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Berlioz à Paris

Concerts et exécutions 1825-1869 — textes et documents

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Abréviations:

CG = Correspondance générale (1972-2003)
NL = Nouvelles lettres de Berlioz, de sa famille, de ses contemporains (2016)

1828

Au Rédacteur en chef de la Revue Musicale (CG no. 86; 16 mai)

[…] Le bruit s’est répandu dans le monde musical que j’allais donner un concert composé tout entier de ma musique, et déjà une rumeur de blâme s’élève contre moi. On m’accuse de présomption, de témérité; on me prête les prétentions les plus ridicules.
A tout cela, je répondrai que je veux tout simplement me faire connaître, afin d’inspirer si je le puis quelque confiance aux auteurs et aux directeurs de nos théâtres lyriques. Ce désur est-il blâmable dans un jeune homme? je ne le crois pas. Or, si un pareil dessein n’a rien de répréhensible, en quoi les moyens que j’emploie pour l’accomplir peuvent-ils l’être?
Parce qu’on a donné des concerts composés tout entiers des œuvres de Mozart et de Beethoven, s’ensuit-il de là qu’en faisant de même j’aie les prétentions absurdes qu’on me suppose?... Je le répète, en agissant ainsi, je ne fais qu’employer le moyen le plus facile de faire connaître mes essais dans le genre dramatique.
Quant à la témérité qui me porte à m’exposer devant le public dans un concert, elle est toute naturelle, et voici mon excuse. Depuis quatre ans je frappe à toutes les portes; aucune ne s’est encore ouverte. Je ne puis obtenir aucun poème d’opéra, ni faire représenter celui qui m’a été confié. J’ai essayé inutilement tous les moyens de me faire entendre, il n’en reste qu’un, je l’emploie, et je crois que je ne ferai pas mal de prendre pour devise ce vers de Virgile:
    Una salus victis nullam sperare salutem [Le salut des vaincus est de n’en plus attendre]. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 91; 29 mai)

Mon cher papa,
Le retard que j’ai mis à vous rendre compte du résultat de mon concert vous a peut-être inquiété; je m’empresse de vous annoncer que j’ai obtenu le plus grand succès. Si je ne l’ai pas fait plus tôt, c’est que j’attendais que les journaux en fissent mention; comme il n’y en a encore que deux qui ont émis leur opinion sur moi et que pour l’ordinaire les autres ne s’occupent des concerts que 8 jours plus tard, j’attendrai à la semaine prochaine pour vous les envoyer.
Je n’avais presque aucune crainte du public d’après le prodigieux bonheur que j’avais eu aux deux répétitions générales; les artistes avaient paru si étonnés, ils m’avaient si fort applaudi, que lors même que mon concert n’eût pas eu lieu, les répétitions auraient suffi pour me faire une réputation dans le monde musical. J’avais le plus bel orchestre qu’on puisse trouver en Europe, malheureusement les chœurs étaient de beaucoup inférieurs, et la partie vocale de mon concert était écrasée par l’instrumentale, et pour la qualité et pour la quantité. Quoi qu’il en soit, j’ai réussi autant qu’il est possible et plus même que je n’avais espéré. Plusieurs personnes redoutaient pour moi le souvenir des symphonies de Beethoven, qu’on avait entendues dans le même local quinze jours auparavant. Néanmoins ma première ouverture a été applaudie à plusieurs reprises et le chœur final de la première partie du concert a produit un tel effet que les artistes même n’ont pas pu se contenir. Malgré l’usage qui ne permet de donner aucune marque d’approbation ni d’improbation devant le public, l’orchestre, le chœur, les chanteurs se sont levés en masse et les bravos qui partaient du Théâtre ont couvert ceux de la salle. Il est difficile de se faire une idée de ce que j’éprouvais dans ce moment-là.
Mon ouverture des Francs-Juges était moins à la portée du public qui l’entendait pour la première fois, aussi n’a-t-elle obtenu qu’une salve tandis que les autres morceaux en ont eu jusqu’à trois. Quand nous l’avons répétée le 1er jour, elle a excité par ses formes étranges et ses allures gigantesques une sorte de stupeur dans l’orchestre; au milieu de l’introduction un de mes violons frappé d’étonnement s’arrête et s’écrie: « Ah! ah! L’arc-en-ciel joue du violon, les vents jouent de l’orgue, le temps bat la mesure! » Cette citation d’une ancienne tragédie a donné le signal, et sans connaître seulement l’allegro de l’ouverture, une grêle d’applaudissements a salué l’introduction. Voilà la raison de cet enthousiasme. Je me suis avisé, pour peindre la terrible puissance des Francs-Juges et leur sombre fanatisme, de faire exécuter un chant d’une expression grandement féroce, par tous les instruments de cuivre réunis en octaves. Ordinairement les compositeurs n’emploient ces instruments que pour renforcer l’expression des masses; mais en donnant aux trombones une mélodie caractérisée exécutée par eux seuls, le reste de l’orchestre frémissant au-dessous, il en est résulté l’effet monstrueux et nouveau qui a si fort étonné les artistes.
Le public n’a pas pu se rendre raison aussi vite de la singularité de l’impression qu’il éprouvait. Et j’ai reconnu là comme dans plusieurs autres morceaux qu’on ne peut pas plier tout d’un coup un auditoire musical à des formes nouvelles; à l’exécution d’un chœur qui se termine d’une manière inusitée, les applaudissements ne sont partis qu’un instant après la fin, quand on a vu que c’était décidément fini. J’évite en général comme la peste ces lieux communs que tous les compositeurs (excepté Weber et Beethoven) mettent à la fin de leurs morceaux; c’est une espèce de charlatanisme qui veut dire: « Préparez-vous à applaudir, ça va être fini; » et rien à mes yeux n’est plus pitoyable que ces phrases banales et de convention qui font que toutes les musiques se ressemblent.
Mon auditoire renfermait tout ce que le monde musical cite de plus brillant; j’ai été singulièrement flatté de me voir applaudir par Herold, Auber, Lesueur, Reicha, Nourrit, Derivis, Mme Catalani (qui passait à Paris cette semaine), des membres de l’Institut, les directeurs de l’Odéon et de l’Opéra etc., etc. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 93; 6 juin)

[…] Grand, grand succès! Succès d’étonnement dans le public, et d’enthousiasme parmi les artistes.
On m’avait déjà tant applaudi aux répétitions générales de vendredi et de samedi, que je n’avais pas la moindre inquiétude sur l’effet que produirait ma musique sur les auditeurs payants. L’ouverture de Waverley, que vous ne connaissez pas, a ouvert la séance de la manière la plus avantageuse possible, puisqu’elle a obtenu trois salves d’applaudissements. Après est venue notre chère Mélodie Pastorale. Elle a été indignement chantée par les solos, et le chœur de la fin ne l’a pas été du tout; les choristes, au lieu de compter leurs pauses, attendaient un signe que le chef d’orchestre ne leur a pas fait, et ils se sont aperçus qu’ils n’étaient pas entrés quand le morceau était sur le point de finir. Ce morceau n’a pas produit le quart de l’effet qu’il renferme.
La Marche Religieuse des Mages, que vous ne connaissez pas non plus, a été fort applaudie. Mais quand est venu le Resurrexit de ma Messe, que vous n’avez jamais entendu depuis que je l’ai retouché et qui était chanté pour la première fois par quatorze voix de femmes et trente hommes, la salle de l’Ecole Royale de Musique a vu pour la première fois les artistes de l’orchestre quitter leurs instruments aussitôt après le dernier accord et applaudir plus fort que le public. Les coups d’archet retentissaient comme la grêle sur les basses et les contrebasses; les femmes, les hommes des chœurs, tous applaudissaient; quand une salve était finie, une autre recommençait; c’étaient des cris, des trépignements!...
Enfin, ne pouvant plus y tenir dans mon coin de l’orchestre, je me suis étendu sur les timbales, et je me suis mis à pleurer. […] (développment sur l’ouverture des Francs-Juges) […]
Enfin, vous connaissez notre Scène héroïque grecque, le vers: « le Monde entier... » n’a pas pu produire la moitié de l’effet de cet épouvantable passage. A la vérité, il a été fort mal exécuté; Bloc, qui conduisait l’orchestre, s’est trompé de mouvement en commençant: « Des Sommets de l’Olympe ... » Et, pour ramener l’orchestre au mouvement véritable, il a causé un désordre momentané dans les violons qui a failli tout gâter. Malgré cela, l’effet est aussi grand et peut-être plus grand que vous n’imaginez. Cette marche précipitée des auxiliaires grecs, et cette exclamation: « Ils s’avancent! » sont d’un dramatique étonnant. Je ne gêne pas avec vous, comme vous voyez, et je dis franchement ce que je pense de ma musique. […]

1829

À Humbert Ferrand (CG no. 140; 30 octobre)

Ferrand, Ferrand, ô mon ami! où êtes-vous? Nous avons fait la première répétition ce matin. Quarante-deux violons, total cent-dix musiciens! Je vous écris chez le restaurateur Lemardelay en attendant mon dessert. Rien, je vous jure, rien n’est si terriblement affreux que mon ouverture des Francs-Juges. O Ferrand, mon cher ami, vous me comprendriez; où êtes-vous? C’est un hymne au désespoir, mais le désespoir le plus désespérant qu’on puisse imaginer, horrible et tendre. Habeneck, qui conduit mon immense orchestre, en est tout effrayé. Ils n’ont jamais rien vu de si difficile; mais aussi il paraît qu’ils trouvent que ce n’est pas mal car ils me sont tombés dessus après la fin de l’ouverture, non seulement avec des applaudissements forcenés, mais avec des cris presque aussi effrayants que ceux de mon orchestre. O Ferrand, Ferrand, pourquoi n’êtes-vous pas ici? […]

À Humbert Ferrand (CG no. 142; 6 novembre)

[…] Quoi qu’il en soit, puisque vous vous intéressez si vivement à ce qui me touche et que votre amitié vous fait prendre tant de part à toutes mes agitations, je vous dirai que j’ai obtenu un succès immense; l’ouverture des Francs-Juges surtout a bouleversé la salle; elle a obtenu quatre salves d’applaudissements. Mlle Marinoni venait d’entrer en scène pour chanter une pasquinade italienne; profitant de ce moment de calme, j’ai voulu me glisser entre les pupitres pour prendre une liasse de musique sur une banquette; le public m’a aperçu; alors les cris, les bravos ont recommencé; les artistes s’y sont mis, la grêle d’archets est tombêe sur les violons, les basses, les pupitres; j’ai failli me trouver mal. Et des embrassades à n’en plus finir; mais vous n’étiez pas là!... En sortant, après que la foule a été écoulée, les artistes m’ont attendu dans la cour du Conservatoire, et, dès que j’ai paru, les applaudissements en plein air ont recommencé. Le soir, à l’Opéra, même effet; c’était une fermentation à l’orchestre, au foyer. O mon ami, que n’êtes-vous ici! […]

1830

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 155; 19 février)

[…] Je vous dirai, mon cher papa, que j’ai obtenu hier soir un assez beau succès. On a exécuté à l’Athénée musical devant un public très nombreux deux de mes mélodies, l’une à grand chœur, l’autre à voix seule avec piano seulement. J’ai eu le plaisr de voir tout ce monde qui avait écouté avec assez d’indifférence tous les morceaux antérieurs accueillir les miens avec un redoublement d’attention, un long chut a exigé le silence dans toutes les parties de la salle, et mon nom prononcé de tous côtés, indiquait qu’on attendait quelque chose de moi. Aussi, la prévention favorable a fait son effet; et quoique les deux morceaux exécutés soient du genre calme et mélancolique (« La Rêverie ») et (« Le Chant sacré ») que, par conséquent, ils ne soient pas de nature à remuer les masses, néanmoins ils ont été salués de plusieurs bordées d’applaudissements. Les commissaires de l’Athénée m’ont demandé instamment de leur donner d’autres morceaux au prochain concert, beaucoup de spectateurs sont montés au théâtre pour me féliciter, etc. Bref, j’ai eu les honneurs de la soirée. Les journaux ont tant parlé de l’originalité de ma musique, qu’à présent c’est une chose convenue, je n’écrirais que six notes qu’on y verrait encore quelque originalité. Ainsi pour le « Chant sacré », qui, s’il a quelque mérite, a plutôt celui de l’expression et de la grandeur que tout autre, on a trouvé que cela ne ressemblait à rien de connu, que c’était entièrement neuf, etc. Rien n’est moins vrai, mais il faut laisser dire ce bon public!... Je commence à avoir ce qu’il faut pour une réputation saillante, des partisans passionnés et des adversaires furieux, dont tout l’argument est que je suis à moitié fou et que je perds la tête, ou que je suis un génie malfaisant venu pour détruire et non pour édifier; mes innovations les mettent hors d’eux-mêmes. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 190; 6 décembre)

Je n’ai eu le temps de vous écrire que six lignes; mon concert a eu lieu hier avec un succès extraordinaire. La Symphonie fantastique a été accueillie avec des cris, des trépignements; le public a redemandé la Marche du supplice; mais comme il était très tard et que le Songe d’une nuit du sabbat est un long morceau, Habeneck n’a pas voulu recommencer; on a fait observer que ce serait trop, et on n’a pas insisté.
Camille et sa mère y étaient, elles mouraient de peur de ce que Mme Moke appelait mon extravagant programme; elles ont été consternées d’émotion, Camille me disait hier soir: « Non, jamais je n’aurais supposé qu’un orchestre pût faire entendre de pareils effets. Oh! comme je déteste ma musique de piano à présent; comme c’est pauvre et mesquin! »
Mme Moke était dans un transport incroyable.
Pixis, Spontini, Meyer-Beer, Fétis ont applaudi comme des furieux, et Spontini s’est écrié en entendant ma Marche du supplice: « Il n’y a jamais eu qu’un homme capable de faire un pareil morceau, c’est Beethoven; c’est prodigieux! »
Pixis m’a embrassé, et plus de cinquante autres. C’était une fureur. Liszt le célèbre pianiste m’a pour ainsi dire emmené de force dîner chez lui en m’accablant de tout ce que l’enthousiasme a de plus énergique. Ce pauvre M. Lesueur était encore malade, il n’a pu venir, mais ces dames y étaient, elles sont ravies. […]

1831

1832

À sa sœur Nancy Pal (CG no. 293; 26 novembre)

[…] Mon concert est fixé et affiché pour le dimanche 9 décembre, dans 12 jours. Tout marche tellement à souhait que cela m’effraye. Les artistes m’ont accueilli à mon arrivée avec un empressement des plus affectueux; ils s’empressent à l’envie de faire partie de mon orchestre. Ce sera gigantesque d’exécution instrumentale. Les voix seront en trop petit nombre, je ne puis avoir plus de 15 femmes et 20 hommes. Cherubini a été charmant à mon égard, il est allé jusqu’à me dire « qu’il était enchanté de me revoir ». M. Véron, Directeur de l’Opéra m’a refusé A. Nourrit, m’en a accordé un autre — Dupont, et m’a accablé à mon arrivée chez lui de compliments courtisanesques; je suis curieux de voir le résultat de ses paroles emmiellées. Il viendra au concert.
Mon affiche excite la curiosité au plus haut degré. On en parle partout. Je n’ai jamais eu autant de marge que cette fois-ci. Tout est prêt aujourd’hui et le concert n’est que dans 12 jours. […]

À sa sœur Adèle Berlioz (CG no. 295; 10 décembre)

J’ai obtenu hier un succès extraordinaire. Presque tout a été bien exécuté et senti. J’ai été écrasé d’applaudissements, et, ce qui ne m’était jamais arrivé, redemandé à grands cris par le public qui avant de sortir de la salle a voulu me voir; j’ai donc été obligé de paraître sur l’avant-scène au milieu de la grêle retentissante de bravos du public et de l’orchestre. Je suis presque bien aise, bonne sœur, que tu ne te sois pas trouvée là, tu en aurais pris une attaque de nerfs. Je suis sûr aussi que cela aurait fait du mal à mon père. Mon nouvel ouvrage, le Mélologue, dont j’ai fait aussi les paroles, a été joué par notre admirable tragique Bocage, qui a été d’un sublime irrésistible. Je suis encore fatigué des embrassades, des transports de tout ce monde, et entre autres de Paganini, de V. Hugo, d’A. Dumas, d’A. Nourrit, de je ne sais combien de gens, hommes et femmes, qui sont montés au théâtre pour me voir.
J’ai vu que j’avais fait un fameux progrès sur mes propres sensations, car je n’ai pas été faible un seul instant; ah! si, cependant; quand Bocage, encore pâle d’émotion, s’est élancé au foyer et m’a embrassé avec fureur à trois reprises, j’ai failli me compromettre et laisser échapper des larmes. […]
On me tourmente pour redonner une seconde représentation, à laquelle certainement je gagnerais beaucoup; je vais voir si la chose est possible d’ici à une quinzaine. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 299; 14 décembre)

Je vous envoie aujourd’hui dix exemplaires du Mélologue avec quelques journaux; je vous aurais adressé tous ceux qui ont parlé de moi, mais plusieurs n’étaient pas timbrés, je n’ai pu les mettre à la poste; je m’en procurerai d’autres que je vous enverrai avec ceux qui n’ont encore rien dit. Fétis, qui a reçu en plein sur la figure le soufflet que je lui avais adressé dans le Mélologue dans la tirade des arrangeurs et correcteurs, s’en est vengé aujourd’hui dans un article virulent du Temps où la passion perce de toutes parts. N’importe, le succès est immense, je reçois tous les jours une pacotille de lettres de gens inconnus qui me complimentent avec effusion. M. d’Argout m’en a écrit une charmante avant-hier. On redemande le concert de tous côtés et je vais le redonner; je suis sûr d’avoir une brillante recette. Je reçois des coups de chapeau dans les rues, au théâtre, de gens que je n’ai jamais vus; c’est un bruit, un cliquetis de conversations dans les salons, à l’Opéra, au foyer, aux coulisses, il n’est question que de mon concert partout. Bocage, dans mon rôle de l’artiste, a été sublime de verve, de sensibilité, d’inspiration et de malice. Dans la tirade sur les arrangeurs et celle des brigands, il a été interrompu par des applaudissements sans fin. A celle: « Oh! que ne puis-je la trouver cette Juliette, cette Ophélie, que mon cœur appelle! » les mouchoirs ont commencé à se montrer.
L’orchestre, composé des mêmes exécutants, sera fort et hardi la prochaine fois; ce qui lui a manqué, c’est l’assurance. Avec une nouvelle répétition soignée et payée, tous les détails, toutes les nuances sortiront. […]

À sa sœur Adèle Berlioz (CG no. 304; 20 décembre)

[…] Je me doutais bien de la joie que te ferait éprouver mon succès; j’aurais voulu pouvoir vous envoyer tous les journaux qui ont parlé de moi, mais c’est impossible il y en a 21 ou 22 et je n’ai pas le temps de leur courir après. Toutefois j’ai voulu vous adresser hier le numéro de l’Artiste journal hebdomadaire qui contient un article fort curieux et bien senti, mais on n’a pas voulu absolument me le vendre nulle part. Mon second concert devait avoir lieu dimanche prochain quand une répétition générale annoncée à l’Opéra pour ce jour-là même est venue m’enlever une partie de l’orchestre et son chef M. Habeneck; j’ai donc été forcé de remettre au dimanche suivant 30 décembre. Cela nuira à la recette à cause du voisinage du jour de l’an; cependant M. Schlesinger mon marchand de musique vient à l’instant même de me renouveler l’offre de deux mille francs si je voulais lui vendre mon concert. Je n’ai pas voulu. Je ne crois pas y gagner beaucoup, les frais sont trop énormes, je paye l’orchestre entièrement. On m’a redemandé l’ouverture des Francs-Juges que j’ajoute à la fin, avec la Captive de Victor Hugo. […]

1833

Au Comité de la Société des Concerts du Conservatoire (CG no. 328; 13 mars)

J’ai apporté d’Italie quelques compositions instrumentales qui n’ont point encore été exécutées. L’une d’elles (l’ouverture de Rob Roy) pourrait-elle avoir l’honneur de figurer dans le programme d’un de vos brillants concerts?... Les parties n’étant pas encore copiées, je vous prie, messieurs, dans le cas où votre réponse serait favorable, de me la faire parvenir le plus tôt possible. […]

À Thomas Gounet (CG no. 366; entre le 15 et le 20 décembre)

J’espère que vous viendrez dimanche prochain entendre mon ouverture du Roi Lear qui est une chose... cette chose a obtenu un succès violent à la répétition de ce matin et j’espère qu’il en sera de même au grand jour. […]

À Victor Hugo (CG no. 367; 21 décembre)

Monsieur Hugo serait-il assez aimable de disposer en ma faveur de deux heures, demain dimanche, pour venir entendre au Conservatoire ma nouvelle composition sur Le Roi Lear, ainsi que la romance de Marie Tudor. Nous terminerons par ma Symphonie fantastique, et d’après les répétitions je suis sûr d’une exécution foudroyante.

À sa sœur Adèle Berlioz (CG no. 370; 26 décembre)

Merci mille fois, bonne sœur, véritable amie, de ton affectueuse lettre; je l’attendais il y a longtemps. Depuis que je l’ai reçue, j’ai prise une furieuse revanche du gâchis du Théâtre Italien [le 24 novembre]. Dimanche dernier j’ai donné un concert au Conservatoire avec un succès plus grand que je n’en ai obtenu de ma vie. Tout a été exécuté avec une perfection rare, une chaleur, un enthousiasme qu’on ne voit presque jamais, parmi les artistes d’orchestre. L’effet a été foudroyant; le public a fait recommencer la Marche du supplice malgré la longueur énorme du morceau. C’est la première fois que j’ai les honneurs du bis. La recette a été assez belle; je n’ai pas à me plaindre sous aucun rapport. Henriette était dans un transport de joie, dont toi seule au monde peux avoir une idée. Elle était si ravie en sortant au milieu des félicitations qui lui venaient des A. Devigny, Hugo, E. Deschamps, Legouvé, Eugène Süe; (car il faut que tu saches que tous les poètes de Paris y assistaient). Oh ma pauvre Adèle pourquoi n’y étais-tu pas?... Mon oncle y a assisté; je ne l’ai vu qu’un instant au commencement. […]

1834

À Humbert Ferrand (CG no. 398 [voir le tome VIII]; 15/16 mai)

[…] Pour ce qui est de la Chasse de Lützow, la voici telle que j’ai fait chanter au Théâtre Italien par ces animaux de choristes, qui en ont détruit l’effet (suit une citation musicale) […]

À Nathan Bloc (CG no. 415; 28 novembre)

[…] Vous me demandez quelques détails sur ce que je fais, mais en vérité je suis dans un tel tourbillon d’affaires de toute espèce que je remettrai à une autre fois les détails. Seulement je viens de donner deux concerts [9 et 23 novembre], j’en donne un troisième dans huit jours [7 ou 14 décembre], où je fais entendre une seconde fois la nouvelle symphonie (Harold) avec alto principal, puis je quitte la salle du Conservatoire pour le théâtre Ventadour où nous allons, Girard et moi, monter une fête musicale. Ce sera la première qu’on aura donné à Paris. Mes actions commencent à monter. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 416; 30 novembre)

[…] Je suis abîmé de fatigue, et il me reste encore beaucoup à faire. Mon second concert a eu lieu [23 novembre], et votre Harold a reçu l’accueil que j’espérais, malgré une exécution encore chancelante. La Marche des Pélerins a été bissée; elle a aujourd’hui la prétention de faire le pendant (religieux et doux) de la Marche au supplice. Dimanche prochain, à mon troisième concert [7 ou 14 décembre], Harold reparaîtra dans toute sa force, je l’espère, et paré d’une parfaite exécution. L’Orgie de Brigands qui termine la symphonie est quelque chose d’un peu violent; que ne puis-je vous la faire entendre! Il y a beaucoup de votre poésie là-dedans; je suis sûr que je vous dois plus d’une idée. […]

À Joseph d’Ortigue (CG no. 420; entre le 20 et le 26 décembre)

[…] J’ai été obligé de donner ce quatrième concert [28 décembre] pour faire un peu d’argent. Tout l’orchestre vient pour rien. Ne reviens plus dans tes articles sur ma position d’argent; il est inutile d’insister davantage là-dessus.

1835

À sa sœur Adèle Berlioz (CG no. 424; 10 janvier)

[…] Je ne t’avais pas écrit depuis longtemps, c’est vrai; mais tu sais combien j’ai eu de choses à faire. Quatre concerts en un mois et demi, et plusieurs ouvrages nouveaux à faire entendre, ce qui double la difficulté; puis des articles sans fin à écrire pour mon misérable Rénovateur et pour la Gazette musicale. Sans cela je ne sais trop de quoi nous aurions vécu pendant que je montais mes concerts, ce damné théâtre Ventadour ayant mal tourné; je n’ai pas pu arracher un sou des appointements de ma femme. De sorte que voilà près de deux mille francs de perdus sur lesquels nous devions compter. Il est vrai que j’ai gagné à peu près autant, malgré l’énormité des frais, avec mes concerts; mais pour acheter nos maudits meubles j’avais été obligé de dépenser beaucoup d’avance et tu penses que l’argent n’a pas fait un long séjour à la maison. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 425 [voir le tome VIII]; 10 janvier)

[…] Je voudrais bien vous envoyer Harold, qui porte votre nom et que vous n’avez pas. Cette symphonie a eu une recrudescence de succès à sa troisème exécution [le 28 décembre], je suis sûr que vous en seriez fou. Je la retoucherai encore dans quelques menus détails, et, l’année prochaine, elle produira, je l’espère, encore plus de sensation. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 429 [voir le tome VIII]; 15 avril)

[…] Ajoutez que j’ai fit mille tentatives, depuis deux mois, pour donner encore un concert; j’ai essayé de toutes les salles de Paris, celle du Conservatoire m’étant fermée, grâce au monopole qu’on a accordé aux membres de la Société des Concerts. J’ai reconnu, à n’en pouvoir douter, que cette salle était la seule dans Paris où je pusse me faire entendre convenablement. Je crois que je donnerai une dernière séance le 3 mai, le Conservatoire ayant fini ses concerts à cette époque. […]
Votre Harold est toujours en grande faveur. Liszt en a fait exécuter, à son concert de l’hôtel de ville [9 avril], un fragment qui a obtenu les honneurs de la soirée. Je suis bien désolé que vous n’ayez pas à vous cette partition qui vous est dédiée. […]

À sa sœur Adèle Berlioz (CG no. 430; 17 avril)

[…] Si j’avais pu donner depuis trois mois quelques concerts nous serions à l’aise, mais n’y a-t-il pas en tout et partout des monopoles? La seule salle de Paris dans laquelle je puisse faire exécuter ma musique est celle du Conservatoire, or par un privilège de la liste civile, elle est accordée depuis le Ier janvier de chaque année jusqu’au Ier mai à la Société des Concerts. C’est la meilleure époque de l’année qui m’est interdite. Je vais, au 3 mai prochain, donner une dernière séance musicale, puis je me taira jusqu’à l’hiver prochain. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 435; 6 mai)

Je viens enfin d’être débarrassé de mon dernier concert [3 mai] et je profite du premier moment de liberté pour vous écrire. […]
Mon dernier concert a été assez satisfaisant sous le rapport financier, la recette s’est arrêtée à deux mille cinq cent quarante francs, mais j’eusse fait bien certainement quatre mille francs, sans les courses du Champ de Mars et les Grandes Eaux de Versailles que favorisait un temps admirable et où beaucoup de monde s’est précipité. Car l’amour de la musique chez les Parisiens ne va pas jusqu’à la préférer aux chevaux et autres spectacles des yeux. Ils traitent les Espagnols de barbares, mais si quelque entrepreneur s’avisait d’annoncer des combats de taureaux, à coup sûr toute la société fashionable se ferait enfoncer les côtes pour y assister.
L’exécution musicale a été au contraire détestable; nous n’avions pu faire qu’une seule répétition et bien qu’elle eût duré trois heures et demie, elle était complètement insuffisante. Je ne m’exposerai plus ainsi une autre fois. Le roi avait fait retenir sa loge, la reine qui devait y venir, s’est décidée une heure avant le concert, pour partir pour Versailles. Trois gouttes de pluie me l’eussent amenée. Ses dames d’honneur seules y sont venues. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 440 [voir le tome VIII]; après le 23 août)

[…] Je ne sais de quel concert vous me demandez des nouvelles j’en ai donné sept cette année. Je recommencerai au mois de novembre, mais je n’aurai rien de nouveau à donner; ma fête musicale ne sera pas terminée et d’ailleurs, elle est pour sept cents musiciens. Je crois que le plan et le sujet vous plairont. Je redonnerai encore notre Harold. […]

À un correspondant inconnu (CG no. 449; 22 novembre ou 13 décembre)

[…] Ma muse n’est point exigeante et vous l’accusez à tort, d’ailleurs la vôtre est si riche qu’elle n’a rien à redouter des prétentions de sa sœur. La mienne est seulement fort capricieuse, et pour vous en donner un exemple, le Cinq Mai que vous entendrez ce soir était, pendant mon séjour à Rome, l’objet de ma préoccupation constante, mais ayant cherché pendant deux mois en vain la musique du refrain « pauvre soldat », j’avais fini par y renoncer. Un jour en me promenant sur les bords du Tibre le pied me manqua et je tombai dans le fleuve où je m’embourbai jusqu’aux genoux. En me relevant je chantai ma phrase si longemps cherchée et le morceau fut fait. Voilà pourquoi je n’ose jamais promettre aux poètes de mettre leurs vers en musique, quelque désir que j’en aie. […]

[Voir aussi Journal des Débats 23 juillet 1861 et À Travers chants]

À Philémon de Cuvillon (CG no. 451; 7 décembre)

J’ai l’honneur de vous prévenir que la répétition de mon 2e concert aura lieu samedi prochain le 12 dbre à 8 h. et demie du matin. Le programme n’est pas celui que j’avais annoncé d’abord, la Symphonie Fantastique et l’Ouverture du Roi Lear y figurent; et comme nous n’avons qu’une seule répétition je vous prie instamment de vous trouver à 8 h. et demie précises au Conservatoire. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 453 [voir le tome VIII]; 16 décembre)

[…] Je voudrais bien vous envoyer ma partition de Harold, qui vous est dédiée. Elle a obtenu, cette année, un succès double de celui de l’année dernière et décidément cette symphonie enfonce la Symphonie Fantastique. Je suis très heureux de vous l’avoir offerte avant de vous la faire connaître; ce sera un nouveau plaisir pour moi quand cette occasion se présentera. Franchement, je n’ai rien fait qui puisse mieux vous convenir. […]

À sa sœur Adèle Berlioz (CG no. 454; 24 décembre)

[…] Je ne t’ai pas écrit depuis bien longtemps; tu devines que mes concerts m’en ont empêché [22 novembre et 13 décembre]. Ils ont été fort brillants, mais je n’ai pu en donner que deux faute de nouveautés pour le troisième. Je n’ai rien pu composer de toute l’année, excepté le chant sur la mort de Napoléon [le Cinq mai]. Cette nécessité de sacrifier non seulement mon art, mais aussi un bénéfice certain, par l’impossibilité d’attendre et d’avoir de quoi vivre pendant le temps de la composition, est une des plus abominables mystifications qu’un homme puisse supporter. Ce que mes deux concerts m’ont rapporté équivaut à peine à ce que j’aurais gagné avec mes journaux pendant ces deux mois; d’abord parce que tout ce que j’y ai fait entendre est aujourd’hui trop connu, ensuite parce que j’ai donné le premier en société avec le chef d’orchestre Girard, et que le bénéfice a dû en conséquence être partagé. Pour le second concert je l’ai conduit moi-même et désormais je n’aurai plus besoin d’avoir recours à personne pour diriger l’exécution de ma musique. […]

1836

Au Duc d’Orléans (CG no. 483bis [tome VIII]; 1er décembre)

Je prends la liberté de mettre sous les yeux de votre Altesse le programme de mon concert de dimanche prochain. Quand V. A. me fit l’honneur, il y a deux ans, de venir entendre ma symphonie d’Harold, cet ouvrage, exécuté pour la première fois, le fut avec tous les désavantages d’une première épreuve, la pensée de l’auteur eut à subir plusieurs altérations graves qu’elle n’a plus à redouter aujourd’hui. J’éprouve en outre un désir extrême de faire connaître à votre Altesse ma première composition symphonique (L’Episode de la vie d’un artiste); et si les concerts de la cour avaient pu permettre l’exécution d’une œuvre de cette dimension peut-être aurais-je sollicité la faveur de l’y faire entendre.
J’ose donc vous prier, Monseigneur, de vouloir bien honorer de votre présence la matinée musicale que je vais donner au conservatoire. […]

À sa sœur Adèle Berlioz (CG no. 485; 22 décembre)

[…] Je viens de donner deux concerts [4 et 14 décembre]; comme succès d’art je n’en ai jamais eu de pareil, à cause de l’immense supériorité de l’exécution que j’ai obtenue en conduisant moi-même l’orchestre. Comme succès d’argent, les frais de chacun des deux concerts étant de 1800 fr., et la recette du dernier ayant été partagée entre Liszt et moi, il me reste de bénéfice net 1800 fr. et plus 160 fr. qu’on me doit pour des billets placés dans Paris et 64 fr. la loge du ministre de l’Intérieur qui est venu à mon Ier concert mais qui, j’en suis sûr, ne payera jamais. Supposons ce cas fort probable, j’aurai donc gagné en quinze jours dix-sept cent soixante francs, dont j’avais un furieux besoin pour payer les billets que j’ai faits à mon marchand de meubles et à d’autres, et dont l’échéance est proche.
Figure-toi que j’ai eu un instant de terreur panique en songeant que je n’avais rien de nouveau à offrir au public et que je pouvais ne pas faire les frais. Heureusement Henriette a eu plus de confiance que moi et m’a poussé à persister. J’ai donc affiché mes deux grandes symphonies qui n’avaient jamais été données ensemble en entier, et la foule est venue. Malheureusement encore comme toujours j’ai été assassiné de demandes de billets par les quarante ou cinquante journaux petits et grands qui déraisonnent dans Paris et j’ai été obligé, pour ne pas m’attirer une avalanche d’injures dont ces messieurs ne se font pas faute pour se venger quand on les refuse, de leur donner tout ce qu’ils me demandaient. De là un tort considérable pour la recette. […] Aussi la presse m’a-t-elle fort bien traité, c’est un concert d’éloges sur tous les tons. Le Courrier lui-même, le chef de mon opposition, a été fort doux cette année. Je suis fâché que vous n’ayez vu ni le Journal du Commerce, ni le Monde, ni la Loi, ni l’Entracte, ni le Contemporain, ni la Presse, ni le Carrousel. Je n’ai pas pensé à les rassembler pour te les envoyer. J’ai même reçu des vers d’un poète inconnu, qui paraît avoir une passion très prononcée pour ma musique.

1837

1838

Victor Hugo à Hector Berlioz (CG no. 566; 15 septembre)

Du fond d’un couloir, j’ai assisté à votre œuvre. Vous avez fait une belle et noble chose. Je suis encore plein de tout ce que j’ai entendu. Chantez, vous qui êtes fait pour chanter, et laissez crier ceux qui sont faits pour crier. Courage, Maître. La Providence mesure les fardeaux aux épaules. Pour les grands esprits il y a de grands obstacles. Mais, ne l’oubliez pas, le devoir de l’obstacle, c’est de se laisser surmonter. […]

À Heinrich Probst (NL no. 568bis, p. 149; 17 septembre)

Mon ouvrage a été donné au milieu d’un orage à la première représentation et au milieu des applaudissements à la seconde et troisième. Les journaux sont en guerre à mon sujet. Il y en a un tiers contre et à peu près deux tiers pour. Aujourd’hui j’ai l’assurance, grâce aux coupures et aux modifications apportées dans le poème (maudit poème qui a occasionné la tempête), d’être au répertoire courant de l’Opéra. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 569; 20 septembre)

Il y a dix jours que j’aurais dû vous écrire; mais le moyen dans une tourmente comme celle d’où je sors. Vous avez vu les journaux, du moins les mauvais, car c’est toujours sur ceux-là que l’on tombe en pareil cas. Les bons sont la Quotidienne, le Messager, le Journal de Paris, la France musicale, la Gazette musicale, l’Artiste, la Presse. Le fait est que la second et troisième représentations ont marché à merveille grâce à la suppression des scènes qui avaient le plus indisposé le public. Si je me trouve arrêté cette semaine, c’est l’amour-propre géant de Duprez qui est en cause. Le succès ne s’est pas trouvé concentré sur lui, et les deux cantatrices ont eu les honneurs du chant et de l’action. En conséquence il n’a plus voulu jouer ce rôle, et c’est A. Dupont qui va le remplacer; mais comme il ne s’y attendait pas plus que moi, il est obligé d’apprendre toute cette musique, et nous de patienter jusqu’à ce qu’il la sache. Ce sera huit ou dix jours d’interruption. Après quoi, par la combinaison du répertoire, je serai représenté plus souvent que je n’aurais pu l’être si Duprez avait gardé son rôle.
Vous dire toutes les menées, intrigues, cabales, disputes, batailles, injures auxquelles mon ouvrage a donné lieu est impossible. […] L’important est qu’on m’entende souvent, très souvent, je compte sur ma partition pour me tirer d’affaire plus que sur tout ce qu’on dirait en ma faveur. Les deux représentations qui ont suivi la première me font voir que j’ai droit de l’espérer.
Il a fallu tant de remaniements occasionnés par les changements apportés dans la pièce que j’en suis tout hébété de fatigue. Cependant le mauvais moment est passé. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 570 [voir le tome VIII]; 20 septembre)

[…] Eh bien, oui, nous avons eu tort de croire qu’un livret d’opéra, roulant sur un intérêt d’art, sur une passion d’artiste pourrait plaire à un public parisien. Cette erreur a produit un effet très fâcheux, mais la musique, malgré toutes les clameurs habilement mises en chœur de mes ennemis intimes, a gardé le terrain. La seconde et la troisième représentations ont marché à souhait. […]
Mes deux cantatrices ont eu vingt fois plus de succès que Duprez, ce dont ce dernier a été offusqué au point d’abandonner le rôle à la troisième soirée. Cest Alexis Dupont qui va le remplacer, mais il lui faudra encore à peu près dix jours pour bien apprendre toute cette musique, ce qui cause une interruption assez désagréable. Après quoi, le répertoire de l’Opéra est combiné de telle sorte que je serai joué beaucoup plus souvent avec Dupont que je ne l’eusse été avec Duprez.
C’est là l’important; il ne s’agit que d’être entendu très souvent. Ma partition se défend d’elle-même. […] Mais quand je vous dirai: cette partition est douée de toutes les qualités qui donnent la vie aux œuvres d’art, vous pouvez me croire. La partition de Benvenuto est dans ce cas. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 588; 26 novembre)

[…] Je suis d’ailleurs au lit depuis trois semaines; un rhume qui menaçait de devenir autre chose m’y retient encore, pour peu de temps j’espère. J’avais annoncé un concert que je devais diriger, il a eu lieu sans moi hier; et, à en croire les félicitations des amis qui ont rempli ma chambre hier jusqu’à une heure assez avancée, le succès en a été d’une violence extrême. […]

À sa sœur Adèle Berlioz (CG no. 593; 5 décembre)

[…] Je vais beaucoup mieux, je compte sortir après demain et diriger la semaine prochaine les répétitions de mon 2e concert. Le succès du premier a été immense, tu as pu voir la lettre d’un allemand dans la Gazette musicale, dans laquelle il exprime son étonnement et sa vive émotion. Hier Lord Burghish le président de la Société Philharmonique de Londres qui assistait au Ier concert m’a fait demander si je voudrais aller passer deux mois à Londres pour y monter mes symphonies et à quelles conditions... […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 602; 18 décembre)

Mon dernier concert a obtenu avant-hier un tel succès que je ne sais comment vous le décrire. Mais voilà un fait: après le concert Paganini, ce noble et grand artiste, est monté au théâtre et m’a dit que pour cette fois il était tellement ému et étonné qu’il avait envie de s’agenouiller devant moi; comme je me récriais sur cette expression outrée, il m’a entraîné vers le milieu de la scène, et là, en présence des quelques musiciens de mon orchestre qui n’étaient pas encore sortis, malgré mes efforts il s’est mis à genoux devant moi déclarant que j’étais allé plus loin que Beethoven.
Ce n’est pas tout. A présent, il y a cinq minutes, voilà son fils le petit Achille, charmant enfant de douze ans, qui vient me trouver et me remet de la part de son père la lettre suivante avec un présent de vingt mille francs:

    Mio caro amico,
Beethoven estinto non c'era che Berlioz che potesse farlo rivivere; ed io che ho gustato le vostre divine composizioni, degne di un genio qual siete, credo mio dovere di pregarvi a voler accettare in segno del mio omaggio ventimila franchi, i quali vi saranno rimesse dal Sigr baron de Rothschild.
   Credete mi sempre
   il vostro affo amico,

       Nicolo Paganini […]

1839

À Humbert Ferrand (CG no. 616; 2 janvier)

[…] Depuis longemps Paganini s’est prononcé comme un de mes plus chauds partisans; il s’était encore fait remarquer par son enthousiasme à la première représentation de Benvenuto. Enfin, après mon second concert [16 décembre 1838], que je dirigeais, il est venu à moi, m’a pris le bras, m’a conduit sur la scène du Conservatoire au moment où les musiciens en sortaient, et là s’est mis à genoux devant moi; j’ai cru rêver... Le pauvre homme, comme vous savez, a perdu complètement la voix, c’était donc son charmant petit garçon (qui le comprend mieux que tout autre) qui me transmettait ce qu’il voulait dire. Paganini entendait ce jour-là la première fois ma symphonie Harold qui vous est dédiée. C’est ce qui a déterminé cette explosion. Deux jours après, mardi matin, je m’étais mis au lit par suite de ma bronchite; le petit Achille entra dans ma chambre et me remit de la part de son père une lettre à laquelle il n’y avait pas de réponse, dit-il, et se sauva. […]
Quant à mon opéra, il a été affiché deux fois pendant ma maladie et deux fois pour cause d’indisposition réelle de deux acteurs on a été obligé de changer le spectacle. On l’annonce pour lundi prochain, nous avons répété avant hier. […]
Vous n’avez pas idée de la magnificence de ce dernier concert, l’exécution a été au-dessus de tout; il y a eu des effets incroyables, non seulement dans la salle, où des dames pleuraient à sanglots, mais dans mon orchestre où l’un des premiers violons a été obligé de sortir (Seghers aîné) n’y tenant plus. Quant à moi j’étais impassible comme une borne au milieu de tout cela. La répétition de la veille et la scène d’Alceste de Gluck avaient épuisé ma sensibilité. […]

À Édouard Rocher (CG no. 617; 9 janvier)

[…] Je t’aurais écrit hier, si je n’avais été retenu à l’opéra toute la journée. On a répété deux fois, (le matin et le soir) Benvenuto qui doit enfin reparaître vendredi, à moins de nouveaux accidents. Je suppose qu’il y aura encore, à cette reprise, un vacarme effroyable. Si l’entrée des cannes n’était pas interdite au parterre, il y aurait peut-être quelques têtes cassées. L’affaire de Paganini et l’éclat de mon dernier concert, en exaltant mes partisans et mes amis, a exaspéré davantage encore mes ennemis. […]
Depuis que je n’ai plus Duprez tous mes acteurs et surtout mes deux actrices sont d’un zèle à toute épreuve pour mon opéra. J’ai bien peur pour Alexis Dupont, le rôle l’écrase dans les scènes de force; il a beaucoup de charme dans les morceaux doux et lents. Pour les chœurs, ils sont d’une mollesse et d’une apathie à désespérer un saint. J’ai renoncé à animer cette troupe de cadavres. L’orchestre ne va pas mal. Il me manquera seulement plusieurs artistes essentiels, qui sont malades. Enfin ce malheureux Benvenuto a du guignon, il est réellement malvenuto, comme dit le Charivari. […]

À Jules Janin (CG no. 619; 12 janvier)

[…] Puisque vous n’étiez pas à l’Opéra, voilà ce qui s’est passé. L’opposition s’est bornée à chuter le sextuor du second acte, qui est réellement trop long (et que je vais raccourcir autant que me permettront les paroles), tout le reste a été chaudement applaudi, surtout les trois airs de madame Gras, de Massol et surtout de madame Stoltz. Le grand final, qui n’a jamais été si bien exécuté, a été également fort chaudement applaudi. La scène de la foule sur la place Colonne a produit un grand effet. Dupont a dit avec un charme et un sentiment vrai toutes les parties douces de son rôle. L’air « Sur les monts les plus sauvages » a paru à tout le monde mieux rendu par lui que par Duprez. L’orchestre a massacré l’ouverture qu’il n’avait pas répétée, mais il ne faut pas le dire. Les chœurs ont mis dans leur exécution plus de chaleur et d’ensemble qu’à l’ordinaire. En somme, nous voilà relevés, si Duponchel ne nous laisse une seconde fois retomber à terre en éloignant trop les autres représentations.
Les acteurs ont quelquefois manqué de mémoire. La salle était fort belle, et Duponchel est content. […]

À Franz Liszt (CG no. 622; 22 janvier)

[…] Ma quatrième représentation, retardée comme tu sais par l’abandon subit du rôle par Duprez, a été fort belle, salle comble et grands applaudissements (un seul morceau excepté, dont la longueur paraissait démesurée, eu égard à la faiblesse du jeu de Dupont qui n’animait pas assez une scène déjà ennuyeuse et longue par elle-même). […]

Au Directeur de l’Opéra (CG no. 638; après le 17 mars)

J’ai l’honneur de vous annoncer que je retire mon opéra de Benvenuto. Je suis intimement convaincu que vous l’apprendrez avec plaisir. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 683; 26 novembre)

Je ne vous écris que six lignes pour vous annoncer un grand succès! Roméo et Juliette ont été accueillis avec des acclamations dont mon oncle Auguste pourra vous rendre bon compte, car il était au concert avec mes cousins. J’ai failli succomber à la fatigue des répétitions, mais le succès m’a remonté. Et, n’était un bain que j’ai pris mal à propos et qui m’a enrhumé, je n’aurais plus ni toux ni autre incommodité. Quel malheur que vous ne puissiez jamais vous trouver à Paris dans des occasions semblables! Ce premier concert, outre son importance immense musicalement parlant (la forme d’art qui en faisait le sujet étant encore inconnue), devait m’éclairer sur l’intérêt réel qu’une nouvelle composition de moi pouvait, à cette heure, exciter chez le vrai public.
L’affluence a été telle qu’on a refusé au bureau pour plus de quinze cents francs de locations. Malgré l’énorme quantité de billets que les exigences incroyables de la presse m’ont arrachée, le résultat de la recette a été de 4 559 fr. […]
J’ai reçu force lettres de compliments aujourd’hui. A part la presse sans-culotte, je crois, à en juger par ce qu’on dit que les journaux me seront très favorables.
C’est probablement le succès le plus grand que j’aie encore obtenu.
Je vous embrasse avec l’espérance que cette nouvelle vous donnera quelques heures de bonheur.
Balzac me disait ce matin: « C’était un cerveau que votre salle de concert. » On y remarquait en effet toutes les notabilités intelligentes de Paris. Bien des ennemis venus là avec de sinistres intentions ont été obligés, par contenance, de faire semblant d’être enchantés. Ils se dédommageront dans les petits journaux par des farces anonymes.
La seconde exécution sera plus satisfaisante encore, je l’espère; elle aura lieu dimanche prochain. Cependant la première est un tour de force que mon système de répétitions partielles pouvait seul produire; les artistes eux-mêmes s’étonnent de ce qu’ils ont fait.
Adieu, cher père, embrassez mes sœurs pour moi, je vous quitte pour m’occuper de quelques petits changements que je veux faire dans ma partitition. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (CG no. 688; 1er décembre)

Il faut absolument, malgré ma fatigue, ma complète extermination, que je vous dise ces quelques mots: la seconde représentation de Roméo et Juliette a eu un succès prodigieux, écrasant! on m’a abîmé d’applaudissements, de cris, de larmes, de tout.
A la fin du concert, au moment de la réconciliation des Capulets et Montaigus, tout l’orchestre et les chœurs se sont levés avec des hourras à ébranler la salle, pendant que le public, dans le parterre, dans les loges, applaudissait à tout casser; j’ai eu peur un moment de perdre mon sang-froid, chose que je redoute par-dessus tout, mais j’ai tenu bon! […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 697; 20 décembre)

[…] Mes trois concerts sont terminés, le succès est allé croissant jusqu’au dernier. L’exécution a été foudroyante. On n’a jamais osé donner trois fois de suite une seule et même symphonie; je l’ai fait et cette expérience a fait sortir de la poche du public la somme de 13 200 fr, il y a eu tout compris douze mille cent francs de frais, tu vois ce qu’il me reste... C’est misérable, n’est-ce-pas? mais ce résultat, eu égard à la ladrerie de notre public musical, à l’exiguité de la salle, et aux exigences des journaux pour les billets, est magnifique.
Henriette est un peu fière, tu le penses, d’avoir prédit tout ça. […]

1840

À Humbert Ferrand (CG no. 700; 31 janvier)

[…] Roméo et Juliette ont fait encore cette fois verser des larmes (car on a beaucoup pleuré je vous assure). Il serait trop long de vous raconter ici toutes les péripéties de ces trois concerts. Il vous suffit de savoir que la nouvelle partition a excité des passions inconcevables, et même des conversions éclatantes. Bien entendu que le noyau d’ennemis quand même reste toujours plus dur. Un Anglais a acheté cent vingt francs, du domestique de Schlesinger, le petit bâton de sapin qui m’a servi à conduire l’orchestre [voir CG no. 699bis]. La presse de Londres, en outre, m’a traité splendidement.
Ces trois séances coûtaient pour les exécutants douze mille cent francs, et la recette s’est élevée à treize mille deux cents francs; sur ces treize mille deux cents francs, il ne m’en reste donc qu’onze cents de bénéfice! N’est-ce pas triste d’avouer qu’un résultat si beau, si l’on tient compte de l’exiguité de la salle et des habitudes du public, est misérable quand j’y veux chercher des moyens d’existence? Décidément l’art sérieux ne peut pas nourrir son homme, et il en sera toujours ainsi, jusqu’à ce qu’un gouvernement comprenne que cela est injuste et terrible. […]
Alizard a eu un véritable succès dans son rôle du bon moine (le Père Laurence, dont le nom lui est resté). Il a merveilleusement compris et fait comprendre la beauté de ce caractère shakespearien. Les chœurs ont eu de superbes moments; mais l’orchestre a confondu l’auditoire d’étonnement par les miracles de verve, d’amplomb, de délicatesse, d’éclat, de majesté, de passion, qu’il a opérés. […]
La Gazette Musicale donne, jeudi prochain [6 février], un concert à grand orchestre pour ses abonnés; c’est moi qui le conduis. Votre Symphonie d’Harold et l’ouverture de Benvenuto y figureront. […]

Émile Deschamps à Berlioz (CG no. 701; 7 février)

Mon cher Berlioz, vous aviez raison, je ne connaissais pas votre ouverture de Benvenuto quoique je l’eusse entendue 4 fois. Que de nuances et de vigueur et de sentiment et de magnifiques combinaisons!... que l’exécution foudroyante d’hier a mises en lumière; nous étions ravis et sans l’heure avancée on eût crié Bis de tous côtés.
Merci de votre nouveau succès. Quant à la symphonie d’Harold, jamais elle ne m’avait produit un tel effet — ma femme, les dames avec qui j’étais et moi — nous en palpitions de plaisir et d’émotion. […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 703; 13 février)

[…] Maintenant je suis un peu remonté, grâce à un splendide concert que j’ai dirigé pour le compte du directeur de la Gazette musicale et dans lequel ma symphonie d’Harold et l’ouverture de Benvenuto ont obtenu un succès vigoureux. Fétis y était, il a failli avoir un coup de sang.... de rage. […]

À son père le Dr Louis Berlioz (NL no. 730 ante-antebis [sic]; 18 août)

Vous savez déjà probablement le succès de mes deux concerts; malgré la chaleur et l’absence de Paris du public musical, j’ai rempli deux fois la salle Vivienne; J. Rocher, qui vous verra dans peu, vous racontera les cris, les interruptions, les applaudissements de ce nouveau public. On m’applaudissait jusque dans la rue, sur le boulevard, en me voyant passer avec Louis et Henriette. […]
Ces deux concerts m’ont rapporté pour ma part quinze cents francs de bénéfice et autant au propriétaire de la salle Vivienne qui était de moitié avec moi. J’ai fait, je crois, un marché de dupe en acceptant cet arrangement; ce pauvre concert Vivienne ne faisant guère à ses plus beaux jours qu’une recette de cinq cents francs. Mais les frais étaient énormes à cause des deux orchestres qu’il fallait payer et je n’ai pas osé me risquer seul. […]

À sa sœur Nancy Pal (CG no. 736; 13 novembre)

[…] Ma foi, j’ai dormi jusqu’à midi et j’ai tant de choses à te dire sur le Festival que ce serait trop long à raconter par écrit. Seulement tu sauras que c’était presque impossible, qu’il a fallu déployer pour organiser cela plus d’énergie, de volonté, d’attention, de dévouement que tu ne pourras jamais l’imaginer. Il y avait la sourde opposition d’Habeneck que je venais détrôner, dans la circonstance musicale la plus importante qui se soit jamais présentée à Paris; il y avait mes ennemis naturels qui se crispaient de rage en me voyant avancer toujours malgré leurs prédictions; (ils avaient décidé qu’on n’arriverait pas au jour de la représentation), il y avait une fatigue physique et morale effrayante, des insomnies continues etc, etc; heureusement le directeur de l’Opéra avait largement compris la chose et j’avais carte blanche; j’ai fait ce que j’ai voulu. […] Il est honteux et à peine croyable que ma tentative couronnée de succès ait excité tant de misérable envie. On a été me chercher des querelles de mots à propos du titre: Festival comme si le mot n’était pas consacré pour exprimer fête musicale et comme si une fête musicale, reconnue pour une belle chose quand quatre ou cinq villes se réunissent pour la donner, pouvait rien perdre de son prix quand elle est organisée par un seul homme. Oh nous sommes bien petits dans certains cas!
Quoi qu’il en soit, laissons dire. J’ai voulu le faire et je l’ai fait. J’ai voulu faire entendre les deux grands morceaux de mon Requiem et ils ont produit un effet foudroyant. […] J’ai voulu prouver que je ferais marcher sans encombre et avec la plus grande précision quatre cent cinquante musiciens, AVEC UNE SEULE RÉPÉTITION GÉNÉRALE. Habeneck soutenait que c’était impossible, que c’était fou, absurde; je l’ai prouvé. L’exécution a été magnifique. J’ai voulu qu’on me vit à l’œuvre comme chef d’orchestre à l’Opéra, à la tête de la plus grande armée musicale qu’on eût jamais rassemblée, j’ai réussi. Maintenant que les chiens aboient! c’est leur métier.
C’était beau va! je t’assure. On y est venu de Londres, de Nantes, de Hambourg (à ma connaissance). […]

Honoré de Balzac à Berlioz (CG no. 738; 16 décembre)

La napoléonopée m’a empêché de vous témoigner jusqu’ici ma profonde admiration pour la Symphonie Fantastique que j’ai entendue Dimanche [13 décembre], je voudrais être aussi riche que feu Paganini, je ferais mieux que vous écrire; mais je ne puis que vous dire ce qu’il a prouvé à bien des imbéciles, que vous êtes un grand musicien et un beau génie. […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 739; vers le 17-20 décembre)

Appelle-moi ingrat, vilain, drôle, gredin, pour ne t’avoir pas encore répondu! tu feras bien! Pourtant j’ai fait tant d’affaires musicales que je ne mérite guère que la moitié de tes éloges. […]
Je viens de donner mon dernier concert [13 décembre]. Grand, furibond enthousiasme! Si tu faisais collection d’autographes, je t’enverrais une lettre de Balzac à ce sujet [CG no. 738 ci-dessus]. […]

1841

1842

À sa sœur Nancy Pal (CG no. 765; 5 février)

[…] Tu sais que j’ai donné un grandissime concert mardi dernier [1er février]. Vous ne serez jamais ici, ni père, ni oncle, ni sœurs, ni beaux-frères, quand il m’arrivera un bonheur comme celui-là; c’est écrit! Tu ne peux pas te figurer les cris, les pleurs, les transports de toute espèce qu’a excité l’Apothéose de ma Symphonie Militaire, que je viens de réinstrumenter pour deux orchestres. Au moment de l’éclat du second orchestre (d’instruments à cordes) une partie de l’auditoire s’est levée dans une agitation fébrile et les deux cents musiciens ne pouvaient plus se faire entendre, telle était la force du Hourra que rien n’a pu contenir. On me raconte depuis lors une foule de traits curieux de ce moment de vertige nerveux. Si mon père s’était trouvé là, avec vous tous et mon oncle et les souvenirs de l’empire, et la pensée plus active encore (puisqu’elle se rattache à l’œuvre) des trois jours où l’on se tuait si bravement dans les rues de Paris, il aurait éprouvé, sans doute, une impression qui ne lui est pas encore connue. La salle était splendide et pleine jusqu’aux derniers degrés de l’escalier de la porte. Malgré les frais du double orchestre et de la nouvelle copie, j’y gagne encore; ces frais de copie seront de moins au prochain concert; il aura lieu mardi 15 février. […] Le peuple de Paris progresse étrangement, il faut l’avouer. J’avais, m’a-t-on dit, parmi les auditeurs, une vingtaine d’aveugles, entre autres Arago le voyageur (frère de l’astronome) qui se sont livrés aux démonstrations les plus bizarres. Pour moi, j’avais la gorge en feu, une crampe au bras droit (j’ai dû conduire alors de la main gauche) et une sorte de bourdonnement interne qui m’empêchait de rien entendre. J’étais comme je me figure que doivent être les artilleurs de marine dans l’entrepôt d’une frégate, pendant le combat: moins la mort.
Henriette et Louis rayonnaient, tu peux le penser; l’action sera-t-elle aussi chaude au second concert? il faut l’espérer, mais j’ai toujours peur en pareil cas qu’il n’en soit rien, deux fois de suite — c’est trop beau. […]

À Jean-François Snel (CG no. 787; 11 novembre)

[…] J’ai été occupé à monter ma Symphonie funèbre à l’Opéra, elle y a été exécutée il y a deux jours d’une manière vraiment flambante et le succès a été splendissime; dites cela à notre excellent ami Zani [de Ferranti]. Longtemps avant la fin de l’apothéose, on n’entendait plus ni l’orchestre ni les chœurs tels étaient les cris et les trépignements du public. On m’a rappelé deux fois, enfin c’est un très grand succès, dont l’importance est fort grande eu égard au public tiède et préoccupé de l’opéra contre lequel il a été obtenu. Voyez quelle est l’importance d’une salle. Nous ne produirons plus cette symphonie dans la vôtre. Il y faut un orchestre tout différent. […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 789; 24 novembre)

[…] On m’organise deux concerts à Francfort pour les fêtes de Noël. Je vais en donner un troisième à Bruxelles en passant; et pour faire mes adieux à Paris, j’ai monté la semaine dernière à l’Opéra ma Grande Symphonie funèbre, celle des fêtes de Juillet, avec l’addition d’un Chœur; l’exécution a été merveilleuse et le succès éblouissant; j’ai été rappelé deux fois et obligé de m’avancer sur l’avant-scène, après l’Apothéose que les applaudissements avaient interrompue longtemps avant la fin; les loges mêmes, qui n’applaudissent jamais à l’Opéra, étaient en émoi, enfin l’ovation a été complète. […]

1843

À Hippolyte Lucas (CG no. 860; vers le 10 novembre)

Voyez donc si vous pouvez, dans votre prochain feuilleton, introduire quelques mots pour annoncer mon concert. Il aura lieu le 19 (dimanche) au Conservatoire. Duprez, Massol et madame Gras y chanteront un trio de ma facon [de Benvenuto Cellini]. Duprez dira en outre un morceau que j’ai écrit en Allemagne et qu’on n’a jamais entendu ici [Absence]. Puis il y aura une cavatine pour madame Gras [de Benvenuto Cellini], un solo de violon pour Alard, l’ouverture du Roi Lear, le Scherzo de la Reine Mab [de Roméo et Juliette], la Symphonie de Harold, et le finale à deux orchestres de la grande Symphonie funèbre et triomphale du duc d’Orléans (l’Apothéose). Amalgamez le tout avec mon retour d’Allemagne, et le long temps qui s’est écoulé depuis mon dernier concert à Paris. […]

[Note: la Symphonie funèbre et triomphale était dédiée au duc d’Orléans]

Gaspare Spontini à Berlioz (CG no. 866; 20 novembre)

Vivat! terque quaterque vivat, vous d’abord, mon très cher Berlioz, vos gigantesques, fantastiques et ébranlantes compositions, à votre génie toutes propres, et votre brave et très vaillante Armée, pour sa parfaite et admirabilissime exécution jusques à l’extrême borne de la signification de ces mots! Oui, elle vous aurait remporté une aussi éclatante victoire et conduit en triomphe sur leurs invulnérables boucliers, même aux signes d’un bâton de commandement non blanc, et d’un pied moins long, qui, parcourant dans ses rotations moins longues et larges, moins d’espace, et fatiguant ainsi beaucoup moins votre bras, votre tête et tout votre corps, aurait parfois rendu plus sûr, plus précis et plus clair l’équilibre des mouvements excessivements variés et la régularité en général de votre direction! […]

À Lecourt (CG no. 867; 21 novembre)

[…] Avant-hier j’ai donné mon concert, grand tremblement musical, dont je suis encore endolori et ému. Vous manquiez au milieu de cette salle bouleversée, vous auriez été là comme le Satan de Milton au Pandæmonium.
Vraiment le Parisien se forme et je suis particulièrement satisfait de son intelligence à l’endroit de la Symphonie funèbre dont le final les a mis tous à l’envers. […]

À sa sœur Nancy Pal (CG no. 868; 25 novembre)

[…] Je t’envoie une lettre de Louis qui te rend compte à sa manière de mon concert [voir NL no. 866bis p. 230]. Succès étourdissant, ébouriffant, avec un peu d’argent, malgré les frais extravagants. Je reçois une lettre de Spontini qui ne trouve jamais rien de bon, et qui ne m’avait jamais fait un compliment de sa vie; en voilà le début moitié latin, un quart Italien, et un quart français:
[suit une citation du début de CG no. 866 ci-dessus]
Voilà une phrase! mais j’aurais odieusement tort de remarquer l’étrangeté du style quand la pensée que Spontini a voulu exprimer me rend si heureux.
Oui, comme je le lui ai dit hier, c’était un des rêves de ma vie d’émouvoir l’auteur de la Vestale et j’y suis parvenu. […]
Pour en revenir au concert de dimanche dernier, jamais je n’ai encore vu une salle aussi bouleversée; chapeaux en l’air, interruption de l’orchestre, bis etc... […]

1844

Voir aussi Cirque Olympique

À sa sœur Nancy Pal (CG no. 877; 5 janvier)

[…] J’essaye de monter un autre concert pour faire quelque argent; je n’ai qu’une petite salle, et je ne pourrai en conséquence prendre qu’un petit orchestre... Il n’y a pas l’ombre d’un chanteur dans Paris. Comment sortir de là?... […]

À Ludwig Schlösser (CG no. 881 [cf. NL p. 233-4]; 18 janvier)

[…] J’ai donné mon premier concert au Conservatoire [le 19 novembre 1843] et j’en organise un autre pour la semaine prochaine dans une salle que vous ne connaissez pas (celle de Herz) j’ai écrit pour cela une ouverture nouvelle [le Carnaval romain], une scène avec chœurs [Hélène] et deux autres morceaux. J’ai mon orchestre ordinaire mais je suis inquiet cependant, nous devons monter le programme en une seule répétition... que ne puis-je trouver à Paris la patience et l’attention dont les artistes de Darmstadt m’ont donné tant de preuves... nous travaillerions mieux et on obtiendrait des exécutions miraculeuses. Au premier concert nous avons répété deux fois et tout a marché avec une verve entraînante. Peut-être aurons-nous le bonheur de nous tirer du danger cette fois-ci, mais il est grand, vous en conviendrez. […]

À J.-L. Heugel (CG no. 892; peu avant le 30 mars)

Le concert spirituel announcé pour samedi prochain [6 avril] au théâtre de l’opéra-comique promet d’être très brillant: on y entendra avec les principaux artistes de ce théâtre, M. Camille Sivori qui vient tout exprès de Bruxelles, M. Alard, M. Alexis Dupont et sans doute aussi M. Liszt dont l’arrivée est prochaine [en l’occurrence Liszt ne participera pas]. Les principaux morceaux du programme sont: Les ouvertures du Roi Lear et du Carnaval Romain de M. Berlioz, un solo de Piano, un concerto de violon de Beethoven, un autre concerto de violon par M. Sivori, un motet de Lesueur, le Sanctus du Requiem de M. Berlioz, un Duo d’Armide de Gluck et le final (l’Apothéose) de la grande symphonie funèbre et Triomphale de M. Berlioz. Les exécutants au nombre de 180 disposés en amphithéâtre sur la scène seront dirigés par M. Berlioz.

[Heugel donna un résumé de cette annonce dans Le Ménestrel du 31 mars 1844 (p. 4); on trouve un bref compte-rendu du concert dans Le Ménestrel du 14 avril 1844 (p. 2)]

À Théophile Gautier (CG no. 899; mai)

[…] Il [Liszt] jouera le Concerto de Weber avec orchestre, ses airs Hongrois, sa Fantaisie sur Don Juan, et seul La Scène du Bal de ma Symphonie Fantastique, immédiatement après que l’orchestre l’aura exécutée.
Pour le reste du Programme, il se composera de ma Symphonie Harold entière, du Carnaval Romain, de l’ouverture de Waverley et de trois morceaux Italiens, et allemands chantés par Melle Anna Zerr Ière cantatrice du théâtre de Carlsruhe, dont le talent est fort remarquable. […]

[L’ouverture des Francs-Juges fut exécutée et non celle de Waverley; voir Journal des Débats 30 avril 1844, p. 1 et le compte-rendu de Berlioz (CM V p. 481-2)]

À sa sœur Nancy Pal (CG no. 902; 19 mai)

[…] Je viens de donner mon 4e concert, qui de l’avis de tous est le plus beau qui ait eu lieu à Paris depuis dix ans. J’ai été étourdi de l’exécution; mon grand diable d’orchestre a été sublime! décidément il distance cruellement la plupart des orchestres allemands; Liszt a été merveilleux, et la recette (12 000 fr) mirobolante; il m’est resté en somme plus de six mille francs, les frais et le droit des pauvres ont pris le reste. […]

1845

Voir Cirque Olympique

1846

À la Duchesse d’Orléans (CG no. 1078bis [tome VIII]; 30 novembre)

Permettez-moi de mettre sous les yeux de votre Altesse le livret de mon nouvel ouvrage: La Damnation de Faust, qui sera exécuté sous ma direction au théâtre de l’Opéra-Comique dimanche prochain à 1h 1/2. C’est un véritable opéra sans costumes ni décors. L’entreprise est presque téméraire, et l’auteur serait bien heureux d’obtenir le patronage bienveillant et éclairé de votre altesse Royale. Puis-je espérer, madame la Duchesse, que vous voudrez bien honorer cette solennité musicale de votre présence. […]

1847

À sa sœur Nancy Pal (CG no. 1092; 21 janvier)

[…] En tout cas si tu en as vu d’autres [sc. journaux que le Siècle] tu auras vu que Faust a eu un très grand succès, que pour la première fois de ma vie, j’ai eu à la seconde représentation, trois morceaux redemandés, ce qui ne s’est jamais vu à Paris. On m’a donné un grand dîner, et à l’aide d’une souscription d’artistes et d’amateurs, on m’a voté une médaille d’or qu’on frappe en ce moment, et qui sera, me dit-on, d’un grand prix. Eh bien faute d’un Théâtre ou d’une salle de concert, maintenant que l’ouvrage est lancé, qu’on en parle partout, que trente journaux en ont fait l’éloge, je ne puis le reproduire davantage; les répétitions ne seraient plus nécessaires, mes exécutants savent leur affaire à merveille, les frais seraient de moitié moindres, et les recettes plus fortes, mais je ne puis avoir l’opéra-comique [la Salle Favart] à cause de deux pièces nouvelles qui lui prennent tous mes soirs (et il y a trop de désavantage à donner les concerts dans le jour) je ne puis avoir le théâtre Italien [la Salle Ventadour] à cause d’un règlement obtenu du ministre par Léon Pillet qui interdit l’ouverture du théâtre Italien les jours d’opéra. Quant à l’Opéra, je n’en voudrais pas, lors même que Pillet et moi nous ne serions pas en guerre, et le Conservatoire, par un privilège spécial est à la Société des Concerts à l’exclusion de tous les concerts à elle étrangers, jusqu’au mois de mai. En conséquence j’ai dépensé un argent fou pour monter cet ouvrage, les recettes n’ont pu couvrir entièrement les frais et maintenant, qu’il me rapporterait beaucoup, à coup sûr, je suis arrêté faute d’une salle. IL N’Y A PAS DE SALLE DE CONCERT A PARIS.
Puis on devient en haut lieu d’une économie qui n’existait pas à ce point il y a cinq ans; le ministre de l’Intérieur, de qui dépendent les arts, s’en moque comme du commerce d’épiceries.
Il n’y a rien à faire dans cet atroce pays, et je ne puis que désirer de le quitter au plus vite. […]

1848

1849

À Franz Liszt (CG no. 1250; vers le 25 mars)

[…] Le Conservatoire se lance; après mille indécisions et dandinements, le comité a fait l’effort de me demander quelque chose pour ses concerts dont les programmes inamovibles commencent à avancer en âge. Je leur ai promis deux morceaux de Faust qui seront en conséquence exécutés dans trois semaines; au septième concert. […]

À Jules Janin (CG no. 1256; 21 avril)

Voici les quelques lignes que vous m’avez dit de vous envoyer au sujet du concert où l’on a exécuté mes morceaux. Brodez avec votre merveilleuse plume sur ce thème, sans pourtant donner à mon affaire plus d’importance qu’elle n’en a réellement. Ce qui rend le succès de dimanche dernier si précieux pour moi, c’est qu’il a été dû au renversement d’une barrière. Habeneck jusqu’à présent m’avait fait fermer les portes du Conservatoire, elles me sont ouvertes aujourd’hui. Si les autres murailles de la Chine qui m’arrêtent encore (en France) et tant d’autres endroits, venaient à tomber, peut-être ce que j’ai fait recevrait-il ici le même accueil que dans le reste de l’Europe et me pardonnerait-on tout à fait d’être vivant et Français. Peut-être aussi pourrai-je produire des choses nouvelles plus importantes que celles dont je me suis occupé jusqu’à présent. […] Le lendemain [sc. du concert au Conservatoire le 15 avril] une autre Société musicale exécutait avec le même bonheur l’ouverture du Carnaval de Rome, quelques jours auparavant les huit cents orphéonistes de la Sorbonne, chantaient un hymne qu’ils ont arrangé sur le thème de l’Apothéose [de la Symphonie funèbre et triomphale]. […]

[Dans son feuilleton dans le Journal des Débats du 23 avril 1849, sous le titre ‘Berlioz au Conservatoire, enfin!’ Janin écrit: ‘La veille même de l’avènement du Prophète, Berlioz faisait son entrée au beau milieu des concerts du Conservatoire. On lui avait enfin accordé le droit d’asile dans le sanctuaire impénétrable à cet homme, ou plutôt à cette volonté, à ce grand artiste de la France qui a été bien heureux qu’il y eût au monde un Roi de Prusse et un Empereur de Russie, deux despotes qui lui ont tendu une main amie et bienveillante. A la fin donc, le Conservatoire nous a donné deux scènes de Faust, la scène des sylphes […] plus loin la marche hongroise […] Si donc cette bonne grâce de la Société des concerts de Paris s'est fait attendre quelque peu, en revanche il était impossible de rencontrer une exécution plus merveilleuse!’]

À sa sœur Nancy Pal (CG no. 1258; 25 avril)

[…] J’ai eu le bonheur de réussir il y a dix jours au concert du Conservatoire devant ce terrible public qui ne veut admettre que Beethoven et Mozart. Je l’affrontais pour la Ière fois; Habeneck de son vivant s’étant toujours opposé à ce qu’on exécutât dans ces concerts le moindre fragment de mes œuvres. Sur la demande un peu tardive du comité, j’ai donné deux scènes de Faust. Le chœur et le ballet des Sylphes ont surtout produit un effet immense. Je t’avouerai que j’ai eu une peur de débutant; j’étais tout seul avec les pompiers derrière la scène pendant qu’on m’exécutait. Depuis plus de 15 ans je n’ai jamais produit une partition devant le public sans en diriger moi-même l’exécution, et en me voyant ainsi livré à Girard (qui du reste s’en est bien tiré) j’étais à peu près comme une poule qui a couvé des œufs de canard et qui voit pour la première fois ses poussins se jeter à l’eau où elle n’ose les suivre. La joie des artistes après le succès était plus grande que la mienne, tant ils avaient peur de cet auditoire prévenu et entêté et tant les autres tentatives du même genre faites par Onslow, Halévy, F. David, Prudent, et autres avaient été malheureuses. C’est une barrière qui vient de tomber; c’est encore un préjugé de vaincu. […]

[Note: dans les Mémoires ch. 59 la direction de Girard est jugée plus sévèrement]

L’Illustration, 5 mai 1849, p. 146

Chronique musicale

    La société des concerts du Conservatoire a clos, dimanche dernier, sa session musicale annuelle. Avant de parler de cette matinée, qui était la neuvième de cet hiver, il nous faut revenir sur nos pas et rappeler quelques particularités des deux matinées précédentes, de la septième et de la huitième, dont nous n’avons rien pu dire jusqu’à présent faute de place. Elles ont présenté toutes deux, cependant, des circonstances qui méritent bien d’être mentionnées. A l’une, par exemple, entre la symphonie en la de Beethoven, l’Ave Maria de Cherubini, un chœur, Alla Trinità, du seizième siècle, et les magnifiques fragments du second acte de la Vestale de Spontini, on avait fait une place dans le programme à deux morceaux d’un compositeur vivant et français. Pour qui ne connaît pas tous les us et coutumes de ce monde à part qui se réunit tous les quinze jours, pendant trois ou quatre mois de l’année, dans la salle de la rue Bergère, cet événement peut paraître fort simple et fort ordinaire. C’est là une étrange erreur. Rien n’est plus extraordinaire, rien n’est plus compliqué que l’admission des œuvres d’un maître contemporain et compatriote aux honneurs du programme des concerts du Conservatoire. Ce qui est encore plus surprenant, c’est l’heureuse issue de ce premier pas si difficile à franchir, c’est-à-dire que l’œuvre admise par les artistes soit favorablement accueillie du public. Et lorsque l’auteur de cette œuvre est celui envers qui public et artistes ont montré le plus de rigueur, celui pour qui on avait systématiquement tenu, jusqu’à ce jour, les portes plus soigneusement closes, ni plus ni mieux que son entrée dans cette enceinte eût été comme la profanation d’un saint lieu; lorsque, enfin, ce n’est pas seulement un accueil favorable, mais des applaudissements chaleureux, enthousiastes, que reçoit l’œuvre autrefois mise, pour ainsi dire, à l’index; oh! il n’y a certes rien de mieux à faire qu’à crier miracle, ou plutôt il faut crier génie. C’est très-probablement ce que beaucoup de personnes auront fait comme nous, en entendant, au septième concert du Conservatoire, exécuter, au milieu des chefs-d’œuvre que nous avons cités, les deux fragments de la Damnation de Faust, de Berlioz, le chœur et la danse des gnomes et des sylphes et la marche hongroise. Si, pour quelques personnes, avant le concert, le nom de Berlioz jurait sur l’affiche à côté des noms de Beethoven et de Cherubini, tout le monde, après le concert, a dû être persuadé qu’il n’est pas de nom de compositeur de nos jours, en dépit du préjugé, qui soit plus digne de marcher de pair avec ceux des maîtres célèbres des temps passés. La riche imagination, le poétique coloris, la surprenante nouveauté d’effets et la vigueur d’instrumentation, la puissance du rhythme, la fantaisie impétueuse qui distinguent ces deux fragments de l’œuvre remarquable dans laquelle Berlioz a répandu avec le plus de prodigalité la verve originale de son génie caractéristique, ont trouvé du premier coup pleine et entière justice devant l’auditoire, il faut l’avouer, le moins disposé peut-être à la lui accorder. Après plus de vingt ans de lutte contre les préventions d’école et contre l’âpreté du sort, Berlioz, l’éminent artiste, compte enfin un beau jour. Ce n’est pas trop. […]

(article non signé)

1850

Voir Société Philharmonique

À Ferdinand Hiller (CG no. 1355; 3 novembre)

[…] Quant à la démarche que vous me confiez auprès de Girard, vous saurez que depuis trois ans, cet illustre chef de l’Académie Nationale de musique et moi, nous ne nous sommes pas adressés la parole. Brouillés complètement; pour des raisons qu’il serait fastidieux de vous énumérer. Son procédé à votre égard est tout simple, il est dans l’emploi de tous les chefs d’orchestre de l’opéra et du conservatoire; Habeneck n’agissait pas autrement. Seulement Habeneck se faisait faire des cadeaux par les compositeurs étrangers qui lui adressaient leurs œuvres; puis les cadeaux reçus, il gardait aussi les partitions sans s’en occuper davantage. […]

1851

Voir Société Philharmonique

1852

1853

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 1669; 17 décembre)

[…] J’ai seulement le désagrément en arrivant de voir affiché pour demain mon petit oratoire de La fuite en Egypte qu’on exécute au 3ème concert de la société de Ste Cécile; Dieu sait comment cela ira, je n’ai pas là un chef d’orchestre bien fort, et il n’a pas le bon sens de me proposer de conduire moi-même. […]

À Théophile Gautier (CG no. 1670; après le 18 décembre)

[…] La fuite en Egypte a été exécutée en entier pour la première fois [à Leipzig], et en dernier lieu au Concert de Ste Cécile où les chœurs n’ont pas approché sans doute des superbes chœurs allemands, mais où l’exécution cependant a été assez fine et fidèle. […]

Le Ménestrel 25 décembre 1853, p. 2

[…] Berlioz, que nous avons réservé pour la bonne bouche, a eu les honneurs de la séance avec sa Fuite en Égypte, fragments d’un mystère en style ancien. Ces fragments se composent d’une ouverture, d’un chœur et d’un solo de ténor. L’ouverture est tout entière en imitations: le sujet parfaitement choisi pour ce genre de style est d’abord exposé par les violons et passe par les autres instruments du quatuor pour se transformer en un délicieux dialogue de la flûte et du hautbois, après quoi il est repris et brièvement travaillé par l’ensemble de l’orchestre. Le chœur d’Adieu des bergers est d’une couleur simple, douce et gracieuse. Quant au Repos de la sainte Famille, c’est un véritable bijou musical: une longue ritournelle, ou plutôt une introduction instrumentale, prépare l’entrée de la voix qui a pour mission de dépeindre le repos de l’enfant-Sauveur et de ses divins parents; description à laquelle concourt d’ailleurs l’accompagnement, aussi discret que possible, mais dont chaque note porte coup, et qui semble soupirer à travers le vert feuillage des palmiers. Aux dernières mesures, le chœur des anges, inaperçu du public, et passant par la bouche des soprani, fait entendre pianissimo quelques accords sur le mot alleluia.
L’impression de cette petite scène mystico-champêtre est pénétrante et vraiment magique; aussi l’a-t-on redemandée avec acclamation. Dans la composition, dont nous venons d’esquisser une très-rapide analyse, Berlioz a fait subir à sa manière une véritable transfiguration: tours de phrase, marche de la basse, choix et rôle des instruments parmi lesquels domine le hautbois et d’où sont soigneusement exclus les trombones, dimension des morceaux, trilles, cadences, tout rappelle le faire de Haendel et des maîtres de son époque, bien entendu avec les ressources de l’art moderne, et en particulier la science inspirée de l’auteur. Mais quelque admirablement réussi que soit un pareil essai de musique rétrospective, n’avons-nous pas le droit de dire: pourquoi, et à quoi bon?... Cela sent toujours le pastiche, et nous eussions cru Berlioz moins susceptible que tout autre de se laisser aller à de semblables velléités. Voyez-vous Ingres ou Delacroix s’efforçant de reproduire sur la toile Cimabue ou le Giotto? Que Berlioz nous rende bien vite de ces conceptions grandioses, dans le goût d’Harold, de Faust, ou de Roméo, qui ne sont peut-être pas appelées, dans le présent, à un succès aussi universel, mais qui ont une bien autre portée pour tous les esprits d’élite, comme aussi nous offririons de le parier, aux yeux mêmes de leur auteur. E. VIEL.

1854

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 1808; 6 novembre)

[…] Je t’envoie deux ou trois exemplaires de ma petite sainteté; envoies-en un à Casimir Faure à qui je l’ai promis.
Cela sera exécuté ici le 10 décembre la veille de mon jour de naissance à 2 heures (Dimanche); je prie mes nièces de penser à moi le matin de ce jour quand elles iront à la messe et je demande à Suat de boire un verre de vin à la santé de mes exécutants à déjeuner. Quant à la mienne et à celle de l’œuvre, je sais bien que vous ne l’oublierez pas. […]

À Franz Liszt (CG no. 1811; 14 novembre)

[…] J’ai reçu la traduction de M. Cornelius et aussitôt je me suis mis en train pour préparer l’exécution de cette petite œuvre. Elle aura lieu le 10 décembre prochain; je m’attends à perdre quelque huit ou neuf cents francs à ce concert. Mais cela sera, je l’espère, utile pour l’Allemagne. Et j’ai la faiblesse aussi de désirer faire entendre cela à quelques centaines de personnes à Paris dont le suffrage, si je l’obtiens, aura du prix pour moi, et à quelques douzaines de crapauds dont en tout cas, cela fera enfler le ventre. […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 1824; 9 décembre)

[…] Il y a eu des transports aux répétitions et ce matin où beaucoup de curieux s’étaient introduits dans la salle, ces manifestations ont redoublé. On me prédit un succès monstre pour demain. L’exécution sera irréprochable, les époux Meillet sont un excellent couple sacré. Mme Meillet surtout est la plus adorable Vierge Marie qui se puisse entendre à Paris et Battaille est un père de famille excellent. Depassio donne toute la sombre rudesse imaginable à la physionomie d’Hérode, les chœurs et l’orchestre sont irréprochables. Il n’y que les enfants de chœur de St Eustache dont je ne puis rien faire; et je crois que demain je leur défendrai de chanter.
La location va très bien, à mon grand étonnement, et je crois qu’au lieu d’y perdre, je gagnerai quelques centaines de francs. […]

À son beau-frère Marc Suat (CG no.  1830; 11 décembre)

Je ne veux pas attendre à demain pour vous informer du grand succès de mon nouvel ouvrage. Bis, rappels, interruptions des morceaux par l’émotion de l’auditoire, larmes, rien n’y a manqué. Il y avait foule et on a refusé beaucoup de personnes à la porte. Nous redonnerons cela Dimanche 24 (la veille de Noël). Mes choristes et l’orchestre étaient tellement exaltés que quand je leur ai fait demander si je pouvais compter sur eux pour le prochain concert, ils ont répondu qu’ils viendraient pour rien si je voulais. Offre que je n’ai pas cru devoir accepter. Quant aux solistes, (Battaille, Depassio, Jourdan, M. et Mme Meillet, etc,) ils ne se font pas payer. […]
Et quel succès! je n’ai rien vu de plus chaleureux en Allemagne, en Russie ni en Angleterre. A mon entrée j’ai été applaudi par la salle et par les exécutants pendant cinq minutes. A la fin des embrassades à n’en plus finir. […]
Mes nièces peuvent être tranquilles, Le Songe d’Hérode qui leur est dédié est presque digne de porter leur nom et j’espère qu’il leur fera honneur. […]

À la princesse Sayn-Wittgenstein (CG no. 1847; 16 décembre)

Je vous remercie mille fois de l’intérêt que vous voulez bien prendre à mon petit oratorio. On lui fait en ce moment à Paris un succès… révoltant pour ses frères aînés. On l’a reçu comme un Messie, et peu s’en est fallu que les Mages ne lui offrissent de l’encens et de la myrrhe. Le public de France est ainsi fait. On dit que je me suis amendé, que j’ai changé de manière… et autres sottises. […]
Toute la presse jusqu’ici (excepté la Revue de notre ami Scudo) me traite on ne peut mieux. J’ai reçu un monceau de lettres extrêmement enthousiastes, et j’ai souvent envie en les lisant de dire comme Salvatore Rosa, qu’on impatientait en lui vantant toujours ses petites toiles: « Sempre piccoli paesi !! ». […]
P.S. Nous redonnons la chose le 24, avec aggravation de la Captive que Mme Stoltz veut absolument chanter.

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 1865; 27 ou 28 décembre)

[…] La seconde exécution de mon ouvrage a été plus magnifique que la première, l’effet prodigieux, hors de proportion avec les effets connus. On a pleuré à flots, et on a tant applaudi que nous ne pouvions pas finir certains morceaux. A la scène du repos de la Sainte famille dont les cris de bis couvraient la fin, j’ai été obligé de m’avancer sur l’avant-scène et de dire au public: « Nous allons recommencer, mais veuillez maintenant laisser achever le morceau! » […]

1855

Au Baron von Donop (CG no. 1882; 11 janvier)

[…] Vous avez sans doute appris par nos journaux l’exécution et le succès de mon nouvel ouvrage (L’Enfance du Christ). Depuis le premier concert jusqu’à ce moment où je prépare le troisième je n’ai pas eu un moment de liberté. Ces travaux là se font en Allemagne avec un calme et une régularité qui ne peuvent vous donner une idée des peines, des efforts, des inquiétudes du jour et de la nuit, qu’ils causent à Paris. […]
Les Parisiens se sont tout de bon enflammés cette fois pour ma dernière partitition; ils y trouvent un progrès notable… Nigauds!… je ne ferai jamais rien comme l’adagio de Roméo et Juliette ou la scène de la réconciliation au final de ce même ouvrage. Mais c’est plus simple, moins développé et la donnée du poème leur est plus accessible. […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 1891; 1er février)

[…] Je viens de donner mon troisième concert au bénéfice d’une institution de bienfaisance patronnée par l’aristocratie du faubourg St Germain. C’est Ferrand qui m’a demandé cela. Il y a eu un succès pyramidal comme aux deux exécutions précédentes.
On a fait une recette de 5 500 fr. et on m’a donné cinq cents francs comme chef d’orchestre… c’est toujours mieux que rien. Je ne pouvais faire autrement que d’accorder la demande que ces Messieurs et ces Dames m’avaient faite. […]
On me comble ici de lettres, de dîners, de soupers, etc. Dimanche dernier mes chanteurs étaient heureux de leur succès comme il leur arrive rarement de l’être au théâtre. Mme Stoltz surtout qui chantait la Captive était folle de joie. C’est un grand morceau qu’on ne connaissait pas. […]

À Gaetano Belloni (CG no. 1930; 28 mars)

Voulez-vous me faire le grandissime plaisir d’aller tout de suite chez Pasdeloup, le prier de ma part et très énergiquement de ne pas exécuter à son concert de Dimanche prochain mon ouverture du Corsaire. Son orchestre n’est pas de force, je n’ai pas encore moi-même fait exécuter cette ouverture ici en France et vous concevrez que je ne sois pas bien aise de la faire entendre ainsi pour la première fois. […]

[Note: l’exécution fut dirigée par Barbereau et non pas par Pasdeloup]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 1933; 8 avril)

[…] J’ai donné hier l’Enfance du Christ à l’opéra-comique. Succès pyramidal, on a refusé faute de place plus de quatre cents personnes et la recette a atteint le chiffre de 6 000 fr. Je suis de moitié avec le Directeur, les frais et sa part prélevés il me restera probablement dix-huit cents francs. […]

Le Ménestrel 15 avril 1855 p. 2

Nous n'avons pas à revenir sur l’Enfance du Christ, de Berlioz, l’œuvre à la mode dont le succès grandit à chaque audition, et que notre collaborateur Gatayes a déjà si bien analysée, dans ces colonnes [Le Ménestrel 17 décembre 1854 p. 1-3]. Sauf Battaille et Depassio remplacés par Bussine et M. Delacombe, l’Enfance du Christ a eu ses interprètes habituels; il est presque superflu de dire que, de son côté, le maestro a obtenu son ovation et son rappel accoutumés.

1856

À son beau-frère Marc Suat (CG no. 2078; 10 janvier)

[…] Adieu je monte en cabriolet pour m’occuper du concert du 25, qui m’ennuie plus que jamais affaire de ce genre ne m’a ennuyé. Mais il faut le donner absolument avant mon départ. […]

À Peter Cornelius (CG no. 2083; 24 janvier)

[…] J’ai un concert ici demain, nous donnons l’Enfance du Christ; j’ai le plus merveilleux orchestre qui existe peut-être, un chœur de 54 voix excellent et les 5 principaux chanteurs sont les seuls qui conviennent de tout point à mes personnages.
Tous ces artistes savent presque par cœur mon ouvrage et j’espère une admirable exécution. […]

1857

1858

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 2287; 26 avril)

[…] Je suis malade, nerveux, agité. De plus je dirige dimanche prochain au Conservatoire un immense concert donné par Litolff et dans lequel on exécutera deux de mes morceaux: La Captive avec orchestre et la Fête chez Capulet, de Roméo et Juliette. Cela va me tourmenter pendant 8 jours et augmenter mon malaise. […]

À son fils Louis Berlioz (CG no. 2292; 5 mai)

[…] Dimanche dernier, j’avais à diriger au Conservatoire le concert de Litolff, un de mes amis d’Allemagne. Nous avions un orchestre modèle, le premier peut-être qu’on puisse entendre en Europe. Litolff m’avait demandé deux morceaux de ma composition: la Captive et la Fête de Roméo et Juliette. J’ai eu un succès prodigieux, fracassant; que n’étais tu là! C’était un véritable tremblement de salle. […]

À Auguste Morel (CG no. 2294; 7 mai)

[…] J’ai dirigé dimanche dernier dans la salle du Conservatoire obtenue par l’intercession du Duc de Gotha, le concert de Litolff. La séance a été de tout point magnifique. Litolff m’avait demandé la Captive et la Fête chez Capulet. Tout a été exécuté d’une façon miraculeuse. Nous avions presque tous les artistes de la Société des Concerts. Litolff a eu un grandissime succès bien mérité. Je n’essaiera pas de vous décrire l’effet produit par mon morceau de Roméo. Un tonnerre d’applaudissements, un vrai tremblement de salle, des rappels à n’en plus finir.
Ah, si je pouvais maintenant faire exécuter de la sorte l’ensemble de mon répertoire, les Parisiens comprendraient. […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 2295; 7 mai)

[…] J’ai eu dimanche dernier au Conservatoire dans le Concert de Litolff que je dirigeais, un succès foudroyant avec mon morceau de La Fête de Roméo et Juliette qu’il m’avait demandé. Et quelle étonnante exécution! J’aurais bien voulu, chère sœur, te voir là. De quel cœur nous nous serions embrassés après! […]

À François Schwab (CG no. 2311; 7 septembre)

[…] Votre mot sur le chef d’orchestre, qui conduit avec un sceptre d’acier aimanté, est un des plus charmants que je connaisse. Croyez donc, je vous prie à ma vive reconnaissance, et recevez mes sincères compliments. […]

1859

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 2366; 13 avril)

Oui, je suis malade et plus que je ne l’ai encore été, de cette infernale névralgie. Et au milieu de ces douleurs, je suis engagé dans une entreprise musicale; je donne un grand concert spirituel le Samedi-Saint (23 avril) à l’Opéra-Comique. Je remonte l’Enfance du Christ et des fragments de Faust etc. etc. L’occasion était bonne, je ne devais pas la laisser échapper. Les théâtres font relâche pendant trois jours de la Semaine Sainte, la chance est en ma faveur pour une grande recette ce jour-là. Et pourtant ce concert coûte 3,000 fr; et malgré tout l’empressement de chacun à me servir, car je ne trouve que des portes ouvertes, cela me fatigue et m’ennuie horriblement. J’ai besoin de dormir et de rester tranquille. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 2368; 28 avril)

Tout malade que je suis, j’ai encore la force de ressentir une grande joie quand je reçois de vos nouvelles. Votre lettre m’a ranimé. Elle m’a surpris pourtant au milieu des tracas d’un concert spirituel que j’ai donné samedi dernier (23) au théâtre de l’Opéra-Comique. L’Enfance du Christ y a été mieux exécutée qu’elle n’avait encore pu l’être. Le choix des chanteurs et des musiciens était excellent. Vous me manquiez dans l’auditoire. La troisième partie (l’arrivée à Saïs) surtout a produit un très grand effet d’attendrissement. Le solo du père de famille: « Entrez, pauvres Hébreux », le trio des Jeunes Ismaélites, la conversation: « Comment vous nomme-t-on? — Elle a pour nom Marie, etc., » tout cela a paru toucher beaucoup l’auditoire. On ne finissait pas d’applaudir. Mais, entre nous, ce qui m’a touché bien davantage et ce qui vous eût, je l’espère, pris au cœur, c’est le chœur mystique de la fin « O mon âme! » qui pour la première fois a été exécuté avec les nuances et l’accent voulus. C’est dans cette péroraison vocale que se résume l’œuvre entière. Il me semble qu’il y a là un sentiment de l’infini..., de l’amour divin... Je pensais à vous en l’écoutant. […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 2371; 28 avril)

Je ne t’écris que peu de lignes; je suis si exténué, si souffrant que je ne puis sans grande peine assembler mes idées. Le concert de l’Op.-Comique m’a achevé. Il a été fort beau, l’exécution a dépassé de beaucoup les exécutions précédentes. La recette est au contraire restée inférieure; l’annonce de la guerre, la veille du concert, a arrêté la location, et je suis resté à trois mille et quelques cents francs. Je gagne très peu de chose, à peine 400 fr. Voilà le côté positif. Le succès a été très grand. Il nous manquait cette guerre pour tout exterminer. M. Bénazet que j’ai vu hier, espère que cela ne dérangera pas notre saison de Bade. […]

1860

À Ernest Legouvé (CG no. 2465; 19 janvier)

Merci, mon cher Legouvé, de la nouvelle preuve d’affection que vous me donnez et de vos offres de service. J’ai pris le parti de laisser faire, et de ne pas me mettre en avant; si l’on me veut on saura bien me trouver, et je verrai alors quelle réponse j’aurai à donner. Mais je ne dois pas solliciter. Ce n’est point par fierté exagérée et malentendue, mais bien parce que je ne puis accepter une tâche comme celle qu’il s’agit de remplir, qu’avec l’assentiment cordial et spontané des artistes. Il n’y a pas de loi qui m’oblige d’aller faire le Coriolan et montrer mes blessures sur la place publique; j’ai d’ailleurs, entre nous soit dit, très peu d’ambition, et me résigne parfaitement à n’être pas Consul. […]

À sa sœur Adèle Suat (CG no. 2475; 2 février)

[…] Tu me parles de la place de l’Opéra; on m’eût donné trente mille francs que je l’eusse refusée. C’est un métier de chien. Il s’agit maintenant de celle de la Cour qui n’en rapporte que trois mille francs mais qui ne me fatiguerait pas. Tout le monde veut me la donner, le Ministre M. Fould, le Prince Napoléon, le Prince Poniatowski, il s’agit seulement de détruire l’opposition que fait Auber (le maître de chapelle) qui prétend que cette place n’est pas digne de moi et préfère pour chef d’orchestre un simple violoniste de la Chapelle. Il ne veut pas… de quelqu’un qui puisse lui porter ombrage, c’est un manœuvre obscur qu’il lui faut. On fera ce qu’on voudra, je ne m’en mêle plus. […]

1861

À Charles Lebouc (CG no. 2541; 13 mars)

J’ai oublié de vous dire hier qu’il fallait prier M. Cros d’apporter son cor anglais.
Ainsi que je vous l’ai dit, il n’y a heureusement presque rien de fort dans la partie de Faust de nos deux morceaux. En conséquence elle conviendrait tout à fait au caractère de la voix de Paulin. Quant à M. Cazaux j’ai remarqué dimanche dernier qu’il ne voulait pas donner le mi naturel d’en haut; peut-être ne peut-il pas. Si cela est, je devrai arranger un passage de son air.
On copie en ce moment les deux rôles que je n’avais pas avec les paroles françaises.
Tout le reste est en ordre, et je viendrai vendredi matin assister à la répétition des chœurs. […]

À Jules Janin (CG no. 2547; 8 avril)

[…] P.S. Hier au Conservatoire, Faustus a été faustissimus, on commence à me croire mort.

À son fils Louis Berlioz (CG no. 2549; 18 avril)

[…] On m’a fait au Conservatoire une ovation rare après l’exécution des scènes de Faust. M. de Rémusat, qui y était, a dû écrire cela à Morel ou à Lecourt. […]

À sa nièce Joséphine Suat (CG no. 2581; 27 novembre)

[...] L’autre jour il y avait un grand Festival à l’Opéra, pour lequel on m’avait demandé un morceau (La fête de Roméo et Juliette). On m’avait fait une ovation à la répétition générale. Le lendemain au concert, quatre gredins sont venus chuter ce morceau; ce qui a excité une protestation en ma faveur de toute la salle et des 400 artistes qui couvraient la scène. Cela fait grand bruit, et montre à quelles haines furieuses je suis maintenant en butte. Aller choisir un morceau entraînant comme celui-là, qui est presque toujours bissé partout où on l’exécute, en Allemagne, en Angleterre, et même au Conservatoire de Paris... Voilà le fruit de la critique. [...]

1862

À Peter Cornelius (CG no. 2605; 9 avril)

[…] Avant-hier on a exécuté deux morceaux (un duo et un air) [de Béatrice et Bénédict] et cela a fait merveilles. Mme Charton-Demeur (la Béatrice) a supérieurement chanté. Il y avait dans le salon où je me trouvais un artiste qui n’est pas de mes partisans. Il n’avait pas eu le programme du concert, et après avoir entendu le duo il s’est écrié en applaudissant: Par dieu! voilà un admirable morceau! d’où cela sort-il? quel est l’auteur? — ce à quoi M. de St Georges a répondu en riant et en me montrant: L’auteur n’est pas loin, le voilà! Vous pensez si j’ai ri à mon tour. […]

À Stephen de la Madelaine (CG no. 2606; ?12 avril)

[…] Je regrette seulement que vous ne soyez pas venu à la soirée d’Escudier; j’aurais été heureux de vous faire entendre, avant la scène des Troyens, des fragments de Béatrice et Bénédict, qui ont été supérieurement exécutés. […]

1863

Voir aussi les lettres concernant les Troyens à la page La première des Troyens en novembre 1863

À son beau-frère Camille Pal (CG no. 2694; 3 février)

[…] Voilà toutes mes nouvelles musicales; c’est-à-dire non, je donne un demi-programme dimanche prochain au concert de la Société nationale des Beaux-Arts, et l’on me demande au Conservatoire un fragment de Béatrice pour le mois de mars. […]

À James William Davison (CG no. 2695; 5 février)

[…] Le Conservatoire m’a demandé pour le 8 mars le duo des jeunes filles, final du Ier acte de Béatrice. Je ne sais si ce public hargneux et plein de préventions se laissera prendre comme celui de Bade à la mélancolie de ce morceau. Quoi qu’il en soit je serai bien aise de faire entendre cela aux artistes. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 2697; 22 février)

[…] Je vais tout à l’heure diriger un concert où l’on exécute pour la seconde fois depuis quinze jours La Fuite en Egypte et autres morceaux de ma composition. A la première exécution le petit oratorio a excité des transports de larmes etc., et le directeur de ces concerts m’a redemandé le tout pour aujourd’hui. Vous allez bien me manquer au milieu de cet auditoire. […]
Dans quinze jours on chantera au concert du Conservatoire le Duo de Béatrice (Nuit paisible et sereine). Tout à l’heure je vais retrouver ce public enthousiaste de l’autre jour. J’ai un délicieux ténor qui dit à merveille:
      « Les pélerins étant venus » […]

Félicie Houry à Berlioz (CG no. 2699; 3 mars)

Depuis bien des jours j’hésite... je n’ose vous écrire... et cependant je désire si vivement vous exprimer combien votre musique m’a impressionnée dimanche 22 [février] à la Société nationale des arts.
En entendant l’Invitation que vous avez si bien orchestrée, j’étais émue profondément, c’est que... quand deux puissants génies comme Weber et Berlioz saisissent à la fois notre âme l’émotion est trop forte. On ne sait plus dans quelle vie on est transporté! Le vigoureux coloris de votre orchestration est le complément de la pensée musicale du grand Weber. Lorsqu’arrive la soudaine transition en fa [dièse] mineur... je ne sais quel délire s’empare de votre orchestre, délire qui se communique aux écouteurs, ces instruments de cuivre vous surprennent avec tant de spontanéité! Un homme de génie seul pouvait être capable de donner ces étranges couleurs — cet accroissement de vie à une phrase qui sur le piano ne reproduit qu’imparfaitement la pensée de l’auteur.
L’Enfance du Christ si savante et si belle, pour une intelligence comme la mienne demanderait à être entendue plusieurs fois, ces dialogues d’instruments à vent imitent si bien les voix des anges et des bergers. Je ne sais quel souffle incréé semble parcourir l’orchestre, révèle la présence d’un enfant divin, l’âme en écoutant est bercée dans un rêve de sérénité et de bonheur! mon intelligence essayait d’en sortir un peu pour apprécier et analyser les beautés incomparables de l’orchestration et ses ingénieuses combinaisons. O! c’est là de la grande et sérieuse musique! le compositeur nous transporte non dans la vie de l’imagination mais dans la vie surnaturelle! il nous semble sentir le Christ naître dans nos âmes... avec un amour du vrai et du beau et ses saintes inspirations! —
— l’ouverture du Carnaval Romain qu’on pourrait plus justement nommer la grande Symphonie Romaine (et que j’ai entendue aussi au concert Pasdeloup) [2 mars 1862] est un vrai chef d’œuvre. Quelle véhémence d’inspiration, quelle fougue, quelle spontanéité — comme c’est émouvant à entendre! — cette musique-là ne vieillira jamais! — ce qui passe comme la jeunesse — la beauté physique, les hirondelles et les fleurs c’est: la mélodie. Tous les compositeurs purement mélodistes doivent s’attendre à ce que leur musique vieillisse, passe de mode, notre école Française en est là, mais quand l’idée musicale reste (si je peux m’exprimer ainsi) enveloppée dans son mystère, quand elle nous émeut, nous ébranle, nous fait tour à tour sourire ou pleurer et cela sans le secours d’une forme distincte, d’une forme mélodique, c’est que le feu sacré est caché là-dedans! il vous saisit, il vous embrasse... Voilà la musique vraie — la musique qui tire ses accents de l’âme et de son contact avec le souffle inspirateur! — telle est monsieur votre musique — je la place au rang des Beethoven, Mendelssohn et autres grands compositeurs.
Pardonnez-moi mon indiscrétion d’oser vous adresser ces quelques pages écrites rapidement et qui expriment si mal tout ce que j’ai éprouvé en écoutant vos admirables compositions.
Je viens d’apprendre par la France Musicale que les Troyens seraient représentés au théâtre Lyrique, je serai heureuse d’être encore à Paris pour les entendre.
Quant à votre duo de Béatrice et Bénédict qui sera si bien dit dimanche au Conservatoire par Mme Viardot, je ne peux pas rêver que ma vieille mère et moi puissions pénétrer dans ce sanctuaire des arts... […]

À François Schwab (CG no. 2701; 24 mars)

[…] P.S. Dimanche dernier au sixième concert du Conservatoire (Société des Concerts) Mmes Viardot et Vandenheufel ont chanté le Duo du Ier acte de Béatrice, et le succès a été prodigieux. Ce public hargneux, hostile aux vivants, s’est oublié jusqu’à crier bis, à exiger qu’on recommençât toute la scène et à rappeler l’auteur, (qui s’est empressé de revenir, comme bien vous pensez). […]

Au Comité de la Société des Concerts du Conservatoire (CG no. 2702; 25 mars)

Je possède une assez belle collection musicale de parties séparées d’orchestre et de chœurs, et de partitions, gravées et manuscrites, représentant la presque totalité de mes ouvrages. J’ai souvent pensé avec inquiétude à ce que deviendrait après ma mort cette coûteuse collection, et j’ai tout lieu de craindre qu’elle ne soit dispersée ou mal employée ou même conservée intacte inutilement.
La Société des Concerts du Conservatoire est la seule institution musicale de France dont l’avenir puisse inspirer de la confiance à un compositeur. Je serais heureux qu’elle voulût bien dès aujourd’hui accepter en don cette musique et la recueillir dans sa bibliothèque particulière. Peut-être plus tard ces ouvrages auront-ils pour la Société des Concerts quelque valeur. Je vous demanderais seulement, Messieurs, dans le cas où mon offre serait accueillie, de me permettre de faire usage, ma vie durant, de ces parties et partitions, soit pour mes concerts à Paris soit pour mes voyages à l’étranger, m’engageant à vous les restituer intégralement après que vous en aurez fait dresser l’inventaire. […]

À Hippolyte Lecourt (CG no. 2705; 29 mars)

Vous recevrez dans peu un ex. de la partition de Béatrice; on en fait un nouveau tirage où je l’espère, il ne restera plus de fautes. L’effet du succès de dimanche [22 mars] est vraiment incroyable. Voici venir une foule de gens qui me découvrent; ces Christophe Colomb expriment leur ravissement avec une naïveté comique. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 2706; 30 mars)

[…] Dimanche dernier [22 mars], au 6ème concert du Conservatoire, Mme Viardot et Mme Vandenheufel ont chanté le Duo (Nuit paisible) devant ce public ennemi des vivants et si plein de préventions; le succès a été foudroyant, on a redemandé le morceau, la salle entière applaudissait, à la second fois il y a eu une interruption par les dames émues à l’endroit:
« Tu sentiras couler les tiennes à ton tour
Le jour où tu verras coronner ton amour. »
Cela fait un tapage incroyable. […]

À la Société des Concerts du Conservatoire (CG no. 2812; 19 décembre)

Messieurs,
Veuillez informer la Société des Concerts du Conservatoire que je la prie de me compter parmi les artistes qui sollicitent ses suffrages pour la place de chef d’orchestre devenue vacante par la retraite de M. Tilmant.
Je serais d’autant plus heureux que vore illustre Société me fît l’honneur de me confier ces fonctions que je pourrais maintenant m’y consacrer absolument et y donner tout mon temps. […]

1864

À M. et Mme Jules-Antoine Demeur (CG no. 2835; 25 fèvrier)

[…] Ici rien de nouveau; on a beaucoup parlé de la soirée de Mme Erard et Didon y a fait une grande impression. Ce soir on chante le Duo de Béatrice chez Mlle Bertin. Ce sont trois dames amateurs, mais chose étrange, musiciennes accomplies. Je les ai fait répéter avant-hier et cela va à merveille. […]

À son beau-frère Camille Pal (CG no. 2840; 1er mars)

[…] On jouaille maintenant un peu partout ma musique. Hier on a chanté le Duo d’amour des Troyens chez la princesse Mathilde qui aime la musique comme j’aime les coups de bâton. On doit dire le Septuor ces jours-ci [27 mars] au concert de l’Hôtel de Ville. […]

À son fils Louis Berlioz (CG no. 2849; 29 mars)

[…] On avait affiché un concert spirituel au Th.-Lyrique où se trouvait le septuor des Troyens, au dernier moment on l’a effacé de l’affiche, à ma grande satisfaction. On jouera dimanche prochain [3 avril] au Conservatoire la Fuite en Egypte. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 2928; 10 novembre)

[…] La semaine dernière [4 novembre], M. Blanche, le médecin de la maison de fous de Passy, avait réuni un nombreux auditoire de savants et d’artistes, pour fêter l’anniversaire de la première représentation des Troyens. J’ai été invité sans me douter de ce qui se tramait. Gounod s’y trouvait, Doli fabricator Epeus; il a chanté avec sa faible voix mais son profond sentiment le duo « Nuit d’ivresse », Mme Barthe-Banderali chantait Didon; puis Gounod a chanté seul la chanson d’Hylas. Une jeune dame [Mme Montdutaigny] a joué les airs de danse et l’on m’a fait dire sans musique, la scène de Didon: « Va, ma sœur, l’implorer », et je vous assure que le passage virgilien a produit un grand effet:
     « Terque quaterque manu pectus percussa decorum
    Flaventesque abscissa comas. »
Tout ce monde savait ma partition à peu près par cœur. Vous me manquiez. […]

À Hippolyte Lecourt (CG no. 2929; 10 novembre)

[…] La semaine dernière [4 novembre] M. Blanche, le directeur de la maison des fous, à Passy, m’a fait une galanterie dans le genre de la vôtre. Il m’a invité à dîner, avec Gounod, le jeune Barthe et sa femme, Mme Montdutaigny et une foule de médecins, de chimistes, d’Hellénistes, d’ignorants de toute espèce, qui tous, à ce que j’ai appris, avaient vu cinq, ou six, ou sept représentations des Troyens, et professent pour cet ouvrage un fanatisme des plus respectables (c’est bien là une maison de fous!). En conséquence Mme Montdutaigny a joué les airs de danse, Mme Barthe a chanté avec Gounod le Duo « O nuit d’ivresse ! » puis Gounod seul a chanté et très bien les couplets d’Hylas « Vallon sonore » et moi j’ai dit, sans musique bien entendu, la scène de Didon: « Va, ma sœur, l’implorer » et je vous assure que j’ai très bien rendu le moment:
     « Terque quaterque manu pectus percussa decorum
    Flaventesque abscissa comas. »
Seulement, les cheveux que j’ai arrachés n’étaient plus blonds. […]

1865

1866

À Frédéric Szarvády (CG no. 3103; 25 février)

[…] Le concerto de Kreutzer marche bien, nous avons déjà fait quatre répétitions partielles. Mme Massart a invité Mlle Szarwady, qui nous fait espérer qu’elle viendra. […]

À Humbert Ferrand (CG no. 3110; 8 mars)

[…] Je suis bien aise que vous ayez lu l’article de M. Laurentie [sur le concerto de Kreutzer]. Le concerto de Kreutzer est un chef-d’œuvre. Le pauvre garçon est à demi fou de joie. Il y a encore des rayons lumineux au milieu des ténèbres!!! […]

À sa nièce Nancy Suat (CG no. 3132; 30 avril)

[…] J’ai eu encore une grande ovation au Conservatoire où l’on a joué la Fuite en Egypte [le 1er avril]. La semaine dernière [le 20 avril], deux cantatrices de talent ont chanté dans un concert, avec un succès extraordinaire, le Duo des deux sœurs dans les Troyens (Anna et Didon). […]

À sa nièce Joséphine Suat (CG no. 3174; [23] octobre)

[…] Avant-hier, au cirque du Prince impérial, on jouait l’Invitation à la valse de Weber pour le piano, que j’ai instrumenté pour l’orchestre, on m’a découvert parmi les auditeurs et alors les musiciens et cet immense auditoire m’ont fait une ovation aussi embarrassante qu’inattendue. J’ai dû me lever et saluer. Je pensais à cet orateur de Rome qui disait : « Le peuple m’applaudit, aurais-je dit quelque sottise ? » […]

Le Ménestrel 28 octobre 1866, p. 383:

— Le début de la Société concertante des Champs-Elysées d’hiver a été des plus heureux. Cet orchestre de cent musiciens, dont quelques-uns fraîchement recrutés, ne s’est que rarement écarté du parfait ensemble désirable, auquel il est impossible d’atteindre du premier coup. Il s’est particulièrement distingué dans l’ouverture de la Chasse du jeune Henri, la fantaisie sur la Dame blanche et l’Invitation à la valse, dont le mouvement, pris souvent trop vite, autre part, a permis, par sa justesse, d’entendre sans confusion les charmants détails. On a profité de l’occasion pour saluer d’applaudissements l’habile instrumentateur de ce poétique rondo de Weber, M. Hector Berlioz, présent à la fête. […]

© (sauf indication contraire) Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page. Cette page créée le 1er février 2017; mises à jour ultérieures.

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