bonjour à Joachim, à Cosman, à M. Bulow, à M. Mar, à tous nos excellents amis. […]

À Auguste Morel (CG no. 1542; 19 décembre, de Paris):

[…] J’aurais de longues pages à barbouiller pour vous donner tous les détails des affaires de Weimar et de Londres et de Paris. Je vous dirai seulement que cette petite excursion en Allemagne a été la plus charmante que j’aie jamais faite dans ce pays-là. Ils m’ont comblé, gâté, embrassé, grisé (dans le sens moral). Tout cet orchestre, tous ces chanteurs, acteurs, comédiens, tragédiens, directeurs, Intendant, réunis au dîner de l’hôtel de ville la nuit de mon départ, représentaient un ordre d’idées et de sentiments qu’on ne soupçonne pas en France. J’ai fini par pleurer comme deux douzaines de veaux, en songeant à ce que ce même Benvenuto m’a valu de chagrins à Paris. Cet excellent Liszt a été adorable de bonté, d’abnégation, de zèle, de dévouement. La famille ducale m’a comblé de toutes façons. Les jeunes princesses de Prusse ont été d’une grâce ravissante, elles ont eu des mots… surtout sur Roméo et Juliette que nous avons exécuté en entier avec un chœur superbe de 120 voix. Puis le bouillant Griepenkerl, qui était venu de Brunswick et qui a oublié le peu de français qu’il savait, m’a dit, après la première représentation de Benvenuto, en m’embrassant avec fureur: E pur si muove, mon cher! E pur si muove!!!
J’ai retouché quelques petites choses dans la partition et arrangé le livret de manière à ce qu’il marche bien maintenant. On s’occupe de le traduire en Italien pour Londres […]
Mille amitiés à Lecourt. Oh comme il aurait ri, bu et blagué à Weimar s’il y fut venu!… Nous avions du monde de tous les environs, de Leipzig, de Iéna, de Brunswick, de Hanovre, d’Erfurth, d’Eisenach, de Dresde même, et jusqu’à Chorley qui était venu de Londres. Celui-la aime Benvenuto et ne comprend rien à Roméo!! Qu’y faire? […]

    Voir aussi CG nos. 1444-5, 1448, 1451, 1453-4, 1456, 1465, 1471, 1496, 1505, 1510-11, 1514, 1524, 1525, 1528-9, 1535, 1543, 1546, 1548-9

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1853

À Carl Friedrich, Grand-Duc de Saxe-Weimar (CG no. 1552bis [tome VIII]; 2 janvier, de Paris):

Permettez-moi de vous présenter un volume que je viens de publier [Les Soirées de l’orchestre], dans lequel des questions importantes pour la musique sont traitées sous différentes formes. Le vif intérêt que prend votre altesse à tout ce qui se rattache aux arts, me fait espérer qu’elle voudra bien parcourir ce livre.
C’est un bien faible témoignage de ma reconnaissance pour les bontés dont vous, Monseigneur, et Madame la grande Duchesse, m’avez comblé. […]

À Karl Franz Brendel (CG no. 1561; 5 février, de Paris):

[…] Vous avez écrit […] des pages pleines de bienveillance au sujet de mon dernier voyage à Weimar et des ouvrages que j’y ai fait entendre […] L’opinion d’un critique éclairé et consciencieux tel que vous ne peut qu’exercer une puissante influence pour le redressement d’idées au moins fort étranges que certaines gens se font de moi et de mes ouvrages.
Les occasions telles que celles de Weimar, et les grands artistes tels que Liszt, me manquent pour combattre moi-même ces idées dans les parties de l’Allemagne où elles dominent […]

À Charles Gruneisen (CG no. 1563; 8 février, de Paris):

[…] Ma grande ambition, mon vif désir serait maintenant de pouvoir faire représenter Benvenuto Cellini à l’un des théâtres Italiens de Londres, cette saison. Je crois au succès. Il y a un feu du diable dans cette partition; et, dans l’état où je viens de la mettre, il me semble qu’elle est digne d’être soumise à un public attentif et impartial. […]
Le voyage de Weimar a été une fête pour moi, et une fête indescriptible, tant la chaleur d’âme de tous les artistes et de Liszt et la grâce de la famille Ducale m’ont ému et charmé. Il nous était venu beaucoup de monde des villes voisines et j’ai bien souvent regretté qu’il ne vous ait pas été possible de venir aussi. […]

À Liszt (CG no. 1568; 23 février, de Paris):

Le voyage de Weimar a eu pour moi un résultat d’autant plus heureux qu’il a renoué et rendu plus fréquentes nos relations épistolaires. C’est une véritable joie quand, en rentrant de mes boueuses ou coûteuses excursions dans Paris, je trouve sur ma table une enveloppe sillonnée par les éclairs de ta plume; tes zigzags me consolent des lettres carrées et trop lisibles auxquelles, pour mon malheur, je suis obligé de répondre si souvent. […]
Je vois, cher ami, que tu gardes à mon sujet des illusions qui te sont agréables. Lors même que Benvenuto serait représenté avec le plus inespéré succès à Londres, il ne le serait pas pour cela à Paris. Et le fût-il même avec succès à Paris, pas un éditeur ne se risquerait à en publier la grande partition. Ta demande du manuscrit me touche beaucoup et je comprends le prix que tu y attaches. Cet ouvrage t’est cher comme le deviennent les convalescents au médecin qui les a sauvés d’une maladie mortelle. Je serai donc bien heureux de te le conserver. En tout cas, si Faust est publié le premier […] ce manuscrit-là aussi te revient de droit. […]

À Frederick Gye (CG no. 1581; 6 avril, de Paris):

[…] Il faut pour que cette partition produise tout son effet la monter avec verve, sans peur et sans hésitations, et arriver ainsi à une exécution brillante des mêmes qualités, à une exécution, pour ainsi dire insolente de brio.
Alors je crois que le public nous suivra. […]

À la princesse Sayn-Wittgenstein (CG no. 1589; 23 avril, de Paris):

[…] Le directeur de Covent-Garden n’est qu’un plagiaire dans cette circonstance; c’est Liszt qui a été comme toujours un fameux original. L’idée de ressusciter Benvenuto ne pouvait, certes, venir qu’à lui. […]

À Gemmy Brandus (CG no. 1609; 27 juin, de Londres):

[…] P. S. ENTRE NOUS je suis sûr qu’un avenir sérieux est réservé à cette partition (en Allemagne et plus tard in France), je suis presque fâché de l’avoir faite, à cause de l’impossibilité où je me trouve de l’analyser. Je ferais là-dessus un curieux article. Quelle que soit sa fortune présente et les mauvaises chances que lui fait courir le livret, à mon avis c’est une musique nouvelle et d’une vitalité indomptable. […]

À Liszt (CG no. 1617; 10 juillet, de Paris):

[…] L’ouvrage a gagné beaucoup à cette épreuve [sa chute à Covent Garden], plusieurs détails de la partition ont été améliorés, de petites coupures heureusement pratiquées, et des effets de mise en scène ajoutés. Je serai obligé de te renvoyer les 2 derniers actes pour que ton lent copiste puisse mettre en ordre tous ces changements. […]
Ainsi il faut ajouter maintenant sur le titre de la partition: Tombée pour la second fois le 25 [juin] etc. Un des journaux anglais, en parlant des dernières représentations de Benvenuto à Weimar, dit qu’elles ont eu lieu sous la direction de l’intrépide Liszt. Eh bien, que cette nouvelle défaite de ton protégé n’ôte rien à ton intrépidité; je t’assure que le Cellini est plus digne que jamais de ta protection et tôt ou tard, je l’espère, il fera honneur à son patron. […]

    Voir aussi CG nos. 1552-4, 1556, 1562, 1567, 1572, 1574, 1603, 1619, 1620, 1637, 1657, 1662, 1664, 1669

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1854

À Liszt (CG no. 1690; 15 janvier, de Paris):

[…] Je ne puis te dire combien ta sollicitude pour mon malheureux opéra me touche et me pénètre d’admiration. Tu es un homme à part. Je le sais depuis longtemps, mais ces monstruosités là sont si rares, qu’il est presque permis de s’en étonner. Oui certes, je te donne carte blanche pour aviser au destin de Cellini et j’abonde dans ton sens pour accorder la préférence à Dresde. Je suis aussi de ton avis qu’il faut commencer par le publier en Allemagne… si l’on peut.
Et il ne saurait y avoir d’obstacles de la part de Brandus. Les morceaux détachés de cette partition qui lui appartiennent, n’ayant pas été publiés en Allemagne depuis qu’il les a mis en vente en France, sont en conséquence tombés dans le domaine public à l’étranger et je n’ai jamais fait avec lui ni avec son prédecesseur Schlesinger de traité quelconque pour l’ensemble de la grande ni de la petite partition. On a publié ainsi sans difficultés la Cavatine de Teresa à Vienne. Ces morceaux sont à tout le monde, le reste n’est qu’à moi. […]
Remercie mille et mille fois M. Cornelius de vouloir bien se charger avec toi de la révision du texte allemand et de sa traduction de La Fuite et de son charmant et spirituel article de la Gazette Musicale de Berlin. Il me comble; tu communiques tes mauvaises qualités à tout ce qui t’entoure. […]

À Liszt (CG no. 1725; 4 avril, de Brunswick):

[…] Veux-tu avoir la bonté de prévenir le maître d’hôtel du Prince héréditaire qu’on lui enverra à mon adresse une petite boîte, et qu’il la reçoive. Ce sont mes croix que j’avais oubliées à Paris. Il ne me serait guère convenable de me présenter au Grand Duc sans porter l’ordre que m’a donné son père. […]

À sa sœur Adèle (CG no. 1756; 10 mai, de Paris):

[…] Je t’ai écrit vers le 29 ou le 30 en te donnant des détails sur mes bonheurs de Dresde et t’annonçant que j’allais à Weimar faire une visite à Liszt et au jeune grand Duc. […]
Les artistes de Dresde sont venus en corps me conduire au chemin de fer, et ceux de Weimar qui savaient que j’arrivais sont venus m’y attendre et m’y reconduire à une heure du matin. […]

À Liszt (CG no. 1811; 14 novembre, de Paris):

[…] Je serai enchanté d’aller à Weimar avant la fin de l’hiver, en revenant de Gotha, où le Duc m’a fait invité à venir, par Griepenkerl. […]
Je te félicite d’avoir obtenu l’engagement de Madame Pohl; voilà au moins l’orchestre de Weimar au grand complet. Je te prie de me rappeler au souvenir de l’aimable Harpiste et à celui de son mari; je serai bien joyeux de les retrouver l’un et l’autre. […]

    Voir aussi CG nos. 1696, 1704, 1706, 1711, 1717, 1726, 1738, 1739, 1746, 1748, 1751bis [tome VIII], 1753, 1756bis [tome VIII], 1762, 1764, 1773, 1776-7, 1785-7, 1796, 1799, 1812, 1847, 1848

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1855

À Liszt (CG no. 1869; 1er janvier, de Paris):

J’accepte avec grand plaisir l’invitation que tu me transmets de la part de M. le Grand Duc, remercie son altesse de ma part. […]
J’ai bien une proposition pour 3 concerts à Bruxelles en février, mais je ne suis pas fou des Belges et j’aime beaucoup mieux (comme dit la chanson) moins d’argent et passer de bonnes heures avec toi et nos amis de Weimar. […]
Maintenant pour le programme du concert de la cour mon avis est d’y donner l’Enfance du Christ. Il n’y a point là d’effets très violents, les trompettes et cornets n’y sont point employés, il n’y a même que deux cors. D’ailleurs le sujet plaira aux âmes religieuses du Grand Duc et des Grandes Duchesses. Nous trouverons bien au théâtre une Vierge Marie telle quelle, quand le diable y serait. […] Mme Pohl étant à Weimar (ce dont je remercie le bon Dieu bien souvent) notre trio d’Ismaëlites ira à merveille, en faisant travailler un peu les 2 flûtes avec la Harpe.
Veux-tu faire un coup de tête? après un concert pie veux-tu faire un concert impie (*)? Nous donnerons alors au théâtre la Fantastique suivie du Mélologue, le Retour à la vie (beaucoup modifié). Génast réciterait le rôle du l’artiste; les chœurs sont faciles à apprendre et je crois que M. Cornelius en huit jours et même moins pourrait traduire le texte parlé et chanté. Ce serait assez curieux, et sans dangers à Weimar où l’on ne blague pas trop. Il faudrait jouer le mélologue avec costume et mise en scène; mais c’est aisé! […]

(*) C’est une façon de parler il n’y a rien d’impie dans le Mélologue; c’est seulement très violemment passionné. Faisons cela! […]

À Liszt (CG no. 1880; 10 janvier, de Paris):

Voilà qui est convenu. Pour le programme de la cour il y aura:
1o La Fête de Roméo.
2o La Scène des Sylphes de Faust, avec solos de Faust et de Méphisto
3o Le Trio avec chœur des Ciseleurs de Benvenuto
4o La Captive par Mme Knopp avec orchestre
puis ce que tu voudras pour compléter le programme si cela ne suffit pas.
Je vais dire à Richaut de t’envoyer la Captive pour que Cornelius ait le temps de la traduire.
Tu me parles de réentendre ce morceau mais tu ne l’as jamais entendu, il n’a été exécuté que trois fois – à Londres par Mme Viardot, au Festival de Versailles par Mme Widemann et dernièrement ici par Mme Stolz qui le redira au concert du 28.
Je crois que c’est une des choses les plus colorées que j’ai écrites et je serai ravi de te la faire connaître. C’est assez difficile pour la cantatrice et il faut qu’elle s’entende parfaitement avec le conducteur, sans quoi – rien. […]
Adieu, mille amitiés, je me fais une fête des dix ou douze jours que je vais passer près de toi. […]

À Adolphe Samuel (CG no. 1897; 20 février, de Weimar):

[…] Je suis abîmé, exterminé de fatigue. J’ai dirigé le concert de la cour samedi dernier; il y avait dans le programme:
Fragment de Roméo et Juliette
La Captive
Un concerto de Liszt
La Scène des Sylphes de Faust
Et le grand trio avec chœur de Benvenuto Cellini
à l’exception du magnifique concerto de Liszt vous voyez que tout le reste m’appartenait. L’exécution a été admirable.
Demain je donne au théâtre un immense programme:
L’Enfance du Christ et
La Symphonie Fantastique (suivie de sa conclusion) Le Retour à la vie, monodrame Lyrique avec chœurs, chant et monologues. Ce dernier ouvrage sera exécuté pour la 1ère fois dramatiquement (sur l’avant-scène, devant la toile baissée) l’orchestre et les chanteurs étant sur le théâtre et invisibles par conséquent. On me dit que j’ai pour le rôle de l’Artiste un bon acteur, M. Granz. Quant aux chanteurs j’en suis très content. Ce sont M. Caspari et Milde. Je vais faire la répétition générale tout à l’heure. Il nous est arrivé hier de Gotha et d’Erfuhrt quelques artistes de renfort. […]

À son oncle Félix Marmion (CG no. 1899; 25 février, de Weimar):

[…] J’ai été invité à venir ici, par Mme la grande Duchesse Douairière, sœur de l’Empereur de Russie, pour organiser un concert composé presque exclusivement de ma musique et le diriger à la cour, le 17 de ce mois, jour de la fête de S.A.I. Liszt, pour me faire fête aussi, y a joué, par extraordinaire, un concerto de Piano avec orchestre de sa composition. Quatre jours après j’ai donné une autre grandissime soirée musicale au théâtre, où figuraient avec l’Enfance du Christ, ma Symphonie Fantastique et un Monodrame Lyrique dont les paroles et la musique sont de ma façon, intitulé le Retour à la vie. Ceci n’avait jamais encore été exécuté dramatiquement. Il a fallu un peu bouleverser le théâtre pour le rendre exécutable, c’est-à-dire agrandir l’avant-scène, l’orchestre, le chœur et les chanteurs devant être placés derrière la toile baissée, et invisibles par conséquent, pendant que le personnage du Monodrame parle et agit sur le proscenium. Il me serait difficile de vous donner une idée du succès de cette soirée. J’ai été acclamé, redemandé, applaudi comme un Ténor à la mode. Les Duchesses m’ont fait venir dans leur loge, suant et haletant comme je l’étais, pour me complimenter avec une chaleur de Dilettanti pur sang. Puis les jeunes gens de Weimar m’ont donné un souper où les Toast ont fait rage. L’un d’eux, qui ne parle pas assez bien le français, ayant égard à ma profonde ignorance de la langue allemande m’a fait un beau discours Latin, et le poète Hoffmann a improvisé une chanson également Latine, qui, mise en musique immédiatement par un jeune compositeur [Raff], a été chantée en chœur à première vue par les convives.

En voici les paroles:
Nostrum desiderium
Tandem implevisti;
Nobis venit gaudium
Quia tu venisti.


Sicut coloribus
Pingit nobis pictor,
Pictor es eximius
Harmoniae victor.


Vivas, crescas, floreas
Hospes germanorum,
Et amicus maneas
Neo-Wimarorum.


[(notre traduction:) Tu as enfin exaucé notre désir; ta venue nous a apporté la joie. / Tout comme le peintre peint avec des couleurs, tu es un peintre hors pair, vainqueur de l’harmonie. / Puisses-tu vivre, croître et prospérer, l’hôte des Allemands, et puisses-tu rester l’ami des Néo-Weimariens.]
Les Neo-Weimariens dont il est ici question forment un club de jeunes artistes dits progressistes, dont je suis censé porter le Drapeau.
La cour me comble, je viens de dîner chez la Duchesse Régnante, et c’est pour la cinquième fois. On voulait me faire donner un troisième concert, mais le jour où cela eût été possible est un peu trop éloigné; je dois revenir à Paris pour des engagements plus importants et retourner ensuite à Bruxelles où je suis retenu pour trois concerts au théâtre du Cirque. La jeune Duchesse m’a invité à rester au moins jusqu’à Lundi. On donnera ce soir-là en mon honneur une fête dans cette partie du musée qu’on nomme les Salons de Goethe, et qui seront illuminés à Giorno par extraordinaire. Vous voyez qu’on fait tout pour me donner une grotesque vanité; j’espère pourtant en rester exempt. J’éprouve seulement le regret, au milieu de toutes ces manifestations, de ne pouvoir vous en rendre témoin et vous convaincre que décidément votre élève vous fait quelque honneur. Plaisanterie à part, j’ai souvent en pareil cas, et dernièrement à Paris, aux trois exécutions de mon Oratorio, éprouvé un sentiment très vif de tristesse en me trouvant seul de la famille en face d’un succès exceptionnel dont il vous eut été sans doute si agréable de voir l’explosion en France. […]

À Fiorentino (CG no. 1903; 28 février, de Gotha):

[…] L’exécution a été excellente, les chanteurs étaient Melles Wolf et Génast, MM. Milde, Knopp et Caspari. Ce dernier a une voix de Ténor dont on donnerait diablement d’argent à Paris s’il savait le français et s’il savait… chanter. Milde au contraire a du talent, en outre une très belle voix de Baryton grave. La musique produit un effet tout spécial dans cette splendide salle du palais Ducal, qui rappelle par son architecture et son ornementation la salle de l’Assemblée des nobles à St-Pétersbourg. Toutes les harmonies semblent lumineuses au milieu de cette lumineuse atmosphère, et le retentissement pompeux mais non excessif de ces hauts plafonds donne un caractère merveilleux à certains morceaux tels que La Fête de Roméo et Juliette et le Chœur des Ciseleurs de Cellini.
Liszt a été stupéfiant de verve et de puissance, comme toujours.
Trois jours après [quatre, le 21 février], en faisant deux répétitions par jour, et avec le concours de l’Académie de chant de Weimar (formant un personnel de 80 chanteurs et chanteuses) réunie aux choristes (artistes), je suis parvenu à donner au théâtre un concert en trois parties:
1o L’Enfance du Christ (accueillie comme à Paris)
2o La Symphonie Fantastique.
3o Le Retour à la vie, Monodrame Lyrique.
Ce dernier ouvrage dont j’ai fait les paroles et la musique, était exécuté en scène pour la première fois. On avait établi un plancher au-dessus de l’emplacement ordinairement occupé par l’orchestre et sur cette scène avancée, devant la toile baissée, l’acteur (Granz) jouait le Monodrame. Derrière la toile, les chœurs, les chanteurs, les Pianistes, l’orchestre et moi sur un assez vaste amphithéâtre, nous exécutions invisibles, les morceaux de musique amenés par les monologues de l’acteur et dont la sonorité un peu affaiblie par l’interposition de la toile prenait le caractère de mystérieuse poésie exigée par le sujet. Cette musique étant censée imaginaire et entendue en pensée seulement par l’Artiste, personnage unique du Drame. Ce sont 1o Le Pêcheur, ballade de Goethe, pour Ténor et Piano, Liszt jouait le piano, entremêlée d’apparitions de l’Idée fixe de la Symphonie Fantastique dont ce monodrame n’est que la conclusion. 2o Un Chœur d’ombres avec orchestre (Liszt jouait le Tamtam) – 3o Chanson et chœur de Brigands – 4o Hymne de Bonheur pour Ténor et orchestre. – 5o Un morceau d’orchestre intitulé: La Harpe Eolienne. Souvenirs. – 6o Enfin, Grande Fantaisie avec chœurs, orchestre et Piano à quatre mains, sur la Tempête de Shakespeare avec la Toile levée, au dénouement du monodrame. Cette dernière est censée l’œuvre esquissée de l’Artiste qui sortant de son avant théâtre, va dans la salle d’études de ses nombreux élèves leur en confier l’exécution. La toile se lève alors, on voit sur leur estrade tous les exécutants, c’est de la musique réelle, l’Artiste la fait répéter, et donne à ses interprètes des conseils critiques, comme fait Hamlet dans la scène des comédiens. Après ce vaste final, il les remercie, les complimente et les congédie. La toile se baisse de nouveau; demeuré seul il entend encore retentir (en musique imaginaire) le thème de la Fantastique, l’Idée fixe, son type musical de la femme aimée, il s’écrie en sortant: « Encore encore! (et sur le dernier murmure de l’orchestre invisible) Encore… et pour toujours. »
Voilà, mon cher Fiorentino, ce que c’est que ce monodrame que je n’oserais jamais faire représenter devant notre public hâbleur de Paris.
Le succès a été pyramidal, j’ai été rappelé mainte et mainte fois, complimenté par les Grandes Duchesses dans leur loge, etc, etc… mais j’étais presque mort de fatigue et (le dirai-je) d’émotion. Le morceau des Souvenirs où la Harpe Eolienne est imitée par l’orchestre avec une grande fidélité, m’avait brisé le cœur. C’est là un genre d’impressions tristes dont vous concevriez la désastreuse puissance sur moi, si vous entendiez cet ouvrage. J’ai écrit cela en 1831 en Italie, pendant un voyage que je fis à pied de Gênes à Rome, et l’ai remanié ensuite à Paris.
Le lendemain les jeunes gens lettrés et artistes de Weimar m’ont donné un souper dans lequel l’un d’eux m’a adressé un discours Latin, terminé par une Chanson Latine qui, mise en musique immédiatement par l’un des convives, et copiée sur trente et quelques bouts de papier, a été chantée en chœur à première vue (voilà des musiciens!) Avec ce refrain:
« Vivas, crescas, floreas
Hospes Germanorum
Et amicus maneas
Neo Wimarorum! »
Je suis parti hier, les Néo-Weimarois m’attendaient à l’embarcadère du chemin de fer, et au moment où le convoi s’est mis en marche, ils ont lancé une pluie de bouquets dans mon wagon en criant: Elien! Elien! (cri hongrois qui remplace le « Vivat »). A présent plaignez-vous de mon silence! […]

À la Grande-Duchesse Maria Pavlovna de Saxe-Weimar (CG no. 2013; 10 septembre, de Paris):

[…] Mon Benvenuto Cellini, assassiné en France il y a plusieurs années, a repris quelqu’étincelle de vie, grâce aux soins d’un illustre Docteur, votre maître de chapelle à Weymar. Un éditeur allemand s’est trouvé qui veut bien lui faire prendre le grand air de la publicité, et j’ose prier V.A.I. de continuer votre patronage au convalescent en agréant la dédicace de cette œuvre […]

À sa sœur Adèle (CG no. 2029; 30 septembre, de Paris):

[…] J’avais écrit une lettre presque familière à La Grande Duchesse douairière de Saxe Weimar, la tante de l’Empereur de Russie actuel, pour la prier d’accepter la dédicace de mon opéra Benvenuto Cellini qui se publie en Allemagne. Il paraît que ma lettre a fait grand plaisir à la bonne vieille Duchesse; elle m’a fait répondre en conséquence, et Liszt croit qu’on me ménage quelque gracieuseté pour cet hiver à la cour de Weimar. […]

    Voir aussi CG nos. 1871, 1882-3, 1891-5, 1896 [avec le tome VIII], 1898, 1900-2, 1905, 1907-8, 1911, 1918, 1927, 1931, 1935, 1965, 1974, 1975, 1995, 2012, 2044, 2056, 2065, 2070, 2071-2, 2074

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1856

À sa sœur Adèle (CG no. 2076; 8 janvier, de Paris):

[…] Je suis attendu à Gotha le 2 février et à Weimar le 8. Le 16, jour de la fête de la Grande Duchesse, il y aura au théâtre grande représentation de gala pour la reprise de mon opéra Benvenuto Cellini, et deux jours après une exécution de mon Faust complet, dont on n’a encore entendu que les 2 premiers actes à Weimar. […]
Pourtant le voyage à Weimar va me dérider; l’accueil que me fait toujours cette charmante famille ducale, est si gracieux et si cordial malgré l’étiquette!… et puis Liszt et tous les artistes amis de la chapelle, et les autres amis de Brunswick et de Berlin qui viendront!… et mes deux grands ouvrages exécutés! […]

Ferdinand Friedland à Prague à Berlioz (CG no. 2092; 3 février):

Il y a quelques jours que j’ai lu dans les journaux que vous vous rendiez à Weimar où votre illustre ami Liszt fera exécuter votre Opéra Benvenuto Cellini. Dimanche passé, votre ami m’a confirmé cette nouvelle à son passage par notre ville, où j’avais le plaisir de lui parler. Vous qui me connaissez, et qui sait quel intérêt je prends à tout ce qui a rapport à vous, cette nouvelle m’a causé une grande joie, parce que je vois là-dedans que votre génie perce et percera toujours plus notre patrie, toujours si difficile envers les novateurs, et qu’enfin l’Allemagne vous rendra les justes honneurs que vous méritez. […]

[Note: nous avons corrigé plusieurs fautes d’orthographe dans la lettre]

La princesse Sayn-Wittgenstein à Weimar à Berlioz à Gotha (CG no. 2093; début février):

[…] Pourtant à l’heure qu’il est sa besogne [Liszt] en est rendue très difficile et l’assaut qu’on lui livre est vraiment de la furie. Ni les injures, ni les mensonges ne lui sont épargnés. Le terrain que gagne tous les jours le sentiment moderne est un signe qu’il a pris à cœur de représenter dans son rayon d’activité, fait monter jusqu’au delirium tremens la rage des classiques, c. à d. des improductifs qui le baptisent de ce nom… En ce moment c’est une averse de flèches qu’il reçoit. […]
Votre Cellini ira sur des roulettes; la vanité de clocher sera en jeu, on tient à se montrer à vous sous le meilleur jour, on fera donc le possible et l’impossible, soyez-en persuadé.
N’inviterez-vous pas le Duc [de Gotha] à venir assister à cette représentation en lui représentant combien vous serez heureux (!?!) de lui présenter Cellini. Cela pourrait le décider. Il ferait peut-être comme artiste pour l’artiste ce que depuis plusieurs années il n’a pas fait comme prince pour des princes, nommément de venir ici le 16. […]

À Hans von Bülow (CG no. 2100; 12 février, de Weimar):

[…] Nous espérons ici une bonne exécution de Cellini, maintenant que la partition est dérouillée et fourbie à neuf comme une épée. Les chanteurs sont animés du meilleur vouloir; Caspari, à qui on avait dit que ce rôle était inchantable et lui briserait la voix, le chante, au contraire, avec amour et sans efforts. Lui au moins chantera l’air « Sur les monts », que j’avais regretté de ne pouvoir vous faire entendre. Hier nous avons répété longuement l’ouverture du Corsaire pour le prochain concert de la cour. Je vous remercie de bien vouloir arranger cette ouverture, et si vous ne l’avez pas, je vous l’enverrai; mais je crois qu’elle est réductible pour le piano à deux mains, et cela vaudrait bien mieux. Lorsque deux pianistes exécutent ensemble un morceau à quatre mains, soit sur un seul piano, soit sur deux pianos, ils ne vont jamais ensemble (du moins pour moi) et le résultat final de l’exécution est toujours (pour moi encore) plus ou moins charivarique. En outre, les arrangements à quatre mains pour un seul piano ont l’inconvénient d’accumuler dans le grave du clavier une masse de notes dont la sonorité est disproportionnée avec celle de la main droite du premier pianiste, et il en résulte un pâté harmonique plus bruyant qu’harmonieux et horriblement indigeste. Il vaut donc mieux confier aux deux mains d’un seul pianiste intelligent la traduction d’une œuvre symphonique, quand cela est possible. L’auteur alors est au moins sûr de n’être pas tiré en sens contraire par deux chevaux… Pardonnez-moi ces blasphèmes sur les pianistes… Ils ne vous regardent point d’ailleurs: vous êtes musicien. […]

À sa sœur Adèle (CG no. 2104; 3 mars, de Paris):

[…] J’ai été accueilli comme de coutume en Allemagne. Mon opéra de Cellini marche à merveille […] La Cour de Weimar s’est montrée d’une bienveillance parfaite, comme toujours. J’ai dirigé le concert annuel qui a lieu au palais, à chaque fête de la grande Duchesse Douairière; de plus j’ai dirigé au théâtre, AVANT HIER samedi (telle est la rapidité des voyages que je puis t’écrire cela de Paris aujourd’hui lundi) une grande exécution de ma Légende dramatique La Damnation de Faust. Les dames et les jeunes gens amateurs de l’Académie de chant de Weimar s’étaient réunis aux choristes du théâtre; j’avais un chœur de 150 voix, une charmante Marguerite et un excellent Méphistophélès, le Faust seul s’est montré faible et froid. Il y a eu plusieurs morceaux bissés, on m’a rappelé trois fois, le Grand Duc m’a fait monter dans sa loge pour me complimenter et m’engager à revenir le plus tôt possible.
Deux heures après j’étais à l’embarcadère du chemin de fer où des artistes et amateurs m’attendaient et où mon départ a été salué par eux de vivats, de hourras, et où ils m’ont accueilli par un chœur de Benvenuto Cellini et de longs applaudissements.
A une heure du matin (dimanche) le convoi se mettait en marche, et à 5 heures du matin (lundi) j’arrivais à Paris.
Liszt est toujours un excellent ami, et ses amis sont les miens. Je voudrais seulement qu’il me laissât conduire une fois mon opéra; mais son dévouement ne va pas jusques là. […]

À Auguste Morel (CG no. 2128; 23 mai, de Paris):

[…] Je n’ai pas encore reçu de Brunswick la partition de Cellini, sans quoi je vous en eusse envoyé un exemplaire.
Nous venons de donner très bien cet ouvrage à Weimar, avec un succès trépidant, bis et rappels d’acteurs, etc, m’écrit-on. Je n’ai entendu que la première représentation de cette reprise, qui a eu lieu pour la soirée de gala en l’honneur de la Grande Duchesse Douairière, et ce soir-là il était défendu d’applaudir. On s’est dédommagé à mon égard trois jours après quand j’ai dirigé dans le même théâtre La Damnation de Faust.
J’avais les 160 choristes de l’Académie de chant réunis à ceux du théâtre, ils savaient leur affaire à merveille, et vraiment l’effet a été prodigieux. On ne connaissait encore à Weimar que les deux premiers actes de cette partition; les deux derniers paraissent avoir saisi par la nuque ce public impressionable et intelligent. La course à l’abîme a ébouriffé la salle; mais l’apothéose de Marguerite a touché, m’a-t-on dit, plus que tout le reste. […]
Nous avons eu à Weimar des scènes incroyables au sujet de Lohengrin de Wagner… Ce serait trop long à vous raconter. Il en est résulté des histoires qui font encore long feu en ce moment dans la presse allemande. […]

À la princesse Sayn-Wittgenstein (CG no. 2145; 24 juin, de Paris):

[…] Je n’aurais jamais cru que l’opinion publique put attacher à cette nomination [à l’Institut] une telle importance. J’ai même su que vous aviez porté (à l’Altenburg) un toast à ma candidature; j’en remercie Liszt et vous et nos amis.
Au prochain dîner académique (car nous allons en avoir quelques-uns) je porterai un toast à l’Altenburg et aux esprits que le hantent.
J’oubliais de vous dire que cela me donne quinze cents francs de rente. (Quinze feuilletons de moins à faire!!!)

La princesse Sayn-Wittgenstein à Weimar à Berlioz à Paris (CG no. 2148ter [tome VIII]; 28 juin):

[…] La nouvelle de votre nomination a réjoui tout Weymar, et le NW (NeuWeymar) la célèbre avec acclamation. On ne s’est rencontré qu’avec cette bonne nouvelle depuis dix jours – C’est une fête de famille pour tous les musiciens de l’avenir, dans la capitale d’abord, et aussi parmi les nombreux membres dispersés sur toute l’Allemagne. […]

À la Grande-Duchesse Maria Pavlovna de Saxe-Weimar (CG no. 2191; 4 décembre. de Paris):

Vous avez daigné me permettre de placer sous votre haut patronage l’édition allemande d’un de mes ouvrages, qui n’existerait plus sans la bienveillante protection que vous lui avez accordée. La partition de Cellini ressuscité vient de paraître. Je prends la liberté d’en offrir un exemplaire à votre Altesse, en la priant de recevoir l’expression de ma vive reconnaissance et l’assurance de mon entier dévouement. […]

À la princesse Sayn-Wittgenstein (CG no. 2195; 25/26 décembre, de Paris):

[…] Je vous croyais depuis longtemps revenus tous à Weimar. […] Je me hâte de vous répondre, pour vous obéir d’abord, et pour dire à Liszt de ne pas encore envoyer les parties d’orchestre de Cellini. Elles resteraient ici inutilement. Je ne sais encore rien de positif sur l’époque précise où elles me seront nécessaires, et le nombre de semaines pendant lesquelles je demanderai à les garder. Liszt doit faire à cet égard comme si je ne lui avais rien dit. Il s’agit (entre nous) de monter le Cellini au Théâtre-Lyrique, avec une partie du livret mise en prose pour le dialogue et quelques changements avantageux qu’y ont introduits les auteurs. Mais cela ne doit être mis en répétition qu’après Obéron que ce théâtre répète en ce moment. […]
Litolff a dû envoyer à Liszt ma lettre à Mme La grande-Duchesse et un exemplaire de la partition de Cellini. Je le prie de vouloir bien présenter l’une et l’autre à S.A.
Je vous conjure très instamment de ne rien laisser transpirer hors de l’Altenburg de ce projet de représentation à Paris. Personne ici n’en sait rien; et la prudence veut qu’on n’en entende parler qu’au dernier moment. […]

    Voir aussi CG nos. 2077, 2079, 2083, 2089, 2090-1, 2094, 2094bis [tome VIII], 2097, 2098, 2099, 2101 et 2101bis [tome VIII], 2102, 2105-6, 2109, 2115, 2120, 2126, 2149, 2160, 2163-5, 2178, 2183

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1857

    Voir CG nos. 2199bis [tome VIII], 2200-1, 2207bis [tome VIII], 2209, 2211, 2216, 2219, 2232, 2264, 2269

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1858

À la princesse Sayn-Wittgenstein (CG no. 2279; 20 février, de Paris):

[…] De Bülow m’avait avant vous informé de son entreprise musicale à Berlin, et parlé du premier concert qu’il a dirigé. Seulement il m’annonçait que les journaux prussiens avaient voulu contrecarrer le succès de cette ouverture [Benvenuto Cellini], bien loin de la louer. Je lui répondis sur le champ une longue lettre. Wagner vint me voir précisément le même jour. Sa présence à Paris, peu après l’attentat [contre Napoléon III, le 14 janvier] , ne pouvait manquer d’être singulièrement interprétée… Nous avons néanmoins passé ensemble quelques heures; il devait me faire faire la connaissance du gendre de Liszt, M. Ollivier, et nous n’avons pu nous rencontrer. […]
Ce que vous m’annoncez de la reprise d’Alceste à Weimar ne me surprend pas. Ce qui m’étonne seulement, c’est qu’on laisse entrer les bourgeois au théâtre quand on y représente des œuvres pareilles. Si j’étais le Grand-Duc, j’enverrais ce soir-là à chacun de ces braves gens un jambon et deux bouteilles de bière, en les faisant prier de rester chez eux. […]
Je voudrais bien que Liszt eût la complaisance de féliciter de ma part Mme Milde sur la manière dont elle a joué Alceste; je vous crois sur parole. Ce devait être une charmante reine de Thessalie. […]

À Liszt (CG no. 2317; 28 septembre, de Paris):

[…] Je t’en prie, présente à la princesse mes excuses les plus humbles, j’aurais dû lui répondre il y a plus de trois mois et je ne l’ai pas fait. Je n’ai pas pu, à mon grand regret, me rendre à l’invitation contenue dans sa dernière lettre, d’aller en quittant Bade passer quelques jours à Weimar. Trop de choses me rappelaient ici. […]
Voilà mon compte rendu. Mais que fais-tu à Weimar? Que devient le théâtre ducal? Je vois annoncé dans quelques journaux un opéra d’un de tes élèves. Quel est ce jeune homme dont le nom m’était inconnu?
Wagner, dit-on, va se fixer à Florence; cela ce conçoit. Je ne connais pas la Suisse mais j’aime mieux l’Italie. […]
Wallace le Néo-Zeelandais, dont l’histoire se trouve à la fin de mes Soirées de l’orchestre, est de nouveau revenu des antipodes. Il va visiter Weimar dans quelques mois, et veut que je lui donne une lettre pour toi. Reçois-le sans peur, il ne te mangera pas; il n’a, par exception et tout Zeelandais qu’il soit, aucun goût pour la chair humaine. Il a une très jolie femme, et ils jouent l’un et l’autre fort bien du piano. […]
Adieu, cher ami, rappelle-moi au souvenir de nos amis de Weimar, Singer, Steur [Stör], Kaussmann [Cossman]. […]

    Voir aussi CG nos. 2273, 2274, 2289, 2293, 2297

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1859

À la princesse Sayn-Wittgenstein (CG no. 2343; 7 janvier, de Paris):

[…] Votre lettre (pietosa toujours), celle de Liszt qui l’avait précédée, et Mme Viardot, que j’ai vue ces jours-ci, m’ont mis à peu près au courant de votre existence à Weimar. Je vous vois à l’Altenburg, j’entends vos intéressantes causeries du soir, illuminées par le doux sourire de la princesse Marie… et je pense (en dépit de l’ordonnance de mon médecin) et j’admire combien, dans ce petit coin du monde, que vous habitez, il y a de cœur et d’intelligence, et de quelles nobles idées, Vestales de l’art, vous entretenez la flamme.
Oh! comme je vous écouterais, comme je boirais vos paroles et celles de Liszt, qui en a de si magnifiques, quand il parle sur les sujets qui l’émeuvent et l’exaltent! On voudrait m’envoyer à Cannes, au soleil du midi… Ah! si j’étais libre, c’est à Weimar que j’irais; le Midi est en réalité là où la vie ne souffle sur nous que de tièdes haleines, où le cœur peut se dégeler, l’imagination déployer ses grandes ailes… Vous me laisseriez bien me rouler dans un grand fauteuil, prêter l’oreille en ayant l’air de dormir et m’obstiner dans mon silence… Mais tant de voix me crient: Reste! Reste! que j’obéis, comme obéissait le Juif errant. […]

À la princesse Sayn-Wittgenstein (CG no. 2390; 10 août, de Paris):

[…] Votre lettre adorable… comment saurais-je, comment pourrais-je vous dire tout le bien qu’elle m’a fait? Je craignais, en comptant les semaines de votre long silence, qu’il vous fût arrivé quelque malheur. Un allemand, qui a passé le mois dernier à Weimar, assurait ici que vous n’y étiez plus, que Liszt aussi était absent. Vous avez donc dû recourir à votre philosophie. Ah! Rome a raison: « Périsse la philosophie! Si elle n’a pas le pouvoir de… etc, etc, etc. » Il me semble que je suis là dans votre salon de Weimar, à écouter Liszt parler, à entendre vos pensées, à me dorer sous vos regards bienveillants.
Voyez, chère princesse, l’inconvénient de permettre l’effusion d’âme à des blessés tels que moi! Je saigne, saigne, saigne….. je ferais mieux d’aller à l’hôpital que de vous fatiguer de mon éternelle plainte. Il y a des jours où je donnerais avec bien de la joie deux des années qui me restent à vivre, pour pouvoir m’accroupir à vos pieds, comme un chien respectueux, et vous entendre réciter ces poèmes de consolations dont votre cœur est plein. Si impossible qu’il soit de panser des plaies qu’on ignore… […]

    Voir aussi CG nos. 2347, 2351, 2355, 2380, 2393, 2406, 2427, 2428, 2447, 2449, 2451

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1860

Peter Cornelius à Vienne à Berlioz (CG no. 2521; vers le 22 novembre):

[…] Oh si je pourrai vous montrer ma partition du Barbier de Bagdad vous verriez là-dedans que vous avez fait de l’école en Allemagne, et que le Cellini fait des enfants aux esprits! […]
M. Heckenast à Pesth publie ma traduction, ou plutôt, mon arrangement des Bohémiens de Liszt, car c’est simplifié et raccourci, et en même temps un recueil de poésies de moi intitulé: Lieder von Peter Cornelius. Faites-vous en traduire un, et composez-le, mon vénéré Berlioz, je le garderais comme un saint souvenir de vous, jusqu’à ma tombe! Mon dieu! les chaudes larmes me coulent des yeux dans ce moment, en pensant à vous et tant de moments d’enthousiasme et de bonheur que nous avons eus ensemble!
« Quelle vie! quelle vie! » chante le Cellini.
Je vous embrasse en pleurant, cher maître! Chaque 12 décembre je vous félicite et cette fois je veux célébrer votre fête avec mes amis d’ici, jeunes gens de Prague où vous êtes dans toutes les mémoires. […]
Mon cher Berlioz! Dieu vous garde et soit avec vous! J’ai pour vous le plus tendre et affectueux souvenir. Ne m’oubliez pas! […]

À Peter Cornelius (CG no. 2522; 27 novembre, de Paris):

Votre lettre m’a fait un bien grand plaisir; je désirais depuis longtemps avoir de vos nouvelles, et ni Liszt ni la princesse ne m’ayant écrit depuis plus de dix mois, je ne savais ce que vous étiez devenu. […]
Oui, je voudrais bien entendre votre Barbier et votre Cid; je suis persuadé qu’il y a là-dedans de la saveur, de la vie, du coloris. […]
Ce que vous devinez, sans que je le dise, c’est ma sincère et vive affection pour vous, c’est l’ardente sympathie qui me lie à une foule d’idées, d’efforts, de passions, qui sont les vôtres. […]

    Voir aussi CG no. 2509

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1861

    Voir CG nos. 2536, 2538, 2551-2, 2555, 2557, 2571

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1862

Peter Cornelius à Vienne à Berlioz (CG no. 2594; 16 février):

[…] Moi, je célébrai véritablement une fête en écoutant vos accents passionés et toute cette musique si aristocratique, qui sera toujours pour la foule un car[r]osse à 4 chevaux allant au galop. Ils restent interdits et la bouche ouverte et demandent: Qui donc peut avoir été là-dedans!
Cher, cher Berlioz, je vous baise la main! c’est celle d’un grand maître! […]<

À Richard Pohl (CG no. 2670; 28 novembre, de Paris):

Vous m’apprenez des choses étranges. Je vois qu’un opéra nouveau, quel qu’en soit l’auteur, n’a pas, à beaucoup près, autant de prix pour les théâtres d’Allemagne qu’un album de chansonnettes n’en a pour un éditeur de Paris. Je vous ai répondu que je m’en rapportais à M. Dingelstedt au sujet de la somme qui me serait accordée pour faire le voyage de Weimar. Avec 15 louis c’est impossible. Quant à laisser jouer Béatrice sans que j’assiste aux répétitions générales et sans que j’en dirige les premières représentations, c’est à quoi je ne puis consentir. […]
A présent, pour conclure, je vous dirai tout bonnement qu’il faut renoncer à monter Béatrice à Weimar, puisque ni la pièce, ni la musique, ni la direction de l’auteur ne sont d’aucune valeur pour le théâtre! Je vous prie donc de me renvoyer le livret et de ne pas vous donner la peine de le traduire. Il est triste de reconnaître que dans le pays de l’intelligence, l’intelligence soit si peu estimée. Nous ne sommes pas des esclaves, et nous ne devons pas même avoir l’air de subir une exploitation.
N’y pensons plus. […]

Richard Pohl à Weimar à Berlioz (CG no. 2678; 9 décembre):

Vous recevrez, j’espère ces lignes au 11 décembre – votre jour de naissance! Je n’ai jamais oublié cette journée que j’ai célébrée une seule fois avec vous à Leipzig, il y a 9 années [en 1853]. Neuf années déjà période assez longue pour oublier et perdre beaucoup mais pour gagner aussi d’autant plus! Et j’ai gagné dans cette période votre amitié, qui m’est si chère et qui me fait si heureux. C’était en 1853 que j’ai fait votre connaissance à Baden, et voilà les 9 années d’Horace « nonum prematur in annum » – se sont passées et ma vénération pour vous est restée invariable. […]
Le théâtre Weimar est trop petit pour honorer les chefs-dœuvre comme il faut – à Vienne, à Berlin, à Dresde on peut payer ce qu’on demande, mais ici l’état est si petit que seulement la Cour peut faire des frais extraordinaires, et c’était un des plus grands mérites de Liszt, qu’il avait toujours insisté que la Grande-Duchesse Douairière donnait les fonds pour honorer vous et d’autres grands artistes. – J’espère que le Grand-Duc se décide pour votre opéra, et dans ce cas vous recev[r]ez ce qu’il faut. Je vous prie donc: ayez patience, quelques semaines encore et ne redemandez pas votre livret dans ce moment. […]
J’espère que je puis faire peu à peu une édition allemande de vos œuvres complètes. N’y pensez-vous pas encore à une édition complète? Y compris: vos livrets (poésies) les articles de journaux pas encore reproduits et puis, vos mémoires choisies, c’est-à-dire les chapitres qui se trouvent dans « Le Monde Illustré » et votre « voyage musical » peut-être? […]

    Voir aussi CG nos. 2632, 2651, 2656, 2663

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1863

Franz Dingelstedt à Berlioz (CG no. 2692; 22 janvier, de Weimar):

[…] Peut-être Leurs Altesses Royales Régnantes feront-elles quelque chose de leur part pour contribuer à mes nouveaux efforts de vous satisfaire; j’aime à l’espérer sans oser l’assurer d’avance. Ce qui est certain et que vous savez d’ancienne date, Monsieur, c’est que votre visite fera du plaisir à la Cour, au théâtre, aux artistes de Weimar, et plus qu’à tout le monde à moi […]

À J. C. Lobe à Leipzig (CG no. 2707bis [tome VIII]; 5 avril, de Weimar):

Je suis ici depuis trois jours, nous donnerons mon opéra de Béatrice le 8; je serais bien heureux de vous voir. Pourriez-vous venir passer 24 heures à Weimar? Faites votre possible.
Mille amitiés constantes. […]

À Hippolyte Lecourt (CG no. 2708; 7 avril, de Weimar):

[…] Farceur! mais n’importe! je crois qu’au fond la Béatrice vous plait. C’est gentil et joliment instrumenté je vous jure. Nos répétitions ici marchent très bien et je vais tout à l’heure diriger la dernière. Le trio des trois femmes que j’ai ajouté depuis les représentations de Bade et que je n’avais jamais entendu, m’a causé l’autre jour une agréable surprise et ces dames le disent à merveille. Seulement la Béatrice (Mme Milde) ne peut pas s’italianiser, elle reste une Béatrice allemande et sentimentale.
La salle est louée depuis longtemps; la reine de Prusse est arrivée hier soir. Le Duc et la Duchesse m’ont reçu, comme toujours, de la façon la plus gracieusement affectueuse, et l’orchestre et tous les acteurs et l’intendant. Demain nous aurons donc je l’espère une belle soirée. Je conduirai encore une représentation, puis je partirai pour Lövenberg où m’appelle le prince de Hohenzollern, pour lui diriger un concert dont il m’a envoyé le programme […]
J’ai vu hier une représentation de Tanhauser, Mme Milde est la personnification idéalisée de l’Elisabet, je la trouve admirable et adorable avec sa beauté de colombe. Il y a de bien belles choses dans le dernier acte surtout; c’est d’une tristesse profonde mais d’un grand caractère; pourquoi faut-il? etc etc il y aurait trop à dire. […]

À Fiorentino (CG no. 2709; 9 avril, de Weimar):

Voilà la chose. Grandissime succès; malgré l’étiquette imposée par les représentations de gala, la salle frémissant du haut en bas par moments, d’applaudissements rentrés; exécution excellente dans son ensemble, Mme Milde ravissante Béatrice et Knop très spirituel Bénédict. Le nouveau trio des trois femmes produisant presqu’autant d’effet que le Duo. Leurs altesses après la pièce m’ont fait appeler dans leur loge où elles m’ont chaudement complimenté; la reine de Prusse a été bien plus enthousiaste encore, en sa qualité de musicienne accomplie. On me promet pour demain une débâcle, un dégel d’applaudissements, l’interdiction étant levée. Après le spectacle j’ai dû assister à un long banquet que m’offraient les artistes de Weimar réunis à ceux qui étaient venus de Dresde, de Berlin, de Leipzig et des petites villes voisines. […]
Si vous trouvez le joint, soyez assez bon pour dire quelque amabilité à l’adresse de la Grande Duchesse et du Grand Duc de Weimar. Il n’est vraiment pas possible d’être plus charmants qu’ils ne le sont toujours pour moi. Et cette fois-ci il m’ont comblé de témoignages d’affection. […]

Aux Massarts (CG no. 2710; 9 avril, de Weimar):

[…] Je vous écris en me levant à une heure. On m’a fait passer une partie de la nuit à un banquet qui m’a été offert, après la première représentation, par les artistes de Weimar, réunis à ceux qui étaient venus des villes voisines et même de Dresde et de Leipzig. Le succès de Béatrice a été flambant, l’exécution excellente dans son ensemble. Le grand-duc et la grande-duchesse et la reine de Prusse m’ont accablé de compliments. La reine surtout m’a dit des choses, oh! mais des choses que je n’ose vous répéter. Le morceau qu’elle aime le plus, c’est le trio des femmes, tout en avouant que le duo est une invention ravissante, et que l’air de Béatrice et la fugue comique lui plaisent infiniment.
On m’annonce pour demain une bordée d’applaudissements à démolir la salle.
L’orchestre va à merveille et tout l’ensemble vocal se comporte musicalement. La Béatrice est délicieusement jolie et une artiste véritable; seulement elle reste trop allemande et rend cette lionne sicilienne presque sentimentale. […]

À Pauline Viardot (CG no. 2711; 9 avril, de Weimar):

Vous avez bien voulu me permettre de vous donner des nouvelles de la représentation de Béatrice. En deux mots les voilà. Très grand succès, exécution irréprochable pour l’ensemble, félicitations, compliments, remerciements de leurs Altesses et de la Reine de Prusse, qui m’ont comblé de gracieusetés.
Le première soirée réduite aux rumeurs favorables par l’étiquette des soirées de gala, après une répétition générale très chaude. On me promet pour demain un dégel d’applaudissements. Il était venu beaucoup d’artistes de Dresde, de Leipzig, et des petites villes voisines de Weimar. Mme Milde est charmante mais elle fait de la lionne sicilienne une Béatrice allemande, et ses yeux de colombe ne parviennent pas à darder des flammes.
C’est un autre genre de vérité. Notre nouveau trio a produit une véritable sensation, c’est même celui de tous les morceaux que la reine de Prusse et plusieurs autres dilettanti préfèrent. La mise en scène est bien réglée. Le Duo a remué tout l’auditoire. En somme c’est beaucoup mieux qu’à Bade. […]
Décidément ces Allemands sont des musiciens. J’épiais les fautes hier soir, on n’en a pas commis une seule. Knop (Bénédict) ne bronche pas dans le Scherzo final. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 2712; 11 avril, de Weimar):

Béatrice vient d’obtenir ici un grand succès. Après la première représentation j’ai été complimenté par le Grand Duc et la Grande Duchesse et surtout par la reine de Prusse qui ne savait quelles expressions employer pour dire son ravissement.
Hier j’ai été rappelé deux fois sur la scène par le public après le 1er acte et après le 2ème. Après le spectacle je suis allé souper avec le Grand Duc qui m’a comblé de gracieusetés de toute espèce. C’est vraiment un Mécène incomparable. Pour demain il a organisé une soirée intime où je lirai le poème des Troyens. Les artistes de Weimar et ceux qui étaient venus des villes voisines et même de Dresde et de Berlin m’ont donné un immense banquet. […]
Hier soir j’ai pris, dans ma joie, la liberté d’embrasser ma Béatrice qui est ravissante. Elle a paru un peu surpris d’abord; puis, me regardant bien en face: « Oh! a-t-elle dit, il faut que je vous embrasse aussi moi! »
Si vous saviez comme elle a bien dit son

Il m'en souvient

On me fait beaucoup d’éloges du travail du traducteur [Richard Pohl]. Quant à moi je l’ai surpris, malgré mon ignorance de la langue allemande, en flagrant délit d’infidélité en maint endroit. Il s’excuse mal, et cela m’irrite. C’est le même qui traduit mon livre A travers chants. Or figurez-vous que dans cette phrase: « Cet adagio semble avoir été soupiré par l’archange Michel, un soir où, saisi d’un accès de mélancolie, il contemplait les mondes, debout au seuil de l’empyrée », il a pris l’archange Michel pour Michel Ange le grand artiste florentin. Voyez le galimatias insensé qu’une telle substitution de personne doit faire dans la phrase allemande. N’y a-t-il pas de quoi pendre un traducteur?… Mais quoi! il m’est si dévoué, c’est un si excellent garçon! […]

À Auguste Morel (CG no. 2713; 15 avril, de Weimar):

Oui, Béatrice a obtenu ici un succès magnifique, j’ai été complimenté par le Grand Duc, par la Grande Duchesse et par la Reine de Prusse à la première représentation où les applaudissements étaient interdits à cause de l’étiquette du jour de gala; à la seconde, applaudissements sans fin. J’ai été rappelé après le 1er acte et après le second. Souper donné par les artistes de Weimar réunis aux étrangers venus de Dresde, de Leipzig, et des villes voisines de Weimar etc etc.
Le Duc me comble d’amitiés, au grand dîner de la cour dernièrement, pendant que la musique militaire placée dans une tribune jouait ma Marche Hongroise de Faust, il m’a fait signe de loin avec un verre de champagne. Tous les jours il m’envoie chercher pour causer nous deux. Avant-hier il a réuni un petit nombre de personnes devant lesquelles j’ai lu le poème des Troyens avec un véritable succès je puis le dire. […]

À son oncle Félix Marmion (CG no. 2715; 26 avril, de Paris):

[…] Je viens de passer un mois de véritable ivresse musicale. J’ai dirigé les deux premières représentations de Béatrice au théâtre de Weimar (en allemand) avec un succès pyramidal, compliments du Grand Duc, et de la Grande Duchesse, qui avait choisi mon opéra pour le jour de sa fête, et félicitations bien plus vives encore de la Reine de Prusse, rappels de l’auteur sur la scène après le 1er et le 2ème acte, souper offert par les artistes de Weimar et par ceux qui étaient accourus de Leipzig, de Dresde, d’Iena etc. Charmantes flatteries du Duc qui a bu à ma santé de loin au grand dîner du jour de gala (300 couverts) au moment où un orchestre militaire placé dans une galerie jouait ma Marche Hongroise. […]

À Johanna Pohl (CG no. 2722; 6 mai, de Paris):

[…] J’ai écrit il y a cinq jours à Mme la Grande Duchesse de Weimar, en lui envoyant la partition des Troyens, dont j’avais cru comprendre un soir qu’elle serait bien aise d’avoir un exemplaire.
J’ai écrit aussi au prince d’Hohenzollern pour savoir de ses nouvelles. Je n’ose parler de lui dans mon prochain feuilleton, dans la crainte de produire un mauvais effet sur l’esprit de la cour de Weimar… Vous comprenez. Plus tard cela viendra plus facilement. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 2724; 9 mai, de Paris):

[…] Le Grand Duc de Weimar a voulu absolument écrire à sa cousine la Duchesse de Hamilton (à mon sujet) une lettre destinée à être mise sous les yeux de l’Empereur. La lettre a été lue, et l’on m’a fait venir au ministère, et j’ai dit tout ce que j’avais sur le cœur, sans gazer, sans ménager mes expressions, et l’on a été forcé de convenir que j’avais raison, et… il n’en sera que cela. Pauvre Grand Duc, il croit impossible qu’un souverain ne s’intéresse pas aux arts… Il m’a bien grondé de ne vouloir plus rien faire. « Le bon Dieu, m’a-t-il dit, ne vous a pas donné de telles facultés pour les laisser inactives. »
Il m’a fait lire les Troyens, un soir à la cour, devant une vingtaine de personnes comprenant bien le français. Cela a produit beaucoup d’effet. […]

Le Baron Beaulieu Marconnay à Berlioz (CG no. 2728; 23 mai, de Weimar):

Son Altesse Royale la Grand[e] Duchesse m’a chargé de vous faire parvenir la bague ci-jointe, qu’Elle vous prie d’accepter en souvenir de votre dernier séjour à Weimar. La Grand[e] duchesse m’a expressément ordonné de vous dire tout le plaisir que vous lui avez fait par le précieux envoi de la partition des Troyens qui L’intéresse au plus haut degré: Son Altesse Royale est infiniment sensible à cette attention de votre part et à la pensée qui vous a porté à La faire jouir de cette belle composition. […]

Le Comte von Wedel à Berlioz (CG no. 2798; 18 novembre, de Weimar):

Son Altesse Royale le Grand-Duc, mon auguste maître, ayant appris que la représentation de vos Troyens a eu lieu dernièrement à l’Opéra Impérial et que cette œuvre a eu tout le succès qui lui était dû et qui répondait aux vœux sincères de S. A. Royale, me charge de vous transmettre Ses félicitations empressées et de vous exprimer toute la part qu’il prend à cet heureux événement. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 2805; 26 novembre, de Paris):

[…] Le Grand-Duc de Weimar vient de me faire écrire par son secrétaire intime pour me féliciter sur le succès des Troyens. Sa lettre a paru partout. N’est-ce pas une attention charmante?
On n’est pas plus gracieux, on n’est pas plus prince, on n’est pas plus intelligent Mécène.
Vous seriez ainsi, si vous étiez prince. […]

À Eduard Lassen (CG no. 2811; 14 décembre, de Paris):

Mon éditeur, M. Choudens, vient de m’avertir qu’il avait reçu une lettre de Richard Pohl dans laquelle celui-ci lui demande d’envoyer tout de suite à Weimar la grande partition du Duo de Chorèbe et Cassandre dans le 1er acte de la Prise de Troie. Il dit que Mme La grande Duchesse voudrait entendre ce morceau à un concert de la cour le 1er Jour de l’an. Ma partition ne m’appartient plus, l’éditeur en conséquence vous en enverra demain une copie, qu’il avait déjà, et je ne sais ce qu’il demandera pour cela à l’Intendant. Je lui ai dit seulement d’être très modéré dans ses prétentions.
[…] Ecrivez-moi à ce sujet, au reçu de ma lettre. Je désirerais bien vivement que la chose pût marcher au gré de Mme la grande Duchesse. […]

    Voir aussi CG nos. 2691, 2693, 2694-5, 2697-8, 2701, 2705-7, 2714, 2716, 2719 [tome VIII], 2725-6, 2734-5, 2738-9, 2745, 2769, 2771, 2797, 2801, 2804, 2806, 2810, 2814

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1864

À Toussaint Bennet (CG no. 2843; 15 mars, de Paris):

[…] Si vous rencontrez par hasard à Vienne M. Peter Cornelius dites-lui mille choses de ma part et que je serais bien heureux d’avoir une lettre de lui. […]

Au Grand-Duc Charles Alexandre de Saxe-Weimar (CG no. 2857; 12 mai, de Paris):

Monseigneur,

Votre bienveillance est infatigable. J’ai su que dernièrement vous aviez daigné vous informer de moi en termes qui m’ont vivement touché. Je ne puis résister au désir de vous en remercier.
J’aurais dû, il y a longtemps, vous informer du résultat de la lettre que vous aviez bien voulu écrire à Mme la Duchesse d’Hamilton à mon sujet, mais la crainte de vous occuper trop de mes affaires et de vous paraître importun m’a retenu. Aujourd’hui il me semble que mon noble protecteur me pardonnera de lui faire mes tristes confidences.
L’an dernier, peu après mon retour de Weimar, je me trouvai à un rendez-vous que m’avait demandé M. Camille Doucet, chef du bureau des beaux arts au ministère d’Etat. L’Empereur avait chargé le ministre de me voir et celui-ci s’était reposé de ce soin sur son subordonné. Aux premiers mots de M. Doucet je reconnus la cause de ses questions. C’était votre lettre, monseigneur, qui, ainsi que vous l’aviez voulu, avait été placée sous les yeux de l’Empereur. M. Doucet était déjà au fait de tout. La question était simple: j’avais terminé depuis trois ans un immense opéra, on ne le jouait pas, on m’interdisait la salle du conservatoire, où j’avais pourtant autrefois donné trente-six concerts, toutes les portes de France m’étaient fermées, etc. etc. M. Doucet ayant voulu tant bien que mal expliquer cette anomalie et justifier l’administration de son hostilité dédaigneuse, je coupai court à la conversation par ces mots: « Permettez-moi de parler à M. Doucet l’artiste, l’homme de lettres, l’auteur applaudi au théâtre français, et non point au chef de bureau du ministère d’Etat; alors je lui dirai, Mon cher monsieur, à propos des raisons que vous me donnez, qu’il n’est pas permis à un artiste de dire à un autre DES BÊTISES de cette énormité-là. » Ce à quoi M. Doucet baissant les yeux répondit: « Hélas, puisque vous me placez sur ce terrain, je suis bien obligé de convenir que vous n’avez pas tort. » La conférence finit là et depuis je n’entendis plus parler ni de l’Opéra, ni du conservatoire, ni de l’intervention de votre Altesse.
Trois mois après je cédai enfin aux nouvelles sollicitations de M. Carvalho, directeur du Théâtre Lyrique, qui depuis longtemps me demandait mon opéra des Troyens. Je consentis à confier aux ressources bornées de son théâtre, qui ne possède pas le quart de celles de l’Académie Impériale de Musique, la partition des Troyens à Carthage, en en détachant La Prise de Troie et en composant un prologue pour justifier cette suppression. Il fallut alors engager Mme Charton-Demeur, la seule cantatrice capable de chanter et de jouer le rôle de Didon. Comme ce rôle la tentait beaucoup elle consentit à faire un sacrifice en acceptant six mille francs par mois, au lieu des huit mille que lui offrait le Théâtre Italien.
Mon ouvrage fut ainsi donné et les efforts et la hardiesse de M. Carvalho parvinrent à réaliser ce que votre Altesse eût voulu obtenir en totalité pour moi de l’administration de l’académie impériale. Mais après vingt et une représentations et un brillant succès, la cantatrice retourna au Théâtre Italien qu’elle n’avait quitté que momentanément et Les Troyens disparurent de l’affiche. M. Carvalho a prouvé là une fois de plus qu’il était un artiste; il a mis en scène sur son théâtre les chefs-d’œuvre de Gluck, de Mozart, de Weber, de Beethoven qu’on n’entendait nulle part à Paris, et sans lui ma grande partition serait encore à cette heure complètement inconnue. Je ne puis m’empêcher de le signaler à votre attention, et si jamais votre Altesse jugeait convenable d’accorder à un directeur de théâtre une distinction honorifique, il n’y en a pas un en Europe, je le crois, qui en fut plus digne et plus heureux que M. Carvalho. L’opéra des Troyens a fait sensation. Aujourd’hui encore il m’arrive souvent d’être arrêté dans les rues par des enthousiastes inconnus qui me remercient ou me félicitent de l’avoir produit. D’autres au contraire me lancent des regards de Schylock, comme si je les eusse insultés personnellement; telle est la rage qu’excitent à Paris les manifestations du grand art parmi les partisans de la basse industrie musicale.
Maintenant ma tâche est finie. Othello’s occupation’s gone. J’ai même donné ma démission de rédacteur du journal des Débats. L’art étant mort chez nous la critique n’est plus qu’une farce méprisable. Je ne me sens plus le courage d’écrire des riens sur des riens.
Je ne fais plus ni prose, ni vers, ni musique. On joue quelques-uns de mes ouvrages au loin, dans plusieurs villes d’Allemagne, en Amérique et ailleurs. J’ai fait quatre opéras qu’on ne joue nulle part [Berlioz compte Les Troyens comme deux opéras]. Je souffre cruellement jour et nuit d’une maladie nerveuse inexorable; mais je me suis arrangé de manière à être toujours prêt et à pouvoir dire à la mort: « Quant tu voudras. »
Voila, Monseigneur, ma confession. J’espère que votre Altesse me pardonnera de la lui avoir faite et qu’elle ne doutera pas de la reconnaissance profonde et attendrie avec laquelle je pense constamment à vos bontés. […]

À Eduard Bock à Berlin (CG no. 2913; 13 octobre, de Paris):

Je n’ai pas reçu l’exemplaire que vous m’annoncez de votre édition de Béatrice et Bénédict. Je viens d’écrire à M. Kœnnemann [CG no. 2912] de vous envoyer les premières feuilles de la première scène de la grande partition. J’ai écrit aussi à M. Pohl, bien persuadé qu’il ne fera aucun cas de ma lettre; c’est la cinquième que je lui écris sans obtenir de réponse. En conséquence, si vous n’obtenez pas de lettre de lui d’ici à 10 jours, veuillez m’en informer; je vous enverrai alors le dialogue français que vous pourrez faire traduire en allemand sous vos yeux à Berlin. A l’aide de la pièce de Shakespeare (Much ado about nothing) traduite par Schlegel, il y aura seulement à copier en beaucoup d’endroits, et cela prendra à peine trois jours. […]

    Voir aussi CG nos. 2820, 2827, 2840, 2851, 2855, 2858, 2871, 2887, 2888, 2905-7, 2908, 2911, 2915, 2918, 2920, 2923, 2924

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1865

À Estelle Fornier (CG no. 2984; 22 mars, de Paris):

[…] Je voudrais être plus tard immensément admiré et célèbre, afin de vous rendre chère à mes admirateurs. Oh, vous serez chère aux Allemands surtout; on vit encore de la vie de l’âme dans leurs pays. […]

    Voir aussi CG nos. 3008, 3021, 3025, 3046

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1866

À Peter Cornelius (CG no. 3191; 12 décembre, Vienne):

Cher, bon, excellent camarade Cornelius!
Mille remerciements pour votre charmant souvenir que j’ai reçu hier en revenant d’une exténuante répétition. Cela m’a ranimé. Vous êtes toujours le même. Je vous avais écrit de Paris avant mon départ, et j’ai été bien chagrin d’apprendre en arrivant que nous n’étiez plus à Vienne. […]

    Voir aussi CG nos. 3110, 3115, 3116, 3117, 3187

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1867

Le Comte von Wedel à Weimar à Berlioz (CG no. 3217; 1er février):

[…] Le Grand Duc vous fait dire à cette occasion, monsieur, qu’il a bien pensé à vous, surtout dernièrement où l’on a fait une très belle reprise de votre « simphonie phantastique », fort bien exécutée au théâtre grand-ducal et reçue avec tous les applaudissements du public qu’elle mérite à un si haut degré. […]

    Voir aussi CG nos. 3290, 3296

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1882

Liszt au Grand-Duc Charles Alexandre de Saxe-Weimar (Correspondance entre Franz Liszt et Charles Alexandre, Grand Duc de Saxe [Leipzig, 1909], Lettre 172, p. 187; 28 février, de Budapest):

Dans le petit volume des Lettres intimes de Berlioz à son ami Ferrand, publiées récemment, je lisais ceci [CG no. 2805]: « On n’est pas plus prince, ni plus charmant mécène que le Grand-Duc de Saxe-Weimar. » Un tel éloge me fait si fort plaisir que j’en oublie volontiers l’exclamation du même Berlioz à propos de ma Messe de Gran [CG no. 3116]: « Quelle négation de l’art! » Qu’il ait raison sur vous, Monseigneur, et tort envers mon œuvre, reste mon souhait. […]

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1883

Liszt au Grand-Duc Charles Alexandre de Saxe-Weimar (Op. cit., Lettre 182, p. 196; 8 février, de Budapest):

[…] Deux suppliques à vous soumettre aujourd’hui, Monseigneur.
10 Un ami de trente ans, Richard Pohl, publie maintenant ses écrits en volumes. Le premier, comme de raison, est consacré à Wagner et dédié au Roi Louis de Bavière, qui a gracieusement decerné la croix de Saint-Louis à Pohl. Le second volume, relatif à la période de Weimar de 1850 à 60, sera dédié à Votre Altesse Royale, si Elle le permet, et je La prie d’accorder la croix de chevalier du Faucon à l’écrivain. Pohl a séjourné une dizaine d’années à Weimar, où sa femme était engagée comme harpiste au théâtre. Lui est un des meilleurs critiques et coopérateurs en musique; il a traduit les œuvres littéraires de Berlioz, le livret de Béatrice et Bénédict, comme aussi celui de l’opéra de Saint-Saëns, Samson, et, si je ne me trompe, plusieurs choses pour Madame Viardot. Voilà bien des points de rattachement avec Weimar, auxquels il ne manque que le ruban rouge. Votre Altesse Royale daignera combler ce vide. […]

Liszt au Grand-Duc Charles Alexandre de Saxe-Weimar (Op. cit., Lettre 186, p. 200-1; 4 mars, de Budapest):

[…] Pour ce qui est de la modeste part qui revient à la musique, je me permets de réclamer l’attention de Votre Altesse Royale en l’honneur de la mémoire de Berlioz.
Des grands compositeurs français, Berlioz est celui qui a le plus de points de rattache avec Weimar. Son Benvenuto Cellini, merveilleux de verve et d’originalité, a été représenté plusieurs fois sur votre théâtre, malgré la chute que d’injustes préventions et une violente cabale lui ont fait subir à Paris, et une quinzaine d’années plus tard, à Londres.
En agréant la dédicace de Cellini, Votre auguste mère daigna réparer les torts commis par d’autres théâtres.
Le second opéra de Berlioz (plus léger et de mezzo carattere): Béatrice et Bénédict, est resté au répertoire du théâtre de Weimar, et je sais un des plus fins connaisseurs de l’Europe qui l’apprécie: Madame la Grande-Duchesse régnante.
Si mon activité, un peu trop énergique, j’en conviens, relativement à la température moyenne de la ville, avait continué à votre théâtre, j’y aurais certainement introduit au complet les Troyens, ouvrage des plus remarquables et superbes, lequel n’obtint, du vivant de l’auteur, qu’un succès d’estime à Paris. Vous en connaissez des fragments, Monseigneur, et vous vous souvenez aussi que Berlioz a eu l’honneur de diriger ses admirables Symphonies aux concerts de votre cour.
Je communique au Baron de Loën la lettre que m’adresse le comité du monument Berlioz. Président: le Vicomte Delaborde, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts. Membres: A. Thomas, Saint-Saëns, Massenet, etc., de l’Institut de France.
Selon mon avis, il n’est pas opportun de suivre littéralement l’invitation du comité de Paris, en établissant des sous-comités à Weimar et à Budapest. En Allemagne et en Hongrie, nous avons à pourvoir à tant de monuments nationaux, et malheureusement, hélas! à tant de victimes des inondations que nos bourses restent généralement à sec.
Ici, j’ai demandé à quelques bienveillants amis – le Cardinal Haynald, Géza Zichy, Albert Apponyi et d’autres de me remettre leur contribution pour le monument de Berlioz.
De Weimar, si Vos Altesses Royales daignent accorder un don, le Baron de Loën serait l’intermédiaire qualifié. […]

Le Grand-Duc Charles Alexandre de Saxe-Weimar à Liszt (Op. cit., Lettre 187, p. 202; 8 mars, en réponse):

Votre lettre du 4 datée de Buda-Pest m’a trouvé presque en exécution des désirs qu’elle me transmet, puisque M. de Loën m’avait déjà communiqué la demande concernant le monument de Berlioz. La somme de six cents marks qui réunit l’offrande de la Grande-Duchesse et la mienne sera remise à M. de Loën pour répondre à l’appel que la conscience française artistique fait entendre pour prouver que ni république ni monarchie n’ont su ni ne savent apprécier à temps le vrai mérite. Vous avez eu raison de compter de suite sur la compréhension weimarienne, mon cher ami et très vénéré maestro. […]

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Weimar en images: Weimar autrefois

    Cette section traite de Weimar autrefois, et particulièrement à l’époque de Berlioz. Une page séparée montre Weimar de nos jours (2008), et une troisième est consacrée à Goethe et Schiller à Weimar. Toutes les images sur cette page ont été reproduites d’après des gravures, cartes postales et autres publications de notre collection. © Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

1. Vues générales de Weimar

    Dès son arrivée à Weimar en 1843 Berlioz tombe sous le charme de la ville (Mémoires, Premier voyage en Allemagne, troisième lettre):

[…] Je sens quelque chose dans l’air qui m’annonce une ville littéraire, une ville artiste ! Son aspect répond parfaitement à l’idée que je m’en étais faite, elle est calme, lumineuse, aérée, pleine de paix et de rêverie ; des alentours charmants, de belles eaux, des collines ombreuses, de riantes vallées. Comme le cœur me bat en la parcourant ! Quoi ! c’est là le pavillon de Gœthe ! Voilà celui où feu le Grand-Duc aimait à venir prendre part aux doctes entretiens de Schiller, de Herder, de Wieland ! Cette inscription latine fut tracée sur ce rocher par l’auteur de Faust ! Est-il possible ? ces deux petites fenêtres donnent de l’air à la pauvre mansarde qu’habita Schiller ! C’est dans cet humble réduit que le grand poète de tous les nobles enthousiasmes écrivit Don Carlos, Marie Stuart, les Brigands, Wallenstein ! C’est là qu’il a vécu comme un simple étudiant ! […]
Weimar vers 1852
Weimar

(Image plus grande)

Weimar vers 1852
Weimar

(Image plus grande)

2. Hôtel du Prince Héréditaire, Place du Marché

    Pendant ses séjours à Weimar de 1843 à 1863 Berlioz loge presque invariablement à l’hôtel, et semble-t-il toujours le même, le Hotel zum Erbprinzen ou ‘Hôtel du Prince Héréditaire’. C’est le cas en janvier 1843 (CG nos. 801, 803-4, 810), 1852 (CG no. 1529), 1854 (CG nos. 1725, 1739), 1856 (CG nos. 2075, 2091, 2100, 2149) et 1863 (CG no. 2707bis [tome VIII]), et sans doute aussi en 1855, mais les attestations semblent alors faire défaut. Bâti en 1749, l’hôtel était situé sur la place centrale ou Place du Marché (Marktplatz), mais n’existe plus.

Le Marktplatz au 19ème siècle
Marktplatz

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Le Marktplatz au début du 20ème siècle
Marktplatz

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    On aperçoit une partie de l’Hôtel du Prince Héréditaire au centre et au fond de l’image, à la droite du bâtiment blanc qui porte un drapeau. Voir aussi la grande image.

Hotel zum Erbprinzen en 1898
Hotel zum Erbprinzen

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    L’image ci-dessus est une vignette d’une carte postale, qui comprend des images d’autres sites à Weimar; voyez la grande image de cette carte.

Hotel zum Erbprinzen

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L’intérieur de l’Hotel zum Erbprinzen – Chambre de Berlioz
Hotel zum Erbprinzen

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    La chambre a été baptisée d’après Berlioz, mais rien ne prouve que Berlioz y ait logé.

L’intérieur de l’Hotel zum Erbprinzen – Chambre de Napoléon
Hotel zum Erbprinzen

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    Cette chambre a été de même baptisée d’après Napoléon, mais rien ne prouve que l’empereur y ait logé.

3. L’Hôtel de Ville

    Situé sur la place du marché, le Rathaus (Hôtel de Ville) original est détruit deux fois par un incendie et reconstruit deux fois. La structure néo-gothique de l’Hôtel de Ville date de 1841. Le 22 novembre 1852 Berlioz assiste là à un banquet en son honneur.

L’Hôtel de Ville en 1857
Hôtel de Ville

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L’Hôtel de Ville au début du 20ème siècle
Hôtel de Ville

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4. Le théâtre

    Le théâtre ducal connu de Berlioz est construit en 1825 par Baurat Steiner pour remplacer un bâtiment plus ancien, construit en 1779 et détruit par un incendie. Le nouveau théâtre, détruit lui aussi par un incendie en 1906, est reconstruit dans le style classique par l’architecte Max Littmann et ouvre en 1908. À la suite de bombardements par l’aviation américaine le 9 février 1945 seule la façade principale reste debout; le théâtre est rouvert en 1948. Au fil des ans le théâtre a été connu sous divers noms: le Hoftheater (1779), Hoftheater Weimar (1825-1907), Nationaltheater (1907), le Deutsche Nationaltheater et Staatskapelle Weimar (1999).

    Toutes les exécutions de Benvenuto Cellini en 1852 et 1856, ainsi que celles de Béatrice et Bénédict en 1863, ont lieu dans ce théâtre, de même que les concerts dirigés par Berlioz en 1843, 1852, 1855 et 1856, sauf pour deux concerts en 1855 et 1856 qui ont lieu dans une salle du palais. Pour l’exécution du Retour à la vie le 21 février 1855 il faut aménager la scène pour la circonstance (CG nos. 1899, 1903). C’est Liszt, directeur artistique du théâtre de 1848 à 1858, qui dirige toutes les exécutions de Benvenuto Cellini; dans une lettre Berlioz exprime son regret que Liszt ne lui ait pas confié une seule exécution de son opéra (CG no. 2104).

Le théâtre de Weimar vers 1840
Théâtre de Weimar

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Le théâtre de Weimar en 1890
Théâtre de Weimar

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Le théâtre de Weimar vers 1918
Théâtre de Weimar

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    Cette carte a été postée le 13 janvier 1918.

L’intérieur du troisième théâtre de Weimar
Théâtre de Weimar

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    La photo ci-dessus, par Louis Held de Weimar, est reproduite sur un carte postale du début du XXe siècle.

5. Le palais des Grands-Ducs de Saxe-Weimar

    Berlioz est invité à plusieurs réceptions au palais des Grands-Ducs (21 et 22 novembre 1852; 17 février 1855; 10 avril 1863) et se rend sans doute fréquemment au palais pendant ses séjours à partir de 1852. Deux de ses concerts ont lieu dans une salle du palais (17 février 1852; 17 février 1856); dans une de ses lettres il évoque la splendeur de cette salle et l’éclat de son acoustique (CG no. 1903).

Le palais dans les années 1760
Palais de Weimar

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Le palais vers 1915
Palais de Weimar

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    Cette carte a été postée le 28 décembre 1915.

Le palais vers 1920
Palais de Weimar

(Image plus grande)

    Cette carte a été publiée en 1920.

6. L’Altenburg

    L’Altenburg, vaste demeure sur la pente d’une colline juste à l’extérieur de Weimar et qui autrefois dominait la ville, est construit en 1811 par l’Oberstallmeister Friedrich von Seebach. Liszt et la princesse Sayn-Wittgenstein s’y installent en 1848 et y logeront jusqu’à 1861.

    À Weimar Berlioz loge d’habitude à l’hôtel, et ne séjourne que rarement à l’Altenburg (cf. CG no. 1445: il hésite à cause de Marie Recio), mais y rend très souvent visite et participe sans doute à de nombreuses réceptions (l’une d’elles a lieu le 23 novembre 1852, une autre le 18 février 1855). Deux lettres de 1859 évoquent avec nostalgie les soirées que Berlioz y passait (CG nos. 2343, 2390).

L’Altenburg en 1859
Altenburg

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    La signature sur la peinture originale reproduite sur cette image porte la date de 1859.

Une chambre de l’Altenburg en 1855
Altenburg

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    Cette gravure provient de l’Illustrirte Zeitung du 2 juin 1855 (no. 622, p. 364), de notre collection, et montre le salon de musique au deuxième étage de l’Altenburg. Le petit instrument à clavier au fond avait appartenu à Mozart. Le grand piano est l’œuvre du facteur d’instruments Édouard Alexandre, ami de Berlioz, d’après une commande de Liszt. Berlioz servit d’intermédiaire dans la correspondance entre les deux hommes. Par exemple, dans une lettre datée du 23 avril 1853 (CG no. 1589) Berlioz informe la princesse Carolyn Sayn-Wittgenstein des progrès dans la conception de l’instrument:

[…] J’ai vu Alexandre il y a quelque temps et il s’est refusé à me laisser voir ses préparatifs pour l’instrument de Liszt, m’assurant que je ne distinguerais rien et ne pourrais concevoir encore aucune idée de son plan. Il se croit plus que jamais sûr de réussir. La forme de l’instrument sera celle d’un piano à queue ordinaire, dont tout le dessous seulement sera plein jusqu’au niveau des pédales. […]

(Voyez aussi CG nos. 1556, 1558, 1559, 1568, 1620 et 1624.) Dans ses feuilletons Berlioz évoque à plusieurs reprises l’instrument à triple clavier inventé par Alexandre, qu’il nomme ‘piano-orgue’ et appelle une fois ‘piano-Liszt’ (par exemple Journal des Débats 3 mai 1856, 24 septembre et 14 décembre 1857).

7. L’Ordre du Faucon Blanc, Saxe-Weimar

    Le Grand-Duc Charles Frédéric de Saxe-Weimar avait décoré Berlioz de l’Ordre du Faucon Blanc.

Faucon blanc

(Image plus grande)

    La carte ci-dessus fut publiée vers 1889 par la compagnie de tabacs Allen and Ginter, sise à l’époque à Richmond en Virginie aux États-Unis. La carte vient de la série de 50 cartes N44-The World’s Decorations; notre carte porte le numéro 48.

Voir aussi sur ce site:

Goethe et Schiller à Weimar
Le Weimar de Berlioz de nos jours
Berlioz et Liszt
Berlioz et Wagner

Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; page Berlioz à Weimar créée le 1er février 2008; considérablement augmentée le 1er mars et le 15 juillet 2012. Révision le 1er avril 2024.

© (sauf indication contraire) Michel Austin et Monir Tayeb

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