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    Le dimanche 29 octobre 1848 Berlioz dirige un grand concert au palais de Versailles, dans des circonstances assez particulières, peu après la révolution qui vient de balayer le gouvernement de Louis-Philippe pour instaurer une République qui sera de courte durée. C’est aussi un moment difficile dans la vie de Berlioz: son père est mort le 28 juillet, juste après le retour du compositeur de son premier séjour à Londres, et d’autre part la santé de Harriet Smithson s’aggrave. La correspondance de Berlioz est la source principale pour l’événement qui ne reçoit qu’une mention passagère dans la septième des Soirées de l’orchestre (au deuxième paragraphe de l’histoire intitulée Madame Rosenhain). Il n’est pas évoqué dans les Mémoires. Le 12 octobre, dans une lettre à sa sœur Nancy qui relate ses multiples préoccupations, Berlioz évoque le concert qu’il est en train de préparer (Correspondance Générale no. 1227, ci-après CG tout court; voir aussi no. 1211):

[…] On m’a chargé de la direction d’un grand concert qui va être donné au profit de la caisse des musiciens associés, dans la salle du grand opéra de Versailles, celle du Palais, et tout mon temps est absorbé maintenant par ces préparatifs. […]

    Quelques jours plus tard Nancy répond: ‘J’espère qu’il y aura quelque chose à gagner pour toi à conduire ce grand concert de Versailles’ (CG no. 1229, 17 octobre). Cet espoir sera déçu (voir ci-dessous les lettres à Adèle et à Nancy).

    Au programme du concert: des ouvertures de Beethoven (Léonore no. 2, que Berlioz préférait à la troisième ouverture, plus populaire) et Rossini (La Gazza Ladra ou La pie voleuse), l’Ave Verum de Mozart (morceau fort admiré par Berlioz qui le cite intégralement dans son Traité d’instrumentation, dans le chapitre sur les Voix), un chœur et des danses de l’Armide de Gluck, et l’Invitation à la valse de Weber dans l’instrumentation populaire de Berlioz. Berlioz est representé par la mélodie La Captive, interprétée par Mme Wiedemann (c’est seulement la deuxième exécution de cette mélodie, et la première dans sa version avec orchestre; cf. CG no. 1880), la fameuse Marche hongroise écrite deux ans plus tôt pour la visite à Budapest, et la deuxième partie de Roméo et Juliette (Grande fête chez Capulet), l’une des pièces de résistance du répertoire orchestral de Berlioz. Le 22 octobre, une semaine avant le concert et en guise de préliminaire, une Messe d’Adolphe Adam est exécutée à la Chapelle du palais de Versailles sous la direction de Georges Bousquet, au profit des pauvres – il existe une invitation à cette Messe de la part de l’Association des Artistes-Musiciens, avec la signature de son président le Baron Taylor et de plusieurs compositeurs célèbres, entre autres Berlioz lui-même (voyez la reproduction de l’original dans D. Kern Holoman, Berlioz [1989], p. 406). Le 24 octobre Berlioz écrit au Baron Taylor lui demandant d’insérer le texte de La Captive dans le programme qui doit être distribué au concert; il ajoute qu’il va faire annoncer le concert dans le Journal des Débats ainsi que dans une autre journal (CG no. 1232, cf. CG III p. 582 n. 1).

    Concert de grande envergure: plus de 400 instrumentistes et chanteurs y prendront part. L’instrumentation de Berlioz de l’Invitation à la valse comprend deux parties de harpes: au concert elles seront exécutées par pas moins de 18 harpistes. Une lettre de Berlioz peu avant le concert évoque la ‘légion’ de musiciens que Berlioz emmène avec lui de Paris à Versailles pour l’occasion (CG no. 1232bis [tome VIII]). Deux lettres datées du 27 octobre, où Berlioz envoie des billets de faveur à des amis, évoque une répétition qui a eu lieu le jour même: ‘Je serais bien aise que vous vinssiez; ce sera, je crois, assez bien. La répétition de ce matin me le fait espérer’ (CG no. 1234, à un correspondant inconnu); ‘Je suis si fatigué de la répétition de ce matin qui je puis à peine tenir ma plume’ (CG no. 1233, à Émile Deschamps). Deschamps, l’auteur du livret de Roméo et Juliette, avait un domicile à Versailles, selon plusieurs lettres de Berlioz de 1857 et 1858 (CG nos. 2257, 2258, 2282), mais on ignore si c’était le cas en 1848 (CG no. 1372 le laisse supposer).

    Trois lettres de Berlioz après le concert donnent ses impressions; elles mettent aussi en lumière le contexte, tant personnel que politique, de l’événement. À son autre sœur Adèle le 1er novembre (CG no. 1236):

Je viens de passer trois semaines dans une agitation excessive et je suis brisé de fatigues de tout espèce. Henriette a été frappée il y a 16 ou 17 jours d’une attaque d’apoplexie, à la suite de laquelle elle est demeurée paralysée de tout le côté droit et elle a perdu l’usage de la parole. J’étais obligé d’aller à Montmartre [où Harriet s’était installée la même année] deux fois par jour et le médecin faisait son possible pour y venir aussi souvent; les saignées se succédaient, les sinapismes, et tout le traitement indiqué en pareil cas, sans le moindre résultat. Enfin depuis avant-hier elle commence à pouvoir dire quelques mots anglais mais impossible d’en articuler deux de français. La paralysie semble diminuer un peu, mais c’est à peine si l’on doit tenir compte de la sensibilité imperciptible qui se manifeste au pied seulement. Dans le même moment le Comité de l’association des musiciens de Paris venait me confier l’organisation et la direction d’une immense fête musicale qui devait avoir lieu au palais de Versailles. Tu juges de mes préoccupations! Ce concert s’est donné dimanche dernier [29 octobre], dans cette salle éblouissante où le public jusqu’ici n’avait été admis qu’une fois par Louis Philippe; nous avons fait une énorme recette et refusé plus de cinq cents personnes. J’ai eu un grandissime succès pour les morceaux de ma composition. Mais ces solennités m’abîment de fatigue, me font perdre beaucoup de temps et ne me rapportent rien; puisque la recette est pour la Caisse de la Société. Nous avions une partie du Gouvernement entre autres M. Marrast [président de l’Assemblée Nationale] qui avait exigé la place royale. En conséquence le fauteuil du milieu de l’amphithéâtre a maintenant été occupé par 5 souverains: Louis XV, Louis XVI, Louis-Philippe Ier, Napoléon Ier, et Marrast 0!!!! […]

    À sa sœur Nancy le 10 novembre (CG no. 1237):

[…] On m’apporte ta lettre. J’avais bien supposé qu’Adèle te ferait part de la mienne. Oui, ce concert a été fort inopportun et m’a horriblement fatigué. Le temps qu’il m’a fait perdre équivaut en outre à une somme de deux cents francs au moins.
La présidence du petit père Marrast dans le fauteuil royal fait un bruit du diable; on le mitraille de quolibets dans tous les journaux à ce sujet. Au reste je crois bien que son règne est fini. A qui le sceptre de la République va-t-il échoir? […]

    Finalement le 28 novembre au Comte Mikhail Wielhorsky, qu’il a rencontré au cours de son premier voyage en Russie en 1847 (CG no. 1240):

[…] Paris a toujours la fièvre et de fréquentes attaques du delirium tremens; songer aux travaux paisibles de l’intelligence, à la recherche du beau dans la littérature et les arts, avec un pareil état de choses, c’est vouloir faire une partie de Billard sur un vaisseau battu par la tempête du Pôle antarctique, au moment où une voie d’eau s’est déclarée dans la cale et une insurrection de matelots dans l’entrepont.
Nous avons pourtant organisé un beau concert à Versailles dernièrement pour la caisse des musiciens associés. On m’avait chargé de l’organisation et de la direction de cette fête musicale. On nous avait prêté la splendide salle du Palais que le public n’avait encore pu voir que deux fois depuis qu’elle existe. La recette a été magnifique, eu égard au temps et aux mœurs. Car le bas prix des places n’a pas permis d’opérer en grand. Nous avons eu l’Illustre Marrast entouré de sa pléiade de gredins, siégeant aux lieux et places de Louis XV et de sa cour. Les journaux vous auront sans doute appris cette bouffonnerie républicaine. […]

Versailles en images

    Les images ci-dessous ont été saisies à partir de cartes postales et de l’ouvrage Paris and Its Environs par Augustus Pugin et Charles Heath (1830), de notre collection. Les gravures originales publiées dans Paris and Its Environs datent de 1829. © Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

Le Palais de Versailles – la Cour Royale
Palais de Versailles

(Image plus grande)

Le Palais de Versailles – la Façade de Jardin
Palais de Versailles

(Image plus grande)

Le Palais de Versailles vers 1910
Palais de Versailles

(Image plus grande)

Versailles – l’Opéra de Louis XV
Versailles Opéra Louis XV

(Image plus grande)

Versailles – l’intérieur de l’Opéra de Louis XV
Versailles Opéra Louis XV

(Image plus grande)

    Cette carte a été postée à Bordeaux le 26 août 1984.

    Construit en 1769 pour Louis XV comme ‘Opéra Royal’ par l’architecte Ange-Jacques Gabriel, le bâtiment est fondé sur un édifice du 17ème siècle dû à François Mansart. Il ouvre le 16 mai 1770 avec une représentation du Persée de Lully à l’occasion des fêtes pour le mariage du Prince Louis (le futur Louis XIV) et l’archiduchesse Marie-Antoinette d’Autriche. Avec 712 sièges c’est le plus grand théâtre en France à l’époque de son ouverture. Fermé en 1789 au cours de la Révolution il est rouvert et remis à neuf par Louis-Philippe en 1837. D’importants travaux de restauration en 1952-1957 le rétablissent à son plan d’origine.

Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997;
Page Berlioz à Versailles créée le 20 mai 2008. Révision le 1er septembre 2023.

© Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page.

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