(Textes corrigés, en ordre chronologique)
Liste chronologique des lettres de Félix et Thérèse Marmion
Lettre de Nicolas Marmion
Lettres de Félix Marmion
Lettres de Thérèse Marmion
La transcription littérale des lettres de la famille Marmion se trouve sur une page séparée
2011.02.334 | Dimanche 18 mai 1823 (?) | À sa fille Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | Image |
Sur le contexte dans lequel se place cette lettre voir D. Cairns, Hector Berlioz tome I (édition française, 2002, p. 148-54; édition anglaise, 1999 p. 119-25), avec citation de plusieurs lettres de Félix Marmion, dont une qui se trouve maintenant à la BnF. En mars 1823 le Dr Berlioz rappelle son fils Hector de Paris pour tenter de le dissuader de s’adonner à la musique, mais Hector s’obstine et finit par avoir gain de cause: son père lui permet de repartir pour Paris. Une entrée dans le Livre de Raison du Dr Berlioz (p. 135 bis) précise: ‘Le 11 mai [1823] remis à Hector à son départ pour Paris 400 [frs.]’. C’est sans doute alors qu’eut lieu la fameuse scène entre mère et fils racontée dans les Mémoires (chapitre 10, mais placée dans un contexte plus tardif): Berlioz repartit pour Paris sans revoir sa mère, et Nicolas Marmion tenta de consoler sa fille dans cette lettre.
À Meylan le 18 mai [1823]
Ta lettre, ma chère Joséphine, m’a causé bien de la peine et je partage bien la douleur d’une séparation inattendue. Cependant je ne puis blâmer la conduite de ton mari, sa tendresse pour son fils n’est point aveugle ; il veut l’arracher à une vie désœuvrée et util[is]er une jeunesse dont la perte est irréparable. J’augure bien de ses dispositions prochaines, il ne s’occupera point exclusivement de musique, son goût pour les hautes sciences le portera à les cultiver dans le pays seul où l’on peut trouver des maîtres et des encouragements. Il viendra au moins une fois par an te faire jouir des progrès qu’il aura faits, et tu auras dans quelques années le plaisir de le voir jouir d’une existence agréable. Tu aimes trop ton enfant pour le voir végéter auprès de toi dans un village et se livrer au désœuvrement ; il faut espérer que les connaissances [qu’]il va acquérir le mettr(ont) à même de remplir un poste honorable. Ainsi, ma chère amie, vois les choses sous des couleurs plus favorables et ne te fais un monstre d’un éloignement qui n’est pas éternel. Il le rendra moins pénible pour la famille par l’exactitude de sa correspondance, et les amis que vous avez dans la capitale vous feront part de sa conduite. Il a un grand intérêt à mener une vie irréprochable pour ne pas être rappelé auprès de vous. Je regrette bien de ne pouvoir dans le moment me réunir auprès de toi pour sécher les larmes maternelles. Je ferai mon possible après la fin de tes vers à soie pour te donner deux ou trois jours. — Je viens de finir la culture de mes chanvres, Dieu veuille qu’ils réussi(ssent) tous ! Je viens de vendre le reste que j’avais pour rembourser Victor. Mme Buisson est ici dans ce moment avec Mme David sa fille qui est dans un état de santé déplorable. Adieu, ma chère Joséphine, ne t’inquiète pas de la coqueluche de Prosper, cette maladie n’est pas dangereuse. Adieu, je t’embrasse ainsi que tout ce qui est auprès de toi.
2011.02.406 | Mercredi 6 mars 1833 | À sa sœur Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | Image |
Citation partielle de cette lettre dans CG II p. 82 n. 1. CG II cite aussi (p. 74-6 en note) une longue lettre de Félix Marmion à sa nièce Nancy Pal traitant de la passion d’Hector pour Harriet Smithson, où il décrit de manière saisissante l’impression faite sur lui par Harriet lors d’une représentation au théâtre. Sur tout cet épisode voir 2011.02.290.
Paris ce 6 mars [1833].
Je m’attendais bien, ma pauvre sœur, à toute la douleur que te causerait la nouvelle que nous te cachions depuis quelque temps. Il n’y a que le hasard qui puisse nous sauver ; car c’est une chimère de croire qu’Hector fasse le moindre sacrifice à la volonté et aux scrupules de sa famille. Sa folie est dans la tête : c’est encore pis que si le cœur était pris. On ne peut entrer dans le moindre raisonnement avec lui ; il ne veut rien entendre, s’irrite de tout et nous regarde comme ses ennemis. Craignant probablement que je ne traite cette question-là toutes les fois que je le rencontrerai, il semble m’éviter. Je ne l’ai point encore vu chez moi depuis mon arrivée à Paris. Nous nous sommes écrit et rencontrés plusieurs fois avec Alphonse pour nous donner des renseignements et tâcher, par quelque moyen, de conjurer le malheur.
Jusqu’ici nous n’avons trouvé que l’espoir du délai que nous donnent ses démarches auprès de son père et l’accident qui vient d’arriver à Miss Smithson. Il y a 4 jours qu’elle s’est cassé la jambe en descendant de cabriolet. J’étais naturellement inquiet de l’effet que produirait, sur cette tête volcanisée, la nouvelle de cet événement ; mais je l’ai trouvé, quoique fort affecté, beaucoup plus tranquille que je ne le craignais. Depuis deux jours je lui avais écrit qu’il fallait absolument qu’il vint, avec Alphonse, dîner avec moi. Je leur avais en conséquence donné un rendez-vous auquel Alphonse seul s’est rendu. Hector ne m’avait même pas répondu à cet égard et m’avait seulement envoyé, par un musicien de notre connaissance, deux billets pour un concert où l’on devait jouer un morceau de sa composition. C’était dimanche passé que nous devions nous réunir. Je trouvai Alphonse à notre rendez-vous, et après avoir fait quelques tours de promenade, ne voyant pas venir ton fils, nous prîmes le parti d’aller chez lui pour l’arracher à son chagrin et le forcer de venir s’égayer un peu avec nous ; car c’était notre plan de campagne. Nous ne voulions pas traiter l’affaire sentimentalement mais attaquer, au contraire, son absurde
projet par des plaisanteries. Nous le trouvâmes effectivement se promenant à
grands pas dans sa chambre et nous parlant à peine, visiblement affecté mais
pourtant assez tranquille. Nous étions convenus, Alphonse et moi, de
feindre d’ignorer l’accident de M. S. pour rendre plus naturelle notre réunion projetée. Je lui dis d’abord : eh bien nous allons dîner ensemble, tu as dû recevoir ma lettre, pourquoi n’y as-tu pas répondu ? — Il répondit : je ne le pouvais pas ; vous ne savez donc pas l’accident (alors il le raconta). Mais, ajoutai-je, il faut toujours dîner, allons. Non, dit-il, je dois aller prendre un jeune homme pour dîner ensemble = Mais ne peux-tu pas te dégager ? = Je le pourrais ; mais je ne le veux pas, parce que vous me tiendrez une conversation que je ne veux pas entendre. Là-dessus nous sortîmes tristement Alphonse et moi pour aller causer, en dînant ensemble, de notre projet manqué et du peu d’espoir qui nous reste.
J’avais le projet de tenter une visite à M. S. pour essayer d’ébranler sa résolution en lui parlant de la répugnance invincible de la famille pour ce mariage. Mais je n’avais pas encore fixé le jour. D’ailleurs il me faut trouver un interprète et faire cette démarche avec précaution. Le dernier accident me donne le temps d’y refléchir.
Je suis si loin des quartiers qu’ils habitent tous les deux que c’est encore une difficulté de plus, sans compter mes occupations qui me permettent rarement de m’absenter avant 5 ou 6 heures du soir. Peut-être lui écrirai-je (à elle). Il faut se garder de faire de fausses démarches et surtout d’exaspérer davantage ce cerveau détraqué. Dans tous les cas comptez sur ma prudence et sur tout l’intérêt que j’y mettrai.
Cela empoisonne le plaisir que j’aurais de me trouver ici avec lui et tant de personnes de connaissance que je rencontre tous les jours.
Je vais dans des réunions magnifiques, à la cour et
ailleurs. Dans ma position je ne puis refuser ; mais bien souvent j’y porte la préoccupation de vos chagrins et du désagrément particulier que cet absurde mariage nous cause à tous.
Je n’ai point encore vu Mr Joseph Rocher. J’ai mis deux cartes chez lui sans le rencontrer. J’ai vu au château les députés et les pairs dauphinois, Mr Alphonse Périer avec lequel j’ai beaucoup causé de Nanci. J’ai dansé au bal des orphelins du 10e arrondissement avec Mme de Marck, sœur de Mr Caffarel votre nouvel allié ; j’y ai vu aussi la trop célêbre Mme Duvallon et son nigaud de mari. J’ai dîné, en passant à Versailles, chez Mme Blancart. J’ai aperçu Mr Bérenger plusieurs fois. Je vais ce soir à un concert à la cour. J’y verrai toutes les notabilités. Je dîne chez le ministre de la guerre demain ; dimanche je passe la soirée chez le président de la chambre des députés ; j’ai été dimanche passé dans la plus belle réunion particulière, dans la plus belle maison de Paris, fraîchement meublée et où toutes les jolies femmes de Paris s’étaient donné rendez-vous. Rien ne peut te donner une idée de ce luxe, de cette richesse d’ameublement, de la magnificence des parures, enfin de l’éclat de cette fête. On a tiré une loterie au profit des pauvres, laquelle a rapporté plus de 5000f. Il y avait 270 lots gagnants. Cette soirée, la plus
remarquable que j’ai vue de ma vie (après celles de la cour pourtant), était donnée par madame la comtesse Reille fille du célèbre Masséna, dont le mari est lieutenant-général et pair de France. Les malheureux ont 150 000f de rente ; mais ils sont excellents tous les deux, et savent parfaitement être riches. Ils sont encore mieux que cela, car ils sont heureux, le croient et le disent. Je trouve, au moins, que c’est consolant pour ceux à qui l’eau en vient à la bouche.
Je voudrais bien, ma chère amie, te distraire un peu par
ces détails que je te donnerais encore mieux si tu pouvais y prendre plus [la fin de la lettre manque]
2011.02.302 | Vendredi 15 mai 1835 | À Camille Pal | Transcription littérale | — |
Félix Marmion avait la passion du jeu et s’endettait facilement: cette lettre en apporte un témoignage de plus parmi bien d’autres (cf. aussi 2011.02.303). Ses embarras financiers ne prendront fin semble-t-il qu’après son mariage avec une riche veuve en novembre 1846 (voir 2011.02.258).
Lunéville ce 15 mai 1835.
Mon cher Camille,
Mes nouvelles ne vous arrivent directement que pour vous ennuyer de mes affaires qui m’ennuient bien davantage, et vous n’en doutez pas : recevez mes remerciements et mes excuses d’avance, et soyez encore assez bon pour aller voir M.M. Barthellon-Ailloud. Priez-les d’accéder à la proposition que je viens de leur faire, en réponse à une lettre d’eux, du 2 courant, qu’ils m’adressaient à Beauvais et que j’ai reçue ici aujourd’hui. Je trouve très naturelles leurs menaces d’agir sérieusement ; mais il m’est impossible de rien envoyer pour le moment. Pour me libérer ailleurs qu’à Grenoble, je viens de prendre des arrangements qui m’étrangleront pendant deux ans ; aussi serai-je complètement tranquille de ce côté. Aidez-moi aussi à l’être dans mon pays.
Je propose à ces messieurs un renouvellement de
billets : c’est tout ce que je puis humainement pour cette fois.
Mettez l’éloquence et la chaleur de l’amitié à leur persuader cela. Il me faut du temps. Ma position s’améliore : depuis un an je paie à force ; soyez-en convaincus vous et tous ceux qui sont dans le secret de mes misères. Quant à moi, je vais au devant du mieux ; mais encore une fois il me faut du temps.
Dois-je, depuis deux ans, plus que l’intérêt légal ? L’autre serait intolérable. Éclairez-moi sur tout cela, je vous prie. Dites à Nanci que j’ai reçu sa lettre à laquelle je répondrai bientôt. En attendant embrassez-la deux fois pour moi, et recevez de nouveau mes remerciements et l’assurance de mon sincère attachement.
F. Marmion
R96.859.1 | Lundi 22 octobre 1838 | À Marc Suat (?) | Transcription littérale | Image |
En l’absence de l’adresse ou de l’enveloppe le destinataire de cette lettre reste inconnu, mais d’un autre côté si ce n’est pas Marc Suat il est difficile de comprendre comment la lettre se retrouve dans les archives de la famille Suat, et pourquoi les Suat auraient tenu à la conserver. D’après la lettre Félix Marmion avait fait la connaissance de Marc Suat peu avant, et Adèle a rencontré Suat plusieurs mois avant son mariage l’année suivante. Voir aussi BnF.
Huningue ce 22 octobre 1838.
Monsieur
Dans le cas où ma nièce serait partie de Lyon à l’arrivée de cette lettre, auriez-vous l’obligeance de vous charger de faire suivre une caisse contenant mon portrait, que je lui adresse chez vous ? Vous seriez assez bon pour en changer l’adresse et la recommander au voiturier. S’il fallait payer le port jusqu’à Lyon ma nièce ou moi nous rembourserions plus tard vos avances.
J’espère que vous jouissez à Lyon du magnifique temps dont nous profitons avec délices pour nos promenades au bord
du Rhin, principale distraction de cette modeste garnison. Utilisez bien cette fin d’octobre pour ma pauvre petite Adèle qui a si grand besoin de goûter quelques moments de bonheur.
Quelquefois en voyant son amie si parfaitement établie, je pensais combien ma nièce mériterait aussi un honnête et bon mari. N’y aurait-il donc aucun moyen de trouver cela dans votre grande ville ? Voyons ; causons un peu et entre nous deux, bien entendu : Adèle a 24 ans, un caractère charmant, une figure agréable, et une éducation qui offre toutes les garanties possibles. Elle aura un jour en comprenant le peu que je lui laisserai, 100 000 f. dont à peu près 50 000 le jour de son mariage. Ne vaut-elle donc pas un homme d’une honnête famille, ayant un état ou une fortune représentant la même position à peu près ?
Dans mon envie de la voir s’établir j’en parle à ceux qui peuvent nous donner quelques renseignements et contribuer à l’accomplissement de cette grave affaire.
Voilà, monsieur, ce qui explique cette seconde page de ma lettre, à laquelle vous étiez loin de vous attendre, j’en suis sûr. Si, par hasard, je n’avais point touché cette corde délicate en vain, et que quelque lueur vous apparait ayez l’obligeance de m’en informer ; car, encore une fois, cela devient mon idée fixe.
Si le temps ne m’eût manqué nous aurions causé de tout cela ; c’était mon projet ; mais vous voilà prévenu maintenant de la part que je veux prendre dans cette importante négociation.
Recevez, monsieur, avec mes remercîments pour votre aimable accueil, l’assurance des sentiments distingués avec lesquels j’ai l’honneur d’être
votre dévoué serviteur
Le colonel F. Marmion
11e de Dragons, Huningue, Haut-Rhin.
R96.859.2 | Samedi 17 novembre 1838 | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | — |
Prosper Berlioz était arrivé à Paris vers le 20 octobre, et Berlioz était tombé malade au début de novembre (CG nos. 575 à Adèle du 9 octobre et 588 à son père du 26 novembre), mais on ne sait au juste quelles étaient les ‘nouvelles inepties’ dont au dire de Marmion il se serait rendu coupable. — On remarquera que Félix Marmion se garde bien dans sa lettre de révéler à sa nièce qu’il s’employait activement à lui trouver un mari (R96.859.1).
Huningue ce samedi 17 novembre 1838.
Tu es d’autant plus coupable d’avoir attendu si longtemps pour me répondre, que j’avais plus d’une inquiétude. Nancy m’avait parlé du rhume de ton père et de la contrariété qu’il en éprouvait ; voilà le plus important. Ensuite je ne savais que penser de l’envoi du portrait dont je n’avais aucune nouvelle et je supposais toujours que tu n’attendais que cela pour m’écrire. Enfin il est arrivé et vous en êtes contents : voilà l’essentiel. Je devais rester en chair et en os avec vous cet automne. Au lieu de moi vous aurez ma portraiture en attendant mieux. Oui en attendant, car j’ai toujours le projet d’aller vous voir au mois de mars. Je vais bientôt demander au ministre l’autorisation de jouir du congé qu’il m’avait accordé, et s’il n’y a pas d’opposition je serai à Paris vers Noël.
Je suis plus désolé que surpris des nouvelles inepties de ton frère auquel je vais écrire par ce courrier. Nous en serons tous pour nos frais d’éloquence et nous opérons sur une matière inerte et insensible.
C’est pourtant affligeant de faire des sacrifices à pure perte et de ne pas rencontrer même la bonne volonté. Je n’aurai quant à moi rien à me reprocher et en attendant que je le voie pour le chapitrer d’importance, je vais aussi lui écrire de bonne encre.
La démobilisation de mes escadrons actifs vient d’être ordonnée ; ainsi tout rentre dans l’état habituel, à l’exception des semestres toujours suspendus. Cela a au moins l’avantage de nous rendre plus nombreux ici et nous éprouvons, comme je vous l’ai dit dans le temps, l’inévitable nécessité de nous suffire à nous même dans ce pays, dans ce village presque inhabité. Il est vrai que nous pouvons aller en Suisse. C’est notre royale distraction, nous arrivons à Bâle quelquefois en masse et nous allons baîller à un assez médiocre spectacle allemand, ce qui ne nous empêche pas d’être de retour à 9 h ½ et toujours couchés avant dix heures. Ne dirait-on pas de la Côte ?.
Mais patience, dans un mois ce seront bien d’autres marionnettes et je jouirai du contraste comme il y a 2 ans.
J’avais parlé à Nancy d’une place à trouver pour mon domestique que je ne veux pas conserver, parce qu’il
n’est pas assez complet pour moi et que je veux finalement me donner un homme de confiance. Plus je tarderais plus il m’en coûterait et à lui aussi ; car je suis bête comme bien des gens qui se font la plus grave affaire du renvoi d’un valet qui vous gêne tous les jours.
Il est brave garçon et peut convenir à bien du monde. Voyez si vous avez où le colloquer. Il ignore mes desseins à cet égard ; mais quand il faudra lâcher le grand mot je pourrai lui dire : je t’ai trouvé une bonne place chez moi. Un mot là-dessus je te prie.
Quand mon départ sera arrêté définitivement j’écrirai à Camille [Pal] que cette lettre trouvera peut-être encore avec vous.
Je te quitte et vais tailler ma plume contre ce malencontreux Prosper (si mal nommé) [Prosper Berlioz]. Pour
dissiper ensuite la colère à laquelle je vais me monter j’irai voir mon
beau fleuve et ses bords majestueux. Ce sont mes délices et le temps nous sert à souhait jusqu’à présent.
Mille embrassements bien tendres pour tous
F(élix Marmion)
R96.859.3 | Samedi 20 avril 1839 | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | — |
Sur le mariage d’Adèle avec Marc Suat le 2 avril 1839 voir R96.861.1.
Huningue ce samedi 20 avril [1839]
Après avoir, nièce bien chérie, passé deux jours à Belfort avec une portion de ma famille régimentaire, je suis arrivé ici mardi. Malgré la belle réception qui m’y attendait j’avais encore le cœur gros de notre séparation. Je sens de plus en plus combien il me serait doux d’être rapproché de vous et je vais y travailler sincèrement. Mon portefeuille oublié à Lyon m’est exactement arrivé à Belfort le lendemain ; aussi je n’ai rien perdu.
Tu ne devinerais jamais la belle grenobloise qui m’attendait ici ; je te le donne en mille ! L’épouse d’un nouvel honorable l’excellente Mme Marion justement alarmée sur la santé de son pupille Mignes qui, comme je vous l’ai appris, avait tenté de se suicider, est accourue de Paris à la première nouvelle de l’accident. Il est hors de danger quant à cela ; mais il a repris ses anciennes excitations et douleurs nerveuses qui sont parfois intolérables. Sa tante se désole et ne quitte pas le chevet de ce malheureux jeune homme. Nous le ferons partir aussitôt qu’il pourra supporter la voiture et on l’emmènera à Paris consulter encore Mr Pinel en qui l’on a une grande confiance. Toutefois il sera obligé de renoncer au métier et je le regrette car il était rempli de courage et de bons sentiments.
J’ai donc la douceur de causer souvent avec une bonne et aimable payse ; ce sont mes moments de prédilection et j’en use largement.
Le beau temps ne m’a pas quitté dans mon voyage et depuis. J’espère qu’il en aura été de même pour vous et que
Nancy aura accompli ses projets sans contrariété. Je lui écris aussi par ce courrier et j’adresse ma lettre à la Côte où je la suppose jusqu’à mercredi.
Quant à toi je te vois d’ici une chamonaise
toute installée, toute contente de sa dignité de maitresse de maison. J’attends une autre dignité avec impatience, rappelez-vous le tous les deux. Tu m’écriras bien longuement, nièce chérie, bien chérie, et je compte que je connaîtrai bientôt tout mon St Chamond par cœur.
Nous aurons aussi à Huningue notre chemin de fer : celui de Strasbourg à Bâle est en pleine construction et l’on va de plus nous faire un pont de bateau sur le Rhin pour communiquer avec le grand duché de Bade. Voilà des distractions pour nous et elles viennent à propos, il faut en convenir.
N’oublions point notre projet de réunion à Berne cet été. J’y compte et m’en fais une véritable fête. Je t’aime tant, pauvre petite Adèle, que tu serais bien mauvaise de ne pas tenir ta promesse.
Écris-moi, pense à moi et embrasse ton mari pour moi.
F(élix Marmion)
R96.859.4 | Lundi 17 juin 1839 | À Marc Suat | Transcription littérale | — |
Sur le voyage des Suat à Paris en mai-juin 1839 voir R96.861.1.
Huningue ce lundi 17 juin [1839].
J’ai reçu hier votre lettre, mon cher Suat, et je commence par me féliciter avec vous deux de l’heureux motif de l’indisposition d’Adèle. Peut-être y aurait-il eu un peu plus d’opportunité à attendre votre retour ; mais prenez toujours votre bonheur en patience. N’oubliez
pas la prudence et les ménagements ; voilà l’essentiel. La saison est favorable pour votre voyage ; peut-être fait-il aussi à Paris une chaleur par trop forte ; mais cet inconvénient est inhérent au beau temps et les environs de Paris, que vous explorez, ne vous en paraîtront que plus beaux et plus parés. Je me réjouis de toutes les surprises agréables qu’aura éprouvées votre femme et je regrette de n’en pas être le témoin.
En première ligne je mets le plaisir qu’elle a eu d’embrasser son gentil neveu Louis qui est un si joli pendant de Mathilde [Pal], et de faire connaissance avec ton excellente belle-sœur. Faites bien à cette dernière mes compliments très affectueux, je vous prie.
Adèle aura, je l’espère, assez de courage pour voir de Paris tout ce qu’elle pourra avant votre départ. Dans tous les cas consolez-la et ce voyage ne sera que l’avant-goût de celui
que nous avions projeté ensemble.
Je vous aurais écrit plus tôt sans une excursion de quelques jours faite à Strasbourg et à Belfort où j’ai deux escadrons, et sans une inspection administrative qui se termine à
peine.
Embrassez donc bien tendrement pour moi notre chère Adèle, je la félicite des douleurs passagères qui lui promettent de si douces jouissances dans quelques mois.
Vous trouverez ci-inclus un mot pour Hector,
qu’il faudra lui remettre vous même en le pressant de me répondre de suite. Je connais sa paresse à écrire et vous le surveillerez pour que je sache à quoi m’en tenir avant 8 jours.
J’ai recommandé depuis longtemps votre cousin à mon collègue le colonel de 3eme de cuirassiers. Celui-ci m’a
répondu exactement ; il m’a dit du bien du sous-lieutenant Suat ; ne m’a pas donné des espérances bien prochaines parce qu’il est nouveau promu, mais il songera à lui par rapport à moi qui lui en rafraîchira la mémoire en temps opportun.
Achetez et donnez de ma part un joli petit cadeau pour Louis : mettez 5 à 6. f. que vous me compterez plus tard avec le prix de mon fusil auquel vous penserez à votre retour à St Chamond. Que Louis sache bien que son oncle le colonel pense à lui.
Chargez-vous donc des embrassements généreux et croyez, mon cher ami, à mon bien sincère attachement
F. M.
R96.859.5 | Dimanche 7 juillet 1839 | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | Image |
Sur le portrait d’Adèle voir R96.861.4 et 2011.02.138.
Huningue ce dimanche 7 juillet [1839].
Je savais bien, nièce chérie, que tu n’oserais pas partir de Paris avant de m’écrire. Sans compter ton heureuse indisposition tu n’avais que trop de raisons d’écrire peu et rarement. Aussi je ne me plains pas et tu es pardonnée.
Je me réjouis, quoique un peu jaloux, du succès parfait de ton voyage. Maintenant je pourrai parler avec toi de ce cher Paris
que j’aime un peu aussi. Puisque tu es si contente de ton portrait, j’en conclus que tu es facile à attraper ou à contenter. C’est évidemment l’un ou l’autre. Tant mieux donc nous en jugerons un jour. Tu as jugé ainsi que moi cette bonne Henriette. N’est-ce pas que sa physionomie est expressive et bonne ?
Le petit Louis est si gentil aussi. Enfin tu les as vus, appréciés, et tu en parleras à ton pauvre père bientôt. Tu le rendras heureux de tout ton enthousiasme pour ses enfants à Paris.
Puisque tu vas tout droit à St Chamond je t’y adresse ma lettre qui t’y précèdera peut-être puisque tu voyages lentement.
Dis à ton mari que j’ai reçu mon fusil depuis 12 jours. Il a été jugé charmant par tous les connaisseurs et j’en suis parfaitement satisfait. Il faut le payer et Marc voudra bien s’en charger en priant son confrère de St Etienne de le faire. C’est 200 f. je crois. Mais dans tous les cas quand je saurai le chiffre exact, j’écrirai à Camille, l’intendant général des biens de la commune, d’acquitter la dette.
Il faut finir afin que ma lettre parte aujourd’hui. Donne-moi vite des nouvelles de ton voyage et de ta santé. Mille
embrassements pour l’heureux ménage.
F. M.
R96.859.6 | Dimanche 11 août 1839 | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | — |
Sur les tensions entre les Suat et les Pal voir aussi R96.861.7 (décembre 1839), 2011.02.150 et 2011.02.151 (décembre 1840), 2011.02.266 (septembre 1843), et la lettre suivante (2011.02.301). — La ‘douloureuse perte’ évoquée par Marmion est la mort de sa sœur Joséphine Marmion-Berlioz l’année précédente.
Huningue ce 11 août [1839].
Ton voyage dont je n’avais aucune nouvelle me donnait, nièce chérie, quelques inquiétudes. Je craignais que tu ne fusses accrochée quelque part. Mais te voilà enfin arrivée à bon port. Prudence et patience, voilà désormais ta devise jusqu’à ta délivrance et le moment qui comblera tes vœux. Pourquoi faut-il que la fin de ton brillant et heureux pélerinage t’ait laissé quelques sentiments pénibles ! Je ne croirai jamais à la réalité de tes préventions contre l’accueil de ta sœur. Comment ! ne la connais-tu pas ? peux-tu douter de sa tendresse pour toi ? va, elle
est la digne fille de ta mère, et si les démonstrations et la sensibilité ne
sont pas aussi expansives, le cœur n’y perd rien. Je ne te pardonnerais pas de conserver contre ta meilleure amie un doute aussi cruel. Cette idée me fait mal. Jamais, non jamais je ne pourrais m’accoutumer à la pensée que les filles de ma sœur bien aimée, mes nièces si chéries ne continuent pas entre elles cette tendresse intime et sans nuage qui les a toujours unies. Laisse faire au temps qui effacera de fâcheuses préventions. Ton mari est excellent, il te rend heureuse ; que lui demandera-t-on de plus ? il conquerra tout ce que tu supposes qu’il n’a pas et se vengera
de la froideur que tu crois remarquer en te rendant la femme la plus fortunée. Au nom de Dieu, mon Adèle, chasse de ta pensée tous ces soupçons injustes. Promets-moi d’écrire souvent à Nancy. Fais-le toujours comme tu le fais si bien, avec naturel et sentiment ; que jamais, ô jamais elle ne s’aperçoive que tu aies changé pour elle ! Si tu crois avoir à plaider pour ton mari, fais-le sans aigreur et sans exagération surtout, avec ce calme et ce sang-froid qui conviennent si bien à la vérité. Je ne parlerai point de ta lettre à ta sœur ; j’attends la sienne sur votre séjour à la Côte, et si elle aussi [a] des préventions et des soupçons injustes je les détruirai, je l’espère. Oh ! quelle peine tu m’as faite ! aurais-je jamais pu craindre un semblable malheur ! moi qui trouvais dans votre union si douce et si complète, la plus grande consolation à la douloureuse perte que nous avons tant pleurée. Mais
quittons ce pénible sujet.
Mon inspection vient de se terminer ; elle a été longue, pénible et consciencieuse. Je ne m’en plains pas. Me voilà assez libre maintenant pour courir à droite et à gauche ; j’en profiterai et compte aller d’abord à Bade très couru cette année par le beau monde parisien. Mon beau fleuve m’y mène presque en 8 heures ; mais il ne peut me ramener, les bateaux à vapeur ne le remontant pas. Plus tard je verrai quelques sites voisins, en Suisse. À propos, et notre voyage de Berne ? Celui de Paris l’a
avantageusement remplacé pour toi ; mais moi. j’aurais eu tant de
plaisir à vous voir.
Tu ne me parles pas de l’affaire du fusil. Dis à Marc de le payer et de m’envoyer la facture.
Je me réjouis que tu aies bien jugé cette bonne Henriette. — Ménagez-vous, madame, pas d’imprudence ; et surtout chassez les mauvaises pensées. — Je vous embrasse tous les deux ; quand pourrais-je dire tous les trois ? — F. M.
2011.02.301 | Samedi 21 septembre 1839 (?) | À sa nièce Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir R96.859.6.
Colmar, ce 21 septembre
Je pars après-demain pour la grande tournée du conseil de révision, qui a été, comme tu sais, retardée de 12 jours, et me tiendra par conséquent éloigné plus longtemps encore de mon régiment où pourtant bien des affaires me rappellent. Je n’ai jamais tant senti l’inconvénient des honneurs. Cette opération ne sera terminée qu’à la fin d’octobre et j’espère alors pouvoir redevenir Gros-Jean, c’est à dire colonel comme devant. Dans les premiers jours de la tournée je passerai fort près de château d’Olweiller nommé tant de fois par mon pauvre père, parce qu’il
savait que le portrait de ma mère y faisait partie de la collection des
portraits de la famille Waldner. Je tâcherai donc d’en avoir des
nouvelles et je me figure que je le reconnaîtrai d’après la notice
historique que je vous ai fait lire.
Ne m’éloignant jamais beaucoup de Huningue
vous continuerez toujours d’y adresser mes lettres que j’aurai presque aussitôt, parce que mon itinéraire est connu et qu’on sait où me prendre chaque jour.
Aussitôt ta lettre reçue je me suis occupé de vous
remplacer dignement Auguste et j’espère y réussir, parce que le
délai que tu m’accordes coïncide à peu près avec la libération de l’armée ; quant à la différence, mon omnipotence trouverait un biais raisonnable et vous auriez votre homme en temps utile. Voulant vous faire un vrai cadeau j’y mettrai mes soins et vous aurez du bon ou rien.
Je n’ai jamais douté de ta tendresse pour ta sœur. Comment ne pas aimer un cœur pareil ! Mais l’éloignement, cette
prévention contre quelqu’un qui est un autre elle-même, voilà ce qu’il faut vaincre par des rapprochements fréquents, une correspondance active et des concessions réciproques. Mais quittons ce sujet qui donne des pensées pénibles, et parlons d’autres douleurs. Je voudrais pouvoir oublier que je suis propriétaire, tant les douceurs et les avantages que
j’en retire sont exigus. Le sort, à cet égard, me doit bien des
dédommagements, et, suivant ma bonne conscience [?], j’espère.
Ta triste cousine sortira de la triste maison pour faire un triste mariage dans un triste pays, c’est une maladie qui dans la famille est passée à l’état chronique ; il n’y a plus d’espoir.
Dis à ton père que je suis heureux de son bonheur actuel ; il n’est plus seul !! Qu’il en profite, qu’il en jouisse et surtout qu’il le prolonge en vous accompagnant cet hiver à Grenoble.
Il faut te quitter pour vaquer aux soins de mon empire et me disposer à un grand dîner. Ils me poursuivent et demain j’en donne un de 15 personnes, pour les honneurs duquel je voudrais bien avoir les grâces de mes nièces et le savoir-faire du juge de province. [= Camille Pal]
Amitiés bien tendres et embrassements pour tous
F. M
R96.859.7 | Mardi 19 novembre 1839 | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | — |
Le concert du 24 novembre dont il est question est la première exécution de Roméo et Juliette au Conservatoire. Voir le récit que Berlioz en donne à son père dans une lettre du 26 novembre (CG no. 683).
Huningue, ce mardi 19 novembre [1839]
Je sais, nièce chérie, que tu n’as passé que peu de jours à la Côte et que tu étais tout empressée de rejoindre ton mari.
Je sais aussi que tu es devenue une grosse maman dont l’embonpoint passager ne laisse pas de m’inquiéter un peu. Apprends-moi donc bien vite que tu te portes à merveille quand même….
N’est-tu pas aussi installée dans ton nouveau logement ? le trouves-tu commode et agréable ? es-tu acclimatée à Saint Chamond ? n’as-tu pas encore reçu la visite de Camille [Pal] à son retour de Lyon ? enfin il me faut des nouvelles, des détails, et ne pas vous imaginer que parce que vous avez un trousseau à faire et un ménage à surveiller vous soyez dispensée d’écrire à un oncle qui vous aime et qui pense à vous sans cesse.
Mes honneurs extraordinaires sont finis depuis le commencement du mois et je suis de retour au milieu de ma famille régimentaire. Il y a du bon et du mauvais dans cette position, mais somme toute, je préfère être à mon véritable poste, quelque triste qu’il soit et surtout qu’il doive être cet hiver.
Ton frère doit être fort occupé et préoccupé de son concert du 24 courant auquel il se prépare depuis longtemps. Je vais lui écrire pour l’engager à m’annoncer son succès sur lequel je
compte. Cet événement doit marquer dans sa carrière musicale puisque c’est vraiment une entreprise nouvelle et que le grandira si elle réussit.
Taille donc ta plume, chère nièce, et ne me laisse pas ainsi plusieurs mois sans une ligne de toi. Mille amitiés à ton mari que je gronde aussi car vous êtes deux pour m’écrire. Malgré cette coupable indifférence il faut bien t’embrasser le plus tendrement du monde
F M
2011.02.303 | Samedi 18 mars 1843 | À sa nièce Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Sur le voyage de Berlioz outre-Rhin en 1842-43 voir la page sur Berlioz et l’Allemagne, et celles sur Berlin, Leipzig et Dresde. Ses feuilletons sur ce voyage paraîtront après son retour dans le Journal des Débats et seront bientôt repris dans le Voyage musical en Allemagne et en Italie 1844) et plus tard, avec quelques modifications, dans ses Mémoires. — Sur Marmion et la pension Tivoli à Paris voir aussi sa lettre du 16 mai 1844 (BnF).
Thionville, samedi 18 mars [1843].
Je ne pouvais supposer que ton frère laissât sa femme sans nouvelles et sans secours ; pourtant j’étais inquiet, ne voyant rien de lui dans les Débats que je lis habituellement et où il ne manque jamais de faire consigner ses succès lorsqu’il y a lieu. Ta lettre du 6 courant est venue dissiper mes craintes relativement à Henriette ; et quelques jours après j’ai lu un article sur le passage du grand artiste B. à Leipzig et à Dresde. On laisse pressentir aussi les couronnes qui l’attendent à Berlin et j’y compte un peu.
Toutefois je regrette qu’il n’aille pas à Munich où mes recommendations ne lui eussent pas été inutiles. D’après ce que tu me mandes de son désir de revenir bien vite dans le veritable centre de toutes les choses de ce monde, il paraît qu’il ne visitera pas, cette fois-ci du moins, cette partie de l’Allemagne. Je m’en console par l’espoir, ainsi plus fondé, de le voir pendant mon séjour à Paris.
Rien ne venant à la traverse mon arrivée dans la grand-ville aura lieu du 10 au 12 avril.
Suivant l’agréable habitude que je me suis faite je descendrai à Tivoli dont les aimables, quoique déjà un peu vieilles, commensales ne reverront pas sans quelque plaisir leur vieux colonel ; du moins je m’en flatte.
Ce pauvre Auguste Blanchet a donc succombé ! encore une mort prématurée ! quelle année fatale ! non pas précisément l’année 43 ; mais la période d’un mois de mars à l’autre. Dans mon régiment voilà en moins d’un an le 3eme officier que nous enterrons à Thionville, digne comme les deux autres des plus justes regrets. C’est mon chirurgien major que je viens encore de perdre ; brave et digne homme dont les 3 fils qui lui ont coûté les yeux de la tête et auxquels il a sacrifié sa vie, sont à peine établis. Sa malheureuse veuve va me causer bien des démarches pendant mon séjour à Paris. Il s’agira, comme à la veuve d’un de mes capitaines mort aussi au mois de mars dernier, de lui faire obtenir un bureau de tabac, ce à quoi j’ai réussi mieux et plus tôt que je ne croyais. Serai-je aussi heureux cette fois ? il faut en douter ; mais je n’y épargnerai ni mon temps ni ma peine. C’est un engagement sacré qui m’est imposé.
Quand donc bientôt tu verras, car tu le dois, cette bonne
famille Blanchet, n’oublie pas mes sincères et douloureux compliments.
Je tiens toujours au rejeton pur et vrai de la
chienne de Mr Victor. S’il y a moyen de me l’adresser soit ici, soit à Paris pendant mon séjour, qu’on n’y manque pas et je serai très reconnaissant.
Le compte de Camille se trouve concorder, sauf une
somme tout-à-fait insignifiante, avec celui de l’an dernier, que j’ai conservé comme tous les autres pour connaître mon point de départ. Il m’expliquera cette différence à notre première entrevue.
Je n’ai point mordu sur mon capital pour la somme demandée ; mais j’ai atteint l’extrême limite de mes revenus. Au reste rien ne presse, dis-le à ton mari, pour me l’envoyer. Qu’il compte sur la fin d’avril, et j’aurai le temps de vous donner un nouvel avis après mon arrivée.
Passé le 2 ou le 3, au plus tard, du mois prochain ne m’écris plus ici. J’en pars le 8 et m’arrêterai peut-être deux jours à Metz ; ce qui confirme ce que j’ai dit plus haut de mon installation à Tivoli, Rue St Lazare, du 10 au 12.
Donne à ta sœur des nouvelles de moi et de mon voyage. Recommande-lui toujours, de ma part, d’engraisser et de reconquérir sa
fraîcheur. Conserve la tienne sans épaississement, et croyez-moi tous votre
affectionné pour la vie.
FM
2011.02.304 | Mercredi 24 février 1847 | À sa nièce Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Rappelons que Félix Marmion avait épousé Thérèse Boutaud, veuve Machon, le 25 novembre 1846 (cf. 2011.02.258, 2011.02.205). Il envoya au même moment une lettre rédigée dans les mêmes termes à Adèle Berlioz-Suat (2011.02.201).
COLONEL du 11e Dragons.
Moulins ce mercredi 24 février [1847]
Je touche, chère nièce, à ma liberté définitive. L’avis de ma retraite est arrivé et nous comptons partir dans 8 jours. Nous serons donc à Lyon du 2 au 4 ; nous y séjournerons peut-être 48 h. pour diverses emplettes de ménage et, après avoir donné un jour à Adèle, nous arriverons au port desiré. Le temps me dure bien de voir derrière moi ce moment de la séparation avec mes camarades, avec un régiment commandé par moi pendant plus de 10 ans. Aussi n’ai-je jamais trouvé les heures si longues. Mais l’excellente femme est là et ne me quittera plus, avec une consolation pareille on brave tout.
Tu peux encore m’écrire ici, en ne perdant pas un jour. Après quoi tu sais où me prendre.
Je m’effraye justement de tout ce qui va se passer pendant ces 8 mortels jours, préparatifs, visites à rendre et à recevoir,
déménagements, emballages ; comptes à rendre et à régler, adieux etc.
etc. etc.
Aussi n’ai-je le courage de rien ajouter et je finis par nos compliments à toi et à tous les tiens.
F. M.
Nos santés tout parfaites à tous les deux mais le moral du colonel est un peu affecté.
2011.02.306 | Mardi 12 octobre 1847 | À sa nièce Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Les ‘dames de Pointières’ sont Mme Veyron et sa fille Louise Boutaud.
[...]
Il faudra bien arranger aussi ton voyage et tu vas y penser sérieusement, car le cousin grille de te voir. En attendant réponds-lui de suite et sois bien aimable. Au moment où j’écris ces mots, Adèle que je pressais de venir me mande qu’elle nous arrive jeudi prochain ou samedi, mais avec Nancy seulement ; elle laisse Joséphine pour tenir compagnie à son père qui reste.
Nous espérons que ce voyage fera du bien à ta pauvre sœur.
Le cousin la fera rire, je t’en réponds, ou elle serait incurable.
Mille compliments aux dames de Pointières à la 1ere occasion.
Ma femme embrasse ses deux nièces de la Côte.
F. M.
R96.859.11 | Années 1850 | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | — |
Sur Eugénie Blachier voir R96.865.
Vendredi.
Avant de compléter les renseignements que tu demandes, je t’envoie de suite l’adresse de Mme Blachier, parce que, voulant lui écrire, tu n’as pas de temps à perdre, attendu qu’elle revient à la fin du mois. Elle est à l’hôtel de Saxe No 12 rue Jacob. Je garde encore la lettre jointe à la tienne. demain je vais voir une dame de Brioude Mme de Torcia, actuellement chez sa mère dans nos environs. J’aurai probablement, sur la fortune présumée du jeune homme, et sur la disparition de son père, quelques renseignements importants que je te transmettrai sans retard. J’ai su aussi par Offarel l’avocat que ce jeune homme avait de 27 à 28 ans, qu’il était bien de physique et qu’il est employé dans les télégraphes. Il doit effectivement venir à Tournon voir Mme O. Larcel. Il est beau-frère du frère d’Offarel.
Notre départ est prochain, mais non encore fixé. Tu n’attendras pas longtemps ce que j’aurai à t’apprendre sur la grande affaire qui vous tient en soucis.
Après demain nous réunissons à dîner toute la famille. S’il y a quelques démarches à faire, quelques renseignements à recueillir ici, si le jeune homme y vient, Louise [Boutaud] que nous avons mise au courant, sous le secret, nous remplacera.
Bonjour et embrassement à tous 4.
Mme Maistre, dont j’ai reçu une lettre aujourd’hui, est contente de son fils, de son travail et de sa santé ; elle loge : Boulevard Sébastopol, Rive gauche No 27.
R96.859.12 | Fin novembre 1858 (?) | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat (avec Thérèse Marmion) |
Transcription littérale | Image |
Voir R96.858.8.
[De la main de Thérèse Marmion]
Votre pauvre Joséphine, ma chère amie, a donc encore été bien souffrante ! oh la cruelle maladie ! il faut avoir été témoin des souffrances de cette chère enfant pour s’en faire une idée ! combien je me félicite d’avoir Nancy auprès de nous ; bonne, sensible et adorant sa sœur, cette
tristesse continuelle, ces scènes de larmes et de désespoir si souvent
renouvelées, auraient exercé une influence bien fâcheuse sur son organisation
si impressionable.
— Alors, ma chère, je vous préviens que lorsque nous partirons Louise [Boutaud] veut la garder auprès d’elle indéfiniment. Préparez-vous donc à ce sacrifice et lorsque vous écrirez à Nancy, faites lui comprendre que cette séparation est absolument nécessaire ; en attendant vous saurez que toute la famille raffole de cette charmante petite, ces beaux yeux où son âme angélique se réflète si bien charment tout le monde ; le colonel est tout feu de ses succès. Je lui cède la plume pour qu’il ait le plaisir de vous le dire lui-même.
[De la main de Félix Marmion]
Je confirme en tout point, pour consoler un peu ton cœur maternel, tout ce que ma femme te dit de la bonne petite, comme on se plaît à la nommer. Elle restera donc ici jusqu’à nouvel ordre, de toutes manières. Notre départ est prochain sans être fixé. Nous attendons des renseignements pour les logements. À cause de notre lettre d’aujourd’hui, Nanci ne t’écrira que dans deux jours. Faut-il, à l’entrée de cette saison rigoureuse, espérer un mieux pour notre chère Joséphine ? voilà ce qui nous ferait tant de bien à tous. Il y a si longtemps que cette cruelle situation dure, que tu mériterais bien un amendement. Sois bien convaincue, chère nièce, que nous le désirons tous ici bien ardemment. Que cela te console un peu !
Bonjour à tous les trois.
Je prie Suat de ne pas oublier le Barrins.
R96.859.10 | Vendredi 10 décembre 1858 (?) | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8 et la lettre de Nancy Suat R96.858.10. — ‘Fenon’ est sans doute un sobriquet de Nancy Suat. — Sur Auguste Morel, fidèle ami de Berlioz, voir la lettre suivante (R906.859.8) et les développements qui lui sont consacrés sur ce site.
Vendredi.
Ta fille, chère nièce, t’a mis au courant des misères qui retardent notre départ. Nous devrions être à Hyères depuis avant-hier, et voilà que nous ne savons plus si et quand nous y allons. Il n’y a pas moyen de songer à un voyage dans l’état de ma pauvre femme, avec le froid qui s’avance à grands pas. Elle va pourtant sensiblement mieux ; mais les démangeaisons continuent, ce qui l’irrite beaucoup et cause des insomnies qui augmentent encore l’irritation. On se console en pensant qu’à tout prendre ce n’est qu’un bobo et qu’il n’y a rien de sérieux. Moi qui vois le beau côté des choses, suivant les dispositions naturelles de mon esprit, je dis qu’à quelque chose malheur est bon. D’abord cette
contrariété nous fait conserver plus longtemps mon bon petit Fenon que nous et toute la famille aimons toujours davantage. Puis j’entrevois que nous pourrions bien n’aller qu’à Marseille plus tard, ce qui serait plus commode et plus économique. Déjà j’y ai fait arrêter deux colis que j’avais envoyés d’avance, suivant notre usage. Voilà 4 fois que j’écris à cet excellent ami de ton frère, Mr Morel, d’abord pour retarder, et puis pour contremander tout à fait les places qu’il nous avait retenues pour Toulon et Hyères. Ce brave homme nous voulait, de toutes forces, à dîner pour le lendemain de notre arrivée à Marseille où nous devions nous arrêter un jour. Je crois qu’il ne plaindrait pas les courses que je lui ai occasionnées, si tout cela nous faisait prendre nos quartiers d’hiver près de lui, mais il n’y a encore rien de décidé. Ce qu’il y a de certain c’est que ma femme veut l’air de la mer et un soleil méridional. On aurait tout ça de première main à Marseille ; de plus toi et bien d’autres personnes pourraient et même devraient y venir nous rendre visite, ce qui serait charmant. Je crains toujours que les indécisions de Coralie ne viennent contrarier ce plan qui serait pourtant si raisonnable et si facile. Nanci prend
régulièrement ses leçons avec Mr Marcelle qui en est fort
content. Nous avons fait monter mon piano dans sa chambre, ce qui vaut bien
mieux et pour elle et pour l’instrument que nous ne devrions pas laisser, l’hiver, au rez-de-chaussée. À cet endroit de ma lettre Marthe [Boutaud] vient la chercher pour assister à sa lecon de littérature. On a bien de la peine à séparer ces deux jeunes filles, ce qui souvent, comme aujourd’hui, nous prive d’un convive qui nous va si bien. Hier Louise [Boutaud] nous a donné un excellent dîner
où il ne manquait, de la famille, que ma femme. Tu comprends que toutes ces bonnes réunions me font joliment prendre patience, et que je m’accommode bien de ce régime. Mais la nécessité est une suprême loi, et décidément je conviens que dans cette saison, il faut à ma femme un climat plus chaud.
Tu trouveras, ci-inclus, le reçu des intérêts Barrins.
Inutile de rappeler que nous avons appris avec bonheur le mieux de notre chère Joséphine. Je la vois d’ici, comme en tout ce qu’elle apprend, faire d’immenses progrès en équitation. Si on allait vous l’enlever pour l’hippodrome ou le cirque de l’Impératrice ! En attendant donnez toujours fréquemment de ses nouvelles et recevez tous les trois les embrassements du ménage devenu trois aussi.
c(olonel) F(élix) M(armion)
R96.859.8 | Jeudi 30 décembre 1858 | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8. La lettre de Thérèse Marmion ci-dessous (R96.860.2) fait suite à cette lettre.
Hyères jeudi [30 décembre 1858]
Je t’écris à la hâte pour t’annoncer notre heureuse arrivée ici.
Nous y avons trouvé un temps trop beau pour qu’il
dure. Le mois de mai n’en présente pas de pareil. Aussi en avons-nous
profité dès le matin pour chercher un logement. Notre choix a été bientôt
fait, et après quelques petites réparations indispensables, nous nous y
installons demain. J’aurais bien différé jusque là pour te donner plus de détails ; mais j’ai voulu te parler des renseignements que nous devions prendre à Marseille sur le docteur Bernard. Nous l’avons manqué d’un quart d’heure sur une fausse indication qu’on nous avait donnée de l’heure où il donne des consultations. Il n’y avait pas à prendre sa revanche le lendemain puisque nous partions à 9 h du matin ; mais à l’hôtel dont le maître est une connaissance intime du docteur, on me prévint qu’il y venait tous les soirs faire sa partie de whist jusqu’à minuit ; j’étais donc heureux de penser que je pourrais lui parler à mon aise. Mais à mon grand regret il n’y a pas paru. Je l’y ai attendu jusqu’à 11 h. Alors j’ai pris le parti de laisser à l’excellent Morel une note dans laquelle je raconte la maladie de ta fille depuis le
commencement. Puis je pose deux questions :
1o. Le traitement magnétique serait-il efficace et quelle serait l’époque où l’on devrait le commencer ?
2o. Trouverait-on à Marseille et autant que possible dans le voisinage du docteur, une maison de santé où la mère et la fille pourraient s’établir à des prix modérés, pendant la durée du traitement ?
Morel a un ami intime lié avec le docteur, et qui servira d’intermédiaire pour avoir sa réponse aux questions.
J’ai laissé la note à Morel le plus obligeant homme que je connaisse. Il me répondra ici et je te transmettrai sa réponse.
Ta fille et toi êtes la nièce et la sœur de son ami H. B. C’est à ce titre que je lui recommande la chose et vous pouvez être convaincus de l’empressement qu’il mettra à nous rendre le
service demandé.
Nous avons dîné chez ces braves gens le lendemain de notre arrivée à Marseille ; il a été impossible de les refuser. Enfin prenez patience ; si vous vous résolvez à venir à M(arseille) je crois qu’on nous conseillera d’attendre encore. Prenez donc patience, et en attendant donnez-nous de fréquentes nouvelles de notre chère Joséphine que nous embrassons bien tendrement ainsi que vous deux. Comptez que vous aurez les regrets de toute la famille en lui réclamant mon petit Fenon dont jeunes et vieux raffolaient de plus en plus !
Ma femme va bien et moi aussi, mais nous sommes horriblement empêtrés à l’heure qu’il est.
R96.859.9 | Mardi 2 décembre 1862 | À son neveu Hector Berlioz | Transcription littérale | Image |
CG VIII no. 2674bis, p. 516-17. La lettre de Berlioz à Félix Marmion du 9 décembre 1862 (CG no. 2677) répond à cette lettre et annonce l’envoi d’À travers chants.
Tournon mardi 2 décembre [1862]
Nous avons appris avec chagrin, mon cher Hector, la nouvelle équipée de ton fils ; et j’ai bien peur que ce malheureux enfant ne se rende tout à fait indigne de l’intérêt que nous lui portions, et dont bien des preuves lui ont été données. Quant à moi je voudrais qu’il sache que je ne veux le voir que lorsqu’il aura reconquis une position comme celle qu’il a si sottement perdue.
Dis-moi donc ce qu’il devient, et quelles espérances tu peux avoir à son sujet.
J’ai lu hier dans le feuilleton du Moniteur un article concernant ton À travers chants. Cela nous a donné à tous l’envie de le lire. Ainsi tu vas m’envoyer cet ouvrage sur le
champ par la poste. Cela se fait à bon marché et très facilement.
Nous avons admiré les jolis cadeaux que tu as envoyés à tes nièces [Joséphine et Nancy Suat]. Nous les attendons toutes les deux demain, pour passer quelques jours avec nous, avant notre départ pour Hyères, lequel aura lieu le 9 ou le 10 de ce mois. Tu as donc le temps, en ne perdant pas un jour, de m’envoyer ton livre.
Donne moi aussi des nouvelles de ta santé et de ce que tu fais ou veux faire. Quant au vieux ménage il se conserve dans un état satisfaisant.
Que la présente te trouve de même !
Vale. Nous t’embrassons
col. F. Marmion
Voir aussi ci-dessus R96.859.12
2011.02.293 | Dimanche 21 janvier 1855 | À Mathilde Pal | Transcription littérale | Image |
Le ‘succès complet’ du ‘pauvre Hector’ est celui des deux premières exécutions de l’Enfance du Christ à Paris le 10 et 24 décembre 1854 (voir ses lettres aux Suat, CG nos. 1830, 1853, 1865, et les lettres d’Adèle 2011.02.236, 2011.02.238 et 2011.02.240). — Deux mois plus tôt, le 19 octobre, Berlioz avait épousé Marie Recio, ‘cette péronelle’ dont ‘l’ignoble mère’ était Mme Martin. — Louis Berlioz avait fait un bref séjour du 7 au 11 novembre chez les Suat à Vienne et les Marmion à Tournon (CG nos. 1806, 1808. 1809, 1812; voir aussi la lettre d’Adèle 2011.02.235).
Montpellier dimanche [21 janvier 1855]
Que diras tu, ma chère Mathilde, lorsque tu sauras que nous sommes depuis deux jours encombrés
de neige ; il y a cinquante ans qu’on n’avait pas vu un temps pareil, on le regarde néanmoins comme un bienfait, car depuis huit mois il n’a pas plu sérieusement à Montpellier et dans les environs. Avant cette neige nous avions un soleil splendide et j’en profitais largement pour me promener et pour flâner ; ton oncle selon son habitude use du même régime, sa santé est florissante, je suis assez satisfaite de la mienne, Sophie va très bien également, avantage immense pour le ménage.
Tu dois être actuellement débarrassée de ton dîner, ma
chère amie, et tu te disposes probablement à partir pour Vienne, peut-être même y es-tu déjà ; je suis charmée de ce voyage pour toi et pour ta tante [Adèle Suat], la pauvre femme est complètement démoralisée depuis quelque temps, le plaisir de te voir et le désir de te distraire la forceront à sortir de cet état d’accablement qui doit inquiéter son mari ; heureusement il va bien, ainsi que ses fillettes.
Enfin ce pauvre Hector a eu décidement un succès complet, un succès de gloire et d’argent, comme tu le dis très judicieusement. Il est malheureux que cette époque heureuse de sa vie soit gâtée par son mariage ; nous n’avons jamais osé parler de ce triste évènement à [nom illisible] ; mais je serais cependant bien aise de connaître ses projets pour l’avenir afin de marcher sur ses traces, cependant je t’avouerai franchement que j’ai très peu envie de connaitre cette péronelle et encore moins son ignoble mère. Louis était indigné de la conduite de cette femme, le pauvre enfant a eu beaucoup à se plaindre de Melle [?] Marie, car tu sauras que c’est le nom de ton intéressante tante. Tout cela soit dit entre nous, ma chère amie, car il faut ménager la bonne Adèle sur ce chapitre ; son frère me préoccupe beaucoup moins, bien convaincu qu’il a beaucoup plus de sensibilité dans les nerfs que dans le cœur.
Le carnaval est assez triste à Montpellier, et je crois qu’il en sera de même partout. On se dispose cependant à donner quelques fêtes à Tournon à l’occasion du mariage d’Albert ; tu as su que Raoul [Boutaud] était venu passer quelques jours dans sa famille ; on a été bien heureux de revoir ce beau Dragon, il trouve le métier dur, mais il est décidé à persister. Il aurait préféré le régiment à Saumur, mais sa mère n’était pas de cet avis ; le voilà au moins pour quelque temps à l’abri du canon, et d’ici là peut-être aurons nous la
paix. En attendant le siège de Sébastopol n’est pas encore commencé ; te rappelles-tu Mme Mathieu [?] à la Côte nous disant tous les jours à l’heure qu’il est Sébastopol est pris ; ah ! Monsieur Faure dont on se moquait avait bien raison. Sur ce, ma
chère amie, je te souhaite le bon soir, je t’embrasse de tout mon cœur et je vais me coucher. Mes amitiés bien tendres à ton père. —
R96.860.1 | Dimanche 12 décembre 1858 (?) | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | — |
Voir R96.858.8.
Dimanche [12 décembre 1858 (?)]
Je vais mieux, ma chère Adèle, mais je dors très peu, et je suis très irritable ; vous saurez donc que votre lettre que je reçois à l’instant m’a causé une grand colère, et si vous étiez là, je vous battrais ! Comment pouvez-vous avoir l’idée que votre bonne petite Nancy pourra nous donner de l’embarras ! Pour faire une supposition aussi
absurde, aussi ridicule, il faut ma chère que votre raison commence à
déménager, aussi je n’essaierai pas de vous faire des raisonements à ce
sujet, et c’est à votre mari que je m’adresse pour lui faire comprendre combien ce serait dangereux de rappeler Nancy auprès de vous. L’expérience du passé vous a démontré que sa présence est absolument sans
avantage pour Joséphine, et les médecins ne vous ont pas laissé ignorer qu’il était impérieusement nécessaire de séparer les deux sœurs. Je conçois, ma chère amie, l’immense sacrifice que vous faites en vous séparant de cette adorable petite créature, mais puisque le sacrifice est nécessaire il faut avoir le courage de le supporter autant de temps que les circonstances l’exigeront. En attendant Nancy se porte très bien, elle étudie très sérieusement son piano, elle assiste au cours de littérature de Marthe [Boutaud] et comme il y a temps pour tous, elle est fort occupée aujourd’hui d’apprendre un rôle dans un Proverbe que l’on doit jouer jeudi prochain chez Louise [Boutaud]. L’entrain de ces jeunes filles et de Nancy surtout nous divertit beaucoup ; il faut absolument, ma chère, que vous en soyez témoin ; venez donc nous faire
une petite visite ce jour-là. Je crois que vous auriez besoin de cette
distraction pour vous retremper, j’espère que votre mari vous y déterminera ; vous le devez dans l’intérêt de tous, songez-y sérieusement ; l’épreuve est cruelle, et pour avoir la force de la supporter il ne faut pas reculer devant les moyens à employer pour ranimer vos forces. Louise vous écrira, et j’espère que vous vous rendrez à nos
raisonnements.
Au reste je suis bien aise de vous prévenir que si vous persistiez dans vos projets, nous nous croyons en droit de nous y
opposer formellement, bien convaincues qu’un jour vous auriez peut-être la douleur de voir vos deux enfants malades à la fois. Adieu, ma chère, je compte beaucoup sur votre mari pour vous déterminer à suivre nos conseils, et je compte sur vous pour que vous le décidiez à nous faire une petite visite. Je veux qu’il soit témoin de l’amitié que nous avons tous pour votre chère enfant ; elle arrive de Vêpres, elle s’habille pour aller dîner ce soir chez Mme Camille, après demain soirée chez Mme Deville. Adieu ma bonne Adèle, du courage, le printemps sera le terme de vos peines, je n’en doute pas. Adieu, je vous laisse pour aller prendre un grand bain de 2 heures,
voilà le 5eme et ce n’est pas le dernier.
R96.860.2 | Vendredi 7 janvier 1859 (?) | À sa nièce Adèle Berlioz-Suat | Transcription littérale | Image |
Voir R96.858.8. Cette lettre fait suite à celle de Félix Marmion du 30 décembre 1858 (R96.859.8). — Sur l’opéra d’Auguste Morel, le Jugement de Dieu, voir le compte-rendu de Berlioz dans le Journal des Débats du 28 mars 1860.
Vendredi [7 janvier 1859 (?)]
Le Colonel vous a écrit, ma chère Adèle, qu’il nous avait été impossible de voir Mr Bernard ; une note bien détaillée de l’état de Joséphine a été remise à Mr Morel pour la faire parvenir au docteur par le canal d’un de ses amis. Quant à votre résidence dans une maison de santé, il n’en existe pas m’a-t-on dit à Marseille ; au reste, on est toujours plus chèrement dans ces maisons et la vue des malades serait fort peu récréative pour votre chère enfant. Quant au magnétisme il est à peu près certain que Mr Bernard vous le conseillera ; beaucoup de gens le prônent, beaucoup le dénigrent, il en est ainsi de toutes les choses de ce monde. Le magnétisme développe horrible[me]nt le système nerveux, et le magnétisme exerce une influence immense sur le sujet qu’il a magnétisé. Melle de Landersset a été guérie par ce moyen, mais elle a eu plusieurs rechutes, et plusieurs fois il a fallu faire revenir Mr
Lafontaine de Genève, et à défaut de ce cèlèbre charlatan il a fallu avoir recours à tous les magnétiseurs du pays et des environs. À votre place je ne me déciderais à employer ce moyen qu’après avoir [mot non déchiffré] de l’hydrothérapie ou des Bains de Mer ; mais comme il est absolument nécessaire d’apporter du soulagement aux souffrances de cette pauvre petite et aux vôtres, je vous conseillerais un voyage dans le midi ; quelle différence de température avec la nôtre ? Mr Morel doit faire jouer un opéra prochainement, Hector lui a promis de venir à Marseille à cette époque ; voilà une bonne occasion, et puis vous irez à Toulon, et puis à Hyères jouir de notre beau soleil. Je suis
convaincue que notre chère malade s’en trouvera bien, et vous aussi ma
chère Adèle, car enfin il faut bien songer à reprendre des forces pour soutenir la lutte qui peut être encore longue. Nous ne pourrions pas vous offrir un logement, mais nous vous en procurerions un dans un hôtel qui nous avoisine ; allons, décidez-vous, et surtout donnez-nous vite de vos
nouvelles.
Vous êtes actuellement en possession de votre chère Nancy ; son retour parmi vous a dû vous rendre bien heureux ! Quelle bonne et aimable créature ! Son absence dans la famille fera un vide, vieux et jeunes, tout le monde l’aimait ; vous saurez qu’à la
soirée de Louise elle a eu un succès complet et nous étions tous
attristés que vous n’en fussiez pas témoin ; le rôle qu’elle a joué dans le proverbe semblait fait pour elle, une jeune fille assez de vertu, nourrissant sa vieille grand-mère de son travail. Il faut que vous sachiez aussi que l’on trouve qu’elle vous ressemble prodigieusement, et pour la figure, et pour la tournure, et pour la grâce ; je partage parfaitement cet avis et je trouve que dans une année il s’est opéré dans toute sa personne un changement des plus avantageux. — Votre oncle est brillant de santé, je me porte parfaitement également, mais je ne suis pas encore débarrassée de mes clous qui se succèdent sans interruption sous le bras droit ; heureusement il ne me font pas souffrir, et j’en suis quitte pour mettre 3 ou 4 sodales pour remplacer les tailles de robes
que je ne pourrai pas entrer.
Nous venons de recevoir des nouvelles de Louis, il arrivera dans le mois de mars ; en partant il nous demanda si nous voulions qu’il nous rapporte quelque production indienne. Le Colonel lui dit de nous envoyer quelques petits objets de fantaisie ; il nous envoie la liste et le prix de ces objets au nombre de 20, tels que corbeille à ouvrage, [mot illlisible] à jeux, canne éventail, porte-cigare, etc. etc. Le tout nous reviendra avec les frais de douane et intérêt d’argent emprunté à cinq cents francs. Vous pouvez vous faire une idée de notre surprise désagréable. J’espère que d’ici au mois de mars la mauvaise humeur du colonel se calmera, et qu’il remboursera, sans observation, le cher petit neveu qui me paraît vouloir se lancer dans le commerce des spéculations ; si vous lui écrivez ne lui en parlez pas, je vous le recommande. Adieu chère amie, répondez-nous vite et tâchez de nous donner de meilleures nouvelles.
Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; pages Lettres de la famille du compositeur créées le 11 décembre 2014, mises à jour le 1er avril 2015. Révision le 1er décembre 2023.
© Musée Hector-Berlioz pour le texte et les images des lettres
© Michel Austin et Monir Tayeb pour le commentaire et la présentation
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