Berlioz à l’Exposition de 1851
Illustrations:
Crystal Palace dans Hyde Park
L’inauguration de l’Exposition
Crystal Palace à Sydenham
Souvenirs de l’Exposition
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En avril 1851 Berlioz est nommé par le Ministre de l’Agriculture et du Commerce pour représenter la France sur la commission internationale chargée d’examiner les instruments de musique à la célèbre Exposition Universelle à Londres. Il y séjournera de mai à la fin de juillet.
Le Palais de l’Exposition, établi à Hyde Park, reçut du journal satirique Punch le sobriquet Le Palais de Cristal (Crystal Palace) à cause de l’énorme quantité de verre utilisée dans sa construction. Depuis ce temps la salle a toujours été connue sous le nom du Palais de Cristal. Le bâtiment qui abritait l’Exposition Universelle fut proposé par le Prince Albert (le mari de la Reine Victoria), et conçu par James Paxton. L’Exposition est inaugurée par la Reine Victoria le 1er mai 1851, et fermera ses portes le 11 octobre de la même année. Le Palais de l’Exposition est démantelé en 1854 et reconstruit plus tard à Sydenham, au sud de Londres, pour servir à des manifestations sportives et culturelles, jusqu’à sa destruction par un incendie en 1936.
La tâche du jury dont Berlioz fait partie est onéreuse et leur emploi du temps quotidien assez chargé. Ses membres doivent écouter des centaines d’instruments de musique de toutes sortes, exposés par de nombreux pays du monde entier, de l’orient à l’occident. Le jury a pour mission de décerner des prix aux meilleurs dans chaque catégorie. En juin Berlioz écrit à sa sœur Adèle (Correspondance générale no. 1417, ci-après CG tout court):
[…] Je suis à Londres depuis un mois et demi fort occupé de la sotte besogne de l’examen des instruments de musique envoyés à l’Exposition. Il y a des jours où le découragement me prend et où je suis sur le point de retourner à Paris. On n’a pas d’idée d’une aussi abominable corvée que celle dont je suis spécialement chargé. Il me faut entendre les instruments à vent en bois et en cuivre. La tête me part à écouter ces centaines de vilaines machines, plus fausses les une que les autres, à trois ou quatre exceptions près.
A part cet ennui mon séjour a Londres est très agréable, on m’envoie de partout des invitations; de chez le Lord maire, de chez le Maire de Birmingham, de chez des compatriotes, sans compter les politesses dont les Anglais sont fort prodigues. Puis les directeurs de théâtre et les donneurs de concerts, qu’il faut satisfaire autant que possible, et les exposants qui ont des explications à me communiquer. Le Dimanche seulement je respire et je vais flâner à la campagne. Il faut au milieu de tout cela trouver le temps d’écrire de longs feuilletons pour le Journal des Débats; j’en ai déjà fait trois, dont un seulement a paru. Tu ne t’étonneras donc pas que j’aie manqué mon oncle qui est venu passer ici trois jours seulement. […] Quant à nous rencontrer dans le Cristal-palace il n’y avait pas beaucoup de chances, c’est par trop immense et trop peuplé.
Le ministre du commerce me paye assez bien mon séjour en Angleterre, bien qu’on ait fait la singulière lésinerie de laisser à notre charge les frais de voyage […]
Le temps chaud se manifeste aujourd’hui pour la première fois; je craignais de ne pas voir d’été cette année. Les parcs et les squares de Londres sont maintenant charmants; quant aux campagnes environnantes c’est délicieux et d’une richesse de végétation que nous ne voyons nulle part sur le Continent. […]
Berlioz redoute les pressions qui naissent de la rivalité entre facteurs d’instruments de différents pays, dont plusieurs lui sont personnellement connus (CG no. 1400). Une lettre à Armand Bertin, le directeur du Journal des Débats, y fait allusion: ‘Ce que nous entendons tous les jours est pitoyable. Il est évident qu’Erard et Sax laissent loin derrière eux tous leurs rivaux. En conséquence la Commission anglaise voudrait qu’il n’y eût point de grand prix, pour éviter aux Nationaux le crève-cœur de se voir mis au second ou au troisième rang’ (CG no. 1414). Pour finir Berlioz se prononce catégoriquement en faveur des facteurs français: ‘C’est la France qui l’emporte, sans comparaisons possibles, sur toute l’Europe. Erard, Sax et Vuillaume. Tout le reste tient plus ou moins du genre chaudron, mirliton et pochette’ (CG no. 1419; cf. 1424). Il exprime ouvertement la même opinion dans le rapport du Jury sur les instruments de musique qu’il rédige après-coup et qui est finalement publié à Paris en 1854 et de nouveau en 1855. Le texte complet de ce rapport est reproduit sur ce site dans le texte français original ainsi que dans une traduction anglaise.
L’Exposition l’impressionne particulièrement, comme il le raconte dans une lettre à son fils Louis (CG no. 1415, 1er juin):
[…] Cette exposition universelle, ce concours de toutes les nations, et surtout cet immense Palais de Cristal où tout est exposé, sont des merveilles dont je n’essaierai pas de te donner une idée. […]
La 21ème des Soirées de l’orchestre est entièrement consacrée à ses expériences à Londres pendant son séjour de 1851 (elle reprend des extraits des cinq feuilletons du Journal des Débats publiés entre mai et août 1851). Il a très peu à dire de son rôle comme juge d’instruments à musique, mais s’attache aux aspects plus pittoresques, tels la Grande Exposition elle-même, la vie musicale de Londres, et la musique exotique (chinoise en particulier) des quatre coins du monde qu’on pouvait entendre à l’Exposition. Mais le clou de son récit est l’impression extraordinaire faite sur lui par un concert annuel (Anniversary Meeting) des Charity Children qu’il entend un soir à la cathédrale de St Paul, chanté par un chœur de 6500 enfants. De retour chez lui après le concert il est tellement bouleversé qu’il ne peut pas dormir; il décide de se lever et aller à pied au Palais de Cristal de très bonne heure (voyez aussi 27 Queen Anne Street). Le Palais était toujours fermé aux visiteurs, mais, poursuit-il:
La Garde qui veille aux barrières de ce Louvre, accoutumée de me voir à toutes sortes d’heures indues, me laissa passer, et j’entrai. C’était encore un spectacle d’une grandeur originale que celui de l’intérieur désert du palais de l’Exposition à sept heures du matin; cette vaste solitude, ce silence, ces douces lueurs tombant du faîte transparent, tous ces jets d’eaux taris, ces orgues muettes, ces arbres immobiles, et cet étalage harmonieux des riches produits apportés là de tous coins du monde par ces peuples rivaux. Ces ingénieux travaux fils de la paix, ces instruments de destruction qui rappellent la guerre, toutes ces causes de mouvement et de bruit semblaient alors converser mystérieusement entre elles, en l’absence de l’homme, dans cette langue inconnue qu’on entend avec l’oreille de l’esprit. ...
Pendant qu’il se promène plongé dans la contemplation de la salle, Berlioz entend soudain quelque chose:
un bruit assez semblable au bruit de la pluie se répandit sous les vastes galeries: c’étaient les jets d’eau et les fontaines auxquels leurs gardiens venaient de donner la volée. Les châteaux de cristal, les rochers factices, vibraient sous le ruissellement de leurs perles liquides; les policemen, ces bons gendarmes sans armes, que chacun respecte avec tant de raison, se rendaient à leur poste...
Le Palais se prépare à recevoir les visiteurs du jour:
Le silence m’avait tenu éveillé, ces rumeurs m’assoupirent; le besoin de sommeil devenait irrésistible; je vins m’asseoir devant le grand piano d’Erard, cette merveille musicale de l’Exposition; je m’accoudai sur son riche couvercle, et j’allais m’endormir, quand Thalberg me frappant sur l’épaule: ‘Eh! confrère! le jury se rassemble. Allons! de l’ardeur! nous avons aujourd’hui trente-deux tabatières à musique, vingt-quatre accordéons et treize bombardons à examiner’.
De retour à Paris Berlioz est invité à assister à la Fête de Paris, que Berlioz nomme dans une de ses lettres ‘les fêtes anglo-parisiennes’ (CG no. 1427). Cette fête dure une semaine et commence le 1er août. Le Comité de Direction de l’Exposition, le ‘Lord Mayor’ (Maire) et les ‘Aldermen’ (échevins) de la Cité de Londres, ont tous été invités par Louis Napoléon et la Ville de Paris. D’après John Davis, la fête comprenait un banquet à l’Hôtel de Ville, une réception offerte par Napoléon à St Cloud, une fête à l’ambassade britannique, une revue au Champ de Mars, et une représentation au Théâtre Français qui comprenait un ballet appelé Le Palais de Cristal (The Great Exhibition [Stroud, 1999], p. 168-9).
Pendant son séjour à Londres Berlioz envisage la possibilité de monter un Festival de Musique au Palais de Cristal, où il dirigerait plusieurs œuvres y compris son Te Deum, composé en 1848-9 mais pas encore exécuté. Mais le projet n’aura pas de suite (CG no. 1418).
Pendant sa visite de 1855 Berlioz assiste à un concert donné au Palais de Cristal. Une de ses lettres parle de cette visite (CG no. 1984), et il existe aussi une lettre de Marie Recio, la seconde femme de Berlioz, à son amie Mme Duchène qui évoque la même visite (le texte français se trouve dans la CG V, p. 123 n. 1). À cette date le Palais de Cristal a été déplacé à Sydenham (voyez ci-dessous), et une grande salle de concert construite dans le transept central du bâtiment. La salle peut accueillir un si grand monde que le droit d’entrée est fixé à un prix très modeste. En octobre 1855 Berlioz envisage la possibilité d’y donner lui-même un grand concert, mais le projet ne se réalisera pas (CG no. 2036).
On peut mesurer la célébrité de Berlioz à Londres à ce détail intéressant: l’un de ses correspondants (son nom n’est pas connu) lui ayant écrit avec sur l’enveloppe la seule mention ‘à Monsieur Berlioz à Londres’, la lettre parvint néanmoins à son destinataire! Dans sa lettre du 11 juin 1851 Berlioz écrit à cet ami (CG no. 1418):
Je réponds courrier par courrier; ne m’accusez pas de négligence; votre lettre ne portant pour suscription que ces mots: à M. Berlioz à Londres, a couru beacoup avant de me trouver; de là le retard.
Toutes les images sur cette page ont été reproduites d’après des gravures, médailles, cartes-postales, objets, reproductions et livres dans notre collection. © Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.
La gravure ci-dessus, par George Baxter, date de 1851.
La gravure ci-dessus fut imprimée dans Cassell’s Illustrated History of England, par John Frederick Smith, William Howitt et John Cassell, tome IV, 1862 (p. 121); elle vient de notre collection.
Cette gravure date du 19ème siècle.
Cette gravure date du 19ème siècle.
Ceci est une reproduction datant de 1951 d’une gravure originale de l’Exposition de 1851.
Cette image montre le couvercle d’un pot de pâté daté 1851 et représentant le Palais de Cristal. L’original se trouve au Fitzwilliam Museum, Cambridge, Angleterre.
L’original de cette gravure se trouve au Guildhall Library, City of London / The Bridgeman Art Library.
Cette gravure de l’entrée de la salle principale est reproduite avec la permission du Dr John Davis à partir de la page x de son livre The Great Exhibition
Une copie de cette gravure se trouve à la Bibliothèque nationale de France.
L’original de cette gravure se trouve au BBC Hulton Picture Library.
L’original de cette gravure se trouve au BBC Hulton Picture Library.
Cette image fut publiée dans L’Illustration du 10 mai 1851, dont un exemplaire est dans notre collection.
La gravure ci-dessus, par H. Bibby, date de 1851.
Cette image fut publiée dans L’Illustration du 10 mai 1851, dont un exemplaire est dans notre collection.
Le Palais de Cristal est reconstitué à Sydenham en 1854. Les ‘Triennial Handel Festivals’ (festivals de Hændel tous les trois ans) y ont lieu entre 1859 et 1926, avec chœurs et orchestre comptant jusqu’à 4,000 exécutants (voir ci-dessous). D’autres manifestations y ont lieu aussi, tels que les concerts du samedi dirigés par August Mann (entre 1855 et 1901), les ‘Schools Choral Festivals’ (festivals des chœurs des écoles) et autres. À l’origine propriété d’une compagnie privée, Le Palais de Cristal devient propriété de l’état grâce à une souscription publique en 1913; il sera détruit par un incendie en 1936 (Elkin, 1955).
Cette gravure représentant le Festival Hændel fut publiée dans l’Illustrated London News en 1859.
Cette photo représente un grand “Festival Concert”, sans doute l’un des “Handel Triennial Fests”, donné dans la salle des concerts sous la direction de Frederic Hymen Cowen; elle fut publiée dans Musica (Tome III, 1905; Publications Pierre Lafitte, Paris). Nous remercions très vivement notre ami Gene Halaburt de nous avoir envoyé cette photo.
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Cette carte est d’après une gravure contemporaine de l’Exposition de 1851. Le timbre à droite en haut reproduit celui de l’Exposition de 1862. La carte fut publiée pour commémorer le National Postal Museum Exhibition, ‘Exhibitions in London 1851-1951’, qui eut lieu du 6 janvier au 1er juillet 1983.
© (sauf indication contraire) Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page.
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