MESSE DE REQUIEM Le Charivari, Sixième Année, N. 339.
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Cette page donne une reproduction d’un compte-rendu de la première exécution de la Grande Messe de morts (Requiem) dans l’église des Invalides le 5 décembre 1837. Le compte-rendu est reproduit d’après notre propre exemplaire du numéro du 6 décembre 1837 du Charivari. Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la ponctuation du texte original (sauf correction d’erreurs évidentes).
PAR HECTOR BERLIOZ
Exécutée dans l’église des Invalides, pour les funérailles du général Danrémont.
Assez d’autres détailleront la partie pittoresque de la cérémonie qui réunissait hier le monde officiel sous les voûtes de l’église des Invalides ; assez d’autres supputeront combien d’aunes de serge noire et de fracs brodés d’or et d’argent drapaient les murs du sanctuaire et les travées de la nef ; nous nous bornerons à dire que l’aspect général de cette fête funèbre était assez bien ménagé et disposé, quoique nous ayons eu beaucoup mieux dans ce genre. Les fenêtres était masquées par des draperies ; et des lampes sépulcrales laissaient l’église dans une demi-obscurité qui préparait l’âme aux impressions que devait faire naître l’exécution du Requiem de M. Berlioz.
Cette messe des morts avait été composée, comme nous l’avons dit, pour l’anniversaire du 29 Juillet. Une décision du conseil des ministres étant survenue dans l’intervalle pour décider que les morts des Trois-Journées se passeraient de musique, l’artiste fut menacé de garder son travail en portefeuille, où il serait encore si un boulet de canon n’avait emporté le général Danrémont devant les murs de Constantine. M. de Montalivet qui, de son côté, voyait poindre sur l’horizon une assignation en justice pour se voir condamner à payer la messe qui’il avait commandée à M. Berlioz, prit la balle au bond, et se résolut à ordonner une cérémonie d’apparât. C’est à ce concours de circonstances plus qu’à son glorieux trépas que le général Danrémont doit son Requiem solennel dans l’église des Invalides.
Nous avons plus d’une fois eu l’occasion de reprocher à M. Berlioz les défauts qui entachent ses premières productions, et entre autres son amour pour les détonnations de grosse caisse, d’ophicléïdes et de cymbales. Cette bizarrerie de formes recouvrait pourtant d’éminentes qualités, et tout l’avenir de l’auteur de la symphonie fantastique dépendait d’un peu de réflexion et de goût. Il faut le dire, M. Berlioz a bien réfléchi depuis ses séances musicales du Conservatoire; son idée grande et puissante s’est dégagée des langes qui la pressaient; tout son bouillonnement harmonique s’est calmé, et il en est resté quelque chose de fort et de logique où l’inspiration domine sans se laisser aller au vague et au décousu de la manière.
Cette fois encore on avait lieu de craindre pour la messe de Requiem; car on savait que les cuivres avaient une part énorme dans l’exécution, et que huit paires de timbales établissaient leur artillerie au beau milieu de l’orchestre, dirigé par M. Habeneck. Il n’en a pourtant pas été ainsi. L’Introït en sol mineur s’est déployé largement, accompagné avec une simplicité qui rappelle les compositions des anciens maîtres. Les cuivres et les timbales tant redoutées étaient réservées presque uniquement pour le Dies iræ; mais cette fois M. Berlioz les a employées avec tant d’énergie et d’effet, non pour produire un vain bruit, mais pour répandre une sublime terreur dans tout son auditoire, que nous devons consciencieusement lui rendre une entière justice. Ce morceau est le plus beau qu’ait écrit M. Berlioz et nous cherchons vainement quelque chose de supérieur dans les chefs-d’œuvres des maîtres.
Le Dies iræ débute par une espèce de plain chant en ut mineur. Les basses commencent ; les sopranos entrent ensuite ; puis les ténors se mêlent au chant et les trois motifs se réunissent pour former une harmonie magnifique. Le Tuba mirum est le signal de l’entrée des cuivres qui sont divisés dans les diverses parties de la nef, et dont les attaques successives jettent toutes les âmes dans une effrayante rêverie; c’est une véritable représentation harmonique du jugement dernier. Les timbales grondent et remplissent de leurs roulemens formidables les échos des voûtes qui semblent trembler sous le tonnerre du ciel.
Tuba mirum spargens sonum.
Per sepulchra regionum.
Coget omnes ante thronum.
Nous le répétons, ce morceau est un chef-d’œuvre digne d’être comparé aux plus célèbres inspirations de la musique sacrée.
Un morceau plein d’une mélancolie angélique suit le Dies iræ; c’est le Quid sum miser tunc dicturus; un accompagnement de cors anglais lui donne une couleur très originale. M. Berlioz a imité avec bonheur le style de Palestrina, dans le morceau à voix seules : Quærens me sedisti lassus.
Nous avons remarqué plusieurs passages dignes d’éloges dans le fragment Lacrymosa dies illa, que sa complication empêche de bien comprendre à une première audition.
La voix de Duprez a fait valoir une phrase ravissante du Sanctus, où les instrumens imitent l’orgue de Barbarie de façon à s’y méprendre. L’Agnus Dei qui suit ce morceau, a produit également un grand effet. La phrase du Requiem æternam dona eis domine, qui sert de clôture à la messe, nous a surpris par sa sévérité toute religieuse et par la simplicité de son style.
M. Berlioz vient de faire un grand pas par
cette composition que beaucoup de gens n’attendaient certainement pas de lui.
Il a prouvé ce que peut la volonté quand elle est soutenue par un talent
véritable. Il n’a qu’à continuer dans cette voie, car l’église, dans
cette circonstance, ne peut manquer de lui ouvrir l’Opéra et de le mettre sur
la route de l’Institut.
Voyez aussi sur ce site:
Saint-Louis des
Invalides
“La
Tabatière d’Habeneck” :
Le témoignage de Julien Tiersot
le Ménestrel, 1904; présentation et commentaire par Pierre-René Serna
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