Documents sur sa carrière
Cette page réunit plusieurs documents contemporains sur la vie et la carrière d’Auguste Morel: d’une part plusieurs notices nécrologiques parues dans le Ménestrel en 1881 et 1882, journal auquel il avait collaboré d’octobre 1877 à 1881, pendant ses dernières années après son retour de Marseille à Paris; de l’autre quelques extraits d’un ouvrage dans notre collection intitulé La Musique à Marseille, publié en 1874 peu avant le départ de Morel de Marseille, et dû à la plume d’un de ses élèves, Alexis Rostand, lui-même marseillais. Rostand, collaborateur au Ménestrel depuis le 24 octobre 1880, est aussi l’auteur des deux principales notices nécrologiques parues dans ce journal.
On remarquera que dans ces dernières le nom de Berlioz n’est pas prononcé, alors que la deuxième notice souligne au contraire la fierté de Morel d’avoir été parmi les premiers à reconnaître le génie de son ami. Cette omission n’est sans doute pas fortuite: Rostand, qui avait rencontré Berlioz à Paris en 1856 (CG no. 2128), avoue dans son livre, à propos des Troyens, ‘Je suis de ceux qui n’apprécient pas toute l’œuvre de cet esprit élevé, chercheur et tourmenté, à qui on doit la Symphonie fantastique, Harold, Béatrice et Bénédict, etc.’ (p. 185). D’autre part, les réserves de Berlioz sur la musicalité des villes de province en France s’accordaient mal avec le patriotisme marseillais de Rostand dont son livre est un témoignage (le voyage de Berlioz à Marseille en 1845 n’y est pas mentionné). Rostand hérita cependant de Morel de la partition autographe de la symphonie Harold en Italie, que ce dernier avait reçue de Berlioz lui-même, comme l’atteste l’inscription sur la page de titre du manuscrit: ‘A la mort du regretté Auguste Morel, cette partition a été donnée par son neveu et légataire universel, Léon Morel, à son élève de prédilection, Alexis Rostand, en mémoire de la profonde affection qui unissait le maître et l’élève’ (NBE tome XVII, p. 205). Par la suite Rostand publia en 1890, sous le pseudonyme d’A. Montaux, un article sur cette symphonie dans le Ménestrel; à sa mort (1919) il légua la partition au Conservatoire de Paris.
Les extraits du Ménestrel reproduits sur cette page ont été transcrits par nous à partir d’images de ce journal disponibles sur le site internet de la Bibliothèque nationale de France.
Le Ménestrel, dimanche 24 avril 1881, p. 168:
NÉCROLOGIE
Au moment de mettre sous presse il nous est transmis une bien douloureuse nouvelle. Notre vieil ami et collaborateur Auguste Morel vient de nous être enlevé dans la nuit du vendredi au samedi [22-23 avril], à la suite d’un refroidissement pris à Saint-Germain. Tous ceux qui ont connu Auguste Morel et qui ont pu apprécier non seulement ses mérites, mais aussi son caractère et son honorabilité, prendront une vive part au deuil de sa famille. Ses collaborateurs du Ménestrel, plus que personne, sont vivement impressionnés par cette mort si imprévue.
Le Ménestrel, dimanche 1er mai 1881, p. 175:
— Les obsèques de notre collaborateur AUGUSTE MOREL ont eu lieu lundi dernier [25 avril] en l’église Notre-Dame-de-Lorette. Nombre de compositeurs, d’artistes et d’hommes de lettres y sont venus rendre les derniers devoirs au si regretté défunt. Un vieil ami, dévoué à l’égal d’un frère, M. Baudillon [cf. CG nos. 1771, 1937], conduisait le deuil. Les chants liturgiques ont seuls résonné pendant l’office, — le nouveau curé de Notre-Dame-de-Lorette ayant cru devoir proscrire dans son église tout chant non consacré pour les cérémonies funèbres. Sans cette regrettable interdiction, plus d’une voix aimée serait venue dire aux obsèques de Morel l’une des pages émues du grand musicien que, le premier, il avait deviné et désigné à l’admiration publique. C’était sa suprême satisfaction en ces dernières années ; il jouissait d’avoir découvert Hector Berlioz bien avant le temps des ovations qui lui sont aujourd’hui prodiguées. C’est qu’Auguste Morel professait le culte de l’amitié ; il en a fait preuve pendant un demi-siècle à l’égard de Berlioz. Cet inaltérable dévouement à ses amis a été plus d’une fois payé de retour. On a pu en juger lundi dernier par les superbes couronnes venues jusque de Marseille pour orner son cercueil. Il avait laissé là des amis qui ne l’ont point oublié. Aussi est-ce à l’un d’eux, M. Alexis Rostand, que nous laisserons la parole pour vous dire, lecteurs, ce qu’était notre ami et collaborateur, Auguste Morel. Dimanche prochain, nous reproduirons la notice que contient à son sujet le deuxième volume supplémentaire de la Biographie universelle des musiciens, publié par M. Arthur Pougin, chez les éditeurs Firmin-Didot.
Le Ménestrel, dimanche 22 mai 1881, p. 197-8 (Alexis Rostand):
A.-F. MOREL
Nous venons placer sous les yeux de nos lecteurs, ainsi que nous le leur avons promis l’intéressante notice biographique écrite par M. Alexis Rostand sur notre regretté ami et collaborateur Auguste Morel. Cette notice est extraite du deuxième volume supplémentaire de la Biographie universelle des musiciens, publiée par M. Arthur Pougin chez les éditeurs Firmin Didot.
MOREL (Auguste-François), né à Marseille le 26 novembre 1809, montra dès ses premières années d’heureuses dispositions pour la musique. Il l’apprit d’abord comme complément d’éducation, et fit de sérieuses études au collège de Marseille, d’où il sortit en 1826 pour suivre la carrière commerciale à laquelle ses parents le destinaient. Mais un irrésistible penchant l’entraînait vers l’art qu’il cultivait depuis son enfance ; il voulait s’y consacrer tout entier. Appelé à faire sa partie dans des séances intimes de musique de chambre, il sentait sa jeune imagination s’enflammer à l’audition des quatuors de Haydn, de Mozart et surtout de Beethoven. N’ayant reçu aucune leçon d’harmonie ni de contrepoint, il essayait de se rendre compte des accords qui le frappaient et se fit ainsi une sorte de théorie de l’harmonie qu’il compléta et régularisa plus tard en étudiant les œuvres didactiques de Reicha. Il mit bientôt en pratique ces premières observations en écrivant divers morceaux pour les voix ou les instruments, et, en 1830, son premier quatuor en si mineur.
En 1836, ayant triomphé des hésitations de sa famille, il partit pour Paris et essaya d’entrer au Conservatoire. Son âge s’y opposa, car on ne pouvait y être admis que jusqu’à 28 ans. Mais il fut accueilli avec un bienveillant intérêt par Halévy, qui — après avoir examiné quelques pièces d’orchestre du jeune artiste, — lui déclara que « puisqu’il écrivait ainsi, il n’avait plus besoin de maîtres ». — M. Auguste Morel ne dut donc qu’à lui-même sa parfaite entente des lois et des procédés de la composition.
Il chercha dès lors à se faire connaître comme compositeur et critique. Il fit partie d’abord de la rédaction du Vert-Vert, dont son ami et son compatriote Méry lui avait facilité l’accès et où il avait pour collaborateurs Guinot, Gorlan, Esquiros, etc. — Il devint bientôt après feuilletoniste du Messager des Chambres, du Journal de Paris, et donna d’une façon suivie des articles au Monde musical et à la Revue et Gazette des Théâtres.
En même temps il publiait de la musique, — surtout vocale, — dans le genre qui était en vogue à Paris. C’est ainsi qu’en 1837 il fit paraître un album de six mélodies, dont l’une, le Retour, dans la manière de Schubert, est particulièrement belle de pensée et de forme. Depuis cette époque jusqu’en 1830, M. Auguste Morel écrivit successivement une soixantaine de mélodies. On peut citer, parmi les plus remarquables : Rappelle-toi ! sur les paroles d’Alfred de Musset, inspiration élevée et touchante ; le Fils du Corse, qui devint populaire et qu’affectionnait le baryton Géraldy ; l’Invocation, les Adieux dans la nuit, la Plainte du pâtre, le Sonnet sur la mort d’une amie, dont la forme archaïque et la portée étaient bien au-dessus de ce qui se faisait alors dans le genre ; Pauvre Oiseau, la Fille de l’hôtesse, Page et Mari, etc.
M. Aug. Morel avait le désir de se faire connaître comme compositeur dramatique : mais on sait les obstacles que rencontrent les auteurs français quand ils veulent aborder le théâtre dans ce milieu artistique de Paris, où se concentrent et luttent toutes les ambitions. Ces obstacles, M. Aug. Morel, par suite de l’extrême réserve de son caractère, devait plus difficilement que tout autre les surmonter. Aussi, malgré les promesses réitérées des librettistes et des directeurs, ne put-il arriver à se faire place sur une de nos grandes scènes lyriques. Cependant, en 1848, il réussit à faire apprécier divers morceaux (introduction, entr’actes, chœur, marche et couplets de Canéphores), destinés à accompagner le drame antique de Joseph Autran, la Fille d’Eschyle, qui fut joué avec succès à l’Odéon. En 1850, il fit pour la Porte-Saint-Martin un ballet en 3 actes, l’Etoile du Marin, qui fut favorablement jugé par la presse, puis, — pour le même théâtre, — la musique des divertissements d’un drame ayant pour titre Rome. — Cette pièce fut interdite parce qu’elle mettait en scène la vie de Pie IX, et se transforma en Connétable de Bourbon.
En 1847, M. Aug. Morel écrivait son 2e quatuor, à la suite d’un voyage à Marseille, où ses amis l’engagèrent vivement à s’adonner à la musique de chambre. Pendant les quinze années de son séjour à Paris, il écrivait encore une Marche funèbre, une ouverture en ré mineur et une grande scène dramatique pour basse-taille, solo, chœur, orchestre et orgue, qui fut chantée d’abord par Bouché, auteur des paroles, puis par Alizard.
En 1850, M. Aug. Morel renonça, — par suite de considérations de famille — à la situation et à la notoriété qu’il avait acquise à Paris, et revint se fixer à Marseille. En octobre 1852, il fut appelé à la direction du Conservatoire de cette ville en remplacement de M. Barsotti. Chargé d’introduire dans cet établissement le système d’enseignement suivi au Conservatoire de Paris, il y parvint en peu de temps, et élargit considérablement le cadre des études. Il dédoubla les classes de solfège, en les divisant en classes élémentaires et supérieures, augmenta le nombre de celles de piano, développa celles de violon et de violoncelle, et obtint à force d’instances la création de classes de flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trompette et contre-basse. Sa gestion ne prit fin qu’en 1873, après qu’une décision regrettable de la municipalité eut réduit le Conservatoire au rang de simple école communale.
Pendant cette période de vingt ans, M. Aug. Morel écrivit un grand nombre de pièces pour tous les instruments, en vue des besoins de l’école qu’il dirigeait. Il publia en outre, chez Gérard, à Paris, son troisième quatuor en mi, son quintette en la, son 4e quatuor en si bémol, son 5e quatuor en ré mineur, et, récemment, son trio en fa dièze mineur, pour piano, violon et violoncelle.
En 1860, il donna au Grand-Théâtre de Marseille un grand opéra en 4 actes ayant pour titré le Jugement de Dieu. (La partition d’orchestre et la partition piano et chant ont été éditées par Gérard, à Paris.) Cet opéra, qui eut du succès à Marseille, puis à Rouen, où il fut chanté par Mme Sasse, semble avoir été conçu avec la préoccupation de satisfaire le goût de la majorité du public dans le midi de l’Europe. L’auteur, dont la musique de chambre témoigne une prédilection marquée pour les classiques allemands, a composé toute sa partition dans l’esprit et le style de la musique italienne. Plusieurs morceaux sont dans la coupe de ceux de Donizetti. Ce fut en cette même année (1860) que M. Auguste Morel fut nommé chevalier de la Légion d’honneur.
Il faut citer encore, parmi les œuvres que M. A. Morel a écrites à Marseille, des mélodies publiées, soit à Paris par Gérard, soit à Marseille par l’éditeur Roussel ou son successeur Carbonnel, parmi lesquelles : Résignation, Si vous n’avez rien à me dire, Puisque j’ai mis ma lèvre, etc. ; divers morceaux de musique religieuse ; une ouverture en mi bémol ; une Ouverture-boléro, pour l’inauguration de l’Union des Arts ; une ouverture en si bémol pour les concerts de distribution de prix du Conservatoire ; plusieurs chœurs d’orphéon ; trois cantates, dont une, sur une poésie de Méry, l’Hymne du travailleur et du soldat, pour chœurs d’hommes et musiques militaires, fut exécutée en 1860 dans un festival donné au château Borély, par une masse d’environ deux mille chanteurs et instrumentistes ; enfin une grande symphonie en ut mineur, exécutée pour la première fois en 1874. Au moment où cette notice est écrite (1880), M. A. Morel termine une seconde symphonie en ré, dont le premier morceau a été entendu en 1875 au Cercle artistique de Marseille.
Comme on le voit, M. Auguste Morel a beaucoup écrit. Musique de chambre, musique symphonique, dramatique, religieuse, chorale, tous les genres ont fixé, tour à tour, son attention et tenté son activité. Sans doute, dans cette œuvre considérable, tout n’a pas la même portée. Mais on n’y rencontre jamais de négligence de forme, et en plus d’un endroit M. Auguste Morel s’est élevé à une réelle hauteur. C’est, sans contredit, dans la musique de chambre qu’il a excellé. On peut dire qu’il y est à peu près à la tête des compositeurs français. C’est aussi cette partie de son œuvre que l’Institut a couronnée, en lui décernant à deux reprises le prix Chartier. Il y a là la noblesse de la pensée, l’ampleur et l’abondance des développements, et l’esprit classique. M. Auguste Morel a aussi une supériorité réelle dans le cadre concis et coloré de la mélodie vocale. Plusieurs de ses romances, Rappelle-toi, le Retour, les Adieux dans la nuit, sont de petits chefs-d’œuvre de grâce et de sentiment. L’auteur y est bien au-dessus de ceux qu’on a appelés en France les maîtres du genre, Plantade, Labarre, Panseron, etc. C’est à Niedermeyer, Gounod ou Reber qu’il faut le comparer.
Les qualités dominantes de M. Auguste Morel sont le vif sentiment mélodique, l’expression et la clarté. Le caractère de sa pensée est le plus souvent triste, mélancolique ou pathétique. Quelquefois sa phrase vocale a l’accent un peu plaintif d’Halévy. Cet artiste laborieux et modeste, qui a presque toujours vécu en province et dont les travaux ne sont pas assez connus, doit avoir sa place à côté des personnalités les plus honorées de l’art contemporain. Une partie de son œuvre marquera parmi les meilleures productions de ce temps.
ALEXIS ROSTAND.
Le Ménestrel, 11 juin 1882, p. 221 (Alexis Rostand):
LE BUSTE D’AUGUSTE MOREL
Chaque année, le Ménestrel passe rapidement en revue les bustes, portraits, toiles et groupes touchant de plus ou moins près la musique et le théâtre. En attendant cette petite revue du Salon-1882, faisons un retour sur le Salon de 1881, où l’on remarqua, entre autres bustes de musiciens, celui du regretté Auguste Morel, qui fut longtemps le collaborateur consciencieux et autorisé du Ménestrel. L’œuvre était due au ciseau d’un ami du maître, M. Eugène Godin, statuaire à Paris, dont la fille, Mlle Jenny Godin, pianiste distinguée, s’est fait entendre cet hiver avec succès aux concerts Broustet.
Peu avant l’ouverture du précédent salon, M. Godin avait terminé son travail et était sur le point de l’exposer, quand Auguste Morel fut enlevé par une maladie subite. — Il y eut alors un concours touchant de bonnes volontés pour que ce souvenir ne demeurât pas sans emploi dans l’atelier de l’artiste. Une souscription fut ouverte par les soins d’un ami de Morel, qui s’honore d’avoir été en même temps son élève de prédilection ; et de son côté, le sculpteur déclara renoncer à toute rémunération de son œuvre et s’offrit même à faire établir toutes les reproductions et réductions qui en seraient demandées.
La souscription fut immédiatement couverte. — Un beau bronze de grandeur naturelle sur piédouche en marbre rouge des Pyrénées a été préparé par la maison Barbedienne, sous la direction de M. Godin, pour le Cercle artistique de Marseille. Des reproductions de même dimension en plâtre ont été destinées au Musée, à l’Académie des sciences et Arts, à l’Athénée et au Conservatoire de musique de Marseille. Enfin des réductions en terre cuite réservées aux amis du maître.
Ce travail fait honneur au statuaire. M. Godin ne s’est pas borné à reproduire avec une étonnante fidélité les traits de son modèle ; il lui a imprimé encore cette ressemblance qui tient à autre chose qu’à la vie matérielle, et c’est ainsi qu’il a fait vraiment œuvre d’art. Tous ceux qui ont vécu dans l’intimité d’Auguste Morel retrouveront dans cette image quelque chose de profondément bon, d’indulgent, avec une pointe de discrète et intelligente malice, de souriant et, en même temps, de mélancolique et de résigné, de rêveur comme par la distraction que donnent des pensées flottantes au-dedans, qui se dégageait de la personne morale et se reflétait sur la physionomie de Morel.
Le Cercle artistique de Marseille tient à l’honneur de fêter à cette occasion le souvenir du compositeur provençal. Au début de la saison musicale 1882-83, vers le mois d’octobre, un grand concert sera donné dans lequel le buste sera inauguré et où l’on entendra une sélection des meilleures productions d’Auguste Morel. Le Ménestrel ne manquera pas d’en rendre compte.
ALEXIS ROSTAND.
[Voir Le Ménestrel du 24 décembre 1882 (p. 28) pour le compte-rendu annoncé à la fin de cet article]
Les quatuors d’Auguste Morel (p. 40-41)
Quant à l’œuvre de quatuors d’Aug. Morel, elle doit prendre place parmi les meilleurs productions de l’art Français. — Elle se compose de cinq grands quatuors et d’un quintetto, et a mérité le prix Chartier, fondé pour le développement en France de la musique de chambre. Ce sont ces six importants ouvrages qui assignent à leur auteur, plus encore que sa musique dramatique et religieuse et ses innombrables mélodies si colorées et si populaires, une place des plus distinguées parmi les artistes de ce temps. — Après les chefs-d’œuvre de Haydn, Mozart, Beethoven, Mendelssohn et Schumann, je ne vois rien en effet qui puisse primer les quatuors d’Aug. Morel. Vieuxtemps, qui est belge, Ernst, qui était allemand, Rubinstein qui est russe et d’autres maîtres étrangers, ont écrit de beaux quatuors. — Mais ces quatuors ne sont en rien, que je sache, supérieurs à ceux d’Aug. Morel, et si je me place au point de vue Français, je n’hésiterai pas à placer Aug. Morel à la tête des artistes qui se sont voués à la musique de chambre. — Son œuvre est ce qui a été écrit en France de plus élevé, de plus large comme proportions, de plus réellement inspiré, de plus clair, de plus logique, et, à ce titre, de plus français parmi tous les essais du même genre tentés par F. David, A. Thomas, Reber, Ch. Dancla, Ad. Blanc, etc., et même Onslow, à qui Aug. Morel est bien supérieur comme portée musicale. — Dans un autre pays que le nôtre, l’auteur qui aurait porté si haut l’effort national dans une des branches de l’art, serait comblé de distinctions.
Le Conservatoire de Marseille (p. 44-52)
Cet établissement qui date de 1822 était d’abord une école particulière ; il devint par la suite une institutional communale, tous les frais étant à la charge de la ville, et le 30 mars 1841, fut érigé par une ordonnance royale en succursale du Conservatoire de Paris ; le 10 juin 1852, un arrêté du ministre de l’intérieur décida la nomination des directeurs et professeurs de quatre conservatoires de province (Lille, Toulouse, Metz et Marseille) par les préfets sur la présentation des maires ; le paiement par l’Etat du traitement des directeurs, la création de commissions de patronage et de surveillance, et l’établissement d’un règlement d’enseignement pratique envoyé par le Conservatoire de Paris. Le 26 avril 1857, un nouvel arrêté ministériel décida la nomination des directeurs par les ministres d’Etat sur une liste de trois candidats présentés par le préfet. Enfin un inspecteur général attaché au Conservatoire de Paris, dut chaque année visiter les écoles de province, et envoyer un rapport au ministre.
On voit que par ces mesures successives, le Conservatoire de Marseille s’est trouvé placé sous la direction immédiate de l’Etat et qu’il a dû se conformer aux traditions de l’enseignement du Conservatoire National de Paris. Si désireux qu’on soit de voir la province vivre de sa propre vie, on ne peut que souhaiter pour longtemps le maintien de cette situation. Sans doute, il est permis d’espérer que, dans l’avenir, il existera dans notre pays des Ecoles, des Universités, des Académies libres, qui lutteront entre elles d’émulation, et où se transmettront vivantes les traditions diverses du génie spécial à chaque province ; mais cette notion parfaite, supérieure d’un enseignement libre, n’est pas de notre temps ; cette émancipation qui, à toute autre époque, et avec une autre organisation, pourra être pour la France la cause d’un immense développement intellectuel, n’amènerait aujourd’hui que la confusion de l’enseignement et l’abaissement du niveau des études. — Cela tient à ces causes trop multiples et trop délicates pour qu’on puisse y insister ici ; notre état politique, social, est actuellement et pour longtemps encore trop précaire, trop instable pour qu’il soit permis de rêver mieux que l’enseignement officiel excellent, mais uniforme qui se transmet aujourd’hui d’un bout de la France à l’autre, dans les Lycées, les Conservatoires, les Facultés de droit, sciences, lettres, etc.
Le Conservatoire de Marseille fut fondé par M. Barsotti, pianiste habile, harmoniste instruit, qui le dirigea avec dévouement pendant de longues années ; M. Barsotti a laissé aussi des ouvrages didactiques qui ne sont pas sans valeur ; à tous ces titres, il a sa place marquée dans l’histoire de l’Art à Marseille. — C’est en 1851 qu’Auguste Morel lui succéda. Berlioz qui appréciait hautement Morel, et qui avait pu juger lui-même des fréquentes inconséquences des gouvernements, fut abasourdi à cette nouvelle ; l’administration avait eu la main heureuse ! « Comment ! écrivait-il, malgré sa grande valeur musicale, Morel sera donc placé à la tête d’une Ecole de musique, et y pourra faire beaucoup de bien !… C’est un miracle ! » — Auguste Morel dirige encore aujourd’hui avec succès le Conservatoire de Marseille qu’il honore de son talent, et où il maintient les plus sévères traditions classiques.
Depuis ses débuts, notre Ecole de musique a dépassé singulièrement le cadre assez restreint des instructions officielles qui ne prévoient que l’enseignement du chant, du piano, et de l’harmonie pratique. Elle ne compte pas moins aujourd’hui de 20 professeurs dirigeant les classes suivantes :
Solfége. — Deux professeurs : M. Martin, — classe de demoiselles élémentaire et supérieure ; — environ 100 élèves ; et M. Colin, — classe d’adultes et d’enfants, — environ 120 élèves.
Piano. — Quatre professeurs : — MM. Thurner, Ginouvès, Péronnet et Mlle Pérez ; — classes de demoiselles, environ 40 élèves ; classes d’hommes, — environ 10 élèves.
Chant. — Trois professeurs : — MM. Audran, Roussel, Mlle Dérancourt ; — classe de demoiselles, environ 15 élèves ; — classe d’hommes, — environ 15 élèves.
Harmonie. — Professeur : M. Bignon, — environ 12 élèves hommes et femmes.
Déclamation. — Professeur : M. Coste, — environ 20 élèves hommes et femmes.
Violon. — Deux professeurs : MM. Millont et Aubert, — environ 15 élèves.
Violoncelle. — Professeur : — M. Casella, — environ 10 élèves.
Contrebasse. — Professeur : M. Perier, — environ 5 élèves.
Flûte. — Professeur : — M. Lauret.
Hautbois. — Professeur : — M. Rhein.
Clarinette. — Professeur : — M. Mathieu.
Basson. — Professeur : — M. Jullien.
Cor. — Professeur : — M. Ducarne.
Cornet à piston et trompette. — Professeur : — M. Gatterman.
Chaque classe a environ 5 élèves.
Soit, un total de 392 élèves, qui doit être diminué d’une cinquantaine environ, parce que plusieurs élèves appartiennent à la fois à plusieurs classes, comme, par exemple, celles de solfége et de chant, celles de piano et d’harmonie, etc.
On voit que toutes les parties de l’enseignement musical sont représentées au Conservatoire de Marseille. — Les classes qui comptent le plus d’élèves sont : le solfége, le piano, le chant et la déclamation.
Tous les inspecteurs qui ont passé à Marseille, notamment M. Ambroise Thomas, aujourd’hui directeur du Conservatoire de Paris, et récemment encore, M. H. Reber, de l’Institut, ont constaté les excellents résultats obtenus dans toutes les classes ; quelques-unes, celles de solfége surtout, sont aussi fortes que celles du Conservatoire de Paris. — Aussi, ceux qui suivent régulièrement les concours peuvent-ils voir sortir toutes les années de notre école une pépinière d’artistes qui suivent leur carrière avec honneur, soit au théâtre, soit dans les concerts, soit dans la voie plus modeste et non moins utile du professorat. — Je citerai au hasard, et parmi les noms les plus connus, MM. F. Bazin (professeur au Conservatoire de Paris) ; Puget (Opéra-Comique, — Théâtre-Lyrique) ; Bremond, David (Opéra) ; Maurel (Scala) ; Pujol (Gymnase) ; Dermond (Grand-Théâtre de Marseille) ; Mlle Beaudier (Athénée) ; Mme Arnaud (Grand-Théâtre de Marseille) ; Mlle Léonie (Grand-Théâtre d’Alger) ; Mlle Castellan (1er prix de violon au Conservatoire de Paris) ; Mlles Ferrari, Gaillard (1ers prix de piano au Conservatoire de Paris) ; M. Auzande (1er prix de piano au Conservatoire de Paris) ; MM. Cabassol, Cros-Saint-Ange, Tolbecque fils (1er prix de violoncelle au Conservatoire de Paris, ou ayant donné de brillantes auditions à Covent-Garden, aux concerts Pasdeloup, etc.), et à Marseille, Mlle Pérez (professeur au Conservatoire de Marseille) ; MM. Coste et Ginouvès (professeurs au Conservatoire de Marseille) ; Lavello, pianiste-compositeur ; Mmes Alciatore, Demore, etc.
Je ne saurais trop insister sur les services moins connus mais non moins éminents que rendent les classes d’instruments à corde et à vent. Toutes les années, il en sort des jeunes gens qui peuplent les orchestres et y tiennent avec honneur les premiers pupitres : MM. Grobet, Brisse, Testanière, Eysermann, Autran ; Mack, chef d’orchestre ; Pénavaire, compositeur à Paris, etc.
La création des classes d’instruments à vent qui date de quelques années a été un immense progrès artistique. — Tous ceux qui pratiquent l’art musical savent combien les orchestres devenaient rares, incomplets et dépérissaient de jour en jour. — Certains instruments, tels que les cors, les bassons, étaient, il y a peu de temps encore, complétement délaissés, et les instrumentistes étaient de plus en plus difficiles à trouver. — L’usage de la trompette d’harmonie s’est même absolument perdu en province. — Les modifications qu’amenaient forcément dans la constitution des orchestres l’abandon successif de divers instruments seraient une terrible décadence de l’art. Quand on a suivi des répétitions, on sait quels effacements de coloris, quels vides, quelles impossibilités d’exécution crée l’abandon de certains instruments. — Tous les artistes me comprendront ; d’ailleurs, pas n’est besoin de profondes connaissances techniques pour sentir que tous les grands ouvrages, surtout les modernes et, en particulier, ceux de Meyerbeer, deviendraient inexécutables avec des orchestres mutilés.
Ceux qui en douteraient n’ont qu’à lire l’intéressante correspondance écrite par Berlioz (voir ses Mémoires) pendant ses voyages en Allemagne ; ils y verront qu’en Allemagne et dans des villes qui passent à bon droit pour de véritables centres musicaux, Dresde et Leipzig, par exemple, Berlioz avait la plus grande peine à réunir un orchestre vraiment complet. — A Leipzig et sous la direction de Mendelssohn, les harpes manquaient, et l’illustre auteur du Songe d’une nuit d’été était obligé de faire exécuter les parties de harpe par le piano ; — ailleurs il était impossible de trouver une ophicléïde ; — plus loin c’étaient le cor anglais et la clarinette basse qui faisaient défaut, et ainsi toujours. — En France, le mal était pire.
L’encouragement donné à l’étude des instruments à vent a arrêté cette décadence. — A Marseille, la création de classes spéciales a été une des meilleures mesures prises par l’initiative d’Auguste Morel, pendant sa longue et dévouée gestion. — J’ai entendu dire que ces classes réunissaient peu d’élèves ; sans doute il n’y a pas là autant d’empressement que pour l’étude du chant ou du piano ; — mais les besoins ne sont pas comparables. — J’y insiste, sachant que le gros du public ne connaît pas assez l’importance de cette création et n’en soupçonne pas l’extrême utilité.
Loin de réduire les classes instrumentales, je voudrais en voir accroître le nombre.
Les plus nécessaires à mon avis seraient celles de harpe et d’orgue.
La harpe, qui est indispensable à l’orchestre, n’est jouée à Marseille que par un seul artiste ; il est vraiment désolant de voir ce bel et poétique instrument se perdre de jour en jour, et cela, au moment même où nos compositeurs s’en servent plus que jamais. La harpe intervient dans presque toutes les partitions modernes, et dans plusieurs, notamment dans les Huguenots, Faust, Hamlet, le Prophète, etc., elle est écrite à deux et même quelquefois à quatre parties. Pourtant, dans la plupart des orchestres de province, ces parties sont complétement supprimées, et à Marseille, elles doivent être réduites et confiées au seul harpiste que notre ville possède, M. Signoret.
Je voudrais voir aussi inaugurer à Marseille une classe d’orgue où se transmettrait l’enseignement rigoureusement classique de cet instrument. Il y a plusieurs bons organistes à Marseille, et il serait à désirer que cette supériorité artistique de notre ville s’accrût par l’enseignement officiel du Conservatoire.
Les deux classes d’orgue et de harpe existent au Conservatoire de Paris et y donnent les meilleurs résultats.
Quoi qu’il en soit du développement que pourra prendre encore par la suite notre école de Musique, il n’est pas inutile de constater qu’elle joue un rôle actif dans le mouvement artistique qui fait l’objet de cette étude. Dirigé par un artiste de grande valeur, doté d’excellents professeurs, fréquenté par de nombreux élèves, cet établissement est actuellement un des quatre grands Conservatoires de France et une des plus complètes écoles d’Europe.
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18 juillet 1997;
Page Auguste Morel créée le 11
décembre 2010.
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