Le Requiem de Berlioz à St-Pétersbourg
(Extrait du Journal des Débats, 19 juillet 1841, p. 4)
— Un correspondant de la Gazette Musicale lui envoie de Saint-Pétersbourg, au sujet du Requiem de M. Berlioz exécuté dans cette ville, un article dont nous extrayons les passages suivans :
« Nous devons à Henri Romberg, premier violon de l’orchestre du théâtre allemand et l’un de nos meilleurs musiciens, d’avoir entendu le Requiem de M. Berlioz. Romberg n’a reculé devant aucune des difficultés d’une pareille entreprise. Après deux mois d’études, le Requiem, quoiqu’on n’ait eu le temps d’en faire que deux répétitions générales, a été rendu sous sa direction avec assez de précision et d’ensemble par les choristes des deux grands théâtres, les chanteurs de la garde impériale et par l’élite de nos orchestres, pour que tout le monde ait pu apprécier les beautés de cette grande composition.
» Le Requiem de M. Berlioz est une œuvre tout-à-fait à part et qui n’a point de précédent dans l’art.
» Rien de plus imposant que l’entrée de ces quatre orchestres d’instrumens de cuivre au Tuba mirum. Là, comme dans la prose, tout est beau, tout est grand ; on se sent palpiter dans sa chair ; là M. Berlioz s’est élevé à une hauteur où personne n’était parvenu avant lui. Néanmoins il se surpasse lui-même dans le Lacrymosa. Les quatre orchestres d’instrumens de cuivre reparaissent avec un éclat plus grand encore que dans le Dies iræ. Ici les timballes et la grosse caisse jouent un rôle très important, et l’on ne saurait, à moins de l’avoir entendu, se faire une idée de l’effet terrible qu’elles produisent dans ce vaste ensemble. Aucun morceau de musique n’a jamais produit sur moi de plus vive impression que ce Lacrymosa. C’est un chef-d’œuvre qui suffirait seul à mériter à M. Berlioz le titre de créateur, sinon d’une école, du moins d’une manière nouvelle. Le Sanctus avec son solo de ténor et son accompagnement de quatre violons solos en sourdine sur un tremolo d’altos, est, après le Dies iræ et le Lacrymosa, le plus beau de la partition. Les auditeurs ont à plusieurs reprises, et surtout après les morceaux que j’ai cités, manifesté leur enthousiasme par les plus vifs applaudissemens.
» On ne peut encore prévoir quel sera le résultat de ces innovations que ce compositeur a introduites dans l’art. En tout cas, gare aux imitateurs. »
© Michel Austin et Monir Tayeb.
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