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Ouverture: Le Roi Lear (H 53)

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Exécutions et publication

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    L’ouverture du Roi Lear fut composée en avril-mai 1831 dans des circonstances peu ordinaires. Berlioz, tout juste arrivé à Rome comme lauréat du Prix de Rome de 1830, partit subitement pour Florence au début d’avril où il s’arrêta, attendant des nouvelles de sa fiancée, la pianiste Camille Moke. Sur réception d’une lettre de la mère de Camille Moke où elle rompait les fiançailles de sa fille, Berlioz décida de se venger: il retournerait à Paris pour assassiner Camille, sa perfide mère, ainsi que Camille Pleyel, son nouveau fiancé... Parvenu à Nice il se ravisa, et renonçant à son entreprise resta sur place pendant un mois; entre autres activités il composa l’ouverture du Roi Lear. L’ouverture fut écrite remarquablement vite et était pratiquement achevée à son départ de Nice le 21 mai, même s’il y fit quelques modifications par la suite.

    Berlioz donne un récit allègre de cet épisode dans ses Mémoires (chapitre 34) (une première version de l’histoire parut en 1844 dans le Voyage musical en Allemagne et en Italie mais, présentée d’une manière allusive qui voilait l’identité des personnages concernés et cachait les dessous de la vie privée de Berlioz, cette version ne pouvait que dérouter le lecteur). Pour Berlioz, le séjour à Nice fut “les vingt plus beaux jours de [sa] vie”. Nice sera pour lui désormais le lieu de prédilection et de refuge où il voudra se rendre dans les moments difficiles de son existence, et en fait il y reviendra à deux reprises, en septembre 1844 après avoir organisé le grand Festival de l’Industrie, et en mars 1868 après son dernier voyage en Russie.

    La découverte de Shakespeare par Berlioz remontait à 1827, quand une troupe d’acteurs anglais donna plusieurs représentations au Théâtre de l’Odéon à Paris. Mais ce ne fut qu’au début d’avril 1831, au cours de son séjour à Florence, que Berlioz lut pour la première fois le Roi Lear. Le récit des Mémoires cité ci-dessus (chaptire 34) raccourcit la durée du séjour à Florence et ne fait aucune mentiomn de la lecture de Shakespeare à ce moment, mais une longue lettre écrite peu après à Nice et adressée à plusieurs amis de Berlioz comble cette lacune (CG no. 223; 6 mai 1831):

J’étais tout à fait rétabli [de son esquinancie]; je passais des journées sur le bord de l’Arno, dans un bois délicieux à une demie lieue de Florence, à lire Shakspeare. C’est là que j’ai lu pour la première fois le Roi Lear et que j’ai poussé des cris d’admiration devant cette œuvre de génie; j’ai cru crever d’enthousiasme, je me roulais (dans l’herbe à la vérité).mais je me roulais convulsivement pour satisfaire mes transports. […]
[P.S. à la fin] J’ai presque terminé l’ouverture du Roi Lear; je n’ai plus que l’instrumentation à achever. Je vais beaucoup travailler.

    Les allusions à l’ouverture du Roi Lear sont assez fréquentes dans les écrits de Berlioz — ses Mémoires et sa correspondance — ce qui ndiquerait qu’il avait une certaine prédilection pour cet ouvrage. La lecture de la pièce de Shakespeare avait eu lieu à Florence, ‘ville que j’aime d’amour’ dit-il dans une lettre de 1832 (CG no. 270), et la composition de l’ouverture datait du séjour à Nice qui représentait ‘les vingt plus beaux jours de [sa] vie’. La musique de l’ouverture porte bien l’empreinte du style de Berlioz, mais fait aussi sentir l’influence de Beethoven, notamment dans le rôle des basses au début de l’ouverture et plus tard (cf. le début du dernier mouvement de la 9ème Symphonie). On trouvera une analyse détaillée de l’œuvre (en anglais) dans le livre de Tom Wotton, Berlioz (chapitre 4, pages 88-92).

    Berlioz n’a pas cherché à offrir de commentaire sur le contenu de l’œuvre, mais il supposait évidemment de la part des ses auditeurs une connaissance de la tragédie suffisante pour interpréter l’ouverture. Il est facile de supposer que le thème initial, d’où dérive une bonne partie du matériau thématique de l’ouverture, représente Lear, et que les deux mélodies pour hautbois dans l’introduction (mesure 38 et suivantes) et dans l’allegro (mesure 151 et suivantes), représentent Cordelia. Mais il est clair que Berlioz avait à l’esprit des allusions encore plus précises. Dans ses Mémoires (chapitre 59) il cite avec approbation les commentaires admiratifs du roi de Hanovre à l’occasion d’une exécution qu’il y donne le 1er avril 1854:

C’est magnifique, M. Berlioz, c’est magnifique! votre orchestre parle, vous n’avez pas besoin de paroles. J’ai suivi toutes les scènes: l’entrée du roi dans son conseil, et l’orage sur la bruyère, et l’affreuse scène de la prison, et les plaintes de Cordelia! Oh! cette Cordelia! Comme vous l’avez peinte! comme elle est timide et tendre! C’est déchirant, et si beau!

    Dans une lettre datée du 2 octobre 1858 (CG no. 2320), en réponse aux questions du Baron Donop, un autre de ses admirateurs allemands, à propos du roulement des timbales lors du retour du thème principal de l’introduction (mesure 66 et suivantes), il précise:

L’usage était à la Cour de France, encore en 1830 sous Charles X, d’annoncer l’entrée du Roi dans ses appartements (après la messe du dimanche) au son d’un énorme tambour qui battait un rythme bizarre à cinq temps transmis traditionnellement depuis des temps fort reculés. Cela m’a donné l’idée d’accompagner ainsi par un effet de timbales de cette espèce l’entrée de Lear dans son conseil, pour la scène du partage de ses États. Je n’ai eu l’intention d’indiquer sa folie que vers le milieu de l’allegro, quand les basses reprennent le thème de l’introduction au milieu de la Tempête [mesure 340 et suivantes]. Il faut un orchestre de premier ordre pour exécuter cette ouverture. Je ne l’ai pas entendue depuis mon dernier voyage à Hanovre [en 1854]; c’est le morceau favori du Roi.

Exécutions et publication

    L’ouverture fut exécutée pour la première fois à un concert au Conservatoire le 22 décembre 1833 sous la direction de Narcisse Girard (cf. CG nos. 366, 367). On l’entendit plusieurs fois à Paris au cours des années suivantes: en 1834 (deux fois), 1835 (deux fois, la seconde dirigée par Berlioz pour la première fois, cf. CG no. 451), 1843 (cf. CG no. 860) et 1844 (cf. CG no. 892). Elle fut exécutée pour la dernière fois à Paris en 1851 (23 mai); Berlioz exprimera plus tard le regret que l’ouvrage n’était pas mieux connu par le public de Paris (CG no. 2714). D’un autre côté les exécutions à Paris dans les années 1830 convainquirent Berlioz qu’il n’y avait pas lieu de retarder la publication de l’ouverture. En 1837 il écrit à Liszt (CG no. 498; 22 mai):

Si tu en as le temps, arrange donc l’ouverture du Roi Lear; je n’ai pas de raisons comme pour les symphonies de retarder la publication de ce morceau,, au contraire, je serais bien aise qu’il parût.

    En l’occurrence l’arrangement de Liszt ne fut pas publié (voir aussi là-dessus CG no. 1593). Il y eut quelque retard dans la publication de la grande partition, comme il ressort d’une lettre de Berlioz à l’éditeur Catelin (CG no. 641; printemps 1839?):

Mon ouverture avance comme une pierre dans un trou, n’est-ce pas? Mais il faut en finir pourtant, je n’ai pas consenti à la publier chez vous pour employer des années à la publication.

    La grande partition parut finalement au début de 1840, avec deux autres ouvertures, celle de Waverley et celle de Benvenuto Cellini. Elle fut dédiée à Armand Bertin, le directeur du Journal des Débats auquel Berlioz collaborait régulièrement depuis 1835. La lettre de Berlioz à Bertin existe (CG no. 704; mars 1840):

[…] Je vous envoie notre ouverture du Roi Lear qui est enfin publiée, avec le manuscrit que je vous prie de garder.
La dédicace d’un morceau de musique est un hommage banal qui n’a de prix que par le mérite de l’ouvrage, mais j’espère que vous accepterez celle-ci comme l’expression de la reconnaissante amitié que je vous ai vouée depuis longtemps.

    L’effet de la publication se fait bientôt sentir: on se met à jouer l’ouverture dans plusieurs villes d’Europe, sans aucune intervention de la part du compositeur. En Allemagne l’ouvrage est entendu avant même le premier voyage de Berlioz en 1842-43. On connaît des exécutions du Roi Lear en 1840 à Brunswick (CG no. 816), Marseille, Brême et Londres, en 1841 à Munich et Francfort (Mémoires), plus tard à Prague en 1845 (Mémoires). Il y aura des exécutions aux États-Unis (pour la plupart à New York) en 1846, 1853, 1854 et 1864 (CG nos. 2970, 2973).

    En 1843 au cours de son premier voyage en Allemagne Berlioz dirige une série d’exécutions de l’ouvrage dans plusieurs villes: Hechingen (2 janvier), Mannheim (13 janvier), deux fois à Leipzig (4 et 23 février), deux fois aussi à Dresde (10 et 17 février), et une fois à Berlin (23 avril), Hanovre (6 mai) et Darmstadt (23 mai). Au cours de voyages ultérieurs il le fait entendre à Vienne (23 novembre 1845), deux fois à Brunswick (7 avril 1846 et 22 octobre 1853), trois fois à Hanovre où c’est un des morceaux favoris du roi (8 et 15 novembre 1853 [cf. CG no. 1651], 1er avril 1854). À la demande du prince de Hohenzollern il l’inscrit au programme d’un concert mémorable à Löwenberg en 1863 (19 avril; Mémoires Postface et CG no. 2714). La manifeste popularité de l’ouverture en Allemagne incite Berlioz à suggérer à l’éditeur Rieter-Biedermann en 1856 de publier une édition allemande du morceau, même si elle ne lui rapporterait pas de droits d’auteur, puisque l’ouvrage était dans ls domaine public en Allemagne (CG nos. 2169, 2175; le projet n’aboutit pas). La toute dernière exécution de l’ouverture par Berlioz a lieu à son dernier concert à Moscou le 11 janvier 1868 (CG no. 3326); c’était aussi la première fois qu’il dirigeait l’ouvrage en Russie.

    Pour l’allegro la partition de Berlioz porte l’indication de métronome blanche = 168, ce qui paraît trop rapide et est difficile à maintenir (cf. Hugh Macdonald dans Berlioz Studies, ed. Peter Bloom [Cambridge University Press 1992], p. 23). Peu d’exécutions tentent de s’y conformer. Pour la version présente on a adopté comme tempo principal pour l’allegro blanche = 152, ralenti à blanche = 132 pour le second sujet (mesure 151 et suivantes, et 446 et suivantes).

    Pour obtenir la durée correcte des notes il a été nécessaire de noter intégralement les triolets des cordes (mesure 37 et suivantes) et les sextolets des bois (mesure 56 et suivantes), et non sous forme abrégée comme dans la partition de Berlioz.

    Ouverture: Le Roi Lear (durée 13'31")
    — Partition en grand format
    (fichier créé le 26.09.2000; révision le 23.12.2001)
    — Partition en format pdf

© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.

Cette page revue et augmentée le 1er décembre 2021.

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