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Berlioz ne vint qu’une seule fois à Riga, sur la chemin du retour de son premier voyage en Russie en mai 1847 (Riga à l’époque faisait partie de la Russie). Son séjour dans le port baltique est connu essentiellement par un passage des Mémoires et une lettre au Comte Michel Wielhorsky écrite peu après son passage; les deux récits sont cités ci-dessous. La version des Mémoires semble donner l’impression que le concert donné par Berlioz à Riga le 29 mai (sans doute au théâtre) avait été improvisé sur place. La correspondance du compositeur suggère par contre que le plan avait été conçu dès avant le départ de Berlioz de St Pétersbourg le 22 mai, et que le général Lvov, lui-même musicien éclairé et compositeur, avait fourni à Berlioz d’avance des recommendations dont il put tirer parti sur place (cf. Correspondance génerale nos. 1110bis, 1112; ci-après abrégé CG). Voici d’abord le récit des Mémoires (tiré du chapitre intitulé Suite du voyage en Russie):
[...] En passant à Riga, j’eus l’idée singulière d’y donner un concert. La recette en couvrit à peine les frais; mais il me procura la connaissance de plusieurs artistes et amateurs distingués; celle, entre autres du maître de chapelle Schrameck, de M. Martinson et du directeur de la poste. Ce dernier s’était montré très peu partisan de mon projet de concert: « Notre petite ville ne ressemble guère à Saint-Pétersbourg, me dit-il: nous sommes des commerçants; tout le monde y est occupé en ce moment de la vente du blé; vous n’aurez pour auditoire qu’une centaine de dames tout au plus, et pas un homme. » Il se trompait: j’eus cent trente-deux dames et sept hommes. Je crois même qu’en somme, il me resta trois roubles d’argent (12 francs) de bénéfice. Ce même directeur de la poste me prétendait dépourvu du physique de mon emploi: « Vous ne paraissez pas méchant, monsieur, disait-il, et d’après vos feuilletons, que je lis assidûment, je m’attendais à vous trouver une toute autre physionomie; car, le diable m’emporte! vous n’écrivez pas avec une plume, mais avec un poignard. » En tout cas, la pointe de mon poignard n’est pas empoisonnée et les Precious villain dont on m’attribue si volontiers l’égorgement, se portent à merveille. J’eus en outre, à Riga, une bonne fortune, à laquelle j’étais loin de m’attendre; l’excellent acteur allemand Baumeister y était en représentations, et je lui vis jouer… Hamlet! [...]
La lettre au Comte Wielhorsky, datée de Tilsitt le 1er juin, donne une version semblable et ajoute quelques détails (CG no. 1113):
Puisque vous prenez intérêt à mon concert de Riga, et que vous êtes désireux de savoir comment il s’est passé, en voici l’historique en peu de mots. Schrameck, le maître de chapelle, en réunissant les artistes et les amateurs de la ville à quelques musiciens venus de Mittau m’a organisé un petit orchestre d’une cinquantaine d’hommes qui n’a point mal marché, et qui a même exécuté avec une furie assez remarquable le final d’Harold (l’orgie de Brigands), l’un des morceaux les plus difficiles qui existent et que j’ai le regret de ne vous avoir pas fait entendre à Pétersbourg. Il n’y avait pas de harpe, comme bien vous pensez, Schrameck l’a simulée sur le piano. Nous avons donc monté Harold en entier (avec une excellent alto solo), l’ouverture du Carnaval, Deux Lieder avec orchestre, assez bien chantés par une demoiselle Bamberg du théâtre, le Concert des Sylphes (sans chœurs!!!!) et la Marche Hongroise. L’auditoire a été aussi chaud que clairsemé. Il y a en ce moment onze cents navires dans la rivière de Riga, et tout le monde travaille à vendre ou à acheter du blé de 8h. du matin jusqu’à onze heures du soir; de sorte qu’il n’y avait dans la salle que des Dames, sauf un très petit nombre d’hommes. Quoi qu’il en soit je ne regrette ni la fatigue que m’a causée le concert ni le temps qu’il m’a fait perdre, à cause des démonstrations chaleureuses de cet orchestre que ne je connaissais pas et que je dois croire maintenant fort de mes amis. D’ailleurs, vous ne savez pas la bonne fortune qui m’attendait à Riga. Figurez-vous que j’y ai vu jouer Hamlet, le véritable Hamlet de Shakespeare, et très bien ma foi, par un acteur nommé Baumeister que je n’avais jamais entendu nommer. J’ai été, comme toujours, révolutionné par cette merveille du plus grand des génies humains; les Anglais ont bien raison de dire qu’après Dieu c’est Shakespeare qui a le plus créé… Il ne devrait pas être permis de représenter ses chefs-d’œuvre devant le public ainsi composé au hasard, d’oisifs, de niais, de demi-niais, de demi-lettrés, de grammairiens, de maîtres d’école, de soldats, de bonnes d’enfants, d’élégantes, d’intrigantes, de Lionnes édentées, de nourrices, de Dandies, de marchands de blé, de maquignons et de commis voyageurs. [...]
La représentation d’Hamlet devait être en allemand, langue que Berlioz n’entendait pas – mais comme avec ses premières rencontres avec Shakespeare au théâtre de l’Odéon à Paris en 1827, la sensibilité de Berlioz passait outre aux barrières linguistiques.
Une autre représentation à laquelle Berlioz a assisté au cours de son séjour à Riga n’est mentionnée ni dans le récit des Mémoires, ni dans la version antérieure de son voyage en Russie publiée en 1855-56 dans le Magasin des Demoiselles, ni dans ce qui a survécu de la correspondance du compositeur. Dans un de ses feuilletons du Journal des Débats (7 janvier 1853) on lit le récit suivant:
J’ai vu dans une ville bien peu illustre, bien froide, bien lointaine, bien mal pavée, j’ai vu à Riga une représentation exquise du Mariage de Figaro. Le théâtre de Riga est grand comme la salle Chantereine ; la rampe était éclairée avec des chandelles, de vraies chandelles, ou tout au moins avec des bougies ; il y avait à l’orchestre trente-six musiciens dirigés par M. Schrameck ; et jamais le chef-d’œuvre de Mozart ne m’a fait un pareil plaisir.
Oh ! comme je bénissais ces honnêtes chanteurs, ces aimables jeunes cantatrices allemandes qui chantaient tout bonnement la mélodie de Mozart, qui exprimaient tout simplement le sentiment de Mozart, qui ne cherchaient à rendre que l’idée de Mozart, mais qui chantaient, sentaient et comprenaient si juste ! et ce petit orchestre qui jouait si juste ! et son chef qui conduisait si juste ! Oh ! la justesse ! la justesse !… Je ne parle pas de la justice, on la dit aveugle, je la crois sourde aussi.
De Riga Berlioz se rendit à Berlin pour y donner une intégrale de la Damnation de Faust.
Nous remercions vivement Silvija and Peters Vecrumba de nous avoir donné la permission de reproduire cette gravure de leur site: http://www.latvians.com. Il nous ont généreusement fourni une grande copie de la gravure à haute résolution.
Le Théâtre Allemand, qui est de nos jours l’Opéra National, date de 1782 quand il ouvrit ses portes. Wagner en fut le directeur musical de 1837 à 1839. Un nouveau théâtre, conçu par l’architecte Ludwig Bonstedt (1822-1885), et construit sur le site de l’ancien théâtre allemand pour servir de Théâtre National, ouvrit ses portes en 1863. Après un incendie en 1882, le théâtre fut reconstruit dans son état actuel. Le théâtre devint l’Opéra National en 1919, et le Théâtre National fut déplacé ailleurs.
Ces deux cartes postales anciennes viennent de notre collection.
Page Berlioz à Riga créée le 1er avril 2005 et augmentée le 15 octobre 2010.
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