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Cette page donne une liste alphabétique des principaux amis, connaissances et autres collègues de Berlioz à Londres, avec un résumé documenté de ce que l’on sait de leurs rapports avec Berlioz, spécialement en ce qui concerne ses séjours à Londres. Elle sert de complément à la page principale Berlioz à Londres ainsi qu’à celles qui traitent des bâtiments et autres locaux. Nombre de ces connaissances habitent Londres, d’autres, tels Maretzek et Stephen Heller, ne se sont que de passage. Beaucoup ne sont pas britanniques mais viennent du continent: par exemple Benedict, Ernst, Ganz, et Hallé sont allemands d’origine, Duchène de Vère, Sainton et Tolbecque français, Costa italien, et Silas hollandais. Quelques-uns de ces immigrés se feront naturaliser britanniques par la suite (Benedict, Ganz, Hallé, Costa). La documentation est fournie en premier lieu par les écrits de Berlioz – sa correspondance (ou plus exactement, ce qu’il en reste), ses travaux critiques, ses Mémoires et autres œuvres littéraires – mais dans quelques cas s’y ajoutent les souvenirs publiés plus tard par certains de ces personnages (Davison, W. Ganz et Hallé), dont on trouvera les titres ci-dessous.
Abréviations:
CG = Correspondance Générale, 8 volumes (1972-2003)
CM = Critique Musicale, 10 volumes (1996-2020)
Davison (1912) = J. W. Davison, From Mendelssohn to Wagner, textes réunis par Henry Davison (Londres, 1912); on trouvera des extraits de ce livre sur une page séparée
Débats = Journal des Débats
Ganz (1913) = Wilhelm Ganz, Memories of a Musician.
Reminiscences of Seventy Years of Musical Life (Londres, 1913); on trouvera
des extraits de ce livre sur une page séparée
Ganz (1950) = A. W. Ganz, Berlioz in London (Londres,
1950)
Hallé (1896) = Charles Hallé, Life and Letters of Sir Charles Hallé, publié par C. E. et M. Hallé (Londres, 1896); on trouvera des extraits de ce livre sur une page séparée
NL = Nouvelles lettres de Berlioz, de sa famille, de ses contemporains, ed. Peter Bloom, Joël-Marie Fauquet, Hugh J. Macdonald et Cécile Reynaud, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2016.
Rose (2001) = Michael Rose, Berlioz Remembered (Londres, 2001)
Noms inclus:
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Balfe, Michael William (1808-1870; portrait), compositeur et chef d’orchestre irlandais. Berlioz le rencontre sans doute à Paris bien avant son premier voyage à Londres (CG no. 841), mais visiblement n’a pas une haute opinion de sa musique (CG no. 993). Ses rapports les plus étroits avec Balfe résultent de sa nomination comme chef d’orchestre à Drury Lane pour la saison de 1847-8, pour laquelle Jullien commande à Balfe l’opéra The Maid of Honour (Mémoires, chapitre 57, la seule mention de Balfe dans les Mémoires). La correspondance de Berlioz ne fait que quelques allusions à cet ouvrage (CG nos. 1146, 1154, 1162), dont il ne pense visiblement pas grand bien (CG no. 1170). Les souvenirs de Max Maretzek donnent quelques détails de plus sur les rapports entre Berlioz et Balfe à cette époque (Rose [2001] p. 160-2, 166-8), mais malgré le jugement critique de Berlioz envers Balfe le compositeur les deux hommes s’entendent bien: ‘Balfe au contraire [en comparaison avec Costa] est un bon camarade dont je n’ai qu’à me louer; nous nous voyons très souvent et très amicalement’ (CG no. 1185). Balfe est évidemment assez bon enfant pour ne pas s’offusquer des remarques critiques du feuilleton de Berlioz dans le Journal des Débats du 1er juillet 1851 (p. 2) sur les théâtres lyriques de Londres: ‘M. Costa a depuis longtemps jugé convenable de leur [des compositeurs comme Beethoven, Mozart, Weber et Rossini] donner des leçons d’instrumentation, et, je le dis à regret, Balfe a suivi son exemple’. Les allusions à Balfe dans la correspondance de Berlioz sont rares après le séjour à Londres de 1847-8 (CG no. 1345), mais bien plus tard, en 1865, Berlioz a l’agréable surprise de le rencontrer de nouveau à Paris (CG no. 3025). Il n’existe pas de correspondance connue entre eux.
Barnett, Morris (1800-1856), écrivain et critique musical du Morning Post et d’Era; en 1854 il quittera Londres pour les États-Unis. Il n’existe que deux lettres de Berlioz à lui (CG nos. 1260 et 1405), mais les deux hommes se lient d’amitié pendant le premier séjour de Berlioz à Londres. Barnett écrit un compte-rendu favorable du premier concert de Berlioz le 7 février 1848 dans le Morning Post que Berlioz cite dans le post-scriptum de sa lettre à Auguste Morel: ‘Voici l’article du Morning Post qu’on m’envoie, vous pouvez en extraire les détails et l’opinion du rédacteur […]. Il est de M. Maurice Barnett, qui avait entendu la répétition’ (CG no. 1173). L’année suivante (28 avril 1849) Berlioz écrit à Barnett une lettre chaleureuse pour échanger des nouvelles et aussi pour lui recommander son ami le violoniste Ernst (CG no. 1260):
[…] J’ai pour vous une amitié bien sincère et bien vive, nous ne pouvons rester ainsi sans échanger un bonjour de temps en temps; je commence: Bonjour donc! Je pense souvent, très souvent, à nos longues causeries enfumées et arrosées d’excellents vins dans Southampton Street; et bien des fois il m’est arrivé, oubliant les mille liens Lilliputiens qui me retiennent à Paris, de prendre une résolution soudaine, un peu d’argent, mon chapeau et dire: Bah! je m’en vais voir Barnett! Puis arrivé au bout de ma rue, de rentrer fort sot, et fort humilié de mon peu de liberté. […]
J’apprends que Ernst est à Londres, le connaissez-vous? Si vous le voyez dites-lui mille choses de ma part. C’est un des artistes que j’aime le mieux et dont le talent m’est le plus sympathique.
Je vous prie même en passant, mon cher Barnett, de lui être utile quand vous le pourrez et de le soutenir avec cette chaleur d’âme qui vous est naturelle pour les gens qui ont pu vous intéresser par leur mérite, quel qu’il soit. […]
Une semaine plus tard (8 mai) Berlioz écrit à Ernst lui-même: ‘J’avais écrit à Maurice Barnett la semaine dernière à votre sujet; le connaissez-vous? Il rédige le Morning Post; c’est un excellent homme. Comment va Hallé? et Davison? et ce fou de Vivier?…’ (CG no. 1263). En décembre Berlioz écrit de nouveau à Ernst et lui transmet ses amitiés à divers amis de Londres: ‘Mille injures à Barnett qui est un bon et digne ami, qui ne répond jamais. Mais c’est égal on l’aime silencieux puisque c’est sa manie de ne rien dire’ (CG no. 1284). En 1851 il semble que Barnett donne son appui à Berlioz pour les préparatifs d’un concert projeté à la Grande Exposition, mais le projet n’aura pas lieu (CG no. 1395bis, tome VIII). La dernière lettre connue de Berlioz à Barnett vient peu avant son départ pour Londres en 1851; il demande à Barnett dans un anglais hésitant de faire bon accueil au facteur d’instruments Adolphe Sax qui se rend à Londres pour y exposer ses instruments: ‘Be kind for him as you are, and any thing more, for every one; as you are for me’ [Soyez obligeant avec lui, et même plus, pour tout le monde, comme vous l’êtes pour moi] (CG no. 1405, 25 avril). Il envoie le même jour une recommendation semblable à Charles Gruneisen (CG no. 1404).
Beale, Thomas Frederick (?-1863), éditeur et impresario, sera à partir de 1848 l’un des partisans les plus résolus et actifs de Berlioz à Londres, et Berlioz lui doit une part non négligeable de son succès dans la capitale. En 1852 Berlioz le nomme ‘ce roi des éditeurs anglais, cet intelligent et généreux ami des artistes’ (Journal des Débats 31 octobre 1852, p. 2, repris la même année dans les Soirées de l’orchestre, Deuxième Épilogue), et au chapitre 59 des Mémoires il le présente comme ‘aujourd’hui l’un de mes meilleurs amis’ (le chapitre porte la date du 18 octobre 1854). La correspondance de Beale avec Berlioz a dû parfois être très active: en mars 1853, à l’époque des préparatifs pour la mise en scène de Benvenuto Cellini à Londres Berlioz affirme échanger une lettre avec Beale tous les deux jours (CG no. 1572). D’autre part les lettres de Beale semblent, comme celles de Gye, s’en tenir strictement à l’essentiel, ce que Berlioz regrette parfois (CG no. 2204). Mais de toute cette correspondance très peu a survécu: un extrait d’une lettre informant Beale du succès de Benvenuto Cellini à Weimar en novembre 1852 (CG no. 1535bis [tome VIII]), et une lettre inédite de Beale à Berlioz le félicitant de son élection à l’Institut en juin 1856 (CG V p. 322 n. 1; traduction française dans NL p. 455-6 no. 2145quater). Presque tout ce qu’on sait de ses rapports avec Berlioz vient d’allusions dans d’autres lettres, et il est par conséquent difficile de se faire une idée précise de la personnalité de celui qui fut l’un des plus solides et éclairés partisans du compositeur.
Les premiers rapports de Berlioz avec Beale remontent à 1842-1843 au moment où Berlioz tente de publier une édition anglaise de son Traité d’instrumentation, dans une traduction préparée par George Osborne. Plusieurs lettres de cette époque y font allusion (CG nos. 772ter et 777bis [tous deux au tome VIII], 784bis [NL p. 204-5], 841<), mais l’ouvrage ne semble pas avoir été publié. Les deux hommes se rencontrent à un moment donné à Londres vers la fin de 1847, et après le premier concert de Berlioz le 7 février 1848 Beale est convaincu et décide de soutenir Berlioz de son mieux. ‘Beale me fait des propositions pour publier des arrangements de piano de Faust […] Beale me propose d’entreprendre à ses risques un immense [sc. concert] à Exeter Hall; cela se fera’, écrit Berlioz à son éditeur Brandus à Paris le 24 février (CG no. 1179). L’arrangement pour piano de la Marche hongroise, par Julius Benedict, a grand succès à Londres dès sa parution (CG nos. 1184, 1185, 1191, 1197, 1200). Le concert projeté n’aura pas lieu, mais Beale et d’autres pressent activement la Royal Philharmonic Society de s’adresser à Berlioz (CG no. 1191).
Malgré les échecs de 1848 Beale a d’autres ambitions pour Berlioz: par l’intermédiaire de son fils Willert, qui lui sert souvent d’agent (cf. CG nos. 1942, 1981), il propose à Berlioz en 1850 une participation à une série de concerts à Hanover Square Rooms (c’est-à-dire par la Philharmonic Society) pour mai 1851 (CG no. 1345, 30 septembre). Il ne semble pas y avoir de mention nulle part des suites de cette propositon, ni non plus d’éventuels contacts entre Berlioz et Beale pendant le séjour de 1851, bien qu’il soit fort probable qu’ils se soient rencontrés. En tout état de cause au début de 1852 les préparatifs pour la saison à venir vont bon train. ‘Je suis en train de terminer une grande affaire pour Londres avec Beale’ (CG no. 1444; à Liszt, 24 janvier). ‘J’ai terminé avec Beale’ (CG no. 1445; à Liszt aussi, 4 février). ‘Beale (l’impresario) met beaucoup d’ardeur à la réalisation de son projet’ (CG no. 1448; à Adolphe Duchène de Vère, 10 février). Une lettre à Auguste Morel le même jour éclaire ce que Beale envisage: l’invitation de Berlioz est liée à la création de la New Philharmonic Society, qui a pour but premier de fournir une tribune à Berlioz à Londres, tant le compositeur que le chef d’orchestre, que la vieille [Royal] Philharmonic Society ne peut ou ne veux lui offrir (CG no. 1449; cf. 1456):
[…] Beale m’a engagé pour aller organiser et diriger à Londres 6 grands concerts dans la Salle d’Exeter-Hall; salle trop vaste selon moi. Il met à ma disposition un personnel considérable (300 exécutants pour tous les concerts et les suppléments dont j’aurai besoin pour certaines œuvres). Nous donnerons au premier les 5 morceaux de la Prose de mon Requiem [le Requiem ne fut pas joué] ; il s’agit aussi de la Symphonie avec chœurs de Beethoven que Costa a éreintée une fois et qu’on n’a plus entendue à Londres depuis lors. Enfin il y aura beaucoup à faire. Je regrette bien de ne pas vous avoir avec moi dans cette bataille, car c’en sera une. Beale qui a eu cette idée est solidement appuyé par toute la jeune génération des artistes anglais, et par de très riches amateurs fatigués d’entendre toujours le même répertoire aux concerts de Hanovre Square. I hope. […]
Avant même son arrivée à Londres en mars Berlioz est impressionné par l’excellente réputation de Beale (CG nos. 1451, 1458). En l’occurrence Beale tiendra largement ses promesses. À l’encontre de Jullien, mais comme Bénazet plus tard, Beale est à tous égards l’impresario modèle, et les lettres de Berlioz ne tarissent pas d’éloges pour son entreprise (CG no. 1461). Il veille en personne aux préparatifs des concerts, fournit à Berlioz tout le temps qu’il demande pour les répétitions (cf. aussi CG nos. 1486, 1488), procure même à l’occasion des instruments inusités (CG no. 1474, un tam-tam), et verse ponctuellement à Berlioz le salaire convenu (CG no. 1500). Mais d’emblée Beale vise au delà de la saison de 1852. Dans les premiers mois de 1852 il manifeste son intérêt pour la reprise de Benvenuto Cellini à Weimar: ‘Si j’avais de bonnes nouvelles de Weimar, Beale les demande pour en tirer parti à Londres’ écrit Berlioz à Liszt le 2 mars (CG no. 1456). Quelques semaines plus tard Berlioz réagit au récit fait par Liszt de la première représentation: ‘J’ai envoyé au Times un extrait laconique de ta lettre, me bornant à la citation de quelques passages qui peuvent se publier. Bien que la presse anglaise soit extrêmement bienveillante pour moi, et même à cause de cela, c’est tout ce que j’ose faire. Mais je crois que Beale saura varier le thème que tu m’as fourni’ (CG no. 1462, 29 mars). L’unique lettre de Berlioz à Beale qui subsiste (en partie seulement) est un récit du succès de Benvenuto Cellini à Weimar (CG no. 1535bis [tome VIII], fin novembre).
Les projets de Beale semblent aller entièrement à souhait et Berlioz peut envisager pour l’année suivante une deuxième saison comparable à celle de 1852. Mais tout est remis subitement en question du fait de l’opposition catégorique de Henry Wylde, et Beale furieux donne sa démission du comité de la New Philharmonic Society (CG no. 1542). Pour Berlioz l’échec est de taille, mais il ne l’est pas moins pour Beale, l’âme de toute l’entreprise dont le succès l’a rendu ‘à moitié fou de joie’ (CG no. 1461). Il persiste néanmoins à s’intéresser à Benvenuto Cellini et s’enquiert du progrès de la traduction italienne qui est nécessaire pour Londres (CG no. 1549, 29 décembre). Puis silence de sa part pendant quelques semaines, mais Berlioz reste tranquille: ‘Je ne reçois plus de nouvelles de Beale, je ne sais donc rien de ce qui se prépare pour la saison des concerts et je m’inquiète peu, assuré que je suis des bonnes intentions de Beale. S’il y a quelque chose de faisable, sans aucun doute il le fera’ (CG no. 1563; 8 février 1853, à Gruneisen). Moins d’un moins plus tard la nouvelle est confirmée: Beale a obtenu que Covent Garden accepte Benvenuto Cellini (CG no. 1572; 4 mars, à Liszt). La chute de l’opéra du fait de l’hostilité organisée qui accueille la première représentation est donc un échec de plus pour Beale comme elle l’est pour Berlioz. Berlioz décrit la réaction de Beale et de celle d’autres admirateurs qui pensent comme lui (Mémoires chapitre 59, daté du 18 octobre 1854; cf. CG nos. 1612, 1613, 1615, 1616, 1617, 1619):
Les artistes de Londres, indignés de cette vilenie, ont voulu m’exprimer leur sympathie en souscrivant, au nombre de deux cent trente, pour un Testimonial concert, qu’ils m’engageaient à donner avec leur concours gratuit dans la salle d’Exeter Hall, mais qui néanmoins n’a pu avoir lieu. L’éditeur Beale (aujourd’hui l’un de mes meilleurs amis) m’a en outre apporté un présent de deux cents guinées qui m’était offert par une réunion d’amateurs, en tête desquels figuraient les célèbres facteurs de piano, MM. Broadwood. Je n’ai pas cru devoir accepter ce présent si en dehors de nos mœurs françaises, mais dont une bonté et une générosité réelles avaient néanmoins suggéré l’idée. Tout le monde n’est pas Paganini.
Berlioz ne précise pas dans ses Mémoires que la souscription sera en fait affectée à un autre but, comme il le dit dans plusieurs de ses lettres (CG nos. 1617, 1619), et aussi dans une lettre ouverte du 7 juillet au rédacteur du Musical World: ‘Ces messieurs du comité, créé pour l’organisation, ont conçu l’idée délicate, charmante et généreuse de consacrer la somme réunie grâce à la souscription ouverte pour le concert à l’acquisition de la partition de mon Faust qui sera publiée avec un texte anglais sous la supervision de Beale et d’autres membres du comité’ (CG no. 1616). Des lettres de 1854 laissent entendre que le projet est en cours à cette époque (CG nos. 1726, 1735; 4 et 14 avril), mais en fait il n’aboutira pas du vivant de Berlioz.
On ne sait si Beale est mêlé en quelque façon à la proposition de concerts à Londres à laquelle Berlioz fait allusion en termes peu clairs dans quelques lettres de l’automne de 1853 et de l’hiver suivant, propositions qui n’auront pas de suite. Et rien dans la correspondance de Berlioz n’associe le nom de Beale avec les deux offres que Berlioz reçoit en décembre 1854 des deux sociétés philharmoniques rivales (CG nos. 1851, 1859, 1867). Mais une lettre à Liszt quelques mois plus tôt (14 avril) lie son nom à un autre projet. Parlant du projet d’une traduction allemande par Peter Cornelius de L’Arrivée à Saïs qu’il vient d’ajouter à La Fuite en Égypte, Berlioz écrit (CG no. 1738, cf. 1735):
[…] C’est trois fois plus considérable que la Fuite en Egypte et plus difficile à ajuster à la musique. Beale publiera sans doute cela en anglais, mais seulement quand j’aurai écrit une troisième partie à cette petite trilogie Biblique. Cette troisième partie qu’il est venu me demander à Paris, serait en fait la première, et aurait pour sujet le massacre des innocents. […] Je commence à voir poindre le plan du massacre, pour lequel Chorley m’a donné, lui aussi, quelques idées. […]
Ceci laisse supposer que Beale, de même que Chorley, est l’un ceux qui persuadent Berlioz d’élargir son ouvrage primitif pour en faire une trilogie. La troisième partie (qui sera finalement la première) est composée en juin et juillet 1854 et sera appelée en définitive Le Songe d’Hérode; l’intégrale de l’Enfance du Christ recevra sa première exécution à Paris (Salle Herz) le 10 décembre de la même année. Succès immédiat, qui sera bientôt répété à l’étranger, à Weimar, Bruxelles et Gotha. À l’occasion de la première à Paris des visiteurs viennent de Londres, entre autres Henry Chorley qui se chargera de la traduction anglaise de l’œuvre (le nom de Beale n’apparaît pas à ce stade). Il est immédiatement question d’exécuter l’ouvrage à Londres, et Berlioz reçoit des démarches à cet effet. Mais au cours de son séjour à Londres en juin et juillet 1855 il répugne à laisser exécuter sa partition prématurément: la traduction n’est pas encore terminée et les bons chanteurs font défaut (CG nos. 1851, 1874, 1928, 1966, 1980). Au cours de cette visite Berlioz voit Beale de nouveau (CG no. 1991).
À l’automne la traduction anglaise de l’Enfance du Christ est terminée et Berlioz demande à Silas à Londres de se renseigner sur les intentions de Beale quant à sa publication (CG no. 2024, 20 septembre). En novembre et décembre on voit Berlioz chercher à organiser deux concerts à St Martin’s Hall avec l’appui de Beale: le Te Deum et l’Enfance du Christ devraient recevoir leurs premières exécutions à Londres (CG nos. 2055, 2074). Mais au début de 1856 Beale l’informe que le projet doit être annullé à cause de la ‘fièvre Lind’: la visite de la célèbre cantatrice à Londres anéantit d’un coup toute la saison de concerts (CG nos. 2075, 2076, 2081). Entre-temps la publication de l’édition anglaise de l’Enfance du Christ avance (CG no. 2086 parle d’épreuves envoyées par Berlioz à Beale en janvier; texte complet dans NL p. 442-3) et la partition paraît finalement en octobre avec la traduction de Chorley (CG no. 2181). Pour l’édition de Londres deux des dédicaces sont modifiées par rapport aux éditions française et allemande: la première partie est dédiée à Edward Holmes (et non aux nièces de Berlioz), et la troisième à Beale lui-même (et non à l’Académie de Chant de Leipzig); la deuxième est dédiée à Ella, comme dans les éditions française et allemande. Beale, déçu dans ses projets pour 1856, a conçu entre-temps un nouveau projet: on construit à Londres une nouvelle salle de concert (St James’ Hall) et pour son inauguration en 1857 Berlioz viendra diriger l’Enfance du Christ. Le projet pour la nouvelle salle de concert est décrit par John Ella dans une lettre à Berlioz en juin 1856 dans laquelle il confie que Beale, ainsi que Broadwood et Ella lui-même, sont actionnaires dans l’entreprise (CG no. 2142). Il ne fait pas état à ce stade de projets de Beale pour l’inauguration de la salle, mais en août Beale informe Berlioz que telle est son intention. Le 11 août Berlioz écrit à Ferdinand Praeger avec une allusion bien sentie à ses expériences de 1855 (CG no. 2162):
[…] Beale m’a écrit il n’y a pas longtemps au sujet de l’Enfance du Christ. Il a en effet des projets pour la saison prochaine.
Pourtant il ne me parle pas d’une 3e Société Philharmonique, c’est bien assez de deux; surtout si, comme il est probable, c’est toujours le même unique orchestre qui est chargé de desservir toutes les Eglises musicales.
En tout cas si son projet s’exécute nous tâcherons de faire mieux que la dernière fois à Exeter Hall.
Je me fais une fête de vous revoir à cette occasion. […]
Au cours de l’hiver la visite à Londres devient une certitude, comme Berlioz l’écrit à son beau-frère Camille Pal (CG no. 2188, 5 décembre):
[…] Pour n’être pas distrait [de la composition des Troyens], je ne donnerai pas de concerts cet hiver à Paris, je n’irai pas en Allemagne, et je me bornerai à un voyage à Londres au mois de mai. J’ai promis d’y aller inaugurer une nouvelle salle par le première exécution (en Angleterre) de mon oratorio l’Enfance du Christ.
Encore, donnerais-je beaucoup pour me dispenser de ce voyage. […]
À la fin de janvier 1857 Berlioz s’inquiète du manque de nouvelles de la part de Beale, comme il l’écrit à Ernst à Londres (CG no. 2204):
[…] Quant à l’Enfance du Christ, je sais que Beale l’a fait annoncer à Londres, ainsi que mon arrivée, pour le mois de mai.
Soyez assez bon, mon cher Ernst, pour voir Beale à ce sujet le plus tôt que vous pourrez et lui en parler sérieusement. Priez-le de ma part de m’écrire quelque chose de précis sur l’époque du 1er concert dans la nouvelle salle, sur les chanteurs qu’il a en vue, sur les moyens qu’il veut prendre pour assurer la fidélité de l’exécution.
Je pense en tremblant aux habitudes anglaises pour les répétitions…
Enfin tâchez de savoir le fond de sa pensée. Il ne m’écrit jamais que des billets de 10 lignes qui n’ont pu m’éclairer là-dessus. […]
Au cours du mois qui suit Berlioz apprend que le projet est annullé: ‘Je n’irai pas à Londres cette année; la salle que je devais inaugurer ne sera pas terminée. J’en suis bien aise, mon travail ne sera pas interrompu. Je ne donnerai pas non plus de concert ici’ écrit-il à sa sœur Adèle le 25 février (CG no. 2211). Pour Berlioz l’annullation n’est pas une grande perte: l’Enfance du Christ a déjà fait ses preuves et a été jouée avec succès, et outre les inquiétudes dont Berlioz fait état dans les deux lettres citées ci-dessus, il n’est pas satisfait de la traduction de Chorley et de sa réception éventuelle à Londres (CG no. 2181). Mais Londres s’en trouve privée de l’occasion d’entendre l’une des œuvres maîtresses de Berlioz, qui aurait sans doute remporté à Londres le même succès qu’ailleurs. Pour Beale c’est une déception de plus. Après cette date on n’a pas connaissance d’aucune autre initiative de sa part pour pousser Berlioz à Londres, et il n’y a d’ailleurs plus trace de correspondance entre eux, bien que Berlioz continue à considérer Beale comme un de ses partisans sur place (CG no. 2357). Quand Beale meurt en 1863 la direction de la maison d’édition Cramer & Beale passe non à son fils Willert mais à George Wood et devient la firme de Cramer, Beale & Wood.
Benedict, Julius (1804-1885; portrait), pianiste, chef d’orchestre et compositeur allemand. Il s’installe à Londres en 1835, est naturalisé, et comme Charles Hallé est pour finir annobli (en 1871). Benedict est élève de Weber de 1821 à 1824, référence qui visiblement impressionne Berlioz et qu’il souligne à plusieurs reprises (CM I p. 87, 391; II p. 445; III p. 486 [Débats, 22 juin 1838]; IV p. 202 [Débats, 1er novembre 1839]). Il devient ensuite chef d’orchestre des théâtres San Carlo et Fondo à Naples de 1825 à 1834 (CM I p. 391). Dans une lettre qui porte la date du 1er août 1833 Berlioz dit déjà bien le connaître (CG no. 341). Il est vraisemblable que c’est en Italie, et sans doute précisément à Naples, qu’ils se rencontrent pour la première fois au cours du séjour de Berlioz en Italie comme lauréat du Prix de Rome. Dans le chapitre 41 des Mémoires où il raconte sa visite à Naples en octobre 1831 Berlioz parle de la qualité inattendue de l’orchestre du théâtre de San Carlo en comparaison avec d’autres théâtres d’Italie, et cite aussi le témoignage ‘d’un compositeur qui a écrit pour le théâtre Saint-Charles’: Benedict n’est pas nommé, mais il s’agit presque certainement de lui. D’emblée les deux hommes se lient d’amitié et le resteront pendant bien des années; leur dernière rencontre connue aura lieu à Bade en août-septembre 1858 (CG no. 2307quater [tome VIII]).
Après son séjour à Naples Benedict fait un passage à Paris en 1834, puis s’installe à Londres l’année suivante (selon Ganz [1950] p. 56 il est domicilié au no. 2 Manchester Square). Il continue à faire des visites à Paris et ailleurs, et reste en rapport avec Berlioz. En mars 1836 il donne un récital de piano à Paris sur lequel Berlioz écrit un compte-rendu favourable (CM II p. 222-5). En mai de cette même année, dans une lettre à l’éditeur Hoffmeister à Leipzig, Berlioz cite le nom de Benedict parmi celui de plusieurs pianistes qui l’ont conseillé pour la réduction pour piano de l’ouverture des Francs-Juges (CG no. 472). Dans les années qui suivent Berlioz fait mention dans la presse parisienne des activités musicales de Benedict à Londres: le succès de son opéra The Gipsy’s Warning à Drury Lane en 1838, la traduction de cet ouvrage en français pour laquelle Benedict fait un voyage à Paris en 1839 (CM IV p. 202, 227 [Débats, 9 janvier 1840]), et son travail sur un nouvel opéra The Brides of Venice sur lequel Berlioz émet également un jugement positif (CM IV p. 132, août 1839 [= CG no. 606]; V p. 490-1, mai 1844 [Débats, 26 juin 1844]). De son côté Benedict à Londres rend service à Berlioz à plusieurs reprises. En 1842 et 1843 il sert d’intermédiaire dans des négociations entamées par Berlioz au sujet d’une édition anglaise du Traité d’instrumentation (CG nos. 772ter, 777bis [tous deux au tome VIII], 841). Quand Berlioz se rend à Londres en 1847-8 Benedict prête son concours en arrangeant pour piano à quatre mains les trois morceaux pour orchestre de la Damnation de Faust, dont cependant seule la Marche Hongroise sera publiée par la suite (CG nos. 1185 and 1191). En 1853 Benedict fait partie avec d’autres du comité qui essaie d’organiser un concert pour Berlioz après l’échec de Benvenuto Cellini à Covent Garden. Les allusions à Benedict dans la correspondance de Berlioz sont rares, mais une lettre de juin 1854 le nomme en compagnie de Ella et de Davison comme parmi ses proches amis de Londres (CG no. 1770). Pendant son séjour en 1855 Berlioz accepte une invitation de lui, sans doute l’une parmi bien d’autres à lui être adressées (CG no. 1989, mais la date du 28 juin est conjecturale). À son concert à Exeter Hall du 4 juillet 1855 Berlioz inscrit à son programme une cavatine des Brides of Venice de Benedict. Tout au long de sa carrière Benedict a un certain succès comme compositeur: une lettre de Berlioz de décembre 1856 relate que Benedict a versé 200,000 frs à l’Opéra-Comique dans l’espoir d’obtenir une représentation d’un de ses ouvrages… (CG no. 2196). La dernière mention de Benedict est dans une lettre de février 1859 dans laquelle Berlioz essaie d’empêcher une exécution de la Symphonie fantastique à Londres sans assez de répétitions; il exprime l’espoir que Benedict parmi d’autres lui sera d’un secours dans ce but (CG no. 2357).
Chorley, Henry Fothergill (1808-1872), écrivain et critique musical qui pendant des années écrit pour The Athenæum. Il rencontre Berlioz dès septembre 1842 (CG no. 772ter [tome VIII]), et Chorley fait partie d’un groupe venu de Londres qui en août 1845 assiste aux célébrations à Bonn en honneur de Beethoven. Leur correspondance connue commence en novembre 1847, peu après l’arrivée de Berlioz à Londres (CG no. 1139), et il est clair qu’ils se connaissent déjà, mais ce sont les séjours successifs de Berlioz dans la capitale qui vont permettre à leurs relations de se développer.
Leurs relations seront toujours courtoises, mais souvent aussi empreintes d’ambiguïté. Les deux hommes s’entendent sur bien des points, par exemple dans leur admiration commune pour Gluck (CG nos. 2467, 2492) et Mendelssohn (CG no. 1139), avec lequel Chorley avait été lié, et éprouvent un respect mutuel. Sur le plan social leurs rapports sont en général bons, que Berlioz soit à Londres (CG nos. 1484, 1981) ou Chorley à Paris (CG no. 1932), et Berlioz n’hésite pas à lui recommander des musiciens méritants (CG no. 1735). Chorley prend Berlioz au sérieux comme compositeur et s’intéresse activement à sa carrière artistique. La correspondance de Berlioz suggère que Chorley souhaite être tenu au courant de ses succès à l’étranger (CG nos. 1544 et 1562, de Paris; 1735 de Dresde; 1928, de Bruxelles). Mais sur des questions d’art musical ils ont souvent du mal à voir les choses du même œil, et la cordialité extérieure de leurs relations cache souvent des tensions trahies par certaines lettres de Berlioz à ses amis.
Chorley importe à Berlioz à deux égards, en tant que critique musical éminent dont l’influence à Londres se fait sentir, et en tant que traducteur de certaines de ses œuvres. Londres suit la convention acceptée dans toute l’Europe musicale à l’époque qui veut que, sauf pour les œuvres religieuses en latin et les opéras en italien, la musique vocale est normalement chantée dans la langue du pays où l’exécution a lieu. Benvenuto Cellini est traduit en italien pour la représentation de Covent Garden en 1853, puisque c’est la langue de rigueur dans ce théâtre lyrique, mais les extraits de la Damnation de Faust en 1847-8 et plus tard de l’Enfance du Christ doivent être chantés en anglais, et dans les deux cas la tâche revient à Chorley. Pendant la période d’activité de Berlioz à Londres de 1847 à 1855 et au delà des tensions surgiront parfois entre lui et Chorley, tant le critique musical que le traducteur.
Ces questions se posent dès le premier concert du Berlioz à Londres, le 7 février 1848, bien que le problème de la traduction ne fasse pas encore difficulté à ce stade. Le 10 février Berlioz écrit à Alfred de Vigny (CG no. 1172):
[…] Vous parlez du bonheur des compositeurs qui n’ont pas besoin de traductions! Au contraire, nous en avons besoin, j’ai été traduit en allemand pour Roméo et pour Faust. Chorley vient de traduire en anglais les deux premiers actes de Faust que j’ai donnés à mon concert de Drury-Lane, et heureusement on dit que c’est bien. […]
Berlioz à ce moment suppose que Chorley lui est toujours bienveillant, et il est donc pris de court quand les deux articles de Chorley sur le concert s’avèrent être ‘louches, incolores et froids’ (CG no. 1179). Ce n’est pas la dernière fois que Berlioz sera déconcerté, voire même exaspéré par l’apparente incapacité de Chroley de comprendre une bonne partie de sa musique, d’autant plus que la plupart de la presse de Londres lui est par ailleurs favorable. Il sera encore plus déçu par la réaction critique de Chorley à ses concerts en 1852, et s’offusque tout particulèrement des critiques adressées par ce dernier à sa direction de l’orchestre pendant l’exécution par Camille Moke du Konzertstück pour piano de Weber (CG nos. 1477, 1484). Dans la conviction que Chorley est maintenant son ennemi déclaré Berlioz est de nouveau dérouté quand en novembre 1852 Chorley fait le voyage de Londres à Weimar pour entendre Benvenuto Cellini, et qui plus, professe son estime pour l’œuvre! (CG no. 1542; cf. 1538bis [tome VIII]). Chorley lui écrit à ce sujet, comme on peut le déduire de la réponse de Berlioz le jour de Noël, lettre malheureusement connue seulement par un extrait de catalogue de vente (CG no. 1544):
[…] Je ne doute pas de l’empressement que vous avez mis à prendre des informations au sujet de Benvenuto […] En attendant je revois ma partition dont Liszt m’a envoyé seulement deux actes et dont je recevrai le 3ème bientôt. J’y fais des corrections de détail qui peut-être l’améliorent et j’ai ajouté une scène au dénouement, qui le rend, ce me semble, et plus clair et plus dramatique […]
Le 15 janvier 1853 Chorley insère une notice dans The Athenæum annonçant une exécution éventuelle de Cellini à Her Majesty’s Theatre, ce qui incite Berlioz à lui écrire longuement le 8 février (CG no. 1562, cf. 1563):
J’ai lu les quelques lignes que vous avez eu la bonté d’insinuer dans l’Athenæum. Votre nouvelle n’est probablement (comme on dit au jeu du Boston) qu’une invite; mais c’est l’expression d’un désir bienveillant de votre part, et c’est à ce titre que je vous remercie. En tout cas, je me prépare toujours et je corrige patiemment ou impatiemment le travail du traducteur de mon livret de Benvenuto. Quel malheur que celui d’être traduit! j’aimerais autant être traduit devant un conseil de guerre… pardonnez-moi ce misérable calembour! […]
Les nouvelles détaillées que Berlioz donne ensuite à Chorley de ses activités à Paris à l’époque atteste le dégel de leurs relations. Après l’échec de la première de Cellini à Covent Garden Chorley fait partie du comité créé pour organiser un concert pour Berlioz. Mais malgré tout son bon vouloir Berlioz persiste à penser que Chorley bat la campagne, comme il le remarque à la fin d’une longue lettre à Liszt qui raconte les avatars de l’opéra à Londres: ‘Chorley a fait un article singulier dans l’Athenæum, il est très bienveillant, mais il ne comprend guère’ (CG no. 1617, 10 July; cf. CG IV p. 244 n. 3).
Un résultat positif de la visite de Berlioz en 1853 est de l’encourager à développer La Fuite en Égypte aux dimensions d’un ouvrage plus étendu. Des allusions dans sa correspondance de 1854 montrent que non seulement il tient ses amis de Londres au courant des progrès de la nouvelle œuvre, mais que deux d’entre eux, Beale et Chorley l’encouragent activement à ajouter une troisième partie et offrent des suggestions concrètes sur un plan possible. Dans une lettre d’Allemagne à Chorley, avant de donner des nouvelles détaillées sur ses concerts à Dresde et Hanovre, Berlioz écrit (CG no. 1735, 14 avril 1854; cf. 1738 pour le rôle de Beale):
[…] Où en est notre Faust? J’avais envoyé à Beale un exemplaire complet de la partition de piano. Je pense qu’il est entre vos mains depuis quelques semaines. Il contient encore un assez bon nombre de fautes, et je vous prie en grâce de veiller à ce qu’on m’envoie la dernière épreuve de l’édition anglaise pour que je la renvoie avant de laisser imprimer.
J’ai fini l’oratoire L’arrivée à Saïs à l’exception d’un petit morceau que je n’ai pas encore trouvé. Maintenant je cherche la réalisation de votre idée pour le No I de la Trilogie, et je crois que j’en viendrai à bout. Cela me sourit extrêmement; je commencerai à écrire en chemin de fer en revenant à Paris. […]
Chorley travaille alors à la traduction de l’édition anglaise de la Damnation de Faust (CG no. 1619), qui ne sera cependant jamais publiée. D’un autre côté il prend une part active au projet de faire connaître l’Enfance du Christ en Angleterre: il appuie l’idée d’une édition anglaise de l’ouvrage et d’une exécution à Londres. Après la première réussie à Paris Berlioz écrit à Chorley, demande son avis, et suggère qu’il pourrait se charger de la traduction (CG no. 1851). Chorley accepte, et plusieurs lettres font allusion aux progrès du projet (CG nos. 1928, 1932, 2024). L’édition anglaise paraît finalement à l’automne de 1856, mais c’est un choc désagréable pour Berlioz, comme il le dit à sa sœur Adèle (CG no. 2181, 26 octobre):
[…] Et puis une foule de petites piqûres qui me font souffrir comme quand on a un clou dans son soulier… Mon éditeur de Londres m’envoie la partition de l’Enfance du Christ, et j’y trouve des passages navrants dans la traduction. Par exemple:
original « Jésus! quel nom charmant! »
Traduction « Jésus! the name is good! »
mot à mot « Jésus! le nom est bon!… »
N’y a-t-il pas de quoi se jeter dans un puits. (Le nom est bon!…) et il me faudra passer à Londres pour avoir écrit cette inepte réponse et bien d’autres que je ne te citerai pas. Voilà les traducteurs. Et celui-là est le plus célèbre d’Angleterre, c’est le grand critique de l’Athenaeum qui passe pour savoir aussi la musique, M. Chorley. Mais je devrai avoir l’air enchanté… […]
L’exécution de l’Enfance du Christ prévue pour mai 1857 n’aura pas lieu, au grand soulagement de Berlioz (CG no. 2211). On n’a pas de preuve de contact direct entre lui et Chorley après cette date, mais il est possible qu’ils se soient rencontrés à Paris en novembre 1859 quand Chorley fait le voyage de Londres pour entendre la reprise de l’Orphée de Gluck avec Pauline Viardot, reprise sur laquelle il publie un article dans l’Athenæum du 26 novembre (cf. CG no. 2467). Peu après Chorley fait une traduction de l’Iphigénie en Tauride de Gluck pour une exécution à Manchester en version de concert par son ami Charles Hallé, d’après le récit que Hallé donnera plus tard dans ses souvenirs. À cette occasion Hallé écrit à Berlioz au sujet de l’événement et en réponse Berlioz exprime sa joie et sa gratitude envers Hallé et Chorley pour ce qu’ils ont fait (CG no. 2492).
Costa, Michael (1808-1884; portrait), chef d’orchestre et compositeur italien, né à Naples. Il s’installe à Londres en 1829 où il passera le reste de sa vie et sera naturalisé; il anglicise ses prénoms Michele Andrea Agniello qui deviennent Michael Andrew Agnus, et sera annobli en 1869. Il travaille d’abord à Her Majesty’s Theatre, puis en 1846 s’en va avec une bonne partie de la troupe à Covent Garden où il dirigera le nouveau Royal Italian Opera jusqu’à 1868, et la même année il devient chef d’orchestre de la (Royal) Philharmonic Society jusqu’à sa démission inattendue vers la fin de 1854. D’emblée ses rapports avec Berlioz à Londres seront équivoques. De manière générale Berlioz apprécie en lui le chef d’orchestre, dont la réputation de discipline ne peut lui déplaire (mais cf. CG no. 1449), mais il critique ouvertement son habitude de corriger l’instrumentation des œuvres qu’il dirige. Pour ce qui est de sa propre position à Londres Berlioz voit en Costa une influence néfaste dans les coulisses, jalouse du prestige de chef d’orchestre de Berlioz (CG no. 1619), mais Costa s’entend à brouiller les pistes et il est difficile de mettre le doigt sur des cas précis d’hostilité. D’un autre côté la position puissante de Costa à Londres oblige Berlioz à maintenir publiquement des relations cordiales avec lui, et Costa pour sa part fait de même. Cette équivoque trouve son reflet dans les allusions à Costa dans les écrits de Berlioz pendant des années – sa correspondance, les feuilletons qu’il écrit pour le Journal des Débats en 1851, les deux éditions des Soirées de l’orchestre de 1852 et 1854, et les Mémoires posthumes où Berlioz se sent libre de s’exprimer ouvertement.
Une lettre à Joseph d’Ortigue datée du 15 mars 1848 donne le ton; Berlioz fait allusion ici à un projet d’exécuter certaines de ses œuvres inspirées par Shakespeare à Covent Garden (CG no. 1185; voir aussi l’article sur Holmes):
[…] Nous avons eu ensemble une conférence avant-hier, à ce sujet, et je leur [les directeurs de Covent-Garden] ai déclaré qu’à aucun prix je ne consentirais à organiser cette exécution s’ils ne m’assuraient 15 jours d’études pour les voix et 4 répétitions pour l’orchestre. Ils se concertent maintenant à ce sujet avec Costa; mais je suis sûr que celui-ci déclarera la chose impossible. Mon séjour ici l’incommode étrangement. Balfe au contraire est un bon camarade dont je n’ai qu’à me louer; nous nous voyons très souvent et très amicalement. La Société Philharmonique dirigée par Costa, a commencé ses séances avant-hier. On y a exécuté une symphonie de Hesse (l’organiste de Breslau) bien faite, bien froide, bien inutile; Une autre en la de Mendelssohn, admirable, magnifique, bien supérieure selon moi à celle également en la qu’on joue à Paris. L’orchestre est très bon, à l’exception de quelques instruments à vent, il n’y a rien à lui reprocher et Costa le dirige à merveille. Personne ne voulait croire ce soir-là, que la société ne m’eut encore rien demandé pous ses concerts; c’est pourtant vrai. On dit qu’ils y seront forcés, par les journaux et par leur comité. Mais je ne me livrerai qu’avec de grandes précautions, aux pattes de velours de Costa, d’Anderson et de tous les vieillards entêtés qui dirigent l’institution. C’est la répétition des manières du Conservatoire de Paris. J’aurais trop à te dire sur toutes ces petites vanités fiévreuses et goutteuses, et tu les devines sans peine. […]
Une lettre à Auguste Morel continue le même thème (CG no. 1191, 24 avril):
[…] Les journaux d’ici s’occupent toujours beaucoup de moi, mais la résistance du comité de la Société Philharmonique est quelque chose de curieux; ce sont tous des compositeurs anglais et Costa est à leur tête. Or ils engagent M. Molique, ils jouent des Symphonies nouvelles de M. Hesse et autres, mais je leur inspire à ce qu’il paraît une terreur incroyable. Beale, Davison, Rosenberg, et quelques autres se sont mis en tête de les forcer à m’engager. Je laisse faire, nous verrons bien. C’est un vieux mur qu’il me faut renverser, et derrière lequel je trouve tout à moi, le public et la presse. […]
Une lettre à Louis-Joseph Duc soulève une autre question (CG no. 1200, 26 mai):
[…] Au reste cela se pratique aussi pour la musique [sc. comme pour les œuvres littéraires]: Costa a instrumenté et corrigé pour Covent-Garden le Barbier de Rossini, Don Juan et Figaro de Mozart. La grosse caisse y abonde maintenant… montons au Capitole et rendons grâces aux dieux. […]
Un an plus tard, la perspective d’une exécution du Te Deum par la Philharmonic Society remplit Berlioz d’inquiétude, comme il le dit à sa sœur Adèle (CG no. 1280, 24 septembre 1849; cf. 1281): ‘L’exécuter pour la première fois!… sans moi!… ce serait drôle. Il y a d’ailleurs dans cette société un chef d’orchestre dont j’ai tout lieu de me méfier [Costa]. D’un autre côté je ne puis aller à Londres en ce moment. Il faut donc s’abstenir’.
La correspondance de Berlioz ne mentionne pas le nom de Costa pendant le deuxième séjour en 1851, mais dans son feuilleton du 1er juillet dans le Journal des Débats (p. 1-2) Berlioz prend vertement à partie les pratiques des théâtres lyriques de Londres, et s’élève en particulier contre l’habitude de Costa de modifier l’orchestration des œuvres qu’il exécute: ‘Que ces auteurs soient de grands maîtres, armés d’une autorité immense, qu’ils se nomment Mozart, Beethoven, Weber ou Rossini, peu importe. M. Costa a depuis longtemps jugé convenable de leur donner des leçons d’instrumentation, et, je le dis à regret, Balfe a suivi son exemple. Il y a dans les deux orchestres qu’ils dirigent trois trombones, un ophicléide, une petite flûte, une grosse caisse et des cymbales; à leur avis, c’est pour s’en servir’. Ce passage ne sera pas repris dans les Soirées de l’orchestre quand le livre paraît en 1852, mais Berlioz ajoute quelques lignes sur le même sujet à une partie d’un autre feuilleton qui ne se trouvent pas dans l’original (du 12 août 1851, p. 2), avec le commentaire: ‘C’est ainsi que cela se pratique en Angleterre, partout où les traditions de M. Costa sont en honneur’. Cette phrase sera omise par Berlioz dans la deuxième édition des Soirées en 1854.
Quand vient la série de concerts avec la New Philharmonic Society en 1852 Berlioz s’attend à une opposition de la part de Costa et ses partisans (CG no. 1456, à Liszt, 2 mars; cf. 1453): ‘Les journaux de Paris doivent t’avoir déjà donné des détails sur la New Philharmonic Society. Elle fait une rumeur de tous les diables à Londres; et je vais avoir sur les bras en arrivant toute la Vieille Angleterre dont la fureur est à son comble. Les Anderson, Costa et autres sont les plus irrités. Si Beale me met en mesure de pouvoir faire les répétitions nécessaires je me moque de leur opposition.’ Berlioz suppose que le succès de la série leur sera particulièrment désagréable (CG no. 1461). En l’occurrence la résistance qui comptera viendra non de Costa et de la (vieille) Philharmonic Society mais de l’intérieur même de la New Philharmonic Society: à la fin de l’année Henry Wylde s’oppose avec succès au renouvellement du contrat de Berlioz pour la saison suivante, ce qui provoque la démission de Beale du comité (CG no. 1542).
L’année suivante (1853) Berlioz affiche en public à l’égard de Costa un comportement impeccable. La (vieille) Philharmonic Society s’adresse à Berlioz avec l’intention d’exécuter sa musique dans un concert, et dans une lettre à son secrétaire George Hogarth Berlioz exprime sa confiance totale dans la compétence de Costa (CG no. 1567; 23 février). Quand on en vient aux négociations avec Gye, le directeur de Covent Garden, sur la mise en scène de Benvenuto Cellini Berlioz est de nouveau un modèle de tact (CG no. 1585, 15 avril; cf. 1581): ‘Pensez-vous qu’il soit convenable à moi d’écrire à M. Costa? N’avez-vous rien à me dire à son sujet? A-t-il été question de mon ouvrage, et de sa direction, devant lui? Vous savez que je dois suivre aveuglément vos conseils à cet égard’. Quelques jours plus tard il écrit à Costa une lettre des plus courtoises (CG no. 1588; 20 avril), et donne bientôt une réponse positive à Gye: Costa aurait répondu ‘d’une façon extrêmement gracieuse et même cordiale’ et aurait proposé à Berlioz de lui laisser diriger les premières représentations (CG no. 1590; 28 avril). Avant de retourner à Paris après la chute de l’opéra Berlioz écrit à Costa pour le remercier de tout le soutien qu’il a donné (CG no. 1612, 7 juillet; cf. 1613 le même jour): rien dans la correspondance de Berlioz de cette année ne laisse supposer que Costa aurait été mêlé d’une façon quelconque avec la réception hostile de Benvenuto Cellini à son unique représentation le 25 juin. La mention suivante de Costa dans les lettres de Berlioz, et la dernière, est en décembre 1854 quand Berlioz est surpris d’apprendre la démission de Costa de la (vieille) Philharmonic Society (CG no. 1859). Cette démission ouvre la voie à la nomination de Berlioz comme chef d’orchestre pour toute la saison de 1855, mais cette possibilité est déjà devancée par l’acceptation de Berlioz deux semaines plus tôt d’une offre beaucoup moins tentante faite par Henry Wylde de diriger la New Philharmonic Society, et Berlioz ne peut faire reprendre sa parole.
Quand il en vient à écrire ses Mémoires Berlioz se sent maintenant libre de dire ouvertement exactement ce qu’il pense de Costa: il lui reproche une fois de plus de corriger les partitions des maîtres (chapitre 16), ajoute foi à l’insinuation que Costa aurait été mêlé à la cabale contre Benvenuto Cellini à Covent Garden en 1853, ce que Berlioz n’a jamais fait avant (chapitre 59), et le présente comme un adversaire jaloux de son talent de chef d’orchestre: ‘Il en est de même à Londres [sc. qu’à Paris], où M. Costa me fait une guerre sourde partout où il a le pied’ (Post Scriptum de 1856).
Davison, James William (1813-1885; portrait), critique musical qui écrit pendant bien des années pour The Times et The Musical World et deviendra l’un des meilleurs amis de Berlioz à Londres. On possède plus de lettres de Berlioz adressées à lui que pour n’importe quel des autres connaissances de Berlioz à Londres (22 sont connues, pour les années 1848 à 1864). Ceci pose en soi plusieurs questions. À l’encontre de nombre de ses contemporains, tels Hallé et Ganz (pour ne pas citer Berlioz lui-même) Davison ne rédigera malheureusement pas ses souvenirs. Mais il laissera un grand nombre de documents et de lettres, et après sa mort son fils Henry, s’appuyant sur cette documentation, établira un récit de la carrière de son père qu’il publiera bien des années plus tard sous le titre From Mendelssohn to Wagner (Londres, 1912). Avec une seule exception (CG no. 1468) toutes les lettres connues de Berlioz à Davison viennent uniquement de ce livre, et il semble qu’on ne sache pas où se trouvent maintenant les originaux (toutes ces lettres sont reproduites sur une page séparée sur ce site). Sauf pour cette publication la correspondance de Berlioz avec Davison serait donc presque entièrement perdue. Il y a d’autres incertitudes: on ne sait si Davison gardait systématiquement toutes les lettres qu’il recevait de Berlioz, ni si son fils a publié systématiquement toute leur correspondance. Deux des lettres de Berlioz ne sont citées que partiellement (CG nos. 1212, 1730). Des lettres écrites par Davison à Berlioz une seule est reproduite en partie (CG no. 1855), alors que le livre contient un bon nombre de lettres de Davison à d’autres correspondants. L’image qu’on a de la correspondance entre les deux hommes est donc presque certainement incomplète. On ajoutera aussi que l’interprétation que Henry Davison donne des documents qu’il utilise et présente est parfois sujette à caution.
Seul parmi les correspondants de Berlioz à Londres Davison et Berlioz se tutoyent à partir de 1852, ce qui place Davison en compagnie d’un petit groupe d’intimes (qui comprend entre autres Liszt et Joseph d’Ortigue), avec lesquels Berlioz visiblement devient très lié. ‘Les témoignages d’affection de certains amis me sont bien nécessaires, et voilà pourquoi tu ferais une bonne action en m’écrivant’ écrit-il dans une de ses dernières lettres à Davison (CG no. 2695, 5 février 1863), et il poursuit:
[…] Oh! je voudrais te voir et causer à cœur ouvert avec toi; j’ai été bien longtemps à te connaître, et je te comprends maintenant. J’aime tant ton excellente nature d’artiste et d’homme! On m’a tant accusé d’être intolérant et passionné que je suis tout sympathie pour la passion et l’intolérance. Les êtres qui m’inspirent une antipathie insurmontable sont les raisonneurs froids qui n’ont ni cœur ni entrailles, et les fous qui n’en ont pas davantage mais qui manquent en outre de cerveau […]
Rien au début de leurs rapports ne laisse pressentir cette chaleur à venir. Les deux hommes se rencontrent sans doute pour la première fois à Bonn en août 1845 à l’occasion du festival en honneur de Beethoven: dans son rapport Berlioz cite son nom, avec ceux de Chorley, Gruneisen et Hogarth. En décembre 1846 Davison est à Paris pour la première exécution de la Damnation de Faust, et condamne l’œuvre dans deux articles écrits un peu à la légère, d’un genre qu’il a malheureusement l’habitude de décocher contre des compositeurs dont l’esprit novateur provoque sa méfiance (The Times, 23 décembre; The Musical World, 26 décembre). Parmi ses nombreuses victimes on comptera Schumann, Liszt, Verdi et Wagner, et seul Mendelssohn mérite son approbation. On ne sait si Berlioz rencontre Davison à cette occasion ou s’il aura jamais connaissance de ces comptes-rendus. Il enverra par la suite la grande partition de l’œuvre à Davison (CG nos. 1780, 1788, en 1854), ce qui n’empêchera pas Davison de dénigrer Faust de nouveau quelques années plus tard (The Musical World, 20 juin 1863). Les deux hommes se rencontrent à nouveau en septembre 1847 quand Davison vient à Paris (Davison [1912], p. 87), et se connaissent donc bien avant le départ de Berlioz pour Londres en novembre (CG no. 1185). En décembre Davison accompagne Marie Recio dans son voyage de Paris à Londres où elle rejoint Berlioz pour quelques jours et assiste à la soirée d’ouverture de Drury Lane (Davison [1912], p. 88). D’après la correspondance de Berlioz datant du premier séjour à Londres ses rapports avec Davison sont à ce moment cordiaux mais encore hésitants. Ils ne se tutoient pas encore. Berlioz semble voir en Davison un critique influent dont il voudrait gagner les bonnes grâces. ‘Aidez-moi seulement, et reportez sur moi un peu de l’intérêt que vous portiez à Mendelssohn’ lui écrit-il dans la première lettre connue à Davison, pendant les préparatifs pour son premier concert à Londres (CG no. 1166, 21 janvier 1848). Mais comme il confie à Auguste Morel ‘Je ne sais ce qu’il [Davison] pense au fond; avec des opinions comme les siennes il faut s’attendre à tout’ (CG no. 1173, 12 février). D’où le soulagement de Berlioz quand Davison publie le même jour un article dans le Musical World où il loue sa direction d’orchestre et sa courtoisie avec les musiciens: ‘[Votre article] est écrit dans le sens qui peut m’être le plus utile et j’y vois de votre part des dispositions amicales dont je suis bien touché et reconnaissant’ lui écrit-il (CG no. 1175; sur l’article de Davison cf. Rose [2001], p. 169-70). À court d’argent du fait de l’anéantissement de ses espoirs pour Paris il se tourne vers Davison avec une demande de publication d’articles dans The Times, dont Davison ferait la traduction lui-même, et dans son Post-Scriptum il fait appel de nouveau à l’admiration de Davison pour Mendelssohn (CG no. 1187, 17 mars). Davison ne semble pas avoir relevé la proposition, mais le mois suivant, d’après Berlioz, il se joint à Beale et au critique Charles Rosenberg pour essayer de pousser la Philharmonic Society à inviter Berlioz (CG no. 1191, 24 avril), mais sans résultat. Il faut attendre juillet et le retour à Paris pour voir Berlioz de nouveau en rapport avec Davison. Un bref extrait d’une lettre évoque l’état déplorable de la musique qu’il trouve à Paris après son retour (CG no. 1212). Puis le 26 juillet Berlioz publie dans le Journal des Débats (p. 1; CM VI p. 356) une lettre ouverte à Davison en tant que rédacteur du Musical World, dans laquelle il lui envoie un article sur la réouverture de l’Opéra avec cette invitation: ‘Traduisez-le et insérez-le dans votre feuille, si vous trouvez qu’il en vaille la peine’. L’article conclut avec une appréciation flatteuse de la mise en scène à Covent Garden des Huguenots de Meyerbeer: ‘Les admirateurs de Meyerbeer ont été bien heureux d’apprendre que son chef-d’œuvre, si médiocrement exécuté à l’Opéra de Paris depuis plusieurs années, avait pu, grâce à Mme Viardot-Garcia, à Mario, au magnifique orchestre et aux chœurs de Covent-Garden, renaître plus jeune et plus brillant que jamais, et exciter des transports qu’on ne connaît plus sur le continent’. Berlioz songe évidemment à un éventuel retour à Londres, mais Davison ne semble pas avoir saisi la balle au bond (il n’est pas question de cet épisode dans Davison [1912]). Au cours des deux années suivantes on relève plusieurs mentions de Davison dans des lettres de Berlioz à d’autres correspondants, mais rien ne laisse supposer que Berlioz ait eu des nouvelles directes de Davison pendant cette période (CG nos. 1263, 1284, 1294). Les relations établies en 1848 semblaient devoir mener nulle part.
Aucun contact entre Berlioz et Davison ne semble attesté au cours du séjour de 1851; il n’a pas de lettres connues pour cette année, et Berlioz ne fait aucune mention de Davison dans les cinq feuilletons sur Londres qu’il écrit pour le Journal des Débats (alors qu’Ella, par exemple, est mentionné). Bien entendu il semble peu probable qu’il n’y ait eu aucune rencontre entre eux à cette époque. Avec 1852 la documentation reprend et on observe maintenant un changement surprenant dans leurs relations: à partir de cette année ils vont se tutoyer. C’est certainement le cas dans une lettre du 11 septembre dans laquelle Berlioz dit avoir dédié à Davison son ouverture du Corsaire qui vient d’être publiée, dont il lui envoie un exemplaire (CG no. 1514; cf. 1730, 2177). C’est peut-être aussi le cas quelques mois plus tôt (CG no. 1468; 1475, écrit en anglais, n’ajoute rien). On ignore ce qui est à l’origine de cette chaleur nouvelle dans leurs relations; on remarquera que le nom de Davison n’est pas mentionné dans la correspondance de Berlioz en rapport avec l’invitation pour diriger la New Philharmonic Society, dont l’initiative semble remonter à Beale. Davison publie des comptes-rendus élogieux des concerts de Berlioz dans le Times et le Musical World, notamment le concert d’ouverture du 24, la neuvième symphonie de Beethoven le 12 mai, et l’exécution de la Symphonie italienne et du concerto pour violon de Mendelssohn le 28, mais presque toute la presse de Londres fait de même. L’année suivante Davison manifeste son soutien au concert du 30 mai (CG no. 1601) dont il fait un compte-rendu très favorable dans le Musical World du 4 juin (Rose [2001], p. 181) et dans le Times: ‘Cela prépare à merveille la grande affaire de Covent-Garden’ lui écrit Berlioz (CG no. 1602; dans le Musical World Davison avait auparavant fait écho au succès de Benvenuto Cellini à Weimar). On raconte qu’après la désastreuse première à Covent Garden Davison aurait été le seul invité à tenir compagnie à Berlioz au dîner de célébration organisé à l’avance (Rose [2001], p. 185). De concert avec de nombreux critiques et musiciens il fait partie du comité qui tente d’organiser un concert pour Berlioz après l’échec de l’opéra (cf. CG no. 1616, 7 juillet, adressé au rédacteur du Musical World). De retour à Paris Berlioz prend soin de mentionner avec éloge le nom de la pianiste Miss [Annabella] Godard, élève de Davison, parmi les musiciens de Londres qui sont occupés avec la saison de concerts (Journal des Débats 26 juillet, p. 2, repris dans les Grotesques de la musique en 1859). Elle devait épouser Davison en 1859.
Dans la correspondance de 1854 on voit Berlioz se sentir de plus en plus proche de Davison. En août il lui suggère d’appuyer sa candidature à l’Institut en écrivant à Auber, mais Davison se récuse et Berlioz ne sera de toute façon pas élu (CG nos. 1780, 1788). En décembre il tient à informer Davison du succès de l’Enfance du Christ: ‘Il faut que je te dise que l’Enfance du Christ a obtenu, dimanche dernier, un succès extraordinaire (pour Paris surtout). Je t’écris cela non pas pour que tu le dises, mais seulement pour que tu le saches et parce que je suis sûr qu’il y aura plaisir pour toi de l’apprendre. Tu me manquais dans cette salle en émotion…’ (CG no. 1844, 15 décembre). Quelques jours plus tard il se trouve entraîné à l’improviste dans une dispute avec Davison à propos d’un compte-rendu du Journal des Débats (25 novembre, p. 2) dans lequel, contre la recommendation de Davison, il a critiqué ironiquement sa protégée Mlle Cruvelli. Davison prend mal l’affaire, Berlioz plaide un malentendu, et après quelque discussion tout rentre dans l’ordre. On est frappé par la consternation sincère de Berlioz à avoir blessé Davison, et son empressement à être prêt à tout faire, même mentir, pour apaiser son ami (CG nos. 1852, 1855, 1859). Mais Davison, de son côté, n’a pas fait le voyage à Paris pour entendre l’Enfance du Christ. Pas de malentendu de ce genre pendant le séjour de Berlioz en 1855, où il revoit Davison à plusieurs reprises (CG nos. 1977, 1981, 1991), et Davison manifeste son enthousiasme pour les concerts de Berlioz (CG no. 1980; voir aussi 1988). De retour à Paris Berlioz écrit à Davison quelques mois plus tard au sujet de l’organisation de deux concerts qu’il projette à St Martin’s Hall – c’est la première fois, semble-t-il, que l’on voit Davison prendre part personnellement aux préparatifs de concerts de Berlioz à Londres (CG no. 2055, 30 novembre). Le projet n’aura pas de suite.
Suit une vide de plusieurs années dans leurs rapports. On remarquera qu’à l’occasion de l’élection de Berlioz à l’Institut en juin 1856 – enfin – il n’y a pas trace de lettre de félicitations de la part de Davison, alors qu’on en connaît de plusieurs autres amis (entre autres Beale, Ella et Adolphe Samuel). La rencontre suivante a lieu en 1859 quand Davison se rend à Paris au moins une fois et voit Berlioz (CG nos. 2341bis [tome VIII], 2432), sans doute pour la dernière fois. Il semble qu’au fil du temps l’affection de Berlioz pour Davison grandit, ce qui n’est pas le cas au même degré avec Davison. C’est l’époque où le cercle d’amis de Berlioz se rétrécit maintenant qu’il voyage moins à l’étranger. Il y a aussi le fossé qui se creuse entre lui et son vieil ami Liszt, et la question litigieuse de Wagner qui les sépare de plus en plus. Avec Davison du moins, ennemi déclaré de Wagner, le problème ne se pose pas (cf. CG no. 1991 et la documentation sur Davison et Wagner réunie dans Davison [1912]). Mais les contacts connus après 1859 sont rares. Il existe une lettre de recommendation de Berlioz à Davison pour son jeune protégé Théodore Ritter (CG no. 2499, 20 avril 1860). Au début de 1863 Berlioz envoie à Davison la partition chant et piano de Béatrice et Bénédict (‘Je serais bien heureux qu’elle te fît plaisir’), donne de ses nouvelles et exprime le souhait pressant de le voir (CG no. 2695, 5 février). Davison ne semble pas avoir répondu: une lettre du 10 juin lui reproche sa ‘paresse’, son ‘manque de parole’, son ‘manque d’amitié’, son ‘manque de tout’, et pour le ‘punir’ lui recommande un autre pianiste qui est en route pour Londres… (CG no. 2736). Une brève note datée du 29 octobre suggère à Davison de venir à Paris pour la première des Troyens (CG no. 2775). Rien ne prouve que Davison ait fait le voyage. La dernière lettre connue est une autre recommendation, pour un violoncelliste engagé par Ella, avec quelques nouvelles et une invitation: ‘Ne viendras-tu pas passer quelques jours cet été à Paris? Nous ferions des courses à la campagne avec les moins bêtes de nos amis, et même sans amis. Mais tu n’auras pas le temps, pauvre misérable! car c’est surtout pour toi que « the Times » is money’ (CG no. 2854, 22 avril 1864). Il n’y a pas trace d’une telle rencontre. Quand Berlioz meurt en 1869 Davison publie une brève notice nécrologique dans le Musical World (13 mars): il loue chaudement Berlioz pour ses qualités humaines mais il est frappant de constater qu’il évite de se prononcer sur sa musique. Après une amitié de près de vingt ans Davison n’a pas réussi à se convaincre de la grandeur du musicien.
* Note: cette lettre est datée de mars par Davison (1912), p. 87 où l’auteur suppose un court voyage de Berlioz à Paris à ce moment, mais ceci est fondé sur une interprétation erronnée de CG no. 1187; les lettres immédiatement avant et après CG no. 1187 montrent clairement que Berlioz n’a pas quitté Londres en mars. D’après son contenu CG no. 1212 se place évidemment en juillet, après le retour à Paris. Dans CG VIII p. 284 un autre extrait est ajouté au texte de CG no. 1212 mais il vient manifestement de la lettre ouverte à Davison qui précède l’article dans le Journal des Débats du 26 juillet 1848 (p. 1), article que Berlioz mentionne dans une lettre à Liszt du 23 juillet (CG no. 1216). Or le texte de CG no. 1212 qui est reproduit dans Davison (1912) ne se trouve pas dans cet article, et les deux textes cités dans CG VIII p. 284 doivent donc provenir de deux documents différents.
Duchène de Vère, Adolphe (1809-?), personnage peu connu, ami et partisan actif de Berlioz pendant une période qui va au moins de 1849 (CG no. 1281) à 1855 (CG no. 2036) et probablement bien plus longtemps (voir ci-dessous sur une lettre de Marie Recio datant de 1858). On ne sait quand et comment ils deviennent amis, quelle est la profession de Duchène, ni quand il meurt. Il possède une propriété à Boulogne (CG V p. 123-4 n. 1 et p. 715) et un appartement à Londres au 27 Queen Anne Street (CG no. 1411). Il habite souvent Londres (CG nos. 1281, 1448, 2036) et se rend fréquemment à Paris, mais quand son adresse à Paris est donnée c’est toujours l’Hôtel Lafitte (CG nos. 1410, 1653, 1689, 1697), ce qui laisse supposer qu’il n’a pas de résidence permanente dans la capitale. Duchène s’intéresse non seulement aux nouvelles de Berlioz (CG nos. 1448, 1653) mais lui est d’un grand secours à plusieurs reprises. En 1851 Berlioz loge au 27 Queen Anne Street, l’adresse de Duchène (CG no. 1411; cf. 1415, 1417, 1419, 1421, 1422) et l’année suivante il demande à Duchène de l’aider à trouver un logement à Londres (CG no. 1448). En septembre 1855 Berlioz entretient une correspondance suivie avec Duchène à Londres sur la possibilité d’organiser un concert à Sydenham (CG no. 2036). Duchène semble s’intéresser particulièrement au Te Deum. Fin 1849 il s’emploie activement à essayer de faire jouer le nouvel ouvrage à Londres (CG no. 1281). En novembre 1853 Berlioz lui écrit de Brême et l’interroge sur les possibilités d’une exécution du Te Deum à Paris (CG no. 1653). Quand l’ouvrage est finalement joué pour la première fois le 30 avril 1855 Duchène et le facteur d’orgues Ducroquet fournissent sous contrat une garantie de 2,000 et 1,000 francs chacun pour l’exécution (le contrat est reproduit dans CG V p. 715-16). Duchène rend aussi service à Berlioz à d’autres occasions (voir CG nos. 668, 1892bis et ter [tous deux dans le tome VIII], 1907). Un lien de plus entre eux est la femme anglaise de Duchène (Isabelle Ann Hood), qui est visiblement très liée avec Marie Recio (CG nos. 1448, 1653). Il existe une lettre de Marie Recio à Mme Duchène, datée du 2 juillet 1855 pendant le dernier voyage de Berlioz à Londres, qui donne des nouvelles détaillées de leur séjour; le texte de la lettre est reproduit intégralement dans CG V p. 123-4 n. 1. Une autre lettre de Marie Recio, cette fois à Adolphe Duchène, date de 1858; elle se trouve à la Bibliothèque nationale de France et est reproduite sur ce site.
Ella, John (1802-1888; portrait), violoniste et critique musical, il écrit pour le Morning Post, The Athenæum et The Musical World. Il est partisan de Berlioz de longue date: en 1838 il publie dans le Musical World un article qui attire l’attention sur lui. Berlioz ne semble pas l’avoir rencontré avant 1848 pendant son premier voyage à Londres, mais ils deviennent alors amis à vie. Leur correspondance connue se réduit à peu de chose et ne donne pas une idée satisfaisante de leur intimité. Cela s’explique sans doute en partie par le fait qu’Ella est moins bien placé que d’autres pour aider Berlioz à Londres: il n’est pas éditeur ou impresario (comme l’est Beale), ni parmi les critiques les plus influents de Londres (comme le sont Chorley et Davison), ni directeur d’un théâtre lyrique (comme le sont Gye et Lumley), ni à la tête d’une des grandes sociétés philharmoniques (comme le sont Hogarth et Wylde). Ella est connu et célèbre avant tout comme le fondateur et directeur de The Musical Union, société consacrée à l’exécution de musique de chambre et instrumentale, domaine pour lequel Berlioz ne compose pas. Mais Berlioz est de longue date amateur de musique de chambre et parle avec chaleur d’Ella et de la Musical Union dans son premier rapport sur les institutions musicales de Londres dans le Journal des Débats (31 mai 1851; le passage concernant Ella est un de ceux repris l’année suivante dans les Soirées de l’orchestre). Deux des lettres connues de Berlioz à Ella concernent précisément des recommendations pour des musiciens du continent qui veulent se produire aux concerts de la Musical Union (CG nos. 2119, 2730) et des allusions dans d’autres lettres, la dernière de 1864, laissent supposer que Berlioz en écrit beaucoup du même genre à Ella (CG nos. 2142, 2854). Citons par exemple celle-ci à propos du pianiste hollandais Heinrich Lübeck (CG no. 2119; 16 avril 1856):
[…] Son talent est tout à fait extraordinaire, non seulement par un méchanisme prodigieux mais par un style musical excellent et irréprochable. C’est la verve unie à la raison, la force unie à la souplesse, c’est brillant, pénétrant et élastique comme une lame d’épée.
M. Lubeck désirerait se produire dans vos matinées de Willis’s Room et je crois que vos habitués vous remercieront de lui en fournir l’occasion. […]
La première lettre connue de Berlioz à Ella (un extrait seulement) date de 1851 et évoque l’impression profonde faite sur Berlioz par le Charity concert à St Paul’s (CG no. 1416, 9 juin):
[…] J’avais lu il y a plusieurs années ce que M. Fétis a écrit sur cette cérémonie; je m’attendais donc à quelque manifestation remarquable, mais la réalité a dépassé de beaucoup les promesses de mon imagination. C’est la chose la plus extraordinaire que j’ai vue et entendue depuis que j’existe […]
La visite de Berlioz à Londres en 1852 est l’occasion pour lui d’adresser un compliment élégant à Ella: il publie cette année-là La Fuite en Egypte (qui deviendra par la suite la 2ème partie de l’Enfance du Christ) et l’édition française est dédiée à Ella (de même que l’édition anglaise publiée à Londres en 1856 dans la traduction anglaise de Chorley). Il publie aussi à Londres une lettre ouverte à Ella où il explique la mystification malicieuse qu’il s’est permise à Paris en faisant passer auprès du public le chœur central L’Adieu des bergers à la Sainte Famille pour l’œuvre d’un ancien maître imaginaire, Pierre Ducré. La lettre, publiée d’abord le 18 mai dans le bulletin de la Musical Union, puis deux jours plus tard dans le Musical World, sera ensuite publiée à Paris à la fin du mois; plus tard, en 1859, Berlioz la reprendra dans les Grotesques de la musique.
Comme on peut s’y attendre, Ella fait partie du comité créé fin juin 1853 pour organiser un concert pour Berlioz après l’échec de Benvenuto Cellini à Covent Garden. La même année Berlioz cite Ella parmi une série de musiciens qui sont occupés sans relâche à donner des concerts à Londres (Journal des Débats, 26 juillet 1853, p. 2; repris dans les Grotesques de la musique en 1859). Une lettre de 1854 nomme Ella, en compagnie de Davison et Benedict, parmi les amis les plus proches de Berlioz à Londres (CG no. 1770, 22 juin). Une autre lettre de 1854 (datée du 3 novembre), cette fois d’Ella en personne à Hallé, parle d’une visite récente à Paris (texte cité par Hallé [1896], p. 249-50):
[…] J’ai vu Chorley et Davison à Paris, et je me suis entretenu longuement avec eux séparément. J’étais l’un de quatre témoins au mariage de Berlioz, et je suis heureux de dire qu’il est de meilleure humeur, avec seulement une femme à entretenir. […]
L’allusion est au mariage de Berlioz avec Marie Recio le 19 octobre, plus de sept mois après la mort de Harriet Smithson. D’autres visites d’Ella à Paris pour rendre visite à Berlioz sont attestées, la dernière en septembre 1863 (CG nos. 2006bis [tome VIII], 2768). Une autre lettre de Berlioz mentionne une visite à Ella pendant le séjour de 1855, à l’occasion duquel Ella fait à Berlioz un cadeau cher à son cœur: un exemplaire des œuvres de Shakespeare (CG no. 1991). Mais sans doute le témoignage le plus éloquent de leur amitié est la lettre de félicitations adressée par Ella à Berlioz à l’occasion de l’élection de Berlioz – après bien des tentatives – à l’Institut (CG no. 2142; l’original est en anglais mais seule la traduction française est disponible):
Mon cher, bon Berlioz,
Ce jour sera, je pense, le plus brillant de ma vie, la grande Salle de Willis sera bondée d’amateurs, et si quelque chose pouvait encore remplir de joie mon cœur en cette mémorable occasion, c’est d’avoir le bonheur de vous féliciter pour la justice que la France a rendue, sur son propre sol, à l’un des hommes que j’aime le plus!
Mad. Viardot m’a prêté hier La Gazette Musicale, et j’ai couru chez mes imprimeurs pour insérer l’annonce dans mon sommaire. J’ai envoyé le même texte au Globe, et au Post; et dans ces deux journaux, « l’honneur » est porté au crédit de la France.
Ma saison est la meilleure que j’ai jamais eue. Ma souscription est de 100 £ plus élevée que l’an passé. En mars, je n’avais pas entendu parler de célébrité venant à Londres, j’ai donc engagé Hallé pour quatre matinées, et après le brillant début de Mad. Schumann, je l’ai engagée pour le reste de la saison. A peine avais-je terminé mes engagements qu’une armée de pianistes est arrivée à Londres… tous trop tard, et inférieurs à Hallé et Schumann. […]
Ernst, Heinrich (1814-1865; portrait), compositeur et violoniste virtuose allemand, émule de Paganini. Il rencontre Berlioz à Paris au milieu des années 1830 et les deux hommes deviennent amis à vie: ‘C’est un des artistes que j’aime le mieux et dont le talent m’est le plus sympathique’ écrit Berlioz à Morris Barnett en avril 1849 (CG no. 1260).
Ernst fait un premier et bref séjour à Paris en 1831, au moment où Berlioz se trouve en Italie. Après avoir poursuivi ses études Ernst revient à Paris vers la fin de 1834 pour commencer une carrière de violoniste. D’emblée il retient l’attention de Berlioz qui dès lors va en parler souvent dans ses feuilletons à propos de ses concerts à Paris ou de ses tournées à l’étranger. Son talent impressionne Berlioz, et à en juger par ses remarques critiques, Ernst va rapidement faire mûrir son jeu et prendre sa place dans l’opinion de Berlioz et de bien d’autres parmi les premiers violonistes de son époque (CM I p. 480; II p. 2-3 and 443-4; III p. 342 [Débats, 10 décembre 1837], 362; IV p. 156 [Débats, 14 septembre 1839], 252, 424, 431, 478, 506, 531, 601 [Débats, 18 décembre 1841]; V p. 223-4 [Débats, 13 novembre 1842], 234; mentions ultérieures dans le Journal des Débats 27 janvier et 22 juillet 1852; 7 janvier, 9 février et 17 mars 1853; 3 mars 1863). Berlioz adresse la cinquième de ses dix Lettres du Premier voyage en Allemagne à Ernst (Journal des Débats, 12 septembre 1843; repris plus tard dans les Mémoires). La lettre commence par les conseils donnés par Ernst à Berlioz sur l’organisation de son voyage outre-Rhin. Ernst lui-même est grand voyageur: ‘Liszt, Ernst et moi nous sommes, je crois, parmi les musiciens, les trois plus grands vagabonds que le désir de voir et l’humeur inquiète aient jamais poussés hors de leur pays’ écrit Berlioz dans une des lettres concernant sa deuxième tournée en Allemagne; il fait allusion ici à sa rencontre avec Ernst à Vienne en 1846 (Journal des Débats, 5 septembre 1847; repris plus tard dans les Mémoires). Dans un autre passage des Mémoires (chapitre 59) Berlioz évoque une autre rencontre avec Ernst en 1847 (cf. CG no. 1095):
[Ernst] était en effet arrivé à Saint Pétersbourg le même jour que moi. Nous nous rencontrâmes en Russie par hasard, comme nous nous étions déjà trouvés ensemble auparavant à Bruxelles [à l’automne de 1842], à Vienne, à Paris; et comme nous nous sommes depuis lors rencontrés de nouveau en d’autres endroits de l’Europe où les divers incidents ou accidents de notre vie d’artiste semblent avoir noué les liens que la sympathie avait déjà établis entre nous. J’éprouve pour lui la plus vive et la plus affectueuse admiration. C’est un si excellent cœur, un si digne ami, un si grand artiste!
Peu de lettres de Berlioz à Ernst ont survécu (il n’en existe pas d’Ernst à Berlioz), mais elles se font remarquer par leur chaleur et leur ton détendu (CG nos. 1095, 1263, 1284, 1291, 1294, 1582, 2204). Il en est de même de la seule lettre connue de Ernst à Berlioz, qui date de mai 1849 quand Ernst donnait un concert à Londres (NL no. 1262bis, p. 340-2). L’éloge que fait Berlioz d’Ernst dans le passage des Mémoires cité ci-dessus est sans réserve. Entre eux c’est d’un bout à l’autre une amitié sans nuages et libre d’arrière-pensées, à l’encontre de celle entre Berlioz et Liszt, l’homologue d’Ernst.
Ernst se rend à Londres pour la première fois en 1843 et y retourne souvent par la suite. Il y revient tôt en 1847 et Berlioz dans une lettre à Morris Barnett saisit l’occasion de lui recommander Ernst (CG no. 1260, 28 avril). Le mois suivant, en réponse à une lettre d’Ernst à Londres donnant de ses nouvelles, Berlioz envoie les siennes et ajoute ‘J’avais écrit à Maurice Barnett la semaine dernière à votre sujet; le connaissez-vous? Il rédige le Morning Post; c’est un excellent homme. Comment va Hallé? et Davison? et ce fou de Vivier?…’ (CG no. 1263, 8 mai). La lettre donne l’adresse d’Ernst comme étant 38 Great Malborough Street, alors que la suivante donne l’adresse de 12 Margaret Street, Cavendish Square (CG no. 1284, 3 décembre 1849), adresse qu’Ernst occupe toujours en juin de l’année suivante (CG no. 1333, à Stephen Heller). La lettre de décembre 1849 est en fait plusieurs lettres en une seule, de ton enjoué, adressées à Ernst, Hallé et Heller, avec salutations à d’autres amis communs à Londres (Davison, Barnett). Ernst avait l’intention de retourner à Paris mais est retenu à Londres (CG nos. 1291, 1294) où il se trouve toujours en juin 1850 (CG no. 1333). Il est de nouveau à Londres en 1851, puisque Berlioz le nomme comme premier violon du quatuor organisé par la Beethoven Quartet Society (Journal des Débats 31 mai 1851, p. 1; repris dans les Soirées de l’orchestre, chapitre 21). En fait Ernst avait déjà joué avec ce quatuor en mai 1850. Il est à Londres encore une fois en 1855, quand Berlioz et Marie Recio lui rendent visite à domicile (CG no. 1991), quelques jours avant qu’Ernst joue la partie d’alto dans Harold en Italie au concert de Berlioz du 4 juillet (CG no. 1999). C’est une partie qu’il a déjà jouée au moins trois fois, à Bruxelles (26 septembre 1842), St Pétersbourg (5 mai 1847) et Francfort (20 août 1853; en 1853 il se produit aussi au premier concert de Berlioz à Bade). La dernière lettre connue de Berlioz lui est adressée à Londres. En réponse à une lettre d’Ernst, Berlioz s’enquiert de l’exécution de l’Enfance du Christ prévue pour mai 1857, et demande à Ernst de s’informer auprès de Beale des préparatifs en cours (CG no. 2204, fin janvier 1857; en l’occurrence l’exécution n’aura pas lieu). C’est le dernier contact connu entre eux. D’ici quelques années l’aggravation de la santé d’Ernst va l’obliger de mettre fin à ses concerts en public et il prendra sa retraite à Nice. En décembre 1864 Mme Ernst invite Berlioz à venir leur y rendre visite; Berlioz ne peut accepter mais l’invitation ravive ses propres souvenirs de Nice (CG no. 2945). L’année suivante elle écrit de nouveau, mais cette fois avec la nouvelle de la mort d’Ernst le 8 octobre, à laquelle Berlioz réagit en ces termes (CG no. 3056, 22 octobre 1865):
[…] Heller m’avait fait savoir la funeste nouvelle et vous pensez quelle part nous avons prise à votre douleur.
J’aimais Ernst, vous le savez, et je l’avais aimé avant que vous le connaissiez. J’en ai laissé la preuve dans un volume de Mémoires que je viens de faire imprimer et où ce trouve une lettre à lui adressée et une appréciation de son talent. Ce livre n’est pas publié et ne sera mis en vente qu’après ma mort; mais on verra ce que je pensais d’Ernst il y a vingt ans.
Ce sera là ma pierre pour son monument. Pour l’autre monument dont vous me parlez, je ne puis en aucune façon aider à l’ériger. Un homme riche comme M. Figdor, par exemple, en souscrivant lui-même le pourrait. Mais les souscriptions partielles ne réussissent jamais à Paris. J’en ai parlé à Brandus et à Dufour et ils sont hautement de cet avis.
Pour moi, qui n’ai ni santé ni argent, je ne puis rien. Heller pas davantage.
J’ai prié d’Ortigue d’écrire quelque chose dans son prochain feuilleton. Nous venons de perdre aussi un artiste de nos amis, le pauvre Wallace, et sa veuve est dans la même position que vous. […]
Ganz: famille de musiciens allemands dont les liens avec Berlioz s’étendent sur une période de trois générations. Berlioz rencontre les deux frères Leopold Ganz (1810-1869; portrait) et Moritz Ganz (1806-1868; portrait) à Berlin en 1843 (cf. CG no. 829) et les mentionne dans son récit de ses voyages en Allemagne qu’il publie la même année et reprend plus tard dans ses Mémoires: ‘Les instruments à archet [à Berlin] sont presque tous excellents; il faut signaler à leur tête les frères Ganz (premier violon et premier violoncelle d’un grand mérite)’. Leopold joue la partie d’alto dans Harold en Italie au concert du 8 avril. Deux ans plus tard, en août 1845, Moritz Ganz assiste au Festival Beethoven à Bonn où il est à la tête des violoncelles dans l’orchestre. Berlioz revoit les deux frères lors de son second voyage à Berlin en 1847 et avant de partir il écrit une lettre de remerciements à Leopold qui existe encore (CG no. 1116). Un troisième frère, l’aîné Adolph Ganz (1796-1870; portrait), qui est chef d’orchestre et joue aussi du violon et de l’alto, va à Londres en 1848 à l’époque du premier voyage de Berlioz et joue dans son concert du 29 juin 1848 à Hanover Square Rooms (CG no. 1206 est une lettre d’invitation à la répétition deux jours plus tôt, adressée par Berlioz aux exécutants; elle existe en deux exemplaires adressés à Ganz, sans doute Adolph et son fils Wilhelm). Adolph se fixe à Londres en 1850 et travaille pendant quelque temps à Her Majesty’s Theatre. Son fils Wilhelm Ganz (1833-1914; portrait), accompagne son père à Londres en 1848 et s’y installe avec lui de manière permanente en 1850; comme son père et ses deux oncles il poursuit une carrière de musicien comme violoniste, organiste et chef d’orchestre, et se fait naturaliser. Il tient un journal qui remonte au temps de son arrivée à Londres en 1848, et utilisant cette documentation ainsi que ses souvenirs écrit tard dans sa vie ses mémoires: Memories of a Musician: Reminiscences of Seventy Years of Musical Life (Londres, 1913). Le livre comprend des citations de son journal et des souvenirs de ses rapports avec Berlioz de 1848 à 1855 (on trouvera toutes les informations concernant Berlioz reproduites sur une page séparée sur ce site). En 1873 Wilhelm Ganz est associé à la direction de l’orchestre des New Philharmonic Concerts avec Henry Wylde, puis devient chef unique en 1879. Sous l’inspiration des concerts où il a joué sous la direction de Berlioz il peut maintenant diriger lui-même des exécutions de ses œuvres. Il raconte avoir dirigé Harold en Italie à son premier concert le 26 mai 1879, qu’il redonne l’année suivante. Le 30 avril 1881 il donne la première exécution intégrale à Londres de la Symphonie fantastique avec un orchestre augmenté, et le 28 mai de la même année Roméo et Juliette. À la troisième génération A. W. Ganz (Alfred Ganz), l’un de ses trois fils, qui n’est pas musicien professionel mais avocat, hérite de l’enthousiasme de son père pour Berlioz et assiste à ses concerts. Inspiré par les souvenirs de son père il entreprend de reconstruire en plus détail l’histoire des séjours de Berlioz à Londres, et tard dans sa vie il publie le résultat de ses recherches dans une livre intitulé Berlioz in London (Londres, 1950). La valeur du livre réside dans la documentation ainsi réunie; il comprend par exemple les programmes complets de presque tous les concerts de Berlioz à Londres (p. 39-40, 68-9, 126, 130, 135, 142, 145-6, 147, 187, 206-7). Mais, lacune de taille, le livre a le défaut majeur d’éviter à dessein toute annotation (p. 10), et le lecteur n’est donc pas en mesure de vérifier la source de telle ou telle affirmation. Le plus étonnant est qu’Alfred Ganz ne mentionne même pas l’existence du livre de son père publié en 1913 qui lui fournit cependant son point de départ. Il cite fréquemment son père et transcrit des extraits de son journal comme s’il s’agissait d’inédits, alors que la plupart de ces citations se trouvent déjà dans le livre de 1913.
Glover, William Howard (1819-1875), compositeur irlandais, chef d’orchestre, ténor, et critique musical du Morning Post de 1850 à 1865; il quittera l’Angleterre pour l’Amérique en 1868 où il meurt. Il reste peu de traces de sa correspondance avec Berlioz, mais les deux hommes s’estiment mutuellement et leur amitié aurait pu s’épanouir si Berlioz était revenu à Londres après 1855. Le premier témoignage de leurs rapports vient d’un compte-rendu enthousiaste de Glover de l’exécution de la neuvième symphonie de Beethoven dirigée par Berlioz à Exeter Hall le 12 mai 1852; selon Glover c’était ‘la meilleure exécution d’orchestre jamais entendue dans ce pays’ (cité par Ganz [1950], p. 143). On ne sait s’ils se rencontrent à cette occasion ou seulement au cours de la visite suivante de Berlioz en 1853. Quoiqu’il en soit, ils sont évidemment en termes amicaux à l’époque des premières exécutions de l’Enfance du Christ à Paris en décembre 1854. Glover fait le voyage de Londres à Paris et écrit (en français approximatif) une lettre chaleureuse sur l’œuvre nouvelle et termine en demandant un exemplaire de la partition pour aider à la rédaction d’un compte-rendu (CG no. 1838, 12 décembre). Berlioz est très touché: dans une lettre du 15 décembre à Davison il dit ‘Glover, qui a entendu la répétition générale et l’exécution, m’a écrit hier une cordiale et ravissante lettre en me demandant la partition, qu’il a à cette heure entre les mains’ (CG no. 1844). Le lendemain, à propos de comptes-rendus à venir de l’ouvrage, il écrit à Liszt: ‘Mais le mieux étudié sera celui de Glover dans le Morning Post, parce que Glover est un musicien distingué et qu’il a écrit avec ma partition sous les yeux’ (CG no. 1848). Quand Berlioz revient à Londres en juin 1855 Glover s’exprime avec enthousiasme sur son premier concert (CG nos. 1980, 1981). Cette fois on dispose de témoignages détaillés sur leurs rencontres à Londres, et Berlioz inscrit au programme de son deuxième concert une cantate de Glover (CG no. 1991). Ils restent en rapport après le retour de Berlioz à Paris, et une courte lettre de Berlioz à Glover en novembre 1855 montre qu’ils se rencontrent à Paris à cette occasion (CG no. 2050). Mais ici le fil de leurs rapports se perd, et Berlioz ne reviendra pas à Londres par la suite.
Gruneisen, Charles Lewis (1806-1879), écrivain et critique, né à Londres d’un père allemand, mais naturalisé; il écrit dans de nombreux journaux de Londres, y compris l’Illustrated London News. Il a évidemment rencontré Berlioz à Paris plusieurs années avant la venue de Berlioz à Londres, et connaît sa musique qu’il admire (à preuve le compte-rendu du premier concert de Berlioz à Londres qu’il publie le 12 février 1845 – voir ci-dessous). Il est un parmi plusieurs critiques et musiciens de Londres qui assistent aux célébrations à Bonn pour Beethoven en août 1845. Il accompagne Berlioz dans son voyage à Londres en novembre 1847 (CG no. 1134). Il subsiste un petit nombre de lettres de Berlioz adressées à lui, datant des années 1848 (CG nos. 1159, 1167 [texte complet dans NL p. 303-4], 1176 [tome VIII avec NL p. 308-9]), 1851 (CG nos. 1404, 1413) et 1853 (CG no. 1563; voir ci-dessous); voir aussi NL p. 336 (date incertaine). Gruneisen est aussi mentionné plusieurs fois dans d’autres lettres du compositeur pour cette période.
Berlioz trouvera en Gruneisen l’un de ses partisans les plus sûrs, non seulement dans la presse mais sur toute la scène musicale de Londres. En janvier 1848 Berlioz demande à Gruneisen d’aider avec la publicité pour son premier concert à Londres (CG no. 1167), et après le concert il le remercie chaleureusement de son compte-rendu: ‘Ah vive les critiques anglais! voilà des gens qui écoutent et qui ne dansent pas sur la phrase comme tant de mes chers confrères de Paris. Le désastre de Drury-Lane me fait éprouver des pertes cruelles et vraiment terribles dans ma position, mais ma joie d’avoir pu me présenter convenablement devant le public anglais efface tout. Vous êtes le seul qui ait dit que mes chanteurs solistes ne savaient pas leurs rôles, et c’est malheureusement la vérité; ils ont à peine daigné les voir une fois au piano avant de répéter avec l’orchestre’ (CG no. 1176, 14 février; cf. 1185: ‘Dieu merci la presse anglaise tout entière s’est prononcée avec une chaleur extraordinaire et à part Davison et Gruneizen je ne connaissais pas un des rédacteurs’). Les termes du compte-rendu dans l’Illustrated London News (12 février) correspondent à la description de la lettre de Berlioz, et indiquent que Gruneisen doit en être l’auteur. Avant son voyage à Londres en 1851 Berlioz écrit à Gruneisen pour lui recommander le facteur d’instruments Adolphe Sax qui allait exposer ses travaux à l’Exposition Universelle (CG no. 1404, cf. 1405, à Barnett). La plus longue lettre connue, datée du 8 février 1853, montre la confiance que Berlioz place en Gruneisen (CG no. 1563): il le remercie de son appui au sujet de la New Philharmonic Society, donne franchement son opinion sur Henry Wylde, parle de son espoir de faire monter Benvenuto Cellini à Londres, donne des nouvelles sur la vie musicale à Paris, et mentionne son voyage à Weimar en novembre 1852. Gruneisen assiste à l’unique représentation de Benvenuto Cellini à Covent Garden en juin 1853 (cf. CG no. 1606), mais on ne sait si le compte-rendu (non signé) de l’ouvrage qui paraît dans l’Illustrated London News du 2 juillet est de lui. Gruneisen fait aussi partie du comité qui tente d’organiser un concert pour Berlioz après l’échec de l’opéra. Après cette date les témoignages de ses relations avec Berlioz cessent, même s’il continue à habiter Londres pendant des années à venir.
Gye, Frederick (1809-1878; portrait), directeur du théâtre de Drury Lane en 1847-8 pendant le premier séjour de Berlioz à Londres (Mémoires chapitre 57, la seule allusion à Gye dans les œuvres littéraires de Berlioz), puis directeur de Covent Garden de 1849 à 1877 (cf. CG no. 1245). Le 13 février 1850 il rend visite à Berlioz à Paris pour négocier sur l’utilisation des récitatifs de Berlioz pour le Freischütz de Weber en vue d’une mise en scène à Londres (cette information vient du journal de Gye: voir CG VIII p. 301 n. 1). La correspondance de Berlioz avec lui traite exclusivement de la mise en scène de Benvenuto Cellini à Covent Garden en 1853, et la dernière lettre connue, datée du 26 juin, demande à Gye de retirer l’ œuvre de l’affiche après sa réception hostile la veille (CG nos. 1581, 1583, 1585, 1590 [texte complet dans NL p. 389-90], 1597, 1604bis [dans NL p. 391-2], 1606, 1607). Il n’existe pas de lettre de Gye à Berlioz. Gye est au gré de Berlioz trop peu communicatif, comme Berlioz le dit à Émile Prudent le 9 avril 1853: ‘Quant à M. Gye, il est d’un laconisme d’homme d’affaires, et ses lettres ne me disent rien’ (CG no. 1584). Les allusions à Gye ailleurs dans la correspondance de Berlioz confirment ce verdict: elles sont d’ordinaire d’un ton neutre et s’en tiennent à des questions de fait (par exemple CG nos. 1245, 1572, 1589), mais deux lettres après la chute de Cellini rendent Gye responsable en partie de l’échec en ayant provoqué la fermeture de Her Majesty’s Theatre (CG nos. 1608, 1609). Gye visiblement aime cacher son jeu. Le 10 juillet 1853, de retour à Paris, Berlioz écrit à Liszt: ‘Gye (le directeur de Covent-Garden) a voulu néanmoins garder une copie de ce damné opéra. A-t-il pour plus tard quelque arrière-pensée?… Je l’ignore. En me quittant, il m’a engagé à écrire pour lui une nouvelle partition sur un livret plus dramatique et moins absurde que celui de Cellini… Il faudrait être d’une naïveté Biblique pour accepter cette proposition dans l’état actuel des choses et vu les influences Italiennes existant à Covent-Garden’ (CG no. 1617). L’année suivante, le 16 mai, Berlioz écrit de nouveau à Liszt: ‘J’apprends que Gye a fait figurer sur ses prospectus de Covent-Garden, cet opéra, parmi ceux qui doivent être représentés à Londres cette année. Je ne sais s’il en a réellement l’intention. On ne m’a rien écrit à ce sujet’ (CG no. 1762). C’est la dernière mention de Gye dans la correspondance de Berlioz, et Benvenuto Cellini devra attendre de très nombreuses années avant d’être monté de nouveau à Covent Garden.
Hallé, Charles (1819-1895; portrait), pianiste et chef d’orchestre, né à Hagen (Westphalie) en Allemagne. Tard dans sa vie il rédigera une autobiographie qui sera publiée après sa mort par ses enfants; elle comprend des souvenirs de Berlioz remontant à leur première rencontre à Paris et ajoute des compléments aux autres sources disponibles (Life and Letters of Sir Charles Hallé, Londres, 1896). Tous les passages concernant Berlioz sont reproduits sur une page séparée sur ce site. Sur Charles Hallé voir aussi la page sur Hamilton Harty.
Hallé vient à Paris en 1836; il adapte son nom de l’allemand Karl Halle au français Charles Hallé et fait bientôt la connaissance de Berlioz qui devient son ami à vie. Ses exécutions de musique de chambre et instrumentale à Paris lui valent des notices élogieuses de la part de Berlioz à partir de 1839; ce dernier mentionne Hallé fréquemment dans ses feuilletons (CM IV p. 132 [= CG no. 606] et une série de mentions dans les Débats: 14 février, 12 mars et 23 avril 1841; 13 avril 1842; 17 septembre et 7 décembre 1843; 3 avril 1844; 16 avril 1845; 5 février 1847). Citons par exemple ce compte-rendu d’une exécution en 1842:
Hallé, l’un des premiers pianistes de cette époque où tout le monde joue du piano, s’est fait entendre dans le salon de M. Érard. Il a exécuté d’abord, avec Alard [violon] et l’excellent violoncelliste Franco-Mendès [connu aussi sous le nom de Franchomme], un trio de Mendelssohn dont l’andante et le scherzo surtout m’ont paru admirables. Hallé rend ce genre de musique d’abord avec toute la précision et l’habilité de mécanisme qu’on puisse exiger d’un pianiste, et ensuite avec un sentiment du style propre à chaque auteur, et une intelligence de l’importance relative des traits, des phrases et des divers accords, que les compositeurs rencontrent bien rarement chez leurs interprètes.
Plusieurs allusions dans la correspondance de Berlioz des années 1840 montrent que Hallé fait partie du cercle des amis sde Berlioz à Paris (CG nos. 900, 1038); il exécute un concerto pour piano de Beethoven à un concert dirigé par Berlioz le 19 janvier 1845 (CG no. 937). En août 1845 il accompagne Berlioz aux célébrations en honneur de Beethoven à Bonn, d’après son propre témoignage (Hallé [1896], p. 85-7). L’intention à long terme de Hallé est sans doute de faire carrière à Paris (comme le font Chopin, son ami Heller et d’autres pianistes), mais quand la révolution de 1848 éclate il se voit forcé d’émigrer en Angleterre à la recherche d’une nouvelle carrière; il arrive à Londres en mars pendant le premier séjour de Berlioz qu’il y rencontre (CG no. 1188). Au lieu de s’établir à Londres comme beaucoup de musiciens venus du continent, il va s’installer à Manchester et prend une part très active au développement de la vie musicale de la ville: il fonde un orchestre qui porte toujours son nom. Pendant son séjour à Londres en 1851 Berlioz profite de l’occasion pour rédiger un rapport sur les institutions musicales en Angleterre où il mentionne l’œuvre de Hallé à Manchester (Journal des Débats, 31 mai 1851, p. 1; repris l’année suivante dans la 21ème des Soirées de l’orchestre):
[La Société musicale] de Manchester, dirigée en ce moment par Charles Hallé, le pianiste modèle, le musicien sans peur et sans reproche, est peut-être supérieure aux Sociétés de Londres, si l’on en croit les juges impartiaux. La beauté des voix y est du moins extrêmement remarquable, le sentiment musical très-vif, l’orchestre nombreux et bien exercé; et quant à l’ardeur des dilettanti, elle est telle, que quatre cents auditeurs surnuméraires paient une demi-guinée pour avoir le droit d’acheter des billets de concert, dans le cas très rare où, par l’absence ou la maladie de quelques-uns des sociétaires auditeurs en titre, il leur deviendrait possible de s’en procurer.
Des allusions passagères dans la correspondance de Berlioz montrent que les deux hommes restent en rapport intermittent pendant les années qui suivent (CG nos. 1263, 1284, 2142; voir aussi NL p. 324, en août 1848). Une lettre de Berlioz à Hallé en 1857 (?) donne une appréciation d’un violoniste qui offre ses services pour être premier violon dans l’orchestre de Manchester (CG no. 2205, cf. 2204). Le 25 janvier 1860 Hallé donne avec succès à Manchester une exécution en version de concert de l’Iphigénie en Tauride de Gluck dans une traduction anglaise par son ami Chorley, et écrit ensuite à Berlioz au sujet des parties d’orchestre pour Armide qu’il espère exécuter après (l’histoire est racontée par Hallé [1896], p. 135-40). Berlioz réagit chaleureusement (CG no. 2492, 4 avril 1860):
Je nous félicite du succès éclatant de votre tentative pour révéler Gluck aux anglais. Il est donc vrai que tôt ou tard la flamme finit par briller, si épaisse que soit la couche d’immondices sous laquelle on la croyait étouffée. Ce succès est prodigieux, si l’on songe combien peu l’Iphigénie est appréciable au concert, et combien l’œuvre de Gluck en général est inhérente à la scène. Tous les amis de ce qui est éternellement beau vous doivent, à vous et à Chorley, une vive reconnaissance. […] Veuillez me rappeler au souvenir de Madame Hallé et faire mille amitiés de ma part à Chorley quand vous le verrez.
Berlioz et Hallé se revoient encore à Bade en août 1860, où ils évoquent les deux opéras de Gluck (l’épisode est raconté par Hallé [1896], p. 257-9 qui cite deux de ses lettres à sa femme, en français, de Bade et de Paris). Il n’y pas de témoignage de rapports directs entre eux après cette date, mais Hallé est tenu au courant: il cite une lettre de Heller d’août 1866 qui fait état de la mauvaise santé de Berlioz à cette époque (Hallé [1896, p. 292-3). Après la mort de Berlioz Hallé continue à défendre et jouer la musique de Berlioz, et donne des exécutions de la Damnation de Faust à Manchester et Londres en 1880 et 1882 qu’il redonne par la suite (16 fois en tout, y compris une à Londres en 1892), et en outre l’Enfance du Christ (3 fois), trois des symphonies et cinq des ouvertures (Hallé [1896], p. 167-70, 407-14). La défense de Berlioz par Hallé sera reprise plus tard par Hamilton Harty quand il devient chef de l’orchestre Hallé de 1920 à 1933.
Heller, Stephen (1814-1888; portrait), pianiste, compositeur et critique musical, né à Pesth; il s’installe à Paris en 1838 où il passera le reste de sa carrière. Il rencontre bientôt Berlioz après avoir écrit un article enthousiaste sur la Symphonie fantastique dans la Revue et gazette musicale de Paris (2 décembre 1838), suivi d’un compte-rendu dans la Neue Zeitschrift für Musik. Dans ses feuilletons Berlioz ne tarde pas à faire l’éloge de Heller comme pianiste et comme compositeur, et il le fera à bien des reprises pas la suite (CM p. 132, et de nombreuses mentions dans le Journal des Débats: 13 octobre 1839; 26 avril et 6 décembre 1840; 14 décembre 1841; 30 janvier et 13 novembre 1842; 9 juillet 1843 (fin du compte-rendu); 26 mai 1844; 5 février 1847; 15 décembre 1848; 9 février 1853; 3 janvier 1861; 26 janvier 1863). Les deux hommes resteront très liés jusqu’à la mort de Berlioz en mars 1869. Berlioz le mentionne à plusieurs reprises dans ses écrits: la quatrième Lettre de son Premier voyage en Allemagne lui est adressée, il fait l’éloge du talent de son ami à la fin du chapitre 26 d’À travers chants, et le mentionne aussi au début du dernier chapitre des Mémoires. Heller fait une transcription pour piano de la dernière version pour orchestre de la mélodie La Captive, et aussi une réduction pour piano de la cantate de Berlioz Le Chant des chemins de fer qui avait été exécutée à Lille en 1846; la réduction de Heller sera publiée en 1850. Dix ans après la mort de Berlioz il écrit une lettre ouverte sur Berlioz au critique Eduard Hanslick qui avait rencontré le compositeur à Prague en 1846; la lettre est publiée à Vienne dans la Neue freie Presse (12 février 1879), et en français dans la Revue et gazette musicale de Paris (2 et 9 mars 1879, p. 65-6 et 73-4). On en trouvera le texte français ailleurs sur ce site.
Bien qu’il passe la plupart de sa carrière à Paris il est à Londres en 1849 et 1850, et Berlioz est en rapport avec lui à l’époque (CG nos. 1284, 1294, 1333). Heller est aussi un ami intime d’Ernst et de Hallé, dont l’autobiographie comprend plusieurs lettres échangées avec Heller (en français et en allemand).
Hogarth, George (1783-1870; portrait), musicologue et critique musical du Daily News de 1846 à 1866, et secrétaire de la (Royal) Philharmonic Society de 1850 à 1864. C’est en sa capacité de secrétaire de cette société que Berlioz a affaire à lui et correspond la plupart du temps. De vingt ans plus âgé que Berlioz il représente à ses yeux une génération plus ancienne qui se méfie par instinct de l’esprit novateur qu’il incarne (CG nos. 1477, 1484).
Ils se sont peut-être rencontrés pour la première fois à Bonn en août 1845 à l’occasion des célébrations en honneur de Beethoven: dans le rapport que rédige Berlioz son nom figure aux côtés de ceux de Davison, Chorley et Gruneisen, venus de Londres pour la circonstance. Quand Berlioz se rend à Londres pour la première fois en 1847-8 le début de leurs rapports semble prometteur: Berlioz voit avec plaisir l’excitation de Hogarth à son premier concert le 7 février 1848 (CG no. 1173). Il n’y a pas de témoignage de leurs rapports pendant le séjour de 1851, mais Berlioz est déçu par le changement apparent de ton de Hogarth à l’occasion de la série de concerts qu’il donne en 1852 avec la New Philharmonic Society rivale (CG nos. 1477, 1484).
En 1848 l’attitude de la Royal Philharmonic Society avait paru à Berlioz d’abord empreinte de froideur, notamment du fait de l’hostilité présumée de leur chef d’orchestre Costa (CG no. 1185), et le succès de la New Philharmonic sous la direction de Berlioz en 1852 semblait attiser cette méfiance. Mais désormais la Royal Philharmonic amorce une ouverture vers Berlioz, et il est difficile de discerner les motifs ou individus qui ont pu influencer ce changement graduel. Au début de 1853 Berlioz reçoit de Hogarth une demande de prêt de musique pour l’ouverture du Carnaval romain. En réponse Berlioz prétend que Liszt la détient pour l’instant et ajoute ‘C’est une véritable joie pour moi de savoir cette ouverture entre les mains de M. Costa qui est bien l’homme du monde le plus propre à en faire comprendre le caractère et à lui donner ce fuoco transteverino sans lequel elle ne produit pas le quart de son effet’ (CG no. 1567, 23 février). Le même jour Berlioz avoue la vérité à Liszt: ‘La Société philharmonique de Londres m’a fait écrire hier pour que je lui prête les parties et la partition de l’ouverture du Carnaval. Je viens de répondre que ce paquet était entre tes mains en Allemagne. Pardonne-moi ce mensonge. Je ne vois pas pourquoi je ferais tort à Brandus des 50 fr. que coûterait ce qu’on me demande; et la vieille société Philharmonique est assez riche pour dépenser 2 £’ (CG no. 1568). Une semaine plus tard Hogarth a évidemment accepté l’excuse de Berlioz qui lui promet que la musique est maintenant en route vers lui (CG no. 1571, 3 mars). Pour l’instant il n’est pas encore question d’inviter Berlioz à diriger lui-même.
Au début de mai la position de la Royal Philharmonic Society a évolué: elle offre maintenant à Berlioz de se charger de la première partie d’un concert où il dirigerait sa musique, la seconde étant dirigée par Costa. En réponse Berlioz propose la Symphonie fantastique, encore inconnue à Londres, et Le Repos de la Sainte Famille qui attend sa première exécution, et il ajoute ‘Mais je ne puis vous promettre de faire exécuter cette Symphonie avec une seule répétition; il en faut au moins deux avec l’orchestre complet, et deux laborieuses. Voyez s’il est possible de me les accorder […] Quant au ténor il le faut le meilleur possible sans doute, mais je crois qu’il serait avantageux qu’il chantât en anglais, l’intelligence et la bonne diction des paroles devant beaucoup contribuer à l’effet du morceau’ (CG no. 1596, 4 mai). Une semaine plus tard Berlioz accepte les propositions de Hogarth: ‘Je me conformerai aux usages de la Société Philharmonique, s’il s’agit de Harold et du Carnaval Romain. Avec un aussi admirable orchestre ces deux ouvrages pourront, je l’espère, être bien exécutés avec une seule répétition qu’ils sont déjà connus des artistes’ (CG no. 1598, 10 mai). Le concert aura lieu le 30 mars, avant la première de Benvenuto Cellini et non après, comme Berlioz l’avait demandé (CG no. 1596). Après le concert Hogarth offre à Berlioz en signe de reconnaissance une gratification de £10… (CG IV p. 323 n. 1).
À la suite du concert de 1853 la Philharmonic Society semble maintenant encouragée à faire de nouvelles offres à Berlioz: pendant l’automne et l’hiver sa correspondance fait allusion à ‘une proposition de Londres tellement brillante que je n’y crois pas’ (CG no. 1631; cf. 1633, 1646, 1669, 1683), mais on ne sait si cette proposition émane en fait de la Philharmonic Society. À la fin de 1854 la société décide maintenant d’offrir à Berlioz un contrat pour tous les huit concerts de la saison 1855, offre que Berlioz apprend d’abord de Sainton le 21 décembre (CG no. 1859), et qui est bientôt suivie par une proposition officielle de Hogarth datée du 24 décembre qu’il répète avec insistance le 1er janvier 1855. Mais Berlioz a déjà accepté une offre antérieure de Henry Wylde et de la New Philharmonic (CG no. 1851), et est obligé de s’excuser auprès de Hogarth de ne pouvoir se désister de cet engagement (CG no. 1873, cf. 1867). L’arrière-plan de ces deux offres qui s’excluent mutuellement n’est pas du tout clair, mais il permet d’entrevoit les tensions qui opposent les deux sociétés rivales.
Une fois à Londres en 1855 Berlioz passe l’éponge sur ces tiraillements. Une lettre à Belloni, l’agent de Liszt, donne un aperçu de ses rapports avec Hogarth parmi d’autres au niveau personnel. Berlioz ici réagit à la nouvelle du succès à Paris des Vêpres Siciliennes de Verdi (CG no. 1981, 6 juin):
Je vous remercie des nouvelles brillantes que vous me donnez de la 1ère Représentation des Vêpres; mais je suis désolé de n’avoir pu être témoin de ce succès si cruellement acheté par l’auteur, au prix de tant de tracas, d’inquiétudes et de luttes indignes de lui contre des misérabilités (pour parler comme les Anglais). Enfin voilà Verdi hors du guêpier; du moins pour le moment. J’ai montré votre lettre à Willert Beale qui m’a prié aussitôt de lui communiquer les détails qu’elle contient; ce que j’ai fait. Je viens aussi de la montrer à M. Hogarth qui était, je crois, occupé à écrire son feuilleton du Daily News quand je suis entré. Il a paru fort aise de connaître ces détails le premier. Demain je dîne chez Chorley, j’en ferai autant auprès de lui. J’ai rendez-vous avec Davison lundi; je lui ferai la même communication. Mais M. Hogarth m’a donné à entendre qu’il y a dans une partie de la presse anglaise une espèce de prévention invincible contre Verdi.
Je ne sais quand je pourrai voir Glover, que je veux tâcher de faire revenir de la sienne. […]
Dans une autre lettre deux semaines plus tard on a un autre aperçu de Berlioz et Hogarth évoluant dans la société de Londres (CG no. 1991).
Après le séjour de 1855 les contacts connus entre Berlioz et Hogarth se réduisent à peu de chose: la proposition de 1854 ne sera pas renouvelée. En 1859 la Royal Philharmonic Society offre – un peu tard – à Berlioz de devenir membre honoraire, offre que Berlioz accepte dans une lettre officielle, adressée sans doute à George Hogarth en tant que secrétaire, mais son nom n’est pas prononcé (CG no. 2397, 9 septembre). Quelques années plus tard, en 1864, la Société a une fois de plus l’occasion de manifester à Berlioz sa parcimonie: Hogarth demande un prêt de musique pour Roméo et Julietteen vue d’une exécution à Londres. Berlioz répond poliment: ‘J’ai le regret de ne pouvoir vous envoyer la musique que vous me faites le plaisir de me demander. Elle est, ainsi que toutes mes autres compositions, la propriété de la Société des Concerts du Conservatoire à qui j’ai tout donné l’an dernier’ (CG no. 2848, 28 mars; cf. 2702). Le lendemain dans une lettre à son fils Berlioz est beaucoup moins poli (CG no. 2849). Aucun extrait de Roméo et Juliette ne sera exécuté à Londres par la Société du vivant de Berlioz.
Holmes, Edward (1797-1859), critique musical, il écrit pour l’Atlas et publie une biographie de Mozart en 1845. Il assiste au premier concert de Berlioz à Londres le 7 février 1848, et son compte-rendu dans l’Atlas est tout de suite remarqué par Berlioz, qui écrit à son éditeur Brandus à Paris le 24 février (CG no. 1179):
Je viens de lire la Gazette Musicale et je vous remercie de l’article qu’elle contient sur mon concert. Je m’amuse à rassembler chaque jour les journaux anglais, dont le nombre et la chaleur augmentent. Il n’y a que deux articles de l’Athenæum, écrits précisément par un de mes amis Chorley qui a fait la traduction anglaise de Faust, qui soient louches, incolores et froids. C’est souvent ainsi. Si vous pouviez insérer l’article de l’Atlas que j’ai envoyé à Mme Recio, ce serait d’un grand effet. Je me suis informé du nom de l’auteur, c’est M. Holmes, l’un des premiers critiques musicaux de Londres et que je n’ai encore à cette heure jamais vu. Il était venu, m’a-t-on dit, avec les idées les plus hostiles. J’ai dû écrire un nombre incroyable de lettres aux Editeurs des Journaux pour les prier de remercier de ma part leurs rédacteurs, qui ne signent jamais leurs articles. […]
Et quelques semaines plus tard à d’Ortigue (CG no. 1185, 15 mars):
[…] Tu sais plus ou moins bien le succès brusque et violent de mon concert de Drury-Lane. Il a déconcerté en quelques heures toutes les prévisions favorables ou hostiles et renversé l’édifice de théories que chacun s’était faites ici sur ma musique d’après les critiques tricornues du Continent. Dieu merci la presse anglaise tout entière s’est prononcée avec une chaleur extraordinaire et à part Davison et Gruneizen je ne connaissais pas un des rédacteurs. C’est différent maintenant, les principaux d’entre eux sont venus me voir, m’ont écrit, et nous avons ensemble de fréquentes et très cordiales relations. Il y avait bien longtemps que je n’avais éprouvé une satisfaction aussi vive qu’en lisant l’article de l’Atlas que j’ai envoyé à Brandus et qu’il n’a pas fait traduire. Il est de M. Holmes, l’auteur d’une vie de Mozart extrêmement admirée ici. M. Holmes était venu dans la persuasion qu’il allait entendre des duretés, des folies, des non-sens, etc. […]
Il ressort d’une lettre (en anglais) de Holmes à Berlioz, datant des premiers jours de mars, qu’il avait en fait emprunté à Berlioz la partition du Requiem pour étudier l’œuvre de plus près: il avait été frappé par l’extrait (l’Offertoire) joué au concert du 7 février. ‘Je ne croyais qu’il existât en Europe à l’heure actuelle un esprit capable de traiter le texte ancien du Requiem avec autant de dignité, de solennité profonde et d’originalité’ (NL no. 1184bis, p. 311-12).
À l’automne de 1848 un long article perspicace sur Berlioz paraît dans Fraser’s Magazine, qui bien que non signé pourrait être de Holmes; il est en grande partie reproduit dans Ganz (1950), p. 74-81. On ne sait si Berlioz l’a lu, mais il reste évidemment en rapport avec Holmes après son retour à Paris. Dans une lettre du 30 septembre 1849 on le voit correspondre avec Holmes qui s’intéresse au Te Deum non encore exécuté (CG no. 1281). On n’a pas de témoignage d’une éventuelle rencontre en 1851, mais dans une lettre à Holmes pendant son séjour en 1852 Berlioz reproche à Holmes en badinant ses comptes-rendus (CG no. 1600, 30 mai; texte complet dans NL p. 390):
[…] Vous avez certainement de mauvaises intentions à mon égard… vous voulez me donner de la vanité en écrivant sur moi de si belles choses. Mais je vous pardonne… admirez ma grandeur d’âme! […]
D’après une autre lettre à la même époque Holmes manifeste son désir d’étudier la partition de Harold en Italie (CG no. 1604, 11 juin 1853; texte complet dans NL p. 391). Il assiste à l’échec de Benvenuto Cellini à Covent Garden le 25 juin, et fait partie ensuite du comité qui cherche à organiser un concert pour Berlioz. On peut supposer qu’ils se rencontrent lors du séjour de Berlioz en 1855. Après le retour de Berlioz de Londres Holmes est à Paris pendant l’été ou l’automne, et Berlioz l’invite à dîner, ‘un savant amateur de musique de mes amis (de Londres)’ le nomme-t-il à son correspondant (CG no. 1994). Ils ont certainement l’intention de rester en contact. Écrivant à son éditeur Novello en septembre 1855 Berlioz lui demande d’envoyer ‘ses compliments et amitiés à M. Holmes’ (CG no. 2016), et au début de janvier 1857 indique à son correspondant qu’il vient de recevoir ‘un charmant billet d’Ed. Holmes de Londres. J’avais besoin de cela pour me remonter un peu’ (CG no. 2200). Quelques mois plus tôt l’édition anglaise de l’Enfance du Christ paraît à Londres chez Cramer & Beale dans la traduction de Chorley: la première partie est dédiée à Holmes, et il est vraisemblable que sa lettre à Berlioz en parle. Ici le fil de leurs rapports s’interrompt et la visite à Londres envisagée par Berlioz en mai de cette année n’aura pas lieu, on peut le supposer au grand regret de Holmes. Holmes meurt deux ans plus tard.
Jarrett, Henry (?-1886), corniste éminent, joue dans l’orchestre de Her Majesty’s Theatre en 1852 où il est chargé par son directeur Lumley de gérer et de recruter l’orchestre (CG no. 1457bis, tome VIII). Le rôle de Jarrett est mentionné dans l’announce de la série de concerts qui paraît dans The Times du 15 mars puis dans le compte-rendu du premier concert dans le même journal le 25 mars. Toutes les lettres connues de Berlioz à Jarrett concernent la saison de concerts de Berlioz en 1852 avec la New Philharmonic Society et traitent de questions d’instrumentistes et de répétitions (CG nos. 1466, 1474, 1486, 1487, 1490 [tome VIII]; NL no. 1489ter p. 379). Jarrett est peut-être mentionné aussi dans CG nos. 1514 et 1788, mais dans les deux cas la lecture est incertaine (il n’est pas nommé dans les autres écrits de Berlioz). On le voit sur une lithographie de 1853 qui représente un groupe de musiciens assistant aux réunions de la Musical Union.
Lumley, Benjamin (1811-1875), directeur de Her Majesty’s Theatre de 1841 à 1852 et puis à nouveau de 1856 à 1858. Avant son premier voyage à Londres en 1847 Berlioz semble placer de grands espoirs en lui et chercher à gagner sa faveur, mais leurs rapports tourneront à l’aigre et les conséquences pour les intérêts de Berlioz à Londres seront à long terme défavorables. Rien ne subsiste de leur correspondance, mais un point de départ commode pour étudier leurs relations plutôt ambigües est fourni par une lettre de Berlioz au critique Morris Barnett datée du 28 avril 1849, l’année d’après son premier séjour à Londres (CG no. 1260):
[…] M. Lumley m’a fait envoyer il y a quelque temps un extrait des journaux anglais qui constatent le grand succès de Melle Parodi. M. Lumley est trop bon. Après le feuilleton que je fis pour lui dans les Débats il y a deux ans et dont j’eus tant de peine à obtenir l’insertion je devais compter sur quelque bienveillance de la part de ce sublime impresario. Quand je suis allé à Londres, il m’a envoyé chaque soir un billet pour le Théâtre de la Reine, quand il était vide. J’étais alors utile pour garnir la salle, et dès que Melle Lind eut commencé ses représentations il ne m’a plus été possible d’y être admis. Sans vous, Barnett qui m’avez donné place dans votre loge, je n’eusse pas pu entendre Melle Lind. Si M. Lumley croit que ce procédé-là et quelques autres, dont je ne veux pas vous entretenir, sont convenables de lui à moi il se trompe étrangement.
Je veux bien quelquefois être bon enfant avec les remueurs d’argent, les gens qui spéculent sur le talent des artistes, mais je ne veux pas qu’ils oublient jamais qu’ils ne sont rien eux, que les artistes sont et seront leurs supérieurs en tout temps et en tous lieux, et qu’ils ne doivent pas traiter si cavalièrement les écrivains surtout ceux dont ils reconnaissent avoir besoin car ceux-là sauront parfaitement un jour ou l’autre les remettre à leur place. […]
L’occasion est la visite à Londres de la célèbre cantatrice suédoise Jenny Lind en 1848 (voir aussi CG nos. 1192, 1200). Berlioz l’entend pour la première fois en août 1845 à Bonn, mais au concert et non à l’opéra. Il ressort de cette lettre que Berlioz cherchait à s’attirer les bonnes grâces de Lumley plusieurs mois avant son premier voyage à Londres, à une époque où il songe déjà y aller (CG nos. 1092, 1093). L’article que cite Berlioz paraît dans le Journal des Débats du 5 février 1847 (CM VI, p. 284-5): il mentionne avec éloge le programme publié par Lumley pour la saison de Londres à venir, qui annonce une visite de Jenny Lind, la venue de Meyerbeer pour y diriger en personne son opéra le Camp de Silésie, un nouvel opéra de Mendelssohn, et une foule de chanteurs et de danseurs célèbres. Peu avant Berlioz a déjà inséré dans le Journal des Débats du 24 janvier une mention flatteuse de Lumley en rapport avec le départ de Heinrich Panofka de Paris pour aller travailler à Londres à Her Majesty’s Theatre. Après l’arrivée de Berlioz à Londres plusieurs allusions dans sa correspondance indiquent qu’il suppose que Lumley lui est bien disposé (CG nos. 1162, 1163), mais la lettre citée ci-dessus laisse entendre le contraire.
Pendant son deuxième séjour à Londres en 1851, entre autres représentations à Her Majesty’s Theatre Berlioz assiste au premier opéra du célèbre pianiste Sigismond Thalberg (1812-1871), jadis rival de Liszt, et qui se trouve être un des collègues de Berlioz sur le jury chargé d’examiner les instruments de musique à la Grande Exposition. Il rend compte longuement de l’opéra dans le Journal des Débats (29 juillet 1851, p. 1-2); il loue l’ouvrage avec une certaine tiédeur, mais se montre très dur sur l’invraisemblable confusion qui préside à l’exécution et en conclusion décoche cette flèche à l’adresse de Lumley (p. 2):
Allons, franchement ceci n’est pas digne d’un théâtre de la Reine, et M. Lumley devrait comprendre qu’il est de son intérêt comme de sa gloire que l’état de choses qui peut amener de pareils résultats cesse au plus tôt; car un théâtre lyrique est consacré, ce me semble, à la représentation de compositions où la musique au moins joue un rôle important. Or si l’on ne peut s’y occuper des préparatifs que la musique exige absolument pour être bonne, ni même de ceux nécessaires à la mise en scène et aux décors pour qu’ils puissent concourir utilement à l’ensemble au lieu de le désorganiser, à quoi donc emploie-t-on le temps, l’argent et l’intelligence?… Il vaudrait mieux en ce cas ne jamais annoncer que des répétitions générales, puisqu’on ne peut parvenir à s’assurer de véritables représentations; ou du moins se borner à dire modestement au public: le théâtre de la Reine (ou le théâtre de Covent-Garden, auquel tout ceci peut s’appliquer parfaitement) essaiera de représenter, etc. Restera à savoir si le public, si débonnaire qu’il soit, voudra bien s’accommoder de ces prétendues impossibilités, et s’il continuera de venir chez des hôtes qui n’ont pas le temps de mettre leur maison en ordre pour l’y bien recevoir.
Quelle que soit l’attitude de Lumley envers Berlioz, une lettre de Berlioz à Liszt datée du 23 février 1853 apporte une nouvelle inattendue (CG no. 1568, cf. 1562): ‘il est réellement question de monter Benvenuto à Her Majesty’s theatre, mais il faut pour cela que Lumley soit décidément expulsé par ses créanciers. Et cette opération difficile n’est pas encore terminée’. L’idée de monter Benvenuto Cellini à Her Majesty’s Theatre semble surprenante vu les relations entre Berlioz et Lumley, mais de toute façon elle sera bientôt caduque. La mauvaise gestion de Lumley entraîne l’endettement de son théâtre: la bibliothèque et tous les costumes sont vendus aux enchères, et le théâtre est fermé. Frederick Gye, le directeur de Covent Garden, est directement impliqué dans l’affaire. La mise en scène de Benvenuto Cellini est prise en charge par Covent Garden, mais la soirée d’ouverture le 25 juin 1853 doit faire face à une hostilité organisée, et Berlioz retire immédiatement son œuvre de l’affiche. Ce n’est pas la dernière fois que Berlioz se verra pris dans le feu croisé des animosités personnelles qui divisent la scène musicale de Londres. Dans son feuilleton du 1er juillet 1851 dans le Journal des Débats Berlioz s’est déjà longuement étendu sur la rivalité féroce qui oppose les deux théâtres et leurs directeurs. Ses propos ont une valeur de prophétie: selon Berlioz, l’opposition à Benvenuto Cellini en 1853 serait fomentée en partie par les partisans de Lumley, furieux contre Gye et Covent Garden, responsables à leurs yeux de la déchéance de leur théâtre (CG nos. 1608, 1609, 1610). Après 1853 il n’est plus question de Lumley dans la correspondance ou les autres écrits de Berlioz.
Maretzek, Max(1821-1897), d’origine tchèque, est chef des chœurs à Drury Lane quand Berlioz y est chef d’orchestre en 1847-8. Berlioz le mentionne brièvement dans le récit de son séjour à Londres (Mémoires, chapitre 57), où il le nomme Marezzeck. On ne connaît qu’un petit nombre de lettres de Berlioz adressées à lui (CG nos. 1192, 1201, 1202, 1205). Maretzek devient par la suite impresario aux États-Unis où il aura du succès. Vers la fin de sa vie (1890) il publiera un volume de souvenirs de sa carrière, où il donne un récit détaillé du temps qu’il a passé à Drury Lane sous la direction de Berlioz, avec lequel il a d’excellentes relations. Voyez Rose (2001), p. 160-9.
Osborne, George (1806-1893), pianiste et compositeur irlandais, il étudie à Paris où il vit jusqu’à 1843 avant de s’établir à Londres. Il rencontre Berlioz au cours des années 1830 dont il devient l’ami (CG no. SD 103), mais sans jamais appartenir au cercle de ses intimes, si l’on peut tirer argument de la rareté des mentions de son nom dans ce qui reste de la correspondance de Berlioz. Il est parmi les pianistes qui conseillent Berlioz pour la réduction pour piano de l’ouverture des Francs-Juges (CG no. 472, 8 août 1836). À partir de 1836 Berlioz mentionne fréquemment dans ses feuilletons les concerts d’Osborne à Paris ainsi que ses compositions, d’ordinaire brièvement mais presque toujours avec éloge (Journal des Débats 22 mars 1839; 26 avril 1840; 23 avril 1841; 3 avril 1844; 1er avril 1845; 24 janvier 1847; voir aussi CM II pp. 443-5, IV p. 452). La dixième et dernière des Lettres de Berlioz sur son Premier voyage en Allemagne lui est adressée; publiée d’abord dans le Journal des Débats le 9 janvier 1844 (p. 1-3) elle sera reprise plus tard dans les Mémoires. En 1843 Osborne s’installe à Londres, où il continue sa carrière de pianiste et de professeur de piano. En 1842 et 1843 il prend part au projet d’une traduction anglaise du Traité d’instrumentation de Berlioz qu’il semble avoir entrepris avant son départ de Paris, mais il semble que le projet n’aboutira pas (CG nos. 777bis [tome VIII], 841). Il y a peu de témoignages de ses rapports avec Berlioz après son installation à Londres, mais Berlioz parlera avec éloge d’un concert d’Osborne qu’il entend à Londres dans le Journal des Débats en 1851 (29 juillet, p. 2), et dans un autre feuilleton du Journal des Débats en 1853 (26 juillet, p. 2) il nomme Osborne en compagnie d’une série d’autres musiciens qui donnent constamment des concerts à Londres (ce texte sera repris dans les Grotesques de la musique en 1859). Osborne est membre du comité qui cherche à organiser un concert pour Berlioz après l’échec de Benvenuto Cellini à Covent Garden en juin 1853. La seule lettre connue de Berlioz à Osborne date de 1859, quand Osborne est maintenant membre de la nouvelle Musical Society of London, que Berlioz cherche à dissuader d’exécuter sa Symphonie fantastique sans suffisamment de répétitions (CG no. 2357). On ne sait rien de leurs rapports après cette date.
Panofka, Heinrich (1807-1877), violoniste et compositeur, né à Breslau (Wroclaw). Il s’installe à Paris en 1834, où il rencontre Berlioz et devient son ami (CG nos. 444, 484bis, 485bis [tous deux au tome VIII]). Berlioz rend compte avec éloge de ses concerts et de sa musique (Journal des Débats 10 décembre 1837; CM I p. 479-80; II p. 604; III p. 49-50, 355; IV p. 11). Panofka part pour Londres en 1847 où il devient chef des chœurs à Her Majesty’s Theatre. Le fait est mentionné par Berlioz à la fin d’un feuilleton du Journal des Débats du 24 janvier 1847 (p. 2; CM VI, p. 273), au moment où il prépare le terrain pour un futur voyage à Londres et cherche à concilier Lumley, le directeur de ce théâtre:
Nous avons perdu M. Panofka, l’excellent virtuose-compositeur, que M. Lumley, ce grand séducteur des sommités musicales de l’Europe, nous a enlevé pour lui confier la direction des concerts du théâtre de la Reine. La troupe de M. Lumley est complète aujourd’hui, et quand il nous sera permis de publier les noms des artistes qui la composent, on verra qu’il est à peu près impossible de citer une collection plus riche que la sienne en talents de toute espèce, et que les rivaux de ce directeur habile et hardi auront bien de la peine à lutter avec lui.
Panofka s’orientera ensuite vers l’enseignement du chant à Londres. Il reste en rapport avec Berlioz, comme le montre une lettre du 7 février 1849 dans laquelle Berlioz lui demande de s’occuper de diverses affaires restées en suspens après son premier séjour (CG no. 1245):
[…] Quant à mes affaires avec Jullien, voici ce que vous pouvez faire. Sa banqueroute ayant été déclarée bonne, je n’ai légalement aucun droit à lui rien demander; mais comme il m’a manifesté l’intention de me traiter autrement, et qu’en le quittant l’an dernier il me promit de m’envoyer au moins une partie de ce que j’ai perdu avec lui, vous pourriez le lui rappeler, et lui dire que je suis dans un grand embarras pour qu’il n’attende pas davantage ou plutôt pour qu’il ne me fasse pas attendre davantage.
A ce sujet je vous prierais en outre d’être assez bon pour vous occuper d’une autre affaire dans laquelle Jullien m’a embarrassé. Voici ce dont il s’agit.
Pendant que j’étais chef d’orchestre à Drury-Lane, Jullien me fit écrire à Théophile Gautier pour lui demander un ballet en 2 actes [Wilhelm Meister]; le prix convenu fut de mille francs par acte; Gautier envoya fidèlement à l’époque convenue son manuscrit, il ne fut pas payé et on a gardé le ballet. Je le réclamai en vain avant mon départ, on l’avait égaré et on me promit de me le renvoyer; ce qu’on n’a pas fait. Aujourd’hui M. Gautier me redemande son ballet et il a mille fois raison. Veuillez donc aller trouver M. Gye (cela se prononce Djaie) ex-régisseur de Drury-Lane et ensuite de Covent-Garden (Beale vous dira où il est) et lui demander de ma part le manuscrit que je lui ai remis à l’époque dont je vous parle, et qu’il doit avoir retrouvé maintenant.
Vous m’obligerez beaucoup. Vous voyez quel ordre et quel soin présidaient aux affaires de Drury-Lane…
Mais enfin il n’est pas juste que pour le prix de ma complaisance je sois compromis auprès de Gautier qui d’ailleurs est fort de mes amis et que je suis désolé d’avoir décidé à écrire cet ouvrage. […]
Le ballet de Gautier sera finalement renvoyé, mais Berlioz ne recevra jamais son dû de Jullien. Panofka revient à Paris en 1852; Berlioz rendra compte avec éloge de son livre L’Art de chanter dans le Journal des Débats du 19 décembre 1856 (p. 1). Panofka mourra à Florence en 1877.
Praeger, Ferdinand (1815-1891), pianiste et critique allemand, il s’établit à Londres en 1834 où il est correspondant du Neue Zeitschrift für Musik de Schumann. On ne connaît que trois lettres de Berlioz à Praeger (CG nos. 2162, 3295 et la lettre sans date SD108 [tome VIII]), mais elles supposent qu’ils sont amis pendant des années; ils ont dû faire connaissance à Londres au cours d’un des séjours de Berlioz, mais on ne sait quand. Praeger est partisan de bonne heure de Wagner, mais son amitié avec Berlioz ne semble pas en avoir souffert. Les deux lettres datées de Berlioz sont en réponse à des lettres amicales de Praeger. Dans la première Berlioz répond chaleureusement aux félicitations de Praeger pour son élection à l’Institut en juin 1856. Dans la seconde (datée du 23 octobre 1857) Berlioz remercie Praeger de l’avoir informé d’exécutions de sa musique au festival de Meiningen, et lui parle aussi de son voyage à venir en Russie. La lettre sans date est une invitation à Praeger à rendre visite à Berlioz à son domicile parisien le lendemain.
Sainton, Prosper (1813-1890; portrait), violoniste français né à Toulouse; il s’installe à Londres en 1845 et devient premier violon de l’orchestre de Covent Garden, de l’orchestre de la Royal Philharmonic Society, et des concerts de cour. Berlioz le rencontre sans doute à Paris avant 1845 et l’estime que le lie à Sainton sur les plans personnel et professionel est visiblement partagée par ce dernier. Berlioz est donc heureux de trouver Sainton dans l’orchestre de Drury Lane en 1847 (CG no. 1146). L’année suivante Sainton s’offre pour mener l’orchestre qui joue au concert de Berlioz le 29 juin (CG nos. 1203, 1203bis, 1207) et son nom est cité, avec ceux d’autres musiciens, dans le compte-rendu du concert qui paraît dans l’Illustrated London News du 8 juillet. Après sa première visite à Londres Berlioz reste en rapport avec Sainton comme le montre une lettre de septembre 1850 (CG no. 1345). Après le concert réussi de la Royal Philharmonic Society du 30 mai 1853 Berlioz demande expressément à son éditeur Brandus à Paris de faire mention dans un compte-rendu de Sainton ‘qui a joué supérieurement l’alto solo dans Harold’ (CG no. 1601). Avant son retour à Paris le 9 juillet Berlioz s’excuse auprès de Sainton de ne pouvoir accepter son invitation, mais il le remercie avec d’autres pour le généreux soutien qu’ils ont donné après l’échec de Benvenuto Cellini à Covent Garden (CG no. 1613). Sainton est mentionné parmi les musiciens actifs à Londres dans un feuilleton de 1853 (Journal des Débats, 26 juillet, p. 2; repris en 1859 dans les Grotesques de la musique). En décembre 1854 c’est Sainton qui informe Berlioz de l’invitation de la Royal Philharmonic Society à assumer la direction de tous les 8 concerts de la saison 1855, invitation que Berlioz, à son grand regret, ne pourra accepter (CG no. 1859). Pendant sa visite de 1855 Berlioz dîne à l’appartement de Sainton à Hinde Street en juin où il aura une longue conversation avec Wagner (ce détail est connu non par Berlioz mais par la correspondance de Wagner). Quant en octobre de la même année Berlioz se propose d’organiser un grand concert au Crystal Palace de Sydenham, Sainton est un des musiciens parmi ceux capables d’aider à mettre un orchestre sur pied dont le nom lui vient à l’esprit (CG no. 2036). Deux lettres de Berlioz à Sainton en janvier 1856 traitent d’un concert que Sainton essaie d’organiser à la Salle Herz en mars avec le concours de la contralto Charlotte Dolby, que Sainton épousera en 1860. Berlioz répond avec des conseils pratiques, mais il ne s’attend pas à être à Paris à ce moment: ‘J’ai reçu bien des politesses et des marques de bonne confraternité des artistes anglais; j’eusse donc été trop heureux de pouvoir être agréable (mais sans termes quelconques) à une personne aussi distinguée sous tous les rapports que Miss Dolby’ (CG nos. 2081, 2082). La dernière lettre connue de Berlioz à Sainton est une brève note annonçant la publication d’un compte-rendu, paru la veille dans le Journal des Débats du 18 février 1859 (p. 3), d’une exécution par Sainton du concerto pour violon de Mendelssohn à Paris (CG no. 2335bis, tome VIII). Citons-en un extrait:
[…] Dans cette séance, illustrée par l’exécution de la merveilleuse idylle de Beethoven [la Symphonie pastorale], on a encore entendu une belle ouverture de M. Fétis, et le concerto de violon de Mendelssohn, exécuté par M. Sainton. Ce virtuose français (M. Sainton est de Toulouse) s’est fixé en Angleterre depuis longtemps. Sa position est très enviée, mais fut noblement acquise. Il est premier violon conducteur (leader) de l’orchestre de Covent-Garden, de celui de l’ancienne Société philharmonique de Hanover square et de celui des concerts de la cour; son nom est populaire, dans la bonne acception du mot, parmi les artistes et les amateurs anglais. M. Sainton est du petit nombre de ces violonistes dont la supériorité se manifeste avec évidence dans tous les genres de musique et dont on apprécie la valeur dans un orchestre comme dans un quatuor et dans le solo. Son jeu est ferme, net, précis autant que brillant et vivement coloré. Il possède un archet d’acier et une main gauche d’une adresse incomparable. Jamais un son douteux ne lui échappe, pas même un son incomplet, mal formé; son staccato est d’une sûreté et d’une égalité imperturbables, ses harmoniques réussissent tous. Le succès de ce grand virtuose à Paris, où le public le connaissait à peine, a été éclatant autant que rapide.
Peu de jours après la matinée musicale des Jeunes Artistes, M. Sainton a donné un concert, et l’accueil qu’il y a reçu de son auditoire nous a paru plus chaleureux encore que celui qu’on lui a fait à sa première apparition; il a été, sans exagération, écrasé d’applaudissements. […]
Silas, Eduard (1827-1909; portrait), pianiste, organiste et compositeur hollandais, il étudie au Conservatoire à Paris et s’installe à Londres en 1850 où il fera carrière comme organiste et enseignant. La correspondance connue de Berlioz avec lui commence seulement en 1855 et se poursuit jusqu’à 1864, donc plus longtemps qu’avec beaucoup des autres connaissances de Berlioz à Londres. On ne sait quand ils se rencontrent pour la première fois, mais il se connaissent déjà à l’époque de la visite de Berlioz à Londres en 1852. Le premier témoignage en est un autographe de Berlioz dans l’album personnel de Silas, daté de mars 1852, pour lequel Berlioz écrit quelques notes de musique:
Le nom de Silas apparaît ensuite dans deux lettres de Berlioz traitant des instrumentistes qu’il lui faut pour les répétitions des concerts de cette saison (CG nos. 1474 et 1486, avril et mai). Berlioz avait demandé à Silas de jouer la partie de cymbales antiques dans le scherzo de la Reine Mab de Roméo et Juliette au premier concert le 24 mars, comme on le sait d’après les souvenirs de Wilhelm Ganz (Ganz [1913], p. 61), une annonce du concert publié le 15 mars dans The Times, et un compte-rendu du concert paru le 25 mars dans le même journal. Au même concert Silas joue aussi la partie de piano dans le Concerto Triple de Beethoven, et au concert du 28 mai il joue son propre concerto pour piano en ré mineur.
L’année suivante Silas assiste à la première de Benvenuto Cellini à Covent Garden le 25 juin 1853 (Ganz [1950], p. 166). On n’a pas de témoignage d’une rencontre entre lui et Berlioz pendant cette saison, mais ils se verront à nouveau au cours de la visite de Berlioz en 1855, quand il fournit une aide à Berlioz pour la correction des épreuves de l’Enfance du Christ (CG no. 1978, 13 juin; cf. 1979). Une lettre de Berlioz à la princesse Sayn-Wittgenstein deux ans plus tard raconte une anecdote à propos d’une exécution d’une sonate pour piano de Beethoven donnée par Silas en personne à la cour de Hollande, que Berlioz appelle ‘un jeune pianiste Hollandais’; l’anecdote a dû être racontée par Silas à Berlioz pendant son séjour de 1855 (CG no. 2206 [voir tome VIII], 1er février 1857). Le jour de son départ de Londres Berlioz s’excuse auprès de Silas de n’avoir pas eu le temps de le voir avant de partir, mais s’arrange pour renvoyer à Silas tous les journaux qu’il lui a empruntés – signe de l’intérêt qu’il porte à la presse de Londres (CG no. 1992, 7 juillet 1855). Plus tard la même année il écrit à Silas pour lui envoyer l’argent qu’il vient de gagner à la loterie à Paris, avec une citation bien choisie de La Fontaine et des conseils spirituels sur la meilleure manière de le dépenser… Sur un plan plus pratique il demande à Silas de passer par le bureau de Beale dans Regent Street pour s’enquérir des progrès de l’édition anglaise de l’Enfance du Christ (CG no. 2024, 20 septembre) – Silas semble s’être encore employé dans la correction des épreuves (CG no. 2086; texte complet dans NL p. 442-3). Trois ans se passent sans contact connu jusqu’en 1859 quand Silas a la prévenance d’informer Berlioz d’une exécution de son ouverture du Roi Lear à un concert de la Musical Society of London – concert au sujet duquel Berlioz a plaidé avec énergie contre une exécution de la Symphonie fantastique sans répétitions suffisantes (CG no. 2362, 16 mars; cf. CG no. 2357). L’année suivante Silas s’adresse à Berlioz en offrant de lui dédier son oratorio Joash; la réponse de Berlioz souligne la différence de leurs points de vue sur les questions de religion (CG no. 2485, 3 mars):
Je suis très flatté de votre intention de me dédier votre oratorio et j’accepte avec reconnaissance l’honneur que vous me faites. Mais votre fils ne doit pas avoir un parrain lointain, ce serait une illusion. Ensuite je ne crois ni ne professe la religion catholique, je proteste même que je n’y crois pas, donc sous ce rapport je suis protestant. Je suis dans le fait Nothingist, comme un tas de braves Américains. Seulement mon Nothingism n’est pas une religion. […]
Quand les Troyens sont finalement exécutés à Paris Berlioz promet d’envoyer la partition à Silas (CG no. 2809, 13 décembre 1863), mais en l’occurrence il ne pourra tenir cette promesse, comme il le dit quelques semaines plus tard dans sa dernière lettre connue à Silas. Berlioz vient de rencontrer un violoncelliste belge en visite à Paris avec qui il parle longuement de Silas et de son oratorio Joash. Il fait de son mieux pour louer l’œuvre dont il est le dédicataire, mais ne peut cacher son peu d’enthousiasme pour le sujet, et critique aussi l’édition: ‘Vous ne vous figurez pas l’effort que j’ai dû faire pour lire une partition gravée avec ces affreuses notes anglaises qui donnent à toute musique un air difforme et lourd…’ (CG no. 2819, 6 janvier 1864). Deux ans plus tard le nom de Silas revient une fois de plus, à l’occasion d’un concours à Louvain adjugé par un jury international dont Berlioz fait partie. Comme il l’écrit à Estelle Fornier ‘j’ai eu le plaisir d’apprendre que le candidat couronné était un jeune Hollandais de mes amis, qui habite Londres et qui est fort pauvre [il s’agit de Silas]. Ce prix de mille francs l’aura donc comblé de joie’ (CG no. 3149, 25 juillet 1866). Les termes de la lettre de Berlioz supposent que Silas n’était pas présent à Louvain pour entendre le résultat, et leur rencontre à Londres en juillet 1855 est donc probablement la dernière fois qu’ils se sont rencontrés.
Tolbecque, Jean-Baptiste-Joseph (1801-1869), violoniste français que Berlioz connaît depuis des années à Paris (CG no. 94; CM III p. 176 [Débats 28 juin 1837]). À l’époque du premier séjour de Berlioz à Londres en 1847-8 il est premier violon de l’orchestre de Drury Lane, et l’un de plusieurs musiciens français et allemands connus de Berlioz et qui lui sont dévoués (CG no. 1146). En janvier 1848 Berlioz est malade et demande à Tolbecque de le remplacer pour diriger une des exécutions du Maid of Honour de Balfe (CG nos. 1159bis [tome VIII] et 1169, datées du 2 janvier et du 28 janvier, mais les deux lettres sont évidemment identiques et la divergence n’est pas expliquée dans CG). En juin pendant qu’il prépare son concert du 29 à Hanover Square Rooms Berlioz lui écrit une lettre embarrassée et plutôt tortueuse pour s’excuser du fait que Sainton a déjà offert ses services pour être premier violon dans l’orchestre (CG no. 1203), mais une autre lettre peu après montre que Tolbecque a accepté avec bonne grâce de jouer de toute façon (voir aussi CG no. 1207). Son nom est mentionné ainsi que ceux d’autres instrumentistes qui ont joué pour Berlioz à cette occasion dans un compte-rendu du concert dans l’Illustrated London News du 8 juillet 1848. CG no. 2036 laisse supposer qu’il joue toujours à Londres en 1855.
Wallace, Vincent (1814-1865; portrait), violoniste, pianiste et compositeur d’origine irlandaise; deux de ses opéras sont montés à Londres en 1845 et 1847. Berlioz le rencontre pendant son premier séjour dans la capitale et est séduit par le côté excentrique de Wallace ainsi par les récits de ses voyages à travers l’empire britannique. Il lui consacre un feuilleton entier (Journal des Débats 31 octobre 1852, p. 1-2) qu’il reprend la même année à la fin des Soirées de l’orchestre (2ème Épilogue). ‘Flegmatique en apparence, comme certains Anglais, téméraire et violent au fond, comme un Américain’, tel serait Wallace selon Berlioz, qui raconte ensuite l’histoire de ses aventures en Nouvelle-Zélande qu’il tient de la bouche même de Wallace au cours d’une de leurs longues conversations à Londres. À la fin de son récit Berlioz mentionne la visite de Wallace à Paris en 1849 où il tombe malade d’une ophthalmie et se trouve incapable d’achever l’opéra que Beale lui a commandé. La correspondance de Berlioz fait allusion à cette visite et comprend une lettre à la sœur de Wallace l’informant de la maladie de son frère et lui transmettant une commission de Wallace pour Beale (CG nos. 1247, 1248). Selon Berlioz, Wallace rentre à Londres puis s’en va à New York où il s’établit ‘sous prétexte qu’il gagne des milliers de dollars par ses compositions de salon dont raffolent les Américains. Il oublie ses amis et ses amies, et se résigne à vivre platement avec des gens plongés dans la plus profonde civilisation’. Berlioz revoit Wallace à Paris quelques années plus tard à l’occasion d’un séjour de ce dernier dans la capitale en 1863, ce qui incite Berlioz à évoquer Wallace et son œuvre dans un de ses derniers feuilletons, où il exprime le souhait de voir monter les opéras de Wallace à Paris (Journal des Débats, 20 mars 1863, p. 2). Mais la mention suivante de Wallace dans la correspondance de Berlioz apporte de bien tristes nouvelles: en janvier 1865 il apprend que Wallace souffre d’une maladie incurable (CG no. 2973) et au mois d’octobre il n’est plus (CG no. 3056).
Wylde, Henry (1822-1890), compositeur et chef d’orchestre, un des fondateurs en 1852 de la New Philharmonic Society. Il fait partie du jury chargé d’adjuger les instruments de musique à la Grande Exposition de 1851, comme on le voit d’après le rapport rédigé plus tard par Berlioz. Pendant la saison 1852 de la New Philharmonic Berlioz a de nouveau affaire à Wylde: Wylde est chef d’orchestre adjoint, et son concerto pour piano est joué au deuxième concert à Exeter Hall le 14 avril 1842, avec Alexandre Billet en soliste. On n’a pas de commentaire de Berlioz sur cette exécution, mais il est évident qu’il se fait une piètre opinion des talents de Wylde en musique: ‘Puisqu’il faut absolument que le Docteur W… soit proclamé un compositeur et un chef d’orchestre du premier ordre, il est clair que je ne puis en aucune façon l’aider à atteindre ce but’ (CG no. 1563, à Gruneisen, 8 février 1853; cf. CG no. 1987). Après la première saison de 1852 Wylde s’oppose au renouvellement du contrat de Berlioz pour l’année suivante, ce qui entraîne la démission du comité de Beale, comme Berlioz l’apprend en décembre (CG no. 1542). D’autres lettres de Berlioz de cette époque mentionnent aussi l’opposition de Wylde: ‘Je ne sais si on réussira à tourner certains obstacles qui viennent de se présenter par le fait d’un docteur Wilde, professeur au Conservatoire, ami d’un millionaire et imitateur de Händel. Je vous ferai savoir le dénouement de cette petite intrigue digne de Paris’ (CG no. 1545, à J.-E. Duchesne, 27 décembre); ‘Il y a un grand tripotage à mon sujet, dans ce moment, à Londres. J’ai dérangé une position officielle l’an dernier, et l’homme qui l’occupe voudrait m’empêcher de revenir; mais j’ai des amis qui s’agitent avec une fureur ravissante. Je suis presque heureux de cet obstacle inattendu, à cause de la preuve qu’il me donne de la chaleureuse amitié qu’a pour moi mon public anglais’ (CG no. 1546, à sa sœur Adèle, quelques jours plus tard; CG no. 1563 ci-dessus). En avril 1853 il constate avec satisfaction les déboires actuels de la New Philharmonic Society: ‘La New Philharmonic Society est en train de faire un four splendide entre les mains de Lindpaintner et du docteur Wilde qui n’a pas voulu absolument que je fusse réengagé cette année. Beale, à cause de cela, s’est retiré’ (CG no. 1582, à Ernst).
L’antipathie mutuelle que Berlioz et Wylde se vouent rend la suite d’autant plus surprenante. Il semble qu’au cours de l’hiver 1853-1854 Wylde adresse à Berlioz une proposition de diriger des concerts à Londres en 1854, mais le projet n’a pas de suite. Puis au début de décembre il fait une autre offre à Berlioz, mais pour deux concerts seulement en 1855, et Berlioz sera exclu de toute participitation aux autres manifestations musicales de cette saison à Londres; Berlioz accepte, mais reçoit bientôt après une offre beaucoup plus intéressante de la Royal Philharmonic Society (CG nos. 1851, 1859). Berlioz écrit à Wylde demandant d’être libéré de son contrat (CG no. 1864, la seule lettre connue de Berlioz à Wylde), mais cette demande est refusée (CG no.1867), et Berlioz se voit obligé de tenir parole. En mars 1855 Wylde offre à Berlioz d’exécuter l’Enfance du Christ aux deux concerts, mais Berlioz refuse sans ambages (CG no. 1928, à Henry Chorley):
[…] Wilde m’a écrit hier que si je voulais, mon oratorio L’Enfance du Christ sera exécuté aux deux concerts du New Philharmonic, dont la direction m’a été confiée. Mais je ne veux pas. J’ai seulement consenti à ajouter s’il le voulait, le fragment de La Fuite en Egypte aux symphonies qu’il avait demandées à l’origine. […]
En l’occurrence même ce fragment ne sera pas joué; Berlioz n’a sans doute pas oublié les difficultés d’exécution qui peuvent se présenter (CG nos. 1980, 1981, 1987). Ses expériences avec les concerts de 1855 laissent supposer que Wylde veut délibérément faire obstacle aux intérêts de Berlioz à Londres, mais dans ce cas il est surprenant que Berlioz se laisse prendre au piège. On ne connaît pas de contacts entre eux après le séjour de 1855. — Bien des année plus tard, en 1889, Henry Wylde donnera une série de quatre conférences à Londres à Gresham College, consacrée à ‘La Vie et le Génie d’Hector Berlioz’; un prospectus donnant un résumé des sujets abordés dans ces conférences est reproduit ailleurs sur ce site, mais il ne révèle pas le ton adopté par le conférencier.
Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; cette page créée le 1er janvier 2009; mise à jour le 1er mars 2009. Révision le 1er juillet 2024.
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