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La carrière de Berlioz comme compositeur d’opéras fut dès ses débuts semée de déboires. Seul son dernier opéra, Béatrice et Bénédict, ne fut pas pour lui une source de déceptions, mais le succès relatif de cet ouvrage eut lieu à l’étranger, en Allemagne, et Béatrice et Bénédict ne fut jamais représenté de son vivant en France.
C’est tôt dans sa carrière, en 1826, l’année de son inscription officielle comme étudiant au Conservatoire, que Berlioz aborda pour la première fois le domaine de l’opéra avec un ouvrage intitulé Les Francs-Juges. fruit d’une collaboration avec son ami intime Humbert Ferrand, qui se chargea de fournir le livret (Mémoires, chapitre 11). Une bonne partie de la musique fut écrite en 1826, mais Berlioz continua à y travailler jusqu’en 1829. L’opéra était destiné à l’origine au Théatre de l’Odéon, avec lequel Berlioz entretenait à l’époque de bons rapports; mais en 1827 le théâtre se vit refuser le droit de représenter des ouvrages français nouveaux, droit réservé au grand Opéra de Paris. Par la suite Berlioz soumit le livret à l’Opéra, mais en juin 1829 se heurta à un refus qui mit fin à ses espoirs pour son premier opéra. Citons ici les Mémoires du compositeur (chapitre 11):
Ce poème [le livret des Francs-Juges] fut plus tard refusé par le comité de l’Académie Royale de musique, et ma partition fut du même coup condamnée à l’obscurité, d’où elle n’est jamais sortie. L’ouverture seule a pu se faire jour. J’ai employé çà et là les meilleures idées de cet opéra, en les développant, dans mes compositions postérieures, le reste subira probablement le même sort, si l’occasion s’en présente, ou sera brûlé.
La partition complète des Francs-Juges est maintenant perdue; les fragments qui subsistent sont réunis dans le tome IV de la New Berlioz Edition. En juillet 1906 Julien Tiersot publia une étude novatrice de l’ouvrage perdu dans trois articles dans l’hebdomadaire le Ménestrel, dans le cadre d’une série d’études sur Berlioz intitulée Berlioziana; ces articles sont reproduits sur ce site. Le lecteur pourra aussi consulter la page Berlioz et sa Musique – Auto-emprunts concernant l’utilisation par Berlioz de la musique des Francs-Juges dans des ouvrages ultérieurs (notamment la Marche au Supplice de la Symphonie fantastique, et le second mouvement de la Symphonie funèbre et triomphale, adapté de l’original pour voix pour devenir un mouvement purement instrumental).
L’ouverture par contre subsista et eut rapidement grand succès comme morceau de concert. Berlioz était à bon droit fier de ce précoce chef d’œuvre, la première manifestation incontestable de son génie instrumental. On peut y reconnaître l’influence du Freischütz de Weber, mais elle dépasse en puissance expressive et la hardiesse de son instrumentation ce que Berlioz avait pu apprendre du maître allemand. Fait remarquable, elle fut conçue et écrite bien avant que Berlioz découvre l’œuvre symphonique de Beethoven en 1828. Le long second sujet de l’allegro, dont Berlioz tire un si grand parti (mesures 119-173, 343-390, 530-570) dérive, comme nous l’apprend Berlioz, d’un des quintettes écrits par lui en 1818-1819 à La Côte-Saint-André avant même sa venue à Paris en 1821 (Mémoires, chapitre 4; voyez aussi le chapitre 13 sur le thème des trombones dans l’introduction).
L’ouverture fut exécutée pour la première fois à un concert au Conservatoire le 26 mai 1828 avec l’ouverture de Waverley et d’autres œuvres de Berlioz. Ce fut le premier concert symphonique donné par Berlioz, et – nouveauté à l’époque – concert consacré entièrement à ses propres œuvres (voyez le récit des Mémoires, chapitres 18 et 19; CG nos. 91, 93). Par la suite Berlioz inscrira l’ouverture souvent au programme de ses concerts à Paris: en 1829 (cf. CG nos. 140, 142), 1830, 1832 (cf. CG no. 304), trois fois en 1833 (le 24 novembre il la dirige lui-même pour la première fois), et de nouveau en 1834, 1835 et 1836. D’autres exécutions suivront dans les années 1840 (1842, 1844, 1845), et Berlioz la dirige pour la dernière fois à Paris en 1850, au cours d’en des concerts de sa Société philharmonique (22 octobre). Tard dans la carrière de Berlioz l’ouverture est exécutée deux fois par Pasdeloup, un partisan de sa musique, dans ses Concerts populaires (1865, 1867). Berlioz la dirige pour la dernière fois en décembre 1867 à St Pétersbourg au cours de son dernier voyage en Russie, par hasard peu après l’exécution de Pasdeloup à Paris.
Berlioz publie l’ouverture assez tôt, en 1836, en grande partition mais aussi dans une réduction pour piano à quatre mains, pour laquelle il profite des conseils de pianistes plus expérimentés qu’il n’était lui-même. L’ouvrage est dédié au chef d’orchestre Narcisse Girard, en témoignage de l’appui qu’il reçut de ce dernier au début des années 1830 après son retour d’Italie (mais leurs rapports se dégraderont par la suite). Cette publication permet à d’autres d’exécuter l’œuvre et jouera un rôle important dans la diffusion de la renommée de Berlioz en France et à l’étranger, notamment en Allemagne (cf. CG no. 493). En décembre 1842, au début du premier voyage en Allemagne de Berlioz, un de ses premiers admirateurs allemands, J.-C. Lobe à Weimar, lui écrit: ‘J’étais votre ami depuis le moment, que j’ai ouï l’ouverture des Francs-Juges, et je le serai jusqu’à la fin de ma vie’ (CG no. 793). Berlioz inscrit l’ouverture, déjà populaire en Allemagne (cf. CG no. 549), au programme de plusieurs de ses concerts au cours de ce voyage, à Stuttgart, Mannheim, Weimar, Leipzig et Hambourg, et à Berlin il est agréablement surpris d’entendre un arrangement de l’œuvre pour grande harmonie militaire. Autre indice du renom de l’ouvrage: l’ouverture des Francs-Juges est la première œuvre de Berlioz à être exécutée aux États-Unis du vivant du compositeur, le 7 mars 1846 à New York (mais Berlioz ne fera jamais le voyage outre-Atlantique).
Deux remarques d’ordre technique. (1) Par suite d’un bogue dans le logiciel il n’a pas été possible de transcrire de manière satisfaisante les notes d’agrément dans les parties de flûtes et de clarinettes aux mesures 256 et 272, et il a fallu y substituer des doubles croches. (2) Le tempo indiqué par Berlioz pour l’allegro assai (ronde = 80) est extrèmement rapide et semble peu praticable à l’exécution (voyez Hugh Macdonald dans Berlioz Studies, ed. Peter Bloom [Cambridge University Press 1992], p. 24). Dans la version présente l’allegro a été fixé à ronde = 69, avec une accélération dans la conclusion à partir de la mesure 580 pour atteindre ronde = 80 à la mesure 604.
Ouverture:
Les Francs Juges (durée 11'46")
— Partition en grand format
(fichier créé le
24.1.2001; révision le 11.12.2001)
— Partition en format pdf
Cette page revue et augmentée le 1er octobre 2021.
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