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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 10 MAI 1839 [p. 1-2]

CONCERT AU BÉNÉFICE DES VICTIMES DU TREMBLEMENT DE TERRE DE LA MARTINIQUE.

    C’était une espèce de festival en miniature, avec un luxe foudroyant de dorures, de tapis, de bougies et de fleurs ; le théâtre de la Renaissance était éblouissant. Sur l’article des jolies femmes seulement on avait un peu lésiné. Du reste, il y avait même des musiciens à ce concert, et d’excellens musiciens qui, par une courtoisie de très bon goût, ont fait leur possible pour faire briller les amateurs qui s’étaient joints à eux. Ainsi, dans l’ouverture d’Euryanthe, substituée à celle d’Obéron qu’annonçait le programme, les contrebasses ont feint de se tromper en attaquant à faux deux ou trois entrées saillantes, et les amateurs de se retourner en disant : « Nous ne ferons pas de ces énormités-là, nous ! » En effet, le Chœur de chasseurs de M. de Bongars, morceau brillant, écrit d’une façon claire et naturelle, a été chanté par cent quatre-vingt voix avec un ensemble fort satifaisant. La plus grande part des éloges revient de droit aux soprani, et nous avons trouvé inutile et malencontreuse la galanterie des ténors et des basses qui se sont crus obligés, en vrais chevaliers français, d’avoir l’air de chanter faux de temps à autre pour mieux faire valoir la justesse des intonations de ces dames. Il y avait entre eux et l’orchestre assaut de générosité.

    Après quelques rêveries pour le violoncelle, composées et exécutées par M. Garreau, dans un style assez peu éveillé, Mme Merlin, la reine de la fête, est venue, sans aucuns ménagemens pour les amours-propres gisans autour d’elle, et avec ce despotisme impitoyable du talent, absorber toute l’attention, toutes les sympathies et tous les applaudissemens. Ainsi, en accompagnant la jolie scène d’Euryanthe qu’elle avait choisie, l’orchestre, saisi d’un subit accès de jalousie, s’est-il mis à jouer avec un soin et une finesse dignes dans certaine momens des concerts du Conservatoire, les artistes ne pouvant pas se dissimuler que la belle cantatrice était, musicalement parlant, une des leurs ; si quelques uns en l’accompagnant ont manqué de précision, je suis convaincu qu’ils ne l’ont pas fait exprès. En ma qualité de critique bourru, toutes les fois qu’il s’agit de l’exécution des œuvres de la grande école dramatique, je dirai seulement à Mme Merlin, qu’après avoir chanté toute la scène avec tant d’intelligence et de verve, elle n’avait réellement pas besoin d’ajouter en finissant un point d’orgue qui n’est pas dans le texte original de Weber ; il faut laisser ces petits moyens d’effet aux amateurs.

    Après le trio de l’Italiana in Algieri, bien rendu par MM. Mario, de Soucy et Bordessoulle, le fils aîné de Paganini, Artôt, s’est permis de troubler l’économie coquette des frais visages et de ternir l’éclat des beaux yeux qui ne comptaient pas verser des larmes ce soir-là. Il a chanté pendant vingt minutes, sans le moindre trait, sans la plus légère fioriture, les mélodies mélancoliques de Bellini, avec une pureté, une profondeur, une sublimité d’expression à laquelle nous ne croyons pas que ni ténor, ni soprano puissent jamais atteindre ; et cela au milieu des exclamations mal contenues de l’immense auditoire dont il n’a pas laissé l’émotion s’attiédir un seul instant. A la dernière mesure de cette admirable élégie, toute la salle eût dit volontiers comme le poëte :

Chantez encor, jeune inspiré !

    Mais la longueur du programme et la nature même du morceau ne pouvaient permettra un bis. C’est ainsi qu’avant de partir pour Londres Artôt a su clore la série des succès qu’il a obtenus cet hiver à Paris par un succès d’attendrissement, un succès d’admiration forcée, un succès plus grand que tous les autres, un succès monstre. Pour mon compte, en mon âme et conscience, je dois avouer qu’il m’a rendu bien heureux, et je ne serais pas médiocrement fier s’il m’arrivait un jour de lui rendre la pareille. Oh ! la belle chose que l’art porté à ce degré d’élévation et de beauté !…

    Le final de Beatrice di Tenda, dont les solos étaient chantés par Mme Merlin, Mlle Leroy, MM. Mario et Geraldi, n’est pas arrivé à la fin sans quelques légers encombres causés par une mésintelligence assez prononcée entre les diverses parties du chœur, et qui ont fait dire à M. Donizetti : « Allons, allons, ça ira mieux une autre fois. » Le trio de la Création, cette page magnifique de Haydn, très purement chanté par Mlle Janssens, MM. A. Dupont et Geraldi, a produit tout l’effet qu’on peut attendre en semblable occasion d’un morceau lent et calme.

    Mario a dignement secondé Mme Merlin dans le duo de Roberto d’Evreux de M. Donizetti, qui, cette fois, a été la premier à applaudir. Je suis fâché pour Mario, et pour l’ordonnateur du concert, qu’on ait eu l’idée de lui faire chanter la singulière musique adaptée aux trop célèbres derniers vers de Nourrit. Ce prétendu Chant du Cygne était peu convenablement placé dans le programme d’une pareille soirée et, de l’avis général, il eût beaucoup mieux valu nous donner un fragment du Comte Ory, charmante partition dans laquelle Mario vient de se montrer avec tant d’avantages, et dont nous parlerons à loisir en rendant compte de son second début.

    Le concerto de piano de Doëhler est moins brillant que les fantaisies qui lui ont valu tant de vogue. Cet ouvrage est intéressant cependant ; il contient une multitude de détails de la plus gracieuse élégance ; mais il n’est évidemment fait que pour une petite salle, comme la plupart des compositions de Chopin, dont il se rapproche par la forme et la couleur du style. Ce dessin mélodique si fin, ces broderies si délicates, peuvent d’autant moins être bien appréciés dans un vaste local, que l’accompagnement de l’orchestre, quelque bien ménagé qu’il puisse être, ne laisse pas que d’en voiler plus ou moins les contours. On en était là du programme quand le public s’est disposé à lever la séance ; il ne restait plus, il est vrai, à exécuter que le grand final du second acte de Fidelio et l’ouverture de la Flûte enchantée ; deux chefs-d’œuvre, l’un de Beethoven et l’autre de Mozart, rien que cela. Un mouvement de pudeur a cependant retenu la plupart de ces intrépides dilettanti quand M. Habeneck a fait signe à l’orchestre de commencer, et le silence s’est rétabli tant bien que mal. Au temps du théâtre allemand, quand Haitzinger chantait Florestan, et Mme Devrient Fidelio, ce merveilleux final excitait toujours de tels transports qu’on faisait relever la toile pour l’entendre encore avant de quitter la salle ; cette fois-ci, on eût volontiers fait baisser la toile pour n’être pas obligé de rester et de l’écouter ; tel est le respect du public pour les plus hautes inspirations des grands artistes qu’il prétend admirer. Il est vrai que les nombreux choristes amateurs, réunis ce soir-là au théâtre Ventadour, ne pouvaient guère lutter avec les souvenirs laissés à Paris par l’énergique petite troupe de Carlsruhe ; et dire qu’ils ont même approché de sa précision, de sa verve chaleureuse et de son élan enthousiaste, dans l’exécution de ce colossal morceau d’ensemble, c’est ce que je ne ferai certainement pas.

    Quant à l’ouverture de la Flûte enchantée, on ne l’a pas exécutée du tout. Le produit de la souscription pour cette soiréé a, dit-on, été si considérable que, malgré l’énormité des dépenses faites pour décorer la salle Ventadour et la disposer en salon de bal, il est encore resté près de vingt-quatre mille francs pour nos malheuroux colons. Si le Théâtre de la Renaissance pouvait prendre l’habitude de faire seulement le quart de cette recette !…….. Au reste, il s’occupe de monter un opéra de genre, fait avec le sujet de la Lucia di Lammermoor, par MM. Alphonse Royer et Gustave Vaës, dont les paroles ont été adaptées à la partition de M. Donizetti. Ce maître a écrit en outre plusieurs scènes nouvelles exigées par le remaniement du drame. Le rôle de Lucie convient parfaitement à la figure et au talent de Mme Anna Thillon. On compte sur un grand succès.

CONCERT DE M. HENRI REBER.

    Nos espérances n’ont pas été déçues ; le public a entendu l’appel du jeune compositeur, et l’auditoire, attentif autant qu’impartial qui s’était réuni dans la salle du Conservatoire, pour connaître les productions nouvelles de M. Henri Reber, a rendu justice éclatante aux rares qualités que déjà, dans des œuvres moins vastes, lui avaient valu les sympathies de la plupart des artistes. Le programme de cette matinée musicale contenait de tout à peu près, depuis la simple romance avec accompagnement de piano jusqu’à la symphonie. L’ouverture du Ménétrier, opéra inédit, a favorablement disposé l’aréopage, et donné dès le début une idée assez juste de la tournure particulière de l’esprit de l’auteur. Elle est expressive, naïve, écrite avec clarté et simplicité, sagement instrumentée, et riche de développemens harmoniques au moyen desquels l’intérêt se soutient sans s’écarter jamais de la voie que la nature du sujet ne permettait pas de quittér. Il eût été facile d’arriver à plus d’effet au détriment de la vérité et de la convenance du style ; le compositeur ne l’a pas voulu et je m’empresse de l’en féliciter. Le nombre des artistes qui ne se mettent pas à genoux devant le parterre n’est pas si considérable qu’il ne faille signaler ceux qui respectent leurs convictions et la dignité de l’art plus même qu’ils n’ambitionnent le succès. J’ai souvent eu l’occasion de le remarquer et de le dire, on attache en France une pitoyable importance au bruit des applaudissemens, et on a le tort, plus déplorable encore, de regarder ce bruit comme le signe de l’admiration, comme l’énoncé du suffrage, comme l’effet produit. Mais l’effet véritable après lequel on court, avec raison sans doute, n’est pas toujours de la même nature ; il varie avec l’objet du travail de l’artiste, avec les sentimens qu’il se propose d’exprimer, avec les passions qu’il veut peindre. Il n’est et ne peut être que la satisfaction instinctive ou raisonnée des juges à l’appréciation desquels l’œuvre est soumise. Cette satisfaction, élevée même à l’état d’émotion vive, n’excite pas toujours de bruyans transports. Les éclats de voix et d’instrumens, les roulades, les traits rapides, les rhythmes vulgaires, les mélodies sautillantes et de courtes dimensions, obtiennent au contraire trop souvent des applaudissemens auxquels ceux mêmes qui les donnent n’attachent qu’une très mince importance. « C’est une misère, dit-on, c’est fort peu de chose ! mais c’est gentil ! » Et on applaudit. Tandis que en mainte autre circonstance les mêmes gens diront : « C’est très beau ! c’est admirable ! » Et ils n’applaudiront pas. Où est donc l’effet en ce cas ?…. Il n’y a pas à s’y tromper, ce me semble. D’ailleurs, j’ai pour appuyer mon opinion, l’exemple célèbre de l’ouverture de Coriolan, la plus belle, sans aucun doute, de toutes celles qu’a laissées Beethoven, que chacun (j’entends les gens intelligens, je ne parle pas d’un public de sourds) reconnaît pour telle et qui n’est jamais applaudie.

    La Chanson des Pirates de V. Hugo, qui succédait à l’ouverture du Ménétrier a beaucoup de piquant ; c’est un morceau qui ferait la fortune d’un acte d’opéra-comique, les accompagnemens en sont variés avec esprit à chaque couplet ; la dernière ritournelle surtout est charmante. Le défaut qu’on pourrait trouver à ce chœur, c’est de n’avoir pas assez le caractère de son sujet. Ces pirates chantent trop comme d’honnêtes matelots ; ce ne sont pas même des contrebandiers. Si on changeait les paroles, la musique ne perdrait rien. Je ferai la même observation au sujet de la Captive, dont le chant gracieux et triste, ressemble plutôt à la plainte d’une nonne timide qui s’ennuie au couvent, qu’à l’ardente rêverie de la jeune Espagnole, qui, tout en admirant les palais des Fées où elle croit entendre chanter les génies, ne regrette pas moins les douces sérénades et la liberté de l’Andalousie, et dit :

Au pays dont nous sommes,
Avec les jeunes hommes
on peut parler le soir.

     Il n’en est pas de même de la Chanson du pays, que M. Reber a tirée de Marie, ce délicieux poëme pastoral de N. Brizeux, qui deviendra populaire tôt ou tard. Ici le musicien, en reproduisant ce qu’il peut y avoir d’allègre et d’enfantin en même temps dans la chanson d’un jeune paysan, est resté si vrai que, sans les paroles mêmes, on devinerait, à la tournure agreste de la mélodie, qu’il s’agit d’un pâtre en gaîté. Seulement cette gaîté n’est pas aussi accusée dans les vers que dans la musique ; ce couplet paraît le prouver :

Oh ! sur un air plaintif et tendre
Qu’il est doux au loin de s’entendre,
Sans même avoir l’heur de se voir !
De la montagne à la vallée,
La voix par la voix appelée
      Semble un soupir
Mêlé d’ennuis et de plaisir.

    La symphonie ouvrait la seconde partie du concert. Elle est conçue dans des formes plus larges, mais peu différentes cependant de celles de Haydn. Le premier morceau, en ut majeur, a pour thème une phrase qui ne promet pas tout ce que l’auteur va donner. Mais bientôt les developpemens les plus ingénieux, les effets d’orchestre les plus intéressans viennent révéler sa science et la richesse de son imagination. Je signalerai, entre autres, l’arpège en pizzicato de la seconde reprise, sur lequel passent divers dessins mélodiques d’instrumens à vent. Au début de l’andante, se déploie mollement, sans préparatuon aucune, le thème principal, que nous trouvons d’une douceur et d’un calme délicieux, bien qu’il rappelle un peu trop le chant du milieu de l’ouverture de Coriolan. Ce thème reparaît plus tard, varié et brodé avec un goût exquis ; la péroraison est des plus heureuses et l’accompagnement en triolets des deux cors y fait merveille.

    Le menuet, ou plutôt le scherzo, car le mouvement rapide de ce morceau ne fut jamais celui des menuets de Haydn ou de Mozart, le scherzo, dis-je, est motivé par deux notes seulement, sol ut ; qui, reproduites ensuite en forme d’accompagnement dans les violons pendant un chant de violoncelles, forment avec lui le plus piquant contraste. Le motif du final est traité avec plus d’art encore qu’aucun de ceux des morceaux précédens ; il est rapide et joyeux ; et quand il revient, après diverses modulations, dans le ton principal c’est au moyen de trois petites imitations canoniques tirées du premier membre de la phrase et disputées en progression descendante dans les flûtes, clarinettes et bassons, de manière à donner à cette rentrée une vivacité entraînante.

    Il [y] a plus de grandeur et d’invention encore dans la cantate de Charles Martel. Les récitatifs y sont bien traités, les chœurs, sans tenir trop de place dans l’ensemble musical, n’y figurent jamais comme accessoires ; le style mélodique en est ferme, l’expression juste, l’instrumentation vigoureuse ; c’est une très belle composition. Malheureusement Roger, qui avait si bien chanté les romances, n’a pas une voix assez forte ni d’un timbre assez mâle pour représenter Charles Martel. Et s’il a accepté cette tâche, qu’il a accomplie d’ailleurs avec talent, c’est seulement pour tirer M. Reber de l’embarras où avait dû le mettre la subite indisposition de Massol.

    M. Baillot, dans l’andante avec sourdine de sa composition, a obtenu le succès qui accueille chacune de ses trop rares apparitions en public. Son jeu est toujours un modèle de pureté, de délicatesse et de savante réserve.

    En somme, voilà un beau concert, dont le programme bien composé n’a manqué à aucune de ses promesses, et dont le but a été atteint, puisque M. Reber, trop long-temps modestement satisfait de ses succès de salon, a vu de prime abord ses grandes compositions appréciées par le public. L’exécution d’ailleurs n’a laissé à désirer que sous le rapport des chœurs ; quant à l’orchestre, dirigé par M. Seghers, avec un zèle et une habileté qui témoignent autant de ses connaissances musicales que de son amitié pour M. Reber, il a été irréprochable.

    — Les séances du Conservatoire sont maintenant terminées ; nous n’y avons vu figurer cette année que le répertoire habituel. Cependant, à l’une des dernières, des fragmens d’Armide, inconnus des trois quarts de l’auditoire, ont fait une délicieuse diversion. La scène des Naïades surtout, par la grâce voluptueuse de ses mélodies et par la fraîcheur de son orchestration, a causé autant de surprise que de plaisir. Cet air de danse en fa majeur que les altos accompagnent par un martellement continu de la même note (la dominante), le chœur : Jamais dans ces beaux lieux, et le précédent : Voici la charmante retraite, agissent sur l’imagination avec une puissance selon moi supérieure encore à celle de la poésie du Tasse qui les inspire. On est dans un bain d’harmonie, on repose, on est enfin complètement sous le charme des apparitions enchanteresses dont la poëte a voulu protéger les amours d’Armide et de Renaud. L’ouverture a paru insuffisante malgré les détails piquans qu’elle contient et l’art extrême avec lequel le thème principal de l’allegro est traité. Cette ouverture n’a point d’ailleurs été écrite pour Armide ; Gluck la fit bien long-temps avant son arrivée en France pour sa partition italienne de Telemaco. En l’adaptant ensuite à ce nouveau sujet avec lequel celui du libretto de Telemaco offre une multitude de rapports, il ne fit qu’y ajouter la phrase fort courte en sol majeur qui se trouve après l’exposition du second thème. Il y a loin de là à l’ouverture d’Iphigénie en Aulide, bien que pas un seul des compositeurs de cette époque n’eût été capable d’écrire un pareil morceau instrumental. Mlle Dobrée a chanté avec une voix argentine fort juste et sans la moindre infidélité au texte les soli de la Naïade ; MM. Dupont et Alizard se sont aussi fort bien acquittés de la tâche plus difficile que leur imposaient les rôles d’Ubalde et du chevalier danois. Dans la même séance M. Dencla aîné s’est fait vivement applaudir dans un concerto de violon de M. Masset, très bien écrit et plein d’éclat.

    Au dernier concert on a entendu la symphonie en ut mineur ; le chœur d’Euryanthe de Weber (Affranchissons notre patrie) ; les fragmens du septuor de Beethoven ; la scène d’Orphée, chantée par Duprez, et le final de la symphonie avec chœurs. L’exécution a été au dessus de tout ce que nous avions entendu au Conservatoire cette année, à l’exception toutefois de la scène d’Orphée, que Duprez a eu grand tort de vouloir chanter. La voix de cet artiste n’est plus faite pour des rôles semblables, et il doit chercher avant tout aujourd’hui à ne rien risquer. Alizard, dans ces récits si difficiles et si dangereux de la symphonie avec chœurs de Beethoven, écrits en outre dans une échelle qui excède l’étendue de la voix de basse (ils montent jusqu’au fa dièze), a trouvé le moyen de faire sensation.

    En vérité c’est être bien peu soucieux des intérêts de l’art et de son intérêt propre que de ne pas donner les moyens de se produire à un pareil talent, quand on est directeur de l’Opéra, et qu’il en coûterait si peu. Alizard est de petite taille, et peu de rôles lui conviendraient, dit-on. Eh bien ! qu’on remonte Œdipe à Colone ; c’est l’affaire de quinze jours ; et le personnage de cet exilé aveugle,

Usé par la douleur, appesanti par l’âge,

couvert de haillons royaux, en dépit des exigences de la stature héroïque que la tradition lui prête, fournira à Alizard l’occasion de montrer tout ce que sa voix a de beauté et de puissance, tout ce que sa méthode a de largeur et sa sensibilité de communicatif, quand il s’agit du grand style simple autant qu’expressif dont le chef-d’œuvre de Sacchini est resté le modèle. Il est pourtant cruel que depuis tant d’années nous soyons privés de tout ce que l’ancien répertoire contient de plus admirable. Je ne parle pas des partitions de Gluck, qu’il serait fort difficile, pour ne pas dire impossible, de remonter dignement en ce moment, faute de quelques sujets qui manquent à l’Opéra ; mais pourquoi ne pas profiter de la présence de Spontini à Paris pour reprendre la Vestale, par exemple, ou Fernand Cortez avec le nouveau dénouement que l’auteur y a ajouté à Berlin, et que nous ne connaissons pas ?

    Ce grand maître vient de parcourir l’Italie qu’il n’avait pas revue depuis sa jeunesse. Epouvanté de l’état dans lequel il y a trouvé la musique religieuse (on ne voulait pas croire ce que nous avons écrit à ce sujet), le célèbre compositeur a proposé au Pape un vaste plan de réforme parfaitement conçu et rédigé avec la chaleureuse indignation qu’un pareil abaissement de l’art est bien fait pour exciter. Ce projet, parfaitement accueilli par Sa Sainteté, a déjà reçu un commencement d’exécution à Jesi, patrie de Spontini, où nous voyons par un mandement du cardinal Ostini qu’il est défendu, sous des peines sévères, aux compositeurs de parodier les paroles sacrées sur de la musique de théâtre, aux organistes de jouer des ouvertures d’opéras pendant le service divin, et aux chanteurs de vocaliser des cavatines bouffes à l’élévation. On a oublié de défendre aussi aux ténors de chanter en fausset des airs à roulades écrits pour des soprani ; monstruosité grotesque dont j’ai été témoin à Rome dans l’église de Saint-Louis des Français, le jour de la fête du Roi. Il ne serait pas mal non plus de prier les organistes d’employer d’autres jeux que les jeux suraigus dans l’accompagnement des services funèbres.

    J’ai entendu à Florence une messe des morts jouée tout entière avec le registre des petites flûtes. On ne voit rien de pareil en Allemagne, ni en France, ni en Angleterre où les amateurs même traitent la musique sacrée avec tout respect et toute dignité. Témoin lord Burghersh qui vient de publier un Magnificat à quatre voix de sa composition, dont le style essentiellement religieux et la belle ordonnance contrastent également avec la plupart des motets plus ou moins brutaux écrits depuis quelque vingt ans par nos maîtres de chapelle.

THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.

Première représentation de : le Panier Fleury, opéra en un acte, paroles de MM. Leuven et Brunswick, musique de M. Ambroise Thomas.

    Ce panier fleuri est une enseigne ; il décore le haut de la porte d’un cabaret où Mme veuve Beausoleil, aimable cabaretière, attire des chalands par d’innocentes coquetteries. M. Scribe a mis à la mode les aubergistes dans le Lac des Fées et dans les Treize, nous devons donc avoir successivement toutes les variétés de cette utile profession. Espérons cependant qu’on nous fera grâce du gargotier. Le cabaretier se join bientôt à la cabaretière pour mystifier deux galans qui la serraient de trop près ; il leur escroque une assez jolie somme, se moque d’eux, et, contre l’ordinaire, l’heureux époux se tire d’affaire content sans être battu. M. Thomas a écrit pour ce livret au gros sel une partition un peu bruyante peut-être, mais trop distinguée pour de la musique de cabaret. Il y a une jolie introduction, un duo agréable et un charmant trio. Pour les couplets en style Pompadour que chante Mlle Prévost, nous ne concevons pas que le compositeur ait pu compter beaucoup sur eux. De ce qu’il avait réussi à faire rire une fois dans la Double Echelle par les tournures dites rococo du style de Lulli, ce n’était pas une raison pour employer de nouveau un moyen qui, après tout, n’a rien en soi de bien spirituel.

    Le succès de nouvel ouvrage de M. Thomas, compositeur déjà bien en cour auprès du public de l’Opéra-Comique, a été tout-à-fait incontesté.

H. BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er octobre 2015.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

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