Soli
Un récitant (ténor)
Sainte-Marie (soprano)
Saint-Joseph (baryton)
Hérode (basse)
Un père de famille (basse)
Polydorus (basse)
Un centurion (ténor)
Première Partie – Le Songe d’Hérode
Deuxième Partie – La Fuite en Egypte
Troisième Partie – L’Arrivée à Saïs
LE RÉCITANT
Dans la crèche, en ce temps, Jésus venait de naître.
Mais nul prodige encor ne l’avait fait connaître;
Et déjà les puissants tremblaient,
Déjà les faibles espéraient.
Tous attendaient ...
Or apprenez, chrétiens, quel crime épouvantable
Au roi des Juifs alors suggéra la terreur,
Et le céleste avis que, dans leur humble étable
Aux parents de Jésus envoya le Seigneur.
SCÈNE I
Une rue de Jérusalem. Un corps de garde. Soldats romains faisant une ronde de nuit.
UN CENTURION
Qui vient ?
POLYDORUS (le commandant de la patrouille)
Rome!
CENTURION
Avancez!
POLYDORUS
Halte!
CENTURION
Polydorus!
Je te croyais déjà, soldat, aux bords du Tibre.
POLYDORUS
J’y serais en effet si Gallus
Notre illustre préteur, m’eut enfin laissé libre.
Mais il m’a sans raison
Imposé pour prison
Cette triste cité, pour y voir ses folies
Et d’un roitelet juif garder les insomnies.
CENTURION
Que fait Hérode?
POLYDORUS
Il rêve, il tremble,
Il voit partout des traîtres, il assemble
Son conseil chaque jour;
Et du soir au matin
Il faut sur lui veiller;
Il nous obsède enfin.
CENTURION
Ridicule tyran!
Mais va, poursuis ta ronde.
POLYDORUS
Il le faut bien. Adieu ! Jupiter le confonde !
La patrouille se remet en marche et s’éloigne.
SCÈNE II
L’intérieur du palais d’Hérode. Hérode seul.
HÉRODE
Toujours ce rêve! encore cet enfant
Qui doit me détrôner.
Et ne savoir que croire
De ce présage menaçant
Pour ma vie et ma gloire!
Ô misère des rois!
Régner et ne pas vivre,
A tous donner des lois,
Et désirer de suivre
Le chevrier au fond des bois!
Ô nuit profonde
Qui tient le monde
Dans le repos plongé,
A mon sein ravagé
Donne la paix une heure,
Et que ton voile effleure
Mon front d’ennuis chargé ...
O misère des rois, etc.
Effort stérile!
Le sommeil fuit;
Et ma plainte inutile
Ne hâte point ton cours, interminable nuit.
SCÈNE III
POLYDORUS
Seigneur!
HÉRODE
Lâches, tremblez!
Je sais tenir encore
Une épée ...
POLYDORUS
Arrêtez!
HÉRODE (le reconnaissant)
Ah! c’est toi, Polydore.
Que viens-tu m’annoncer?
POLYDORUS
Seigneur, les devins juifs
Viennent de s’assembler
Par vos ordres.
HÉRODE
Enfin!
POLYDORUS
Ils sont là.
HÉRODE
Qu’ils paraissent!
SCÈNE IV
Les devins entrent.
CHŒUR DE DEVINS
Les sages de Judée,
Ô roi, te reconnaissent
Pour un prince savant et généreux;
Ils te sont dévoués.
Parle, qu’attends-tu d’eux?
HÉRODE
Qu’ils veuillent m’éclairer,
Est-il quelque remède
Au souci dévorant
Qui dès longtemps m’obsède?
DEVINS
Quel est-il?
HÉRODE
Chaque nuit
Le même songe m’épouvante;
Toujours une voix grave et lente
Me répète ces mots: "Ton heureux temps s’enfuit!
Un enfant vient de naître
Qui fera disparaître
Ton trône et ton pouvoir."
Puis-je de vous savoir
Si cette terreur qui m’accable
Est fondée,
Et comment ce danger redoutable
Peut être détourné?
DEVINS
Les esprits le sauront,
Et par nous consultés
Bientôt ils répondront.
(Les devins font des évolutions cabalistiques et procèdent à la conjuration.)
DEVINS
La voix dit vrai, seigneur.
Un enfant vient de naître
Qui fera disparaître
Ton trône et ton pouvoir.
Mais nul ne peut savoir
Ni son nom, ni sa race.
HÉRODE
Que faut-il que je fasse?
DEVINS
Tu tomberas, à moins que l’on ne satisfasse
Les noirs esprits, et si, pour conjurer le sort,
Des enfants nouveaux-nés tu n’ordonnes la mort.
HÉRODE
Eh bien! par le fer qu’ils périssent!
Je ne puis hésiter.
Que dans Jérusalem,
A Nazareth, à Bethléem,
Sur tous les nouveaux-nés
Mes coups s’appesantissent!
Malgré les cris, malgré les pleurs
De tant de mères éperdues,
Des rivières de sang vont être répandues.
Je serai sourd à ces douleurs.
La beauté, la grâce, ni l’âge
Ne feront faiblir mon courage
Il faut un terme à mes terreurs.
DEVINS
Oui ! oui ! par le fer qu’ils périssent!
N’hésite pas.
Que dans Jérusalem,
A Nazareth, à Bethléem,
Sur tous les nouveaux-nés
Tes coups s’appesantissent !
Oui, malgré les cris, malgré les pleurs
De tant de mères éperdues,
Les rivières de sang qui seront répandues,
Demeure sourd à ces douleurs!
Que rien n’ébranle ton courage!
Et vous, pour attiser sa rage,
Esprits, redoublez ses terreurs!
HÉRODE
Non, non! Que dans Jérusalem, etc.
SCÈNE V
L’étable de Bethléem
MARIE
Ô mon cher fils, donne cette herbe tendre
A ces agneaux qui vers toi vont bêlant;
Ils sont si doux ! laisse, laisse-les prendre.
Ne les fais pas languir, ô mon enfant.
Mon cher enfant, donne cette herbe tendre, etc.
MARIE, JOSEPH
Répands encor ces fleurs sur leur litière.
Ils sont heureux de tes dons, cher enfant;
Vois leur gaîté, vois leurs jeux, vois leur mère
Tourner vers toi son regard caressant.
MARIE
Oh! sois béni, mon cher et tendre enfant!
JOSEPH
Oh! sois béni, divin enfant!
SCÈNE VI
CHŒUR D’ANGES INVISIBLES
Joseph! Marie!
Écoutez-nous.
MARIE, JOSEPH
Esprits de vie,
Est-ce bien vous?
ANGES
Il faut sauver ton fils
Qu’un grand péril menace,
Marie.
MARIE
Ô ciel, mon fils!
ANGES
Oui, vous devez partir
Et de vos pas bien dérober la trace;
Dès ce soir au désert vers l’Égypte il faut fuir.
MARIE, JOSEPH
A vos ordres soumis, purs esprits de lumière,
Avec Jésus au désert nous fuirons.
Mais accordez à notre humble prière
La prudence, la force, et nous le sauverons.
ANGES
La puissance céleste
Saura de vos pas écarter
Toute rencontre funeste.
MARIE, JOSEPH
En hâte, allons tout préparer.
ANGES
Hosanna! Hosanna!
Les bergers se rassemblent devant l’étable de Bethléem.
CHŒUR DES BERGERS
Il s’en va loin de la terre
Où dans l’étable il vit le jour.
De son père et de sa mère
Qu’il reste le constant amour,
Qu’il grandisse, qu’il prospère
Et qu’il soit bon père à son tour.
Oncques si, chez l’idolâtre,
Il vient à sentir le malheur,
Fuyant la terre marâtre,
Chez nous qu’il revienne au bonheur.
Que la pauvreté du pâtre
Reste toujours chère à son cœur.
Cher enfant, Dieu te bénisse!
Dieu vous bénisse, heureux époux!
Que jamais de l’injustice
Vous ne puissiez sentir les coups.
Qu’un bon ange vous avertisse
Des dangers planant sur vous.
LE RÉCITANT
Les pèlerins étant venus
En un lieu de belle apparence
Où se trouvaient arbres touffus
Et de l’eau pure en abondance,
Saint Joseph dit: "Arrêtez-vous
Près de cette claire fontaine.
Après si longue peine
Reposons-nous."
L’enfant Jésus dormait.
Pour lors Sainte Marie,
Arrêtant l’âne, répondit:
"Voyez ce beau tapis d’herbe douce et fleurie,
Le Seigneur pour mon fils au désert l’étendit."
Puis, s’étant assis sous l’ombrage
De trois palmiers au vert feuillage,
L’âne paissant,
L’enfant dormant,
Les sacrés voyageurs quelque temps sommeillèrent,
Bercés par des songes heureux,
Et les anges du ciel, à genoux autour d’eux,
Le divin enfant adorèrent.
CHŒUR D’ANGES
Alleluia! Alleluia!
LE RÉCITANT
Depuis trois jours, malgré l’ardeur du vent,
Ils cheminaient dans le sable mouvant.
Le pauvre serviteur de la famille sainte,
L’âne, dans le désert était déjà tombé;
Et, bien avant de voir d’une cité l’enceinte,
De fatigue et de soif son maître eût succombé
Sans le secours de Dieu. Seule Sainte Marie
Marchait calme et sereine, et de son doux enfant
La blonde chevelure et la tête bénie
Semblaient la ranimer sur son cœur reposant.
Mais bientôt ses pas chancelèrent ...
Combien de fois les époux s’arrêtèrent ...
Enfin, pourtant, ils arrivèrent
A Saïs, haletants,
Presque mourants.
C’était une cité dès longtemps réunie
A l’empire romain,
Pleine de gens cruels, au visage hautain.
Oyez combien dura la navrante agonie
Des pèlerins cherchant un asile et du pain.
SCÈNE I
L’intérieur de la ville de Saïs
MARIE
Dans cette ville immense
Où le peuple en foule s’élance,
Quelle rumeur!
Joseph ! J’ai peur ...
Je n’en puis plus ... las! ... Je suis morte ...
Allez frapper à cette porte.
JOSEPH
Ouvrez, ouvrez, secourez-nous,
Laissez-nous reposer chez vous!
Que l’hospitalité sainte soit accordée
A la mère, à l’enfant. Hélas! de la Judée
Nous arrivons à pied.
CHŒUR DE ROMAINS
Arrière, vils Hébreux!
Les gens de Rome n’ont que faire
De vagabonds et de lépreux!
MARIE
Mes pieds de sang teignent la terre!
JOSEPH
Seigneur! ma femme est presque morte!
MARIE
Jésus va mourir ... c’en est fait.
Mon sein tari n’a plus de lait.
JOSEPH
Frappons encore à cette porte.
Oh! par pitié, secourez-nous!
Laissez-nous reposer chez vous!
Que l’hospitalité sainte soit accordée
A la mère, à l’enfant. Hélas! de la Judée
Nous arrivons à pied.
CHŒUR D’ÉGYPTIENS
Arrière, vils Hébreux!
Les gens d’Égypte n’ont que faire
De vagabonds et de lépreux!
JOSEPH
Seigneur! sauvez la mère!
Marie expire ... c’en est fait ...
Et son enfant n’a plus de lait.
Votre maison, cruels, reste fermée.
Vos cœurs sont durs. Sous la ramée
De ces sycomores, l’on voit,
Tout à l’écart, un humble toit ...
Frappons encor ... Mais qu’à ma voix unie
Votre voix si douce, Marie,
Tente aussi de les attendrir.
MARIE
Hélas! nous aurons à souffrir
Partout l’insulte et l’avanie.
Je vais tomber ...
JOSEPH
Oh! par pitié ...
MARIE, JOSEPH
Oh! par pitié, secourez-nous!
Laissez-nous reposer chez vous!
Que l’hospitalité sainte soit accordée
Aux parents (à la mère), à l’enfant. Hélas! de la Judée
Nous arrivons à pied.
SCÈNE II
L’intérieur de la maison des Ismaélites
LE PÈRE DE FAMILLE
Entrez, entrez, pauvres Hébreux!
La porte n’est jamais fermée,
Chez nous, aux malheureux.
Pauvres Hébreux, entrez, entrez !
(Joseph et Marie entrent.)
Grands Dieux! Quelle détresse!
Qu’autour d’eux on s’empresse!
Filles et fils et serviteurs,
Montrez la bonté de vos cœurs!
Que de leurs pieds meurtris on lave les blessures!
Donnez de l’eau, donnez du lait, des grappes mûres;
Préparez à l’instant
Une couchette pour l’enfant.
CHŒUR D’ISMAÉLITES
Que de leurs pieds meurtris on lave les blessures!
Donnez de l’eau, donnez du lait, des grappes mûres;
Préparez à l’instant
Une couchette pour l’enfant.
(Les jeunes Ismaélites et leurs serviteurs se dispersent dans la maison,
exécutant les ordres divers du Père de famille.)
LE PÈRE DE FAMILLE
Sur vos traits fatigués
La tristesse est empreinte.
Ayez courage, nous ferons
Ce que nous pourrons
Pour vous aider.
Bannissez toute crainte;
Les enfants d’Ismaël
Sont frères de ceux d’Israël.
Nous avons vu le jour au Liban, en Syrie.
Comment vous nomme-t-on ?
JOSEPH
Elle a pour nom Marie,
Je m’appelle Joseph, et nous nommons l’enfant
Jésus.
LE PÈRE DE FAMILLE
Jésus! quel nom charmant!
Dites, que faites-vous pour gagner votre vie?
Oui, quel est votre état?
JOSEPH
Moi, je suis charpentier.
LE PÈRE DE FAMILLE
Eh bien, c’est mon métier!
Vous êtes mon compère.
Ensemble nous travaillerons,
Bien des deniers nous gagnerons.
Laissez faire.
Près de nous Jésus grandira,
Puis bientôt il vous aidera
Et la sagesse il apprendra.
Laissez, laissez faire.
CHŒUR D’ISMAÉLITES
Laissez, laissez faire.
Près de nous Jésus grandira
Puis bientôt il vous aidera,
Et la sagesse il apprendra.
LE PÈRE DE FAMILLE
Pour bien finir cette soirée
Et réjouir nos hôtes, employons
La science sacrée,
Le pouvoir des doux sons.
Prenez vos instruments, mes enfants; toute peine
Cède à la flûte unie à la harpe thébaine.
LE PÈRE DE FAMILLE (s’adressant à Marie)
Vous pleurez, jeune mère.
Douces larmes, tant mieux!
Allez dormir, bon père,
Bien reposez,
Mal ne songez,
Plus d’alarmes.
Que les charmes
De l’espoir du bonheur
Rentrent en votre cœur.
MARIE, JOSEPH
Adieu, merci, bon père,
Déjà ma peine amère
Semble s’enfuir,
S’évanouir.
Plus d’alarmes.
Oui, les charmes
De l’espoir du bonheur
Rentrent en notre cœur.
CHŒUR D’ISMAÉLITES
Allez dormir, bon père,
Doux enfant, tendre mère,
Bien reposez,
Mal ne songez,
Plus d’alarmes.
Que les charmes
De l’espoir du bonheur
Rentrent en votre cœur.
SCÈNE III
LE RÉCITANT
Ce fut ainsi que par un infidèle
Fut sauvé le Sauveur.
Pendant dix ans Marie, et Joseph avec elle
Virent fleurir en lui la sublime douceur,
La tendresse infinie
A la sagesse unie.
Puis enfin de retour
Au lieu qui lui donna le jour
Il voulut accomplir le divin sacrifice
Qui racheta le genre humain
De l’éternel supplice
Et du salut lui fraya le chemin.
LE RÉCITANT, CHŒUR
Ô mon âme, pour toi que reste-t-il à faire,
Qu’à briser ton orgueil devant un tel mystère? ...
Ô mon cœur, emplis-toi du grave et pur amour
Qui seul peut nous ouvrir le céleste séjour.
Amen.
© Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.