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epidode

Par

Pierre-René Serna

© 2006 Pierre-René Serna

    Dans nombre de livres récents parmi les plus sérieux consacrés à Berlioz, l’intitulé Épisode de la vie d’un artiste se rapporte le plus souvent (cas du Berlioz de Hugh Macdonald chez Dent), voire immanquablement (cas du Dictionnaire Berlioz de chez Fayard), au seul titre primitif de la Symphonie fantastique. Il y a quelque chose de troublant à voir ainsi différents ouvrages communier d’un bel élan pour éluder la destination définitive qu’attribuera à son titre le compositeur lui-même : à savoir, la réunion de la Symphonie fantastique et de Lélio dans une même œuvre en deux parties.1

    Ce choix ultime de Berlioz ne saurait pourtant faire de doute. L’indication précise d’Épisode de la vie d’un artiste, comme nom du diptyque, figure dans la dernière rédaction du programme de la Fantastique2. Paru en français en 1857, avec la partition de Lélio et à la suite du concert de Weimar du 21 février 1855 (le dernier du diptyque, où le programme était en allemand), il est titré « Épisode de la vie d’un artiste / Symphonie fantastique et Monodrame lyrique », et précédé d’un Avertissement qui justement commence ainsi : « Le programme suivant doit être distribué à l’auditoire toutes les fois que la symphonie fantastique est exécutée dramatiquement et suivie en conséquence du monodrame de Lélio qui termine et complète l’épisode de la vie d’un artiste. » On le retrouve aussi dans l’ultime catalogue de Berlioz, publié sous ses auspices et sous sa surveillance, en 1859, en appendice des Grotesques de la musique3; où la Symphonie fantastique, œuvre 14, est spécifiée comme « Première partie de l’Épisode de la vie d’un artiste »; et Lélio, œuvre 14bis, comme « Deuxième partie de l’Épisode de la vie d’un artiste ». Enfin, et surtout, les Mémoires, au Chapitre XLIV qui évoque les circonstances du concert de 1832, entérinent définitivement : « Le programme se composait de ma Symphonie fantastique suivie de Lélio ou le Retour à la vie, monodrame qui est le complément de cette œuvre, et forme la seconde partie de l’Épisode de la vie d’un artiste. »4 Les volontés dernières affirmées par Berlioz sont des plus limpides, et constantes à partir d’une certaine date (à situer entre 1855 et 1857). C’est donc le titre qu’il importe d’adopter pour l’ensemble du diptyque5; et il convient, en conséquence, de ne le citer à propos de la seule Fantastique, que comme appellation initiale par la suite abandonnée. Voilà qui ne devrait susciter aucune tergiversation, ni encore moins appeler de contestation.

    Mais il n’empêche que l’ambiguïté sur ce point a désormais fâcheuse tendance à prospérer. L’origine en revient certainement au Catalogue Holoman. Publié en 1987 chez Bärenreiter, ce travail considérable, qui fait date et – à juste titre – référence, établit sa numérotation à partir du premier achèvement des œuvres. On sait que le précédent Catalogue, dû en 1951 à Cecil Hopkinson, était lui fondé sur les premières partitions éditées, plus tardives et qui ne suivent pas toujours la succession chronologique des pièces. Tout critère de recensement est inévitablement arbitraire, comportant ses avantages et ses inconvénients. Parmi ces derniers, Holoman présente la particularité de ne pas mettre en exergue, pour chaque entrée du catalogue, l’ultime option du compositeur6. Et c’est ainsi, par exemple, qu’Irlande est répertorié à l’entrée Neuf Mélodies H 38 (qui correspond à la première publication de 1830), ou Lélio à l’entrée le Retour à la vie H 55… L’état final voulu par Berlioz se retrouve ainsi relégué, soit dans les autres versions citées de la même œuvre, soit dans les commentaires; sans être totalement ignoré, il est vrai. Et le plus souvent une note ou un renvoi indique l’évolution de l’œuvre et de son intitulé. Mais ce n’est précisément pas le cas pour Épisode de la vie d’un artiste, qui figure, du reste, le titre même de l’entrée H 48; Symphonie fantastique n’apparaissant que comme sous-titre, fidèle en cela à la conception initiale de Berlioz. Mais on chercherait en vain, dans l’Index ou ailleurs dans l’ouvrage – sauf dans l’Avant-propos7 – une référence à cette appellation autre que celle de la Symphonie fantastique. Holoman dit bien lui-même, en commentant son travail, qu’il reste à en « trouver les erreurs. »8 Sans représenter à proprement parler une erreur, il s’agit ici pour le moins d’une regrettable lacune.

    L’autorité de ce Catalogue explique ainsi que certains berliographes se soient à la suite enferrés dans ce qui constitue assurément une imprécision, et qui finit alors par confiner à la confusion. Au risque de perpétuer un malentendu, ou pire un oubli quand d’aucuns n’hésitent plus en ce domaine à passer aux pertes et profits les volontés du compositeur. Il reste au lecteur, au mélomane ou à l’interprète désorientés, en mal de certitudes sur les intentions de Berlioz, la référence suprême des Mémoires. Encore heureux!

Pierre-René Serna
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1. Peter Bloom, dans l’Avant-propos à Lélio de la partition Bärenreiter, n’y faillit pas il est vrai – et c’est bien le moins! – mais avec trois brèves mentions sans aucun développement ni explication. David Cairns lui aussi se fait discret, citant subrepticement ce nom pour le diptyque, deux ou trois seules fois, comme en passant : allusivement page 529 du tome I, puis pages 100 et 604 du tome II de l’édition française de sa monumentale biographie.

2. Voir l’intégralité du texte de ce programme sur ce Site.

3. Ce catalogue constituera du reste la référence principale de la numérotation des opus de Berlioz (opus 1 à opus 28).

4. Alors même qu’en 1832, Épisode de la vie d’un artiste désignait encore la Fantastique. On ne peut manquer d’y voir, de la part des Mémoires, une intention délibérée, laissée à la postérité.

5. De même que les titres définitifs de chacun des volets deviennent : Symphonie fantastique et Lélio ou le Retour à la vie, monodrame lyrique (en place de : Épisode de la vie d’un artiste, symphonie fantastique et le Retour à la vie, mélologue).

6. Mais pas toujours systématiquement. Puisque le Maure jaloux H 9 est préféré au titre du manuscrit original l’Arabe jaloux; l’Ouverture du Corsaire H 101 est élue au lieu de l’Ouverture de la Tour de Nice (de 1844, qui pourtant justifie la chronologie de la numérotation)…

7. « Le titre Épisode de la vie d’un artiste, par exemple, désignait tantôt la Symphonie fantastique et tantôt la Fantastique accompagnée du mélologue ». Cette remarque d’Holoman est toutefois un raccourci un peu hâtif, puisque à partir d’au moins 1857, comme on l’a vu, il n’y aura plus de véritable alternative : Épisode de la vie d’un artiste formant désormais le nom consacré du diptyque.

8. Cahier de l’Herne Berlioz, page 29.

Nous remercions vivement notre ami Pierre-René Serna de nous avoir envoyé cet article [article repris dans Café Berlioz, pp. 91-93].

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 12 avril 2006.

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