Extraits du Journal des Débats 1867-1896
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Compositeur et critique musical, et ami de longue date de Berlioz, Ernest Reyer (1823-1909) compte parmi les plus actifs défenseurs du compositeur après sa mort et s’emploiera activement à faire connaître sa musique au public. Ses rapports avec Berlioz sont étudiés ailleurs sur ce site sur une page qui donne en outre une liste complète de tout ce que Reyer a écrit sur Berlioz dans le Journal des Débats entre 1867 et 1896, journal auquel Berlioz lui-même avait collaboré de 1834 à 1863.
Cette page reproduit en ordre chronologique la grande majorité de ces textes ; les extraits plus brefs sont transcrits directement ci-dessous, tandis que les textes plus étendus font l’objet de pages annexes séparées. La plupart des textes ne forment qu’une partie seulement de feuilletons plus développés ; ceux qui constituent des feuilletons entiers sont signalés ci-dessous par un *astérisque. Quelques autres articles sur Berlioz signés par Reyer dans d’autres publications que le Journal des Débats sont reproduits ailleurs sur ce site (1857, 1886, 1893) ; sauf pour ce dernier titre, en traduction anglaise, tous les articles sont reproduits dans l’original. Cet ensemble de textes constitue un témoignage précieux sur la réhabilitation posthume de Berlioz en France au cours des années 1870, réhabilitation pour laquelle Reyer œuvra tant lui-même dès la mort du compositeur.
Sauf correction d’erreurs évidentes on a respecté l’orthographe des originaux. On remarquera à ce sujet que les conventions du Journal des Débats évoluent au cours de cette période : par exemple jusque vers la fin des années 1870 on trouve encore poëme pour poème ou complétement pour complètement, alors que les désinences au pluriel en –ans et –ens ne changent qu’après 1890 pour adopter l’orthographe moderne en –ants et –ents (un cas aberrant : le feuilleton du 13 décembre 1881 mélange les deux orthographes).
The composer and writer Ernest Reyer (1823-1909) was a friend of Berlioz of long-standing; after the composer’s death he was among the most active in promoting his memory and encouraging the performance of his music. His relations with Berlioz are traced in detail on a separate page on this site, which also provides a complete list of everything that Reyer wrote on Berlioz in the Journal des Débats between 1867 and 1896, a journal to which Berlioz himself had been a contributor from 1834 to 1863.
The following page reproduces in chronological order the majority of these articles; shorter passages are included below on this page, while longer pieces have been reproduced on separate pages. The majority of passages form only part of longer feuilletons; those that constitute complete feuilletons are identified in the listing below with an *asterisk. A number of articles on Berlioz that Reyer wrote at various times in journals other than the Journal des Débats are reproduced elsewhere on this site (1857, 1886, 1893); except for the last mentioned title, all the articles are in the original French. Taken as a whole these articles provide invaluable evidence on the posthumous Berlioz revival which took place in France during the 1870s, a revival Reyer himself did much to promote from the moment of the composer’s death and on which he was uniquely well-placed to comment.
Except for the correction of obvious
errors the spelling of the original articles
has been retained. It will be noted that the house-style of the Journal des Débats
changed over this period: for example, until the late 1870s poëme was
used for poème or complétement for complètement, whereas
plural endings in –ans or –ens only changed after 1890 to the modern endings in –ants or –ents
(an aberration is the feuilleton of 13
December 1881 which mixes both spellings).
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Journal des Débats, 16 février 1867 (p. 2)
THÉATRE LYRIQUE : Sardanapale, opéra en trois actes et cinq tableaux, paroles de M. Becque, musique de M. Victorin Joncières. — Les décors des Troyens, de Berlioz.
[…] Les Mèdes et les Chaldéens ont attaqué l’armée du roi d’Assyrie, et celui-ci, blessé et vaincu, arrive tout sanglant dans l’appartement de Myrrha, qui fut la chambre de Didon. Ces jardins, où dorment sur leur piédestal de granit les grands sphinx accroupis, je les avais reconnus aussi, et je leur ai dû mes plus douces émotions de la soirée. Avant Sardanapale, la reine de Carthage s’était étendue sur ce lit de repos, à l’ombre de ces mêmes arbres, et elle avait dit à Enée de lui raconter les malheurs de Troie et les infortunes de la belle Andromaque. Pouvais-je ne pas me souvenir, en revoyant ce décor, de cette scène incomparable où tout n’est que charme et poésie : le quintette, le septuor et le duo d’amour entre Didon et Enée ?…
La nuit étend son voile, et la mer endormie
Murmure en sommeillant les accords les plus doux.
…………………………………………………
Nuit d’ivresse et d’extase infinie !
Blonde Phœbé, grands astres de sa cour,
Versez sur nous votre lueur bénie ;
Fleurs des cieux, souriez à l’immortel amour .….
Les Troyens sont partis ! Mais j’ai entrevu le bûcher de Didon à travers les flammes du bûcher de Sardanapale. C’est une surprise que nous a faite M. le directeur du Théâtre-Lyrique, et dont je ne saurais trop le remercier, de nous avoir rendu les décors des Troyens. Et puisque ce qui a été carthaginois est devenu assyrien, pourquoi ce qui est assyrien ne redeviendrait-il pas carthaginois ?
M. Hector Berlioz n’assistait probablement pas à la première représentation de Sardanapale. Qu’il sache du moins que son œuvre, vivante et admirée dans la mémoire de quelques uns, n’a pas péri tout entière au théâtre.
[…]
Journal des Débats, 6 février 1868 (p. 2)
Hector Berlioz en Russie.
[…] Berlioz, à Moscou comme à Saint-Pétersbourg, reçoit les ovations des dilettantes russes ; le concert qu’il a donné dans la salle du Manége réunissait dix mille six cents auditeurs. On y a exécuté l’offertoire de son Requiem, morceau où le chœur ne chante qu’une lamentation monotone sur deux notes, et dont l’effet a été tel qu’on a dû le répéter au concert du Conservatoire qui a eu lieu le surlendemain. Après avoir assisté à une fête qui lui a été offerte dans la salle de l’Assemblée des Nobles, et à laquelle tout le monde artiste de Moscou avait été invité, Berlioz est reparti pour Saint-Pétersbourg. La série des concerts classiques va être terminée ; la dernière séance sera exclusivement consacrée à l’audition des œuvres du maître : on y exécutera des fragmens de Roméo et Juliette, de la Damnation de Faust et la symphonie d’Harold en entier. Il paraît que l’orchestre est admirable. — Quand on aura pu former un nombre de chanteurs suffisant, on exécutera la partition des Troyens, qui va être traduite en russe. Berlioz oublie à Saint-Pétersbourg, au milieu d’amis et de fanatiques admirateurs de sa musique, ses souffrances morales et ses souffrances physiques ; mais il sera de retour à Paris dans quelques jours : ce sera la fin de son rêve.
[…]
[Note: ce paragraphe paraphrase une lettre de Berlioz à Reyer, CG no. 3332]
Journal des Débats, 10 mars 1869 (p. 2)
Le bronze n’a pas tonné, les cloches n’ont pas fait entendre leur carillon funèbre, les journaux de musique qui paraîtront demain ne seront même pas encadrés de noir en signe de deuil. Et pourtant un grand artiste vient de mourir, un artiste de génie qu’ont poursuivi les haines les plus violentes, qu’ont entouré les témoignages de l’admiration la plus vive. Si le nom de Berlioz n’était pas de ceux que la foule a appris à saluer, il n’en est pas moins illustre, et la postérité l’inscrira parmi les noms des plus grands maîtres. Son œuvre est immense ; l’influence qu’il a exercée sur le mouvement musical de son époque est plus considérable qu’on ne le croit aujourd’hui. Laissez faire le temps et la justice des hommes. L’Allemagne le considérait comme une de ses gloires ; dans la patrie de Beethoven, on l’appelait le Beethoven français, et il lui fallait aller à Vienne, à Weimar ou à Berlin pour oublier les outrages que ses compatriotes ne lui épargnaient guère. Il vous racontera lui-même dans ses Mémoires posthumes ses chutes les plus imméritées et ses triomphes les plus éclatans ; il vous dira avec le même accent de naïveté sincère : Telle œuvre fut sifflée à Paris, et à Vienne elle excita de tels transports, que les musiciens de l’orchestre baisaient les pans de mon habit.
Je ne saurais aujourd’hui, tant ma douleur est profonde, écrire quoi que ce soit qui ressemblât à une étude sur le rôle joué par Berlioz et sur ses œuvres impérissables ; l’admiration que j’avais pour l’artiste égalait mon affection pour l’ami dont les défauts m’attachaient autant que les qualités. Je l’ai vu mourir, et pas une plainte ne s’est échappée de ses lèvres avant qu’elles ne fussent glacées par les premières approches de la mort. Il s’est éteint doucement, ayant perdu, pendant les dernières heures, l’usage de ses facultés. Aux quelques amis qui sont venus lui serrer la main, il n’a même pu répondre par une étreinte, par un regard ; mais c’était presque une consolation pour ceux qui pleuraient à son chevet que cette expression de douleur vaincue et de sérénité répandue sur son beau visage. La mort a donc été douce pour ce grand artiste dont la vie avait été traversée par de si dures épreuves.
E. REYER.
Journal des Débats, 31 mars 1869 (p. 3)
HECTOR BERLIOZ.
Journal des Débats, 23 novembre 1869 (p. 2)
Les concerts de l’Opéra. — Henri Litolff.
[…] Les deux premiers concerts de l’Opéra ont donné des résultats qui semblent assurer le succès de l’entreprise dont la direction musicale est confiée à Henry Litolff. Ce chef est fort habile, son orchestre lui est entièrement dévoué, et cet orchestre, réuni à la hâte, prouve aux incrédules (j’étais du nombre) qu’en dehors de la Société des concerts du Conservatoire, de la Société des concerts populaires [dirigée par Jules Pasdeloup] et des orchestres de nos principaux théâtres lyriques, il existe des musiciens capables d’exécuter les œuvres les plus importantes et les plus difficiles, et d’une façon presque irréprochable. La plupart de ces musiciens sont des jeunes gens qui, au sortir du Conservatoire, n’ayant pas trouvé de places vacantes dans les grands orchestres, se sont disséminés un peu partout. Au premier appel d’Henry Litolff ils sont arrivés et n’ont montré ni hésitation ni défiance d’eux-mêmes lorsqu’on a mis sur leur pupitre la grande symphonie avec chœurs de Beethoven. Cette page admirable, que trouvent beaucoup trop longue ceux qui ne la comprennent pas, a été pour Litolff une pierre de touche. Et le voilà maintenant bien fixé sur le sentiment du public et sur la capacité de son orchestre. Les fragmens de la Damnation de Faust ont été rendus avec une étonnante perfection ; pas un détail n’a été négligé, et la délicatesse infinie de ce travail instrumental a particulièrement surpris ceux qui se sont toujours imaginé que la musique de Berlioz était faite d’extravagance, de coups de grosse caisse et même de coups de canon. Est-il rien de plus fantastique et en même temps de plus simple et de plus clair que ce menuet des follets ? Au premier concert, c’est ce menuet qu’on a bissé ; au second concert, on a bissé la valse dont le thème est la troisième variante, la troisième transformation de l’admirable phrase que chante Méphistophélès pendant le sommeil de Faust :
Voici des roses
De ce matin écloses.
Sur ce lit embaumé,
O mon Faust bien-aimé !
Repose !
Il est difficile de donner une idée de l’originalité et de la poésie de cette scène (le chant de Méphisto, le chœur des gnomes coupé par le chœur des étudians et la valse des sylphes) à ceux qui ne l’ont jamais entendue. Elle sera sans doute exécutée tout entière à l’un des prochains concerts. Des musiciens qui, sans être précisément hostiles à Berlioz, n’avaient pas vécu dans la familiarité de ce maître, trop peu classique pour eux, se sont montrés surpris de trouver dans son œuvre des pages si mélodiques et d’un effet si saisissant. Je ne suis nullement étonné de leur étonnement, et s’ils veulent bien poursuivre le cours de leurs nouvelles études, ils en verront bien d’autres, non seulement dans la Damnation de Faust, mais dans Roméo et Juliette, dans l’Enfance du Christ, dans la Symphonie fantastique et dans la première partie des Troyens.
Litolff aura eu le très grand honneur de travailler avec un dévouement pieux et une conviction inébranlable à la gloire posthume de Berlioz, ce qui peut se faire sans trop de danger, maintenant que le maître est mort. C’est peut-être à Litolff que nous devrons de pouvoir contempler un jour sur la façade de l’Opéra le beau buste de l’auteur des Troyens par le sculpteur Perraud. S’il y a quelques bustes sur la façade ou au foyer du théâtre impérial de Vienne, nous sommes certains que celui de Berlioz y est déjà ou ne tardera pas à y être.
[…]
Journal des Débats, 22 février 1870 (p. 1)
Festival pour l’anniversaire de la mort d’Hector Berlioz.
Le 8 mars, il y aura un an que Berlioz est mort. Un an déjà, et l’on attend encore la publication de ses Mémoires ! Le dévouement de ses amis, le zèle de son éditeur, l’impatience du public n’ont pu aller plus vite que les formalités de la loi. Ces Mémoires ont été imprimés du vivant de l’auteur, et, le lendemain de sa mort, les journaux français en ont donné des extraits que les journaux allemands se sont empressés de reproduire. Mais ce n’étaient là que de piquantes indiscrétions auxquelles les amis de Berlioz s’étaient prêtés dans l’intérêt même du livre, et aussi parce que de tous côtés on était avide de détails, et surtout de détails intimes et inédits sur le grand artiste qui venait de mourir. Aujourd’hui la publication du livre est impérieusentent réclamée ; l’éditeur, M. Michel Lévy, est tout prêt ; la traduction allemande est faite. Quelles sont donc ces formalités qui au bout d’un an ne sont point encore remplies, et qui donc le public doit-il rendre responsable d’un retard aussi inexplicable et aussi prolongé ?
Le 8 mars (cette date n’est pourtant pas fixée d’une manière irrévocable), nous célébrerons dignement, et pompeusement, par une grande manifestation musicale, l’anniversaire de la mort d’Hector Berlioz. Nous tous, les amis du maître, les dépositaires de ses dernières volontés, ses admirateurs, ses disciples, nous nous sommes réunis et nous avons composé un programme sur lequel sont inscrits des fragmens de ses plus belles œuvres. Nous avons entouré son nom des noms qu’il admirait le plus : Gluck, Spontini et Beethoven. Puis nous avons demandé au ministre des beaux-arts son haut patronage, au directeur de l’Académie impériale de Musique son appui, aux artistes de l’Opéra leur concours. Le ministre des beaux-arts a accepté la présidence de notre comité, M. Emile Perrin a mis très gracieusement à notre disposition la salle de l’Opéra ; Mmes Gueymard, Carvalho, Nilsson, MM. Faure, Colin, Bosquin et David se sont associés à notre projet de la façon la plus obligeante et la plus spontanée. En dehors du personnel de l’Opéra, nous nous sommes adressés à Mme Charton-Demeur, l’héroïne des Troyens, et à Vieuxtemps, le grand violoniste. Nous avons l’orchestre de l’Opéra et les chœurs de l’Opéra, auxquels se joindront des artistes supplémentaires, c’est-à-dire une réunion de deux cents exécutans.
Et maintenant, je veux donner aux lecteurs du Journal des Débats la primeur de ce splendide programme :
Première partie. |
10 Ouverture d’Egmont…… + | Beethoven. |
20 La Captive, mélodie pour voix et orchestre, chantée par Mme Gueymard…… | H. Berlioz. |
30 Duo de l’Enfance du Christ, par M. Faure et Mme Carvalho…… | Id. |
40 Marche d’Harold en Italie (le solo d’alto exécuté par M. Vieuxtemps)…… | Id. |
50 Quintette et septuor des Troyens, par Mmes Charton-Demeur, Gueymard, M.-Carvalho, MM. Faure, Colin, Bosquin, David et le chœur…… | Id. |
60 Final de Roméo et Juliette (chœur du serment), le solo chanté par M. David…… | Id. |
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70 Ouverture du Carnaval romain…… | H. Berlioz |
80 Air d’Alceste (Divinités du Styx), par Mme Gueymard…… | Gluck. |
90 La Damnation de Faust a) air de Méphistophélès, chanté par M. Faure ; b) chœur de gnomes et de sylphes ; c) ballet des sylphes…… | H. Berlioz. |
100 Duo de Béatrice et Bénédict par Mlle Nilsson et Mme Charton-Demeur…… | Id. |
110 Récitatif, prière et final du deuxième acte de la Vestale, par Mme Gueymard, M. David et le chœur…… | Spontini. |
On m’a offert la direction musicale du festival, et si j’ai hésité à accepter cette lourde tâche, c’est que l’honneur d’être placé à la tête de l’orchestre de l’Opéra me semblait revenir à M. Georges Hainl, l’excellent chef de cet excellent orchestre. Mais dans une circonstance où il s’agit de rendre un hommage direct et significatif à Hector Berlioz, mon admiration pour l’œuvre du maître, le culte que j’ai voué à sa mémoire, l’amitié qui me liait à lui m’ont sans doute désigné, plus encore que mes aptitudes, aux suffrages du comité. C’est ce que M. Georges Hainl a parfaitement compris, et ses assurances amicales ont calmé mes scrupules.
Le public répondra-t-il à notre appel ? Nous l’espérons. On n’a pas en France l’habitude de ces grands festivals qui, en Allemagne, ne durent pas moins de trois jours et emplissent d’une foule intelligente les villes d’Aix-la-Chapelle, de Bonn, ou de Dusseldorf. Les plus grands artistes s’y donnent rendez-vous ; des délégués y viennent de tous les points de l’Allemagne ; les étrangers y sont accueillis fraternellement. Pourquoi n’aurions-nous pas, nous aussi, nos grandes fêtes musicales revenant à des époques périodiques, et dont chacune serait consacrée à honorer une des gloires de l’art, sans distinction de nationalité, sans préférence d’école ?
[…]
*Journal des Débats, 31 mars 1870 (p. 1-2)
THÉATRE DE L’OPÉRA. Festival en l’honneur d’Hector Berlioz.
Journal des Débats, 9 mars 1873 (p. 2)
CONCERTS DU CIRQUE : la Symphonie fantastique, d’Hector Berlioz ; CONCERTS DU CONSERVATOIRE : l’ouverture du Carnaval romain.
[…] En attendant mon compte-rendu obligé des concerts de la saison, je veux dire quelques mots de l’exécution de la Symphonie fantastique par l’orchestre de M. Pasdeloup et de l’ouverture du Carnaval romain exécutée au dernier concert de la rue Bergère.
Berlioz avait à peine quitté les bancs du Conservatoire quand il composa sa Symphonie fantastique, à laquelle il donna plus tard une suite, un complément intitulé : Lélio, épisode de la vie d’un artiste. C’est le 16 décembre 1836 que cette symphonie fut exécutée pour la première fois à Paris, sous la direction de l’auteur [en fait le 5 décembre 1830, sous la direction de Habeneck]. Quelques années auparavant, il avait essayé de la faire jouer au théâtre des Nouveautés, par un orchestre de cent trente musiciens. Mais le jour de la répétition, l’estrade se trouva trop petite pour contenir un si grand nombre d’exécutans ; on n’y eût même pas trouvé l’espace nécessaire pour y placer les pupitres, si les pupitres eux-mêmes n’eussent manqué. Ce fut un affreux vacarme et une déroute complète, « un passage de la Bérésina par des musiciens. » Le concert n’eut pas lieu.
Le 16 décembre 1836 [1838, en fait], au contraire, est pour Berlioz une date mémorable. La Symphonie fantastique et Harold en Italie étaient sur le programme du concert. Paganini y assistait et c’est en proie à l’émotion profonde qu’avait produite sur lui la musique de Berlioz, qu’il écrivit au jeune compositeur cette fameuse lettre, accompagnée d’un don de 20,000 fr., et qui commençait ainsi : « Beethoven étant mort, vous seul pouviez le faire revivre », etc. On connaît le reste.
On ne peut pas nier que Paganini fût un assez bon juge. Eh bien ! j’ai été fort surpris l’autre jour, en sortant du concert Pasdeloup, où l’œuvre de Berlioz avait été convenablement rendue, d’entendre de jeunes clercs s’exprimer de la manière la plus violente, la plus acerbe, la plus irrévérencieuse sur le mérite de cette composition et sur le génie du maître. Et pourtant Berlioz compte aujourd’hui bien des admirateurs, bien des adeptes parmi les jeunes. La Scène aux champs, le Bal et la Marche au supplice sont des pages vraiment belles, et que Paganini n’est pas le seul à avoir admirées il y a bien près de quarante ans, alors que venait à peine de s’accomplir cette grande révolution musicale dont Beethoven fut le grand promoteur et dont Berlioz devait être à la fois, quelques années plus tard, le héros et le martyr.
Si la Symphonie fantastique n’a pas été généralement appréciée au Cirque comme elle mérite de l’être, l’ouverture du Carnaval romain a eu au Conservatoire une meilleure fortune. Les deux thèmes principaux de cette page symphonique sont empruntés : l’andante au duo du premier acte de Benvenuto Cellini entre Benvenuto et Teresa ; l’allegro à la saltarelle du même ouvrage. Quelle suavité dans ce chant de cor anglais qu’une modulation si inattendue fait reprendre par les altos ! Quelle verve entraînante dans l’allegro, et quelle richesse, quelle variété, quelle saisissante couleur dans l’instrumentation !
Qu’on critique tant qu’on voudra les œuvres de Berlioz, mais qu’on nous les fasse entendre le plus souvent possible !
[…]
Journal des Débats, 28 octobre 1873 (p. 1)
Réouverture des Concerts populaires. — La deuxième partie de Roméo et Juliette, de Berlioz.
[…] La deuxième partie de Roméo et Juliette (Roméo seul — tristesse — concert et bal — grande fête chez Capulet) a produit un immense effet, bien que le rhythme de l’allegro manquât une peu d’accentuation. Après le délicieux solo de hautbois en ut majeur, il y a eu un frémissement dans toute la salle. Mais quand le public sera préparé à entendre l’œuvre du maître tout entière, où l’exécutera-t-on? […]
Journal des Débats, 13 décembre 1873 (p. 2)
Concerts du Conservatoire : La 3e partie de Roméo et Juliette, d’Hector Berlioz.
[…] Le premier concert du Conservatoire a fait à Berlioz les honneurs de son programme : on y a exécuté un fragment de Roméo et Juliette tout entier ; la Scène d’amour, allegretto avec chœurs dans le lointain et adagio. Cet adagio est une des pages les plus admirables, les plus poétiques, les plus sublimes de la musique moderne. Il y a là, animées par un souffle shakespearien, des sonorités d’un charme pénétrant, et jamais l’extase, jamais l’ivresse de l’amour n’ont été exprimées avec une telle puissance, avec de tels élans. C’est sublime, je le répète, et l’exécution, à part un rallentando tout à fait inutile dans la seconde période de la phrase principale, a été digne de l’œuvre, ce qui est le plus bel éloge que je puisse adresser à MM. les membres de la Société des Concerts. Serait-il vraiment question de nous donner l’œuvre tout entière au concert du second dimanche de mars, la jour anniversaire de la mort de Berlioz ? Nous savons punir les grands coupables, sachons donc aussi honorer nos hommes illustres, au moins quand ils sont morts.
[…]
Journal des Débats, 15 mars 1874 (p. 2)
Concerts du Châtelet. — La Marche troyenne, d’Hector Berlioz.
[…] Berlioz a arrangé lui-même pour orchestre seul la belle Marche troyenne de la première partie des Troyens (la prise de Troie), — qui devint le prologue des Troyens à Carthage, lorsque cet ouvrage fut représenté au Théâtre-Lyrique. Et il s’est servi, pour amener la coda de ce morceau symphonique, du mouvement d’orchestre qui accompagne le récit d’Enée annonçant à ses soldats qu’ils vont quitter Carthage. Cela fait un tout très homogène sans doute, mais dans lequel la suppression de la partie vocale laisse un vide que les plus ingénieuses combinaisons instrumentales ne réussissent point à combler. Il y manque le chœur, il y manque aussi le monologue et les terreurs de Cassandre à la vue du monstrueux cheval. Mais enfin, puisque l’Opéra ne songe guère à nous rendre un ouvrage que lui seul actuellement pourrait représenter, puisque la Société des Concerts ne nous en a pas donné cette année, pas plus que l’année dernière, le plus petit fragment, nous sommes bien obligé de nous contenter de la Marche troyenne dans sa forme nouvelle, telle que nous l’avons entendue à l’un des derniers concerts du Châtelet ; nous l’aurions voulue seulement plus nuancée et dans un rhythme plus accentué et plus énergique.
[…]
Journal des Débats, 15 janvier 1875 (p. 2)
Société des concerts du Conservatoire : Fragmens de la Damnation de Faust. — Concert du Châtelet : L’Enfance du Christ.
[…] M. Colonne, chef d’orchestre des concerts du Châtelet, me fit l’honneur de venir m’annoncer, il y a une quinzaine de jours, son intention de faire exécuter l’Enfance du Christ, de Berlioz, et voulut bien me consulter sur le choix des interprètes. Je lui désignai immédiatement Mlle Nilsson ou Mme Carvalho, M. Faure, M. Gailhard, M. Duchesne et M. Bouhy, en ajoutant que, s’il trouvait des artistes supérieurs à ceux-là, il ne devait pas hésiter à solliciter leur concours.
M. Colonne éprouva sans doute quelque difficulté à composer son programme d’après les indications que je lui avais données, et il s’adressa alors à Mme Galli-Marié, à M. Prunet, à M. Taskin et à deux jeunes gens, élèves du Conservatoire, comme M. Taskin, et non encore couronnés. Avec ces noms-là (je fais cependant une exception pour Mme Galli-Marié, bien que le genre de voix de cette artiste, musicienne excellente, ne convienne guère à l’interprétation du rôle qui lui était confié, celui de la Vierge Marie) ; donc, avec ces noms-là, le résultat du concert, au point de vue de l’insuffisance de l’exécution, n’était pas douteux pour moi. La dernière fois que j’entendis l’Enfance du Christ, sous la direction de Berlioz, il y a bien des années déjà, les parties soli de cette admirable trilogie sacrée étaient chantées par M. et Mme Meillet, M. Battaille et M. Jourdan, M. Battaille remplissant les deux rôles d’Hérode et du père de famille, écrits pour la même voix. C’était parfait. Et le souvenir des émotions de cette soirée m’en est resté si net, si vivant, que j’ai hésité à me rendre dimanche au concert du Châtelet, sachant bien ce qui m’y attendait. J’y suis allé pourtant.
M. Colonne a le désir de bien faire, et il est doué, comme chef d’orchestre, de certaines aptitudes que je ne lui conteste pas. Mais il n’a pas pris le temps d’étudier l’œuvre complexe et pleine de minutieux détails qu’il était chargé de faire exécuter. Il n’en a rigoureusement saisi ni les nuances, ni le caractère, ni les mouvemens, et si plusieurs morceaux ont littéralement enthousiasmé le public, d’autres, en revanche, n’ont pas été compris et ne pouvaient pas l’être : je citerai seulement l’air d’Hérode, d’une incomparable beauté et ce duo si émouvant, si dramatique, entre la Vierge Marie et Joseph (le duo de la troisième partie), dans lequel aucune progression n’a été suivie, ce qui veut dire que d’un bout à l’autre il a été chanté avec la même monotonie et dans le même mouvement.
Maintenant, si les rôles d’Hérode et du père de famille, écrits pour la même voix, comme je l’ai dit plus haut, peuvent être interprétés par le même artiste, il ne saurait en être ainsi de ceux d’Hérode et de Joseph, l’un étant écrit pour une voix de basse et l’autre pour une voix de baryton. Je ne m’explique donc pas comment M. Colonne a pu confier ces deux rôles si différens à un même chanteur.
Deux chœurs très importans ont dû être coupés, sans doute parce qu’ils sont très difficiles et que le temps a manqué pour les apprendre le choeur : Que de leurs pieds meurtris on lave les blessures, et celui qui vient après le trio instrumental (harpe et flûtes) des jeunes Ismaélites.
Voilà la vérité sur l’exécution de l’Enfance du Christ au Châtelet. M. Colonne me trouvera peut-être un peu sévère ; mais l’estime que j’ai pour son talent et ma profonde admiration pour Berlioz me serviront d’excuse auprès de lui.
Le dimanche précédent, la Société des concerts du Conservatoire nous faisait entendre pour la seconde fois des fragmens de la Damnation de Faust : l’air de Méphistophélès, le chœur des gnomes et des sylphes, la valse et le finale (chœur de soldats et d’étudians). Berlioz lui-même eût été satisfait de la perfection avec laquelle ces fragmens ont été exécutés ; mais les applaudissemens du public l’eussent peut-être surpris. De son vivant, il n’était pas habitué, de la part de MM. les abonnés du Conservatoire, à de tels élans d’enthousiasme. On le discute bien encore un peu ; mais, en somme, on ne trouve pas qu’il soit absolument déplacé entre Beethoven et Weber. M. Deldevez, très secondé d’ailleurs par la plupart des musiciens de son orchestre, fait tout ce qu’il peut pour que justice soit enfin rendue à l’un des plus grands génies de l’Ecole moderne. Et je vous assure que depuis la mort de l’illustre maître, au Conservatoire comme ailleurs, il y a eu beaucoup de conversions.
[…]
Journal des Débats, 21 novembre 1875 (p. 2)
[…] On m’apprend que l’intrépide chef d’orchestre du Châtelet a mis à l’étude la symphonie dramatique d’Hector Berlioz : Roméo et Juliette, et qu’il compte offrir, dans le courant de l’hiver, ce chef d’œuvre, tout entier, à ses fidèles et à ses abonnés. Cette pensée est louable sans doute ; mais quand on s’attaque à une œuvre de cette importance et dont les difficultés d’exécution ont fait reculer les plus solides musiciens, il faut s’élever jusqu’à elle ou bien ne pas y toucher. Si M. Colonne devait renouveler avec Roméo et Juliette l’expérience peu réussie qu’il a faite, l’année dernière, avec l’Enfance du Christ, nous aimerions autant nous contenter, jusqu’à une meilleure occasion, des simples fragmens dont nous régalent de temps à autre M. Pasdeloup et la Société des Concerts. La renommée de M. Colonne nous est chère, mais plus encore la gloire d’Hector Berlioz. Et maintenant, je voudrais connaître les noms des artistes qui chanteront les strophes : Premiers transports que nul n’oublie, l’air du père Laurence et le scherzetto de la fée Mab. J’espère que ce n’est pas sur les bancs du Conservatoire que M. Colonne est allé les chercher. […]
Journal des Débats, 12 décembre 1875 (p. 1-2)
CONCERTS DU CHATELET : Roméo et Juliette, symphonie dramatique composée d’après la tragédie de Shakespeare par Hector Berlioz, paroles de M. Emile Deschamps. — Les soli chantés par Mlle Vergin, M. Bouhy et M. Furst.
Journal des Débats, 21 janvier 1876 (p. 2)
Concerts populaires: Harold en Italie, symphonie d’Hector Berlioz.
[…]
L’exécution d’Harold en Italie, au Cirque d’Hiver, a été excellente, et l’œuvre a produit grand effet. La première partie (Harold aux Montagnes), avec son chant d’alto, poétique et tendre, la Marche des Pèlerins, une des pages les plus originales, les plus colorées de la musique instrumentale ; la délicieuse sérénade « d’un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse », et la quatrième partie, intitulée « Orgie des Brigands », dans laquelle reparaissent successivement des souvenirs des scènes précédentes, ont été religieusement écoutées et très applaudies. M. Pasdeloup avait donné tous ses soins aux études de cette œuvre très complexe, très difficile, et il l’a dirigée avec une grande habileté. M. Sivori jouait la partie d’alto. Etait-ce la faute de l’instrument ou de l’instrumentiste ? le son m’a semblé, par momens, maigre et insuffisant. C’est à tort qu’on a écrit dans plusieurs comptes-rendus que la symphonie d’Harold en Italie avait été composée pour Paganini. Paganini, qui possédait un admirable Stradivarius, avait demandé à Berlioz un solo d’alto, qui lui permît de faire entendre ce merveilleux instrument en public. « Le premier morceau était à peine écrit, raconte Berlioz dans ses Mémoires, que Paganini voulut le voir. A l’aspect des poses que compte l’alto dans l’allegro : « Ce n’est pas cela ! s’écria-t-il, je me tais trop longtemps là-dedans ; il faut que je joue toujours. » Puis il ne fut plus question de solo d’alto (c’était probablement un concerto que voulait Paganini), et Berlioz s’appliqua alors à exécuter dans une autre intention le plan qu’il avait conçu, et sans plus s’inquiéter des moyens de faire briller l’alto principal. « J’imaginai d’écrire pour l’orchestre une suite de scènes auxquelles l’alto se trouverait mêlé comme un personnage plus ou moins actif conservant toujours son caractère propre ; je voulus faire de l’alto, en le plaçant au milieu des poétiques souvenirs que m’avaient laissés mes pérégrinations dans les Abruzzes, une sorte de rêveur mélancolique dans le genre du Childe-Harold de Byron. De là le titre de la symphonie Harold en Italie. » Par conséquent, il ne faut pas chercher dans la symphonie de Berlioz la traduction musicale d’un chapitre de l’œuvre de Byron, pas plus qu’on ne doit attribuer à Paganini le mérite de l’avoir inspirée. Berlioz la fit exécuter pour la première fois le 30 novembre 1834 [le 23, en fait] ; Paganini ne l’entendit que trois ans plus tard [quatre en fait, le 16 décembre 1838] et ne la joua jamais. Il en fut donc l’instigateur seulement. Harold, j’aime à le répéter, a obtenu un très grand succès, bien qu’on ait eu de la peine à saisir toutes les péripéties qui se déroulent dans la quatrième partie, toutes les réminiscences des tableaux précédens qui y reparaissent successivement. Nous voilà donc bien loin de l’époque où une plume qui se piquait d’être mordante et spirituelle écrivit cette phrase restée célèbre : Haro ! Haro ! sur Harold ! ce qui était, en effet, bien mordant et bien spirituel ! On commence à comprendre aujourd’hui tout ce qu’il y avait d’imagination et de génie dans la tête de ce musicien qui, il y a quarante ans, écrivait une pareille œuvre.
[…]
Journal des Débats, 1er mars 1876 (p. 1-2)
Société des concerts du Conservatoire : les deux premières parties de la Damnation de Faust, d’Hector Berlioz. MM. Bosquin, Bouhy et Auguez.
*Journal des Débats, 13 mars 1877 (p. 1-2)
La Damnation de Faust, d’Hector Berlioz.
Journal des Débats, 30 mars 1877 (p. 1-2)
Concerts du Châtelet : Sixième exécution de la Damnation de Faust ; Mme Duvivier, M. Talazac, M. Lauwers, M. Carroul ; l’orchestre et les chœurs.
Journal des Débats, 23 mai 1877 (p. 2)
Concert de M. Colonne. — Hector Berlioz.
[…] Le succès inouï, inespéré, des six exécutions consécutives de la Damnation de Faust, au Châtelet, ont fait le plus grand bien à l’entreprise de M. Colonne et ont donné au jeune et intelligent chef d’orchestre la pensée de composer uniquement avec des œuvres de Berlioz le programme du concert qu’il donne chaque année à son bénéfice. « A Hector Berlioz, M. Colonne reconnaissant. » Ce concert a eu lieu salle Erard, et nous le regrettons. L’ancienne salle n’avait qu’un défaut : elle était petite ; dans la salle nouvellement construite, tout est hors de proportion et du plus mauvais goût ; la sonorité en est détestable. Cette grand loge béante qui fait face à l’entrée est une véritable loge princière qui pourrait contenir tous les princes de la terre, lesquels se garderont bien d’y venir. Des rideaux de damas rouge masquent de chaque côté de l’orchestre, dans un but purement décoratif, des issues qui n’existent pas ; et une galerie, dans laquelle les spectateurs ont l’air d’avoir été mis en pénitence, s’allonge à une très grande hauteur des deux cotés de la salle. Est-il donc possible que nous n’ayons pas à Paris une véritable salle de concert, spacieuse, confortable et bien aménagée ! Tantôt dans un théâtre, tantôt dans un cirque, le plus souvent dans un espace trop étroit, mon Dieu ! que la musique symphonique est mal logée !
Il faut en prendre son parti : sur ce chapitre-là, l’art et la spéculation ne s’entendront jamais.
Tous les morceaux inscrits au programme du concert de M. Colonne n’ayant pas la même valeur n’ont pas eu le même succès ; l’ouverture du Roi Lear et le Caprice, pour violon, par exemple, ont à peine enlevé quelques bravos timides. Ce dernier morceau pourtant été magistralement exécuté par M. Camille Lelong, avec une rare élégance d’archet, avec une pureté de style des plus remarquables. Le boléro de Zaïde, avec accompagnement de piano et de castagnettes, n’est pas non plus une de ces inspirations que le génie du maître a marquées de sa griffe puissante. C’est un boléro qui n’a rien de bien espagnol, et auquel on peut préférer une foule d’autres boléros. Mais la Mort d’Ophélie, mais Sara la baigneuse, mais la Captive, quelles poétiques et charmantes inspirations, et quels détails exquis, quelle couleur suave dans l’accompagnement !
Le divertissement des Ismaélites dans l’Enfance du Christ, l’air et la sérénade de Méphistophélès ont eu les honneurs du bis, et le concert s’est terminé par la marche si noble, si entraînante des Troyens à Carthage, qui nous a rappelé ces belles soirées du Théâtre-Lyrique, dont Meyerbeer n’a pas manqué une seule. Et quand nous nous étonnions de son assiduité aux représentations du chef-d’œuvre de Berlioz : « C’est pour mon plaisir et pour mon instruction que j’y viens », nous disait-il.
De Berlioz, Meyerbeer n’avait peut-être pas grand’chose à apprendre ; mais à d’autres, l’illustre auteur des Troyens a beaucoup appris.
[…]
Journal des Débats, 19 décembre 1877 (p. 2)
CONCERTS DU CHATELET : la Damnation de Faust ; Mme Duvivier, M. Talazac, M. Lauwers.
[…] La série des concerts du Châtelet entièrement consacrés à l’exécution de la Damnation de Faust a recommencé le dimanche 8 décembre. Cette série promet d’être longue. L’admirable chef-d’œuvre de Berlioz, toujours mieux compris, toujours mieux exécuté, excite l’enthousiasme. Mlle Vergin, qui a remplacé Mme Duvivier, chante délicieusement le rôle de Marguerite, dont elle fait valoir surtout le côté sentimental et élégiaque. Elle a dit avec une expression touchante, avec un sentiment exquis, la romance si tendre, si poétique : « D’amour, l’ardente flamme », et la chanson gothique du roi de Thulé.
M. Lauwers et M. Talazac ont retrouvé dans les rôles de Méphisto et de Faust leur succès de l’hiver dernier. La voix de M. Talazac, déjà fort belle lors du début de ce jeune artiste, a sensiblement gagné sous le rapport de la souplesse, de l’étendue et de l’homogénéité. Depuis bien longtemps on n’a pas entendu un organe plus franc, plus sympathique et d’un charme plus pénétrant. Ou je me trompe fort, ou ce chanteur-là, très épris de son art et admirablement doué, deviendra un grand artiste et aidera, tout en faisant sa fortune à celle du théâtre qui saura le bien utiliser.
Quant à M. Lauwers, dont la voix et le talent ont de très grandes et incontestables qualités, je ne sais pourquoi il s’obstine à accentuer comme il le fait, avec une exagération que nous lui avons déjà reprochée, certaines notes de la sérénade de Méphisto. Il n’a même pas pour lui l’excuse de nous répondre que cela est indiqué ainsi dans la partition.
Plus de coupures, plus d’hésitation dans les mouvemens ; l’exécution de la Damnation de Faust est aussi parfaite qu’il soit possible de le désirer, et nous en félicitons M. Colonne et les excellens artistes qu’il dirige si habilement.
[…]
Journal des Débats, 30 mars 1878 (p. 1-2)
LE REQUIEM DE BERLIOZ.
Journal des Débats, 15 décembre 1878 (p. 2)
Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868, avec une Notice biographique, par Daniel Bernard (1).
[…] Berlioz pensait peut-être que les seules lettres de lui qui devaient être livrées à la publicité étaient celles qu’il a publiées lui-même dans ses Mémoires. Mais Berlioz est mort ; son apothéose suit son cours naturel, et chacun veut y apporter sa part d’enthousiasme et de glorification. Et comme il était un génie complexe, on peut prendre souci également de la renommée du compositeur et de celle de l’écrivain. Réunir la correspondance intime d’un homme qui n’est plus là pour vous y autoriser est une tâche extrêmement délicate et qui m’eût semblé des plus périlleuses si je l’avais vu entreprendre par tout autre que M. Daniel Bernard. Mais le caractère, l’honorabilité et le tact de mon spirituel confrère m’ont complétement rassuré. Aussi n’ai-je point hésité à lui confier une lettre que Berlioz m’avait écrite de Vienne pour me rendre compte de l’exécution de la Damnation de Faust, lettre que j’avais reproduite en partie dans un de mes feuilletons, sans nom d’auteur, bien entendu. Cette lettre est la cent quarante-troisième de la collection, qui n’en renferme pas moins de cent cinquante-six. Cent cinquante-six lettres inédites du plus illustre musicien français de ce siècle ! Voilà une bonne fortune, même pour ceux qui n’aiment pas sa musique, qui ne l’aiment pas encore, qui ne l’aimeront peut-être jamais. Il y en a dans le nombre qui accordent à Berlioz un certain talent d’écrivain : c’est toujours ça de gagné pour lui, du moins pour sa mémoire, car, s’il n’est plus là pour surveiller la mise au grand jour de ses pensées les plus secrètes, il n’est pas là non plus pour recueillir les hommages qui maintenant lui viennent de toutes parts et qui heureusement s’adressent bien plus au musicien de génie qu’à l’humoristique écrivain. Quelle verve, quel esprit, quelle originalité dans ces confidences écrites au courant de la plume et adressées à des amis ! Avec quelle tendresse il écrit à son fils bien-aimé, à son cher Louis dont la mort lui fit verser tant de larmes ! Comme il est affectueux avec Auguste Morel, un de ses plus anciens, de ses plus fidèles amis ! Il avait donc du cœur, malgré tout son génie, malgré tout son esprit ! Ah ! comme ceux qui l’ont connu, comme ceux qui l’ont aimé le retrouvent et sont heureux de le retrouver dans ces pages intimes qu’on se laisserait aller à reproduire tout entières si on commençait à en citer une seule ! Vous qui les lirez, n’oubliez pas de lire aussi la préface que M. Daniel Bernard a placée en tête du volume. Il s’est aidé, pour l’écrire, de bien des biographies, de bien des documens déjà publiés, déjà connus : mais il y a ajouté beaucoup de son appréciation personnelle et de son charmant esprit. Voici les dernières lignes de cette Notice ; elles valent la peine d’être reproduites et méditées aussi :
« Berlioz était mort….. la réparation commençait…..
» Il dort maintenant sur cette haute colline qui vit couler le sang des martyrs ; là-bas, au-dessus de nous, écoutant peut-être les bruits tumultueux de l’immense ville. Aux anniversaires, de pieuses mains viennent déposer sur son tombeau des bouquets de fleurs promptement fanées par l’intempérie des saisons ; j’y ai vu des roses blanches, aussi blanches que le lis, et des violettes répandues en pluie odoriférante, sur la pierre, sur le fer, et jusque dans la boue qu’avait produite le piétinement des passans. Il se repose là des tracas de sa vie agitée, attendant l’heure de la justice, lente à venir. AUCUNE RUE NE PORTE SON NOM, AUCUN THÉATRE NE POSSÈDE SA SOMBRE EFFIGIE. AUCUN MINISTÈRE (ET IL Y EN A EU POURTANT BEAUCOUP !) N’A SONGÉ A LUI RENDRE DES HONNEURS QUELCONQUES ; DE TOUTES LES GLOIRES MUSICALES DE LA FRANCE, LA FRANCE N’EN OUBLIE QU’UNE : CELLE DONT ELLE PEUT LE MIEUX SE GLORIFIER DEVANT LE MONDE ENTIER. D’autres musiciens passeront ; que dis-je ? ils ne sont déjà plus. Berlioz est resté, et son souvenir grandit comme ces ombres qui, à mesure que décroît le soleil et que le temps s’écoule, deviennent plus accusées, plus nettes, et s’allongent sur le sable d’or. »
Ah ! que cela est bien dit ! Mais ce sable d’or me fait penser au désert. Et c’est dans le désert que plus d’un prophète a prêché inutilement.
(1) Un volume, Calmann Lévy, éditeur, Paris.
Journal des Débats, 16 février 1879 (p. 1)
La symphonie dramatique de Roméo et Juliette, d’Hector Berlioz, à la Société des Concerts et au Châtelet.
Journal des Débats, 22 mars 1879 (p. 1-2)
Le Festival-Berlioz à l’Hippodrome.
Journal des Débats, 17 octobre 1879 (p. 2)
Concerts populaires et Concerts du Châtelet : Prochaine exécution de la Prise de Troie.
[…] Dans le courant de l’hiver, M. Pasdeloup se propose de nous faire entendre Lohengrin tout entier et la Prise de Troie, tout entière aussi. Nous n’avons pas besoin de dire tout ce que perd une œuvre dramatique à être exécutée dans un concert ; mais encore vaut-il mieux l’entendre ainsi que de ne pas l’entendre du tout. On connaît déjà de très importans fragmens de Lohengrin ; mais la Prise de Troie, opéra en trois actes qui est en quelque sorte le prologue des Troyens à Carthage, est une œuvre absolument inédite en France tout comme en Allemagne. Les seuls morceaux qu’on en connaisse, je crois, sont le chœur (marche et hymne) qui figurait au programme du Festival de l’Hippodrome le 8 mars dernier, jour anniversaire de la mort du maître ; l’air de Cassandre, au premier acte, et le duo qui suit entre Chorèbe et Cassandre, chantés l’un et l’autre par Mme Viardot et M. Jules Lefort il y aura tantôt vingt ans à Baden-Baden au beau temps des grands concerts que Berlioz y dirigeait.
Ce sont là trois morceaux de premier ordre ; les deux derniers surtout sont d’une beauté achevée, et nous n’hésitons pas à dire qu’il n’a rien été écrit de plus noble de plus grand, de plus sublime dans le style propre à la tragédie lyrique. Aussi l’interprétation de ces morceaux ne saurait-elle être confiée qu’à des artistes d’un talent éprouvé, ayant des moyens vocaux très développés et une éducation musicale parfaite. Des chanteurs ordinaires, même avec le prestige que la popularité donne à quelques uns d’entre eux, n’y suffiraient pas.
Il est donc naturel que M. Pasdeloup ait songé tout d’abord à Mlle Krauss. Reste à savoir maintenant comment la demande de M. Pasdeloup aura été accueillie par le directeur de l’Opéra.
Il faut aussi, pour le rôle d’Enée, un ténor di primo cartello, bien que ce rôle dans la Prise de Troie soit loin d’avoir la même importance, les mêmes développemens que dans les Troyens à Carthage. Trois autres personnages : Ascagne, Panthée et l’ombre d’Hector, complètent la distribution de l’ouvrage en tête duquel Berlioz a placé l’Avis que nous allons reproduire, sans nous en exagérer toutefois l’opportunité.
« L’auteur croit devoir prévenir les chanteurs et les chefs d’orchestre qu’il n’a rien admis d’inexact dans sa manière d’écrire. Les premiers sont en conséquence priés de ne rien changer à leurs rôles, de ne pas introduire des hiatus dans les vers, de n’ajouter ni broderies ni appogiatures dans les récitatifs ni ailleurs, et de ne pas supprimer celles qui s’y trouvent. Les seconds sont avertis de frapper certains accords d’accompagnement dans les récitatifs toujours sur les temps de la mesure où l’auteur les a placés, et non avant ni après.
» En un mot, cet ouvrage doit être exécuté tel qu’il est……. »
La Prise de Troie sera exécutée simultanément au Cirque d’Hiver et au Châtelet, M. Colonne ayant eu la même idée que M. Pasdeloup, idée excellente, dont il est juste pourtant de laisser la priorité au directeur des Concerts populaires.
[…]
Journal des Débats, 30 novembre 1879 (p. 2)
Concerts populaires : le premier acte de la Prise de Troie, d’Hector Berlioz.
[…] Cette année, c’est la Prise de Troie qui va, ainsi que je l’ai annoncé, stimuler le zèle des deux directeurs de nos grandes Sociétés symphoniques, auxquelles la musique dramatique apporte de temps à autre un appoint qui semble leur être de quelque utilité. M. Pasdeloup est arrivé premier, avec un fragment de l’œuvre de Berlioz que le maître a lui-même détachée des Troyens dont elle était le prologue, et coupée, je ne sais pourquoi, en trois actes qui ont à peine la dimension de trois petits tableaux. Il y a dans le premier tableau dont le directeur des Concerts populaires nous a donné la primeur dimanche un chœur, un air de mezzo-soprano et un duo. M. Pasdeloup y a ajouté, pour finir sur un effet d’ensemble, l’Hymne qui appartient à l’acte suivant. J’attendrai que l’ouvrage soit exécuté en entier pour en rendre compte.
La Prise de Troie a plus de seize ans de date, puisque les Troyens à Carthage furent joués pour la première fois au Théâtre-Lyrique au mois de novembre 1863. C’est le seul ouvrage de lui, à part les deux morceaux exécutés à Bade, que Berlioz n’ait jamais entendu ! Et c’est une œuvre superbe. On le reconnaît peut-être un peu tard.
P. S. Nous sortons de la répétition générale du Cirque. L’effet produit par le second acte de la Prise de Troie a été immense.
Journal des Débats, 12 décembre 1879 (p. 1-2)
LA PRISE DE TROIE D’HECTOR BERLIOZ.
Journal des Débats, 26 décembre 1879 (p. 2)
CONCERTS DU CHATELET : Exécution de la Prise de Troie.
*Journal des Débats, 30 janvier 1881 (p. 1-2)
L’Enfance du Christ. — La statue de Berlioz.
*Journal des Débats, 13 décembre 1881 (p. 1-2)
CONCERTS DU CHATELET : Lelio, ou le Retour à la vie, drame lyrique avec orchestre, chœurs et soli invisibles, paroles et musique de Hector Berlioz. — Lettres intimes de Berlioz, avec une préface par Charles Gounod (1). — Hector Berlioz (la Vie et le Combat, les Œuvres), par Adolphe Jullien (2).
Journal des Débats, 26 novembre 1882 (p. 1)
Ouverture des Francs-Juges de Berlioz
[…]
Le concerto de Mozart était précédé de l’ouverture des Francs-Juges, exécutée le dimanche d’avant et redemandée [12 et 19 novembre]. Voilà certes une belle page et qui nous semble aujourd’hui claire comme de l’eau de roche et pure comme du cristal. Le thème principal est délicieux ; le chant des cuivres est superbe. Berlioz dit dans ses Mémoires [chapitre 13] qu’après avoir écrit ce solo, qui est dans le ton de ré bémol, et croyant à d’énormes difficultés d’exécution, il s’en alla consulter un des trombonistes de l’Opéra. Celui-ci, après avoir examiné la phrase, le rassura complètement : « Le ton de ré bémol est, au contraire, un des plus favorables à l’instrument, lui dit-il, et vous pouvez compter sur un grand effet. »
« Cette assurance, ajoute Berlioz, me donna une telle joie qu’en revenant chez moi, tout préoccupé, et sans regarder où je marchais, je me donnai une entorse. J’ai mal au pied maintenant quand j’entends ce morceau. D’autres, peut-être, ont mal à la tête. »
Eh ! bien, non, personne n’a mal à la tête aujourd’hui en entendant ce passage, d’une si fière allure, d’une si éclatante sonorité. Remarquez toutefois qu’il est écrit pour trois trombones, alto, ténor et basse, et regrettons qu’on ne fasse plus usage, en France, depuis bien longtemps, que du trombone ténor. Berlioz parle de cet épisode de l’ouverture des Francs-Juges comme si les trombones y étaient seuls employés. C’est leur timbre qui y domine, assurément. Mais les trois trombones y sont renforcés par des clarinettes, des cors, des trompettes, deux ophicléides, des bassons et un contrebasson auxquels s’unissent de temps en temps le quatuor et même d’autres instrumens de l’orchestre. Enfin, l’effet en est prodigieux et contraste d’une façon saisissante avec l’allegro qui va suivre et dont quelques mesures en style fugué préparent l’entrée de cette élégante phrase en la bémol, où l’on a voulu voir une réminiscence de l’air du Nouveau Seigneur : « Si vous restiez à votre place. » Des réminiscences de cette sorte, on peut en trouver partout et tant qu’on voudra.
Quelle mélancolie ! quelle tristesse voilée dans le chant qu’exécutent en tierces les clarinettes et les flûtes unies, tandis que les instrumens à corde grondent sourdement ! Il y a dans ce double caractère un écueil dont Berlioz s’est préoccupé et qu’il a signalé aux chefs d’orchestre :
« Les instrumens à corde doivent, sans couvrir les flûtes, exécuter cependant avec un accent rude et farouche ; les flûtes et les clarinettes, au contraire, avec une expression douce et mélancolique. »
M. Colonne a lu la note et a fait de son mieux pour rendre la pensée du compositeur. Un peu moins de lenteur dans l’allegro assai, et l’exécution de l’ouverture des Francs-Juges n’aurait rien laissé à désirer.
[…] J’étais parti, après le concerto de Mozart, pour aller entendre au Château-d’Eau [aux Nouveaux Concerts dirigés par Charles Lamoureux] le duo de Béatrice et Bénédict et l’ouverture de Rienzi. Le duo, interprété par Mme Brunet-Lafleur et Mlle Rocher, une élève du Conservatoire, dont la voix de contralto est fort belle, a produit beaucoup d’effet et a été bissé. C’était harmonieux, admirablement nuancé et accompagné d’une façon exquise ! c’était délicieux. L’ouverture de Rienzi, avec sa belle phrase empruntée à la prière du cinquième acte, et malgré l’allure un peu vulgaire de sa péroraison, est, en somme, une page magistrale, que Richard Wagner a grand tort de répudier. C’est par là qu’il a commencé : c’est par là que tant d’autres voudraient finir !
[…]
Journal des Débats, 28 octobre 1883 (p. 2)
La Damnation de Faust et le monument de Berlioz.
[…] La saison des concerts a été inaugurée dimanche dernier [21 octobre], par M. Pasdeloup et par M. Colonne, au Cirque-d’Hiver et au Châtelet. M. Lamoureux viendra plus tard, à son heure, et armé de pied en cap, je vous en réponds. Au Châtelet, on a donné la Damnation de Faust, le produit de la recette, qui a été magnifique, étant consacré au monument de Berlioz. L’auteur des Troyens va donc avoir son buste sur une colonne, sa statue peut-être ! Je demande qu’on inaugure le buste ou la statue le jour même où les Troyens seront représentés pour la première fois à l’Opéra.
[…]
Journal des Débats, 11 mai 1884 (p. 3)
LES CONCERTS POPULAIRES.
Vous le savez déjà, tant les mauvaises nouvelles se propagent vite, les Concerts-Populaires ont cessé d’exister. Fondés il y a vingt-trois ans par M. Pasdeloup, ils ont prospéré d’abord ; puis un jour la concurrence est venue et c’est cette concurrence qui les a tués. Trois Sociétés symphoniques, à un moment il y en a eu quatre, sans compter la Société des Concerts, trois Sociétés symphoniques conviant le public le même jour, à la même heure, c’était beaucoup, et il paraît même que c’était trop. On nous donnait dernièrement des chiffres qu’il suffirait de comparer pour voir de quel côté était le succès, succès d’argent si vous voulez, mais succès très réel, et apprécier d’autre part les sacrifices que devaient s’imposer les directeurs d’entreprises rivales. L’activité incessante de M. Pasdeloup, son dévouement, son abnégation pouvaient retarder l’heure fatale mais non l’empêcher de sonner. C’est de l’argent qu’il aurait fallu au fondateur des Concerts-Populaires, et le suprême appel qu’il adressait naguère au dilettantisme parisien ne fut point entendu.
L’administration supérieure lui vint en aide, à un certain moment, mais les ressources de son budget sont limitées et elle ne peut aller au-delà. D’ailleurs, ce ne sont pas des secours intermittens qui eussent pu relever la fortune des concerts du Cirque, compromise depuis quelques années déjà. Homme d’une intégrité absolue, M. Pasdeloup ne voulait pas la moindre tache à sa renommée ; ses créanciers étaient les premiers servis, lui ne venait qu’après. Si bien qu’ayant donné tout ce qu’il pouvait donner, il ne lui restait rien ou presque rien pour lui. Et le voilà pauvre comme devant, après avoir doté son pays d’une institution dont l’utilité est incontestable, comme sont incontestables les services qu’elle a rendus. Si le goût de la grande musique s’est propagé, développé dans le monde parisien et même ailleurs où des Sociétés symphoniques et populaires se sont aussi fondées, c’est à M. Pasdeloup que le très grand honneur en revient. C’est lui l’initiateur, c’est lui qui, le premier, est monté hardiment sur la brèche, et c’est lui qui tombe le premier. J’en gémis, et combien d’autres qui ne peuvent oublier ce qu’ils lui doivent en gémissent avec moi. Un concert, si splendide qu’en puisse être le programme, et quelque attrait irrésistible qu’il offre au public, emplira la salle du Trocadéro, mais ne sauvera pas le vaillant lutteur qui tombe à bout de forces, meurtri, découragé.
Il serait injuste de laisser se débattre, dans une détresse imméritée et au milieu d’angoisses et d’inquiétudes de toutes sortes, un brave musicien que nous estimons, que nous aimons, et qui, malgré la gloire qu’il a conquise, se demande tristement où il trouvera, dans un avenir prochain, hélas ! le bien-être et le repos nécessaires à ses vieux jours.
Journal des Débats, 16 mai 1884 (p. 1)
Le monument de Berlioz.
[…]
Le comité formé pour l’érection d’un monument à la mémoire de Berlioz ayant sollicité du préfet de la Seine l’autorisation de placer la statue du maître dans le square Vintimille, à proximité de la maison où Berlioz est mort, vient d’être informé que cette autorisation lui était accordée. Les membres du comité se sont donc réunis vendredi dernier au Conservatoire, sous la présidence de M. le vicomte Henri Delaborde, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, à l’effet d’arrêter la dépense à faire et de choisir l’artiste auquel le travail serait confié. Je n’assistais pas à cette séance, et je suppose que, si le choix du comité s’est arrêté sur tel ou tel sculpteur de grand renom, rien de définitif ne pourra avoir lieu avant l’acceptation de celui-ci. Ce sera M. Guillaume ou M. Chapu, M. Falguière ou M. Paul Dubois ; ç’aurait pu être Perraud, l’auteur du beau buste de Berlioz ; mais Perraud est mort. La dépense serait moins grande si l’on se contentait de placer ce buste coulé en bronze sur une colonne de même métal, qui de la base au sommet ou du sommet à la base relaterait par ordre chronologique les principales œuvres du compositeur, depuis la Symphonie fantastique jusqu’aux Troyens. Mais on pensera qu’une statue aura plus grand air et sera plus digne du grand musicien. J’avoue que, pour moi, et pour bien d’autres, la gloire de l’artiste ne sera pas plus ou moins consacrée par les dimensions et par la forme du monument. Ce qu’il importe, c’est que l’inauguration de ce monument ait lieu avec le plus d’éclat possible et qu’on ne se borne pas à la lecture de quelques discours. Vivant ou mort, c’est de la musique qu’il faut à un musicien. Je propose donc à mes confrères du comité qu’une vaste estrade soit dressée sur la place Vintimille, et qu’au moment où le voile de la statue sera levé, un orchestre nombreux et un chœur imposant, placés sous la direction de M. Colonne, fassent retentir les sublimes accens de la Symphonie funèbre et triomphale que Berlioz composa pour la translation des victimes de Juillet. Lui aussi fut une victime.
[…]
Journal des Débats, 18 janvier 1885 (p. 2)
Concerts-Lamoureux : La Damnation de Faust.
[…] Quelle admirable exécution de la Damnation de Faust que celle de dimanche dernier ! [11 janvier] Un baryton qui a eu de grands succès en Belgique et se sert en excellent musicien d’une fort jolie voix, a chanté presque au pied levé le rôle de Méphisto. Il se nomme Blauwaërt. M. Van Dyck s’est surpassé ; peu de ténors ont un organe aussi étendu, aussi sympathique que celui de ce jeune chanteur plein d’avenir ; M. Luckx a dit en perfection la chanson de Brander. Quant à Mme Brunet-Lafleur, la reine des Marguerites comme je l’ai appelée déjà, je ne puis que la remercier encore et toujours des douces émotions qu’elle m’a données. La salle entière était sous le charme de cette pure et délicieuse voix.
A l’époque où le jeune violoniste Lamoureux faisait sa partie dans l’orchestre que Berlioz dirigeait, on ne disait point que la Damnation de Faust était un incomparable chef-d’œuvre. Mais le temps a marché depuis… et Berlioz est mort.
Journal des Débats, 26 septembre 1886 (p. 1-2)
A PROPOS DE LA REPRÉSENTATION DE BENVENUTO CELLINI A L’OPÉRA-COMIQUE.
Journal des Débats, 31 octobre 1886 (p. 2)
Concerts du Châtelet : Premier concert à la mémoire de Hector Berlioz.
[…] Le concert de dimanche dernier au Châtelet [24 octobre] était tout entier, à l’exception pourtant de deux morceaux exécutés par le célèbre violoniste Pablo de Sarasate, consacré à la mémoire de Hector Berlioz. L’ouverture de Benvenuto Cellini (à quand la représentation de cet ouvrage à l’Opéra-Comique ?), l’Oraison funèbre, extraite de la Symphonie funèbre et triomphale, deux fragmens du ballet des Troyens et la Symphonie fantastique remplissaient le programme, avec un morceau de concert de M. Camille Saint-Saëns et une fantaisie tzigane de la composition de M. Sarasate en manière d’intermède. L’exécution instrumentale a été superbe, le succès prodigieux ; on a bissé le second morceau du ballet des Troyens, et, dans la Symphonie fantastique, la Scène du bal et la Marche au supplice. Mais pourquoi ces bis frénétiques, aussi déplacés au concert qu’au théâtre, et qui n’indiquent nullement que ceux qui crient avec une telle obstination, avec une telle véhémence, soient bien pénétrés de ce qu’ils viennent d’entendre, en soient fortement impressionnés ? Richard Wagner, maître chez lui à Bayreuth, défendait non seulement les bis, mais même les applaudissemens. Et il avait cent fois raison.
Journal des Débats, 14 novembre 1886 (p. 1)
Les Troyens à l’Opéra.
Journal des Débats, 9 octobre 1887 (p. 2)
[…] A propos du Benvenuto Cellini de Berlioz, M. Carvalho nous a ménagé une de ces surprises dont il est coutumier d’ailleurs. Il a fait dessiner les costumes, commandé les décors, distribué les rôles et mis l’ouvrage en répétition. Et puis, un beau jour, Benvenuto ayant cessé de lui plaire, il a déclaré qu’il ne le jouerait pas.
Quel saint faut-il donc invoquer qui nous rendra le Théâtre-Lyrique dont nous ne pouvons décidément plus nous passer ? C’est une honte que de laisser ignorer à la génération actuelle, aux jeunes musiciens et aux jeunes mélomanes, tant de chefs-d’œuvre qui se jouent couramment ailleurs.
On fait grand bruit de la réapparition de Don Juan sur notre première scène lyrique ; mais la Clémence de Titus, mais Idoménée, mais les opéras de Gluck, mais le Fidelio de Beethoven, mais Obéron et Euryanthe, mais les Deux Journées de Chérubini, mais la Prise de Troie et les Troyens à Carthage ?…
On voit que je m’abstiens, et pour cause, de nommer un seul ouvrage de Richard Wagner, pas même Lohengrin.
Journal des Débats, 22 avril 1888 (p. 1)
Concerts du Châtelet : la Damnation de Faust.
*Journal des Débats, 3 février 1889 (p. 1-2)
HECTOR BERLIOZ, SA VIE ET SES ŒUVRES,PAR ADOLPHE JULLIEN.
Journal des Débats, 14 avril 1889 (p. 1-2)
Concerts du Châtelet : 48e audition de la Damnation de Faust. — Berlioz intime (1) (nouvelle édition), par M. Edmond Hippeau.
Journal des Débats, 8 juin 1890 (p. 1)
Théâtre de l’Odéon: (Société des grandes auditions musicales de France). Première représentation de Béatrice et Bénédict, opéra en deux actes, imité de Shakespeare, paroles et musique d’Hector Berlioz.
*Journal des Débats, 12 juin 1892 (p. 1-2)
Théâtre de l’Opéra-Comique : Les Troyens, opéra en quatre actes, d’Hector Berlioz (reprise).
Journal des Débats, 11 décembre 1892 (p. 1)
Théâtre du Châtelet (Concerts Colonne) : L’Enfance du Christ
Journal des Débats, 10 novembre 1894 (p. 2)
[…] Le répertoire actuel de l’Opéra a déjà singulièrement diminué l’intérêt avec lequel les spectateurs du dimanche écoutent le prélude de Lohengrin, l’Incantation et les Adieux de Wotan sans Wotan, la Chevauchée des Valkyries sans les Valkyries et les trucs de mise en scène obligés. Si les subventions accordées par le gouvernement à nos deux Sociétés de concerts sont insuffisantes, qu’on les double, qu’on les quadruple, mais qu’on ne laisse pas péricliter une institution qui aura rendu et peut rendre encore tant de services à l’art musical. Cette institution, c’est à Pasdeloup que nous la devons, ne l’oublions pas. C’est lui qui en a été le promoteur, le fondateur, c’est lui qui a eu l’idée géniale et que ses successeurs ont fécondée, c’est lui qui a tracé le sillon qu’ils ont suivi. Peut-être n’était-il pas un très grand musicien, mais il avait en lui une confiance inébranlable, il avait de l’entrain, il avait de l’audace, il était même éloquent à l’occasion, savait parler au peuple et tenir tête à l’orage. Une tempête de sifflets ne l’effrayait pas et de ses nombreux conflits avec une foule hostile, ardente, surexcitée, c’est toujours lui qui sortait vainqueur. Qui donc le premier a appris au public parisien à admirer Berlioz, à tolérer Richard Wagner d’abord, à l’acclamer ensuite?
Et qu’a-t-on fait pour ce pauvre homme qui est mort à la peine ? A-t-il seulement une inscription commémorative, un buste sur son tombeau? Le Conseil municipal de Paris s’honorerait à donner le nom de Pasdeloup à l’une des rues avoisinant le Cirque d’Hiver. Si une pétition est nécessaire, je la signerai des deux mains, et, quand je passerai devant cette rue que le nom de l’infatigable apôtre aura baptisée, été comme hiver, par le soleil, par le vent, par la neige, tout chauve que je suis, je me découvrirai. […]
*Journal des Débats, 8 décembre 1894 (p. 1-2)
Concerts-Colonne : Le Cycle Berlioz. — Roméo et Juliette, symphonie dramatique avec chœurs, soli de chant et prologue en récitatif choral, dédiée à Nicolo Paganini.
Journal des Débats, 25 mai 1895 (p. 2)
La Damnation de Faust à l’Opéra.
[…] Voilà donc Richard Wagner entré une troisième fois à l’Opéra par la grande porte du succès. Les compositeurs français, dont les intérêts sont sauvegardés, et auxquels la place qui leur est due est généreusement réservée, n’ont à en prendre aucun ombrage, c’est convenu. Mais pourquoi cette porte qui s’ouvre à deux battants pour un compositeur allemand reste-t-elle obstinément fermée pour notre grand musicien à nous, et peut-être le plus grand de tous ? Doit-il donc être éternellement frappé d’ostracisme, celui qui a écrit Benvenuto Cellini et ces deux chefs-d’œuvre : les Troyens à Carthage et la Prise de Troie ? Mais non, puisque la Damnation de Faust va être mise à la scène avec la fantasmagorie la plus abracadabrante, avec les trucs les plus ingénieux. Est-ce bien possible, et faut-il croire à la réalisation d’un pareil projet ? Une expérience a été tentée sur un théâtre exotique. N’en parlons pas. La Damnation de Faust est une symphonie, une légende dramatique, je le sais ; mais c’est pour le Concert qu’elle a été composée. C’est au Concert qu’un chef d’orchestre éminent et dévoué à la gloire de Berlioz lui a donné, en une série de plus de soixante représentations, la vie et le succès. Qu’en voulez-vous faire ? Une pièce à grand spectacle ; quelque chose comme une féerie que vous offrirez à la curiosité du public ? Mais savez-vous si le public se souciera de vos trucs et de votre fantasmagorie et s’il ne retournera pas au Concert pour applaudir, sans que son oreille soit distraite par la vue de tableaux vivants et d’ombres chinoises, l’œuvre que vous allez profaner et défigurer ? Ne faites pas cela, mes chers directeurs : ce n’est pas digne de vous. Je vous le demande, vous le voyez bien, avec tous les ménagements que nos amicales relations m’imposent ; ne le faites pas, je vous en supplie. Et si les héritiers de Berlioz étaient tant soit peu soucieux de la gloire de leur illustre ancêtre, ils vous le défendraient.
Journal des Débats, 12 avril 1896 (p. 2)
Berlioz et Wagner.
[…] Le vendredi saint, au Châtelet, un concert superbe composé d’une sélection des œuvres de Richard Wagner et de Berlioz. Sur la même affiche, les noms des deux plus grands musiciens de ce siècle, unis aujourd’hui dans la même auréole…, et peut-être réconciliés.
[…]
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 15 octobre 2011.
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