FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 26 AVRIL 1840 [p. 1-2]
MATINÉE MUSICALE DE LISZT.
Concerts.
Après une suite non interrompue de succès fabuleux en Italie, en Allemagne et en Hongrie, Liszt, en se rendant en Angleterre, est venu passer quelques jours à Paris. Il faut bien toujours y revenir dans cette capitale, capricieuse et blasée, quand on a, comme Liszt, le bonheur d’exciter l’admiration affectueuse de tout ce que la littérature et l’art contemporains comptent d’intelligences élevées ; l’aimant de pareilles sympathies est irrésistible.
Le plus imposant auditoire se pressait autour de lui lundi dernier dans les vastes salons de M. Erard. Chacun attendait avidement le moment où il se ferait entendre, pour juger par soi-même s’il était vrai, comme on l’assurait, que son immense talent eût encore grandi. Le doute à cet égard n’a bientôt plus été permis.
Le scherzo, l’orage et le final de la symphonie pastorale exécutés par ce piano-orchestre avec un éclat, une délicatesse, une variété de timbres inouïs, une fantaisie sur la dernière scène de la Lucia pleine de mouvement dramatique, des ballades de Schubert chantées dans le médium du clavier avec une expression à laquelle aucun chanteur n’a pu encore atteindre ; une étude d’un genre neuf, aussi remarquable comme composition qu’étonnante par les procédés d’exécution qu’elle met en lumière, et enfin le fameux galop chromatique, œuvre d’une originalité éblouissante, ont prouvé aux plus récalcitrans que l’insatiable virtuose avait énormément grossi son trésor de talent. Il a ajouté à l’inconcevable mécanisme qu’il possédait, des nuances d’une finesse exquise et certaines oppositions de sonorité qu’on ne peut croire possibles sur le piano qu’après les avoir entendues. Ces petites broderies flottant au-dessus d’un chant large et plein qu’elles enveloppent comme un imperceptible réseau harmonique, ces divers dessins d’accompagnement exécutés pianissimo par deux doigts pendant que les autres jouent forte, et la seconde main mezzo forte, ces vastes développemens d’accords qui ne peuvent s’écrire que sur trois lignes, au lieu des deux qui avaient suffi jusqu’ici, ces gammes en staccato dans le bas de l’instrument, sont autant de conquêtes que ce roi du piano vient d’ajouter à son magnifique domaine. Quant aux difficultés monstrueuses dont sa musique est semée, on les remarque à peine, tant il met d’aisance à les surmonter. Il n’a jamais eu plus d’entraînement dans la passion, plus de charme et de mélancolie dans la rêverie, et son émotion est aujourd’hui d’autant plus active qu’elle est plus contenue et qu’il sait mieux la maîtriser. Inutile de dire les acclamations qui ont suivi les morceaux à effet, et le recueillement profond avec lequel on a écouté ses méditations. Le public était digne de l’artiste.
Cette matinée est évidemment celle de cet hiver qui a offert aux artistes et aux amateurs le plus vif intérêt. Et pourtant nous avons à signaler les concerts de Batta et d’Artôt, celui d’Hauman, celui de Labarre, où ces artistes favoris du public ont obtenu et mérité de véritables ovations. Nous devons mentionner ensuite la séance de M. Mortier de Fontaine, l’un des meilleurs élèves de Liszt, où le bénéficiaire a fait exécuter la grande fantaisie de Beethoven pour chœur, orchestre et piano principal, qu’on entend si rarement, et pour laquelle M. Emile Deschamps avait écrit une nouvelle et excellente traduction ; le concert de M. Coste, l’habile guitariste, qui compose de si charmantes choses pour son instrument ; celui de Mlle Péan de la Rochejagu, qui doit aux leçons d’un illustre maître (l’auteur de Montano), la pureté harmonique, le sentiment vif et net de l’expression, mérites principaux de ses œuvres diverses ; celui de M. Schimond, jeune compositeur de beaucoup d’avenir, où s’est fait entendre avec grand succès Mlle Willès, une délicieuse voix de soprano, qui chantera comme la flûte de Dorus, quand l’étude l’aura un peu assouplie. Parmi les cantatrices, n’oublions pas de citer aussi Mlle Dobrée, pour la manière simple et élégante avec laquelle elle a chanté une scène de Fernand Cortez. Avec un peu plus de largeur dans son exécution, cette scène eût produit le double d’effet. Le mouvement en était trop précipité ; de là l’impossibilité d’exposer avec l’ampleur nécessaire les phrases principales.
Mlle Pauline Garcia a fait la fortune de plusieurs autres concerts, dont quelques uns étaient organisés cependant de manière à pouvoir se passer d’un si puissant auxiliaire. Celui de M. Osborne, où l’élégant pianiste irlandais a fait entendre pour la première fois un fort beau trio de sa composition, et celui de la France Musicale (l’un des plus brillans de la saison) sont dans ce cas. Parmi les morceaux curieux et intéressans que Mlle Garcia a chantés en allemand, en espagnol, en italien et en français, on a distingué le psaume de Marcello (I cieli immensi narrano), qu’on a fait répéter et couvert d’applaudissemens. La jeune cantatrice s’est surpassée dans l’exécution de ce chef-d’œuvre ; il est fâcheux seulement qu’on se soit permis d’écrire un accompagnement d’orchestre à la moderne pour ce chœur que l’auteur a cru suffisamment soutenu par une simple basse. Quand donc serons-nous délivrés de cette manie d’habiller toutes les époques comme la nôtre, de corriger les grands maîtres, de leur manquer de respect et de les insulter par une protection d’autant plus ridicule que les gens qui prétendent la leur accorder sont ordinairement fort loin de pouvoir les comprendre et d’être à leur hauteur ? C’est en grande partie la faute du public, c’est à son ignorance qu’il faut s’en prendre. Quelques leçons sévères données par lui suffiraient à rendre plus circonspects les protecteurs inconnus des hommes de génie. Si le public se prononçait énergiquement dans l’occasion si, en entendant un psaume de Marcello ainsi accommodé il s’écriait : « Faites taire ce petit misérable orchestre, l’auteur n’en est point coupable ! Ce psaume est en ut, pourquoi le chantez-vous en fa ? » très probablement on y regarderait à deux fois avant de prendre avec des maîtres illustres ces insolentes libertés. Je dois dire aussi, à propos de l’hymne magnifique dont il est ici question, que le mouvement qu’on lui a donné manquait de la grandeur que réclament évidemment et le style musical du temps et le sujet du poëme chanté et le caractère majestueux de la mélodie. On ne dit pas : « Les cieux immenses racontent la gloire de Dieu » sur un mouvement de marche.
Première représentation de l’Elève de Presbourg, paroles de feu Vial et de M. Th. Muret, musique de M. Luce.
On faisait relâche à l’Opéra ce soir là ; je ne sais à l’indisposition de quel dieu il faut s’en prendre ; ce qu’il y a de sûr c’est que
Deus nobis hœc otia fecit.
D’où il suit, chose étrange, qu’il y avait un peu moins de monde que de coutume à l’Opéra-Comique. Quand l’Opéra ne va pas, c’est un mauvais symptôme pour les autres théâtres ; aussi nous en voyons mourir, nous en entendons râler de tous côtés de ces bazars où l’on vend du mauvais français mal récité et de la musique de portiers mal chantée. Ce n’est pas précisément un mal ; je commence même à croire que c’est un bien. Quoi qu’en dise le vieil adage, il ne faut pas que tout le monde vive ; j’en vois aujourd’hui parfaitement la raison. Il serait pourtant fâcheux que l’Opéra-Comique vînt à mourir aussi, à présent qu’il va se trouver si somptueusement logé. Quelle ironie !… Un si petit cadavre dans un tel mausolée ! Mais... faisons notre devoir, et laissons faire au temps !
Ce devoir consiste à raconter le plus succinctement possible l’histoire de l’Elève de Presbourg. Je commence.
Il y avait une fois à Vienne un maître de chapelle nommé Kaster, autant qu’il m’en souvienne. Ce Kaster avait une fille charmante, qu’il dirigeait fort bien, et un excellent orchestre qu’il aimait de tout son cœur. Un jour, un petit jeune homme, vêtu comme un quaker, vient tout tremblant lui demander des leçons de composition. Il arrive de Presbourg et son premier maître l’a recommandé de la bonne manière à son confrère. « C’est un petit drôle, écrit le professeur, un extravagant, un ambitieux, un fou, qui prétend faire autrement que tout le monde, qui veut bouleverser les idées reçues. Il n’a point de dispositions, il ne parviendra jamais à rien. Je vous le recommande : il se nomme Joseph Haydn. » — Ah vous voulez réformer les idées admises en composition ! lui dit Kaster, cela fait pitié. Je ne puis rien pour vous, mon bon ami ; à moins que vous ne sachiez copier proprement la musique. — Oh ! si ce n’est que cela ! — Que cela ! voyons un peu. — Kaster lui donne une plume, une feuille de papier réglé, et Joseph Haydn, le petit polisson qui ne copiait pas ses maîtres, prouve à l’instant qu’il peut au moins très bien copier pour son maître. Kaster est même frappé de la distinction du fragment mélodique que le jeune homme vient de tracer. Haydn est admis ; on lui indique la mansarde où il pourra travailler et dormir, il est au comble de ses vœux. Bien plus, il vient de reconnaître dans la fille de son maître une jeune personne qu’il avait un jour aperçue à Presbourg qu’il n’a pu retrouver depuis lors, et pour laquelle, comme de raison, il nourrit en secret une ardeur sans pareille. On pense bien que la flamme de Mlle Kaster répond à la flamme de notre jouvenceau. Il n’y a qu’un petit obstacle à leur bonheur, c’est un gros compositeur italien, nommé Rondolino, dont Kaster est engoué, qui va faire exécuter à la chapelle impériale une cantate dont les artistes ne parlent qu’avec enthousiasme, et qui doit, bon gré mal gré, épouser Teresa. D’ailleurs Haydn est si pauvre que, pour vivre, il s’est vu forcé un jour de vendre à la livre chez un épicier tous ses manuscrits.
On voit bien que l’auteur de cette pièce n’a jamais composé de musique, autrement il n’eût pas supposé un fait aussi invraisemblable. On met sa montre en gage quand on en a une, on se défait de son avant-dernière chemise quand on en a deux, on mange du pain sec, on enseigne le solfège à dix sous la leçon, on joue de la flûte aux barrières, on barbouille par douzaines des contredanses, des duos de flageolet, des cavatines italiennes, on arrête une diligence s’il le faut, mais on ne vend pas au poids ses manuscrits.
Vous devinez que le gros Rondolino aura, chez l’épicier d’Haydn, acheté la partition dont on parle tant et qu’il donne pour sienne. En effet, c’est encore une invention des auteurs. J’ai peine à croire cependant qu’un sot de cette trempe, qui ne sait pas écrire correctement l’accompagnement de la plus misérable chansonnette, soit capable d’apprécier la valeur d’un pareil morceau de musique trouvé chez un épicier. Cela supposerait du tact, un jugement à l’abri des préventions et une intelligence dont il n’est pas doué.
Aussi se défend-il fort mal quand le pauvre Haydn entendant la fameuse cantate, reconnaît l’une de ses plus chères productions, accuse Rondolino de la lui avoir volée et le défie d’écrire ce qui manque pour compléter l’ouvrage. Stupeur et indignation de Kaster, évanouissement du gros Rondolino, joie de Teresa, attendrissement définitif de son père, poignée de main donnée à Haydn. « Viens dans mes bras, » etc., etc.
Il y a de jolies choses dans la musique de ce petit opéra. C’est clair, simple, sans prétentions, un peu trop fortement instrumenté pourtant, eu égard au peu de gravité des situations, mais toujours écrit avec soin. On a remarqué les couplets de Rondolino au commencement, un duo d’un effet agréable, et l’invocation à la mélodie. M. Luce est un artiste distingué de la ville de Lille, où la musique est cultivée avec tant de zèle et de succès. Son ouvrage sera sans doute soumis à l’appréciation de ses compatriotes, et leur jugement ne lui sera pas moins favorable que celui des Parisiens.
PUBLIÉE PAR LÉONARD CHODZKO.
Il est des impressions qui s’effacent avec le temps ; il en est d’autres qui se renouvellent toujours profondes, pénétrantes et de ce nombre sont celles qui se rattachent à la Pologne. Parler de la Pologne à la France, c’est réveiller ses plus chers souvenirs et ses plus vives sympathies. M. Léonard Chodzko, dévoué à sa patrie et persuadé de l’intérêt que son livre exciterait en France, a voulu nous faire assister à la vie tout entière de sa nation. Dans la Pologne illustrée ce savant écrivain nous fait connaître l’histoire politique, morale, intellectuelle, monumentale et artistique de la Pologne. Son talent et son dévouement ont été à la hauteur de sa tâche. La Pologne illustrée, ouvrage d’érudition et de conscience, couronne dignement les œuvres précédentes de M. Chodzko.
Mme Olympe Chodzko seconde avec bonheur et talent les généreuses intentions de son mari. La partie littéraire de l’ouvrage lui est confiée : elle produit tour à tour des légendes populaires, des romans, des mémoires, et sa plume spirituelle jette un charme puissant sur la Pologne illustrée.
Les gravures qui ornent cette édition sont magnifiques ; elles sortent du burin de James Hopwood, Outhwaite, Lerbalestier, Le Petit, Revel, Pilinski, etc.
Dans cette variété de belles et bonnes choses, d’enseignement et de distraction, nous avons remarqué des articles sur le théâtre polonais, par M. Albert Sowinski. Dans ce travail d’une haute portée, M. Sowinski passe en revue toutes les richesses musicales de la Pologne.Dans la Pologne pittoresque, il a déjà parlé des chants religieux et des chants de guerre, depuis l’hymne de Boga-Rodzica jusqu’au Mazurck-Dombrowski ; mais c’est la musique populaire qui offre en Pologne le champ le plus vaste aux compositeurs qui veulent donner à leurs productions un cachet national. Dans les articles sur les Mazurcks et les Krakoviaks, l’auteur donne des détails historiques sur les chants populaires les plus remarquables ; des planchés gravées accompagnent ses observations. Chaque province a ses airs particuliers qui diffèrent entre eux par la mélodie et par le rhythme. Les Mazurcks, par exemple, ne sont pas les mêmes partout ; celles de la Grande-Pologne sont plus gaies, plus dansantes, que celles de la Petite Pologne. Celles des provinces méridionales ont un accent mélancolique plus prononcé.
Rien de plus suave, de plus touchant que les dumki, dont M. Sowinski raconte l’origine, comme un homme qui a conservé dans le cœur le souvenir des premiers chants qui ont bercé son enfance. Les steppes de l’Ukraine, si arides en apparence, ont une musique qui leur est propre. Le Dnieper roule ses eaux au milieu de plaines où retentissent les chants des Kosaks libres. Il y a quelque chose d’ossianique dans ces rêveries plaintives de l’Ukraine. Arrivant ensuite à l’ancienne musique lithuanienne, M. Sowinski donne plusieurs daïnos, chants mythologiques d’une haute antiquité dont les airs n’ont été notés que dans le siècle dernier. Ces chants, d’une grande simplicité, se rattachent, les uns à des faits historiques, les autres à des croyances religieuses. Les musiciens studieux ou seulement curieux, trouveront dans l’examen de ces antiques et sauvages mélodies, des sujets d’observations intéressantes.
PAR M. ZIMMERMAN.
Cet ouvrage, récemment publié, obtient un grand succès. Le professeur dont la classe a produit au-delà de cent lauréats pouvait sans présomption s’attendre à un pareil résultat.
L’Encyclopédie a pour but de réunir en un seul volume (et ce volume est composé d’environ 200 pages) les divers traités utiles à celui qui veut devenir un pianiste dans la belle acception du mot. C’est la première fois qu’un travail de cette importance est publié en un seul corps d’ouvrage.
La première partie est une méthode de piano tout-à-fait élémentaire.
La seconde nous semble d’autant plus précieuse, que jusqu’à ce jour on n’avait fait de méthode que pour les commençans, et qu’au contraire cette seconde partie s’adresse surtout aux pianistes déjà habiles. On y trouvera la réunion de toutes les difficultés qui caractérisent l’école moderne à laquelle MM. Liszt, Chopin et Thalberg ont fait faire tant de progrès.
L’auteur avance que l’élève qui aura accompli avec soin et intelligence la tâche qu’il lui impose sera bien près d’être un excellent virtuose. L’expérience du maître nous fait croire à son assertion.
Cette seconde partie est terminée par une série d’études et de fugues. En tête de quelques pièces se remarquent les noms de Mozart, Cherubini, etc., etc. Il est vrai qu’on y trouve aussi le nom de M. Fétis, qui a arrangé pour six mains l’air au clair de la lune et nous devons avouer que l’inspiration nécessaire à un pareil travail ne lui a pas manqué.
La troisième partie contient en 77 pages l’art du compositeur tout entier : traité d’harmonie, de contre-point et fugue, traité de composition appliquée à l’orchestre, au théâtre, et au piano en particulier.
Ce qu’il faut remarquer dans cette troisième partie, c’est la connexité qui lie entre eux les divers traités. J’appuie d’autant plus sur ce point qu’on ne connaît pas deux ouvrages traitant de la composition qu’il soit possible de mettre complètement d’accord. L’unité qui règne dans l’Encyclopédie abrégera nécessairement les études en les rendant plus faciles.
L’ouvrage que M. Zimmerman a composé pour le Conservatoire ne s’arrêtera sans doute pas à cette seule destination ; M. Zimmerman a remporté naguère au concours la place de professeur de composition à l’Ecole Royale de Musique. Les traités qu’il publie aujourd’hui peuvent donc être considérés comme très orthodoxes.
M. de Pons, après un séjour de dix ans en Italie, où il s’est fait avantageusement connaître comme chanteur et comme compositeur, s’est décidé à ouvrir une Ecole pour l’enseignement général de la musique. Il y démontrera le chant français et italien et la composition, d’après les méthodes des plus grands maîtres.
Pénétré de l’idée qu’à part de fort rares exceptions, il faut être grand musicien pour devenir grand chanteur, il n’admettra d’élèves dans les classes de vocalisation et de chant que ceux qui seront parvenus à lire assez couramment à première vue.
Pour donner plus d’extension à l’Ecole de Musique, M. de Pons a eu l’heureuse idée de fonder une société par actions, composée de cent vingt membres, qui jouiront de l’avantage d’envoyer un ou plusieurs élèves pour suivre les cours de musique à moitié prix, et recevront en outre 5 pour 100 d’intérêt du montant de leur action, qui est de 100 fr. Les méthodes ni les maîtres ne nous manquent, vous le voyez. O Parisiens endurcis ! apprenez donc la musique, une fois pour toutes, que diable !
Nouvelles Eludes pour le Piano
DE M. STEPHEN HELLER.
La littérature musicale est si riche en études, nous en possédons tant et de si excellentes, qu’on ne saurait trop s’étonner de la multitude de compositions de ce genre qu’on publie chaque jour, si l’on ne savait en même temps à quoi s’en tenir sur ce qu’on appelle Etudes à présent. Ce titre ne s’appliquait autrefois qu’aux œuvres écrites principalement dans le but de perfectionner le mécanisme des doigts ; on s’en sert aujourd’hui d’une manière très vague et très libérale pour des compositions aussi différentes de style que de forme. C’est maintenant le titre de prédilection, le titre à la mode, devenu le passeport de mille productions dont le public et les éditeurs ne voudraient pas, si elles en portaient un autre, et qui pourtant n’ont presqu’aucun rapport avec des études dans l’ancienne acception du mot. C’est sous ce point de vue qu’il faut considérer les études de M. Heller. Qu’on ne s’attende pas à trouver ces morceaux d’une difficulté presque inabordable, qui, dépourvus de tout intérêt musical, fatiguent également et l’exécutant et l’auditeur. Loin de là ; ce qu’on nous donne ici sous ce titre banal, ce sont des Impromptus, des Lieder, des Eglogues, des Intermèdes, des Rondeaux, des Esquisses, des feuillets d’album, etc. ; c’est un charmant recueil de petits morceaux caractéristiques, spirituels, remplis de grâce et d’originalité, riches de mélodies simples et neuves, pleins d’âme et de sentiment. Les plus belles combinaisons d’harmonie et de modulation, l’habileté avec laquelle l’auteur sait traiter ses thèmes, et une facture des plus remarquables, donnent à ces compositions un grand prix pour les connaisseurs comme pour les amis de la musique qui veulent la goûter sans aucun travail intellectuel.
Dans ces vingt-quatre études il y en a de graves, de sérieuses, d’autres charment par un sentiment profond, par une douce mélancolie ou par une physionomie gaie et enjouée. Il y en a donc pour les goûts les plus opposés.
Il est probable cependant que les numéros 6, 7, 14, 21, 23, plairont à peu près à tout le monde, pourvu que l’exécutant se donne la peine de les étudier soigneusement pour en bien saisir l’intention et l’esprit et s’identifier le plus possible avec la pensée poétique qui les a dictés. M. Heller publiera prochainerhent un scherzo pour piano seul intitulé la Chasse. Nous l’avons entendu plusieurs fois exécuter [par] l’auteur, et nous devons le signaler comme une des productions les plus originales et les plus brillantes que puissent convoiter les pianistes.
M. Rosenheim, virtuose allemand, dont une excessive modestie voile seule le mérite, a également fait en ce genre des choses ravissantes ; entre autres, le Rêve du Pêcheur, que j’écouterais des heures entières sans pouvoir m’en lasser, et une scène dramatique vraiment saisissante par la nouveauté des idées et surtout par l’inspiration passionnée qui y domine d’un bout à l’autre. Ce morceau ne tardera pas à être publié.
H. BERLIOZ.
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er janvier 2016.
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