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Les deux morceaux pour orchestre
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Berlioz considérait le Requiem et le Te Deum comme ‘deux frères’ qu’on doit évoquer ensemble (CG nos. 1959, 1961), ce qu’il fait dans ses Mémoires quand il associe les deux ouvrages comme deux exemples du style monumental (voir les deux paragraphes consécutifs du Post-Scriptum). De ce point de vue ils occupent une place à part parmi les œuvres majeures de Berlioz. D’ordinaire Berlioz ne se répète pas, mais s’efforce de donner à chaque composition nouvelle un caractère propre et original par rapport à sa production antérieure; c’est le cas par exemple pour chacune de ses quatre symphonies ou de ses trois opéras. Le Requiem et le Te Deum ont un caractère monumental, non seulement par l’ampleur des effectifs qu’ils nécessitent mais aussi par la largeur de leur style. Ils comportent aussi tous deux un mouvement avec solo de ténor (le Sanctus du Requiem et le Te ergo quaesumus du Te Deum). Ce n’est sans doute pas par hasard que les paroles Pleni sunt coeli utilisent pratiquement la même musique dans les deux ouvrages (dans le Sanctus du Requiem, et le Tibi omnes du Te Deum). Les deux ouvrages font aussi appel à l’espace comme élément expressif, mais le font avec des moyens différents: le Requiem utilise quatre orchestres de cuivres placés aux quatre angles de la masse chorale, tandis que le Te Deum emploie l’orgue, mais placé à dessein à une extrémité de l’église loin de l’orchestre, en conformité avec la conviction de longue date de Berlioz que les sonorités de l’orchestre ne se fondent pas heureusement avec celles de l’orgue, et qu’il faut par conséquent les séparer et les contraster (voir le chapitre sur l’orgue dans le Traité d’instrumentation de Berlioz, et sa lettre de 1847 à Vladimir Stasov [CG no. 1111]). Selon l’expression de Berlioz, ‘L’orgue et l’orchestre sont Rois tous les deux; ou plutôt l’un est Empereur et l’autre Pape; leur mission n’est pas la même, leurs intérêts sont trop vastes et trop divers pour être confondus.’
Malgré toutes leurs ressemblances les deux ouvrages diffèrent cependant par leur caractère: œuvre essentiellement sombre et dramatique, le Requiem procède par contrastes parfois extrêmes, et le sentiment dominant est celui de l’effroi qu’éprouve l’humanité en face de la mort et du jugement dernier. Le ton qui prédomine dans le Te Deum, par contre, est celui de la célébration, comme son texte d’ailleurs l’exprime: c’est un hymne d’actions de grâce ainsi que de prière. Un sentiment d’angoisse se laisse entendre dans le Judex crederis, mais dans les toutes dernières pages de ce mouvement colossal le ton se transforme pour conclure dans une atmosphère de certitude et presque de triomphe, bien différente du Dies irae et du Tuba mirum du Requiem. L’ouvrage se termine avec une marche de caractère elle aussi triomphale (voir ci-dessous). L’écriture des chœurs du Te Deum est aussi plus riche et complexe que celle du Requiem: l’ouvrage dans son ensemble est pour double chœur, chacun à trois voix (sopranos, ténors, basses), et après avoir assisté au concert de 6500 voix des enfants de charité à l’église Saint-Paul à Londres en 1851 Berlioz ajoutera un troisième chœur d’enfants aux trois plus grands mouvements de l’ouvrage (Te deum, Tibi omnes, Judex crederis).
À l’encontre du Requiem, la genèse du Te Deum laisse bien des questions en suspens. Berlioz commence le travail de composition vers la fin de 1848 ou au début de 1849 (cf. NL p. 338-40, no. 1245bis [7 février 1849]; CG no. 1246 [23 février 1849]), mais on ne sait ce qui a pu l’inciter à entreprendre à ce moment-là une œuvre chorale de grandes dimensions, dont l’exécution n’allait pas de soi. À l’encontre d’autres grands ouvrages comme le Requiem et la Symphonie funèbre et triomphale, le Te Deum ne résultait pas d’une commande officielle; on ignore aussi quel rôle la visite de Berlioz en Russie en 1847 a pu jouer dans la conception de l’ouvrage (sur toutes ces questions voir les rubriques pertinentes des pages sur Berlioz et la Russie et sur Berlioz et Liszt). Une première version de l’ouvrage est terminée en 1849, mais elle subira des remaniements par la suite, et l’ouvrage comprendra pour finir un total de huit mouvements (CG no. 1552), mais Berlioz désavouera l’un d’eux plus tard (voir ci-dessous). Deux passages importants du Te Deum furent adaptés de la Messe solennelle de 1824-25, condamnée par Berlioz: un passage du Christe rex gloriae, et la partie principale du Te ergo quaesumus.
Berlioz eut beaucoup de mal à faire exécuter l’ouvrage; en 1852 il espérait l’inclure dans une cérémonie pour la consécration de Napoléon III comme Empereur (CG nos. 1525, 1528, 1538, cf. 1568), mais le projet n’aboutit pas, et ce n’est que le 30 avril 1855 que le Te Deum reçut enfin sa première et unique exécution intégrale à St Eustache à Paris, l’année de l’Exposition Universelle à Paris. Plusieurs lettres de Berlioz décrivent l’occasion (CG nos. 1959, 1961, 1972; voir aussi le compte-rendu par Edmond Viel). La même année Berlioz put faire entendre plusieurs mouvements de l’ouvrage dans deux grands concerts qu’il donna au Palais de l’Industrie (16 et 24 novembre). Il fit aussi entendre le monumental Judex crederis dans un de ses concerts d’été à Bade (18 août 1857). L’ouvrage fut publié en 1855 et dédié au Prince Albert, mais le Prince ne daigna même pas répondre à la souscription ouverte pour cette publication (CG no. 2211), et le Te Deum ne fut jamais exécuté en Grande Bretagne du vivant de Berlioz. La partition autographe de l’ouvrage fut donnée par Berlioz en 1862 à la Bibliothèque Impériale Publique de St Pétersbourg, en réponse à une demande de Vladimir Stasov, agissant sans doute sur le conseil de Balakirev, grands admirateurs tous deux de Berlioz en Russie; les Russes voyaient dans l’ouvrage le chef-d’œuvre de Berlioz (CG nos. 2650, 2676, 2676bis, cf. 3375). Le don de Berlioz eut une conséquence dont il n’était sans doute pas conscient à l’époque: la partition autographe contenait le Prélude, à l’origine le 3ème mouvement (pour orchestre seul), que Berlioz avait omis de la 1ère exécution de l’ouvrage ainsi que de sa version publiée. Stasov fut ravi de le découvrir lors de la réception de l’autographe, et le morceau fut semble-t-il inclus dans une exécution intégrale du Te Deum donnée à St Pétersbourg en 1868/69 (CG nos. 2676, 3375). Il fut publié pour la première fois dans l’édition Breitkopf des œuvres de Berlioz, d’après la partition autographe (tome 8). (Sur le Prélude voir ci-dessous.)
La description la plus détaillée du Te Deum de la plume de Berlioz se trouve dans une de ses lettres à Liszt, datée du 1er janvier 1853 (CG no. 1552), dont nous reproduisons l’essentiel ci-dessous. On remarquera cependant que la lettre ne mentionne pas tous les 8 mouvements de l’ouvrage, et qu’elle ne les présente pas dans leur ordre véritable.
Tu me parles du Te Deum, il m’est impossible de te l’envoyer, dans l’incertitude où l’Empereur nous laisse de ses décisions. Je pourrais en avoir besoin à l’improviste. Cela ne peut guère s’exécuter en Allemagne qu’à un grand Festival. Au reste tout est prêt, chœurs et orchestre et pour un nombre considérable d’exécutants. Cela dure une heure. Il y a huit grands morceaux dont un Final (VII) que je crois cousin germain du Lacrymosa de mon Requiem. Il y a en outre une prière pour Ténor Solo avec chœur (VI), et une autre prière à deux voix (de chœur) en imitations canoniques (IV), sur cette singulière série de Pédales tenues par les autres voix du chœur et les instruments graves.
Bien chanté par les Ténors et Soprani, je crois que ce morceau doit être touchant et original. Cela peut être aussi fort ennuyeux…
Pour le reste ce sont les pompes harmoniques du Te Deum proprement dit, il y a une fugue sur un Choral proposé par l’orgue et circulant ensuite dans les voix et dans l’orchestre (I). L’ensemble de la partition est toujours à deux chœurs, chaque chœur n’est qu’à trois voix. L’orgue n’accompagne pas, il dialogue avec l’orchestre.
Ce mouvement se trouve dans la partition manuscrite de l’œuvre où il précède le Dignare; il constituait donc à l’origine le 3ème mouvement. Dans une note Berlioz ajoute cette précision: “Si le Te Deum n’est pas exécuté dans une cérémonie d’actions de grâce pour une victoire ou toute autre se ralliant par quelque point aux idées militaires, on n’exécutera pas ce prélude”. Mais il est évident que Berlioz avait des doutes sur ce morceau. Il ne fut pas joué lors de la première exécution du Te Deum à St Eustache à Paris le 30 avril 1855, et dans une lettre à Liszt peu avant il écrit: “A propos du Te Deum, j’ai purement et simplement supprimé le prélude où se trouvent les modulations douteuses” (CG no. 1935); ceci suggère que Liszt lui-même avait émis des réserves sur ce mouvement. On ne sait au juste quel passage ou passages du Prélude avait paru ‘douteux’. Quoi qu’il en soit le prélude ne fut pas publié dans la première édition du Te Deum qui parut la même année (le Dignare devint ainsi le 3ème mouvement). Il ne fut jamais exécuté du vivant de Berlioz, sauf pour une exécution éventuelle à St Pétersbourg en 1868'9 (voir ci-dessus). Comme les cérémonies religieuses pour commémorer des victoires militaires risquent de nos jours d’être rarissimes, on voit mal quand à l’heure actuelle il sera jamais joué, et peu d’enregistrements l’incluent (font exception ceux d’Eliahu Inbal avec l’orchestre de Radio Francfort, et celui de John Nelson avec l’Orchestre de Paris; voyez Discographie de Berlioz). Mais il y a sûrement de bonnes raisons musicales de faire entendre ce Prélude, du moins de temps en temps.
Le prélude développe le thème principal du 1er mouvement, qui revient aussi au milieu de la Marche finale (voir ci-dessous). Il fait donc partie intégrante de l’architecture du Te Deum. En outre il introduit la sonorité du tambour, qu’on entendra de nouveau dans le Judex crederis et la Marche finale. Pour le premier mouvement Berlioz donne l’indication de métronome noire = 88. Il ne donne pas d’indication métronomique pour ce mouvement mais indique seulement “un peu plus animé que le Te Deum”. Dans la version présente le tempo a été fixé à noire = 100. Pour faire ressortir le contraste entre les deux mouvements la transcription présentée ici inclut l’introduction pour orgue et orchestre du Dignare qui lui fait suite.
Marche pour la présentation des drapeaux
Tout comme pour le Prélude, la plupart des exécutions et enregistrements du Te Deum omettent ce mouvement, mais à vrai dire sans raisons valables. Le mouvement fut joué à la première exécution du Te Deum en 1855 (voir le compte-rendu de cette exécution), et Berlioz l’inclut dans la grande partition qu’il publia peu après. Rien ne laisse supposer que dans la pensée du compositeur ce mouvement ne devait être exécuté que dans des cérémonies particulières (comme c’était le cas pour le Prélude).
Le tempo très modéré indiqué par Berlioz (noire = 92) est parfois négligé à l’exécution, mais il donne à cette marche un caractère de procession solennelle qui couronne dignement l’ouvrage. L’épisode en style fugué au cœur du morceau est construit sur le thème principal du Te Deum, et dans les dernières pages Berlioz fait revenir à orgue et grand orchestre le thème par lequel l’orgue lançait tout l’ouvrage. Tout comme pour le Prélude, la Marche fait donc partie intégrante de l’architecture du Te Deum.
Prélude du Te Deum (durée 3'27")
— Partition en grand format
(fichier créé le 2.01.2000; révision le 22.07.2001)
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Marche pour la présentation des drapeaux du Te Deum (durée 5'9")
— Partition en grand format
(fichier créé le 23.01.2000; révision le 29.08.2001)
— Partition en format pdf
© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.
Cette page revue et augmentée le 1er mai 2022/