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Berlioz dirige deux grands concerts à Hanover Square Rooms, en 1848 et en 1853, et participe aussi à un concert du matin en 1852. En outre il assiste pendant ses séjours à des concerts donnés par d’autres dans cette salle, par exemple en 1851 quand il entend pour la première fois la cantatrice Mme Charton-Demeur, ou en 1855 quand il entend Wagner diriger. Hanover Square Rooms est la salle utilisée pour ses concerts par la (Royal) Philharmonic Society, souvent appellée après 1852 Old Philharmonic Society ou vieille société philharmonique, pour la distinguer de la nouvelle, la New Philharmonic Society, fondée cette année et qui donne ses concerts à Exeter Hall.
Le premier grand concert a lieu le 29 juin 1848, à 2 heures de l’après-midi. Ce n’est que le deuxième à être donné par Berlioz à Londres (le premier a lieu le 7 février de la même année, au théâtre de Drury Lane). Berlioz devait en principe donner pas moins de quatre concerts de sa musique au cours de sa première saison à Londres, mais la banqueroute de Jullien qui l’a engagé rend tous ces projets caducs. Berlioz se voit obligé d’improviser: il est question d’un concert à Exeter Hall (Correspondance générale nos. 1179, 24 février; 1181 [tome VIII], 1er mars; ci-après CG tout court), et d’un autre à Covent Garden composé de musique de Berlioz inspirée par Shakespeare (CG nos. 1179, 1185; 24 février et 15 mars), mais sans résultat. La Royal Philharmonic Society, sous son chef Michael Costa, n’accueille pas sa musique (CG no. 1185). Finalement un concert est monté à Hanover Square Rooms, qu’une lettre de Berlioz à son ami Auguste Morel datée du 16 mai mentionne brièvement pour la première fois: ‘Un concert s’organise à peu de frais pour le 29 juin. Si j’y gagne quelque 50 £ ce sera un grand bonheur’ (CG no. 1197; cf. 1199). Une lettre du 26 mai à un autre ami, Louis-Joseph Duc, donne quelques détails supplémentaires (CG no. 1200):
[…] Je te dirai pour finir mon verbiage que je monte un concert à Hanovre Square Room, et que les artistes, apprenant la banqueroute de cet animal de Jullien et tout ce qu’il me fait perdre, veulent y concourir sans rétribution. J’aurai ainsi probablement un magnifique orchestre, composé de l’élite des musiciens du Queen’s theatre et de Covent Garden. J’aurai encore soixante livres de frais (quinze cents francs). C’est pour le 29 juin. […]
Plusieurs lettres traitent des préparatifs pour le concert (CG nos. 1202-6). Le programme consiste en grande partie d’œuvres de Berlioz déjà exécutées au concert du 7 février: (1ère partie) Ouverture du Carnaval romain, la mélodie Le Chasseur danois, les trois premiers mouvements de la symphonie Harold en Italie (Henry Hill, alto solo), le Boléro Zaïde, les deux derniers mouvements d’un concerto pour piano de Mendelssohn joué par Louise Dulcken, sœur de Ferdinand David, premier violon de l’orchestre de Leipzig, un duo espagnol pour deux voix, le Chœur et Ballet des Sylphes de la Damnation de Faust (2ème partie) la Marche hongroise, la mélodie La Captive (chantée par Pauline Viardot), un aria de Bellini, un solo de violon par Molique, et l’instrumentation de Berlioz de l’Invitation à la valse de Weber. La concert a lieu à un moment de grande inquiétude pour Berlioz: Paris est en état de guerre civile, et dans une lettre à un correspondant le jour même du concert Berlioz demande d’urgence des nouvelles de Paris (CG no. 1208). Deux lettres de la correspondance du compositeur font allusion à ce concert, l’une assez brièvement à Liszt, datant d’après son retour à Paris, dans laquelle il donne une vue d’ensemble de son séjour à Londres: il n’avait pas écrit à Liszt pendant tout ce séjour (CG no. 1216, 23 juillet). L’autre, datant du 11 juillet quand Berlioz est toujours à Londres, est adressée à sa sœur Nancy. Le texte dans CG no. 1210 est incomplet; le texte intégral se trouve dans NL p. 321-2:
[…] Ainsi que je le craignais, mon concert n’a rien produit, mais de plus j’y ai beaucoup perdu.
L’affaire du Monte-Christo à Drury-Lane avait déjà disposé le public anglais à la Nationalité exclusive; la Reine elle-même avait pris la résolution de n’encourager que les Native Talents; cela se met maintenant sur les affiches; mais je comptais sur les Français de Londres, et la guerre civile de Paris a fait toutes les bourses se resserrer subitement. Je ne pouvais plus reculer, il était trop tard. Le résultat musical a été très beau, on a fait répéter quatre morceaux et comme on en redemandait encore d’autres, j’ai été obligé de m’y refuser pour laisser aux artistes le temps d’aller à leurs théâtre. Mais j’y avais si peu la tête, à ce maudit concert, que tout cela m’était bien indifférent. Je me sentais honteux de faire de la musique à un pareil moment. […]
Le concert, auquel Berlioz a invité plusieurs musiciens français de sa connaissance qui se trouvent à Londres (CG no. 1207), est néanmoins bien accueilli, comme on peut le voir d’après deux comptes-rendus publiés dans le Times du 30 juin (en anglais seulement) et l’Illustrated London News du 8 juillet (traduction française). Avant de quitter Londres Berlioz remercie les musiciens de Covent Garden pour leur soutien (CG no. 1210bis [tome VIII]).
On sait beaucoup moins sur la participation de Berlioz au concert du matin du 29 avril 1852 (sa correspondance pour cette année est muette là-dessus, alors qu’elle fournit de nombreux détails sur ses concerts à la même époque avec la New Philharmonic Society à Exeter Hall). Il dirige les ouvertures de Prométhée de Beethoven et de Zanetta d’Auber, la Marche nuptiale de Mendelssohn et sa propre mélodie Absence, chantée par Alexander Reichardt.
Le deuxième grand concert, pour lequel il dirige l’orchestre de la (Royal) Philharmonic Society, a lieu le 30 mai 1853. Deux jours plus tard il écrit à son éditeur Brandus à Paris (CG no. 1601; 1er juin):
J’ai reparu avant-hier pour la première fois devant le public anglais au 4ème [en fait le 6ème, d’après P. Citron] concert de la Societé Philharmonique de Hanover Square. C’était dangereux. Le ban et l’arrière-ban des Classiques s’y étaient donné rendez-vous.
L’exécution d’Harold a été étonnante de verve et de précision, j’en dois dire autant de celle du Carnaval Romain.
On m’a énormément applaudi malgré la fureur de quatre à cinq ennemis intimes qui, m’a-t-on dit, se crispaient dans leur coin. Mon nouveau morceau en style ancien (Le repos de la Sainte famille) délicieusement chanté par Gardoni a produit un effet extraordinaire, et il a fallu le redire. Je ne l’avais jamais entendu même au piano; je vous assure que c’est très gentil.
Davison qui est venu plein de joie m’embrasser après le concert, n’a rien écrit encore. Le Morning Herald d’hier contient un superbe article dont l’auteur m’est encore inconnu. Faites quelques lignes pour la Gazette de dimanche si cela ce peut. Mentionnez Sainton le 1er violon de Covent Garden, qui a joué supérieurement l’alto solo dans Harold.
Bottesini a eu également un beau succès en exécutant avec son inconcevable habileté ordinaire, un nouveau concerto de contrebasse de sa composition, fort remarquable, agréable et bien instrumenté. Tous mes amis disent ici que ce succès à la Vieille Soc. Philharmonique était immensément difficile à obtenir. Il y avait foule compacte, et j’ai eu le plaisir de reconnaître qu’une grande partie de l’auditoire était venue pour moi seul, puisqu’un tiers de la salle s’en est allé quand mon dernier morceau a été joué. […]
La deuxième partie du concert ne contient aucune œuvre de Berlioz; elle est dirigée par Michael Costa. Le 21 juin George Hogarth, secrétaire de la Société, remercie Berlioz au nom de la Philharmonic Society et lui offre la somme princière de £10 en récompense du concert. Le concert a néanmoins son importance: elle fonde la réputation de Berlioz auprès de la Philharmonic Society, et encourage sans doute la société à lui proposer à la fin de 1854 de diriger tous les huit concerts de sa saison 1855 après la démission inattendue de son chef d’orchestre Michael Costa – mais Berlioz a déjà accepté une offre beaucoup moins avantageuse de sa rivale la New Philharmonic Society.
Les origines des Hanover Square Rooms remontent à 1773, quand Giovanni Gallini achète une maison au no. 4 Hanover Square et construit sur l’emplacement du jardin un nouvel ensemble de salles, nommé New Assembly Rooms, qui deviendront les Hanover Square Rooms ou Queen’s Concert Rooms. Gallini, maître de danse suisse-italien, vient en Angleterre au cours des années 1750, obtient un emploi auprès du ballet du King’s Theatre à Haymarket dont il devient plus tard directeur.
En 1861 les Hanover Square Rooms subissent d’importants travaux de rénovation et rouvrent en février 1862. Mais malgré ces améliorations leurs jours en tant que salle de musique sont comptés et en 1875 ils seront transformés en club. Le dernier concert est donné par la Royal Academy of Music le 19 décembre 1874.
De nombreux musiciens se produisent aux Hanover Square Rooms: outre Berlioz on compte entre autres Haydn, Paganini, Mendelssohn, Marie Malibran, Charles Hallé, Joseph Joachim, Jenny Lind, Clara Schumann, Charles de Bériot, Thalberg et Madame Pleyel.
(Pour en savoir plus sur Hanover Square Rooms voyez notre source: Elkin, 1955.)
Toutes les photos modernes reproduites sur cette page ont été prises par Michel Austin en 2002; toutes les autres images ont été reproduites d’après des gravures, journaux, et livres (Carse, 1948; Elkin, 1955) dans notre collection. © Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.
Le no. 4 Hanover Square, sur les jardins duquel les Hanover Square Rooms seront construits, se trouve du côté est de la place, à l’angle nord-ouest de Hanover Street. L’image ci-dessus est une reproduction d’un tableau par Edward Dayes (1763-1804), dont l’original se trouve au British Museum.
La salle principale se trouve au premier étage sur la droite de l’image ci-dessus.
Cette gravure parut dans l’Illustrated Times du 12 juillet 1856.
© Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page.
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