par
Pierre-René Serna
© 2006 Pierre-René Serna
Avant-propos Par sa formule même, Berlioz de B à Z vise à une lecture précise et immédiate, afin de répondre à la recherche d’un sujet donné, signalé par son entrée selon l’ordre alphabétique. Mais il se prête aussi à un vagabondage au fil des pages, au gré de la fantaisie du lecteur, sans autre esprit de méthode que la curiosité et le plaisir de la découverte. Car s’il souhaite apporter des informations et se fait ainsi instrument de réflexion, ce bécédaire est tout autant un jeu de piste, à parcourir en suivant le lacis des entrées et de leurs renvois. Mais toute flânerie, fût-elle errante, exige sa carte, son plan ou sa boussole. Voici donc les régions visitées par ce glossaire : * L’œuvre Béatrice et Bénédict ; Benvenuto Cellini ; Cantates ; Damnation de Faust (La) ; Écrits ; Enfance du Christ (L’) ; Épisode de la vie d’un artiste; Francs-Juges (Les) ; Freyschütz (Le) ; Harold en Italie ; Huit Scènes de Faust ; Mélodies ; Messe solennelle & autres pages religieuses ; Nonne sanglante (La) ; Œuvre musicale, approche ; Œuvre musicale, répertoire ; Orphée, Alceste & Armide ; Ouvertures & autres pièces orchestrales ; Perdus (ouvrages) ; Pou et l’Araignée (Le) & autres improvisations ; Requiem ; Roméo et Juliette ; Symphonie funèbre et triomphale, musique architecturale ; Te Deum ; Transcriptions, orchestrations & arrangements ; Tristia; Troyens (Les) ; Vox populi. * L’homme B (les trois) ; Dieu ; Écrits ; Élégance ; Femmes ; Formation (années de) ; Paris ; Pessimisme (petites leçons de) ; Signe ; Utopies ; Vie, chronologie ; Vie (mode de) ; Villes, villégiatures ; Voyages. * L’inspiration Beau absolu (le) ; Britanniques (îles) ; Conservatoire (salle des concerts du) ; Cor anglais ; Danses ; Espace ; Europe ; Fugue ; Germaniques (pays) ; Guitare ; Harmonie ; Italie ; Marches ; Musique ; Nature ; Nuits ; Opéra ; Orchestre ; Romances ; Soleils ; Symphonie ; Viole, alto, viole d’amour ; Voix ; Zaïde. * Les influences Berliozisme ; Calomnie (air de la) ; Classicisme ; Médiocrité ; Modernité ; Romantisme ; Scènes ; Véracité. * Les repères Berliographie ; Bibliothèque ; Discothèque ; Festival ; Recherches. Nota bene Les passages ou mots entre guillemets (« ») sont des citations, et, sans autre précision, toujours de Berlioz. Les titres d’œuvres sont donnés en italique, les titres de parties ou extraits d’œuvres, en caractères romains avec une capitale initiale. Exception est faite pour les mélodies d’un même recueil, marquées en italique, qui constituent en elles-mêmes une entité. Les astérisques qui suivent un mot (*) renvoient à l’entrée correspondante. |
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"Les trois B : Bach-Beethoven-Berlioz!" Cette fière maxime a été lancée, dans un article publié à Berlin en 1854, par le compositeur allemand Peter Cornelius, l’un des rares disciples directs de Berlioz. Par la suite, Hans von Bülow devait reprendre la formule à son compte, mais en substituant Brahms, comme le signale Jacques Barzun dans Critical Questions, au troisième B de ce panthéon filial des grands hommes de la musique. À la fois par revendication nationaliste et par souci de mettre en exergue les valeurs d’un classicisme prétendument éternel. Mais c’est ainsi que la postérité a retenu la formule, attribuant au second auteur l’invention qui revient au premier. Pour puiser aux sources et rétablir des vérités oubliées – ce qui est aussi l’humble ambition de Berlioz de B à Z – nous désignerons donc dans notre bécédaire, en ressouvenir de ce gaillard aphorisme disparu de la mémoire, Berlioz par la lettre B (signature que l’on retrouve aussi au bas de certains de ses premiers feuilletons). |
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B est l’archétype du musicien européen, dans l’esprit des compositeurs du XVIIIe siècle comme Mozart, Haendel, Gluck, Martin y Soler ou Rossini (dont l’esthétique assurément prolonge le siècle). Il est même, avec Liszt, le compositeur le plus irrémédiablement européen de son temps. Verdi, Wagner ou Massenet ont aussi connu une carrière qui dépasse leurs frontières d’origine, mais pour rester les uns et les autres largement redevables de leurs racines. Car si l’époque est celle de la montée des nationalismes, B n’en ressent l’attrait galvanisateur que de façon plurielle. L’auteur de l’Hymne à la France et l’orchestrateur de La Marseillaise, est pareillement le chantre de tous les patriotismes : irlandais, grec, hongrois, écossais ou breton ; avec un goût pour les particularismes. À les défendre tous, il n’en élit aucun. Essentiellement, l’inspirent l’élan et l’enthousiasme qui soulèvent les foules et les peuples. Sa véritable et unique patrie, la seule pour lui à justifier tous les sacrifices, demeure celle de l’art. Quand Les Maîtres chanteurs de Wagner finissent en un appel au triomphe de l’art allemand, singulièrement Benvenuto, auquel ils doivent tant, s’achève en glorifiant un art sans attaches. La France que chante B est celle de la Révolution ou de Napoléon : à l’échelle de l’Europe, voire du monde. Le Temple universel (Messe* solennelle & autres pièces religieuses), cet appel à l’amitié entre les peuples, pourvu initialement de paroles simultanées en français et en anglais, ne proclame-t-il pas : « Embrassons-nous par-dessus les frontières / L’Europe un jour n’aura qu’un étendard » ? Dans son avant-dernier feuilleton, B imagine le monde à venir appelé de ses vœux : « Et ce jour-là on dira : "À bas les douanes et les douaniers, et les chemins de fer, et les paquebots, et les frontières, et les confédérations, et les royaumes, et les empires ; il n’y aura qu’un seul pays, la terre […] On ne parlera plus sur le globe entier qu’une seule langue, l’européen, c’est-à-dire le français enrichi". » Bade, élégante ville d’eau, capitale d’un grand-duché aux confins de l’Allemagne et rendez-vous de toute l’aristocratie européenne, où B séjourne en 1853, puis tous les ans de 1856 à 1863, représente un condensé de cette Europe cosmopolite dont il rêve : « À Bade c’est différent ; on y gagne de l’argent, et on y fait de la bonne musique, et on y trouve une foule de gens d’esprit, et on y parle français. » Ce sentiment chez B se nourrit de ses pérégrinations de musicien ambulant, portant sa muse sans remords partout en Europe où on lui fait bon accueil. Mais il puise peut-être à ses racines. Sa bourgade de naissance, La Côte-Saint-André, était alors une marche, une marge de la France : aux confins du Dauphiné, à la frontière de l’Italie, de la Suisse et de la Savoie. Le patronyme de B est typiquement savoyard, de ceux que l’on retrouve aujourd’hui en Suisse et en Dauphiné ; et la Savoie de cette époque n’appartenait pas à la France (elle devra attendre 1860, avec Nice l’italienne, mais après l’Algérie). Du côté maternel, il descend même d’une branche autrichienne : les comtes et barons von Waldner von Freudstein, dont est issue la grand-mère. Mais nul doute que ce n’est pas en pensant à ses ancêtres qu’il déclare : « Moi, le musicien aux trois quarts allemand. » Ses références, comme toujours, ne sont pas nationales mais esthétiques : c’est la part de Gluck, Beethoven et Weber (ou Mozart) ; le quartier restant se distribuant entre les maîtres italiens (Rossini, Spontini, Cherubini…) et français (Gluck, Rameau et les tenants de la tragédie lyrique, Grétry, Dalayrac et les tenants de l’opéra-comique). Si B n’est pas un musicien français, au sens que lui donnait Debussy, c’est qu’il est plus que cela : un musicien à l’échelle du continent tout entier. Il choisit Paris, mais en tant que foyer culturel où les artistes et courants de l’Europe se mêlent : « Paris, c’est-à-dire vous autres mes amis, les hommes intelligents qui s’y trouvent, le tourbillon d’idées dans lequel on se meut. » De la France, il ne connaîtra guère les villes de province (des concerts épisodiques à Lyon, Lille, Marseille et Bordeaux) : « En France l’art n’existe et n’est compris qu’à Paris. » Parlant de Toulouse pour un projet qu’il se refuse à poursuivre : « On me promet monts et merveilles à Toulouse ; mais je connais mes Gascons du Languedoc, et je sais ce que valent en France les musiciens de province. » Un intérêt réduit qui remonte jusqu’à l’enfance : « Mon père, à ce sujet, disait de moi avec raison : "Il sait le nom de chacune des îles Sandwich, des Moluques, des Philippines ; il connaît le détroit de Torres, Timor, Java et Bornéo, et ne pourrait dire seulement le nombre des départements de la France." » En revanche, il ne cesse d’arpenter la moindre capitale des principautés allemandes, celles de Hongrie, de Bohême, d’Autriche, de Belgique, de Russie, d’Angleterre. Sa première femme est irlandaise, sa seconde d’origine espagnole. Ses amantes d’un moment viennent d’Allemagne (Camille Moke) ou de Russie (une choriste). Ses amis se nomment Liszt, Heine, Sayn-Wittgenstein ou James William Davison. « Non, je n’ai rien à faire en France […] Pour ma carrière, j’ai assez tenté, assez souffert, assez attendu ; ce n’est pas là qu’elle se fera. Je n’ai reçu en France que des avanies mal déguisées, je n’y ai trouvé qu’une opposition stupide parce que l’esprit national est stupide à l’endroit des questions élevées de l’art et la littérature ; et j’ai un mépris indomptable et toujours croissant pour ces idées françaises, que les autres peuples ne connaissent même pas. » Cette indifférence à la préférence nationale, la France le lui rendra bien, qui lui choisit Auber ou Boieldieu, puis Meyerbeer ou Offenbach, et après sa mort Gounod ou Massenet. Qui plus est, nombre de musiciens français le poursuivront dans sa postérité d’une hargne sans pareil hors des limites du territoire. Accueilli et adopté par l’Angleterre, l’Allemagne ou la Russie, B sera tenté de renier son pays et hésitera à émigrer : à Vienne en 1846, à Londres en 1847 et d’autres fois par la suite, à Dresde en 1854. Ce sera aussi de ces contrées que viendra la plus grande fidélité à sa mémoire et à son legs artistique. Jusqu’à nos jours. Et nous ne reprendrons pas la litanie de la méconnaissance par son pays du génie auquel il a donné naissance, si ce n’est pour citer deux faits récents: la New Berlioz Edition, due à des chercheurs anglo-saxons et publiée en Allemagne ; les commémorations du bicentenaire de 2003, où ses opéras auront été représentés d’abondance en Hollande, Grande-Bretagne, Allemagne ou aux États-Unis, autant que parcimonieusement en France. Puisque B, par nécessité et par désir, est si peu un musicien français. |
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Ces extraits sont tirés de Pierre-René Serna, Berlioz de B à Z (Éditions Van de Velde, 2006). Pierre-René Serna est journaliste musical. À ce titre, il collabore à différentes publications, produit des émission radiophoniques, participe à des ouvrages collectifs et organise des colloques musicaux. Il a dirigé, avec Christian Wasselin Berlioz (L’Herne, Paris, 2003).
Nous remercions vivement notre ami Pierre-René Serna et les Éditions Van de Velde de nous avoir accordé la permission de reproduire ces extraits, et Madame Christiane Leroux des Éditions Van de Velde de nous en avoir envoyé le texte et la couverture du livre sous forme électronique.
Voyez aussi sur ce site:
Lettre à Dominique Catteau – Pour la Petite Histoire... (par Pierre-René Serna)
Berlioz de B à Z : un voyage en Berliozie (par Christian Wasselin)
Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 1er août 2006.
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