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Berlioz en Allemagne

STUTTGART

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    Juste avant de s’embarquer pour son premier voyage en Allemagne en décembre 1842 Berlioz envisageait de commencer avec des concerts à Bruxelles et Francfort, suivis d’un et peut-être deux concerts à Stuttgart en janvier (Correspondance générale no. 791, ci-après CG tout court). En l’occurrence les concerts prévus pour Bruxelles et Francfort n’auront pas lieu. Berlioz espérait aussi faire jouer sa Symphonie funèbre et triomphale à Mayence (CG no. 785) mais un passage rapide en provenance de Bruxelles démontre l’impossibilité du projet: selon les Mémoires, le régiment autrichien qui avait joué l’année précédente plusieurs de ses ouvertures est parti et il n’y a pas d’autre orchestre disponible. Il lui faut donc se diriger sur Stuttgart plus tôt que prévu; le concert que Berlioz y fait entendre le 29 décembre est donc le premier donné par lui en Allemagne.

    Le séjour de Berlioz à Stuttgart (du 24 décembre au 8 janvier environ, avec un détour par Hechingen au nouvel an) fit l’objet d’un récit détaillé publié par lui d’abord dans la seconde d’une série de lettres intitulée Voyage musical en Allemagne parue dans le Journal des Débats du 20 août 1843. Elle est bientôt reprise avec les autres lettres dans le premier des deux tomes du Voyage musical en Allemagne et en Italie de 1844. Elle sera finalement intégrée dans les Mémoires posthumes sous le titre Premier Voyage en Allemagne, Deuxième Lettre. On citera dans cette page la version des Mémoires. La correspondance du compositeur ajoute quelques précisions supplémentaires.

    Berlioz loge à l’Hôtel du Roi de Württemberg (CG no. 794; le bâtiment n’existe plus). À l’encontre de Bruxelles et Francfort, Berlioz ne connaît personne sur place à Stuttgart avant sa visite, mais son ami Georges Kastner lui a fourni une lettre d’introduction au musicologue le Dr Gustav Schilling qui est établi à Stuttgart (cf. CG no. 795, fin). Schilling se montre très secourable, malgré les problèmes de langue: il ne sait pas le français, Berlioz ne parle pas un mot d’allemand, il leur faut donc se rabattre sur le latin… Des deux salles disponibles le théâtre est écarté presque d’emblée du fait de sa mauvaise sonorité et Berlioz préfère donc la salle des Redoutes (le bâtiment n’existe plus). Peter von Lindpaintner, Kapellmeister à Stuttgart de 1829 jusqu’à sa mort en 1856, est aussi d’un grand secours: il présente Berlioz à l’orchestre qui se met à sa disposition moyennant un versement modique à leur caisse des pensions. L’orchestre est de dimensions modestes mais de bonne qualité – Berlioz en donne une description très détaillée dans les Mémoires. Les instrumentistes sont en outre excellents lecteurs et deux répétitions suffisent. À ses amis et correspondants Berlioz se déclare très satisfait du concert et de l’accueil qu’il reçoit (29 décembre). Le lendemain il écrit à Ferdinand Friedland à Francfort (CG no. 794):

[…] J’ai donné mon premier concert hier soir à la salle de la Redoute, le Roi et toute la cour y sont venus; l’exécution a été excellente et le succès très beau. Après le concert le roi m’a envoyé le Baron de Topenhaim pour me complimenter de sa part. […]

    Le même jour Berlioz commence une lettre à son ami Auguste Morel, qu’il termine quelques jours plus tard à son retour de Hechingen (CG no. 795). Il lui importe visiblement de donner une bonne impression au public parisien:

[…] J’ai donné hier ici mon premier concert, le Roi et toute la cour y ont assisté. Cette particularité a été fort remarquée, car Sa Majesté de Wurtemberg n’avait pas mis le pied au concert depuis deux ans.
Voulez-vous être assez bon pour me faire un peu mousser cela dans les journaux de nos amis.
Les grandes impressions ont été produites par:
10 L’Ouverture des Francs Juges;
20 La scène aux champs de la Symphonie Fantastique;
30 Le Bal (de la même);
40 Le final (Sabbat).
Contre l’ordinaire la marche des pèlerins [extrait de Harold en Italie] et la marche au supplice [extrait de la Symphonie fantastique] n’ont pas eu les honneurs du concert, ces deux morceaux ont été cependant supérieurement exécutés. L’orchestre est excellent, et Lindpaintner m’a très gracieusement cédé la bâton pour le conduire. Tous les musiciens ont été empoignés dès la seconde répétition et je puis croire quand je partirai avoir laissé ici une petite colonie de partisans. […]

    Le programme comprend en outre quelques morceaux pour voix chantés par Marie Recio, comme il ressort d’une autre lettre à Auguste Morel plus tard le même mois (CG no. 800; les Mémoires sont muets là-dessus). L’un d’eux semble être la mélodie La Belle Voyageuse qui aurait sans duote reçu à Stuttgart sa première exécution dans sa version avec orchestre. À d’autres correspondants aussi Berlioz présente le concert comme un succès (CG nos. 796, 798bis [tome VIII]), mais la recette est décevante et le public forcément restreint, comme il l’écrit à Meyerbeer à Berlin (CG no. 798, le 5 janvier):

[…] Mon concert ici a été très brillant, le Roi et la cour y sont venus, mais le prix des places est si misérable que le bénéfice est presque nul. On paye au maximum 48 kreutzer par place; et la salle de la Redoute contient 400 personnes. […]

    Selon les Mémoires la moitié des violons manque aussi au rendez-vous du concert, pour cause de ‘maladies vraies ou simulées’ – 8 sur les 16 attendus – et l’exécution bien qu’exacte manque de puissance. De plus, Schilling et Lindpaintner ne paraissent ni l’un ni l’autre convaincus; d’après sa correspondance Berlioz ne semble entretenir aucun rapport avec eux par la suite (sur Lindpaintner voir aussi CG no. 1582, en 1853). Le public est discret dans ses applaudissements – c’est du moins ce que le silence de Berlioz laisse entendre – et seule la cour royale manifeste chaudement son approbation. Une lettre en date du 11 juin, après la fin du voyage et le retour de Berlioz à Paris, donne un aperçu beaucoup plus négatif sur le séjour de Stuttgart par rapport à la suite du voyage (CG no. 841, à Julius Benedict à Londres):

[…] J’ai donné là [à Stuttgart] un petit misérable concert avant de me lancer dans les grandes villes musicales du nord comme Berlin, Hambourg, Dresde, Leipzig, Hanovre, Brunswick etc où j’ai été reçu admirablement et aussi admirablement exécuté. […]

    Le concert du 29 décembre restera le seul donné par Berlioz à Stuttgart, simple première étape dans un voyage d’exploration. Le Roi de Württemberg, par ailleurs plein d’encouragements, n’est d’aucune aide pour faciliter l’accès de Berlioz à la cour de Weimar: les deux cours sont brouillées… (CG nos. 796, 798bis [tome VIII]). Mais le Dr Schilling, conseiller par ailleurs du Prince de Hohenzollern, suggère quand même l’idée d’une visite à Hechingen. À son retour Berlioz séjourne encore quelques jours à Stuttgart pour se diriger ensuite vers Karlsruhe, Mannheim, Francfort de nouveau, puis Weimar, et les ‘grandes villes musicales du nord’.

    Bien des années plus tard, en octobre 1864, il sera question de monter Béatrice et Bénédict à Stuttgart après les représentations à Bade (1862 et 1863) et Weimar (1863), et Berlioz envisagera de s’y rendre pour diriger les premières exécutions; l’opéra fut semble-t-il représenté à Stuttgart en novembre 1864 (NBE tome 3, p. XIII), mais Berlioz n’y assista certainement pas (CG nos. 2913, 2920, 2922).

Page Berlioz à Stuttgart créée le 1er septembre 2006. Révision le 1er avril 2024

© Michel Austin et Monir Tayeb

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