La Société Philharmonique, 1850-1851: textes et documents |
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L’Illustration, 2 mars 1850, p. 134.
Chronique musicale. […] Un autre événement musical très-important de la semaine dernière, ç’a été l’inauguration de la grande société philharmonique de Paris. Cette société musicale nouvelle, vraiment grande par les moyens d’exécution qu’elle emploie dès son debut et par les projets qu’elle se propose de réaliser par la suite, a fait son entrée dans le monde artistique parisien d’une façon en quelque sorte triomphante. Du premier coup elle a abordé les œuvres les plus ardues, et les a traduites au public avec une chaleur et en même temps une délicatesse, avec une ensemble digne d’une armée d’exécutants tous formés depuis longtemps à conquérir de compagnie le succès et la gloire. Les noms de Gluck, de Beethoven, de Méhul figuraient au programme comme représentants des anciens maîtres ; ceux de Meyerbeer et de Berlioz y soutenaient dignement la cause des maîtres nouveaux. Les parties de chant solo étaient confiées à madame Pauline Viardot, à mademoiselle Dobré, MM. Roger et Levasseur : leurs noms seuls en disent assez. M. Joachim, de Vienne, violoniste, M. Demunck, violoncelliste, de Bruxelles, ont prouvé dans cette belle soirée que la réputation qui les avaient précédés à Paris, comme virtuoses instrumentistes hors ligne, n’était que méritée. Mais c’est aux masses vocales et instrumentales que revient de plein droit la plus grande part des honneurs de la soirée. Dirigé par M. Berlioz, l’orchestre paraissait réellement possédé du fougueux enthousiasme de son chef. Le chœur, soigneusement préparé et habilement conduit par M. Dietsch, était tel qu’on n’en avait certainement jamais entendu de si parfait à Paris. Bref, nous n’avons qu’un regret, c’est que les dimensions d’une chronique ne nous permettent pas de rappeler une à une toutes les bonnes impressions de cette solennité musicale. Disons, toutefois, que la marche hongroise du Faust de Berlioz a produit cet effet entraînant qu’elle a produit partout où l’auteur l’a fait exécuter, et qu’elle a été redemandée à grands cris par l’auditoire entier ; il était aussi nombreux que la salle Sainte-Cécile pouvait le contenir. Cette première soirée de la grande société philharmonique de Paris est du plus heureux augure pour l’avenir et la plus belle récompense que ses fondateurs pouvaient désirer. […] GEORGES BOUSQUET.
L’Illustration 30 mars 1850, p. 199
Chronique musicale. […] Et maintenant comment faire pour rendre compte de tous les concerts qui ont eu lieu la semaine dernière ? Avons-nous seulement suffisamment d’espace pour en donner un simple dénombrement ? Nous en sommes resté, il y a huit jours, au deuxième concert de la grande Société Philharmonique, dans lequel a été exécutée la symphonie d’Harold en Italie. Cette œuvre est une de celles de M. Berlioz qu’on aime le plus à entendre. La Marche des Pélerins est un morceau qui seul suffirait à établir solidement la gloire d’un compositeur, si un compositeur pouvait jamais voir, de son vivant et dans son pays, sa gloire solidement établie. Un Adoremus de Palestrina et une chanson du seizième siècle ont été dits par tout le chœur, sans accompagnement, avec une rare perfection, et ont vivement impressionné l’auditoire. L’ouverture du Freyschütz, des scènes du premier acte d’Alceste, de Gluck, le grand final de Moïse, de Rossini, et un concerto de violon composé et exécuté par M. Hermann, un de nos violonistes les plus distingués, complétaient le programme. Dans la symphonie d’Harold, c’est M. L. Massart qui a joué, et très-bien joué, la partie obligée d’alto que jouait autrefois Urhan. Ajoutons enfin qu’aujourd’hui même la Grande Société Philharmonique donne son troisième concert, et que nous avons remarqué dans son programme l’annonce d’une symphonie nouvelle de M. Gastinel, lauréat de l’Institut. Infortunés lauréats, il y a donc quelqu’un qui s’occupe d’eux ! La Grande Société Philharmonique, en se fondant, a promis d’exécuter tous les ans une œuvre d’un pensionnaire de l’Académie de France à Rome, et voilà qu’elle tient sa promesse ; on ne saurait trop l’en féliciter. […] GEORGES BOUSQUET.
L’Illustration 6 avril 1850, p. 211
Chronique musicale. […] Le concert spirituel donné par la Grande Société Philharmonique le samedi-saint a été aussi l’un des plus brillants de la saison. Le Credo de la messe solennelle de M. Dietsch, l’O salutaris et l’Agnus de la messe de M. Niedermeyer, et même, à la rigueur, la Marche des Pélerins de M. Berlioz, ont, si l’on veut, justifié avec éclat la qualification de ce concert, qui, sur le programme, était renfermée entre deux parenthèses. Mais le solo de violon composé et exécuté par M. Henri Wieniawski, le concerto de Weber parfaitement dit par madame Massart, l’air de Fernand Cortez chanté par mademoiselle Dobré, et l’ouverture de Démophon de Vogel, tous ces morceaux très-profanes n’ont pas été moins applaudis. De la symphonie de M. Gastinel, grand prix de Rome, on n’a dit que deux parties, la seconde et la troisième. Nous regrettons que la promesse faite par la Grande Société Philharmonique d’exécuter tous les ans une œuvre nouvelle d’un lauréat de l’Institut n’ait pas été, dès la première fois, complètement tenue. Ne faire entendre que deux parties d’une symphonie qui en a quatre, c’est absolument la même chose qu’exposer isolément quelques figures d’un tableau au lieu du tableau entier ; le public ne peut en apprécier convenablement les détails et les goûter séparément qu’après les avoir d’abord vus dans leur ensemble. Les deux parties de la symphonie de M. Gastinel qui ont été dites sont l’andante et le scherzo. L’une nous a paru un peu froide et languissante, l’autre, au contraire, a de la chaleur, de l’entrain et le plan en est conçu avec originalité. Nous avons d’autant plus regretté de ne pas entendre les deux autres. […] GEORGES BOUSQUET.
L’Illustration 4 mai 1850, p. 279
Chronique musicale. […] La Société des concerts du Conservatoire, la Société de l’Union musicale, la Grande Société Philharmonique, ont aussi, l’une après l’autre, fait leurs adieux au public, dans le courant du mois d’avril. Leurs dernières séances n’ont pas été les moins attrayantes de l’hiver. Ne pouvant citer en entier tous les programmes, nous en signalerons du moins les plus notables particularités […] — Dans sa dernière soirée, la Société Philharmonique a procuré une nouvelle connaissance aux dilettantes parisiens, une jouissance dont les amateurs de belle musique lui doivent savoir gré : nous voulons parler de l’ouverture d’Athalie de Mendelssohn, œuvre sérieuse, ainsi que tout ce qui est sorti de la plume de ce compositeur illustre. […] GEORGES BOUSQUET.
L’Illustration 1-8 novembre 1850, p. 286-7
Chronique musicale. La Société philharmonique de Paris a ouvert sa session le 22 octobre dans la salle Sainte Cécile. — Nous dirons en toute franchise que la symphonie en ut mineur de Beethoven, par où la Grande Société philharmonique a inauguré sa seconde année d’existence, n’a pas été exécutée avec toute la perfection qu’on est en droit d’attendre à présent d’un orchestre à Paris. La Société des concerts du Conservatoire nous a nécessairement rendus difficiles sur l’exécution des œuvres symphoniques de Beethoven. Cet œuvres seront donc un écueil pour toute société de concerts nouvelle. S’il est impossible de faire, sous ce rapport, mieux que l’ancienne société, il faut du moins faire aussi bien. On ne saurait demander au public d’exiger moins que cela. Quant à nous, nous recueillons simplement les impressions de ce public. — Après la symphonie de Beethoven venait un morceau de M. Berlioz, qu’on exécutait pour la première fois. C’est une ballade à trois chœurs, écrite sur cette capricieuse poésie de M. V. Hugo qui a pour titre : Sara la baigneuse. Si nous faisions autre chose ici qu’une chronique, nous aurions beaucoup à dire vraiment sur cette œuvre de M. Berlioz. Que signifie en cette occasion, ce triple groupe choral ? Nous cherchons vainement à le comprendre. A notre avis, c’est presque trop d’une voix seule pour chanter cette suite de strophes vaporeuses, indiscrètes, un peu fantasques, ou, si l’on veut, charmantes, mais tout au plus dans un intime et mystérieux tête-à-tête. Quel a donc été le but de M. Berlioz en les faisant dire par tant de voix à la fois et devant un nombreux auditoire ? S’il en a eu un, il est évidemment faux ; dès lors, quelque talent qu’il y ait dans sa composition, c’est du talent employé en pure perte ; car celui qui écoute n’est nullement intéressé, encore moins ému par une pareille conception. — Un autre défaut de cette œuvre, que nous devons signaler, c’est que, dans l’orchestre qui accompagne les trois chœurs, le compositeur s’est attaché à rendre le sens de chaque parole avec une telle minutie de coloris musical, que, en fin de compte, le sens de la chose n’est pas rendu : ce qui revient à dire que, à force de vouloir mettre de la couleur à son œuvre, l’œuvre n’a pas de couleur. Cette assertion peut sembler étrange ; on la trouvera naturelle si l’on réflechit que les mots ne sont pour le poète que les moyens d’exprimer sa pensée, et ne sont pas la pensée elle-même. Or, on peut joindre les uns au bout des autres des mots très-sonores et très-recherchés, sans qu’il résulte pour cela de leur union une phrase qui ait un sens net et décidé. — La même instrumentation minutieuse se fait remarquer dans le second morceau de M. Berlioz, qui a été dit dans cette soirée : le Cinq Mai, cette héroïque chanson que Béranger avait écrite tout bonnement sur l’air : Muse des bois et des accords champêtres. Hélas ! à tort ou à raison, le peuple français est ainsi fait, que la poésie de Béranger sera plus longtemps populaire parmi nous avec ces vieux airs de vaudeville qu’avec la musique de M. Berlioz, quelque belle et profonde qu’elle soit. — Enfin, un troisième morceau de M. Berlioz faisait encore partie du programme : l’ouverture des Francs-Juges. Ici le compositeur est à son aise ; plus de mots qui embarrassent sa fantaisie musicale. Il dit, à sa manière, librement sa pensée à lui, la dessine à grands traits, la peint avec une touche fière et vigoureuse. Il y a dans cette œuvre de beaux effets et de belles mélodies ; le plan en est largement conçu, la conduite savante ; et l’on regrette d’autant plus d’y trouver quelques extravagances, telles que ces bizarres coups de cymbales isolés, qui n’expriment rien, ne font que du bruit, et dont on a d’ailleurs tant abusé : ce qui devrait être la meilleure raison de les ôter, pour M. Berlioz surtout qui a tant horreur des lieux communs, l’œuvre n’y perdrait rien et les oreilles du public y gagneraient. Puisque c’est l’opinion du public que nous rapportons ici, plus encore que notre opinion personnelle, nous ajouterons une réflexion, après avoir parlé des trois morceaux de M. Berlioz ; trois morceaux d’un même maître, de M. Berlioz ou de tout autre, dans un seul concert, c’est un peu trop pour un public parisien, c’est-à-dire pour un public qui aime par-dessus tout la variété. — Nous devons des remerciements à la Grande Société philharmonique, et particulièrement à son chef, M. Berlioz, pour nous avoir fait connaître la musique d’un compositeur russe nommé Bortniansky, musique remarquable et originale, dont nous n’avions aucune idée à Paris. Le Chant des Chérubins, chœur sans accompagnement, est un fragment du répertoire de la chapelle de l’empereur de Russie, qui nous donne une haute idée de la manière dont l’art musical religieux est compris chez les prétendus Barbares du Nord. Au reste, ce Bortniansky est une preuve que les seigneurs de ces froides contrées ne sont pas des ogres. Né serf, dans un village de l’Ukraine, en 1752, il dut à ses excellentes dispositions pour la musique, non seulement d’être affranchi par son maître, mais encore de parvenir à la dignité de conseiller d’Etat. L’empereur Alexandre lui conféra ce titre et lui assura, pour le reste de ses jours, un traitement considérable, en récompense du talent et du zèle qu’il avait déployés dans ses fonctions de maître de chapelle de la cour. Nous avons pu d’autant mieux admirer le mérite de la musique de Bortniansky, que rarement nous avons entendu une exécution chorale plus parfaite, tant sous le rapport de la finesse des nuances que de la justesse de l’intonation et de l’ensemble. — Un autre attrait de cette soirée, ça été l’apparition de madame Frezzolini dans le monde musical parisien. Il y a dix ans que madame Frezzolini jouit d’une grande célébrité bien méritée, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Russie, en Angleterre, et Paris ne la connaissait pas encore. En vérité, ce Paris, souvent si précoce, est quelquefois bien en retard. Quoi qu’il en soit, il sait réparer, autant que cela se peut faire, le temps perdu. La preuve en est dans la manière dont il a accueilli madame Frezzolini : en un seul soir, il lui a donné autant d’applaudissements et jeté autant de bouquets, ou peu s’en faut, qu’il en faudrait pour satisfaire une cantatice pendant plusieurs années. Madame Frezzolini a chanté l’air d’I Puritani, la Sérénade de Schubert, en français, et l’air de Beatrice di Tenda. Le talent de madame Frezzolini a besoin du théâtre ; il est essentiellement dramatique. Les talents de cette nature perdent considérablement dans un concert. Cependant l’art de phraser, le timbre de la voix, l’émission du son et l’expression pathétique, d’autres facultés encore, naturelles ou acquises, peuvent se produire sans nul désavantage sur l’estrade aussi bien que sur la scène. Madame Frezzolini a très-bien su les y faire briller ; toutefois, nous devons le dire, sa méthode n’est pas exempte de quelques incorrections de style qu’on ne trouve, ou du moins qu’on ne trouvait pas dans les cantatrices de la grande école italienne ; elle introduit aussi des changements que nous ne saurions approuver dans la musique de Schubert ; cette musique veut être dite telle que le compositeur l’a écrite, pas différemment, sans en rien ôter, sans y rien ajouter. — Venir chanter après madame Frezzolini, l’héroïne de la fête, c’était téméraire : c’est pourtant ce qu’a fait mademoiselle Lefebvre, une de nos jeunes cantatrices de l’Opéra-Comique ; et comme la fortune se plaît à sourire aux audacieux, mademoiselle Lefebvre a obtenu un brillant succès en chantant le délicieux air des Mousquetaires de la Reine de M. Halévy. Un autre morceau du même maître, un charmant boléro intitulé la Venta, a valu à M. Barroilhet, qui l’a chanté avec une verve entraînante, d’unanimes bravos. Enfin le concert s’est terminé par un grand chœur religieux de Lesueur : Quis enarrabit, magnifique morceau que personne n’a entendu, par la raison que le plus grand nombre des auditeurs s’en allait pendant qu’on le chantait. Ainsi, cinq minutes de patience de plus, et cet auditoire avait le droit de se dire le plus intelligent de tous ; tandis qu’il est permis de douter qu’il le soit, après une pareille sortie si peu révérencieuse pour l’art, et même de penser qu’il ne l’est pas. Ceci n’est plus l’opinion du public, mais bien celle des artistes. Pourquoi ne la dirions-nous pas aussi franchement ?
GEORGES BOUSQUET.
L’Illustration 14-21 mars 1851, p. 175
Chronique musicale. […] Il nous faut maintenant revenir sur nos pas afin de mentionner quelques événements de notre monde musical qui valent assurément la peine d’être recueillis. Le concert donné le mois dernier [25 février] par la grande société philharmonique dirigée par M. Berlioz a été remarquable sous plus d’un rapport. Entre deux fragments de la symphonie de Roméo et Juliette, l’une des plus belles compositions du célèbre compositeur romantique, une couronne de laurier en or a été galamment offerte et présentée sur un coussin de satin blanc par deux jeunes et jolies dames, à M. Berlioz. Un autre fait à noter de la même soirée, c’est l’exécution d’un andante de symphonie à grand orchestre, composé par mademoiselle Clémence de Reiset. Cet andante d’une excellente facture fait vivement désirer d’entendre la symphonie tout entière. Le début de mademoiselle Clauss, jeune pianiste de Prague, au talent pur, élevé, savant, qui paraissait ce soir-là pour la première fois en public à Paris, a été l’un des éléments attrayants de ce concert. Mademoiselle Clauss a exécuté la sonate en fa mineur de Beethoven et une fantaisie de M. Wilmers ; par ces deux morceaux, si dissemblables de fond et de forme, l’habile pianiste a montré la surprenante variété de son talent ; mais nous en admirons surtout la profondeur et la solidité, qui prouvent combien l’éducation musicale de la jeune artiste, qui ne paraît pas avoir plus de quinze ou seize ans, a été sérieusement faite. Enfin, dire que madame Viardot a chanté dans cette même soirée, c’est dire : la fête a été complète ; et ç’a été, en effet , l’une des plus brillantes solennités musicales de la saison.
Quelques jours après le concert dont nous venons de parler [1er mars], l’orchestre et les chœurs de la grande Société philharmonique ont exécuté, à l’église Saint-Thomas-d’Aquin, au profit d’une œuvre de bienfaisance, la messe de M. Niedermeyer, qui fut exécutée il y a deux ans à Saint-Eustache, à l’occasion de la fête de sainte Cécile. Nous rendîmes compte alors de cette estimable composition, et nous nous plaisons de nouveau à louer son mérite, qui vient de recevoir une nouvelle sanction publique. Ajoutons que l’exécution a été parfaite. […] GEORGES BOUSQUET.
L’Illustration 10 mai 1851, p. 295
Chronique musicale. […] Les derniers concerts de la grande Société philharmonique et de la Société Sainte-Cécile ont eu lieu la semaine dernière [mardi 29 avril et jeudi 1er mai 1851]. A tous les deux, ainsi que nous l’avons annoncé il y a huit jours, le programme ne renfermait que des œuvres de compositeurs vivants. C’est une idée très-louable dont il faut savoir gré aux deux sociétés, quelle que soit d’ailleurs la part que la critique puisse se réserver dans l’examen de ces œuvres. En musique, comme en bien d’autres choses, le public, en général, ne veut aimer que ce qu’il connaît et n’accorde ses applaudissements qu’aux ouvrages consacrés par le temps. Il faut en quelque sorte lui faire violence pour lui en faire apprécier et adopter de nouveaux, d’inconnus. C’est ce qui fait que de la chute d’une œuvre nouvelle à la chute de l’établissement où l’œuvre s’est produite, soit société de concerts, soit théâtre, il n’y a qu’un pas. Que le public s’en tienne à ses habitudes routinières, jusqu’à un certain point peut-être a-t-il raison ; dans tous les cas la presse ne saurait avoir tort d’encourager les rares tentatives qui se font en faveur des artistes qui n’ont pas encore l’avantage d’être en l’autre monde. — La grande Société philharmonique nous a fait entendre à sa dernière séance une ouverture de M. A. Morel, composition d’un mérite distingué, qui a été favorablement accueillie ; puis une œuvre que nous ne savons trop comment qualifier, car ce n’est ni un opéra, ni un oratorio, ni une symphonie ; peut-être pourrions nous l’appeler drame lyrique de concert ; c’est enfin une fantaisie instrumentale et vocale intitulée le Moine, imitée du roman de Lewis. M. H. Lucas en a habilement tracé le plan en vers facilement tournés, et M. Henry Cohen en a composé la musique. C’est particulièrement de celle-ci que nous avons à nous occuper. Ne pouvant le faire en détail faute d’espace, nous nous bornerons à dire notre impression plutôt que nous n’en porterons un jugement. La musique de M. Cohen a de la clarté, ce qui fait qu’on peut aisément reconnaître dès la première audition ce qu’il y a de bien et de mal en elle. Du bien, il y en a, nous nous empressons de le dire ; mais à parler franchement, il ne nous paraît pas y être en majeure partie. Signalons comme dignes d’éloges, une romance : Viens, c’est ton amant qui t’appelle : un trio : Quel divin charme ! une sérénade en chœur : Dans l’azur qui se voile ; un chœur du peuple : Se peut-il ? c’était lui ! Mais l’œuvre de M. Cohen est de longue haleine, et les quelques morceaux que nous venons de citer ne suffisent pas pour racheter les défaut qu’on remarque dans les autres beaucoup plus nombreux. — […] GEORGES BOUSQUET.
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Le Ménestrel, 17 février 1850, p. 3.
— Le premier concert de la Société philharmonique fondée par Berlioz aura lieu après-demain mardi 19 février, à huit heures du soir, dans la salle Sainte-Cécile. Voici le programme de la première soirée : — 1o Ouverture de Léonore (1re version), de Beethoven ; 2° les deux premières parties de la Damnation de Faust, de M. Berlioz : 1re partie : pastorale, ronde de paysans, marche hongroise ; 2ème partie : monologue de Faust, Hymne de la Fête de Pâques, scène de la Cave de Leipzig, air de Méphistophélès, chœur et ballet des Sylphes, double chœur d’Étudiants et de Soldats. Les solos seront chantés par MM. Roger et Levasseur ; 3o Fantaisie sur Otello, composée par Ernst, et exécutée par M. Joachim (du Conservatoire de Vienne) ; [4o] air avec chœurs d’Iphigénie en Tauride, de Gluck, chanté par Mme Viardot ; 5o 1re scène du 3e acte d’Echo et Narcisse, de Gluck. Le solo sera chanté par Mlle Do[b]ré ; 6o solo de violoncelle, composé et exécuté par M. Demunck (professeur au Conservatoire de Bruxelles) ; 7o air de Joseph, de Méhul, chanté par Roger ; 8o scène de la Bénédiction des Poignards des Huguenots, de Meyerbeer, avec les solos de chant quadruplés.
Le Ménestrel, 17 mars 1850, p. 3.
— Le deuxième concert de la Société philharmonique sous la direction de M. Berlioz, aura lieu après-demain mardi 19 mars, à 8 heures du soir, dans la salle Sainte-Cécile. Voici le programme de la séance : 1° Ouverture du Freischütz de Weber. — 2° Adoremus, chœur, de Palestrina.— 3° Harold en Italie, symphonie en quatre parties avec un alto principal, de M. Berlioz : lre partie, Harold aux montagnes, scènes de mélancolie, de bonheur et de joie ; 2e partie, Marche de pèlerins chantant la prière du soir ; 3e partie, Sérénade d’un montagnard des Abbruzcs à sa maîtresse ; 4e partie, Souvenirs des scènes précédentes. Orgie des brigands. (L’alto solo sera joué par M. L. Massart.) — 4° Chanson en chœur sans accompagnement, du XVIe siècle. — 8° Fragment d’un concerto de violon composé et exécuté par M. Herman. — 6° Scènes du 1er acte d’Alceste de Gluck, chantées par Mme Julienne, M. Arnoldi et le chœur : 1. O ciel ! qu’allons-nous devenir ! chœur ; 2. Dieu puissant ! chœur ; 3. Marche religieuse ; 4. Apollon est sensible à nos gémissements, scène de l’oracle ; 5. Non, ce n’est point un sacrifice ! air de soprano ; 6. Déjà la mort s’apprête, air de basse ; 7. Divinités du Styx ! air de soprano. — 7° Air de Betly, de Donizetti, chanté par Mme Ugalde-Beaucé. — 8° Finale de Moïse, de Rossini. (Les solos seront chantés par Mme Ugalde-Beaucé et M. Arnoldi.) — L’orchestre, composé de 100 musiciens, sera conduit par M. Berlioz. Le chant, composé de 120 voix, sera dirigé par M. Dietsch. — On se procure des billets au magasin de musique de MM. Brandus et Ce, 87, rue Richelieu.
Le Ménestrel, 24 mars 1850, p. 3.
— Voici le programme du 3e concert (spirituel) donné le Samedi-Saint 30 mars par la Grande Société philharmonique de Paris : 1° Credo de la 4e messe solennelle de M. Dietsch ; 2° Belle qui tiens ma vie, sans accompagnement (redemandé) ; 3° Symphonie de M. Gastinel (grand prix de Rome et membre de la société) ; 4° O salutaris, de M. Niedermeyer ; 5° Solo de violon composé et exécuté par M. Henri Wieniawski ; 6° Marche des Pélerins, fragment de la symphonie d’Harold en Italie de M. Berlioz (redemandé) ; 7° Concert-Stück, pour le piano, de Weber, exécuté par Mme Massart (Aglaé Masson) ; 8° Air de Spontini chanté par Mlle Dobré ; 9° Ouverture de Démophon, de Vogel. — On trouve des billets chez M. Brandus, éditeur de musique, rue Richelieu, 87, et à la salle Sainte-Cécile.
Le Ménestrel, 21 avril 1850, p. 3.
— Voici le programme du 4e et dernier concert de la Grande société philharmonique de Paris, qui aura lieu salle Sainte-Cécile, le mardi 23 avril à 8 heures du soir, et dans lequel on entendra M. Roger, Mmes Laborde, Ernesta Grisi, MM. de Kontski et Jacquart. — PROGRAMME : 1° Ouverture d’Athalie, de F. Mendelssohn, exécutée pour la première fois à Paris. — 2° La première partie de la Damnation de Faust, de H. Berlioz : 1° Pastorale ; 2° Ronde de paysans ; 3° Marche hongroise ; le récitatif de Faust sera chanté par M. Roger. — 3° Air de la Dona del Lago, de Rossini, chanté par Mme Ernesta Grisi. — 4° Marche des Hébreux vers la terre promise (fragment de Moïse au Sinaï), de Félicien David, exécutée sous la direction de l’auteur. — 8° Solo de violoncelle, de Servais, exécuté par M. Jacquart, membre de la société. — 6° Air chanté par Mme Laborde. — 7° Air de Joseph, de Méhul, chanté par M. Roger. — 8° Chœur de chasseurs, composé par M. Cadaux, membre de la Société, exécuté pour la première fois. — 9° Air de « Grâce » de Robert-le-Diable, pour le Monocorde, suivi de Pizzi-Arco, caprice pour le violon, exécutés par M. Appollinaire de Kontski. — 10° Invitation à la Valse, rondo de piano, de Weber, instrumenté pour l’orchestre par M. Berlioz. L’orchestre, composé de 100 artistes, sera dirigé par M. H. Berlioz, et le chœur, composé de 120 voix, par M. Dietsch.
Le Ménestrel, 28 avril 1850, p. 3.
— La société philharmonique fondée par M. Berlioz vient de prendre l’initiative d’une cérémonie funèbre qui aura lieu très prochainement dans une des principales églises de Paris, à l’occasion du désastre d’Angers. Elle se propose d’y exécuter le Requiem de M. Berlioz. Le produit des quêtes est destiné à secourir les familles des victimes de l’affreuse catastrophe.
Le Ménestrel, 10 novembre 1850, p. 3.
Voici le programme du concert que la grande Société philharmonique, dirigée par M. Berlioz, donnera, mardi 12 novembre, dans la salle Sainte-Cécile. — Première partie : 1° Épisode de la vie d’un Artiste, symphonie en cinq parties : 1. Rêveries, passions 2. Un bal. 3. Scène aux champs. 4. Marche au supplice. 5. Songe d’une nuit du Sabbat, Dies iræ burlesque, ronde du Sabbat, la ronde du Sabbat et le Dies iræ ensemble, par Berlioz. 2° Le chant des Chérubins, chœur sans accompagnement (fragment du répertoire de la chapelle de l’empereur de Russie.) 3° Air de Betly, chanté par Mme Ugalde, par Donizetti. 4° Les adieux des Bergers à la sainte famille, chanson en chœur de la Fuite en Égypte, mystère de Pierre Ducré, maître de musique de la Sainte-Chapelle de Paris, exécuté pour la première fois en 1677. — Deuxième partie : 1° Sara la baigneuse, ballade à trois chœurs, paroles [de] M. Victor Hugo, par Berlioz. 2° Air des Lombardi, chanté par Mme Ugalde. 3° Le sommeil d’Atys, chœur, par Piccinni. 4° L’Invitation à la valse, rondo de piano de Weber, instrumenté pour l’orchestre par Berlioz. — Prix des places : stalles d’orchestre, 4 fr. ; parquet, 5 fr. ; Amphithéâtre, 3 fr. ; Galerie, 2 fr. — On s’abonne pour six concerts, aux stalles d’orchestre et de parquet seulement au prix de 30 fr. pour les stalles d’orchestre et de 24 fr. pour les stalles de parquet. — On prend des billets d’avance et des abonnements chez MM. Brandus et Ce, éditeurs de musique, rue Richelieu, 87, et rue Vivienne, 40.
Le Ménestrel, 15 décembre 1850, p. 4.
— Après-demain mardi 17 décembre à huit heures du soir, deuxième concert de l’abonnement de la grande société philharmonique, sous la direction de M. Berlioz (salle Sainte-Cécile). On entendra l’ouverture d’Oberon, des chœurs d’Armide, des fragments des œuvres de Lesueur, la prière de Moïse, Mlles Mattemann, Ferretti, le jeune violoniste Jullien, etc.
Le Ménestrel, 19 janvier 1851, p. 3.
— Mardi 28 janvier 1851, à huit heures du soir, troisième concert de l’abonnement de la grande société philharmonique de M. Hector Berlioz, dans lequel on entendra M. Roger, Mlle Dobré, Mme Hortense Maillard, et M. Léon Reynier. PROGRAMME : 1° Les quatre premières parties de Roméo et Juliettc, symphonie avec chœurs, solos de chant et prologue en récitatif choral, paroles de M. Emile Deschamps, musique de M. H. Berlioz. — 2° Pater, chœur sans accompagnement, tiré du service musical de la chapelle de l’empereur de Russie, exécuté à Paris pour la première fois...; Bortniansky. — 3° Polyphème et Galathée, cantate, musique de M. Membrée (exécutée pour la première fois). Les solos seront chantés par M. Roger, Mlle Dobré et M. N...; Membrée. — 4° Air des Capuletti, chanté par Mme Hortense Maillard...; Bellini. — 5° O Salutaris ! chanté par Mlle Dobré et le chœur...; Zimmerman. — 6° Solo de violon exécuté par M. Léon Reynier. — 7° (Se i miei sospiri), air d’église (1667) chanté par M. Roger...; Stradella. — 8° Esprits de haine et de rage, duo d’Armide chanté par toutes les voix du chœur...; Gluck.
Le Ménestrel, 23 février 1851, p. 3.
— Le quatrième concert d’abonnement de la Grande Société philharmonique de Paris, sous la direction de M. Berlioz, aura lieu après-demain mardi 25 février à 8 heures du soir, dans la salle Sainte-Cécile. Voici le programme de cette soirée : 1° Les quatre premières parties de Roméo et Juliette, grande symphonie de M. Berlioz avec chœurs, solos de chant et prologue en récitatif choral. — 2° Romance de Nina ou la folle par amour, de Dalayrac, chantée par Mme Hortense Maillard. — 3° Air de Don Juan (Vedrai carino) chanté par Mlle Véra. — 4° Andante d’une symphonie en ut, composé par Mlle de Reyset. — 5° Siciliana, de Pergolèse, chantée par Mme Viardot. — 6° Chœur et marche de Precioza (Weber). — 7° Romanza della Nina pazza per amore de Paësiello (on a pensé qu’il pouvait y avoir quelque intérêt dans le rapprochement des deux romances écrites par deux compositeurs pour la même scène et presque sur les mêmes paroles), chantée par Mlle Véra. — 8° Solo de piano par Mlle Clauss. — 9° Chansonnettes espagnoles, par Mme Viardot. — 10° Marche hongroise, fragment de la Damnation de Faust (Berlioz).
Le Ménestrel, 23 mars 1851, p. 4.
— Après demain mardi 25 mars 1851, à huit heures du soir, cinquième concert de la grande société philharmonique de M. Berlioz, et dont voici le programme : 1° Episode de la vie d’un Artiste, Symphonie fantastique en cinq parties, de Berlioz ; 2° fantaisie pour le piano, exécutée par M. Reinecke ; 3° Cavatine de Benvenuto Cellini, chantée par Mme Gras-Dorus, Berlioz ; 4° Air des Abencerrages, chanté par M. Massol, Chérubini ; 5° La belle Voyageuse, légende irlandaise imitée de T. Moore par M. Gounet, chantée par un chœur de femmes, musique de Berlioz ; 6° solo de flûte, exécuté par M. Petiton ; 7° ouverture nouvelle, Gastinel ; 8° air du Cheval de bronze, chanté par Mme Gras-Dorus, Auber ; 9° air de Linda di Chamounix, chanté par M. Massol, Donizetti ; 10° solo de violoncelle exécuté par le jeune Léon Massart, âgé de 12 ans ; 11° La Menace des Francs, marche et chœur (exécutée pour la lre fois), Berlioz.
Le Ménestrel, 27 avril 1851, p. 4.
— Salle Sainte-Cécile, mardi 29 avril 1851, à huit heures du soir, grande société philharmonique de Paris, sous la direcion de M. H. Berlioz. — Sixième et dernier concert de l’abonnement : grande ouverture de M. A. Morel, exécutée pour la première fois, et le Moine, poème lyrique, en deux parties (d’après le romain de Lewis), par M. Hippolyte Lucas, musique de M. Henry Cohen également exécuté pour la première fois. Ambrosio (le Moine), M. Hermann Léon ; Lorenzo, M.... ; Antonia, Mlle Dobré ; Mathilde (Lucifer), Mlle Julie Vavasseur. Chœur du peuple. Chœur des démons. Chœur des inquisiteurs.
Le Ménestrel, 24 février 1850, p. 1-2.
Premier Concert de la Société philharmonique.
Mardi dernier [19 février], l’air était comme saturé d’émanations musicales ; la foule des dilettantes et des journalistes se croisait en sens inverse, d’un air affairé, échangeant un bonsoir mélancolique dont le sens pourrait se traduire par cette exclamation : — Que n’ai-je, hélas, le don d’ubiquité ! — En effet, à la même heure où Mme Sontag conviait la fine fleur de l’aristocratie aux merveilles de sa vocalise, la salle Sainte-Cécile ouvrait ses portes aux amateurs sérieux de la grande musique ; nous avons opté pour la salle Sainte-Cécile, et ma foi, nous n’en sommes pas au regret. Un magnifique programme, une exécution incomparable, plusieurs talents nouveaux à entendre et à juger, tels sont les enchanteurs qui nous ont tenu sous le charme trois heures durant, et qui sont parvenus à étouffer sans peine le germe de repentir qui voulait poindre dans quelque coin de notre cerveau. Nous avons chaudement applaudi à l’idée de la Société philharmonique ; aujourd’hui, cette idée a pris corps, elle s’est constituée, elle a donné son premier concert. La séance débutait par une des ouvertures de Fidelio (la première), car on sait que Beethoveen, comme tous les grands génies, n’étant jamais satisfait de sa création par rapport à son idéal, en a écrit jusqu’à trois différentes ; il faut convenir qu’il était bien difficile, et que l’admirable préface qu’il traça en premier était bien digne de demeurer la seule et définitive de son drame lyrique ; au reste, nous n’avons fait qu’y gagner, car cela nous a valu deux autres versions non moins belles.
Nous avons déjà eu occasion d’analyser le Faust de Berlioz, cette conception si pleine d’audace et d’originalité ; les deux premières parties de l’œuvre, exécutées après l’ouverture, nous ont semblé cette fois bien plus riches, bien plus belles encore. Il faut entendre souvent la musique de Berlioz : c’est une mine de diamants dont l’éclat éblouit tout d’abord, et auquel il faut savoir accoutumer ses yeux : le plus grand succès, on le devine, a été pour la Marche Hongroise, redemandée avec frénésie, puis pour le chœur et le ballet des Sylphes, dentelle musicale d’une si ravissante poésie, auprès de laquelle les Féeries d’Obéron paraissent d’une insoutenable lourdeur. Un tout jeune artiste de Vienne, M. Joachim, a joué avec infiniment de talent la fantaisie de Ernst sur Otello. M. Joachim a une grande fermeté d’archet, il chante avec expression et fait la difficulté avec un aplomb qui lui réussit presque toujours, sauf dans les passages en doubles cordes ; le séjour de Paris aura bientôt débarrassé M. Joachim d’une certaine raideur qui est peut-être le plus grave reproche à lui adresser, et alors il marchera l’égal de nos premiers violonistes. L’air d’Iphigénie, de Gluck, n’a pas été favorable à Mme Viardot, qui l’a exagéré sous tous les rapports ; dans une scène d’Echo et Narcisse, du même auteur, Mlle Dobré a mieux réussi, sans cependant produire l’effet qu’elle était en droit d’en espérer. Nous avons hâte d’arriver à M. Demunck, le violoncelliste célèbre, que sa réputation avait depuis longtemps devancé parmi nous. M. Demunck appartient à cette grande école belge qui a produit les premiers artistes en fait d’instruments à cordes et à archet ; quelle pureté, quelle correction, quelle justesse, quel fini ! et comme M. Demunck se joue des obstacles ! Ces qualités précieuses, nous avons pu les apprécier dans sa fantaisie sur la Juive ; elles doivent être plus sensibles encore dans l’exécution de la musique classique, où M. Demunck ne peut manquer d’exceller : faut-il tout dire cependant ? il nous a paru que M. Demunck n’avait pas un volume de son bien considérable, et nous nous sommes pris parfois à lui souhaiter un peu plus de chaleur. Roger, qui avait dit en maître les récitatifs de Faust, a triomphé dans le bel air de Joseph ; il a partagé avec la Marche Hongroise les honneurs de la soirée. Quant à la Bénédiction des Poignards, cette page sublime s’est trouvée transformée en un véritable chœur de banquettes, grâce à l’indécent empressement de quelques auditeurs ; cela est de mode dans un certain monde, et l’illustre auteur des Huguenots ne doit pas attendre plus d’égards de ces gens-là que n’en pouvait obtenir Rubini lui-même, leur lion et leur idole.
L’orchestre de la Société philharmonique a été composé avec une rare intelligence et un soin extrême ; tous les premiers pupitres sont occupés par des artistes hors ligne, et lorsque certains instruments à vent auront été modifiés ou mieux disciplinés, ce sera une masse instrumentale digne de rivaliser avec les premiers orchestres du monde. Pour ce qui est des chœurs, jamais l’on a rien entendu, à Paris, qui en approche, comme puissance, comme sonorité et comme précision ; ils ont encore à gagner sous le rapport des nuances. On le voit, le premier essai de la Société philharmonique a été une victoire décisive après laquelle sa renommée ne peut que grandir.
Le Ménestrel, 24 mars 1850, p. 1-2.
[…] Sous le rapport de l’apropos parlementaire, MM. Léon Faucher, Victor Hugo et autres législateurs de droite et de gauche, adressez-vous de confiance aux Concerts-Berlioz. A la bonne heure, au moins, voilà de la musique sérieuse parfaitement analogue à notre situation politique et sociale. Il fallait voir mardi dernier [19 mars] toutes ces physionomies pensives, surtout au moment où l’Alceste de Gluck s’écrie :
O ciel ! qu’allons-nous devenir !....
Apollon, sois sensible à nos gémissements !....
Déjà la mort s’apprête !...
Les voix de Mme Jullienne et de M. Arnoldy tonnaient au milieu de celles des chœurs et des instruments ; M. Dietsch effrayé abandonnait sa baguette et regardait le public d’une façon compatissante. Berlioz seul tournant le dos à son auditoire, plongeait sans terreur dans le sombre Gluck, et commandait à tout cet enfer déchaîné !... On espérait après tant d’émotions un doux air de Betly ; mais Mme Ugalde avait promis sans son médecin. — Au moment de paraître, Berlioz l’est venu remplacer en communiquant au public l’empêchement imprévu de l’accomplissement des promesses du programme. […]
— Sous le rapport de la compensation, Berlioz était moins heureux ; son Harold en Italie renferme certainement de très belles parties, entre autres, la Marche des Pélerins ; mais somme toute, et malgré l’alto-solo magistralement rendu par M. Massart, Harold n’est qu’une symphonie purement instrumentale, et dont certaines parties laissent froid, notamment les scènes dites de bonheur et de joie du 1er numéro, qui se terminent à la façon de nos assemblées tumultueuses, où chaque instrument, je veux dire chaque orateur, veut prendre la parole à la fois.
Avant d’aborder la multitude de nos concerts-soli tant passés que futurs, hâtons-nous de vous dire qu’à ce deuxième concert de Berlioz, le programme comprenait encore d’abord l’ouverture de Freyschütz, qui levait le rideau, un fragment de concerto de violon composé et exécuté par Herman, une chanson en chœurs du 16me siècle, bissée, et le sublime finale de Moïse. […]
Le Ménestrel, 7 avril 1850, p. 2.
[…] J’arrive au concert spirituel de la Société philharmonique donné le samedi soir [30 mars] dans la salle Sainte-Cécile. Cette troisième séance, il faut en convenir, n’a pas eu l’éclat des précédentes ; il s’y était glissé trop de morceaux estimables ; Beethoven y brillait par son absence, et Berlioz lui-même n’y comptait qu’une seule composition, la Marche des pèlerins, d’Harold, qui se détachait comme une lumineuse escarboucle sur les ténèbres du programme. La soirée a débuté par le Credo de la messe solennelle de M. Dietsch, qui renferme plusieurs belles parties, notamment l’incarnatus, mais dont les proportions dépassent forcément, à cause du texte à mettre en musique, les limites d’un morceau de concert. La jolie pavane : Belle qui tiens ma vie, au tour gracieux, a été redite aux bravos de toute la salle. C’est de la musique religieuse, si l’on veut ; il fallait, au moins, substituer quelques oremus à son texte un peu gaillard, pour en faire une bonne pièce de samedi-saint. A la bonne heure, voici venir un O salutaris de M. Niedermayer délicatement chanté par M. Barbot. Pour en finir avec M. Niedermayer, mentionnons son Agnus Dei qu’il a traité en chœur, tandis que l’O salutaris l’était en solo. Le jeune violoniste Wieniawski est déjà un grand virtuose : encore enfant, il possède l’expérience, l’accent et la maestria de l’âge mûr. Les deux parties exécutées de la symphonie de M. Gastinel nous ont fait regretter de n’avoir pas entendu la totalité de l’ouvrage. Son andante nous semble bien écrit, mais il pêche par le fond des idées ; le thème, en effet, n’a pas toute l’originalité désirable, il a l’air, en outre, de conclure un autre motif absent ; enfin c’est plutôt une phrase de chant, une phrase en quelque sorte scénique, qu’une mélodie instrumentale. L’auteur a été infiniment plus heureux dans son scherzo à deux temps : rien de plus leste, de plus piquant, de mieux découplé ; ici la cantilène s’approprie merveilleusement aux développements du sujet et au travail de l’orchestre. La marche des pèlerins a été couverte d’applaudissements et redemandée avec frénésie, chacun était bien aise de faire halte dans cette fraîche oasis. Nous avons eu pour finir, le Concert-Stück, de Weber, admirable composition qui n’a que le tort d’être trop connue ; le bel air d’Amazili de Fernand-Cortès rendu en perfection par Mlle Dobré ; et la fameuse ouverture du Démophon de Vogel, dont les beautés classiques n’ont pas vieilli. E.V. [Edmond Viel]
Le Ménestrel, 28 avril 1850, p. 2-3.
[…] Nous avons assisté mardi [23 avril] au quatrième et dernier concert de la Société philharmonique. C’était une des belles soirées de la saison et cette séance a dignement couronné l’œuvre artistique fondée par M. Berlioz. Ce qui impressionne particulièrement dans ces séances, c’est l’ampleur, c’est la puissante sonorité de l’orchestre. Les habiles instrumentistes enrôlés par Berlioz ont fait merveille mardi dernier. Aussi l’ouverture d’Athalie, de Mendelsohn (qu’on entendait pour la première fois à Paris), les fragments de la Damnation de Faust, la Marche des Hébreux du Moïse de Félicien David, et l’Invitation à la valse, de Weber, ont-ils excité d’unanimes transports. Comme d’habitude, la Marche hongroise de Berlioz a été redemandée. M. Genibrel, chargé du solo de la Marche des Hébreux, a failli compromettre ce morceau ; car dès les premières mesures le soliste ne marchait ni avec les Hébreux, ni avec l’orchestre. Alors Félicien David, qui conduisait lui-même, n’a pas craint de faire recommencer, chose hardie, insolite dans une solennité de ce genre ; mais le Moïse a été sauvé. Roger, Mme Laborde, Mlle Ernesta Grisi, ont complété la partie vocale. Roger a été admirable dans l’air de Joseph : sentiment, expression, accentuation dramatique, toutes les puissantes qualités qui remuent l’âme, Roger a su les développer dans cet air si connu, mais si pathétique de Méhul. Mme Laborde a fait vibrer sa prodigieuse vocalisation dans le grand air du Serment. Il est fâcheux que les trilles ne répondent pas toujours, par la justesse et la correction, au merveilleux éclat de ce talent vocal que le public semble prendre sous son patronage.
N’oublions pas deux instrumentistes qui ont eu part dans les succès de cette soirée : le violoncelliste Jacquart qui, par son jeu suave, pur, exempt de tout charlatanisme, s’est attiré trois salves d’applaudissements ; et M. Appollinaire de Kontski qui a été fort bien accueilli ainsi que son monocorde. Nous aimons moins son caprice Pizzi arco, qui n’appartient pas au domaine de la musique sérieuse. […] (E. Viel)
Le Ménestrel, 5 mai 1850, p. 3.
— La Société philharmonique a exécuté vendredi dernier [3 mai], dans l’église de Saint-Eustache, comme nous l’avions annoncé, la messe de Requiem de M. Berlioz, sous la direction de l’auteur. Cette œuvre a produit une vive sensation. Le produit des chaises et de la quête a été consacré aux victimes du désastre d’Angers.
Le Ménestrel, 27 octobre 1850, p. 2.
CAUSERIES MUSICALES.
Premier Concert de la Grande Société philharmoniqne de Paris. — Grands Concerts nationaux de Londres.
M. Hector Berlioz a voulu avoir l’honneur d’inaugurer la saison des concerts ; et il s’y est pris à point, car l’aspect de la salle Sainte-Cécile, mardi dernier [22 octobre], nous a prouvé que la saison était mûre pour ouvrir. Tout ce que Paris renferme de monde élégant, d’artistes et de dilettantes, tout ce qui, depuis un mois, était rentré au foyer central, tout ce qui arrivait de la veille a répondu à l’appel de la Société philharmonique. La salle était magnifiquement encombrée.
Cet empressement de la foule parisienne assure l’existence d’une institution musicale à laquelle M. Berlioz s’est voué avec amour, et dont les résultats avaient été si brillamment accueillis l’hiver dernier.
La symphonie en ut mineur de Beethoven a ouvert le programme de la première soirée. Elle a été exécutée avec un ensemble, une ampleur tout à fait remarquables. De graves dilettantes qui sont à l’affût de tout ont trouvé occasion de prendre ici M. Berlioz en flagrant délit de routine, puisqu’il n’a pas fait supprimer, dans la troisième partie, les deux mesures qui rompent le rhythme et que Beethoven avait signalées comme une erreur de copie (ainsi que le constate une lettre découverte par M. Fétis père). Ces graves dilettantes ont peut-être raison : si M. Hector Berlioz conserve cette faute de copiste, qui nous en délivrera ? Tous nos orchestres mourront dans l’impénitence finale.
La nouvelle composition de M. Berlioz, Sara la baigneuse, a été chaleureusement applaudie. Nous y avons remarqué une curieuse combinaison de voix divisées en trois chœurs distincts, chacun dans un rhythme différent.
L’ouverture des Francs-Juges a été également entendue avec grand plaisir. C’est une des premières conceptions de M. Berlioz, et peut-être son chef-d’œuvre. Déjà là se révèle ce cachet d’harmonie abrupte, d’étrangeté rhythmique (d’originalité si vous voulez), qui forme le type de cette individualité artistique ; mais là, au moins, nous trouvons trace d’une mélodie franche, d’un chant suivi, d’une phrase musicale complète, soutenue et agencée selon les traditions classiques. C’était probablement un défaut capital aux yeux de l’auteur, car il s’en est quelque peu corrigé.
Barroilhet a fait délicieusement valoir la Venta, charmant boléro de Halévy.
Dans cette soirée, la Société philharmonique nous a fait connaître une des premières cantatrices de l’Italie moderne, Mme Frezzolini, qui avait déjà obtenu d’éclatants succès à Londres. C’est une très belle personne, douée d’une voix de soprano sympathique et admirablement accentuée. Deux airs de Bellini lui ont valu une triple salve de bravos ; mais elle a surtout enthousiasmé l’auditoire par la façon ravissante dont elle a interprété la Sérénade de Schubert (non annoncée sur le programme). Mme Frezzolini excelle dans le cantabile : les fioritures et les grupetti ne semblent pas toujours se produire avec toute la perfection désirable.
Mlle Lefebvre, de l’Opéra-Comique, a eu sa part des ovations de la soirée; elle a supérieurement dit l’air des Mousquetaires de la Reine.
Mais n’oublions pas un des éléments les plus intéressants de la séance : le Chant des Chérubins, fragment de chœur du répertoire de la Chapelle de l’empereur de Russie, exécuté pour la première fois à Paris. Cette composition de Bortnianski, d’une harmonie simple, douce et mystique, a vivement ému l’auditoire. L’exécution a été parfaite ; on a surtout remarqué un groupe de basses d’une puissante vibration.
En somme, cette première soirée de la Société Philharmonique a dignement répondu à l’attente du public et des souscripteurs. L’orchestre de Berlioz est organisé avec plus de soin que l’an dernier. Tous les premiers pupitres sont magistralement occupés ; quant aux chœurs, ils nous semblent avoir encore gagné.
Nous le disions d’avance, Paris n’avait pas beaucoup de frais à faire pour répondre victorieusement au défi musical que lui a jeté Londres. Dès la première passe-d’armes, le partner britannique est distancé, désarçonné. Les journaux anglais nous donnent des nouvelles des grands Concerts Nationaux du Théâtre de la Reine, et avec une impartialité qui les honore, ils nous annoncent à l’unanimité un fiasco monstre. Le Musical-World débute son article par ces mots : The mountain divided and out came a mouse !… Traduction française : La montagne en travail enfante une souris.
JULES LOVY.
Le Ménestrel, 17 novembre 1850, p. 2.
Mardi dernier, la société philharmonique a ouvert la série de ses concerts réguliers : cette séance n’a pas été moins brillante que la précédente, tant pour l’affluence et le choix du public, que pour la richesse du programme. Parlons d’abord de la Symphonie fantastique cette œuvre si poétique, si variée et si vraie bien qu’elle nous transporte parfois dans un monde surnaturel, celui du rêve et de la fantaisie ; mais il ne faut pas oublier que l’auteur a voulu peindre particulièrement les sensations d’une âme artiste. Auquel des morceaux donner la palme ? Aux scènes de la vie réelle, toutes pleines d’enivrement et de volupté dans un salon, si calmes et si reposées au milieu des champs ? ou bien au délire des passions ? ou encore à la poignante fantasmagorie d’une hallucination fiévreuse ? Parmi les numéros le plus applaudis il faut citer le Bal et surtout la Marche au Supplice bissée avec acclamation. Il y a plus de vingt ans que Berlioz a écrit sa Symphonie fantastique ; elle est aussi fraîche que le premier jour, seulement l’effet en a prodigieusement grandi. Nous avons eu du même auteur la belle ballade à trois chœurs, Sara la Baigneuse, qui mieux appréciée et mieux comprise à une seconde audition, a obtenu un grand et légitime succès ; puis enfin l’Invitation à la Valse, ce suave et pur dessin de Weber, sur lequel Berlioz a étendu l’éclatant coloris de son instrumentation. Le Chant des Chérubins, de Bortnianski, qui avait fait tant de plaisir une première fois, a été accueilli avec une égale faveur, quoique l’exécution en ait été moins parfaite. Mme Ugalde, moins en voix dans la polonaise d’I Lombardi, n’a pas tardé à prendre sa revanche, en détaillant la cavatine de Betly avec ce fini, ce brio, cette maestria qu’on lui connaît. Mme Ugalde a dû céder au vœu du public et répéter ce charmant morceau d’un bout à l’autre. N’oublions pas l’admirable chœur d’Atys, et un chant religieux : Les adieux des Bergers à la Sainte Famille, composé par Pierre Ducré en 1679, c’est-à-dire exhalant un parfum d’archaïsme et de naïveté qui n’est pas dénué de charme.
Au mardi 10 décembre le second concert [en fait le 17 décembre].
EDMOND VIEL.
Le Ménestrel, 2 février 1851, p. 2.
[…] Deux jours après (mardi soir) [28 janvier], nous avons assisté au troisième concert de la Société philharmonique dirigée par M. Berlioz. L’orchestre de M. Berlioz a cru devoir employer une grande demi-heure à s’accorder. Cette besogne achevée, les instruments étaient-ils bien d’accord ? That is the question.
La soirée s’est ouverte par les quatre premières parties de la symphonie de Roméo et Juliette. Les solos étaient chantés par Roger et Mme Hortense Maillard. Le scherzetto : Mab la messagère, a valu à Roger les plus vifs applaudissements. — Une composition nouvelle de M. Membrée : Polyphème et Galathée, a reçu le plus brillant accueil. Cette cantate, exécutée pour la première fois, réunit toutes les conditions dramatiques du genre : elle se signale par une savante facture et une grande distinction de style. Les accompagnements sont très remarquables. Roger, qui a patroné Membrée et en a fait un Schubert français, interprétait les solos avec Mlle Dobré ; mais il est à regretter que l’exécution instrumentale n’ait pas complètement répondu à l’ensemble ; cette œuvre a donc besoin d’une seconde audition pour être sainement appréciée. — Une Fantaisie d’Alard, sur les motifs de la Favorite, a été exécutée avec talent par le violoniste Léon Reynier, sauf quelques contorsions et dandinements, qui ne nous semblent pas absolument indispensables pour remuer les fibres d’un auditoire : le goût et l’expression ne résident pas dans la gymnastique du corps et dans les mouvements de l’omoplate. — N’oublions pas l’air d’église de 1667 (Stradella) : Se i miei sospiri. Dans cette vieille cantilène, si suave et si mélancolique, Roger a déployé un sentiment, une vigueur, un brio, qui ont excité les trépignements de la salle entière. […]
J. LOVY.
Le Ménestrel, 2 mars 1851, p. 2-3.
[…] Salut maintenant à Mlle Clauss, jeune pianiste bohémienne, arrivée à Paris sous le gracieux patronage de Mme Sabatier-Ungher. Mlle Clauss n’est âgée que de seize ans, et c’est déjà une célébrité (la ville de Prague n’en fait jamais d’autres) : Mlle Clauss, que nous avions déjà eu occasion d’entendre dans la grande soirée de notre ténor Roger, a excité une vive sensation mardi soir au quatrième concert de la Société philharmonique [25 février]. Un doigté brillant, une rare égalité de sons, une vigueur surprenante unie à une suavité féminine, telles sont les qualités de cette enfant-prodige que le public a rappelée avec enthousiasme.
Du reste, le public de cette soirée était monté à un excellent diapason, quoique l’une des cantatrices annoncées sur le programme (Mlle Véra) eût fait défection. M. Berlioz a été redemandé. Mme Viardot a été redemandée. Peu s’en est fallu qu’on redemandât Mme Hortense Maillard, car l’auditoire était d’une humeur charmante. Il est vrai que Mme Viardot dit les chansonnettes espagnoles avec une verve et une excentricité incomparables ; il est encore vrai que M. Berlioz a été vigoureusement inspiré quand il a écrit la Marche hongroise de la Damnation de Faust, la Fête chez Capulet dans sa symphonie de Roméo et son scherzo de la Reine Mab. La musique de M. Berlioz n’est pas comprise de tout le monde ; mais ceux qui la comprennent ne lui marchandent pas leurs ovations. Une couronne d’or a été offerte au maëstro, séance tenante, par une société de dilettantes : hommage des plus honorables quant à l’intention, car on sait que ce métal est un peu déprécié.
Dans le scherzetto vocal de Roméo nous avons eu à regretter l’absence de Roger.
N’oublions pas l’andante d’une symphonie composée par une artiste-amateur du grand monde, Mlle de Reyset. Cette œuvre, écrite dans le style de la haute école, nous a paru laisser à désirer un peu de cohésion et de grâce mélodique. Nous désirons une seconde audition, car il est peu probable qu’une femme ait cru devoir négliger ces éléments.
J. LOVY.
Le Ménestrel, 30 mars 1851, p. 2.
[…] Revenons à Paris, là nous rencontrons la Grande société philharmonique de Berlioz, qui a donné mardi dernier son cinquième concert [25 mars]. Le public a entendu la Symphonie fantastique (épisode de la vie d’un artiste), cette œuvre bizarre par laquelle Berlioz commença à se signaler dans le monde musical (après l’ouverture des Francs-Juges). Le Bal, la Marche au supplice et l’étrange combinaison instrumentale de la Ronde du Sabbat et du Dies iræ, ont excité les plus vifs applaudissements. Une nouvelle composition du même auteur : la Menace des Francs, marche et chœur, faisait également partie du programme. Mais cette production, qui terminait la séance, a semblé beaucoup trop courte. C’était la réflexion générale, et on peut l’enregistrer comme un éloge.
Un jeune pianiste de Hanovre, M. Charles Reinecke, le flûtiste Petiton et le jeune Massart, violoncelle phénomène de 13 ans, ont obtenu de légitimes bravos. Mme Dorus-Gras, dans Benvenuto Cellini et l’air du Cheval de bronze, Massol, dans l’air et la cavatine de l’Enfant prodigue, ont dignement complété la soirée. […]
[J. LOVY]
Le Ménestrel, 4 mai 1851, p. 2.
Revue des Concerts
Il était plus que temps de clore la saison, et les deux dernières séances des sociétés Philharmonique et Sainte-Cécile, réservées aux auteurs inconnus, l’ont malheureusement prouvé par l’absence et la désertion du public. C’est dire que l’hiver a fourni sa carrière, et qu’il ne doit pas empiéter sur le printemps. Jamais locations ne s’étaient manifestées d’une manière aussi négative. — Les hospices en ont été humiliés. — Cette disette de numéraire s’est fait ressentir jusque dans les dernières œuvres de charité. Elle a également atteint sans miséricorde des virtuoses tels que De Bériot et Vieuxtemps, qui samedi dernier ont fait assaut de talent avec recettes improductives. […]
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Revue et gazette musicale, 3 février 1850 p. 39
GRANDE SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE DE PARIS.
La ville de Paris manquait d’une de ces grandes sociétés musicales telles que nous en opposent les principales capitales de l’Europe, Londres, Vienne, Bruxelles, Saint-Pétersbourg. Cette importante institution vient d’être fondée. Un nombre considérable d’artistes de mérite, sans force à cause de leur isolement, existent à Paris. M. Berlioz a eu la pensée de les réunir et de les associer dans une œuvre commune, l’initiation du public aux principales compositions de toutes les époques sans exception aucune.
Indépendamment de ces belles œuvres instrumentales et chorales, la Société fera successivement entendre les premiers sujets des théâtres lyriques et les virtuoses les plus célèbres de la France et de l’étranger. Elle est assurée dès aujourd’hui que nul ne lui refusera son concours.
Un chef d’orchestre tel que M. Berlioz, dont le nom seul est l’éloge, un excellent orchestre de 100 instrumentistes pleins de zèle et d’ardeur, un chœur de 120 voix, élite des théâtres et des chapelles de Paris, sous l’habile direction de M. Dietsch, chef de chant de l’Opéra, le concours de tous les virtuoses et compositeurs dont s’honore l’art musical en Europe, tels sont les solides fondements sur lesquels se base la nouvelle institution.
Les concerts de la Société philharmonique auront lieu une fois par mois seulement, à huit heures du soir, dans la salle Sainte-Cécile, rue de la Chaussée-d’Antin, 49 bis.
Le 1er est fixé au mardi 19 février. — Le 2e, au mardi 19 mars. — Le 3e (concert spirituel), par exception, au Samedi-Saint 30 mars. — Le 4e , au mardi 16 avril.
Prix des place : Stalles d’orchestre, stalles de parquet, stalles d’amphithéâtre, 6 fr. Par abonnement pour quatre concerts, 5 fr. ; galeries, 3 fr.
On trouve des billets d’avance : chez MM. Brandus et Cie, éditeurs de musique, rue Richelieu, 87 ; et à la salle Sainte-Cécile, rue de la Chaussée-d’Antin, 49 bis. Mais pour les abonnements on devra s’adresser à MM. Brandus et Cie seulement.
La Société est placée sous le patronage de : MM. Spontini, Halévy, Adam, membres de l’Institut ; Meyerbeer, Liszt, Niedermeyer, Félicien David, Thomas. — Mesdames la princesse Alexandre Czartoriska, la princesse de Chimay, la comtesse Poniatowska, la duchesse de Rauzan. — MM. le prince Joseph Poniatowski, Armand Bertin, le marquis Sanpieri, le baron Taylor, le comte de Gasparin, le comte de Castellane, Laurentie.
Signé : les membres du comité, Massart, Becquié, Morel, Seligmann, Cadaux, Léon Kreutzer, Hersant, Grard, Dauger, Gousson, Georget, Cajani.
PROGRAMME DU PREMIER CONCERT.
(19 février à 8 heures du soir.)
1o Ouverture de Léonore (1ère version) de Beethoven.
2o Les deux premières parties de la Damnation de Faust, de M. Berlioz.
1re Partie : Pastorale, Ronde de Paysans, Marche hongroise.
2e Partie : Monologue de Faust, Hymne de la Fête de Pâques, Scène de la Cave de Leipzig, Air de Méphistophélès, Chœur et Ballet des Sylphes, Double chœur d’Etudiants et de Soldats. Les solos seront chantés par MM. Roger et Levasseur.
3o Fantaisie sur Otello, composée par Ernst, et exécutée par M. Joachim (du Conservatoire de Vienne).
4o Air avec chœurs d’Iphigénie en Tauride, de Gluck, chanté par Mme Viardot.
5o Première scène du 3e acte d’Echo et Narcisse, de Gluck. Le solo sera chanté par Mlle Dobré.
6o Solo de Violoncelle, composé el exécuté par M. Demunck professeur au Conservatoire de Bruxelles.
7o Air de Joseph, de Méhul, chanté par M. Roger.
8o Scène de la Bénédiction des poignards des Huguenots, de Meyerbeer, avec les solos de chant quadruplés.
Revue et gazette musicale, 3 mars 1850 p. 84
SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE.
Salle Sainte-Cécile, rue de la Chaussée d’Antin, 49 bis.
2me Concert. — Mardi 19 mars à 8 heures du soir.
PROGRAMME.
1° Ouverture du Freischütz de Weber.
2° Adoremus, chœur, de Palestrina.
3° Harold en Italie, symphonie en 4 parties avec un alto principal, de M. Berlioz :
1re partie. Harold aux montagnes, scènes de mélancolie, de bonheur et de joie.
2e partie. Marche de pèlerins chantant la prière du soir.
3e partie. Sérénade d’un montagnard des Abbruzes à sa maîtresse.
4e partie. Souvenirs des scènes précédentes. Orgie des brigands.
(L’alto solo sera joué par M. L. Massart.)
4° Chanson en chœur sans accompagnement, du XVIe siècle.
5° Fragment d’un concerto de violon composé et exécuté par M. Herman.
6° Scènes du 1er acte d’Alceste de Gluck, chantées par Mme Julienne, M. Arnoldi et le chœur :
1. O ciel ! qu’allons-nous devenir ! chœur.
2. Dieu puissant ! chœur.
3. Marche religieuse.
4. Apollon est sensible à nos gémissements ; scène de l’oracle.
5. Non, ce n’est point un sacrifice ! air de soprano.
6. Déjà la mort s’apprête, air de basse.
7. Divinités du Styx ! air de soprano.
7° Air de Betly, de Donizetti, chanté par Mme Ugalde-Beaucé.
8° Finale de Moïse, de Rossini.
(Les solos seront chantés par Mme Ugalde-Beaucé et M. Arnoldi.)
L’orchestre, composé de 100 musiciens, sera conduit par M. Berlioz.
Le chant, composé de 120 voix, sera dirigé par M. Dietsch.
On se procure des billets au magasin de musique de MM. Brandus et Cie, 87, rue Richelieu.
Revue et gazette musicale, 24 mars 1850 p. 103
SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE.
Samedi 30 mars, par extraordinaire,
3e Concert (Spirituel).
PROGRAMME.
1° Credo de la 4e messe solennelle de M. Dietsch.
2° Belle qui tiens ma vie, sans accompagnement (redemandée).
3° Symphonie de M. Gastinel (grand prix de Rome et membre de la Société).
4° O salutaris, de M. Niedermeyer.
5° Solo de violon, composé et exécuté par Henri Wieniawski.
6° Marche des Pèlerins, fragment de la symphonie d’Harold en Italie, de H. Berlioz (redemandée).
7° Concert-Stück, pour le piano, de Weber, exécuté par Mme Massart (Aglaé Masson).
8° Air de Spontini, chanté par Mlle Dobré.
9° Ouverture de Démophon, de Vogel.
On trouve des billets chez MM. Brandus et Cie, éditeurs de musique, rue Richelieu, 87, et à la Salle Sainte-Cécile.
Revue et gazette musicale, 21 avril 1850 p. 139
SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE.
Mardi, 23 avril, à 8 heures du soir.
4e et dernier concert.
PROGRAMME.
1° Ouverture d’Athalie, de F. Mendelssohn, exécutée pour la première fois à Paris.
2° La première partie de la Damnation de Faust, de H. Berlioz.
1. Pastorale ;
2. Ronde de paysans ;
3. Marche hongroise.
Le récitatif de Faust sera chanté par M. Roger.
3° Air de la Donna del Lago de Rossini, chanté par Mme Ernesta Grisi.
4° Marche des Hébreux vers la terre promise (fragment de Moïse au Sinaï), de Félicien David, exécutée sous la direction de l’auteur.
Le solo sera chanté par M. Génibrel.
5° Solo de violoncelle de Servais, exécuté par M. Jacquart, membre de la Société.
6° Air chanté par Mme Laborde.
7° Chœur des chasseurs, composé par M. Cadaux, membre de la Société, exécuté pour la première fois.
8° Air de Joseph de Méhul, chanté par M. Roger.
9° Air de Grâce de Robert-le-Diable, pour le monocorde, suivi de Pizzi-Arco, caprice pour le violon, exécutés par M. Appolinaire de Kontski.
10° Invitation à la valse, rondo de piano, de Weber, instrumenté pour l’orchestre par M. Berlioz.
On trouve des billets : chez MM. Brandus et Cie, rue Richelieu, 87, et à la salle Sainte-Cécile, rue de la Chaussée d’Antin, 49 bis.
Le concert du 16 avril ayant été remis au mardi 23, les billets pris d’avance seront reçus.
Revue et gazette musicale, 28 avril 1850 p. 146
La grande Société philharmonique, aidée de l’élite des chœurs et des orchestres des autres institutions musicales de Paris, exécutera vendredi prochain, 3 mai, dans l’église de Saint-Eustaclie, la messe de Requiem de Berlioz. Le produit du prix des chaises et de la quête, faite par les dames patronesses, est destiné aux familles des victimes de la catastrophe d’Angers. Cette importante solennité aura lieu à 11 heures du matin.
Revue et gazette musicale, 13 octobre 1850 p. 343
GRANDE SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE DE PARIS.
Cette société, qui n’existe que depuis un an, occupe déjà dans l’art musical le rang le plus honorable et s’est conquis l’estime des artistes et les sympathies du public. On n’a pas oublié les beaux concerts qu’elle a donnés l’année dernière, concerts également remarquables par la perfection de l’exécution et par le choix des œuvres qui formaient les programmes. Le cours de ces concerts, qui avait été interrompu pendant l’été, va reprendre au commencement de la saison d’hiver.
Les Concerts, au nombre de six, auront lieu sous la direction de M. Berlioz, dans la salle Sainte-Cécile, rue de la Chaussée-d’Antin, 49 bis, le second mardi des mois de novembre, décembre, janvier, février, mars et avril, à huit heures du soir.
Le prix des places est fixé comme il suit :
Stalles d’orchestre, 6 fr. — Stalles de parquet, 5 fr.— Amphithéâtre, 3 fr.— Galerie, 2 fr.
On s’abonne pour les six Concerts, aux Stalles d’Orchestre et aux Stalles de Parquet seulement, au prix de 30 fr. pour les Stalles d’Orchestre et de 24 fr. pour les Stalles de Parquet. On prend des billets d’avance et des abonnements chez MM. Brandus et Cie, éditeurs de musique, rue de Richelieu, 87, et rue Vivienne, 40, et le soir du Concert, au bureau de la salle Sainte-Cécile.
Un premier Concert extraordinaire qui ne sera pas compris dans ceux de l’abonnement, aura lieu le mardi 22 octobre prochain, à huit heures du soir. En voici le programme :
PREMIÈRE PARTIE : 1° Symphonie en ut mineur, Beethoven. — 2° Sara la Baigneuse, ballade à trois chœurs, paroles de M. Victor Hugo (exécutée pour la première fois), H. Berlioz. — 3° Air chanté par Mlle Lefebvre, Donizetti. — 4° Le Chant des Chérubins, chœur sans accompagnement (fragment du répertoire de la chapelle de l’empereur de Russie, exécuté en France pour la première fois), Bortniansky.
DEUXIÈME PARTIE : 5° Ouverture des Francs-Juges, H. Berlioz. — 6° Le Cinq Mai, chant sur la mort de l’empereur Napoléon, paroles de Béranger, chanté avec chœur et orchestre par M. Barroilhet, H. Berlioz. — 7° Chant des Naïades d’Obéron, Weber. — 8° Quis enarrabit, grand chœur, Lesueur.
Revue et gazette musicale, 20 octobre 1850 p. 350
Le programme du concert que la grande Société philharmonique, dirigée par M. Berlioz, donnera mardi prochain, vient de s’enrichir d’un élément qui ne peut manquer d’en rendre l’intérêt singulièrement vif. On y entendra pour cette fois seulement, avant son départ pour Madrid, la grande cantatrice italienne, Mme Frezzolini, qui est à Paris depuis peu de jours. On sait qu’elle est au nombre des virtuoses contemporaines qui possèdent au plus haut degré le don d’émouvoir par la grâce et l’ardente accentuation de son chant. Sa voix de soprano franc est l’une des plus belles qu’on puisse entendre. Paris est la seule grande capitale de l’Europe qui n’ait pu en juger jusqu’à présent. Barroilhet et Mlle Lefebvre chanteront dans ce même concert, où l’on exécutera un fragment de ces belles œuvres religieuses écrites par Bortniansky pour la chapelle impériale russe, et que rendent les chantres de la cour à Saint-Pétersbourg avec une perfection d’ensemble, une finesse de nuances et une beauté de sons, dont les choristes de la Société philharmonique, formés par une étude de six mois, essaieront de donner une idée aussi complète que possible. Voici du reste le progamme entier : 1° Symphonie en ut mineur de Beethoven ; 2° Sara la baigneuse, ballade à trois chœurs, paroles de M. V. Hugo, musique de H. Berlioz (exécutée pour la première fois) ; 3° air des Mousquetaires de la reine, Bocage épais, d’Halévy, chanté par Mlle Lefebvre ; 4° le Chant des Chérubins, de Bortniansky, chœur sans accompagnement (fragment du répertoire de la chapelle de l’empereur de Russie), exécuté en France pour la première fois ; 5° air de Beatrice di Tenda, de Bellini, chanté par Mme Frezzolini ; 6° ouverture des Francs-Juges, de H. Berlioz ; 7° le Cinq mai, chant sur la mort de l’empereur Napoléon, paroles de Béranger, musique de H. Berlioz, chanté avec chœur et orchestre, par M. Barroilhet ; 8° la Sérénade, de Schubert, chantée par Mme Frezzolini ; 9° Quis enarrabit, grand chœur de Lesueur. — Stalles d’orchestre, 6 fr. ; stalles de parquet, 5 fr. ; amphithéâtre, 3 fr. — On trouve des billets d’avance chez MM. Brandus et Cie, éditeurs de musique, rue Richelieu, 87, et rue Vivienne, 40, et, le soir du concert, au bureau de la salle Sainte-Cécile.
Revue et gazette musicale, 3 novembre 1850 p. 367
Voici le programme du concert que la grande Société philharmonique, dirigée par M. Berlioz, donnera, mardi 12 novembre, dans la salle Sainte-Cécile. — Première partie : 1° Episode de la vie d’un Artiste, symphonie en cinq parties : 1. Rêveries, passions. 2. Un bal. 3. Scène aux champs. 4. Marche au supplice. 5. Songe d’une nuit du Sabbat, Dies iræ burlesque, ronde du Sabbat, la ronde du Sabbat et le Dies iræ ensemble, par Berlioz. 2° Le Chant des Chérubins, chœur sans accompagnement (fragment du répertoire de la chapelle de l’empereur de Russie). 3° Air de Betly, chanté par Mme Ugalde, par Donizetti. 4° Les adieux des Bergers à la sainte famille, chanson en chœur de la Fuite en Egypte, mystère de Pierre Ducré, maître de musique de la Sainte-Chapelle de Paris, exécuté pour la première fois en 1677. — Deuxième partie : 1° Sara la baigneuse, ballade à trois chœurs, paroles de M. Victor Hugo, par Berlioz. 2° Air des Lombardi, chanté par Mme Ugalde. 3° Le sommeil d’Atys, chœur, par Piccinni. 4° L’Invitation à la valse, rondo de piano de Weber, instrumenté pour l’orchestre par Berlioz. — Prix des places : stalles d’orchestre, 6 fr. ; parquet, 5 fr. ; Amphithéâtre, 3 fr. ; Galerie, 2 fr. — On s’abonne pour six concerts, aux stalles d’orchestre et de parquet seulement au prix de 30 fr. pour les stalles d’orchestre, et de 24 fr. pour les stalles de parquet. — On prend des billets d’avance et des abonnements chez MM. Brandus et Cie, éditeurs de musique, rue Richelieu, 87 et rue Vivienne, 40.
Revue et gazette musicale, 15 décembre 1850 p. 414
La grande Société philharmonique, sous la direction de M. Berlioz, donnera mardi 17 décembre, dans la salle Sainte-Cécile, à huit heures du soir, son deuxième concert. En voici le programme : 1° Ouverture d’Oberon, de Weber ; 2° chœurs et airs de danse d’Armide, de Gluck ; 3° air chanté par Mme Ferretti ; 4° chant des Naïades, d’Oberon, de Weber ; 5° solo de violon, par le jeune Jullien, âgé de 10 ans ; 6° chœur de brigands de la Caverne, de Lesueur ; 7° ouverture du Jeune Henri, de Méhul ; 8° air chanté par Mlle*** ; 9° marche et chœur des Mages d’Alexandre à Babylone, opéra posthume de Lesueur ; 10° Souvenirs de Beethoven, solo de piano, par Mlle Mattmann ; 11° Prière de Moïse, de Rossini.
Revue et gazette musicale, 19 janvier 1851 p. 22
Le troisième concert de la Grande Société philharmonique aura lieu le mardi 28 janvier, dans la salle Sainte-Cécile, à huit heures du soir, sous la direction de M. Berlioz. La composition du programme ne peut manquer d’attirer les amateurs de la grande musique. On y entendra : 1° les quatre premières parties de Roméo et Juliette, de M. Berlioz. Il y a plusieurs années que le public n’a été à même d’apprécier cette vaste composition, qui cause toujours une émotion si profonde : l’exécution sera digne de l’œuvre ; Roger lui prêtera le concours de son admirable voix ; 2° un Pater de Bortnianski, le célèbre compositeur russe, dont la Société philharmonique a eu la gloire de révéler le nom aux amateurs de musique religieuse ; 3° une cantate de M. Membrée, exécutée pour la première fois ; les solos seront chantés par Roger, Mlle Dobré et M. Noir ; 4° un air des Capuletti, chanté par Mlle Hortense Maillard ; 5° le bel air de Stradella, chanté par Roger ; 6° un O Salutaris, de M. Zimmerman ; 7° un solo de violon par le jeune Reynier ; 8° enfin le duo d’Armide, de Gluck (Esprits de haine et de rage), chanté par 30 soprani pour le rôle d’Armide, et par 30 barytons pour le rôle d’Hidraot.
Revue et gazette musicale, 26 janvier 1851 p. 32
Voici le programme du concert que la Grande Société philharmonique, dirigée par M. Berlioz, donnera le mardi 28 janvier : 1° Les quatre 1res parties de Roméo et Juliette, de Berlioz, symphonie avec chœurs, solos de chant et prologue en récitatif choral, paroles de M. Emile Deschamps : 1. Introduction instrumentale, combats, tumulte, récitatif choral; strophes (premiers transports), chantées par Mme Hortense Maillard ; scherzetto vocal (Mab la messagère) ; le solo de ténor sera chanté par M. Roger ; récitatif. 2. Roméo seul, mélancolie ; bruits lointains de bal et de concert ; grande fête chez Capulet (orchestre seul). 3. Le jardin de Capulet silencieux et désert ; chœur de Capulets sortant de la fête. Scène d’amour ; adagio instrumental. 4. La reine Mab, ou la fée des Songes. Scherzo instrumental (orchestre seul). 2° Pater, de Bortniansky, chœur sans accompagnement, tiré du service musical de la chapelle de l’empereur de Russie, exécuté à Paris pour la première fois. 3° Polyphème et Galathée, cantate, musique de M. Membrée (exécutée pour la première fois) ; les solos seront chantés par M. Roger, Mlle Dobré, et M. N. Membrée. 4° Air des Capuletti, de Bellini, chanté par Mme Hortense Maillard. 5° O salutaris, de Zimmerman, chanté par Mlle Dobré et le chœur. 6° Solo de violon exécuté par M. Léon Reynier. 7° (Se i miei sospiri), air d’église (1667), de Stradella, chanté par M. Roger. 8° Esprits de haine et de rage, de Gluck, duo d’Armide, chanté par toutes les voix du chœur. — Prix des places : stalles d’orchestre, 6 fr. ; parquet, 5 fr. ; amphithéâtre, 3 fr. ; galerie, 2 fr. — On prend des billets d’avance chez MM Brandus et Cie, éditeur de musique, rue Richelieu, 87, et rue Vivienne, 40, ancienne maison Troupenas et au bureau de la salle Sainte-Cécile. — On s’abonne pour les 4 derniers concerts au prix de 28 fr. pour les stalles et 16 fr. pour le parquet, au magasin de musique, 40, rue Neuve-Vivienne.
Revue et gazette musicale, 16 février 1851 p. 55
Voici la programme du concert qui sera donné dans la Salle Ste-Cécile, rue de la Chaussée-d’Antin, 49 bis, par la Grande société philharmonique de Paris sous la direction de Berlioz (deuxième année), le mardi 25 février 1851, à huit heures du soir, et dans lequel on entendra Mme Viardot, Mlle Vera, Mme Hortense Maillard, et Mlle Wilhelmine Clauss : 1° Les quatre premières parties (redemandées) de Roméo et Juliette, symphonie avec chœurs, solos de chant et prologue en récitatif choral, paroles de M. Emile Deschamps, musique de M. H. Berlioz. 1. Introduction instrumentale : combats, tumulte, récitatif choral. Strophes : (Premiers transports) chantées par Mme Hortense Maillard ; Scherzetto vocal : (Mab la messagère). Récitatif. 2. Roméo seul, mélancolie. Bruits lointains de bal et de concert. Grande fête chez Capulet. (Orchestre seul.) 3. Le jardin de Capulet, silencieux et désert. Chœur de Capulets sortant de la fête. Scène d’amour. Adagio instrumental. 4. La reine Mab, ou la fée des songes. Scherzo instrumental. (Orchestre seul.) 2° Romance de Nina (la folle par amour) par d’Alayrac, chanté par Mme Hortense Maillard. 3° Andante d’une symphonie en ut composée par Mlle de Reiset. 4° Duo chanté par Mme Viardot et Mlle Vera. 5° Chœur et marche des Bohémiens, de Preciosa, par Weber. 6° Romanza della Nina pazza per amore, par Païsiello, chantée par Mlle Vera. 7° Solo de piano exécuté par Mlle Clauss. 8° Chansonnettes espagnoles chantées par Mme Viardot. 9° Marche hongroise (fragment de la Damnation de Faust), de H. Berlioz. — Prix des places : Stalles d’orchestre, 6 fr. — Parquet, 5 fr. — Amphithéâtre, 3 fr. — Galerie, 2 fr. — On prend des billets d’avance chez MM. Brandus et Cie, éditeur de musique rue Richelieu, 87, et 40 rue Vivienne, et au bureau de la Salle Sainte-Cécile.
Revue et gazette musicale, 23 février 1851 p. 63
Une messe solennelle, composée par M. Niedermeyer, sera exécutée le samedi 1er mars, à midi précis, dans l’église de Saint-Thomas-d’Aquin, par l’orchestre et les chœurs de la Société philharmonique, sous la direction de Berlioz. Le produit de la quête et des chaises est destiné à l’œuvre des orphelines du choléra. La quête sera faite par Mme la duchesse de Fitzjames.
Revue et gazette musicale, 23 mars 1851 p. 94
La grande Société philharmonique de Paris, dirigée par M. Berlioz, donnera mardi 25 mars, à huit heures du soir son cinquième concert d’abonnement, dont voici le programme. — 1° Episode de la vie d’un Artiste, Symphonie fantastique en cinq parties de Berlioz : 1. Rêveries, passions ; 2. Un bal ; 3 Scène aux champs ; 4. Marche au supplice ; 5. Songe d’une nuit du Sabbat ; Dies iræ burlesque. Ronde du Sabbat ; la Ronde du Sabbat et le Dies iræ ensemble. 2° Fantaisie pour piano exécutée par M. Reinecke. 3° Cavatine de Benvenuto Cellini, de Berlioz, chantée par Mme Gras-Dorus. 4° Air des Abencerrages, de Cherubini, chanté par M. Massol. 5° La belle Voyageuse, de Berlioz, légende irlandaise imitée de T. Moore par M. Gounet, chantée par un chœur de femmes. 6° Solo de flûte exécuté par M. Petiton. 7° Ouverture nouvelle de Gastinel. 8° Air du Cheval de Bronze, d’Auber, chanté par Mme Gras-Dorus. 9° Air de Linda di Chamouni, de Donizetti, chanté par M. Massol. 10° Solo de violoncelle exécuté par le jeune Léon Massart, âgé de 12 ans. 11° La Menace des Francs, de Berlioz, marche et chœur exécutée pour la première fois. — Prix des places : stalles d’orchestre, 6 fr. ; parquet, 5 fr. ; Amphithéâtre, 3 fr. ; Galerie, 2 fr. — On prend des billets d’avance chez MM.Brandus et Cie, éditeurs de musique, rue Richelieu, 87 ; rue Vivienne, 40, ancienne maison Troupenas, et au bureau de la salle Sainte-Cécile.
Revue et gazette musicale, 27 avril 1851 p. 135
La grande Société philharmonique de Paris, dirigée par M. Berlioz, donnera, mardi 29 avril, à huit heures de soir, dans la salle Sainte-Cécile, son sixième et dernier concert d’abonnement, dont voici le programme : Grande ouverture de M. A. Morel, exécutée pour la première fois. — Le Moine, poëme lyrique en deux parties (d’après le roman de Lewis), par M. Hippolyle Lucas, musique de M. Henri Cohen. Exécuté pour la première fois. Ambrosio (le moine), M. Hermann-Léon ; Lorenzo, M. Jourdan ; Antonia, Mlle Dobré ; Mathilde (Lucifer), Mlle Julie Vavasseur. Chœurs du peuple, des démons, des inquisiteurs.
Revue et gazette musicale, 27 janvier 1850 p. 27-8
GRANDE SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE DE PARIS.
La France va s’enrichir d’une de ces nobles et utiles institutions musicales, telles que nous en opposent les grandes capitales de l’Europe. Vienne, Pétersbourg, Londres, possèdent depuis longtemps des sociétés philharmoniques où des artistes pleins de foi dans leur art exécutent les œuvres des maîtres devant un public intelligent, également étranger à l’esprit de routine qui s’élève contre toute innovation, toute hardie tentative, à l’esprit de frivolité qui s’enthousiasme pour des œuvres sans valeur. Les chefs-d’œuvre des grands maîtres de l’ancienne école italienne sont à peu près inconnus parmi nous. Il en est de même des chefs-d’œuvre de l’école allemande, et le véritable amateur, s’il veut connaître ces vastes compositions, doit se résigner à passer la Manche ou à traverser le Rhin. Heureusement nous allons voir se réaliser une grande idée : la fondation, à Paris, d’une société philharmonique, qui, si elle ne les éclipse, rivalisera bientôt avec celles dont l’Angleterre, la Russie, l’Autriche sont si justement fières. Et d’abord, remercions M. Berlioz. Il y a, dans l’histoire de l’art des époques où les idées de progrès germent, se développent, mûrissent dans les esprits ; mais encore faut-il qu’un homme d’une intelligence supérieure les réunisse et les coordonne en un puissant faisceau. Tel a été le rôle de M. Berlioz à l’égard de la société naissante. C’est lui qui a réuni les artistes ; c’est lui qui a développé devant eux les bases sur lesquelles doit s’appuyer la nouvelle société ; c’est lui qui leur a signalé les chances de succès, les obstacles à vaincre, obstacles heureusement surmontables. Quels qu’aient été jusqu’ici parmi quelques artistes la tristesse et le découragement sur l’avenir de l’art, ils peuvent aujourd’hui se rassurer et concevoir un vif espoir. Qui pourrait désespérer du progrès de la musique en voyant des compositeurs renommés, des professeurs illustres, d’habiles virtuoses, accourir les premiers et s’unir dans une fraternelle pensée de dévouement au culte de l’art ? Il y a un mois à peine que M. Berlioz a commencé à mettre à exécution un projet qu’il portait depuis longtemps dans sa pensée, et aujourd’hui déjà tout est organisé. Les artistes, réunis en grand nombre, ont nommé le Comité auquel sera conférée la tâche difficile de présider aux détails si minutieux, si compliqués de l’organisation d’un concert. L’orchestre se composera de cent musiciens. A cette phalange se joindra une autre phalange non moins puissante, un chœur de cent dix voix, composé des artistes de l’Opéra, sous la direction si zélée, si intelligente de M. Dietsch. C’est dans la salle Sainte-Cécile qu’auront lieu les concerts. Ils se succéderont de mois en mois. M. Berlioz puisera abondamment dans le riche répertoire de toutes les écoles. A côté de ses propres œuvres, si hardies de conception et de forme, nous verrons se dérouler les immortelles symphonies de Beethoven, les touchantes et pieuses inspirations de Palestrina, les gigantesques oratorios de Haendel et de S. Bach. En admettant des œuvres de mérite si divers, en nous peignant par des exemples choisis les diverses évolutions qu’a éprouvées l’art musical, la nouvelle société éclairera le goût de son public et lui ouvrira des sources ignorées de nobles jouissances.
Ne voulant pas se borner cependant à la seule exécution des grandes compositions vocales et instrumentales, le comité fera appel aux virtuoses les plus renommés, et il a le droit de compter sur leur concours.
M. Berlioz donne à son projet un vaste développement. Par le moyen des chemins de fer, les villes les plus éloignées se rapprochent et se tendent la main. Eh bien, la plus noble, la plus utile des propagandes, M. Berlioz est dans l’intention de l’entreprendre. N’a-t-on pas vu dernièrement le chemin de fer expédier (passez-moi le mot) de Paris à Versailles tout le personnel d’un concert, musiciens et auditeurs. Ce concert, donné à Versailles, n’a-t-il pas été pour la ville un véritable jour de fête ? Pourquoi donc Orléans, Amiens, Chartres, Bourges, Blois, Tours, ne verraient-ils pas des solennités semblables ? Pourquoi ces nouveaux pèlerins de la civilisation musicale n’iraient-ils pas de grande ville en grande ville propager les traditions et les enseignements de l’art ? Qui ne s’empresserait de leur faire un accueil digne d’eux ? Oui, la nouvelle Société philharmonique de Paris a devant elle un grand avenir ; elle a la force ; elle a la jeunesse qui ose ; elle aura la patience qui lève les obstacles. Vaillante phalange, elle marche sous un chef plein d’ardeur ; elle aura pour elle tous ceux qui regardent l’art comme une mission, non comme un métier. Elle est née à l’heure précise où elle devait naître, à une époque de crépuscule musical, où parmi les artistes, comme parmi le public, l’engourdissement succédait à l’action. Qu’elle marche donc sans crainte à la conquête de ses destinées, et qu’elle fasse briller l’art musical d’un resplendissant éclat. Tel est le ferme espoir de celui qui signe ces lignes.
L. KREUTZER.
Revue et gazette musicale, 24 février 1850 p. 63-5
GRANDE SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE DE PARIS
PREMIER CONCERT.
Depuis deux mois les artistes et les amateurs se préoccupaient vivement de l’entrée dans le monde musical de la nouvelle Société philharmonique. Son prospectus, véritable profession de foi, donnait lieu à de vives espérances qui n’étaient pas sans quelque mélange d’inquiétudes.
Le chef d’orchestre trouverait-il dans le public entier les mêmes sympathies qu’il rencontre chez les hommes éclairés ? Le jeune orchestre, plein de verve et d’ardeur, ne serait-il pas emporté par cette même ardeur ? En se précipitant à l’assaut des plus terribles difficultés, ne courrait-il pas le risque d’être repoussé et de rentrer un peu en déroute ? Et les chœurs, si faibles partout ailleurs, réussiraient-ils à interpréter avec succès les œuvres les plus difficiles, œuvres qui demandent les plus longues, les plus patientes, les plus minutieuses répétitions ? Disons-le bien haut, le concert du 19 février a fait tomber ces inquiétudes vaines. Jamais œuvres plus admirables ne furent traduites au public avec un ensemble plus parfait. Cette jeune armée musicale, à peine réunie depuis un mois, composée d’éléments un peu choisis au hasard, a eu sans doute la verve, l’impétuosité que donne la jeunesse, mais aussi le calme et le sang-froid de soldats éprouvés. Le chœur, de son côté, a réalisé, sous la puissante direction de M. Dietsch, les merveilles que les répétitions nous promettaient, et jamais plus imposantes phalanges ne marchèrent sous un chef plus digne de les commander.
Pour se fonder sur une base inébranlable, pour se conquérir une grande place dans l’art musical, pour s’attirer l’estime du public qui fait les réputations, des artistes qui les consacrent, la Société philharmonique avait de grands efforts à tenter. Il fallait, dès le début, apparaître dans tout son éclat, dans toute sa puissance. Il ne convenait point à une Société forte de tant d’éléments de succès d’arriver lentement à la renommée. La Société philharmonique ne pouvait avoir d’enfance ; un demi-succès pour elle eût été un irréparable échec. Les fondateurs l’avaient compris, et c’est à cette conviction que nous devons une solennité qui marquera dans les annales du monde musical.
Le programme du premier concert a été, je l’ai dit, une profession de foi. La Société avait promis de faire entendre à son public (car dès aujourd’hui elle a son public), les œuvres des grands maîtres sans exception aucune. Le vieux et immortel Gluck occupait une place considérable dans ce programme ; Beethoven y était représenté par une de ses œuvres les plus belles et les moins appréciées jusqu’ici du public, l’ouverture de Léonore (1re version) ; M. Berlioz avait fait au concert l’offrande des deux premières parties de sa symphonie de Faust ; enfin une des plus grandes créations de l’illustre Meyerbeer devait terminer cette séance. — La nouvelle Société philharmonique ne se contentera pas de faire applaudir une fois de plus les compositions des maîtres anciens et modernes, sa bienveillance s’étendra sur les jeunes compositeurs, dont le mérite, pour se révéler, n’a souvent besoin que d’une occasion favorable. C’est ainsi qu’un dernier arrêté du comité a décidé que chaque année, à son retour de Rome, le dernier lauréat de l’Institut aurait droit de faire exécuter un morceau à son choix par la Société philharmonique. Ce sera pour ces jeunes artistes une grande épreuve à soutenir ; car plus les moyens d’exécution seront puissants et solennels, plus ils devront mettre de soin à ne pas confier à la Société des œuvres peu dignes de figurer sur des programmes si soigneusement choisis.
Tout en parlant des programmes qui se préparent pour l’avenir, je dois songer à celui qui a été réalisé à la première solennité. L’ouverture de Léonore ou de Fidelio, comme le lecteur le voudra, est la pensée première de Beethoven. C’est une noble préface dont il voulait faire précéder le seul drame qu’il ait mis au théâtre. Elle eut peu de succès à Vienne dans l’origine ; et, pour la première fois de sa vie, Beethoven refit trois fois son œuvre, sans pouvoir retrouver son inspiration primitive. Dans cette ouverture, le rôle des violons est aussi actif que difficile. Elle a été exécutée avec cette furia francese qui n’appartient qu’à nos jeunes soldats ou à nos jeunes violonistes.
Les deux premières parties de Faust mériteraient une longue analyse. Ecrit, ainsi que les précédents ouvrages de l’auteur, dans un système mixte, qui tient à la fois de la symphonie et de la musique dramatique, cet opéra de concert nous présente une série de scènes d’aspects divers, au milieu desquelles se détachent les principales figures du drame.
Nous sommes dans une plaine, aux alentours de la ville ; mille bruits s’éveillent de tous côtés : paysans, grisettes, soldats, étudiants, s’éparpillent dans les sentiers et sur les pelouses. Pour peindre cette confusion, ces folies, ces danses, ces chansons, les instruments à vent lancent toutes sortes de rhythmes bizarres, heurtés, saccadés, tandis que l’idée mère du morceau se déploie en moelleux contours. Mais un bruit lointain se fait entendre. Des guerriers passent ; la trompette stridente s’emparant de l’orchestre annonce leur approche. Faust contemple leurs fronts belliqueux, leur énergique allure. Ces fiers accents enflamment tous les courages. Son cœur seul reste triste et désenchanté. La marche hongroise qui termine cette première partie a été redemandée avec acclamations.
La seconde partie nous présente Faust livré à ses doutes, à ses vagues douleurs. Au moment où il va porter à ses lèvres la coupe fatale, les chants sacrés éclatent dans l’église voisine, et viennent rafraîchir son âme desséchée. Méphistophélès paraît enfin. Tel compositeur, comme nous en connaissons beaucoup, eût fait au Maudit une entrée digne de lui. Il n’eût pas manqué d’assombrir son orchestre, de voiler ses timbales, et, pendant vingt mesures, de préparer l’auditeur à la visite du diable. Au lieu de ce long exorde, deux mugissements de trombones, un coup de cymbales, tranchant comme la hache, un cri de la petite flûte, rire ironique et sauvage qui glace de terreur ! Ceci n’est qu’un bien petit détail ; mais l’instrumentation de Berlioz fourmille de ces touches hardies, de ces fines nuances de la pensée, qui demandent toute l’attention, toute l’intelligence de l’auditoire. C’est une musique essentiellement dramatique, qui ne peut se passer de son poëme. Il y a tant de poëmes qui n’ont rien gagné à la musique qu’on y a jointe !
Méphistophélès et Faust prennent leur vol. Les voici dans une taverne où boivent de gais lurons. L’orchestre mugit et tonne sur un rhythme brutal et décidé, tel qu’il convient à de francs buveurs.
Il y avait au milieu de ce morceau certaine chanson du rat et de la puce, dont M. Berlioz a cru devoir faire le sacrifice au dernier concert. Il a eu raison en ôtant à certaines gens tout prétexte de gloser. Le reproche que l’on a fait à M. Berlioz à ce sujet, on aurait tout d’abord dû l’adresser à Gœthe. Le poëte a voulu opposer les chants grossiers d’une taverne aux pensées sublimes qui préoccupent l’âme de Faust. Le perpétuel antagonisme de l’esprit et de la matière existera toujours. Le poëme de Gœthe est l’opposition constante de ces deux principes. C’est là le système romantique, si l’on veut. C’est la peinture de la vie humaine, mêlée d’incidents vulgaires et de nobles scènes. Shakspeare a utilement employé ces contrastes que notre grande littérature, si admirable d’ailleurs, a quelquefois trop négligés.
Faust aspire à de plus nobles jouissances. Ici éclot une des plus charmantes inspirations de M. Berlioz. Les derniers bruits de l’orgie expirent ; l’orchestre épuisé s’endort lourdement. Bientôt un doux rayon vient percer cette lourde et épaisse atmosphère ; le ciel se rassérène peu à peu ; Méphistophélès entraîne le docteur loin, bien loin de la terre ; déjà se découvrent les merveilles des pays des rêves ; sylphes, gnomes et follets s’empressent d’accourir à la voix de leur souverain, et viennent bercer le paisible sommeil de Faust. Il m’est impossible d’exprimer le charme indicible de ce chœur et du ballet des sylphes. C’est une instrumentation vraiment surnaturelle ; les accents les plus vaporeux s’élèvent de l’orchestre ; les harpes mystérieuses, les cors aux chastes accents, les violons si incisifs tout à l’heure, si suaves maintenant, confondent leur voix dans un vague murmure. Cette délicatesse de coloris est une conquête moderne de l’art. Auxiliaire de la pensée, elle la présente sous ses aspects les plus séduisants, ou plutôt chez les maîtres modernes la pensée ne peut se séparer de l’instrumentation, non plus que de l’harmonie ; elle éclot toute formulée. Ainsi l’emploi des divers rhythmes et des divers timbres tient aussi bien de l’inspiration que la création d’une mélodie.
Au ballet des sylphes succède un double chœur d’étudiants et de soldats qui a toute l’ampleur d’un finale d’opéra.
Roger et Levasseur remplissaient les rôles de Faust et de Méphistophélès. La voix stridente de Levasseur convient parfaitement à l’hôte sinistre et goguenard de l’enfer : Bertram et Méphistophélès sont de la même famille. Roger a dit le monologue de Faust en grand artiste. Dans l’air de Joseph, Vainement Pharaon..., etc., il a ému le public par l’expression profondément sentie, mais cependant parfaitement sobre, de sa voix. C’est un grand succès. M. le directeur de l’Opéra qui encourage la société nouvelle avec une bienveillance si éclairée, avait voulu que la solennité fût complète. Mme Pauline Viardot est venue concourir au succès de la Société philharmonique en interprétant la grande scène avec chœurs d’Iphigénie en Tauride. Cantatrice éminemment française, voix puissante, énergique et noble, intelligence vive et ardente, Mme Viardot ne pouvait manquer de nous traduire Gluck comme elle sait traduire Meyerbeer. C’est cette facilité à modifier son style suivant celui des auteurs, à le passionner, l’ennoblir, qui caractérise les grands artistes. Mme Viardot nous a rendu un chef-d’œuvre ; elle nous l’a rendu comme seule elle pouvait le traduire, par ce temps d’irréprochables et glaciales vocalises. Pour les admirateurs du vieux Gluck, l’heureuse pensée de Mme Viardot était presque une bonne action. Ah ! revenez, Iphigénie, Alceste, Eurydice, revenez ! et que votre noble chant réveille dans le public le sentiment des héroïques dévouements et des sublimes douleurs.
Un petit chœur avec solo d’Echo et Narcisse nous a donné l’occasion d’entendre la voix délicate et suave de Mlle Dobré. Ce petit solo, si Orphée reparaissait un jour, nous ferait présager une charmante Eurydice.
MM. Demunck, professeur de violoncelle au Conservatoire de Bruxelles, et Joachim, violoniste, sont venus faire confirmer par un public d’élite la belle réputation dont ils jouissent à l’étranger ; leur succès a été mérité.
J’arrive à la bénédiction des poignards, et j’en ferai l’éloge en deux mots : exécution prodigieuse, chœur admirable de haine et de fureur, orchestre mugissant comme la tempête ! Jamais cette sanglante page de M. Meyerbeer n’avait plus vivement impressionné un auditoire. Je me suis cru un instant huguenot, et j’ai frémi involontairement.
Je ferai ici une courte observation : la marche hongroise et la bénédiction des poignards appartiennent à un même ordre de pensée, le sentiment enthousiaste et guerrier ; quelle différence, cependant, entre les morceaux des deux maîtres ! Le premier, loyal et fier, nous peint le soldat dévoué qui frappe son ennemi au soleil, qui tue pendant le combat, et qui, après la victoire, relève les vaincus ; l’autre exprime la rage brûlante d’assassins qui s’apprêtent dans les ténèbres à accomplir leur œuvre impie. Ces variations, ces différences dans l’expression d’un même sentiment révèlent les mines inépuisables de la musique dramatique, dont tant de compositeurs se contentent d’exploiter modestement quelques filons.
Le prochain concert de la Société philharmonique aura lieu dans un mois. On parle déjà de plusieurs grandes scènes, d’un acte d’Alceste, du finale de Moïse. Ce ne seront pas les chefs-d’œuvre qui manqueront à la Société philharmonique ; c’est le plus souvent un orchestre intelligent, un public impartial qui manque à ces chefs-d’œuvre.
D’un autre côté, l’œuvre de propagande musicale que veut entreprendre la Société est chaleureusement encouragée par les sociétés musicales de province ; la ville d’Amiens s’est inscrite la première ; elle ouvre généreusement sa salle à la nouvelle Société, et prépare à ses habitants une grande solennité.
Si j’avais un nom moins humble, une influence plus méritée, j’adresserais au nom de l’art à la Société philharmonique l’expression d’une vive reconnaissance ; d’autres plus influents que moi le feront, je n’en doute pas. Ils considéreront la création de cette société comme un grand événement dans l’art musical. Ils considéreront qu’à partir de ce jour la cause du progrès est gagnée ; que l’émancipation de la musique est arrivée ; que l’esprit d’indépendance va succéder à l’esprit de routine et d’entraves, et ils rendront grâce à M. Berlioz et à tous ceux qui l’ont aidé dans l’accomplissement de son importante mission.
L. KREUTZER.
Revue et gazette musicale, 24 mars 1850 p. 99
SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE.
DEUXIÈME CONCERT.
Aux idées comme aux institutions réellement bonnes, il ne faut pas toujours beaucoup de temps pour faire leur chemin. Voici la Société philharmonique qui ne vient que de naître, et déjà elle tient dans l’opinion un rang considérable. Il est vrai de dire que tout d’abord le nom et le puissant concours de Berlioz, son fondateur et son chef d’orchestre, lui ont valu, d’entraînement, l’adhésion de nombreux prosélytes. Mais que ce vote de confiance a été vite justifié ! Dès son début la Société nouvelle a prouvé ses droits personnels aux sympathies du public par un ensemble extraordinaire des éléments de succès et de vitalité les moins douteux. Le deuxième concert a confirmé de si brillantes espérances.
Rendue avec autant de chaleur que d’élévation de style, l’ouverture du Freischütz servait de préface au riche programme de la soirée, dont l’intérêt principal reposait sur Harold en Italie, symphonie de Berlioz, et sur les fragments de l’Alceste de Gluck. Quel dommage que dans ces fragments les chanteurs-solistes se soient montrés si fort au-dessous de leur mission ! Eh quoi ! est-il donc impossible de trouver dans cette grande ville, qui se dit la source de toute perfection, deux artistes capables d’interpréter dignement ces pages majestueuses et pathétiques du premier acte d’Alceste ? Pour l’honneur de la mère-patrie des arts, nous refusons de le croire. Mieux vaut rejeter sur la force des circonstances et du hasard un choix sans doute obligé. Point d’injustice cependant. Si M. Arnoldi, qui paraît ignorer que chanter fort n’est pas chanter juste, n’a pas fourni le moindre prétexte au plus petit éloge, s’il a été franchement mauvais dans le magnifique personnage du grand-prètre, Mlle Julienne a rencontré parfois dans le récitatif et les deux airs d’Alceste : Non ce n’est point un sacrifice et Divinités du Styx, des élans de passion sentie, des éclairs d’inspiration. Mais sa voix, très-éclatante à l’aigu, manque de timbre vers le médium. La cantatrice a aussi le tort de faire vibrer perpétuellement le son, ce qui ne laisse pas d’affecter péniblement l’oreille. En dépit de ces défectuosités et quoique dépouillés de l’appareil dramatique qui leur est si nécessaire, ces fragments, et surtout la marche instrumentale, sublime rivale des bas-reliefs antiques les plus purs, ont produit un très-grand effet. Il faut avoir étudié cette musique si pleine de choses sous son apparente simplicité, il faut la posséder aussi profondément que Berlioz pour la conduire avec ce tact, cette sûreté, cette lucidité intelligente. C’est l’esprit même de Gluck qui le guide. Mais nous nous oublions à louer le chef d’orchestre, quand le compositeur et son Harold réclament nos éloges, éloges sincères et sans restriction.
Inutile de chercher à en renouveler la forme. Dix fois déjà, et dans ce même journal, nous avons énuméré les beautés capitales de cette symphonie originale, où la richesse de la pensée, l’abondance de la poésie pittoresque, la force expressive de l’instrumentation, s’allient au néologisme le plus hardi. La Marche des Pèlerins, la Sérénade du montagnard des Abruzzes, sont aujourd’hui des morceaux acceptés par l’admiration de tous. Pour n’être pas encore tout-à-fait compris du gros de la foule et de la critique, le premier morceau (quelle introduction grandiose !) et l’Orgie des brigands n’en ont pas moins une valeur bien haute. Harold en Italie est, selon nous, un des plus beaux titres de Berlioz pour aller droit et glorieusement à la postérité, voire même à l’Institut, si le cœur lui en dit.
Ne prenons pas congé de ce chef-d’œuvre sans rendre à M. L. Massart, qui s’est chargé du solo d’alto, jadis exécuté par Urhan, toute la justice que mérite son talent. Il s’est acquitté de sa tâche en artiste consommé ; il a joué de l’alto, comme s’il n’eût fait autre chose de sa vie, comme s’il n’était pas violon excellent et de premier ordre.... A quoi sert donc la loi contre le cumul ?
M. Herman occupe, lui aussi, un poste distingué dans l’empire du violon. Il possède un mécanisme exercé, brillant. Il enlève lestement la difficulté. Quoique le son qu’il tire ne soit pas d’un volume considérable, surtout au grave, il réunit d’assez belles qualités de style pour racheter cette imperfection originelle. Il y a du mérite dans le premier morceau de son concerto. On souhaiterait pourtant que le tour mélodique en fût moins italien et plus individuel. A la légèreté de l’archet de M. Herman, Mme Ugalde-Beaucé devait opposer l’élégante prestesse de son gosier agile. Mais le public en a été pour ses frais d’espérance : Mme Ugalde n’a point paru. En renonçant avec regret au plaisir de l’entendre, l’auditoire était loin de vouloir dire avec Alceste : Non, ce n’est point un sacrifice !
Terminons l’historique de ce remarquable concert, en mentionnant deux morceaux sans accompagnement chantés par les chœurs que M. Dietsch dirige avec habileté. C’était un Adoremus de Palestrina, scrupuleusement exécuté dans les conditions traditionnelles, puis une chanson naïve et douce :
Belle, qui tiens ma vie
Captive dans tes yeux,
une de ces harmonies flottantes au rhythme simple et primitif, telles que le XVIe siècle en a tant produit. Ce dernier chœur a été redemandé. Combien plus ne gagnerait-il pas encore, si les nuances, purement conventionnelles puisque la tradition en est perdue, étaient mieux et plus logiquement distribuées, si on rétablissait le deuxième couplet supprimé sans motif, si enfin le mouvement était pris avec moins de vitesse ! Les exécutants semblent oublier, ils l’ignorent peut-être, que cette chanson, recueillie et citée par Antoine Taboureau ou Thoinet Arbeau, comme on voudra, n’est autre chose qu’un air de danse du temps, une pavane. Or, il est de toute certitude que la pavane se dansait d’un mouvement beaucoup plus lent. En lui enlevant sa gravité, on lui ôte son caractère. Lorsqu’on veut faire de l’art rétrospectif, il y faut mettre toute la conscience, tout le soin possible. […]
Maurice BOURGES.
Revue et gazette musicale, 7 avril 1850 p. 118-19
CONCERTS SPIRITUELS ET MUSIQUE RELIGIEUSE.
[…] La Société philharmonique a voulu, elle aussi, porter sa pierre à l’édifice spirituel de la semaine sainte. Elle a eu, le samedi 30 mars, son concert de piété. Un Credo considérable et tout à fait remarquable de M. Dietsch, un Salutaris et un Agnus de M. Niedermeyer, dont nous avons déjà parlé, représentaient le côté religieux de la soirée. La Marche des pèlerins de Berlioz, que le public ne cesse pas d’aimer, de redemander et d’applaudir à toute outrance, servait de transition du sacré au profane. Dans la partie mondaine du programme figuraient : deux morceaux d’une symphonie nouvelle de M. Gastinel, grand prix de Rome, l’un, andante, peu saillant, l’autre, scherzo, leste, vif, original, élégamment instrumenté et fort bien reçu du public ; la belle ouverture de Démophon de Vogel ; l’air d’Amazili, que Mlle Dobré affectionne ; un solo de violon, très-difficile vraiment, enlevé d’assaut avec une singulière hardiesse d’archet par le jeune Henri Wieniavvski, à la fois auteur et virtuose ; enfin le Concert-Stück de Weber, qui, tout connu qu’il est, a produit une sensation prodigieuse, grâce à l’exécution si riche, si habile, si entraînante de Mme L. Massart.
Ce qui caractérise le talent de Mme Massart, ce n’est pas seulement l’agilité, l’énergie, la puissance matérielle des doigts, l’ensemble d’un mécanisme complet ; c’est encore une intelligence supérieure des beautés de l’art, un goût épuré, un sens exquis de la convenance des styles, une façon toute personnelle de les concevoir et de les rendre avec vérité et distinction. […]
MAURICE BOURGES.
Revue et gazette musicale, 28 avril 1850 p. 144
SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE.
4e et dernier concert.
Un fort beau concert de clôture vraiment ! Un programme curieux, varié, abondant en choses neuves et attrayantes, le concours d’éminents virtuoses, la présence réelle de Félicien David et de Roger, un orchestre plein d’ardeur que Berlioz mène si vaillamment à la victoire, une exécution en général très-remarquable, n’est-ce pas plus qu’il ne faut pour enlever les applaudissements du public et mériter l’approbation de la critique ? Aussi le succès a-t-il été complet, et l’intérêt s’est-il si bien soutenu que, même après dix morceaux de longue haleine, l’Invitation à la valse, de Weber, a produit une sensation extraordinaire. Il est vrai que Berlioz a revêtu ces délicieuses mélodies de l’instrumentation la plus exquise, la mieux combinée, la plus séduisante qui se puisse entendre. Arranger ainsi, c’est véritablement créer.
L’auditoire avait également accueilli avec chaleur trois fragments de la Damnation de Faust : la Marche hongroise, à laquelle la fierté de son rhythme militaire et ses sonorités retentissantes valent toujours l’honneur d’être redemandée ; la Ronde villageoise, dont chaque couplet se termine d’une manière originale ; enfin l’introduction pastorale, où l’artiste a voulu rendre ces mille bruissements mystérieux de la nature ranimée et fécondée par le printemps, ces adorables harmonies des feuillages, des eaux, de la brise, des herbages, des monts et des vallées, ces aspirations voluptueuses et frémissantes de l’être tout entier si éloquemment exprimées dans le Werther de Gœthe. Malgré la redoutable comparaison que provoque forcément le souvenir de la symphonie pastorale, de Beethoven, l’églogue de Berlioz n’en reste pas moins un morceau très-attachant, qui fait tableau et rappelle les bucoliques de Théocrite, un paysage plein de vie et de couleur, parfaitement en rapport avec le sens du monologue que Roger déclame çà et là pendant les développements de l’orchestre.
Roger a bien dit ce récitatif. Mais c’est surtout dans l’air de Joseph qu’il a déployé toutes les ressources de cet organe si pur, si riche, si sympathique et de cette diction expressive qui forme une des parties saillantes de son style. Le talent de Roger grandit de jour en jour, et si l’artiste persévère, comme il l’a fait jusqu’à présent, dans la voie du travail et du progrès, la république des ténors européens sera tenue avant peu de le reconnaître pour son président.
Que Mme Laborde, engagée aujourd’hui à l’Opéra, aspire de son côté à ce haut rang parmi les soprani à roulades, à fioritures brillantes, il n’y a rien de surprenant, puisque la jeune cantatrice est pourvue d’une voix très-éclatante, surtout à l’aigu, et singulièrement agile. Elle a rendu l’air du Serment avec ce luxe de vocalises sémillantes, pour lequel le public se passionne volontiers, comme l’enfant pour le clinquant et la verroterie étincelante au soleil. En dépit de sa réputation déjà ancienne, les tentatives de M. Appolinaire de Kontski n’ont pas été couronnées du même succès. L’auditoire s’est refusé à prendre au sérieux l’effet du pizzicato et du col’arco combinés, effet d’une sonorité rauque, dure, confuse, sans charme et presque bouffonne. M. de Kontski n’a été guère plus heureux en enlevant trois cordes à son violon pour le réduire à une seule, sur laquelle il exécute la cavatine de Robert-le-Diable, Grâce pour moi. Le mérite de la difficulté vaincue et de l’excentricité risquée n’existe et ne compte qu’à la condition de satisfaire d’abord à la première loi de toute musique, qui est de contenter au moins l’oreille, à défaut du cœur. Pourquoi dès lors se priver à plaisir des ressources normales d’un instrument, si on doit s’exposer à produire parfois des intonations plus que douteuses, à n’obtenir qu’une sonorité maigre et pauvre, si on n’aboutit après tout qu’à dénaturer l’instrument sans aucun bénéfice ? C’est tout simplement une aberration, à laquelle M. Ap. de Kontski fera très-bien de renoncer au plus vite dans l’intérêt de sa renommée. Virtuose distingué, il possède assez de belles qualités pour répudier ces moyens équivoques de succès, qui n’atteignent leur but qu’en présence d’un public incompétent. Combien vaut mille fois mieux un style pur, châtié, consciencieux, dont la sage correction n’exclut ni la grâce élégante, ni le brillant, un style de bonne école, tel que celui de M. Jacquart ! Ce jeune artiste a fait preuve, sur le violoncelle, d’un talent très-élevé dans un solo de Servais, qu’il rend avec une délicatesse charmante.
Nous voudrions parler du nouveau chœur de Chasseurs de M. Cadaux, l’ingénieux auteur des Deux Gentilshommes et de la Marche des Hébreux vers la terre promise, extraite du Moïse de Félicien David et semée d’excellents détails ; mais l’espace nous manque, le temps nous presse. Nous avons hâte d’arriver à l’ouverture d’Athalie, cette grande composition de Mendelssohn que la Société philharmonique vient de révéler aux Parisiens. Mendelssohn a fait, on le sait, plusieurs ouvertures très-estimées, par exemple la Grotte de Fingal, le Songe d’une nuit d’été, le Calme de la mer, Mellusine, etc. Aucune, à notre sens, n’est aussi fortement conçue, aussi riche et variée que celle d’Athalie, tout empreinte de cet esprit biblique qui respire dans la tragédie de Racine. C’est pour servir de préface à ce chef-d’œuvre, joué sur le théâtre de la cour à Berlin, que Mendelssonn écrivit cette ouverture. Impossible d’en écouter les diverses périodes, solennelles ou gracieuses, palpitantes de fureur ou pénétrées d’une pieuse onction, sans voir passer devant ses yeux l’imposante et grandiose figure du pontife Joad, le visage si candide et si doux du petit Joas, la terrible et sanguinaire Athalie, la tremblante Josabeth entourée d’un aimable essaim de jeunes vierges timides, sans retrouver dans ses souvenirs et les pompes du temple saint, et les chœurs des Lévites, aux sons des harpes et des trompettes sacrées, et tout cet appareil magnifique emprunté à la Bible et vivifié par le génie du poëte français. L’impression produite par cette ouverture, d’une haute valeur musicale et d’une couleur locale très-fidèle, a été immense, unanime. Elle laisse entrevoir ce qu’il y avait de dramatique dans le génie de Mendelssohn, faculté précieuse que révèlent les tendances de ses dernières productions et particulièrement de son Elie. Rendons grâces à la Société philharmonique qui a initié les amateurs aux beautés de cette partition, et qui sans doute leur fera entendre, l’année prochaine, les entr’ actes et les chœurs du même ouvrage.
Maurice BOURGES.
Revue et gazette musicale, 5 mai 1850 p. 153-4
REQUIEM DE M. BERLIOZ
exécuté à Saint-Eustache.
On sait que la grande Société philharmonique de Paris, à l’occasion du désastre d’Angers, avait décidé que le Requiem de M. Berlioz serait exécuté à Saint-Eustache, et que le produit de la quête serait remis aux familles des victimes. Cette importante solennité a eu lieu le 3 mai, devant une assemblée nombreuse et au milieu du recueillement le plus profond. L’appareil funèbre était simple et touchant. La grande croix blanche brillait au maître-autel, et sur le fond de velours noir se détachait ce numéro 11 qui rappelle de si poignants souvenirs. Un shako portant le même numéro reposait sur le catafalque. Un sabre d’officier, un poignard de soldat, des épaulettes d’argent, des épaulettes de laine, y gisaient entassés sans ordre, tels que le furent les malheureux, soldats et officiers, au moment suprême où le fleuve les dévora.
A midi le Requiem a commencé. Cette œuvre, exécutée pour la première fois il y a treize ans au service funèbre du général Danrémont, exécutée depuis à Saint-Eustache, entendue par fragments dans diverses solennités, a conquis depuis longtemps sa place dans l’opinion des artistes et pour ainsi dire elle ne relève plus de la critique ; c’est une des grandes pages qui honorent le plus l’art musical, une de ces pages telles que le génie les dictait à l’auteur de la Divine Comédie, telles que nous les a léguées le pinceau de Michel-Ange. Heureux le compositeur que l’inspiration a soutenu si longtemps sur ses ailes de feu ! Heureux l’artiste dont l’âme ouverte à l’enthousiasme se sent pénétré d’une émotion mêlée d’épouvante à ces solennels accents ! On sait avec quelle largeur M. Berlioz a conçu son sujet. C’est le jugement dernier avec ses épouvantes, ses cris de fureur, ses élans d’espoir et d’amour, ses aspirations des saintes âmes ; c’est le jugement dernier avec les trompettes formidables qui sonnent le terrible réveil, avec les convulsions du globe expirant, dont les flancs déchirés s’ouvrent sous la main de Dieu. C’est le plus grand sujet qu’il soit donné à une pensée humaine de traiter, et il me semble que le poëte, le musicien, le peintre qui pendant longtemps a tenu son imagination fixée sur de pareilles scènes doit éprouver un peu de cette lassitude, de cet épuisement que ressentit Jacob après sa lutte avec l’esprit de Dieu.
Je n’ai ni le temps ni la place pour analyser l’œuvre de M. Berlioz, analysée et commentée tant de fois ailleurs ; je signalerai seulement l’effet produit par les imposantes périodes du Kyrie, auxquelles succède un Dies iræ sur un rhythme rauque et sauvage, interrompu de temps en temps par un sourd trémolo de l’orchestre, comme si les esprits de destruction essayaient leurs forces avant d’accomplir le terrible arrêt. Je signalerai l’impression produite par ces cinquante voix de cuivre, par ces roulements de timbales, tonnerre majestueux de l’orchestre. Et ensuite, combien les accents de l’Hostias et du Sanctus ont paru suaves et recueillis ! Quelle ineffable douceur dans cet orchestre tout à l’heure si terrible !... Mais tout en recueillant mes souvenirs, cette colonne s’allonge, et je me rappelle que je viens de promettre de ne pas faire d’analyse. J’aurais bien voulu vous parler du Lacrymosa, le morceau peut-être où se déroulent les rhythmes les plus nouveaux, où le travail de conception est le plus puissant, mais je dois m’arrêter, pas avant cependant d’avoir loué les artistes instrumentistes et choristes de l’admirable exécution du Requiem, exécution digne de la solennité, digne de la réputation de la Société philharmonique, digne de l’œuvre de son illustre chef.
Nous n’avons pas eu à regretter l’absence du chef de chant, M. Dietsch ; orchestre et chœur ont rivalisé de talent, sous la direction unique de M. Berlioz.
Beaucoup d’artistes étrangers à la Société philharmonique s’étaient joints à elle à cette occasion ; ils méritent une part de ces éloges.
Le produit de la quête a été de plus de mille francs. Cette somme sera immédiatement envoyée au colonel du 11e léger : l’obole des musiciens ira donc s’ajouter aux innombrables témoignages de sympathie que reçoivent les familles de nos malheureux soldats. Si les artistes ont peu à donner, on sait du moins que lorsqu’il s’agit de venir en aide à une infortune, ils marchent toujours les premiers.
L. KREUTZER.
Revue et gazette musicale, 27 octobre 1850 p. 353-5
GRANDE SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE DE PARIS.
PREMIER CONCERT.
La Société philharmonique est venue au monde le 19 février de l’année dernière à huit heures un quart du soir. Dès l’apparition du nouvel astre, je me suis amusé à lui dresser un thème de nativité. D’après l’état du firmament musical, j’ai vu que d’heureuses destinées étaient réservées à la constellation naissante ; mais j’ai vu aussi qu’au début de sa course de redoutables conjonctions de planètes rivales menaçaient de la jeter dans de véritables dangers, qu’elle surmonterait toutefois.
Jusqu’à présent, mes observations astrologiques se sont réalisées, et elles continueront ainsi, je l’espère. Le reste de ma prédiction, je la garde sous un triple sceau ; mais je puis, dès aujourd’hui, révéler ceci : que la Société philharmonique a peu de chose à craindre de l’étoile Aldébaran ou de ses sœurs.
L’année dernière, la saison était plus que commencée, lorsque la Société philharmonique a annoncé son premier concert. En dépit du zèle et de l’intelligence des membres de son comité, de difficiles détails d’organisation avaient nécessité ces longs retards et préjudicié à ses intérêts ; d’un autre côté, la multiplicité des concerts de bienfaisance (concerts de malfaisance à l’égard des musiciens), le retour à Paris, après vingt hivers, d’une cantatrice aimée du public, avaient un peu partagé l’attention, et ne lui avaient pas permis de réaliser une bonne saison, en fait de recettes. Si à ce sujet elle s’en est tirée un peu comme l’oiseau de la fable, traînant l’aile et tirant le pied, en revanche elle s’est attiré les sympathies universelles des artistes et du public, du public intelligent, s’entend, qui veut qu’on juge une cantatrice à sa voix, et l’or seul à son titre. Cette recette d’applaudissements de l’année dernière préparera cette année, pour la Société, une recette de beaux écus trébuchants. En effet, tout lui est favorable. La première, elle a rallié son armée et s’est réveillée de son long sommeil ; que dis-je ? elle a toujours veillé, et tandis que ses futurs auditeurs goûtaient les plaisirs de la villégiature, dans le silence elle préparait pour eux les chefs-d’œuvre des maîtres dont elle compte prodiguer les richesses. Les violons du plus grand nombre de nos artistes dorment encore dans leur lit de serge verte, mais ceux de la Société philharmonique sont éveillés depuis longtemps et travaillent à l’envi avec la flûte rapide, la trompette éclatante, le trombone majestueux. La Société a voulu, et elle a bien fait, ressembler à ces travailleurs diligents qui se lèvent les premiers, et ont accompli une partie de leur tâche avant que le citadin indolent ait ouvert les yeux et soulevé les plis lourds de ses épaisses courtines.
Le programme de cette soirée d’inauguration présentait le nom des maîtres les plus aimés. La symphonie en ut mineur de Beethoven ; l’ouverture des Francs-Juges, Sara la baigneuse, le Cinq mai, de Berlioz, y figuraient à côté de divers morceaux de Lesueur, de Bellini, d’Halévy, et d’un chœur de Bortnianski. Ce sera de ce dernier compositeur que je parlerai tout d’abord, par la raison qu’il est étranger au public, aussi bien qu’à moi-même, et que, par cela seul, il a droit à plus d’égards que nos propres amis.
Bortnianski a été maître de chapelle de la cour de Russie ; en quelle année ? on ne le sait pas bien. Il a composé, pour le service de cette chapelle, un nombre considérable de pièces à plusieurs chœurs sans accompagnement, comme cela se pratiquait presque universellement parmi les compositeurs du XVIIe siècle.
Le fragment (le Chant des Chérubins) chanté par le chœur de la Société philharmonique, suffit pour donner une haute idée de ce compositeur inconnu. Son style, tout en dérivant de l’école palestrinienne, emprunte au système de tonalité moderne quelques-unes de ses ressources. Il est remarquable par la noblesse et la simplicité. Quant à l’exécution, elle m’a semblé parfaite : parfaite par la précision, parfaite aussi par l’exactitude des nuances. D’une masse vocale on saura toujours attendre des effets puissants, mais non les fins détails dont abondent les œuvres de Bortnianski. Le public a paru ravi. La dernière strophe s’éteint dans un pianissimo qui repose doucement sur de graves pédales des contre-basses-tailles et sur lequel planent les accents séraphiques des voix de femmes et d’enfants. Ce decrescendo a été admirablement rendu et a offert une dégradation de nuances d’une poésie infinie, pareille à celle dont les nuages se colorent au soleil couchant, alors que l’horizon est teint d’un pourpre enflammé qui vient expirer en une douce nuance de rose mourante au zénith.
Les heureux artistes qui ont entendu les quatre-vingts chanteurs de la chapelle impériale de Russie nous disent que les chœurs de la nouvelle Société ne pouvaient avoir d’autre prétention que de nous donner une idée de leur exécution merveilleuse. A quel degré de perfection faut-il donc que soient parvenus ces barbares pour distancer de si loin nos chanteurs civilisés ! L’empereur de Russie, il est vrai, ne néglige rien pour sa musique, et pas une belle voix, dans l’empire, n’échappe aux pourvoyeurs de sa chapelle. Les plus rares, les plus profondes, ces contre-basses-tailles qui atteignent le contre-ut, le contre-la grave, viennent de l’Ukraine, féconde à divers titres. Catherine II y faisait recruter également avec le plus grand soin les officiers qu’elle destinait, non à célébrer l’office divin, mais à être attachés au service de sa personne.
La symphonie en ut mineur qui ouvrait le concert a été exécutée avec autant de verve que d’ensemble. Cette exécution m’a confirmé dans une observation que j’avais déjà faite.
Il est reconnu que l’entrée du finale est une magnifique explosion musicale : tout est génie dans la conception ; tout est merveille de l’art dans les détails. Je me garderais bien à ce sujet d’être d’un autre avis que tout le inonde. Toutefois, une chose me choque cruellement dans cet admirable crescendo, ce sont les sept mesures finales du scherzo, après lesquels éclatent les pompeux accents de l’allegro. On m’objectera que ce rhythme boiteux a été déjà précédemment entendu sur un léger dessin de violons, et qu’alors il est du plus mystérieux effet. J’en conviens; mais une fois le rhythme rompu, le trémolo établi, le rhythme de huit mesures devient impérieusement nécessaire. Je n’en doute pas un instant, cette mesure en moins est une erreur de copie, de même que les deux mesures supplémentaires ajoutées dans le scherzo et signalées dernièrement par M. Fétis. Sans être trop hardi, on peut corriger de pareilles fautes, et cela devient du fétichisme envers le génie d’un auteur que de ne pas rectifier des erreurs palpables. Cela n’est pas rectifié en Allemagne, dit-on. C’est possible; mais, pour être estimées, les éditions allemandes souvent n’en sont pas plus correctes. On les préfère, mais à la façon de ce bibliophile qui s’écriait en extase :
Oui, c’est la bonne édition ;
Car je vois, pages neuf et treize,
Les trois fautes d’impression
Qui ne sont pas dans la mauvaise.
De la symphonie de Beethoven à la Beatrice di Tenda de Bellini, il y a loin, bien loin ; il y a des mers et des Alpes : mais la galanterie envers une jolie femme, l’admiration envers une éminente cantatrice, m’engagent à faire cet immense trajet. Mme Frezzolini est l’un de ces remarquables talents que l’Angleterre retient longtemps dans ses serres par le droit si puissant des guînées. En se rendant en Espagne, elle a voulu nous laisser des regrets et peut-être aussi des espérances. J’ai rarement entendu une voix plus belle, plus sympathique que celle de Mme Frezzolini. Peut-être ne serait-on pas injuste en demandant à ses roulades un peu de cette légèreté, incolore quelquefois, où excellent les rossignols suédois ainsi que les fauvettes allemandes. Mais ce qu’il faut admirer chez Mme Frezzolini, c’est cet art de phraser, simple, noble, naïf, qui nous rappelle les plus belles traditions de la grande école italienne. Sa voix est un soprano plein, qui participe un peu du contr’altino et emprunte quelque chose de son timbre de velours. Mme Frezzolini atteint avec la plus grande facilité les notes les plus élevées, elle sait les modifier dans toutes les nuances et, sans efforts, se maintient à ces hauteurs. D’elle on ne peut pas dire (en pardonnant la faute de prosodie) que :
Montée sur le faîte, elle aspire à descendre.
Après avoir chanté la sérénade de Schubert, Mme Frezzolini a chanté l’air de Beatrice de Tenda. Il est bien entendu que ce que je vais dire n’attaque en rien le goût de l’éminente cantatrice, pour qui ce morceau informe n’était évidemment qu’un prétexte.
Au Musée, les jours d’exposition, s’il arrive qu’un gardien laisse soulever l’épais rideau qui sépare les anciens tableaux des modernes, une fraîcheur délicieuse vous pénètre. Plus de ces tons heurtés, de ces nuances criardes, de ces gestes contorsionnés. Ce qui vous avait plu tout d’abord, au retour vous paraît à peine supportable. Une impression inverse s’est produite lorsque la grotesque ritournelle de l’air de Beatrice est venue, sans vergogne, prendre la place dans ce riche concert.
Après les harmonies sobres de Beethoven, après le chœur angélique de Bortnianski, après ces bouquets de fleurs mélodiques, ces gerbes de diamants et de perles dont M. Berlioz a si richement orné cette pauvre baigneuse de M. Hugo, à laquelle le poëte n’a pas même conservé :
... Sa chemise plissée,
Enlacée
Aux branches d’un vert buisson.
après de si grandioses, de si fraîches pensées, l’instrumentation populaire, intempérante de l’auteur de Beatrice a paru presque effrontée. Heureusement, pour le succès de Mme Frezzolini, que les prestiges de sa voix ont fait prendre pour de l’or ce clinquant musical. Auparavant, elle nous avait fait don d’une des pierres les plus pures de son écrin, la sérénade de Schubert. L’auditoire lui a rendu le présent en pluie de bouquets...
Mais il se fait tard dans cet article. Je babille, je babille, et j’ai encore beaucoup d’éloges à donner, ce qu’on ne saurait faire d’une plume trop diligente. D’abord à Barroilhet, qui a chanté avec beaucoup de verve et d’esprit un ravissant boléro, la Venta de M. Halévy et le Cinq mai de M. Berlioz, composition noble et austère, d’un sentiment dramatique le plus élevé et dont la fin émeut profondément ceux qui connaissent cette émotion presque sainte que cause toute œuvre où se révèle la présence du vrai. L’appel des cors après ce mot fatidique : Sainte-Hélène ! les sons mats et entrecoupés de la grosse caisse, le suave et triste murmure des violoncelles sur le la que vient effleurer le plus doux, le plus harmonieux de tous les si bémols qui soit jamais tombé de la plume d’un compositeur, ne peuvent guère être appréciés tout d’abord par le public. C’est un butin de choix réservé pour les artistes, pour les raffinés et les habiles. Le public ignore ces richesses miscroscopiques ; il se rend compte seulement des grandes lignes tracées par l’architecte, et ne distingue pas les précieuses incrustations dont chaque colonne est décorée.
L’ouverture des Francs-Juges a produit son effet accoutumé, c’est-à-dire a impressionné l’auditoire, ce qui ne m’empêche pas de lui préférer cent fois celle du Roi Lear et celle du Carnaval romain.
Mlle Lefèvre est une des plus aimables Athénaïs qu’ait vues encore dans ses beaux jours l’Opéra-Comique. En chantant l’air des Mousquetaires : Me voilà seule enfin ! elle a obtenu un véritable succès, ce qui, à côté de Mme Frezzolini, n’est pas un mince honneur. Cette musique de M. Halévy a un heureux privilège. Au théâtre elle paraît si vraie d’expression dramatique qu’il semble qu’au concert elle doive perdre une grande partie de ses avantages ; au concert, mille détails charmants d’instrumentation, perdus pour l’auditeur au milieu des préoccupations de la mise en scène, dédommagent amplement son oreille charmée.
J’arrive à ce petit chœur de Sara dont je n’ai dit qu’un mot. C’est pour moi de la musique exquise. Le chœur, divisé en trois petites armées, n’adopte aucune de ces formules banales dont les compositeurs ultramontains décorent leurs felicita, leur vendetta, leur gloria ed onor. Il rêve et babille comme la jeunesse en sa fleur. Les voix écrites avec un art infini, ayant chacune l’importance de véritables soli, se combinent en ingénieux intreccj [? mot non déchiffré], qu’on pourrait comparer pour la complication à ceux qui étaient si chers aux compositeurs du XVe siècle ; à cette exception près, que rarement ils bâtissaient cet échafaudage ingénieux sur une idée digne de tant de soin. Malheureusement chez eux le tissu était souvent de corde ; chez M. Berlioz il est de soie.
Un grand chœur de l’illustre Lesueur, Quis enarrabit, terminait le concert. Il a été exécuté au milieu de la désertion d’une partie du public.
En général, rien n’égale l’empressement du public à ouïr les premiers accords d’un concert, si ce n’est son empressement à se priver des derniers. Ce procédé irrévérentieux est déplorable, surtout lorsqu’il s’adresse à un homme tel que Lesueur. Il est également pratiqué à la salle Sainte-Cécile, au Conservatoire et dans toute place où se fait de la musique. Au Conservatoire, lorsqu’on y jouait la symphonie avec chœurs, à peine le premier si bémol du basson (un bien beau si bémol encore celui-là) dans la marche à 6/8 du finale résonnait-il à l’orchestre, aussitôt la déroute commençait. Un fuyard, plus pressé que les autres, donnait le signal ; puis deux, puis dix, puis la salle entière. Ce bruit de portes s’ouvrant et de banquettes retombant, tout, jusqu’à l’imperceptible frôlement des pelisses de velours et de soie, me causait une rage indicible, et j’adressais mentalement à la vile multitude toutes les imprécations que peut rencontrer dans son cerveau un musicien exaspéré.
Mais puisque le public abandonne la salle, je pense qu’il est bon de me retirer avant que les lustres s’éteignent. Je prends donc congé de la Société philharmonique sans beaucoup de tristesse, car je sais qu’elle a donné rendez-vous à ses auditeurs avant un mois. Il circule dans l’air cette vague rumeur que la Symphonie fantastique y sera dite en entier, ainsi qu’un Hymne à la France, de M. Berlioz.
Il serait à désirer qu’on exécutât de nouveau le chœur de Bortnianski ou d’autres fragments de ses compositions, dont M. Berlioz connaît admirablement la tradition. Cette musique grave et touchante pourrait inspirer quelques scrupules à ceux de nos compositeurs qui chantent le Seigneur sur un rhythme de redowa et confient les louanges de la Vierge à la petite flûte sentimentale, à la voix angélique du cornet à piston !
LÉON KREUTZER.
Revue et gazette musicale, 3 novembre 1850 p. 367
Une nouvelle société musicale vient de publier son programme. C’est la société Sainte-Cécile, fondée par plusieurs anciens membres de l’Union musicale, et présidée par M. de Bez, ex-président de cette société. Le premier acte de ses fondateurs a été de s’assurer le concours de M. Seghers, qui a accepté la direction de l’orchestre. La société donnera une série de six concerts, qui auront lieu dans la salle Sainte-Cécile, le dimanche à deux heures, tous les quinze jours, alternativement avec les concerts du Conservatoire. L’effectif des exécutants pour l’orchestre et les chœurs sera de cent trente. La société Sainte-Cécile consacrera tous ses soins à l’exécution des chefs-d’œuvre des grands maîtres. Elle recherchera en même temps les œuvres nouvelles et admettra dans son répertoire toutes celles qui seront jugées dignes d’y figurer. Le prix d’abonnement pour les six concerts est ainsi fixé : Stalles d’orchestre, 30 fr. ; stalles de pourtour, 20 fr. ; parquet et amphithéâtre, 15 fr. Dimanche, 24 novembre, fête de Sainte-Cécile, à deux heures, il y aura concert extraordinaire, en dehors de l’abonnement, pour l’inauguration de la société.
Revue et gazette musicale, 24 novembre 1850 p. 388
GRANDE SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE DE PARIS.
DEUXIÈME CONCERT.
S’il est une société musicale qui doive attirer à elle les esprits intelligents et amis du progrès, c’est la Société philharmonique. Non pas que déjà elle atteigne à la perfection : la perfection est la vertu des vieilles institutions ; l’ardeur, celle des nouvelles ; mais ses efforts, en présence d’un public qui semble un peu frappé de torpeur, ses tendances à mettre au jour tout ce qui peut avoir de l’intérêt pour l’art, son esprit d’impartialité à l’égard de tous les maîtres et de toutes les écoles lui assurent déjà le rang le plus honorable. La Société a pensé que s’il est naturel d’inscrire sur le fronton de l’édifice la royale devise : « Je maintiendray » il est juste aussi d’écrire au-dessous la devise de Byron, celle de Mazeppa, celles du poëte, du peintre, du sculpteur, qui tente une voie nouvelle, la devise du progrès, quelque mauvais usage qu’on ait fait de ce dernier mot : « Away ! Away ! En avant ! En avant ! » Aussi, à côté de Mozart, qui peut représenter l’art classique dans sa pureté ; de Beethoven, dont la pensée brûlante brisa l’antique moule où ses devanciers, Haydn et Mozart, déversaient leurs pensées exquises, mais un peu timides ; de Mendelssohn, qui personnifie l’éclectisme musical ; la Société philharmonique nous mettra à même d’apprécier le plus grand nombre des ouvrages de M. Berlioz, ouvrages trop rarement entendus, également hardis par les contours mélodiques et harmoniques, et par les formes rhythmiques, premiers nés de l’art romantique symphonique sur lesquels on discutera longtemps, mais dont on ne peut nier la singulière puissance.
Le second concert de la Société philharmonique commençait par une de ces œuvres qui ont soulevé les controverses les plus acharnées, la Symphonie fantastique. Il y aura bientôt vingt ans qu’elle fut exécutée pour la première fois. Pour les arts c’était alors le bon temps : M. Hugo, avec ses drames, soulevait des tempêtes ; M. Delacroix divisait les peintres en Capulets et en Montaigus ; l’art cependant vivait et se fortifiait dans ses luttes. Aujourd’hui la passion est ailleurs, les arts sommeillent. Est-ce signe de mort ou présage d’une éclosion nouvelle ? En sommes-nous à ce moment où, comme dit le poëte :
L’ombre va descendre ou l’astre va surgir.
Je ne sais... ; mais passons.
La Symphonie fantastique, parfaitement exécutée par le jeune orchestre, a été écoutée avec un grand intérêt par le public, mais non avec l’ardeur des anciens jours. Pour avoir été moins passionnée, l’appréciation de cette œuvre n’en a été que plus équitable. On a reconnu, non un incompréhensible chaos, un bouleversement monstrueux des règles de l’art, comme disaient alors quelques-uns, non, comme disaient quelques autres, une œuvre à détrôner à tout jamais Beethoven, mais une belle et grande conception, entachée de quelques faiblesses, de quelques duretés, de quelques incohérences, qui disparaissent, — excepté pour la loupe grossissante de quelques critiques, — dans la grandeur harmonieuse de l’ensemble.
La marche du supplice a été bissée, et le dernier moceau, la Ronde du Sabbat, m’a paru mieux comprise aujourd’hui par le public que lors de l’apparition de cette symphonie.
Le chœur de la Société philharmonique cette fois, ce qui est rare, a cédé le pas à l’orchestre. Le chœur de Bortnianski, et cette estimable perle, le chœur de Sara, ont été dits avec moins d’ensemble et de justesse que la première fois : les soprani ont notablement baissé. Pour le chœur de Sara, il serait à souhaiter que les trois petits chœurs fussent plus isolés les uns des autres ; l’oreille de l’auditeur se retrouverait avec plus de facilité au milieu de ces rhythmes si étroitement enlacés.
M. Berlioz avait découvert pour ce second concert une petite curiosité archéologique, une pastorale pour le chant avec accompagnement de deux hautbois et de deux bassons de Pierre Ducré ; ce morceau date de 1679. II m’a paru assez joli et modulé assez heureusement pour un temps où l’on ne modulait guère.
L’air du sommeil d’Atys, de Piccinni, est délicieux ; il est dommage que la longueur du concert n’ait pas permis de donner la suite de ce chœur : l’Entrée des songes, qui ne déparerait pas ce charmant mais trop court morceau.
C’est un usage que le public de la Société philharmonique veut, à ce qu’il paraît, perpétuer, qu’à chaque séance il accueille les cantatrices avec des bouquets. La première fois c’était Mme Frezzolini, aujourd’hui c’est Mme Ugalde dont la voix a retrouvé toute sa fraîcheur. Quelle pureté, quelle justesse, quelles roulades perlées ! Certes, au rossignol suédois nous pouvons bien opposer notre fauvette française. Quel charmant duel pour les témoins !
Cette seconde séance s’est terminée par l’Invitation à la valse, de Weber, instrumentée par Berlioz. La troisième aura lieu le 3 décembre. On saura bientôt quels grands maîtres feront les honneurs du programme.
L. KREUTZER.
Revue et gazette musicale, 22 décembre 1850 p. 418
PUBLICATIONS ET AUDITIONS D’ALBUMS.
Les flots de mélodie et d’harmonie coulent à pleins bords dans nos salles de concerts, la seconde exécution de musique à grand orchestre de la Société philharmonique s’est faite mardi dernier, 17 décembre, à 8 heures du soir, dans la salle Sainte-Cécile. La séance a commencé par l’ouverture d’Oberon, qui a été dite avec un bel ensemble et une chaleur qu’on aurait désiré un peu plus vive, ainsi que l’ouverture du Jeune Henri, dans laquelle, au début de l’air de chasse, un des cors a pris un autre ton que celui qu’il fallait, ce qui a produit un de ces petits pâtés que dans l’art de la pâtisserie on appelle brioche, plus agréable au sens du goût qu’à celui de l’ouïe. A cela près, et au peu de justesse des voix de soprani dans le chœur des Naïades d’Oberon, mais qui ont pris leur revanche dans la prière de Moïse, tout le reste du concert a bien marché.
M. Jacquard, jeune violoncelliste d’un véritable talent, a dit une fantaisie de Servais d’un excellent style et avec beaucoup d’expression.
Un solo de violon, la fantaisie d’Alard sur Maria Padilla, a été joué par un véritable virtuose de dix ans, le jeune Jullien. Malgré la prévention qu’on a généralement contre cette petite machine humaine qu’on appelle un enfant prodige, dont l’avenir ne ratifie presque jamais la précocité, il faut reconnaître que celui-ci est doué d’un sentiment musical exquis ; qu’il chante sur son instrument avec une vive et profonde intelligence et, ce qui est plus extraordinaire, avec une vraie sensibilité. Ce Paganini en herbe, fils d’un pauvre menuisier de village, dit-on, est déjà presque un talent complet. Son coup d’archet est hardi, son trille est brillant, perlé ; sa double corde est de la plus grande justesse ; et la rondeur, la force du son est inconcevables dans un enfant de cet âge. C’est à désespérer les virtuoses de vingt-cinq à cinquante ans; et ceux de trois mois à huit ans pourront, seuls s’écrier maintenant : A nous l’avenir !
Deux grandes et larges manifestations de musique dramatique ont été faites dans ce concert : un chœur de brigands de la Caverne, de notre illustre Lesueur, notre ancien collaborateur dans la Gazette musicale, et puis une marche suivie d’un chœur des Mages dans le grand opéra inédit intitulé Alexandre à Babylone, du même compositeur. Or a reconnu dans ces deux beaux fragments ce faire grandiose, ce style magistral qui a contribué à créer l’école française et à lui donner un éclat européen que depuis elle soutient dignement.
Après cette bruyante et brillante musique, Mlle Louise Mattmann, la pianiste au jeu fin, net, élégant et tout empreint d’expression, est venue nous dire un morceau de Prudent, dans lequel elle a fait justement applaudir son exécution consciencieuse et chaleureuse, et son style classique, pur et fin.
Ce concert, dans lequel on a dit aussi avec le style voulu et la couleur du temps des chœurs et airs de danse de l’Armide, de Gluck, peut passer à juste titre pour un des plus intéressants de la saison musicale dans laquelle, au reste, nous ne faisons qu’entrer. […]
Henri BLANCHARD.
Revue et gazette musicale, 5 janvier 1851 p. 2
[Revue de l’année 1850]
[…] Notre Société des concerts, si longtemps sans rivale, avait vu, dès la précédente année, s’élever sinon une concurrence, du moins une imitation dans la Société de l’Union musicale. Après la mort de Manéra, son fondateur, le bâton de chef passa dans les mains de M. Seghers, et la Société prit sous sa direction ferme et chaleureuse une attitude imposante qui promettait pour l’avenir. Les divisions intestines obligèrent M. Seghers à se retirer et à former une autre société sous l’invocation de Sainte-Cécile. Félicien David le remplaça comme chef de cette Union si peu unie. Mais déjà la grande Société philharmonique de Paris était née au souffle puissant de Berlioz. Le célèbre artiste, compositeur et critique, avait frappé du pied, et autour de son pupitre s’était groupée à l’instant une foule d’instrumentistes, de chanteurs, de cantatrices, renforcée des chœurs de toutes nos scènes lyriques, appuyée du concours de leurs illustrations les plus éminentes. Nous avons eu l’année dernière trois sociétés vouées au culte de l’art dans ce qu’il offre de plus noble et de plus pur ; nous en aurons quatre cette année, et nous ne nous en plaindrons pas : la lutte n’en sera que plus intéressante et la victoire que plus glorieuse. […] Paul SMITH.
Revue et gazette musicale, 19 janvier 1851 p. 21
[AUDITIONS MUSICALES]
[…] Et pourquoi ne citerions-nous pas encore la Société philharmonique de Paris, dont nous avons parlé parfois, et qui en est à sa vingt-sixième année d’existence ? Cette société, composée en grande partie d’amateurs, il faut bien le dire, n’est pas sans utilité, si ce n’est pour l’art, du moins pour les artistes. Elle offre aux premiers prix du Conservatoire l’estrade de la publicité, devant un public de bourgeois, de marchands et de peuple, public toujours impressionnable, et par cela même bienveillant. Si le dernier programme de ce concert offrait un peu trop de romances et de chansonnettes; si le nom du directeur du Conservatoire y figurait ainsi : AUBERT ; il sera facile de remédier à ces légers inconvénients dans la composition des programmes suivants. Toujours est-il que M. Jean Mohr nous a dit un solo de cor de sa composition, remarquable par la suavité du son et le style de son exécution. Si toute la France ne jouait pas bien du piano maintenant on pourrait féliciter Mme Germain-Collongues sur le succès qu’elle a obtenu dans le solo qu’elle a joué.
La petite armée instrumentale, fort bien dirigée par M. Aimé Roussette, qui n’en est pas, au reste, à son coup d’essai comme chef d’orchestre, a fonctionné comme une réunion de vrais amis... de l’art, et n’a pas rappelé cette maxime : Dieu nous garde d’un diner d’amis et d’un concert d’amateurs !
Henri BLANCHARD.
Revue et gazette musicale, 2 février 1851 p. 36-7
MATINÉES ET SOIRÉES MUSICALES.
[…] — La grande Société philharmonique de Paris a donné, mardi 28 janvier, son troisième concert dans la salle Sainte-Cécile. Les quatre premières parties de la symphonie vocale et instrumentale de Roméo et Juliette par Berlioz, ont ouvert la séance. L’auditoire n’a eu qu’à ratifier ce que la presse musicale avait constaté depuis longtemps de la conception et de l’effet de ce grand drame instrumental. Le morceau de la reine Mab a, comme toujours, enthousiasmé, ravi, soit dans le solo du ténor, soit dans le scherzo instrumental. L’adagio des deux amants, la fête chez les Capulets ont enivré par la suavité des mélodies [et] ébloui par le luxe des effets d’orchestre.
Un Pater, chœur sans accompagnement, composé par Bortniansky, et dit ordinairement à la chapelle de l’empereur de Russie, a été exécuté pour la première fois à Paris dans ce concert. Ce morceau vocal est d’un bon et beau sentiment religieux. Le style pur et tranquille dans lequel il est écrit a profondément impressionné l’auditoire. Après ce morceau, on a dit Polyphème et Galathée, cantate à trois voix, sans trio, par M. Membrée, compositeur peu connu, mais qui mérite de l’être par cette première manifestation musicale. Il a le sentiment de la mélodie, la première et l’indispensable qualité de tout musicien qui veut écrire pour le salon ou le théâtre. Son instrumentation est vulgaire et richement pauvre, si l’on peut marier ces deux mots ensemble ; c’est-à-dire que son orchestre procède trop par masses harmoniques, et qu’il ne fait pas assez dialoguer les instruments, bien que les flûtes descendent parfois en tierces. L’effet instrumental de la colère du cyclope est énergique, mais d’une énergie plus bruyante qu’originale. Roger est un Polyphème plus gracieux que terrible ; il souffre et chante son amour d’une manière touchante. Mlle Dobré nous a représenté la charmante et imprudente Galathée, et M. Carvalho le narrateur du fait historique. La disposition de ce poëme nous a reporté quelque peu au XVIIIe siècle, au temps des cantates de Jean-Baptiste Rousseau. Mme Hortense Maillard, qui s’était chargée de nous chanter la naïve et douce Juliette dans le drame poétique et musical de Deschamps et Berlioz, nous a dit aussi, et pour sa satisfaction personnelle, un air du Belisario de Donizetti, qui a fait plaisir. Le jeune Léon Reynier a exécuté sur le violon la belle fantaisie d’Alard sur la Favorite. Ce jeune et déjà habile virtuose, qui fut et n’est plus un enfant précoce, a peu de chose à faire pour devenir un talent complet. C’est un violoniste en qui surabondent la sensibilité et l’expression, ce qui ne l’empêche pas de posséder parfaitement le mécanisme de son instrument. Mélodie et trait, et trilles, et double corde, et capricieuses hardiesses d’archet à la Paganini, Léon Reynier tente, essaie de toutes les difficultés, et les surmonte avec bonheur. Qu’il tâche d’échanger ce bonheur contre la sûreté de l’intonation, l’aplomb de la mesure et le fini de l’exécution, qui berce de confiance l’ouïe délicate et exercée des auditeurs difficiles et délicats, et ce jeune artiste d’avenir sera un artiste arrivé.
L’air de Stradella (Se i miei sospiri), morceau d’église de 1667, a été chanté par Roger d’une manière expressive et pleine d’âme et de religiosité. L’O Salutaris, d’un style beaucoup plus moderne, par M. Zimmerman, a été fort bien dit aussi par Mlle Dobré. Esprits de haine et de rage, duo d’Armide, de Gluck, a été chanté par toutes les voix du chœur avec assez d’ensemble et d’énergie. Cette belle page de musique rétrospective n’a pas été la moins intéressante du concert. […]
Henri BLANCHARD.
Revue et gazette musicale, 2 mars 1851 p. 67
CONCERTS.
GRANDE SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE DE PARIS.
Le quatrième concert de cette société musicale a commencé par la symphonie de Roméo et Juliette. Entre l’adagio instrumental et la Reine Mab ou la fée des songes, scherzo instrumental, deux jeunes et jolies dames, en robes blanches, bras nus, ont quitté le premier banc de l’auditoire, et sont venues déposer devant M. Berlioz un coussin de satin blanc sur lequel était une couronne en laurier d’or, qu’elles ont offerte à l’auteur de Roméo et Juliette.
Après cet hommage, le concert a repris et continué. Mme Hortense Maillard a dit, ou plutôt a chanté un peu trop fastueusement, la naïve et charmante romance de Nina, ou la folle par amour, de D’Aleyrac. Mme Hortense Maillard a assez de talent pour qu’on lui dise : il faut raconter cette touchante chose, madame, pour faire pleurer son auditoire, et non pour s’en faire applaudir comme cantatrice. La contre-partie de cette mélodie partie du cœur, celle de Paisiello, la Romanza della pazza per amore, qui devait être chantée par Mlle Vera, n’a pu être dite par cette cantatrice, qui s’est trouvée indisposée. Mlle Clauss, jeune pianiste de Prague, l’a suppléée en jouant la sonate en fa mineur de Beethoven, dédommagement qui en valait bien un autre. Mlle Clauss parait avoir de seize à dix-sept ans. Son jeu est net et brillant. Si elle n’a pas un son puissant, elle ne manque pas d’énergie, et ses doubles octaves ont de la force et de l’éclat. Elle possède au plus haut degré l’art de la dégradation du son, des nuances, de la délicatesse et de l’élégance du phrasé dans la mélodie. Un peu trop courbée sur son clavier, ses yeux ne sont pas tellement captivés par la nécessité de rester fixes sur les touches, comme ceux de la plupart des pianistes, qu’elle ne puisse jeter des regards de reconnaissance et même un fort joli sourire d’enfant joyeux à son auditoire qui l’applaudit. Sa robe rose, à la mode des nymphes antiques, laissait voir dans toute sa longueur et dans une complète nudité un bras fort joli, ce qui ne nuit point à son exécution. Le second morceau qu’elle a joué : Un jour d’été en Norwège, par M. Wilmers, pianiste danois, ne se distingue pas par le plan et la méthode. Nous connaissons plusieurs ouvrages de ce compositeur meilleurs que celui-là. Quoi qu’il en soit, Mlle Clauss a montré dans cette fantaisie un mécanisme parfait, une chaleur juvénile, et une verve presque poétique, qui, tout d’abord, lui ont conquis tous les suffrages, et qui ont préparé les succès qu’elle ne peut manquer d’obtenir dans Paris.
Une autre jeune muse, muse dans le triple art du chant, du piano et de la composition, a fait exécuter dans ce concert, qui s’est distingué par des fraîches primeurs de l’art musical, un andante de symphonie en ut, écrit par Mlle de Reiset. Ce morceau sagement conçu, conduit et richement instrumenté, a surpris les connaisseurs autant qu’il les a charmés. En contraste de cette musique digne et d’une allure d’aristocratie un peu raide, Mme Pauline Viardot est venue nous jeter les parfums d’une musique de l’autre siècle ; elle a dit une sicilienne naïve et suave de Pergolèse ; et puis ses éblouissantes vocalises de la Cenerentola ; et puis les pittoresques chansonnettes espagnoles qui font de Fidès, la mère sévère et passionnée tout à la fois, une rêveuse Andalouse, et la fille d’Ibérie, jeune, insouciante et folle, et mêlant l’ironie à la gaité.
La marche hongroise de Berlioz a dignement terminé ce beau concert. […]
Henri BLANCHARD.
Revue et gazette musicale, 9 mars 1851 p. 76
MESSE EN MUSIQUE A SAINT-THOMAS-D’AQUIN.
Une fort belle messe en musique, composée par M. Niedermeyer, et qui a déjà été exécutée à Saint-Eustache, a été dite par l’orchestre de la Société philharmonique de Paris, sous la direction de M. Berlioz, au bénéfice d’une autre œuvre de charité, pour laquelle Mmes les duchesses de Fitz-James, d’Escars, de La Rochefoucault et vicomtesse de Guébriant ont quêté. En louant avec plaisir ces œuvres de bienfaisance, nous devons également un tribut d’éloge à celui de M. Niedermeyer, qui se distingue par une belle facture et un profond sentiment religieux. Malgré l’indépendance ignorante des essayeurs de la musique d’église actuelle, le compositeur de celle exécutée à Saint-Thomas-d’Aquin y paie un tribut au style fugué sans pédanterie et sans allure du style rétrospectif. L’Agnus Dei, le Sanctus, sont pleins de largeur et d’élévation.
M. Kœnig, de l’Opéra, a chanté la partie de ténor avec distinction ; Mme Paton (née Pacini) celle de contralto, et Mlle Nau celle de soprano, de cette manière noble, pure, et pleine d’onction, que réclame le style sacré.
Dire qu’on a applaudi les interprètes de cette bonne musique et qu’on en a demandé l’auteur serait contraire à la vérité, mais non à l’envie qu’en avaient la plupart des auditeurs, s’ils n’avaient pas été forcés de respecter ce que l’on nomme la maison de Dieu.
HENRI BLANCHARD.
Revue et gazette musicale, 6 avril 1851 p. 106-7
GRANDE SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE.
Au temps où nous sommes, pour s’occuper avec zèle des intérêts de l’art sérieux et élevé, il faut plus que du dévouement, il faut de l’obstination ; avec bien moins d’efforts, en suivant d’autres pensées, on arrive à un bien meilleur résultat. Qu’un comité protecteur d’une ferme modèle, d’un institut agricole quelconque, qu’une société fondée pour enseigner les mathématiques aux petits Algonquins ou pour faire vacciner les petits Chinois, conçoive l’idée bien naturelle d’augmenter ses ressources, aussitôt l’on trouvera des hommes du monde empressés qui se mettront en campagne, des femmes à la mode qui insinueront jusqu’au fond des poches de leurs visiteurs ces petits carrés de papier bleus, verts, gris, beurre-frais, niellés, glacés, enjolivés d’arabesques, et promettant tant de délices musicales en échange d’un modeste louis ; des exécutants célèbres, des chanteurs renommés, s’associeront à cette bonne œuvre, qui fera tant de plaisir et qui leur coûte si peu. On louera une salle, la plus grande possible, on composera un programme de miettes musicales, telles que chansonnettes, petits airs, petits duos, petites fantaisies et petits divertissements, le tout triomphalement accompagné par un piano, et après de si gigantesques efforts, des recettes telles qu’en en voit rarement à Paris viendront couronner l’œuvre. Que si, au contraire, l’intérêt des artistes est en cause ; que si l’on peut présumer qu’il s’agit d’une œuvre importante qui a coûté de longs travaux au compositeur et aux exécutants ; que si l’on suppose que du produit du concert, il reviendra quelque chose aux artistes eux-mêmes ; aussitôt les traits des patrons et patronesses s’altèrent, leur ardeur s’éteint, un mouvement rétrograde a lieu sur toute la ligne, et malgré efforts, démarches, soins de toutes natures, le compelle intrare reste sans force et sans vertu. Cela est étrange, mais c’est ainsi. Quand donc viendra le jour où les pauvres, par un équitable sentiment de réciprocité, voudront bien consentir à donner quelques fêtes splendides au bénéfice des musiciens, qu’ils pressurent de toutes façons, et dont, par d’exorbitants impôts, ils travaillent activement à faire des confrères ?
D’après cela, on concevra que les recettes ne seront probablement pas la partie brillante des concerts donnés par les sociétés Seghers et David, et par la grande Société philharmonique. Mais, à défaut de fortes recettes, elles se contenteront de gloire. A son dernier concert, la Société philharmoiiique en a recueilli une ample moisson ; elle en a tant recueilli que même elle eût pu en échanger quelque peu contre cette moisson prosaïque et vulgaire, mais si estimée, qu’entassent avec soin au fond de leurs tiroirs des caissiers privilégiés.
Le programme était riche et varié. C’était d’abord la Symphonie fantastique de Berlioz, exécutée avec une grande verve et un ensemble beaucoup plus satisfaisant que la première fois. La charmante mélodie qui se déroule avec tant de grâce et de souplesse dans la scène du bal ; le chant agreste des bergers accompagné par les roulements lointains du tonnerre dans les profondeurs de la montagne ont produit leur impression accoutumée ; la marche du supplice offre une progression d’intérêt admirablement graduée, et le coup de hache aigu et strident qui la termine a été donné en conscience par le cymbalier, qui semblait bien pénétré de sa terrible mission. La scène du sabbat est de plus en plus appréciée, et pour certains amateurs c’est même un des morceaux les plus remarquables de la partition. Le premier morceau est peut-être celui que la foule comprend le moins. Il en sera toujours ainsi lorsque le compositeur aura à peindre des sentiments essentiellement vagues par eux-mêmes, la contemplation, l’inquiétude, l’extase.
La Symphonie fantastique n’était pas le seul ouvrage de M. Berlioz qui figurait sur le programme. Mme Dorus-Gras a chanté avec un art infini une cavatine de Benvenuto Cellini, dont l’andante est de la plus exquise distinction. La Belle voyageuse, écrite pour le chœur à deux voix de femmes, présente, dès les premières mesures, une série de modulations à ne pas donner en exemple à quelque élève maladroit, mais qui, traitées comme elles le sont avec une délicatesse infinie, ont un bouquet d’originalité agreste qui vous transporte à l’instant au milieu des collines veloutées de la verte Erin. Quant à la Marche des Francs (vox populi), il est bien regrettable que ce morceau, court et incisif comme l’expression du défi et de la colère, ne figure pas à la fin de quelque opéra, qu’il terminerait de la façon la plus fière. Rarement M. Berlioz a su rencontrer des contours plus prononcés, un rhythme plus saisissant et plus énergique.
Mme Dorus-Gras, dans un air du Cheval de bronze, qui fait si bien valoir la perfection de sa vocalisation ; M. Massol, dans un air de l’Enfant prodigue, où il reçoit tant d’applaudissements à l’Opéra ; M. Petiton, premier flûtiste de la Société, ont recueilli une bonne part de bravos.
La Société philharmonique s’est toujours empressée de mettre en relief le talent des jeunes compositeurs ; à cette séance, elle a exécuté une ouvertnre nouvelle de M. Gastinel. M. Gastinel a obtenu le prix de Rome il y a deux ans, et on a tout lieu de penser qu’il ne mentira pas, comme tant d’autres, aux espérances de ceux qui lui ont accordé cette distinction. Son ouverture est écrite dans un style très correct et distingué, sauf une phrase de huit mesures où il a cru devoir payer sa dette aux traditions de l’école. L’adagio qui ouvre le morceau a beaucoup de grandeur et revient heureusement au milieu de l’allegro. L’orchestration est habile et bien entendue, et la péroraison se fait remarquer par sa chaleur communicative. En résumé, cette ouverture fait honneur à M. Gastinel.
Enfin, l’auditoire a écouté avec autant d’admiration que de surprise un jeune enfant de treize ans, Léon Massart, neveu de M. Lambert Massart, professeur au Conservatoire. Léon Massart a obtenu le prix d’honneur au Conservatoire de Liège, qui acquerra une grande renommée s’il nous envoie quelquefois d’aussi charmants talents. Le violoncelle possède maintenant son petit et vaillant virtuose. Il y a quelques années, j’ai prédit que cet enfant deviendrait un grand artiste, et il a bien soin de réaliser ma prédiction ; son style est très-élégant, très-délicat, et sans aucune espèce de charlatanisme ; son exécution est très-sûre et son staccato vraiment merveilleux. Bien peu d’années maintenant suffiront pour compléter un talent si riche d’avenir.
Le dernier concert de la Société philharmonique aura lieu vers la fin du mois prochain.
Léon KREUTZER.
Revue et gazette musicale, 3 mai 1851 p. 140
CONCERTS.
[…] C’est aussi une pensée louable et bonne que celle de la Société philharmonique, qui a voulu donner son dernier concert au bénéfice de ces parias de l’art contemporain, vulgairement nommés jeunes compositeurs. On ne saurait trop applaudir à cette innovation adoptée aussi par la Société Sainte-Cécile. Il est impossible qu’au bout d’un certain temps, il ne surgisse pas, dans le nombre des ouvrages de ce genre, quelque partition de mérite ; et même toutes ces compositions fussent-elles mauvaises, l’essai aurait encore ceci de bon que les auteurs ne pourraient plus se plaindre d’être condamnés sans avoir été entendus. Mais, Dieu merci, les choses n’en sont pas là. Dès le premier morceau de son sixième concert, la Société philharmonique a eu la satisfaction de voir sa tentative couronnée de succès.
L’ouverture nouvelle d’Auguste Morel a reçu un favorable accueil, véritablement mérité. L’introduction se fait remarquer par un choral pompeux dont l’impression a été grande. L’allegro, généralement inspiré de la manière de Weber, mais sans imitation servile, est animé, plein de couleur et de verve ; le chant du milieu se distingue surtout par l’élégance de l’harmonie et le bon goût de la forme. Il y a beaucoup d’abondance et pourtant d’ordre et de lucidité dans les développements et l’enchaînement des modulations. Peut-être le volume sonore est-il un peu exagéré çà et là ; mais c’est le faible du siècle, et le public s’y laisse aller volontiers. En résumé, voilà une brillante ouverture de concert, dont toutes les sociétés départementales et européennes feront bien de doter leur répertoire. Il est douteux qu’elles acceptent avec le même empressement, du moins dans sa totalité, la composition vocale et instrumentale de M. Henry Cohen, exécutée après cette ouverture.
C’est une sorte d’oratorio, moins le caractère sacré du sujet et la gravité du style, une façon d’opéra de concert, intitulé Le Moine. Le poëme est dû à la plume facile et connue de M. Hippolyte Lucas, qui a bien voulu, pour l’usage du musicien, découper le fameux roman de Lewis en douze scènes, subdivisées elles-mêmes, six par six et symétriquement, en deux parties assez considérables. Il importait peu que le poëte eût fait subir des modifications à la fable de Lewis. Le grand point était que le livret fournît au compositeur une suite de situations musicales. C’est à quoi l’écrivain a réussi. Disons même qu’à l’exception d’un petit nombre de vers trop prosaïques et de quelques expressions étonnées de se rencontrer dans le langage lyrique, le livret du Moine présente souvent des strophes bien tournées et d’une agréable facture. Le musicien n’a donc qu’à se louer du poëte. Mais le poëte a-t-il eu à se louer toujours du musicien ? Si bienveillant qu’il fût, l’auditoire ne l’a pas pensé, et nous avons la faiblesse de penser comme l’auditoire.
Certes M. Henry Cohen ne peut faire valoir pour la défense de son œuvre les inconvénients d’une mauvaise exécution. L’orchestre, habilement dirigé par Berlioz, s’est bien comporté. Quant à l’exécution vocale, confiée à Mlles Dobré et Vavasseur, à MM. Jourdan et Hermann-Léon, elle a été, sinon entièrement satisfaisante, du moins plus que suffisante. D’ailleurs, la musique de M. Henry Cohen a l’avantage d’être fort claire. On y démêle tout de suite le bien et le mal. Aussi a-t-on distingué tout aussitôt le bon grain de l’ivraie. En vérité le bon grain n’est pas ce qui domine. Signalons pourtant avec des éloges sincères et d’autant moins suspects que la critique prétend user ailleurs de ses droits, la ravissante romance de Lorenzo : Viens, c’est ton amant qui t’appelle, mélodie exquise de sentiment et de grâce, chantée à merveille par Jourdan ; le mouvement de valse du premier finale, que Mlle Vavasseur a terminé par un trille brillamment exécuté ; le trio nocturne, Quel divin charme ! très doux, très joli ; la sérénade en chœur, Dans l’azur qui se voile, morceau qui a presque de l’originalité ; le cantabile d’Ambrosio : Sa joue à peine éclose, dit avec art et passion par Hermann-Léon ; enfin, le chœur du peuple : Se peut il ? C était lui !.... où règne une élévation peu ordinaire. Dans un ouvrage aussi développé il y aurait bien encore à citer plusieurs traits épars ; mais ce ne seraient que des passages détachés et non des morceaux complets. Le reste de la partition pèche par différents défauts. Ici, c’est la mélodie qui est incolore, languissante et même nulle ; là, c’est le rhythme dont les allures contredisent le texte et la situation, comme dans cette phrase du duo d’amour : O tendre et pure extase ! qui ne justifie pas plus un rhythme alla militare, que la période désespérée : Laissez-moi la suivre ; ou bien encore c’est un accompagnement frétillant sous des paroles aussi peu dansantes que celles-ci : Au jeûne, à la prière il faut avoir recours. Ailleurs, ce sont des passages où les clameurs de l’orchestre étouffent les voix des chanteurs, ainsi que dans la strette du duo d’Ambrosio et de Malhilde ; ou bien des roulades plus que déplacées, telles qu’en présente à l’oreille surprise la tirade d’Antonia : Honte à toi, misérable ! Mais, va-t-on nous dire, il y a du moins des intentions dans l’orchestre. Eh, mon Dieu ! oui ; mais l’enfer aussi est pavé de bonnes intentions.... non réalisées. Et puis, combien de ces intentions qu’on peut traiter hardiment de puériles à l’instar de ce tremblement aigu des instruments à vent à propos de ce vers : Ma lampe qu’un souffle agite ! Quel emploi abusif aussi de la petite flûte invariablement mariée aux cymbales et à la grosse caisse, dès que les mots enfer, démon, sont mis en jeu par le poëte ! Quelle affectation à faire trop souvent des instruments de cuivre les compagnons obligés de la voix du moine ! Le padre Ambrosio ne marche guère sans une escorte métallique ; le trombone est son fidus Achates. En vérité, Meyerbeer n’a pas eu besoin de tout cet appareil pour faire dire, rien qu’en trois strophes, à sa mélodie du Moine ce que le Moine de M. Cohen est loin de dire en trois heures de musique.
Quoi qu’il en soit, si M. Henry Cohen veut se borner sagement à ne faire entendre dans les concerts que les bons morceaux cités plus haut, il pourra, nous le croyons, leur devoir de légitimes succès. Pour le surplus, le public demeurera aussi froid, aussi insensible que celui de la salle Sainte-Cécile, qui avait dû, au dire d’un de nos voisins, prendre d’un contre-poison célèbre au temps de Guy Patin, à savoir, de l’antimoine.
MAURICE BOURGES.
Revue et gazette musicale, 3 mai 1851 p. 138-9
Concerts philanthropiques.
[…] La grande fête donnée au Jardin-d’Hiver, au bénéfice des crèches de Chaillot, des 5° et 7° arrondissements, a été aussi très-brillante [1er mai 1851?]. Cette solennité se composait des éléments les plus variés. Le grandiose coudoyait le comique et le grotesque. Après le poëme épique-musical du Roméo et Juliette, de Berlioz ; après les belles scènes de Polyeucte, et des Horaces, dites par MM. Bauvalet, Pallande et Mlle Rimblot ; en opposition à la voix brillante de Mme Laborde lançant les éclairs de la vocalisation dans l’espace parfumé de ce jardin délicieux qui nous représente le paradis terrestre, M. Denault nous a dit de la voix stridente et cependant adoucie de son cornet à piston, la cavatine de Torquato Tasso comme aurait pu le chanter une prima donna à la voix audacieuse et suave. En réponse aux accents passionnés du violon de Léon Reynier, M. Malezieux a raconté les tribulations, les émotions et les admirations de Titi à la première représentation de Robert-le-Diable. […] [Henri BLANCHARD]
[Note: la présence au programme de ce concert de Roméo et Juliette de Berlioz (ou du moins d’un extrait) et d’un solo de cornet à piston de Denault laisse supposer qu’il pourrait s’agir ici du concert du 1er mai 1851 où la Société philharmonique a participé]
Revue et gazette musicale, 4 janvier 1852 p. 2
[Revue de l’année 1851]
[…] Ceci nous ramène aux concerts. Il y a quelques mois à peine, Paris comptait quatre grandes sociétés. La première, la plus ancienne et la plus illustre, c’était la Société des concerts fondée par Habeneck au Conservatoire ; la seconde, par ordre de date, était celle de l’Union musicale ; la troisième, la grande Société philharmonique, et la quatrième, la Société Sainte-Cécile, fondée par M. Seghers, naguère chef de celle de l’Union. Aujourd’hui, ce nous semble, deux sociétés seulement se disposent à rouvrir leur sanctuaire, la première et la quatrième, la Société des concerts et la Société Sainte-Cécile, dont les progrès ont été rapides et constants. […]
L’Argus des théâtres, vendredi 10 mai 1851
Quelques mots sur la musique.
Je ne veux point laisser finir la saison des concerts sans dire quelques mots sur une œuvre importante que la grande société philharmonique dirigée avec tant d’élévation par M. Berlioz a exécutée dans sa dernière réunion.
Il s’agit de l’ouverture à grand orchestre de M. Auguste Morel.
L’ouverture est un mode de composition qui a toujours été fort affectionné des artistes sériuex. Ce genre exige des qualités vraiment supérieures et qui souvent ne captivent pas la masse du public ; l’ouverture est en quelque sorte le tableau d’histoire de la musique. Il est plus d’un auteur aujourd’hui illustre par des opéras de chevalet qui ne saurait écrire une ouverture. En ces temps de culte pour l’art facile, la critique ne saurait trop signaler et encourager ceux qui ne craignent pas de courir les grandes aventures intellectuelles.
M. Auguste Morel est au nombre de ces artistes sérieux et désintéressés. Ses inspirations musicales conçues dans un sentiment profond et poétique ont marqué au milieu des productions effacées de la musique contemporaine. Les cœurs plutôt que les oreilles ont retenu ses mélodies. Je crois que l’ouverture en ré majeur exécutée par la Société philharmonique assigne définitivement à M. Auguste Morel une place d’élite parmi les compositeurs de son temps.
L’adagio de cette ouverture à quatre temps est écrit d’un style plein de largeur ; l’allegro hardiment mouvementé est coupé par une phrase incidente dont le charme pénètre de tous les plaisirs de la hardiesse qui réussit mêlée au sentiment. Rien n’égale la force avec laquelle on se sent entraîné, lorsque dans la stretta le principal motif de l’adagio revient dans un ensemble formidable répercuté par toutes les voix de l’orchestre. Il est impossible de méconnaître dans cette œuvre magistrale les principaux traits qui décèlent à l’amateur le plus vulgaire le cachet des artistes de la famille de Weber, de Beethoven, de Mendelssohn et de Berlioz. […]
Taxile Delord.
Sur ce document voir la page principale et sa table des séances du comité.
On this document see the main page with its table of meetings of the committee.
Séance du 14 février.
Sont présents: Mrs Morel, Cajani, Thrent (?), Massart, Dangez, Gousson
On écrit une lettre à Mr Girard pour lui [demander] d’autoriser 8 artistes de son orchestre à manquer la répétition de l’Opéra qui a lieu le soir de notre concert [le 19 février].
Mrs Cajani et Dangez remettront cette lettre et transmettront immédiatement la réponse à Mr Berlioz.
Mr Vogel adresse une lettre au comité pour demander qu’un morceau de sa composition soit exécuté à l’un de nos concerts. Mr Morel fait observer que des membres de la société s’étant abstenus jusqu’ici de toutes demandes la priorité leur serait accordée dans le cas où ils feraient valoir leur position de sociétaire.
Mr Gastinel fait une demande semblable à celle de Mr Vogel.
Mr Berlioz propose au comité que chaque année la société exécute dans un de ses concerts une composition du dernier lauréat revenu de Rome. Le genre de cette composition sera laissé à son choix.[Signatures] H. Berlioz L. Massart L. Kreutzer Aug. Morel Cajani Gousson Dangez Becquié
[Vogel et Gastinel: voir le concert du 30 mars 1850]
Samedi 20 avril.
Sont présents MM. Rogér, Cadaux, Dangez, Becquié, Cajani, H. Berlioz, Kreutzer, Massart, Grard, Seligmann.
MM. Perrot et Becquié ont proposé à la répétition d’orch. de ce jour un service funèbre en l’honneur des familles victimes de la catastrophe récente d’Angers, pour, le produit de la quête et des chaises, être consacré à soulager les familles intéressées. Cette proposition a été reçue avec acclamation. Mr [Tajan] Rogé a demandé l’exécution du Requiem de Berlioz: mêmes acclamations. Dans la séance de ce même jour (séance de comité) MM. Cajani, Dangez et Grard ont donné aussitôt leur adhésion au nom de leurs collègues des chœurs. Les mesures les plus promptes vont être prises d’urgence pour donner à ce projet une solution rapide. Tout va être disposé, à cet effet, en vue du mercredi 1er mai prochain. Un appel va être fait à tous les principaux artistes de Paris. L’ordre des répétitions est réglé. […]
[Voir le concert du 3 mai 1850]
Procès Verbal de l’assemblée générale de la Société Philharmonique le 27 Avril 1850.
Mr Hersant rend compte à l’assemblée du produit et des frais des trois premiers concerts, le produit du quatrième n’a pu encore être apprécié.
Prime donnée par le Ministre 1000 Produit net du premier concert 2772,70 Produit net du second concert 441 Produit net du troisième concert 156,55 ----------- Total 4370,25 Le payment aura lieu mercredi prochain 4 mai.
Mr [Tajan] Rogé a la parole. Il lit une lettre qui annonce la démission de Mr Berlioz. Cette démission est refusée par l’orchestre à l’unanimité. Mr Berlioz explique dans quel but de progrès et d’art il a créé la société. Il ajoute que dans les quatre concerts il n’a donné qu’une très petite part de ses œuvres. Il lit une lettre adressée par 34 choristes, pour le prier de retirer de troisième concert son chœur de Sarah. Il rappelle que le Chœur s’est refusé à l’exécution du Requiem et que l’opposition qu’il rencontre de la part des choristes l’oblige à donner sa démission.
Mr [Tajan] Rogé fait remarquer que le 3eme concert ayant été retardé de 8 jours on aurait pu répéter suffisamment la ballade de Sarah.
A propos du concert de Rouen Mr Berlioz fait observer que le Chœur n’ayant pu aller à Rouen on avait proposé un concert simplement orchestral, et que nonobstant l’absence du Chœur, la recette serait partagée également entre le Chœur et l’Orchestre.
Mr Dietsch dit que les choristes de l’opéra n’ont nullement refusé de concourrir à l’exécution du Requiem et qu’ils s’associeront à l’exécution si Mr Dietsch est chargé de les diriger. Mr Gousson interprète de quelques artistes du Chœur de l’opéra reproduit les paroles prononcées au dernier comité: « que l’exécution des œuvres de Mr Berlioz fatigue les artistes du chant ».
Mr [Tajan] Rogé donne lecture du procès verbal de la séance du Comité [20 avril] où l’exécution du Requiem a été décidée. Cette décision ayant été prise à la majorité par les délégués des artistes de l’orchestre et du chœur doit être adoptée sans examen. Il y a chose jugée.
Mr Berlioz demande à l’assemblée si elle est d’avis de nommer un nouveau comité, ou bien de ne le renouveler qu’après le concert de Rouen vu l’état d’agitation de l’assemblée. Cette question ne peut arriver à une solution.
Mr Hersant rend compte des frais qu’occasionnerait le concert de Rouen et des bénéfices qu’il pourra rapporter. Les frais se monteront approximativement à 3300f et la recette possible peut être de 6000f.
Mr Dietsch annonce qu’il maintient sa démission mais après de vives sollicitations il s’engage par égard pour la société à diriger le chœur dans le Requiem. Après un tumulte très regrettable, le secrétaire croit comprendre que l’exécution du Requiem de Mr Berlioz est décidée, sous la direction de Mrs Berlioz et Dietsch.[Signatures] H. Berlioz Becquié D. Tajan Rogé Seligmann L. Kreutzer L. Massart Aug. Morel
[Voir l’image de ce document. — Voir le concert du 3 mai 1850]
Assemblée générale
Séance du 1er mai 1850.
------------------------Monsieur Berlioz rend compte des derniers travaux de la société Philharmonique; il donne lecture à l’assemblée de quelques dispositions nouvelles relatives à la bonne organisation de cette société; voici ces dispositions qui seront soumises au comité et seront discutées par lui.
Comité
un Président et six membres1o Chef d’Orchestre Président et chargé avec pouvoir absolu de composer l’Orchestre et le Chœur, de veiller à la fourniture des instruments et de la musique; de convoquer le Comité et de fixer les jours de répétitions, ayant voix prépondérante en cas de partage dans les décisions à prendre.
2o Un membre secrétaire chargé de rédiger les procès verbaux, de recevoir les lettres, et d’y répondre après communication au comité.
3o Un membre Archiviste chargé de la conservation des pièces intéressant la société, et de la musique appartenant à la société.
4o Un membre chargé de la confection des Billets, d’en faire le dépot, d’en recevoir le produit, qui sera remis sur quittance au caissier, d’organiser les contrôles, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour l’ordre intérieur et extérieur de la salle.
5o Un membre caissier dépositaire de tous les produits de la société, chargé de payer tous les frais et de faire les répartitions des Bénéfices, entre les sociétaires selon leurs droits.
6o Un membre chargé de tout ce qui concerne la publicité, affiches, programmes, et annonces de journaux.
7o Un membre inspecteur, Commissaire de l’Orchestre, non obligé de prendre part aux exécutions, chargé d’établir des feuilles de présence; des convocations aux répétitions; d’inspecter les exécutants et de signaler au chef d’orchestre, les incapables, les négligents ou les inexacts; enfin, de prendre les mesures nécessaires au bon ordre de l’Orchestre.-------------------
1o L’Assemblée sur la proposition de Mr Berlioz décide que le membre du comité, qui ne remplira pas avec exactitude son mandat, pourra être remplacé par un vote du comité, en attendant la ratification ou le remplacement du nouveau membre par l’Assemblée générale.
2o Cette autre disposition est acceptée: les artistes faisant partie de l’orchestre ou du chœur pourront être remplacés par le chef d’orchestre et le comité lorsqu’ils auront été reconnus incapables, négligents ou inexacts.L’assemblée approuve la pensée de fixer un jour par semaine, durant l’été, pour des répétitions d’œuvres destinées à figurer dans les concerts de l’année prochaine.
[Il est décidé] Que le comité a le droit de choisir le sous-chef d’orchestre de la société; cette nomination n’est que provisoire et sera discutée en assemblée générale lorsque le règlement définitif de la société lui sera présenté; Règlement dont on ne saurait s’occuper avec trop d’ardeur.
L’assemblée désire que les séances musicales aient lieu dans un autre local que la salle Ste Cécile.
Il est décidé que le concert de Rouen n’aura pas lieu; les artistes qui voulaient abandonner leur part de la recette des quatre concerts de la société Philharmonique sont donc engagés à aller toucher cette somme auprès du caissier Mr Hersant.
On procède au renouvellement des membres du comité. On vote au scrutin secret, des Bulletins sont distribués aux membres présents.
Membres présents 62 Sont élus Messieurs Massart 60 voix Cadeaux 60 Rogé 60 Kreutzer 59 Seligmann 49 Morel 60 Becquié 47 Ont obtenu des voix Messieurs Gastinel 9 Petiton 6 Perrier 3 Rubner 3 Hermann 2 Bech 1 L’assemblée conservant l’ancien comité a voulu lui adjoindre Mr Rogé, et le nombre des membres a été porté à sept.
[Signatures] D. Tajan Rogé H. Berlioz Becquié Seligmann L. Massart L. Kreutzer Aug. Morel
[Les propositions de Berlioz seront discutées dans une série de séances du comité au cours du mois de mai; un nouveau règlement de la société sera adopté dans les assemblées générales du 16 juillet et 1er août. — Sur la recherche d’un nouveau local pour les concerts de la société voir le procès-verbal de la séance du 12 mai 1850]
Séance du 5 Mai.
Sont présents Mrs Rogé, Massart, Morel, Seligmann, Kreutzer, Becquié.
Le comité constate que l’exécution du Requiem de Mr Berlioz a eu lieu vendredi 3 à l’église de St Eustache et que Mr Dietsch a manqué à sa promesse formelle de diriger le chœur, promesse faite aux artistes de l’orchestre et du chœur à l’assemblée générale du 27 Avril.
Bien que le Comité ait déjà adressé ses remerciements aux artistes étrangers à la société philharmonique qui ont participé à l’exécution du Requiem, il tient à consigner par écrit l’expression de sa reconnaissance pour leur concours dévoué.
Le Comité décide qu’il s’assemblera chaque semaine le mardi à 4 heures très précises (heure militaire).
Le comité autorise le secrétaire à faire faire du papier avec l’En-tête de la société philharmonique.
Une lettre est adressée par le Comité à Mrs Dangez, Cajani et Georget pour les prier de recevoir les adhésions des artistes de l’Opéra qui voudront continuer à faire partie de la Société malgré la retraite de Mr Dietsch.
Mr Rogé est prié d’écrire à Mr Méreaux à Rouen, pour lui demander s’il croit possible d’ouvrir une souscription qui aurait pour but de couvrir les frais du concert projeté.
Mr Seligmann propose de s’occuper d’un concert à St Germain pour le mois de Juillet. Mr Seligmann est prié de prendre les renseignements nécessaires pour cette affaire.
D’après le désir exprimé par l’orchestre un jour de répétitions préparatoires (le Jeudi) est décidé par le Comité. Ces répétitions auront lieu provisoirement dans la salle Sax.
Le comité décide qu’il se chargera seul de la formation des programmes. Il décide que seront mis à l’étude les morceaux suivants: [suit une liste] […][Voir le concert du 3 mai 1850 — Papier à en-tête: un exemple est CG no. 1306, sur lequel voir D. Cairns, Hector Berlioz tome II (2002), p. 483-4; (édition anglaise, II (1999), p. 447)]
Comité extraordinaire le dimanche 12 mai.
Une lettre est adressée à Mr Thomas, Colonel du 11ème Léger pour lui demander comment on doit lui faire parvenir les sept cents francs produits par la quête du Requiem.
Une autre lettre est écrite à Mr Le Ministre de l’Intérieur pour lui demander d’autoriser la société Philharmonique à donner un concert par mois le mardi soir dans la salle du Conservatoire à partir du mois d’octobre jusqu’en mai.[Signatures] H. Berlioz Aug. Morel L. Massart L. Kreutzer Seligmann
[Ce procès-verbal est de la main de Berlioz (voir l’image du document). — La lettre au ministre est CG no. 1331bis reproduite dans NL p. 356-7, où elle est datée de vers le 20 mai, mais les auteurs ne semblent pas connaître ce texte qui fixe la date de la lettre au 12 mai. — La demande de la société fut refusée par le ministre (CG no. 1331ter dans NL p. 357).]
Séance du 26 novembre.
Sont présents M.M. Berlioz, Charpentier, Seligmann, [Tajan] Rogé, Hersant, Leprévost, Cajani, Kreutzer, Aulagnier.
Mr Becquié de Peyreville écrit qu’étant indisposé il ne peut se rendre à la séance du comité. — Mr Savy prie le comité d’accepter sa double démission de sociétaire et de membre du comité; ses attributions nouvelles ne lui permettent plus de continuer son service à la Philharmonique. Mr Perot envoie sa démission motivée. Cette démission est acceptée. — La sous-commission a entendu dans sa séance de samedi dernier plusieurs des œuvres proposées par les compositeurs dont les noms suivent. Voici le jugement porté par elles et accepté par le comité: Mr Membrée admis; Mr Gastinel admis; Mr Sowinsky refusé; Mr Lavaine refusé pour cette année; Mr Rosenhain ajourné; Mr Leprévost admis; Mr Zimmermann admis (O Salutaris seulement.) — Mr Hallé propose de venir de Manchester pour jouer un concerto de Beethoven. Cette proposition est prise en considération en tenant compte toutefois des engagements réciproques pris entre Mr Prudent et le comité. — Mr Berlioz est prié de continuer ses tentatives auprès de Madame Dorus-Gras en vue de notre prochain concert. — Le programme du 22 Janvier est discuté et arrêté.
[Signatures] Aulagnier L. Kreutzer Cajani Hersant Charpentier Leprévost D. Tajan Rogé H. Berlioz Seligmann
[Membrée: concert du 28 janvier 1851; Gastinel: concert du 25 mars 1851 (cf. auparavant, concert du 30 mars 1850); Sowinsky: voir CG no. 1358; Zimmermann: concert du 28 janvier 1851; Charles Hallé ne fit pas le voyage de Manchester; Mme Dorus-Gras: concert du 25 mars 1851]
Séance extraordinaire du 15 Mars.
Sont présents MM. Berlioz, Kreutzer, Hersant, Leprévost, Cajani, Aulagnier, Gastinel, Becquié, Tajan Rogé, Seligmann.
Mr Berlioz communique au comité les propositions faites par lettres par les mandataires de la Société des crèches et par Mr Cohen, compositeur. Les premiers demandent que 90 artistes de l’orchestre participent à l’exécution d’une fête de jour donnée au jardin d’hiver au profit d’une œuvre de bienfaisance, moyennant un dédommagement de mille francs. On demande seulement quatre morceaux dont trois de M. Berlioz. Mr Cohen demande l’exécution d’un ouvrage de sa composition intitulé le Moine. Il offre en dédommagement également une somme de mille francs. Ces deux propositions sont acceptées à l’unanimité. Seulement il ne sera statué définitivement qu’après l’examen de son œuvre.
Mr Barthélémy écrit à Mr Berlioz et s’engage vis à vis de la société philharmonique pour l’inauguration de sa salle. — Le concert de Mr Cohen sera annoncé sur l’affiche comme concert extraordinaire.[Signatures] H. Berlioz D. Tajan Rogé Seligmann Leprévost C. Aulagnier Charpentier Hersant Cajani L. Kreutzer Gastinel
[Voir l’image de ce document. — Voir les concerts du 29 avril, 1er mai, 4 mai et 24 juin 1851]
Séance du 25 Mars.
Sont présents MM. Robert, Gastinel, Cajani, Charpentier, Massart, Kreutzer, Hersant, Berlioz.
Le comité propose de répondre à Mr Reyer que la société conservant son titre pour le concert qu’il nous propose, bien que ce concert ne soit pas donné à ses risques et périls, exécutera le Sélam pour une somme de quinze cent francs.
Mr Becquié de Peyreville demande et obtient un congé.[Signatures] Charpentier L. Massart L. Kreutzer Cajani Gastinel H. Berlioz
[Voir le concert du 24 juin 1851]
Séance du 6 Mai.
Sont présents MM. Berlioz, Massart, Hersant, Leprévost, Gastinel, Tajan Rogé, Cadaux, Kreutzer, Robert.
M. Berlioz remet aux mains de Mr le trésorier la somme de dix huit cent francs produit des deux concerts qui ont eu lieu au Jardin d’Hiver les 1er et 4 mai dernier.
Les entrepreneurs du Jardin d’Hiver adressent une lettre pour demander qu’une diminution leur soit accordée sur la somme stipulée avec eux. Ils soulignent que la société n’a fourni que 64 ou 65 musiciens. Mr Royer s’entendra avec Mr Berlioz à ce sujet.
Le comité décide que les enfants formant partie des chœurs auront droit à une part entière.
Une lettre sera adressée immédiatement au Ministère de l’Intérieur pour la demande d’une subvention.
Mr Roger est nommé rapporteur des travaux de la saison.
Les artistes de l’orchestre seront convoqués Samedi prochain à 2. h. pour le payment des deux concerts du Jardin d’Hiver.
Mr Massart écrit qu’il ne peut se charger de garder chez lui la musique appartenant à la société. Mr Roquemont s’en chargera provisoirement. — Le comité se réunira mardi prochain [13 mai].[Signatures] D. Tajan-Rogé Cadaux L. Kreutzer Leprévost Gastinel Robert L. Massart Charpentier Hersant H. Berlioz
Séance du 9 Juin.
Sont présents: MM. Gastinel, [Tajan] Rogé, Cajani, Aulagnier, L. Kreutzer, Charpentier.
Le comité décide que dans le cas où une troisième répétition serait nécessaire pour le concert de la salle Barthélémy le vice Président demanderait une somme de 500 f de surplus pour cette répétition. — Le comité arrête son choix pour le concert sur l’ouverture du Carnaval romain.
Le règlement au sujet des retenues sera appliqué pour ce concert comme pour ceux de la société Ph[ilharmonique].
Une lettre sera adressée à Mr Berlioz pour lui demander s’il pourrait venir à Paris pour diriger l’orchestre de la société.
Le comité décide que dans le cas où Mr Reyer voudrait absolument diriger le concert après toutes démarches faites pour que la première partie soit dirigée par un des membres de la société Mr le vice président devra céder à ses instances.
Il sera fait à cet effet des lettres autographiées.[Signatures] C. Aulagnier Charpentier Leprévost L. Kreutzer
[Voir l’image de ce document. — Voir le concert du 24 juin 1851; Berlioz était à Londres du 10 mai au 28 juillet 1851 et ne put évidemment revenir à Paris pour diriger le concert]
Séance du 26 Septembre.
Sont présents MM. Berlioz, Hersant, Cadaux, Seligmann, L. Kreutzer, Aulagnier, Leprévost.
M. Tuvin fait une proposition au comité. Il s’agirait de l’exécution de deux concerts, à la Salle Barthélémy. Une somme de 1500 f serait allouée pour chacun de ces concerts.
Ces concerts auront lieu de 8 à 15 jours de distance l’un de l’autre.
Le comité accepte cette proposition et fera les convocations nécessaires pour réunir l’orchestre et les chœurs.[Signatures] Seligmann, J. Cadaux, Hersant, Robert, L. Kreutzer [de la main de Berlioz] pour MM. Leprévost et [Tajan] Rogé H. Berlioz
Séance du 16 octobre 1851.
Sont présents M.M. Berlioz, Cajani, Cadaux, Charpentier, Kreutzer, Becquié, Tajan Rogé.
Mr Berlioz dit au comité que les entrepreneurs de la salle Barthélémy ne proposent que le dépot de 1,500 frs, prix convenu du premier concert, au lieu de 3,000 frs prix convenu d’avance pour les deux.
Le comité rejette à l’unanimité cette proposition. La Société ne bougera qu’après le dépot des 3,000 frs.
Le comité décide de plus que pour éviter tout malentendu quelconque, Mr Berlioz exigera des entrepreneurs en cause une déclaration écrite par laquelle ces Messieurs devront faire l’abandon, à notre société, des 3,000 frs déposés, dans le cas où, pour des causes indépendantes de la société philharmonique, il n’était donné qu’un seul concert au lieu de deux, le premier devant entraîner un surcroît forcé de répétitions. — Il est décidé que sans une réponse écrite accusant l’acceptation de cette dernière proposition nul ne se déplacera.[Signatures] Becquié, Cajani, D. Tajan Rogé, L. Kreutzer, M. Cadaux, Charpentier [La signature de Berlioz manque]
[Voir l’image de ce document]
© (sauf indication contraire) Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page. Cette page créée le 1er janvier 2017.
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