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Naples et la Campanie

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    Le voyage de Berlioz à Naples et en Campanie en octobre 1831 est un des grands moments de son voyage en Italie; il est connu par les lettres qu’il écrit à l’époque à sa famille et à ses amis (CG nos. 244, 246-8, 258), et par deux chapitres des Mémoires (40-41); les lettres fournissent nombre de détails qui manquent dans les Mémoires. Mais le voyage a lieu fortuitement et ne faisait pas partie des plans de Berlioz (il est à court d’argent depuis son équipée de Nice en avril et mai). Le récit des Mémoires est clair là-dessus (chapitre 40):

[…] Je dormais un jour dans le bois de lauriers de l’Académie, roulé dans un tas de feuilles mortes, comme un hérisson, quand je me sentis poussé du pied par deux de nos camarades: c’étaient Constant Dufeu, l’architecte, et Dantan aîné, le statuaire, qui venaient me réveiller. 
     — Ohé! père la joie! veux-tu venir à Naples? nous y allons. 
     — Allez au diable! vous savez bien que je n’ai plus d’argent. 
     — Mais, jobard que tu es, nous en avons et nous t’en prêterons! 
Allons, aide-moi donc, Dantan, et levons-le de là, sans quoi nous n’en tirerons rien. Bon! te voilà sur pied!... Secoue-toi un peu maintenant; va demander à M. Vernet un congé d’un mois, et dès que ta valise sera faite, nous partirons; c’est convenu. 
Nous partîmes en effet.

    Le sculpteur Dantan est l’auteur d’un médaillon de Berlioz fait à Rome en 1831.

    Le voyage est bien différent des nombreuses excursions faites pendant l’été par Berlioz autour de Subiaco et dans les Abruzzes, seul et à pied, et muni d’un fusil et de sa guitare. Cette fois il fait le voyage ‘bourgeoisement en voiturin’, comme il l’admet dans le même chapitre des Mémoires, avec plusieurs compagnons, sans fusil ni guitare, et pour voir le pays comme n’importe quel autre touriste de l’époque.

    Les lettres de Berlioz (particulièrement CG nos. 244 et 246) permettent d’établir une chronologie assez exacte de son voyage qui fait défaut dans le récit des Mémoires. Berlioz a dû quitter Rome à la fin de septembre, puisqu’il arrive à Naples le 1er octobre. Le 2 octobre il visite le Pausilippe et le ‘Tombeau de Virgile’, et entre le 3 et le 5 octobre il fait une excursion à pied avec plusieurs companions au Vésuve. Le 6 octobre il reste à Naples; le lendemain il fait une excursion solitaire à l’île de Nisida et le soir admire le coucher du soleil du haut du Mont Pausilippe. Le 8 octobre il reste à Naples. Entre le 9 et le 12 octobre il visite les ruines de Pompéi avec quatre autres compagnons, puis Castellamare, et revient à pied tout seul à Naples. Il quitte finalement Naples le 14 octobre.

    Par rapport à Rome, Naples séduit Berlioz d’emblée (CG no. 244, 2 octobre, à sa famille):

[…] Rien n’efface ou même n’égale ce golfe qui se déroule devant moi, ce Vésuve fumant, cette mer couverte de barques […] tout ce peuple bigarré qui se précipite dans les rues […] Quelle vie !… Quel mouvement ! Quelle étincelante agitation ! Comme tout cela diffère de Rome, de ses habitants endormis, de son sol nu, dépouillé, inculte et désert ! Les champs Romains si sévèrement mélancoliques sont aux plaines Napolitaines ce que le passé est au présent, la mort à la vie, le silence à un bruit harmonieux et éclatant. […]

    Avec le recul du temps les souvenirs de Berlioz sont tout aussi vifs (Mémoires, chapitre 41):

Naples!!! ciel limpide et pur! soleil de fêtes! riche terre!
Tout le monde a décrit, et beaucoup mieux que je ne pourrais le faire, ce merveilleux jardin. Quel voyageur, en effet, n’a été frappé de la splendeur de son aspect! Qui n’a admiré, à midi, la mer faisant la sieste, et les plis moelleux de sa robe azurée et le bruit flatteur avec lequel elle l’agite doucement! Perdu, à minuit, dans le cratère du Vésuve, qui n’a senti un vague sentiment d’effroi aux sourds roulements de son tonnerre intérieur, aux cris de fureur qui s’échappent de sa bouche, à ces explosions, à ces myriades de roches fondantes, dirigées contre le ciel comme de brûlants blasphèmes, qui retombent ensuite, roulent sur le col de la montagne, et s’arrêtent pour former un ardent collier sur la vaste poitrine du volcan! Qui n’a parcouru tristement le squelette de cette désolée Pompéi, et, spectateur unique, n’a attendu, sur les gradins de l’amphithéâtre, la tragédie d’Euripide ou de Sophocle pour laquelle la scène semble encore préparée! Qui n’a accordé un peu d’indulgence aux mœurs des lazzaroni, ce charmant peuple d’enfants, si gai, si voleur, si spirituellement facétieux, et si naïvement bon quelquefois? […]

    Une lettre à sa famille décrit plus longuement sa visite à Pompéi (CG no. 246, 17-21 octobre):

[…] Depuis ma dernière lettre, j’ai visité les illustres débris de Pompéï; je ne veux pas vous assommer d’une description de ce squelette de ville, mais à coup sûr, c’est au niveau de ce qu’on peut d’avance s’en figurer. Mes quatre compagnons de voyage et le cicerone gâtaient beaucoup, toutefois, mon petit monde antique; ce n’est pas là l’effet de Pompéï. Je pestais en moi-même contre les circonstances qui m’empêchaient d’être seul, errant, la nuit, au travers des colonnes et des ombres de colonnes, vu de la lune seulement, et libre de me livrer à tous les caprices de mon impressionnabilité (pour ne pas toujours dire imagination). Il doit être beau de pouvoir rêver ainsi au milieu du silence, marchant sur ces grandes dalles polies, dans ces longues rues retentissantes, à travers les temples et les palais; d’aller s’asseoir dans le grand Théâtre tragique, penser aux Sophocles, aux Euripides; de voir en frémissant s’agiter derrière le nuage du passé, au milieu de l’immense Amphithéâtre, les Gladiateurs, les Lions, les Tigres, et, plus effrayant encore, ce peuple altéré de sang, poursuivant de regards avides le cœur de la victime déchirée par l’ongle ou par le fer d’un animal désespéré, et applaudissant à ses dernières pulsations. J’aurais bien voulu dormir dans un de ces jolis appartements pavés de mosaïques qu’on se figure peuplés de belles, drapées à la grecque, au regard fier, impérieux, qu’environnaient de ravissantes esclaves jouant de la lyre et chantant la volupté. Mais tout cela est impossible. Il y a des gardiens partout, qui vous suivent d’un œil attentif; je n’ai pas seulement pu voler pour mon père un pauvre petit débris de fresque ou de mosaïque. […]

Au cours de son voyage à Naples, Berlioz assiste à un concert au vaste théâtre de San Carlo, comme il raconte dans ses Memoires (Chapitre 41):

[…] à Saint-Charles ... pour la première fois depuis mon arrivée en Italie, j’entendis de la musique. L’orchestre, comparé à ceux que j’avais observés jusqu’alors, me parut excellent. Les instruments à vent peuvent être écoutés en sécurité ; on n’a rien à craindre de leur part ; les violons sont assez habiles, et les violoncelles chantent bien, mais ils sont en trop petit nombre. Le système général adopté en Italie de mettre toujours moins de violoncelles que de contre-basses, ne peut pas même être justifié par le genre de musique que les orchestres italiens exécutent habituellement. Je reprocherais bien aussi au maestro di capella le bruit souverainement désagréable de son archet dont il frappe un peu rudement son pupitre ; mais on m’a assuré que sans cela, les musiciens qu’il dirige seraient quelquefois embarrassés pour suivre la mesure... A cela il n’y a rien à répondre ; car enfin, dans un pays où la musique instrumentale est à peu près inconnue, on ne doit pas exiger des orchestres comme ceux de Berlin, de Dresde ou de Paris. Les choristes sont d’une faiblesse extrême ; je tiens d’un compositeur qui a écrit pour le théâtre Saint-Charles [sans doute Julius Benedict], qu’il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, d’obtenir une bonne exécution des chœurs écrits à quatre parties. Les soprani ont beaucoup de peine à marcher isolés des ténors, et on est pour ainsi dire obligé de les leur faire continuellement doubler à l’octave.

    Pour ce qui est de la musique Naples pour Berlioz l’emporte sur Rome, mais il précise quand même: ‘L’attrait musical des théâtres de Naples ne pouvait lutter avec avantage contre celui que m’offrait l’exploration des environs de la ville’ (Mémoires, chapitre 41). Mais le 8 octobre au cours de la visite du musée où sont exposés des instruments anciens trouvés dans les ruines d’Herculanum, il a l’occasion d’essayer deux paires de ‘cymbales antiques’ (CG no. 244): il les utilisera plus tard dans le scherzo de la Reine Mab de Roméo et Juliette et dans un ballet des Troyens.

    Berlioz aurait voulu poursuivre ses explorations aux alentours de Naples, mais le manque d’argent l’oblige à écourter son séjour: il ne peut voir Paestum, Salerno et Amalfi (CG no. 244), et il doit renoncer au projet de se rendre en Sicile (CG nos. 246, 269). Mais pour le voyage de retour Berlioz en profite pour revenir à un mode de transport qu’il préfère (CG no. 246, 17-21 octobre, à sa famille):

Je suis parti de Naples vendredi dernier [14 octobre] à pied avec deux officiers suédois qui parlent fort bien le français et sont d’une société fort aimable. Cette manière de parcourir le pays est incomparablement plus agréable que les moyens ordinaires ; dans ce moment surtout ; le soleil ne brûle plus, le sirocco ne souffle pas, les fruits sont murs, on vendange partout, il fait un petit air frais délicieux ; c’est le beau moment de l’Italie. […] Nous n’avons eu encore d’autre inconvénient que la fatigue et des disputes pour des poires ou des raisins ou des figues volées quand les maîtres n’étaient pas là pour nous les vendre. Cette vie vagabonde est fort amusante; mes effets sont à la poste qui les porte à Rome; je n’ai que mon portefeuille, ma canne et ma bourse; et ce n’est pas du poids de celle-ci que je puis avoir à me plaindre, d’ailleurs il diminue graduellement à mesure que je me fatigue et finira par disparaître tout à fait au moment d’arriver. […]

    Les deux officiers suédois se nomment Mauritz Klingsporn et Carl Stephan Bennet; ce dernier tient un journal de route du voyage de Naples en compagnie de Berlioz, journal qui existe encore. Le voyage de retour prend une semaine et les mène par San Germano, Isola di Sora, Alatri et Arcino pour arriver finalement à Subiaco. Après y avoir séjourné trois jours ils continuent vers Tivoli et finalement Rome (CG no. 247). Berlioz est enchanté de son voyage, comme il l’écrit à son ami Thomas Gounet quelques semaines plus tard (CG no. 248, 28 novembre):

[…] Le mois dernier je suis revenu de Naples à pied, à travers les montagnes, par les bois, les rochers, les hauts pâturages, et je n’ai pris de guide qu’une fois. Vous ne sauriez croire le charme d’un pareil voyage : ses fatigues, ses privations, ses apparences de danger, tout cela m’enchantait ; j’y ai mis neuf jours que je me rappellerai longtemps. […]

Naples et les ruines de Pompéi en images

Sauf indication contraire, toutes les images sur cette page ont été reproduites d’après des gravures, journaux, cartes postales et anciennes photos dans notre collection. © Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.

L’original des gravures sur cette page a été donné par nous au Musée Hector Berlioz qui en détient le droit de reproduction.

1. Naples

Une éruption du Vésuve en 1843
Naples

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Cet évènement fut rapporté dans l’Illustrated London News du 11 décembre 1843.

La baie de Naples en 1860

Naples

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La baie de Naples au 19ème siècle
Naples

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Cette gravure sur acier, intitulée ‘Tôt le matin’, est l’œuvre de R. Wallis; elle date des années 1870 et est inspirée d’un dessin antérieur de l’artiste britannique William Callow (1812-1908).

La baie de Naples en 1880

Naples

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La baie de Naples vers 1900
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Le Vésuve
Naples

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‘Vue près de Naples’

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La carte postale ci-dessus reproduit un tableau de Camille Corot intitulé ‘Vue près de Naples’.

Pallonetto St. Lucia
Naples

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Porta Capuana

Naples

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2. Théâtre de San Carlo

Théâtre de San Carlo vers 1835

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Théâtre de San Carlo vers 1837

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La gravure ci-dessus fut publiée en 1837 dans Le Magasin Pittoresque, page 229. Une copie électronique de ce journal est disponible sur le site internet de la Bibliothèque nationale de France, Paris.

Théâtre de San Carlo vers 1837

Naples

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Ceci est la même gravure de la même page, prise à partir d’un exemplaire imprimé du journal et peint à la main par la suite par l’un de ses anciens propriétaires (maintenant de notre collection). L’épaisseur de la peinture se sent au toucher. 

Théâtre de San Carlo vers 1891

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La gravure ci-dessus fut publiée dans L’Italia Geografica Illustrata, 1891, page 221.

L’intérieur du Théâtre de San Carlo

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3.  Les Ruines de Pompéi

Le Théâtre au milieu du 19ème siècle

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Le Forum au 19ème siècle
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Pompéi au début du XXème siècle
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Pompéi au début du XXème siècle
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© Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page.

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