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L’ouverture connue maintenant comme celle du Corsaire est un des morceaux d’orchestre les plus brillants et populaires de Berlioz, et cependant on sait relativement peu sur sa genèse; les Mémoires du compositeur n’en font pas mention et sa correspondance n’y fait allusion que brièvement. L’ouverture ne reçut que peu d’exécutions du vivant de Berlioz, et à l’encontre de plusieurs de ses autres ouvertures (comme les Francs-Juges, le Roi Lear ou le Carnaval romain) elle ne faisait pas partie de son répertoire de concert régulier. En fait, elle fut sans doute entendue plus souvent sous la ;baguette d’autres chefs d’orchestre que sous celle du compositeur lui-même.
Depuis son premier séjour à Nice en avril-mai 1831, au cours duquel il composa l’ouverture du Roi Lear, commença celle de Rob Roy ainsi que le Mélologue, Berlioz affectionnait particulièrement cette ville. Après les fatigues du grand Festival de l’Industrie qu’il organisa en 1844 et qui eut lieu le 1er août, Berlioz ajourna le voyage qu’il projetait à Bade pour aller, sur les conseils de son ami le Dr Amussat, passer le mois de septembre à Nice. Dans ses Mémoires (chapitre 53) Berlioz évoque en quelques lignes son séjour dans cette ville, mais il passe sous silence le fait qu’il y avait commencé une nouvelle ouverture, appelée la Tour de Nice du nom de la tour oü il avait séjourné (et qu’il nommait la Tour des Ponchettes). La première allusion à cette nouvelle ouverture se trouve dans une lettre du 5 novembre 1844 à sa sœur Nancy (CG no. 924). Elle reçut sa première exécution à un concert le 19 janvier 1845, le premier d’une série de concerts que Berlioz donna dans les premiers mois de 1845 au Cirque Olympique (CG nos. 934, 937). Le nouvel ouvrage n’eut semble-t-il que peu de succès, selon un bref compte-rendu par dans Le Ménestrel du 26 janvier. L’auteur d’un autre compte-rendu plus détaillé dans l’Illustration du 25 janvier avait évidemment du mal à comprendre l’ouvrage:
De tous les morceaux qui ont été exécutés dans ce concert, un seul était nouveau. C’est une ouverture intitulée : Ouverture de la Tour de Nice, sans doute parce que M. Berlioz l’a composée dans cette ville, où il a fait récemment un voyage. C’est une compostion extrêmement originale, pleine d’effets fantastiques et de caprices bizarres. On dirait un conte d’Hoffmann. Cela vous jette dans un malaise indéfinissable ; cela vous tourmente comme un mauvais rêve, et remplit votre imagination d’images étranges et terribles. Assurément cette tour de Nice est habitée aujourd’hui par des centaines de hiboux et d’orfraies, et les fossés qui l’entourent sont remplis de couleuvres et de crapauds. Peut-être a-t-elle servi de retraite à des brigands ou de forteresse à quelque tyran du moyen âge ; peut-être quelque prisonnier illustre, quelque belle innocente et persécutée y ont-ils expiré dans les angoisses de la faim, ou sous le fer des bourreaux. Vous pouvez tout supposer et tout croire quand vous entendez ces violons qui grincent, ces haut-bois qui croassent, ces clarinettes qui gémissent, ces basses qui grondent, ces trombonnes qui râlent. L’Ouverture de la Tour de Nice est l’ouvrage le plus étrange et le plus curieux peut-être qu’ait jamais enfanté l’imagination d’un musicien.
Berlioz n’était visiblement pas satisfait de l’ouvrage dans son état actuel, mais à l’encontre de ce qu’il avait fait avec l’ouverture de Rob Roy en 1832 il ne le condamna pas, mais le soumit à une révision profonde au cours des années à venir, entre 1845 et 1852, sans qu’on ait d’ailleurs une idée plus précise de l’évolution de ce travail. Il se trouve qu’il existe une partie de premier violon complète de la version originale de l’ouverture, telle qu’elle fut jouée le 19 janvier 1845. Elle ne permet pas une reconstruction complète de l’original mais donne au moins une idée de la forme de l’ensemble (voir NBE tome 20, pp. XX-XXI et l’Appendice III pp. 332-52); on peut en outre en tirer deux conclusions. D’une part l’original était presque d’un tiers plus long que la version définitive (664 mesures contre 463); le travail de révision eut donc pour résultat d’aboutir à une plus grande concision, démarche qu’on peut observer ailleurs chez Berlioz là où il est possible de comparer deux versions successives d’un même morceau (comme c’est le cas pour l’ouverture de Benvenuto Cellini). D’autre part le matériau thématique essentiel de la version définitive remonte à la version originale. En outre Berlioz décida de modifier le titre de l’ouverture, qui devint pour finir tout simplememnt le Corsaire (Berlioz avait pensé d’abord au titre le Corsaire rouge d’après le roman de Fenimore Cooper). On ne sait au juste ce que Berlioz voulait signifier par ce changement de titre, ni si le nouveau titre avait un sens précis et n’était pas tout simplement évocateur de musique de la mer. Berlioz, admirateur de longue date des écrits de Byron, raconte dans ses Mémoires (chapitre 36) avoir lu le Corsaire de Byron dans Saint-Pierre à Rome en 1831, mais ni là ni alleurs dans ses écrits n’établit-il de lien avec son ouverture du Corsaire.
L’ouverure fut publiée en 1852 (CG no. 1471), sans d’ailleurs avoir été exécutée dans sa nouvelle version. Le dédicataire en était le critique et écrivain de Londres James Davison, ami de Berlioz (CG no. 1514). Berlioz n’eut jamais l’occasion de diriger l’ouvrage à Paris, et n’en donna que deux exécutions tout au long de sa carrière, la première à Brunswick le 8 avril 1854 (CG nos. 1722 [NL p. 401], 1725), la deuxième à Weimar le 17 février 1856 (CG no. 2100). Pourquoi n’a-t-il pas cherché à la faire entendre plus souvent? Mystère. L’ouverture ne fut jouée qu’une seule fois à Paris (1er avril 1855); Berlioz avait cherché à dissuader Pasdeloup de s’en charger (CG no. 1930), , mais en l’occurrence c’est un autre chef d’orchestre, Barbereau, qui la dirigea. D’un autre côté, d’après une lettre de 1863, l’ouverture était souvent jouée en Allemagne à l’époque: ‘mon ouverture du Corsaire se joue partout, et je ne l’ai, moi, entendue qu’une seule fois’, écrit Berlioz (CG no. 2714; en fait il a dû l’entendre au moins deux fois). Elle resta populaire après la mort du compositeur: l’un de ses plus ardents admirateurs était Hans von Bülow, qui la connaissait bien: il avait demandé à Berlioz la permission d’en faire une réduction pour piano, ce qu’il fit à la satisfaction du compositeur (CG nos. 2098, 2100, 2218). Dans son répertoire Berlioz l’ouverture du Corsaire était une pièce de résistance qui figurait souvent dans ses programmes (voir la Table des concerts).
Comme l’a fait remarquer Tom Wotton dans une analyse détaillée du Corsaire (Berlioz, Four Works [1929], pp. 44-52), l’ouverture n’a pas de programme et se comprend aisément en termes purement musicaux. La forme suit celle de toutes les ouvertures de Berlioz à partir de celle de Benvenuto Cellini: une allusion rapide à l’allegro principal précède le mouvement lent (en la bémol) dont la quasi-immobilité fait contraste avec l’énergie débordante de l’allegro (en ut majeur). Les deux parties sont fondues ensemble par le retour du thème de l’adagio comme second sujet de l’allegro (mesures 196-255, avec une anticipation aux mesures 174-195, puis encore mesures 319-345), mais modifié dans son caractère. Les toutes dernières mesures résument les deux tonalités contrastées de l’ouverture, la bémol et ut majeur. Les traits brillants des violons (mesures 1-17, 72-88, 266-282) sont peut-être inspirés par l’exemple de Weber (voyez les ouvertures du Freischütz, d’Euryanthe, et d’Obéron), mais la débordante vitalité de l’ouvrage est bien de Berlioz.
Ouverture:
Le Corsaire (durée 8’6")
— Partition en grand format
(fichier créé le
22.02.2000; révision le 14.09.2001)
— Partition en format pdf
© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.
Cette page revue et augmentée le 1er avril 2022.