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Berlioz en Allemagne

BRESLAU (WROCLAW)

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    À l’époque de Berlioz Breslau, à l’extrémité est du monde germanophone, fait partie de la Prusse. Après la Deuxième Guerre Mondiale la ville est attribuée à la Pologne et se nomme maintenant Wroclaw. Compte tenu de son éloignement il n’est pas surprenant que la ville ne figure pas sur l’itinéraire prévu au départ par Berlioz pour son premier grand voyage en Allemagne (Correspondance Générale no. 791; ci-après CG tout court). C’est semble-t-il sur les conseils de son ami Ferdinand Friedland, mélomane établi à ce moment à Breslau, que Berlioz forme le projet de s’y rendre pour diriger sa musique.

    On sait relativement peu sur Ferdinand Friedland et le personnage reste difficile à saisir. La correspondance qui subsiste entre lui et Berlioz se réduit à une demi-douzaine de lettres entre décembre 1842 et février 1856 et laisse bien des questions en suspens (voir aussi Nouvelles lettres de Berlioz [NL], p. 207). On ne sait quand ils se sont d’abord rencontrés – sans doute à Paris, et quelque temps avant le départ de Berlioz pour l’Allemagne. Quoiqu’il en soit ils sont en rapport à la fin de 1842, et se sont vraisemblablement revus à Francfort où Friedland se trouve à ce moment. Dans une lettre de Stuttgart datée du 30 décembre (CG no. 794) Berlioz met Friedland au courant de son récent concert à Stuttgart, de sa visite prochaine à Hechingen, et de ses projets ultérieurs. Si un voyage à Munich s’avère impossible, écrit-il

[…] alors je crois que je me déciderai, d’après votre avis cependant, à aller directement à Breslau. Si vous m’écrivez que tout est prêt et sûr et que je puis compter sur un bénéfice de mille francs au moins, pour le premier concert, je n’hésiterai pas. Vous concevez que je dois aller d’abord où j’ai des amis tels que vous qui préparent les voies et s’occupent de mes intérêts avant de me présenter dans une ville comme Vienne où je ne connais personne et où la dépense doit être considérable. Ainsi, dès votre arrivée à Breslau, soyez assez bon pour voir si on peut m’assurer deux concerts, où l’on exécuterait mes trois Symphonies. […]

    Pour une raison ou une autre l’espoir d’un concert à Breslau en 1843 ne se réalisera pas. Fin mars Berlioz n’en écarte toujours pas la possibilité (CG no. 823ter [tome VIII]). Le mois suivant, le 9 avril, Berlioz écrit de Berlin à Friedland (CG no. 827): il s’inquiète qu’une lettre antérieure n’ait pas reçu de réponse, et demande à Friedland de lui confirmer si les conditions posées par Berlioz pour sa venue à Breslau sont ou non acceptables. La question restera semble-t-il sans réponse satisfaisante, et d’après les Mémoires (début de la dixième et dernière lettre sur le premier voyage en Allemagne), le projet de Breslau est remis à un voyage ultérieur, ainsi que des visites projetées à Munich et Vienne.

    Entre-temps Friedland vient s’installer à Prague où il possède l’usine à gaz de la ville, situation qu’il va occuper pendant des années. Dans une lettre à Berlioz datée du 3 février 1856 il signe, non sans emphase, ‘Ferdinand FRIEDLAND, Propriétaire de l’Usine à Gaz de la ville de Prague’ (CG no. 2092). C’est semble-t-il au cours du premier séjour de Berlioz à Prague en janvier 1846 que les deux hommes se rencontrent de nouveau et que l’idée d’un voyage à Breslau reprend forme. Le 27 janvier Berlioz écrit de Prague à son ami Joseph d’Ortigue: ‘Après Pesth j’irai à Breslau où l’on m’arrange aussi trois concerts’ (CG no. 1017; cf. les nos. 1019, 1022). Dans une lettre datée du 19 février Friedland, passant par Bruxelles en route pour Paris, envoie à Berlioz une liste détaillée de personnes à joindre à Breslau susceptibles d’aider dans la préparation d’un concert (CG no. 1024; aucun des noms cités n’est mentionné par Berlioz dans les lettres de lui qui subsistent ou dans ses Mémoires). Berlioz fait le voyage de Vienne à Breslau en diligence et arrive début mars; il y restera trois semaines jusqu’au 24.

     Le séjour à Breslau est évoqué après coup au chapitre 54 des Mémoires en supplément aux six lettres qui sont la source principale du Deuxième Voyage en Allemagne:

Dans les lettres précédentes, adressées à M. H. Ferrand, je n’ai rien dit de mon voyage à Breslau. Je ne sais pourquoi je me suis abstenu d’en faire mention, car mon séjour dans cette capitale de la Silésie me fut à la fois utile et agréable. Grâce au concours chaleureux que me prêtèrent plusieurs personnes, entre autres M. Kœttlitz, jeune artiste d’un grand mérite, M. le docteur Naumann, médecin distingué et savant amateur de musique, et le célèbre organiste Hesse, je parvins à donner, dans la salle de l’Université (Aula Leopoldina), un concert dont les résultats furent excellents sous tous les rapports. Des auditeurs étaient accourus des campagnes et des bourgs voisins de Breslau; la recette dépassa de beaucoup celles que je faisais ordinairement dans les villes allemandes, et le public fit à mes compositions le plus brillant accueil. J’en fus d’autant plus heureux que, le lendemain de mon arrivée, j’avais assisté à une séance musicale pendant laquelle l’auditoire ne s’était pas un seul instant départi de sa froideur, et où j’avais vu le silence le plus complet succéder à l’exécution de merveilles, même, telles que la symphonie en ut mineur de Beethoven. Comme je m’étonnais de ce sang-froid, dont je n’ai, il est vrai, jamais vu d’exemple autre part, et que je me récriais sur une pareille réception faite à Beethoven : « Vous vous trompez, me dit une dame très-enthousiaste elle-même, à sa manière, du grand maître, le public admire ce chef-d’œuvre autant qu’il soit possible de l’admirer; et si on ne l’applaudit pas, c’est par respect! » Ce mot, qui serait d’un sens profond à Paris, et partout où les honteuses manœuvres de la claque sont en usage, m’inspira, je l’avoue, de vives inquiétudes. J’eus grand-peur d’être respecté. Heureusement il n’en fut rien; et le jour de mon concert, l’assemblée, au respect de laquelle je n’avais pas, sans doute, de titres suffisants, crut devoir me traiter selon l’usage vulgaire adopté dans toute l’Europe pour les artistes aimés du public, et je fus applaudi de la façon la plus irrévérencieuse.

    Berlioz, on le voit, ne donne qu’un seul concert, le 20 mars, dans la salle (Aula Leopoldina) de l’Université de Breslau, et non les trois prévus au départ. Le détail du programme n’est évoqué ni dans la correspondance ni dans les Mémoires. Il comprend le second mouvement de Harold en Italie, les trois premiers de la Fantastique, le boléro Zaïde récemment composé, l’ouverture du Carnaval romain qui vient de connaître un tel succès à Vienne, et le Caprice brillant pour piano et orchestre de Mendelssohn. Les Mémoires (chapitre 55) évoquent aussi une proposition inattendue faite à Berlioz deux jours avant le concert: un mélomane de la ville le supplie de donner des leçons de violon à son fils, le prenant pour le célèbre violoniste Charles de Bériot…

    Mais la préoccupation majeure de Berlioz à Breslau n’est pas le concert même mais la composition de la Damnation de Faust qu’il médite dès avant son départ de Paris pour Vienne. Selon les Mémoires (chapitre 54) c’est pendant le voyage en diligence de Vienne à Breslau que Berlioz écrit les vers de l’Invocation à la nature (IVème partie), et à Breslau il compose les paroles et la musique de la chanson des étudiants Jam nox stellata velamina pandit (IIème partie). Plusieurs lettres datant du séjour de Breslau ou peu après donnent un aperçu des sautes d’humeur du compositeur à cette période. Au Dr Ambros à Prague il écrit (CG no. 1026, 10 mars):

[…] Après l’unique concert que je donnerai ici et qui aura lieu le 15 ou le 16 je partirai pour Prague où je me trouverai beaucoup mieux que dans cette froide et peu musicale ville silésienne. […]

    Le même jour à Joseph d’Ortigue (CG no. 1028):

[…] Je prépare de la besogne avec mon grand opéra de Faust, (opéra de concert en 4 actes) auquel je travaille avec fureur et qui sera bientôt achevé. Il y a là des chœurs qu’il faudra étudier et limer avec soin. J’espère beaucoup de cette composition qui me préocuppe au point d’oublier presque le concert que je prépare (ou plutôt que l’on prépare) ici. J’ai été peu engagé par le spécimen que les artistes de Breslau m’ont donné de leur savoir-faire; cependant ils sont fort empressés et me fêtent de leur mieux. Il y a même ce matin une affiche portant ces mots: Grand concert par M. le maître de chapelle Schöne en l’honneur de M. le chevalier Berlioz de Paris. Je serai donc obligé d’aller demain soir me montrer en loge ornée et fleurie, on viendra me chercher en voiture; vu la circonstance de la guerre de Pologne on ne tirera pas le canon, mais il est défendu de fumer dans la salle. […]

    Le 13 mars il entend une exécution du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn; de retour à Prague il exprime ses regrets au compositeur de ne pas avoir le temps de le voir à Leipzig (CG no. 1033, 14 avril):

[…] C’est un véritable chagrin pour moi. Permettez-moi de vous dire que j’ai entendu à Breslau votre Songe d’une nuit d’été et que je n’ai jamais rien entendu d’aussi profondément shakespearien que votre musique; en sortant du théâtre j’aurais donné bien volontiers trois ans de ma vie pour pouvoir vous embrasser. […]

    Le jour de son départ de Breslau (24 mars) il commence une lettre à sa sœur Nancy qu’il termine le lendemain à Prague (CG no. 1029):

[…] J’en étais là de ma lettre (à Breslau) quand les visiteurs sont venus me faire leurs adieux et m’ont gardé jusqu’au départ du convoi du chemin de fer. J’arrive aujourd’hui (à Prague) et je reprends ma lettre où je l’avais laissée. Le concert (unique) de Breslau a été superbe et toute la noblesse silésienne de la ville y assistait, mais les préparatifs ont été si longs et si ennuyeux que j’ai fini par ne plus vouloir m’en mêler et je me suis mis à travailler à ma nouvelle partition, laissant à deux amateurs, qui avaient pris à cœur de me faire donner un concert à Breslau, le soin de les préparer. Enfin tout a marché à souhait et malgré les prévisions de quelques vieux musiciens qui prétendaient que je ne ferais pas les frais à cause de l’Indifférence bien connue des habitants de Breslau pour la musique, j’ai eu la plus forte recette que j’aie encore faite en Allemagne et un succès à n’en plus finir. Pourtant je me trouve heureux d’être rentré dans cette belle ville de Prague […]

En outre j’ai beaucoup travaillé à un opéra de concert en quatre actes dont j’ai dû faire presque la moitié des paroles (le livret n’était pas fini quand j’ai quitté Paris) et qui se nomme la Damnation de Faust. Les trois-quarts de la musique sont écrits, mais je ne pourrai encore avoir terminé avant cinq ou six mois à cause de la difficulté que je dois trouver à Bien faire le dernier acte. Je tâcherai de monter cela au théâtre Italien de Paris l’hiver prochain. […]

    Berlioz ne retournera pas à Breslau par la suite, mais après son séjour il reste en rapport avec Ferdinand Friedland. Friedland est parmi les amis de Berlioz qui viennent le soutenir financièrement après l’échec de la Damnation de Faust à Paris en décembre 1846. L’épisode est évoqué dans les Mémoires (la seule mention de Friedland dans cet ouvrage), mais curieusement Berlioz laisse entendre que c’est pendant le séjour de Prague en janvier 1846 que les deux hommes se sont d’abord rencontrés. En 1848 quand il publie finalement ses trois lettres sur sa visite à Prague en 1846 elles sont dédiées à Friedland – mais la dédicace est supprimée dans la version reproduite plus tard dans les Mémoires. La dernière lettre connue de Berlioz à Friedland, datée du 14 avril 1854 pendant le séjour du compositeur à Dresde, fait encore allusion à l’épisode de la Damnation de Faust (CG no. 1735bis [tome VIII]):

[…] J’ai souvent demandé à nos amis de Paris où vous étiez, ce que vous faites, etc., et personne n’a pu me donner de vos nouvelles. J’avais une vague idée d’avoir entendu que vous n’étiez plus en Europe. C’est mal à vous de m’avoir laissé si complètement sans une ligne de votre main, après le service que vous m’avez rendu si gracieusement lors de mon départ pour la Russie. Vous fûtes alors bien cordial et bien bon, je ne l’oublierai jamais. […]

    Friedland de son côté n’a pas oublié Berlioz. Dans sa dernière lettre connue au compositeur, datée du 3 février 1856, il lui écrit de Prague (CG no. 2092). Il a appris que Liszt va monter Benvenuto Cellini à Weimar et demande instamment à Berlioz d’envoyer la partition de l’ouverture pour l’inscrire éventuellement au programme d’un concert prévu pour le mois suivant: toutes les autres œuvres pour orchestre de Berlioz ont déjà été jouées à Prague. La réponse de Berlioz n’est pas connue.

    Dans les années qui suivent on continue à s’intéresser à Berlioz et sa musique à Breslau. En avril 1863 Berlioz, en visite à Löwenberg en Silésie pas loin, apprend qu’on y a joué récemment le scherzo de la Reine Mab de Roméo et Juliette (CG no. 2714). Pendant son voyage à Vienne en décembre 1866 pour faire entendre la Damnation de Faust, Berlioz reçoit une invitation de Breslau pour venir y diriger Roméo et Juliette – mais il est maintenant trop épuisé pour pouvoir accepter (CG nos. 3191, 3200). On ne sait si Friedland avait suggéré l’invitation.

Breslau en images

    Toutes les images reproduites ci-dessous ont été saisies à partir de cartes postales et gravures de notre collection. Tous droits réservés.

Vue Générale de Breslau au 19ème siècle
Breslau

(Image plus grande)

La salle de l’Université (Aula Leopoldina) en 1939
Aula Leopoldina

(Image plus grande).

L’Université de Breslau (Wrocław)
Université de Breslau

(Image plus grande)

Nous n’avons pu déterminer la date de cette carte postale.

La gare vers 1910
Gare

(Image plus grande)

La première ligne de chemin de fer de Breslau, ouverte en 1842, reliait la ville à Olawa. À l’époque de la visite de Berlioz la ville avait été aussi reliée à Prague entre autres.

La gare vers 1937
Gare

(Image plus grande)

Page Berlioz à Breslau créée le 1er novembre 2006. Révision le 1er février 2024.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits réservés.

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