FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS
DU 18 DÉCEMBRE 1841 [p. 1]
THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.
Première représentation de Mlle de Mérange, opéra-comique en un acte, de MM. Leuven et Brunswick, musique de M. Henri Potier.
Encore l’Opéra-Comique ! On ne s’endort pas dans ce théâtre-là ; et même, pour être juste, il faut convenir qu’on s’endort peu dans la salle depuis quelque temps. Les nouvelles pièces sont gaies pour la plupart, et, Riquier aidant, on rit et l’on s’amuse parfois assez franchement. Et puis on s’avise d’y chanter ; Roger et Masset font des progrès de jour en jour plus sensibles ; leur voix se développe, elle prend du corps et du timbre. Ils ont toujours les honneurs du bis dans la romance de Richard, cette admirable complainte d’un sentiment si touchant, d’un coloris si vrai, que Grétry eut, dit-on, la bonhomie d’emprunter à son ami d’Aleyrac, sans le prévenir, et qu’il ne lui a jamais rendue. L’Opéra-Comique semblerait donc en voie de prospérité, grâce à quelques anciens chefs-d’œuvre remontés avec soin, deux ou trois jolis opéras nouveaux et aux deux jeunes ténors que je viens de nommer, s’il était mieux partagé du côté des soprani. Mais ces dames, qui toutes ont des succès foudroyans à l’étranger, s’obstinent, quand elles nous reviennent, à faire pour leurs prochains voyages des économies de talent dont s’affligent profondément les pauvres Parisiens. Ah ! qu’on devrait bien, en s’y prenant adroitement, leur faire faire un jour quelque bonne folie ! Une fois en train, jetant leur bonnet par dessus les moulins, elles seraient capables de prendre sur leurs capitaux, de se lancer dans la dépense, et de nous donner de ces voix admirables, de ces méthodes exquises, de ces beaux élans dramatiques, dont les journaux imprimés hors de France font de si délirantes descriptions. Nous aurions tant de reconnaissance, si ces dames voulaient chanter ici comme elles chantent dans leurs tournées triomphales de Bruxelles, d’Anvers, de Londres, de Saint-Pétersbourg, de Milan, de Monaco !…….. Mais bah ! tout le monde se range aujourd’hui ; où est le temps des Saint-Aubin, des Scio, des Philis, des Gavaudan, femmes généreuses qui n’avaient rien à elles ! les prime donne de l’Opéra-Comique, à quelques exceptions près, n’ont au contraire rien pour nous. Et l’exemple de cette ladrerie systématique gagnera de proche en proche les autres théâtres lyriques. Déjà Mlle de Roissy, jeune cantatrice de l’Opéra qui, lors de ses débuts, ne montra ni grand talent, ni grande voix, excite chez les Belges un enthousiasme qu’il est inutile de chercher à décrire ; on l’étourdit de bravos, on l’ensevelit sous les fleurs ; tant, pour ses trois mois de congé, elle avait fait d’économies ! Eh bien ! vous verrez qu’à son retour elle remettra sous clef ce magnifique écrin musical dont nos voisins sont éblouis. Si j’étais Parisien….. je me fâcherais…..
Il faut pourtant distinguer, à l’Opéra-Comique, Mme Thillon. Celle-là n’a jamais été portée en triomphe à Monaco, et, tout Anglaise qu’elle est, elle chante pour les Français sans arrière-pensée. Mme Thillon, bien placée partout où il ne faut que de la grâce et de la gentillesse, possède une voix fraîche qui ne manque ni d’agilité ni de justesse. Elle prononçait mal, elle prononce mieux. On ne peut plus lui reprocher, dans Richard, de dire : « Je vos aime. » Quelqu’un lui aura dit : vous !…. Mme Rossi a un soprano très fin et très étendu dans le haut ; son bonheur est de gazouiller des ut et des ré aigus à mezza voce. Cet effet de sérinette, amusant ou agréable une fois l’an, devient fastidieux à l’entendre tous les mois ; mis au répertoire de chaque jour, il est insupportable. Les notes suraiguës paraissent naturelles à Mme Rossi autant qu’à une petite clarinette en mi bémol. Mme Potier, jolie blonde, à la voix blonde aussi, a besoin pour chanter juste de n’être point émue. Malheureusement elle n’a pas encore pu s’accoutumer complètement au grand jour de la rampe ; d’où il suit que le sang-froid lui manque fort souvent. Mme Capdeville a de la peine à monter; de là une habitude de porter la voix de bas en haut qui nuit beaucoup à la justesse et à la pureté de son chant. Nous avons encore Mlle Descot, Mlle Darcier, Mlle Félix, Mlle Révilly, Mlle Henri, Mlle Mélotte !!! Ces demoiselles auront certainement avant peu d’immenses succès à Varsovie, à la Havane et à Botany-Bay ! Elles font de fières économies !…… Il n’y a plus de patriotisme !…. Voyons l’opéra nouveau.
Mlle de Mérange (c’est le nom du personnage et non celui de l’actrice), proche parente, à ce qu’il me paraît, de Mlle de Belle-Isle, cette charmante fille d’Alexandre Dumas, aime en secret un comte de Marcillac, roué de la cour de Louis XVI. A la suite d’un dîner un peu gai, Marcillac parie mille louis avec Gabriant, l’un des convives, qu’il n’y a pas à la cour une femme capable de lui résister, et dont il ne puisse prouver la défaite, si on lui donne vingt-quatre heures pour faire le siège de son cœur. Le pari est accepté. La première qui se présente, — ville déjà prise, ville abandonnée, ville démantelée. La seconde, — « Oh mon cher, dit Marcillac, je ne veux pas te voler ton argent… avant-hier soir, elle m’a appelé monstre ! » Gabriant a lieu de craindre pour ses mille louis, quand on aperçoit, rêvant dans une avenue du jardin de Versailles, Mlle Blanche de Mérange. L’aspect de cette charmante jeune fille, dont le nom ne se trouve point dans les mille e tre de notre don Juan, l’intimide un peu. Il fait cependant bonne contenance. Blanche est acceptée pour l’expérience ; on se retire ; la partie est engagée. Pour commencer, Marcillac appelle à son aide le baron de Pompernick, de Munich, gros Bavarois marié, qui veut faire le papillon, et parle avec horreur du mariage. — « Baron, rends-moi le service de te battre avec moi !.. Allons, vite en garde ; je t’expliquerai tout ! — Mais, tu es fou, cher comte, nous battre ! — Allons donc, te dis-je, tire ton épée et ne crains rien ! » Criant de toute sa force : « Ah ! misérable, ah ! drôle, je te ferai rentrer au corps tes paroles ! Oser insulter Mlle de Mérange ! quelle infamie ! Ah ! ah ! aye !!! (A demi voix.) Tu m’as blessé à la main, sauve-toi ! » Et le gros baron de courir, sans rien comprendre et sans être bien sûr de n’avoir pas réellement blessé son ami. Mlle de Mérange, éperdue à la vue du jeune comte qui paraît prêt à s’évanouir en enveloppant sa main gauche de son mouchoir, ne peut retenir quelques exclamations, quelques questions timides. Marcillac n’a garde de répondre directement ; il se fait peu à peu arracher l’aveu de sa blessure « reçue, dit-il, en combattant un insolent étranger qui avait osé parler légèrement d’une personne… modèle de grâces et de vertu….. que j’aime, que j’adore et pour qui j’eusse été fier de mourir ! » On finit par mettre les points sur les i. Marcillac fait sa brûlante déclaration, remet à Blanche la circulaire amoureuse qu’il porte toujours sur lui par précaution, adressée à elle, et part laissant le trait au cœur de sa victime. Blanche rompt le cachet d’une main tremblante : — On l’aimait depuis long-temps ; — on lui propose un mariage clandestin ; — ce soir même ; — des raisons de famille empêcheront quelque temps encore Marcillac d’avouer son bonheur ; — mais il meurt, si Blanche n’est pas ce soir au rendez-vous. Blanche y sera. Elle va trouver la reine Marie-Antoinette qui depuis peu s’était mis en tête de la marier. En lisant la lettre de Marcillac, la reine croit comme sa protégée aux bons sentimens du Lovelace repentant ; ce mariage lui plaît. Il se fera donc ce soir même.
La chapelle royale va être préparée, un prêtre et des témoins s’y trouveront et Marcillac sera uni à celle qu’il aime. Grâce à un peu de préoccupation causée par un peu de véritable amour qui s’est glissé au cœur de Marcillac, et à un peu d’adresse de Gabriant qui est dans le secret de la reine, Marcillac, amené dans la chapelle, se trouve à l’improviste, en face de sa majesté et obligé de contracter, en enrageant, un bon et solide mariage. La cérémonie est terminée, Marcillac est furieux, ses amis le raillent, le voilà marié ! Il trouve le tour indigne, mais pour rabattre le caquet des railleurs, il jure sur l’honneur qu’il va partir de France à l’instant et qu’il ne consentira à reconnaître Blanche pour sa femme que lorsqu’on pourra prouver qu’il a passé avec elle vingt-quatre heures sous le même toit. Un ordre du roi vient à point nommé lui enjoindre de se rendre à l’instant à la Bastille, pour avoir tiré l’épée dans le jardin royal ; et Blanche, (toujours par l’ordre de sa majesté) doit y accompagner son mari. Ils vont donc forcément passer quelque temps sous le même toit. Les mille louis de Gabriant sont perdus, l’honneur du marié malgré lui est sauf, et Marcillac finit par quitter son masque de roué, en se jetant aux pieds de Blanche et avouant qu’il est au comble du bonheur.
M. Henri Potier, qui a fait la musique de cette comédie, n’était connu encore que comme un habile accompagnateur. Sa partition n’accuse presque rien de l’incertitude et des tâtonnemens ordinaires aux débutans. Elle est pleine de vivacité, de finesse et même d’excellentes intentions comiques. Plusieurs mélodies sont rhythmées d’une façon piquante et originale. Celle du morceau de Riquier :
Dans mon château de Pompernick,
Qu’on voit aux portes de Munich,
doit sa physionomie bouffonne, moins encore au silence qui sépare le premier vers du second, qu’à la manière dont le mot Pompernick est jeté sur le temps faible, à l’extrémité de la mesure. Les couplets dont le refrain est : Point du tout, on ne tient rien ! se font remarquer par les mêmes qualités. Il faut citer encore deux morceaux dont la mélodie m’a paru élégante et l’harmonie distinguée. Il n’y a rien dans tout cela de commun ni de trop recherché. M. Potier joint évidemment à une bonne organisation musicale une entente de la scène et un instinct du bon comique qui, du reste, ne doit point surprendre dans le fils d’un de nos plus excellens comédiens. De l’ouverture, il n’y a rien à dire….. M. Potier fera mieux une autre fois. Il n’a point échappé d’ailleurs, dans son instrumentation, à l’épidémie régnante ; on pouvait le prévoir. Cette petite partition est, comme à l’ordinaire, cuivrée sur tranche. Encore les trombonnes pour accompagner des chansonnettes ! Encore un grand sabre pour couper une pomme ! des coups de massue pour casser un œuf ! Malgré cela, le succès de Mademoiselle de Mérange a été complet. Mme Potier, qui chantait le rôle principal dans le premier opéra de son mari, a été plus émue que jamais. C’était bien naturel !
— Les grands concerts ne sont pas commencés : toutes nos célébrités instrumentales courent les champs. Liszt vient d’arriver en Russie, et, en attendant qu’il aille l’y rejoindre, Ernst se fait applaudir en Prusse. Le dernier concert qu’il a donné à Berlin avait attiré, avec la foule, un grand nombre d’artistes distingués, parmi lesquels on cite MM. Meyerbeer et Mendelsohn-Bartholdy, dont les suffrages n’ont pas manqué à l’habile violoniste.
H. BERLIOZ.
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er juillet 2014.
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