Présentation
Alexandre Artôt (1815-1845)
Exécutions
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Cette page élégante, composée en 1840 ou au début de 1841, compte parmi les œuvres moins connues du compositeur. Sans être bien entendu l’une de ses partitions majeures, elle intéresse cependant à plusieurs titres. C’est en effet le seul exemple de musique instrumentale écrite par Berlioz dans un style concertant. La symphonie Harold en Italie avec alto solo n’est pas exactement comparable: ce n’est pas un concerto pour alto et orchestre et le rôle de l’orchestre y est très développé, alors que dans la Rêverie et caprice le violon solo domine dès les premières mesures. C’est aussi un exemple de plus de l’art du compositeur dans l’adaptation de musique vocale à des fins instrumentales: l’essentiel de la musique est tirée d’un aria pour Teresa au Ier acte de Benvenuto Cellini (H 76) (Ah! que l’amour une fois dans le cœur) que Berlioz supprima en faveur de l’aria qu’on connaît maintenant (Entre l’amour et le devoir). La musique est transposée de si mineur dans l’opéra en fa dièse mineur/la majeur dans la Romance. À part la coda, où la version pour violin diffère de celle de l’opéra, la musique suit pour l’essentiel la version de l’opéra, sauf que l’original est modifié plusieurs fois pour mettre en valeur le violon solo. Par exemple, l’écriture pour le violon utilise plusieurs fois le double-cordes (mesures 83-7, 97-106) pour donner plus d’intensité et de variété à la musique, et de même Berlioz ajoute ailleurs des traits décoratifs à la partie de violon (mesures 90-4).
On trouvera la grande partition de l’aria de l’opéra dans la NBE (New Berlioz Edition) tome Ia, p. 168-86; on peut entendre cette première version de l’aria sur l’enregistrement de la version originale de l’opéra fait à Paris en décembre 2003 par John Nelson. L’auditeur pourra reconnaître au passage plusieurs ressemblances avec la Scène d’amour de Roméo et Juliette; comparer notamment les mesures 11 et suivantes puis 95 et suivantes de la Romance avec les mesures 123 et suivantes de Roméo et Juliette.
La Rêverie et caprice fut publiée en 1841; CG II p. 735 reproduit le contrat entre Berlioz et l’éditeur Richaut, qui porte la date du 26 mars 1841. La grande partition est dédiée ‘à mon ami Artôt’, c’est-à-dire le virtuose belge Alexandre Artôt (1815-1845). Artôt n’est pas mentionné dans les Mémoires de Berlioz et il y a peu d’informations sur ses rapports avec lui dans la correspondance du compositeur (CG nos. 660, 790, 824). La plupart des données se trouvent dans les feuilletons de Berlioz pour le Journal des Débats, où il est assez souvent question du violoniste entre 1839 et 1844. La première mention d’Artôt se trouve dans les Débats du 22 janvier 1839:
N’oublions pas de signaler au public parisien un violon de la grande école, M. Artot, dont le jeu tout à fait original et d’une énergie brûlante fera certainement sensation cet hiver. Comme ces jeunes virtuoses nous font vieux, nous autres musiciens de trente-cinq ans! Je me rappelle l’époque où le petit Artot, page de la chapelle royale, chantait aux Tuileries dans les oratorios de Lesueur. L’enfant remporte un premier prix de violon, quitte Paris, disparaît pendant dix ans, et nous revient artiste consommé, chargé des présents de la cour de Russie, des couronnes de l’Allemagne, riche et sur le point d’être prophète chez lui.
La mention suivante date du 18 avril de la même année, après un concert donné à Paris par le violoniste:
Artôt, revenu cet hiver seulement de ses longs voyages dans le nord de l’Europe, était beaucoup moins connu des Parisiens [sc. que le pianiste Doëhler]. La nouveauté, l’audace heureuse de ses coups d’archet, la beauté des sons qu’il tire du violon, l’expression passionnée, la largeur avec lesquels il déploie les mélodies lentes, l’ardeur entraînante, le bonheur de ses traits les plus scabreux et la justesse obstinée de ses intonations, ont excité un crescendo d’applaudissements qui devait nécessairement aboutir à de véritables transports. Artôt, ce soir-là, a obtenu un triomphe qu’il pourrait voir se renouveler aisément en reparaissant dans un théâtre ou dans une vaste salle de concert ; car c’est là seulement qu’il est à son aise et qu’il peut donner carrière à sa verve; mais il nous quitte, il part pour l’Angleterre, qui ratifiera, nous n’en doutons pas, le suffrage de Paris.
À partir de cette date on trouve plusieurs appréciations très flatteuses du jeune violoniste et de son talent à l’occasion de concerts donnés par lui à Paris; voir notamment Débats 10 mai 1839, 14 février et 23 avril 1841. De tout cela on peut se faire une idée des rapports de Berlioz avec le jeune violoniste, qui fournit le contexte pour la composition de la Rêverie et caprice. Berlioz aura fait la connaissance d’Artôt dans les années 1820 quand il était page et chanteur à la chapelle royale, et aussi étudiant précoce à la classe de violon au Conservatoire, où il remporte un premier prix en 1828. C’est le point de départ d’une série de tournées de concerts à l’étranger qui dure plusieurs années; couronné de succès Artôt revient finalement à Paris vers la fin de 1838 ou le début de 1839, où il renoue connaissance avec Berlioz et remporte de nouveaux succès à Paris, dont Berlioz fait une chronique enthousiaste. Artôt poursuit sa carrière de virtuose itinérant en Europe, y compris un voyage à Londres, et en 1843 il fait une tournée en Amérique, d’où il revient en 1844, mais sa carrière est brutalement terminée par la maladie et il meurt en 1845.
Berlioz dit avoir écrit la Romance pour Artôt (CG no. 824), ce qui est confirmé par la dédicace. Impressionné par les qualités du jeu d’Artôt, Berlioz aurait décidé d’écrire le morceau pour lui, et l’existence de l’air supprimé de Benvenuto Cellini lui fournissait une matière disponible; on ne sait si Artôt aurait été consulté sur l’écriture de la partie de violon (Berlioz connaissait bien la technique du violon, comme celle de bien d’autres instruments). Il est peu probable que l’ouvrage ait été composé en 1839, année consacrée en grande partie à la composition puis à l’exécution de la symphonie Roméo et Juliette; il est plus probable que la Rêverie a été composée en 1840 ou au tout début de 1841, à temps pour sa publication en mars. Berlioz envisageait vraisemblablement une première exécution de l’ouvrage par Artôt son dédicataire. Artôt avait déjà joué dans un concert dirigé par Berlioz (6 février 1840; CG II p. 630 n. 1), mais en l’occurrence il n’eut jamais l’occasion de jouer la Romance. La première exécution fut donnée le 1er février 1842 par le violoniste Alard, dont Berlioz pensait beaucoup de bien, ce qui laisse supposer qu’à ce moment Artôt n’était pas disponible. Le nom d’Artôt ne figure dans aucun des feuilletons de 1842; il était sans doute alors en tournée à l’étranger; l’année suivante, 1843, il était certainement en Amérique, d’où il ne revint qu’en 1844 (Débats 25 août 1844), mais sa santé s’aggravait déjà et il mourut l’année suivante.
L’ouvrage ne reçut qu’assez peu d’exécutions du vivant de Berlioz; morceau assez court, il ne pouvait prétendre compter parmi les œuvres plus importantes du compositeur, et dans bien des cas le succès d’une exécution dépendait du talent et de l’éminence du soliste (de fait plusieurs des meilleurs violonistes de l’époque l’ont joué sous la direction de Berlioz). Pratiquement toutes les exécutions ont été dirigées par Berlioz lui-même: la coordination entre le soliste et l’orchestre supposait la présence d’un chef connaissant à fond la partition. Alard joua la Romance à Paris sous la direction de Berlioz le 1er et 15 février 1842, puis de nouveau le 19 novembre 1843. Berlioz fit entendre l’ouvrage plusieurs fois dans ses tournées à l’étranger, pour la première fois à Bruxelles (26 septembre 1842, avec son ami le virtuose Ernst comme soliste), puis à diverses reprises dans ses concerts en Allemagne en 1843: Leipzig (4 février, avec Ferdinand David),; Dresde (17 février, avec Karol Lipinski); Brunswick (9 mars, avec Karl Muller, premier violon et un des membres de la célèbre famille de musiciens Müller); Hambourg (22 mars, avec Lindenau). En 1846 il l’exécute deux fois à Prague (31 mars et 7 avril, avec Mildner). En 1854 elle est jouée à Hanovre par nul autre que le célèbre Joseph Joachim; et la même année on l’entend à nouveau à Paris (10 décembre, avec Maurin). Elle est exécutée par Berlioz pour la dernière fois, au cours de son dernier voyage en Russie, à St Pétersbourg (14 décembre 1867, avec Wieniawski, qui avait demandé lui-même de l’exécuter).
Rêverie
et caprice (durée 7'25")
— Partition en grand format
(fichier créé le 18.07.2000; révision le
11.12.2001)
— Partition en format pdf
© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.
Cette page revue et augmentée le 1er février 2022.