Présentation
Béatrice et Bénédict
Benvenuto Cellini
Les Troyens
La Damnation de Faust
Conclusion
Chronologie
Annonces et comptes-rendus
Illustrations
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Nos théâtres lyriques aussi doivent savoir quelle part leur
est assignée dans la réhabilitation posthume de l’illustre compositeur (Ernest
Reyer en 1869)
Il est extrêmement regrettable que nos théâtres lyriques ne nous donnent
jamais aucun opéra de cet artiste d’une si remarquable individualité (Oscar
Comettant en 1886)
Une série de pages sur ce site retrace le destin de la musique de Berlioz à Paris, de l’époque de sa mort en 1869 jusqu’au début de la première guerre mondiale en 1914: les pages sur le renouveau des années 1870 jusqu’au début des années 1880, sur les chefs d’orchestre Jules Pasdeloup, Édouard Colonne et Charles Lamoureux et les sociétés de concerts fondées par eux, et sur la Société des Concerts du Conservatoire. À l’issue de ce survol deux constatations ressortent. D’une part c’est au concert et non sur la scène que la musique de Berlioz s’impose, et ce grâce à l’initiative des chefs de ces sociétés de concert. D’autre part il y a ici un contraste frappant entre la France et l’Allemagne, où la musique de Berlioz est exécutée avec succès non seulement au concert mais aussi à l’opéra, et c’est à un chef allemand, Felix Mottl, qui revient le mérite d’avoir été le premier à faire entendre sur la scène tous les trois opéras de Berlioz. Cette page passe en revue l’histoire de l’exécution des opéras de Berlioz sur la scène en France à cette époque et en tire quelques conclusions d’ensemble. On examinera d’abord séparément le destin de chacune des œuvres dramatiques de Berlioz.
Béatrice et Bénédict n’a jamais été représenté en France du vivant de Berlioz: c’est à Bade qu’il reçoit ses premières exécutions (9 et 11 août 1862), où il est représenté de nouveau l’année suivante (14 et 18 août 1863). Il est exécuté aussi plusieurs fois à Weimar en 1863 (8 et 10 avril, 29 mai, 13 novembre), et à Stuttgart en novembre 1864 (CG no. 2922). Par contre à Paris tout ce qu’on entend de l’ouvrage du vivant du compositeur est le duo des femmes de la fin du premier acte; à part quelques auditions privées (CG nos. 2605-6 et 2385) ce morceau est joué plusieurs fois avec succès au Conservatoire (22 mars, 5 et 8 avril 1863; 22 mars 1865; voir CG nos. 2701 et 2706 sur la première exécution au Conservatoire). Rien ne change pendant les années qui suivent la mort du compositeur: à Paris seul le duo est entendu plusieurs fois dans les années 1870 et 1880 aux Concerts Colonne et aux Concerts Lamoureux, et le reste de l’ouvrage, y compris l’ouverture, est pratiquement inconnu du public. En Allemagne, par contre, l’opéra est joué de nouveau à Weimar en 1876, puis mis en scène à Carlsruhe en 1887; à cette occasion Felix Mottl compose des récitatifs pour remplacer le dialogue de la version originale, comme Hans von Bülow avait voulu faire à Hanovre en 1879. Par la suite l’opéra est entendu assez souvent en Allemagne dans d’autres cités que Carlsruhe, entre autres Vienne, Munich, Riga, Leipzig, Francfort et Hambourg (voir aussi Le Ménestrel 28/10/1900; 20/9/1913).
Le dédain qui entoure en France le dernier opéra de Berlioz est une des considérations qui pousse — tardivement — à la fondation en avril 1890, à Paris, d’une nouvelle association, la Société des grandes auditions musicales de la France: dirigée par un groupe de mécènes de l’aristocratie et de sommités du monde artistique, elle bénéficie de l’appui d’un comité consultatif qui comprend plusieurs compositeurs et musiciens français parmi les plus en vue. Les buts de la société font l’objet d’une campagne dans la presse parisienne: il s’agit de faire exécuter à Paris des ouvrages dramatiques de compositeurs français qui ont été négligés dans leur pays et ont dû par conséquent chercher à se faire représenter sur des scènes étrangères. Le manifeste de la société nomme à titre d’exemple plusieurs compositeurs français modernes et cite en particulier le cas de Berlioz; la première représentation à être montée sous l’égide de la société sera Béatrice et Bénédict au théâtre de l’Odéon, par l’orchestre Lamoureux sous la direction de son chef. La première exécution a lieu le 3 juin 1890. Deux comptes-rendus de cette exécution sont reproduits sur ce site, par Amédée Boutarel dans Le Ménestrel et Ernest Reyer dans le Journal des Débats. Tous deux connaissent et admirent la musique de Berlioz, et Reyer a été très proche de Berlioz à la fin de sa vie. Ils saluent l’exécution et louent la partition dans son ensemble, tout en trouvant l’ouvrage plutôt démodé. Boutarel regrette que la Société des grandes auditions ait débuté avec Béatrice et Bénédict plutôt qu’un autre opéra, et donné ainsi une idée incomplète de Berlioz compositeur d’opéras. Selon lui, Berlioz est après Wagner ‘le plus hardi, le plus indépendant, le plus vigoureux, le plus novateur, le plus essentiellement poète de tous les musiciens dramatiques de son temps’. Boutarel reproche également aux dialogues parlés leur ‘manque de finesse et d’esprit’: Berlioz aurait ‘mal copié Shakespeare’. Les deux critiques n’étaient pas conscients du fait que le dialogue utilisé en 1890 n’était pas le texte original de Berlioz, introuvable à l’époque de la représentation, mais avait été composé spécialement pour l’occasion (par Charles Bannelier, rédacteur de la Revue et Gazette musicale). Ce n’est que plusieurs années plus tard que Julien Tiersot relèvera ce détail important (Berlioziana, 27/10/1906, p. 336): la version originale de l’opéra de Berlioz restait donc inconnue en France… En l’occurrence, la version de 1890 n’aura que 5 ou 6 représentations en tout et ne pourra s’imposer: l’ouvrage disparaît du répertoire. Par la suite les représentations de 1890 sont jugées un échec qui n’a pas aidé la cause de Berlioz (H. Moreno, Le Ménestrel 4/1/1891). Deux ans plus tard un critique peut affirmer que ‘l’œuvre dramatique de Berlioz est inconnue en France’ (S. Gigon, Le Ménestrel 19/11/1893). Quant à la musique de l’opéra, pas de changement: une exécution unique de l’ouverture aux Concerts Lamoureux en 1909 passe pratiquement inaperçue. Seul le duo continue à figurer régulièrement au répertoire (une trentaine d’exécutions en tout par les diverses sociétés symphoniques entre 1876 et 1907). On remarquera la condamnation de Béatrice et Bénédict en 1897 de la plume d’un critique pourtant averti: ce ‘petit opéra … est des plus médiocres’ (H. Barbedette, Le Ménestrel 24/1/1897). En 1913 un autre critique, plus bienveillant, constate l’échec à long terme des représentations de 1890: Béatrice et Bénédict ‘fait partie des œuvres qu’un wagnérisme idolâtre et brutal a tuées sans rémission’ (Le Ménestrel, 20/9/1913).
Benvenuto Cellini, le premier opéra de Berlioz à être représenté à Paris de son vivant, sera aussi le dernier à reparaître sur une scène parisienne après la mort du compositeur. L’échec de Benvenuto Cellini à sa première représentation en 1838 aura une influence profonde sur la carrière de Berlioz: les portes de l’Opéra lui sont désormais closes, ce qui limite le genre de musique qu’il peut écrire et espérer faire exécuter. Berlioz semble avoir abandonné l’espoir de voir Benvenuto Cellini repris sur la scène à Paris ou ailleurs et ne publie pas de partition de l’ouvrage dans son ensemble. Sans l’initiative de Liszt qui, avec la collaboration du compositeur, monte l’opéra dans une version condensée et remaniée à Weimar en 1852 et de nouveau en 1856, Berlioz n’aurait sans doute jamais repris l’ouvrage qui serait resté dans son état primitif de 1838. L’échec de 1838 est vivement ressenti aussi par les amis du compositeur, tel Théophile Gautier qui réagit à l’événement avec un compte-rendu qui souligne la nouveauté de l’œuvre; plus de trente ans plus tard, dans une notice nécrologique sur le compositeur, Gautier exprime l’espoir qu’on monte de nouveau ‘cette œuvre hardie, originale, pleine d’innovations, qu’on accepterait aisément aujourd’hui et qui aurait peut-être la chance d’un succès posthume’. À la même époque un autre critique (Timothée Trimm) se déclare confiant qu’un directeur d’opéra fera représenter Benvenuto Cellini à nouveau.
La réalisation de cette idée se fera attendre bien longtemps, et c’est en Allemagne et non en France que le premier pas est fait. En 1879 Hans von Bülow, qui avait joué un rôle très important dans la reprise de Weimar en 1852, monte l’ouvrage avec succès à Hanovre, et la presse parisienne souligne la portée de l’événement (voir Le Ménestrel 22/9/1878 et 19/1/1879). L’exemple est suivi ailleurs, à Londres en 1882 (par la troupe de Carl Rosa), et à Leipzig en 1883 sous la direction du jeune Arthur Nikisch. La pianiste Marie Jaëll, amie et admiratrice de Berlioz, assiste à l’une des exécutions de Leipzig et fait part de son enthousiasme pour l’ouvrage; la presse laisse aussi entendre que l’éditeur Choudens envisagerait de monter l’opéra à Paris, mais le projet n’a pas de suite. L’année suivante on attribue la même intention à une autre impresario, mais de nouveau sans résultat. En 1886 les perspectives semblent plus encourageantes: il est question de lancer l’Eden Théâtre comme théâtre lyrique l’année suivante (1887), avec pour commencer le Lohengrin de Wagner dirigé par Charles Lamoureux et suivi par d’autres ouvrages, entre autres Benvenuto Cellini, mais des doutes s’élèvent: Lamoureux s’intéresserait plus à Wagner qu’à Berlioz… Bien plus sérieuse paraît l’initiative de Carvalho, directeur de l’Opéra-Comique, qui plus de vingt ans avant a monté pour la première fois les Troyens à Carthage au Théâtre-Lyrique. Incité peut-être par Ernest Reyer, et vivement encouragé par Marie Jaëll, Carvalho décide de monter Benvenuto Cellini et l’opéra est mis à l’étude; mais bientôt les retards s’accumulent, et la première exécution, qui devait coincider avec l’inauguration de la statue de Berlioz au Square Vintimille le 17 octobre 1886, est remise. Au début de 1887 le projet est définitivement abandonné, à la grande colère d’Ernest Reyer. Dans l’entre-temps les effets à long terme de l’initiative de Bülow se font sentir ailleurs: en Allemagne un série de théâtres lyriques adoptent l’ouvrage qui amorce ainsi sa carrière victorieuse outre-Rhin. En 1889 le bruit court que l’opéra de Rouen inscrirait Benvenuto Cellini parmi ses projets d’avenir, mais une fois de plus le projet n’aura pas de suite. Quatre ans plus tard un critique (S. Gigon) fera ce constat désabusé: en France Benvenuto Cellini a été oublié depuis 1838. Une visite très remarquée du chef allemand Felix Mottl aux Concerts Colonne le 18 mars 1894 suscite de nouveaux espoirs: pendant des années déjà Mottl a travaillé avec succès pour faire représenter les opéras de Berlioz à Carlsruhe, et on forme maintenant le projet de monter deux représentations de Benvenuto Cellini à Paris en avril et mai 1895, ainsi que des deux parties des Troyens; les exécutions seraient toutes placées sous la direction de Mottl. Mais de nouveau le projet tourne court, et des années se passeront avant qu’il ne renaisse.
En attendant tout ce qu’on entend de l’opéra au concert à Paris sont les deux ouvertures, Benvenuto Cellini et le Carnaval romain, toutes deux très populaires avec le public et toutes les grandes sociétés symphoniques (tout comme pour le duo de Béatrice et Bénédict). De temps à autre certains critiques avisés s’interrogent là-dessus et regrettent l’absence de l’ouvrage de la scène (H. Barbedette, Le Ménestrel 11/3/1894 et 17/12/1899; O. Berggruen, Le Ménestrel 1/2/1903). Mais tout comme pour Béatrice et Bénédict aucune société de concert ne songe jamais à faire entendre la totalité de l’ouvrage au concert. Lors des célébrations du centenaire en 1903 Benvenuto Cellini brille par son absence des scènes lyriques françaises, alors qu’en même temps l’ouvrage continue à être populaire en Allemagne (à propos des célébrations en Allemagne Le Ménestrel fait état d’exécutions à Dresde, Munich, Metz, Brunswick, Fribourg et Strasbourg). Dans l’étude novatrice qu’il publie sur Benvenuto Cellini en 1905, la première à tenter de reconstituer l’opéra dans sa forme première, Julien Tiersot termine en constatant que c’est ‘la production la moins connue de Berlioz’ [sc. en France] et dresse une liste de pas moins de 18 villes en Allemagne où l’opéra a été représenté jusqu’alors.
Une nouvelle initiative prend finalement forme à Paris, et cette fois elle aboutit. Le premier pas est la création en 1908 de la Fondation Berlioz, inspirée par Henri Martin, le père de Jacques Barzun; organisation qui se propose de faire avancer la cause de Berlioz en France, elle fait preuve d’une certaine activité dans les années qui suivent. Le second est la fondation d’un théâtre lyrique, le Théâtre des Champs-Élysées, dirigé par Gabriel Astruc, impresario très actif à Paris au cours des dernières années. Par exemple il organise en mai 1905 une série de concerts Beethoven dirigée par Felix Weingartner (Le Ménestrel 8/4/1906, p. 108; 22/4, p. 122; 29/4 p. 129-30; 6/5, p. 13). Gabriel Astruc et la Fondation Berlioz conjuguent leurs efforts, et le nouvel opéra est inauguré le 3 avril 1913 avec la première représentation de Benvenuto Cellini à Paris depuis 1938, sous la direction de Felix Weingartner. L’ouvrage aura semble-t-il une demi-douzaine d’exécutions en avril et mai (mais Weingartner ne dirige que la répétition générale et la première représentation). Deux comptes-rendus de la première représentation sont reproduits sur ce site. L’un, de la plume d’Adolphe Jullien, partisan de Berlioz de longue date, est de loin le plus favorable: la France a enfin suivi l’exemple donné par l’Allemagne, et Jullien souhaite que les grandes qualités de l’ouvrage lui assureront un succès durable. L’autre est dû à Arthur Pougin. On remarquera une certaine tiédeur du ton, et si l’auteur déclare l’entreprise la bienvenue et loue l’exécution musicale, il laisse entendre qu’elle n’a d’intérêt qu’historique: selon lui l’œuvre ne serait pas destinée à se maintenir au répertoire… Prophétie peu flatteuse qui ne pourra être vérifiée dans l’immédiat: par manque de fonds le nouveau théâtre se voit obliger de fermer ses portes à l’automne (Le Ménestrel 8/11/1913, p. 359-60), et dès l’été de 1914 l’Europe s’engouffre dans la première guerre mondiale. Mais un siècle plus tard Benvenuto Cellini n’a visiblement pas encore réussi à se tailler une place durable dans le répertoire lyrique en France.
De tous les opéras de Berlioz les Troyens est le plus susceptible d’être connu du public parisien après la mort du compositeur — c’est vrai du moins d’une partie importante de l’opéra, grâce aux 21 exécutions des actes 3-5 (tronqués) de la version originale de l’œuvre données par Carvalho au Théâtre-Lyrique en novembre et décembre 1863 (à titre de comparaison, en 1838-9 Benvenuto Cellini n’est donné intégralement que 4 fois en tout, après quoi le premier acte est donné trois fois en 1839, mais flanqué d’un acte d’un autre opéra). Berlioz s’était vu forcé de diviser son opéra en deux parties, la Prise de Troie et les Troyens à Carthage, pour avoir la moindre chance d’entendre au moins une partie de son œuvre de son vivant (il n’entendra jamais les deux premiers actes). Une partie importante du public mélomane aura assisté à ces exécutions et en aura gardé le souvenir, et le Septuor du 4ème acte est exécuté plusieurs fois par Pasdeloup, notamment à un concert le 7 mars 1866: Berlioz est présent à cette occasion, un nombreux auditoire l’acclame, et la presse fait état de l’événement.
Rien d’étonnant donc que des extraits des Troyens commencent à figurer aux concerts plus tôt et plus souvent qu’avec les deux autres opéras. Le Septuor est exécuté au concert du 22 mars 1870 organisé à la mémoire du compositeur par Ernest Reyer un an après sa mort; commentaire d’Oscar Comettant à cette occasion: ‘Les Troyens sont encore trop dans la mémoire des dilettanti parisiens qui ont entendu cet opéra au théâtre Lyrique, pour que nous ayons besoin de faire ici l’analyse de l’admirable septuor qui s’y trouve et qui a été accueilli avec enthousiasme partout où il a été exécuté’. À l’un de ses concerts en 1874 (1er mars) Colonne donne ce qui semble être la première exécution de la Marche troyenne comme morceau de concert, et le redonne à un autre concert quelques années plus tard (9 mai 1877). Commentaire d’Ernest Reyer à cette occasion: ‘le concert s’est terminé par la marche si noble, si entraînante des Troyens à Carthage, qui nous a rappelé ces belles soirées du Théâtre-Lyrique’. Il évoque la présence assidue de Meyerbeer à ces représentations, ‘venu, disait-il, pour [son] plaisir et [son] instruction’, et termine son compte-rendu ainsi: ‘mais à d’autres [sc. que Meyerbeer], l’illustre auteur des Troyens a beaucoup appris’. L’année suivante (17 février 1878) Colonne inscrit la Chasse royale et orage au programme d’un de ses concerts, et à un autre il fait entendre le Septuor (6 juin). Pour célébrer le dixième anniversaire de la mort du compositeur Ernest Reyer organise un concert à l’Hippodrome (8 mars 1879); outre le Septuor bien connu le programme comprend la première exécution de l’imposant chœur ‘Dieux protecteurs’ du 1er acte de la Prise de Troie. Le concert est bien accueilli, et donne sans doute à Pasdeloup, maintenant en lutte ouverte avec Colonne, l’idée novatrice de donner au concert une audition intégrale de la Prise de Troie. Colonne se hâte de suivre son exemple, et l’œuvre est entendue pour la première fois à Paris au concert dans une série d’exécutions par les deux sociétés rivales en novembre et décembre 1879. Événement marquant dans la vie musicale de Paris, qui suscite une abondance inusitée de comptes-rendus dans Le Ménestrel; les critiques sont partagés dans leurs opinions, mais l’ouvrage dans son ensemble recueille leurs suffrages, et l’enthousiasme du public grandit à chaque exécution. Ernest Reyer s’aventure à exprimer l’espoir que Béatrice et Bénédict et Benvenuto Cellini seront eux aussi entendus un jour au concert (Journal des Débats 12/12/1879).
Espoir déçu, comme on l’a vu, et il faudra attendre des années avant qu’on n’entende les Troyens à Carthage (presque) intégralement aux Concerts Colonne (22 et 29 octobre 1905). Mais de 1881 à 1913 on continue à jouer des extraits des Troyens presque tous les ans, soit chez Colonne soit chez Lamoureux (ici encore le contraste avec Béatrice et Bénédict et Benvenuto Cellini est frappant). Parmi les morceaux pour orchestre la Marche troyenne, la Chasse royale et orage et les ballets du 4ème acte sont entendus assez souvent. Le premier air de Cassandre (Acte I) et le dernier de Dido (Acte V) ont la faveur des premières cantatrices de l’époque. Colonne exécute parfois le quatrième acte intégralement, pour la première fois à un Festival Berlioz en décembre 1881, puis trois fois en 1888 (19 et 26 février, 6 avril). Le Conservatoire, par contre, suivant son habitude reste très prudent: il ne joue la Marche troyenne qu’une seule fois (en 1889), et donne deux fois les 2ème et 3ème scènes du premier acte de la Prise de Troie (26 mars et 9 avril 1899); ces extraits sont bien reçus par le public, mais l’essai n’est pas répété.
À l’occasion du concert à l’Hippodrome en mars 1879 Ernest Reyer avait fait cette constation (Journal des Débats, 22/3/1879): ‘on ne songe pas plus à représenter la Prise de Troie que les Troyens à Carthage et Benvenuto Cellini. Le mouvement imprimé à l’œuvre de Berlioz par la direction de nos Sociétés symphoniques n’a pas été imité par les directeurs de nos théâtres lyriques, lesquels ont mieux à faire assurément’. L’avenir donnera raison à son pessimisme: il faudra attendre encore des années avant que l’une ou l’autre partie des Troyens ne soit représentée sur la scène en France. La première tentative viendra en fait non de Paris mais de Nice en février 1891. À l’époque le théâtre muncipal de Nice est sous la direction de l’entreprenant Raoul Gunsbourg (voir ci-dessous), qui monte une version tronquée de l’opéra comprenant la Prise de Troie et des extraits des Troyens à Carthage: l’entreprise est reçue avec dérision par Le Ménestrel (voir les numéros du 25/1/1891, où elle est qualifiée de ‘fantaisie de casino’, et du 5/4/1891), et quelques années plus tard Adolphe Jullien s’exprime dans les mêmes termes: les exécutions de Nice sont traitées de misérable travestissment et Gunsbourg n’est qu’un ‘barbare impresario’. On comparera les éloges dithyrambiques d’un compte-rendu dans L’Univers illustré (14/2/1891, avec la note) dont l’auteur, Fernand Bourgeat, brille surtout par son manque de sens critique. En tout état de cause l’opéra n’est semble-t-il pas repris à Nice par la suite.
C’est à ce moment que la Société des grandes auditions musicales de la France entre en lice et conjugue ses efforts avec ceux de Carvalho: le résultat est la première représentation sur la scène des Troyens à Carthage depuis presque trente ans (9 juin 1892), au même théâtre et sous le même directeur qu’en 1863 (voir les illustrations ci-dessous). La grande attraction de cette exécution est le début d’une cantatrice de 17 ans douée d’un talent et d’une voix exceptionnels, Marie Delna: elle fait grande impression, point de départ d’une brillante carrière à l’opéra et au concert (elle chantera par la suite plusieurs fois des airs des Troyens, aux Concerts Lamoureux le 21/1/1900, aux Concerts Colonne le 17/3/1907 et le 13/12/1908). Mais dans l’ensemble les représentations de 1892 ont les même défauts que celles de trente ans avant: le théâtre est trop petit pour l’œuvre, et de nouveau on fait des coupures, comme Julien Tiersot le souligne dans un long compte-rendu (Le Ménestrel 12/6/1892); voir aussi les comptes-rendus d’A. Boisard et de Fernand Bourgeat — ce dernier aussi peu critique que dans le cas de Nice. L’opéra ne se maintient pas longtemps au répertoire, comme le remarque un critique l’année d’après (S. Gigon, Le Ménestrel 19/11/1893): il avait été ‘défiguré par des mutilations honteuses et joué avec un sans-façon qu’on n’admettrait pas pour une œuvre d’Adolphe Adam’. L’année suivante on conçoit des espoirs de voir les deux parties des Troyens représentées sur la scène à Paris en avril et mai 1895, sous la baguette de Felix Mottl (Le Ménestrel 29/4, 26/8 et 9/9/1894), mais comme on l’a vu pour Benvenuto Cellini ces projets n’aboutiront pas. L’année d’après, en 1896, il est question de nommer Colonne à la tête d’un théâtre lyrique à Paris, avec la possibilité d’y monter l’intégrale des Troyens en deux soirées consécutives, mais le projet n’a pas de suite.
Quant à la Prise de Troie, elle devra attendre jusqu’à 1899, vingt ans après les exécutions au concert de Pasdeloup et Colonne, et trente ans après la mort du compositeur, avant d’accéder enfin à la scène de l’Opéra de Paris (la Société des grandes auditions ne participe pas à ce projet). À cette occasion, comme en 1892, le premier rôle échoit de nouveau à Marie Delna. Plusieurs comptes-rendus de cette exécution, ainsi qu’un nombre de photographies, sont reproduits sur ce site: outre un bref article signé A. de L., les contributions les plus importantes sont celles d’Arthur Pougin en 1899 et d’Adolphe Jullien dans deux journaux différents en 1899 et 1900. En l’occurrence l’opéra sera joué plusieurs fois ces deux années, mais ne se maintiendra pas au répertoire, et l’espoir exprimé par Jullien que l’Opéra monte aussi le reste de l’ouvrage ne sera pas réalisé. Les Troyens à Carthage reparaîtront une nouvelle fois sur la scène en France, non à l’Opéra mais dans une représentation en plein air au Théâtre d’Orange le 5 août 1905, sous la direction de Colonne et sous les auspices de la Société des grandes auditions (sa dernière initiative pour l’œuvre dramatique de Berlioz). D’après un compte-rendu signé V.T. — article d’ailleurs peu satisfaisant — l’exécution ne remporte qu’un succès mitigé; une fois de plus l’ouvrage est défiguré par des coupures, fléau qui ne cesse de le poursuivre depuis 1863, et les conditions de plein air ne lui sont pas favorables (voir aussi les remarques de Raymond Bouyer peu après). Et c’est tout pour le grand chef-d’œuvre dramatique de Berlioz en France jusqu’à la première guerre mondiale et au delà. Les Troyens ne prendront donc pas leur place légitime dans le répertoire lyrique en France, et aucun théâtre lyrique n’est prêt à entreprendre ce que Felix Mottl a réalisé plusieurs fois en Allemagne, et que le Théâtre de la Monnaie fait à Bruxelles en 1907, c’est-à-dire de considérer l’ouvrage comme un tout qui doit en principe être joué de suite le même jour. Sans cela, l’ouvrage tel que son auteur l’a conçu ne pourra être jugé à sa juste valeur.
En principe la Damnation de Faust ne devrait pas figurer en même compagnie que les trois opéras de Berlioz dont il a été question ci-dessus: l’ouvrage a été écrit, publié et exécuté par Berlioz uniquement comme une œuvre de concert. Le paradoxe est qu’en plus d’être devenue au concert l’œuvre la plus populaire de Berlioz en France après sa mort, c’est aussi la seule partition du compositeur à s’être imposée de manière durable sur la scène là où ses véritables opéras ont échoué.
Le succès remarquable de la Damnation de Faust au concert remonte à février 1877 et est associé particulièrement au nom d’Édouard Colonne; le succès de l’ouvrage en tant qu’‘opéra’ ne vient que plus tard, en 1893, mais l’idée de le transporter à la scène apparaît bien avant cela. On pourrait même avancer que c’est Berlioz lui-même qui a indirectement fait naître le projet. Pendant qu’il travaille à la composition de l’ouvrage au cours de son second voyage en Allemagne, il le décrit d’abord comme étant un ‘opéra de concert’, titre tant soit peu ambigu. Dans une lettre à Joseph d’Ortique du 13 mars 1846 (CG no. 1028) il évoque son ‘grand opéra de Faust, (opéra de concert en 4 actes) auquel je travaille avec fureur et qui sera bientôt achevé’. Peu après (24 et 25 mars) il écrit à sa sœur Nanci (CG no. 1029): ‘j’ai beaucoup travaillé à un opéra de concert en quatre actes dont j’ai dû faire presque la moitié des paroles (le livret n’étant pas fini quand j’ai quitté Paris) et qui se nomme la Damnation de Faust’. Dans un feuilleton du Journal des Débats du 6 septembre 1846 (repris dans CM VI p. 221) Berlioz fait allusion à la composition en cours de la Damnation qu’il nomme ‘espèce d’opéra’. Dans la partition autographe la page de titre est d’abord intitulée ‘Opéra de concert en quatre parties’, mais les mots ‘Opéra de concert’ sont ensuite biffés et remplacés par le simple mot ‘Légende’ (voir la reproduction dans NBE tome 8b p. 493). Dans la partition publiée les actes sont maintenant nommés ‘parties’ qui sont numérotées I-IV; chaque scène porte un titre et est accompagné d’indications quasi-scéniques. Ainsi pour la première partie: ‘Scène I. Plaines de Hongrie. Faust seul dans les champs au lever du soleil. Scène II. Ronde de paysans. Scène III. Un autre partie de la plaine. Une armée qui s’avance. Marche hongroise. Les troupes passent. Faust s’éloigne.’ Sauf pour l’échec de Benvenuto Cellini à l’Opéra en 1838 il est tout à fait possible que Berlioz aurait conçu l’œuvre sous forme d’opéra. Quand il se rend à Londres en 1847 pour assumer la direction de l’orchestre du théâtre de Drury Lane, il doit aux termes de son contrat avec Jullien fournir un opéra pour la saison à venir: sa première idée est de développer la Damnation pour la scène avec la collaboration du librettiste Eugène Scribe. On sait d’après plusieurs lettres à Scribe que l’ouvrage ainsi développé aurait eu pour titre non pas Faust mais Méphistophélès, et ce dernier aurait assumé un rôle plus important que dans la version originale. En fin de compte le projet n’aboutit pas et les Mémoires n’en disent mot. La Damnation est finalement publiée en 1854 comme œuvre de concert uniquement, et c’est sous cette forme que Berlioz l’a toujours exécuté, à l’Opéra-Comique à Paris (6/12 et 20/12/1846), à Berlin 19/6/1847), Dresde (22/4 et 25/4/1854), Weimar (1/3/1856) et Vienne (16/12/1866).
Il est frappant que l’idée de transposer la Damnation à la scène se présente presque dès le moment où l’ouvrage s’impose comme la partition la plus populaire de Berlioz à Paris. Auguste Morel, un des proches amis de Berlioz, décrit l’ouvrage dans un compte-rendu comme ‘cet opéra de concert, qui pourrait, sans trop de difficulté, devenir un opéra de théâtre’. Une semaine plus tard, après la première exécution intégrale par Colonne (18 février 1877) Morel constate le succès de l’œuvre, ‘succès qui assurerait plus de cent représentations, si la Damnation de Faust, au lieu d’être un opéra de concert, était un opéra pour le théâtre’. Il n’a évidemment aucune objection de principe à l’idée. Quelques années plus tard Hippolyte Barbedette pousse l’idée avec plus de force: ‘En écoutant cette partition si originale … nous nous demandions si elle ne serait pas puissamment aidée par le prestige de la mise en scène … ce serait une expérience à tenter’ (Le Ménestrel 24/12/1882). Un an plus tard il y revient: ‘… nous sommes persuadés que certaines œuvres, comme le Faust de Berlioz, le Désert de David, gagneraient énormément si on y joignait une sorte de mise en scène …’ (Le Ménestrel 30/12/1883). Quelques années plus tard il propose d’en faire autant pour l’Enfance du Christ (Le Ménestrel 11/12/1892), qui sera effectivement mis en scène à Bruxelles plus tard, en 1911 (Le Ménestrel 1/4/1911), mais semble-t-il pas encore en France.
D’autres par contre avaient des objections de principe à l’idée même de transposer à la scène l’œuvre de concert de Berlioz. Voir par exemple les opinions critiques émises brièvement par plusieurs auteurs dans le Ménestrel (27/1, 3/3 et 16/6/1895; 21/9/1902; 1/2/1903; 1/4/1911). Un autre à repousser l’idée — et c’est à son honneur — est Charles Malherbe (voir le programme de concert du 11/12/1898). Plus développée est l’argumentation d’Albert Bertelin dans son compte-rendu des exécutions de 1910 à l’Opéra de Paris. Mais les adversaires les plus résolus sont deux des défenseurs de Berlioz les plus en vue à l’époque: Ernest Reyer, dont le nom a été évoqué plusieurs fois dans cette page (voir son article de 1895), et Adolphe Jullien, qui s’oppose au projet avec tenacité pendant plus de trente ans et en 1902 s’en prend ouvertement aux héritiers de Berlioz (la famille Chapot) pour avoir autorisé l’adaptation de l’ouvrage de Berlioz pour la scène (voir ses articles dans le Journal des Débats en 1893, 1902, 1903, 1910). Plus tard, au début des années 1920 il en est réduit à déplorer que la Damnation soit en passe de devenir plus populaire à Paris dans sa version mise en scène qu’elle n’avait été pendant longtemps au concert (1921, 1923, 1924).
En 1884 il est question d’un projet de mettre en scène la Damnation de Faust à Paris (Le Ménestrel 6/1/1884), mais le projet n’a pas de suite. En l’occurrence ce n’est pas à Paris mais à Monte-Carlo que prend forme le premier projet qui va aboutir, et il est associé au nom de l’impresario Raoul Gunsbourg (1860-1955). Né en Roumanie et homme d’un grand talent — il est en grande partie autodidacte et n’a pas étudié au Conservatoire — sa carrière se développe en dehors des cercles musicaux traditionnels de Paris. Il bénéficie de l’appui d’influents protecteurs: d’abord le Tsar de Russie Alexandre III, plus tard le Prince Albert de Monaco, lui-même mélomane dévoué à la cause de Berlioz. Gunsbourg est brièvement directeur des opéras de Lille (1888-1889) puis de Nice (1889-1891) où il monte une version tronquée des Troyens malencontreusement baptisée La Prise de Troyes (Le Ménestrel 25/1/1891; 5/4/1891), mais c’est sa nomination en 1892 comme directeur de l’opéra de Monte-Carlo qui marque le tournant décisif dans sa carrière: il occupera ce poste pendant presque 60 ans jusqu’en 1951, durée sans exemple dans l’histoire des théâtres lyriques. Au début il jouit d’une réputation très partagée parmi certains critiques parisiens, par exemple Adolphe Jullien (voyez ses articles cités ci-dessus et ceux de 1899 et 1900), ou H. Moreno, collaborateur de longue date au Ménestrel d’avril 1868 jusqu’à la veille de la première guerre mondiale (cf. Le Ménestrel 5/4/1891): Gunsbourg fait sans doute figure d’un intrus qui fait preuve de trop d’indépendance. Mais à force d’initiative et d’imagination, et avec le soutien du Prince de Monaco (cf. Le Ménestrel 9/3/1902), il parvient à la longue à hisser le théâtre de Monaco au rang des premières scènes lyriques de l’époque.
Parmi les réalisations qui le portent à l’attention d’un public international on compte sa mise en scène de la Damnation de Faust à Monte-Carlo: la première représentation le 18 février 1893 fait sensation (Le Ménestrel 26/2/1893). Tout comme le succès de la version de concert de la Damnation se répand de la France à d’autres pays en Europe et outre-Atlantique, de même après le succès de Monte-Carlo les mises en scène de l’ouvrage deviennent rapidement populaires à l’étranger, en commençant par l’Italie et Londres en 1894 (voyez par exemple les annonces ou comptes-rendus d’exécutions à Milan, Moscou, et différentes villes d’Allemagne en 1903, à Bruxelles en 1906, et à Berlin en 1907). Paris ne suit le mouvement qu’avec retard: il est question d’une mise en scène en 1895 (Le Ménestrel 27/1 et 3/3/1895; Ernest Reyer, Journal des Débats 25/5/1895), mais après quelques mois le projet fait long feu (Le Ménestrel 16/6/1895). Ce n’est que dans l’année du centenaire en 1903 que le projet se concrétise à Paris, alors qu’ailleurs les mises en scène de la Damnation sont depuis quelque temps monnaie courante. Au début de l’année le bruit court que la version Gunsbourg va être montée au Théâtre Sarah-Bernhardt (Le Ménestrel 25/1, 1/2 et 8/2/1903), et pour finir la première représentation a lieu le 7 mai, dirigée comme il sied par Édouard Colonne. Deux comptes-rendus détaillés de cette représentation sont reproduits sur ce site, l’un de la plume d’Arthur Pougin, l’autre, beaucoup plus critique, par Adolphe Jullien. Grand succès de l’entreprise; elle reçoit publiquement le suffrage des héritiers de Berlioz, sans doute à la déception d’Ernest Reyer qui auparavant s’était vivement prononcé contre un tel projet, tout comme Adolphe Jullien depuis au moins 1893. Quelques années plus tard la mise en scène de Gunsbourg est reprise avec succès, mais cette fois à l’Opéra; la première représentation a lieu le 10 juin 1910 (voir les illustrations ci-dessous). Trois comptes-rendus de cette version sont reproduits sur ce site, l’un de nouveau d’Arthur Pougin; le second de la plume d’Albert Bertelin (avec illustrations): comme Reyer, mais à l’encontre de Pougin, Bertelin s’insurge contre le principe même d’une mise en scène de l’ouvrage; et le troisième par Adolphe Jullien, qui n’avait jamais admis qu’on exécute la Damnation ailleurs qu’au concert. Quoi qu’il en soit, la version Gunsbourg de la Damnation de Faust peut compter parmi les réalisations les plus fortunées dans l’histoire des théâtres lyriques: elle reçoit pas moins de 350 exécutions à Monte-Carlo entre 1893 et 1949. Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que Gunsbourg n’a pas tiré parti du succès de sa Damnation pour favoriser les vrais opéras de Berlioz: il ne les a jamais mis en scène (sauf pour les éphémères Troyens montés par lui à Nice en 1891): le respect des volontés du compositeur n’était pas son premier souci.
Plus de quarante ans après la mort de Berlioz l’appel lancé par Ernest Reyer en 1869 aux théâtres lyriques français n’a reçu qu’une réponse partielle. Si Oscar Comettant avait été en vie en 1914 il aurait sans doute conclu qu’en ce qui concerne les opéras de Berlioz en France la situation avait somme toute peu évolué depuis son constat pessimiste de 1886. Sauf pour le succès de la Damnation de Faust à la scène, les représentations des opéras restent rares et espacées dans le temps, et aucune des œuvres dramatiques de Berlioz n’a été joué telle que Berlioz l’avait écrite. Béatrice et Bénédict est donné sans la version originale des dialogues (1890), la Prise de Troie et les Troyens à Carthage continuent à être présentés comme deux opéras distincts et le deuxième n’est jamais donné sans coupures (1892, 1899, 1905), et Benvenuto Cellini n’est monté que très tard et seulement dans la version plus courte de Weimar (1913), et non dans la version originale plus développée qui n’est connue que de quelques musicologues comme Julien Tiersot. Les célébrations du centenaire en 1903 révèlent une fois de plus la distance entre l’Allemagne et la France: pas un des opéras de Berlioz n’est joué dans son pays cette année-là, alors qu’en Allemagne ils continuent à être représentés comme auparavant (on remarquera cependant que les opéras d’autres compositeurs français sont beaucoup plus populaires que ceux de Berlioz, comme le montre par exemple les chiffres pour l’année 1900).
On pourrait avancer deux raisons pour expliquer la différence. La première est une question d’institutions: comme Berlioz avait pu le constater au cours de son premier voyage en Allemagne de 1842-3, le morcellement politique de l’Allemagne à cette époque avait pour conséquence heureuse sa décentralisation sur le plan culturel. En Allemagne chaque ville de quelque importance a son théâtre et son opéra, et malgré la modestie de leurs moyens par rapport aux villes capitales comme Berlin, Vienne, Paris ou Londres, ces théâtres sont actifs et entreprenants. Benvenuto Cellini est repris à Weimar par Liszt en 1852 et à Hanovre par Hans von Bülow en 1879; Béatrice et Bénédict est représenté pour la première fois à Bade en 1862 et au cours des deux années suivantes à Weimar et à Stuttgart; la première exécution intégrale des Troyens est donnée en deux soirées par Felix Mottl à Carslruhe en 1890. Aucune de ces villes n’est une grande capitale. En France, par contre, l’activité culturelle se concentre beaucoup plus à Paris, et il faut l’esprit d’initiative d’un Raoul Gunsbourg à Monte-Carlo (et brièvement à Nice auparavant) pour innover en dehors des limites de la capitale. En Allemagne, de plus, la séparation entre la musique au concert et à l’opéra est moins nette qu’en France. Les premiers chefs d’orchestre de l’époque (Hans von Bülow, Hans Richter, Felix Mottl, Felix Weingartner, entre autres) déplacent leur action plus librement entre les salles de concert et les théâtres lyriques. Mais en France si Pasdeloup, Colonne et Lamoureux ont tous à un moment dirigé au théâtre, la majeure partie de leur activité se déroule dans le cadre des sociétés symphoniques fondées par eux à Paris.
La deuxième raison est d’ordre culturel: les mélomanes allemands, et les chefs d’orchestre qui les servent, ont une conception sans doute plus large et plus profonde du compositeur Berlioz. Les principaux partisans de Berlioz en Allemagne font entendre son répertoire symphonique mais aussi ses opéras (c’est vrai du moins, à différents degrés, de Hans von Bülow, Felix Mottl, Felix Weingartner, et Richard Strauss, alors que Gustav Mahler semble avoir peu fait pour les opéras de Berlioz). Par contre la conception de Berlioz qui a cours en France est plus réductrice (sur cette question voir en plus de détail P.-R. Serna dans L’Herne. Hector Berlioz [2003], p. 187-212). Pour la plupart des mélomanes français Berlioz est avant tout un compositeur d’œuvres symphoniques: il est ‘notre grand symphoniste français’, expression qui revient constamment dans la critique musicale de l’époque et remonte au vivant de Berlioz. Dans un article de 1845 on traite Berlioz de ‘fougueux symphoniste’, même si à cette époque il a aussi composé le Requiem et Benvenuto Cellini (Le Ménestrel 26/1/1845). En France l’étiquette s’attache à son nom pendant des décennies après sa mort, et nombreux sont les critiques qui s’en servent, parmi eux certains qui l’ont bien connu: entre autres Auguste Barbier en 1872 dans un article sur Benvenuto Cellini, Auguste Morel à plusieurs reprises dans ses articles de la fin des années 1870 (Le Ménestrel 4/3, 13/5 et 4/11/1877; 16/3/1879), Octave Fouque en 1880 dans son chapitre sur Berlioz en Russie, J. Jemain dans des comptes-rendus de 1910 et 1912, et d’autres encore (voir par exemple Le Ménestrel 19/3/1882; 14/1/1883). Berlioz l’avait prévu. Parlant en termes généraux, mais pensant sans doute aussi à son cas personnel, il critique l’habitude des Parisiens de coller des étiquettes sur les compositeurs (Journal des Débats 22/1/1858, repris dans les Grotesques de la musique):
Le préjugé veut encore à Paris qu’un musicien ne soit apte à faire que ce qu’il a déjà fait. Tel a débuté par un drame lyrique, qui sera inévitablement taxé d’outrecuidance s’il prétend écrire un opéra bouffon, seulement parce qu’il a montré des qualités éminentes dans le genre sérieux. […] Si un musicien a commencé par écrire une symphonie, et si cette symphonie a fait sensation, le voilà classé ou plutôt parqué : c’est un symphoniste, et il ne sera jamais autre chose. Il ne doit songer à produire que des symphonies, il doit s’abstenir du théâtre pour lequel il n’est point fait ; il ne doit pas savoir écrire pour les voix, etc., etc. Bien plus, tout ce qu’il fait ensuite est appelé par les gens à préjugés, symphonie ; les mots, pour parler de lui, sont détournés de leur acception. Ce qui, produit par tout autre, serait appelé de son vrai nom de cantate, est, sortant de sa plume, nommé symphonie ; un oratoire, symphonie ; un chœur sans accompagnement, symphonie ; une romance, symphonie. Tout est symphonie, venant d’un symphoniste.
Berlioz aurait sans doute été surpris de voir même son ami Ernest Reyer traiter la Damnation de Faust, l’œuvre la mieux connue de son auteur, de ‘symphonie’… Faut-il souligner qu’à deux exceptions près les œuvres de Berlioz de grande envergure font toutes appel aux voix — chœurs, solos, ou les deux ensemble: la Damnation de Faust, l’Enfance du Christ, le Requiem, le Te Deum, et les trois opéras Benvenuto Cellini, les Troyens et Béatrice et Bénédict ? Les exceptions sont les deux premières symphonies, la Symphonie fantastique et Harold en Italie (le Retour à la vie, qui fait suite à la Fantastique, est en grande partie une œuvre vocale). Les deux autres symphonies comportent des voix, particulièrement Roméo et Juliette dont le dernier mouvement pourrait fort bien être une scène d’opéra. On pourrait à bon droit avancer l’hypothèse que c’est précisément cette vision réductrice de Berlioz comme avant tout un ‘symphoniste’ qui aurait pu dissuader le public français de s’intéresser plus activement à son œuvre dramatique, qui par conséquent n’est joué que de temps en temps et souvent de manière peu satisfaisante. Wagner, par contre, est sans équivoque un compositeur d’opéras; on le joue donc souvent à Paris à cette époque, d’abord au concert puis de plus en plus sur la scène également.
Dans cet ordre d’idées le critique Hippolyte Barbedette mérite sans doute une mention spéciale (nombre de ses comptes-rendus sont reproduits sur ce site: voir notamment les pages sur le renouveau des années 1870, sur Colonne et sur Lamoureux). Barbedette avait des préjugés et n’était pas parmi les mieux disposés envers Berlioz, mais ses articles manifestent une indépendance d’esprit qui le distingue souvent de nombre de ses collègues. Il semble d’une part avoir évité l’étiquette de ‘symphoniste’ que tant d’autres associent sans réfléchir au nom de Berlioz. D’autre part il souligne constamment l’influence de Gluck sur Berlioz, y compris dans la Damnation de Faust (Le Ménestrel 17/2/1884; 4/1/1885; 4/3/1888; 13/1/1889; 14/4/1889; 23/2/1890; 26/4/1891; 17/4/1892; 4/12/1898; 2/12/1900). La plupart de ses comptes-rendus concernent des concerts symphoniques, mais il est grand amateur d’opéras et critique constamment les exécutions au concert d’œuvres dramatiques, surtout quand elles sont présentées de manière fragmentaire (ce n’est pas par hasard qu’il est de ceux qui préconisent la mise en scène de la Damnation de Faust et de l’Enfance du Christ). Il est aussi, avec Adolphe Jullien, parmi ceux qui insistent sur le fait que les Troyens avaient été conçus par Berlioz comme œuvre unique et non deux opéras distincts, et à déplorer l’absence de l’ouvrage de la scène à Paris (Le Ménestrel 21/11/1897). La réalisation de son vœu se fera longtemps attendre.
Novembre et décembre: exécutions au concert de la Prise de Troie par Pasdeloup et Colonne
Avril: fondation de la Société des grandes auditions musicales de France
3 juin: première exécution en France de Béatrice et Bénédict, au théâtre de l’Odéon, dirigé par Lamoureux, sous les auspices de la Société des grandes auditions musicales de France; comptes-rendus par Amédée Boutarel et Ernest Reyer
6 février: version tronquée de la Prise de Troie et des Troyens à Carthage au théâtre de Nice, alors sous la direction de Raoul Gunsbourg; compte-rendu par Fernand Bourgeat (avec la note)
9 juin: les Troyens à Carthage à l’Opéra-Comique, la première exécution à Paris depuis 1863, sous les auspices de la Société des grandes auditions musicales de France (avec des coupures); comptes-rendus par A. Boisard, Fernand Bourgeat et Julien Tiersot
18 février: première exécution au théâtre de Monte-Carlo de la Damnation de Faust dans la mise en scène de Raoul Gunsbourg
15 novembre: la Prise de Troie à l’Opéra, première mise en scène à Paris; comptes-rendus par A. de L., Adolphe Jullien (1899 et 1900) et Arthur Pougin
7 mai: première exécution à Paris, au théâtre Sarah-Bernhardt, de la Damnation de Faust dans la mise en scène de Raoul Gunsbourg; compte-rendu par Arthur Pougin
5 août: les Troyens à Carthage au Théâtre Antique d’Orange, sous les auspices de la Société des grandes auditions musicales de France (avec coupures); compte-rendu par V. T.
22 et 29 octobre: exécutions au concert par Colonne à Paris des Troyens à Carthage (avec coupures)
10 juin: première exécution de la Damnation de Faust à l’Opéra dans la mise en scène de Raoul Gunsbourg; comptes-rendus par A. Bertelin et Arthur Pougin
31 mars: répétition génerale de Benvenuto Cellini au nouveau Théâtre des Champs-Élysées, sous la direction de Felix Weingartner
3 avril: première exécution à Paris depuis 1838 de Benvenuto Cellini au nouveau Théâtre des Champs-Élysées, sous la direction de Felix Weingartner; compte-rendu par Arthur Pougin
Le Ménestrel 23/1/1876, p. 62: — Au théâtre de la cour de Weimar, on a donné le 5 janvier la première [?] représentation de Béatrice et Bénédict d’Hector Berlioz. Il est curieux de remarquer que cet ouvrage, composé pour le théâtre de Bade, n’a jamais été monté sur une scène française et doit demander l’hospitalité aux théâtres de l’Allemagne.
Le Ménestrel 22/9/1878, p. 348: — Au théâtre de Hanovre on va monter la Vie pour le czar, de Glinka. Toutefois au livret national russe on a substitué un livret national allemand, adapté à la musique par M. Richard Pohl. Après cette tentative d’acclimatation de la partition de Glinka, on montera le Benvenuto Cellini, de Berlioz, ouvragé qui n’est guère connu qu’à Weimar où Liszt le fit monter jadis.
Le Ménestrel 19/1/1879, p. 62: — Le théâtre royal de Hanovre prépare pour le 31 janvier une solennité musicale du plus haut intérêt : la résurrection de Benvenuto Cellini, opéra en 3 actes d’Hector Berlioz. L’œuvre de l’illustre auteur des Troyens [sera] dirigée par l’excentrique Hans de Bulow qui fait part de cette grave nouvelle à M. Ullmann dans les termes humoristiques que voici, transcrits de Bruxelles au Ménestrel : « Voulez-vous faire aux mânes du grand Hector le plaisir d’annoncer aux Parisiens (non badauds), l’exhumation de Benvenuto Cellini, opéra en 3 actes de Wailly et Aug. Barbier, musique (ou musiquette) d’Hector Berlioz, qui aura lieu le 31 janvier au théâtre royal de Hanovre, conformément à la partition, revue et refondue par l’auteur pour les représentations de Vienne en 1855 [en fait Weimar en 1852]. […]
Le Ménestrel 12/10/1879, p. 368 (Colonne et la Prise de Troie au concert)
Le Ménestrel 25/12/1881, p. 31 (le Festival Berlioz)
Le Ménestrel 15/1/1882, p. 53: — La troupe anglaise d’opéra de Carl Rosa donnera, pendant la saison de 1882, le Benvenuto Cellini de Berlioz, chanté en anglais. Le rôle de Benvenuto sera tenu par le ténor Schott qui l’a chanté à Hanovre, il y a trois ans, sous la direction de M. Hans de Bulow. Benvenuto Cellini a été donné, autrefois à Londres, mais en italien [en 1853]. […]
H. Barbedette, Le Ménestrel 24/12/1882, p. 30: Dimanche dernier, au Châtelet, reprise de la Damnation de Faust, d’Hector Berlioz, si remarquablement interprétée aux concerts Colonne. Cette œuvre a le don de passionner le public. Une foule nombreuse se pressait dans la salle. M. Lauwers a été, comme toujours, très applaudi dans le rôle de Méphistophôlès, Mlle Caroline Brun s’est fait remarquer dans la chanson du Roi de Thulé, qu’elle a dite à ravir et dans le duo où elle a montré de grandes qualités vocales scéniques. Orchestre et chœurs ont été à la hauteur de l’œuvre. En écoutant cette partition si originale, l’une des meilleures de Berlioz, nous nous demandions si elle ne serait pas puissamment aidée par le prestige de la mise en scène. Parfois, en Allemagne, on donne certains oratorios avec une mise en scène appropriée qui aide grandement à l’effet. Il y aurait de grandes difficultés à surmonter pour la Damnation de Faust, mais ce serait une expérience à tenter.
Le Ménestrel 12/8/1883, p. 294 (Benvenuto Cellini à Leipzig)
Le Ménestrel 23/9/1883, p. 342: La représentation de Benvenuto Cellini de Berlioz, donné le 12 à l’Opéra de Leipzig sur la demande et en présence du roi de Saxe, a renouvelé le grand succès que cette œuvre avait obtenu à son apparition sur cette scène allemande. Le public a fait à l’œuvre et à ses interprètes un accueil enthousiaste. Le roi de Saxe était l’un des premiers à applaudir. Franz Liszt, qui était arrivé de Weimar, assistait au spectacle. A propos de Benvenuto, les journaux allemands annoncent que MM. Choudens de Paris, auxquels appartient la partition, vont racheter, si ce n’est déjà fait, à l’intelligent directeur du théâtre de Leipzig, M. Staegeman, ses décors et la mise en scène de son régisseur M. Jendersky. Ils auraient l’intention de monter l’ouvrage cet hiver à Paris. Mais à quel théâtre ? c’est ce qu’on ne dit pas. Nous reproduisons du reste ce bruit sous toute réserve. On avait aussi parlé de mettre Benvenuto à l’étude à Munich. Mais l’intendance des théâtres royaux de Bavière n’aurait pu s’entendre avec les éditeurs. C’est donc un projet ajourné.
H. Barbedette, Le Ménestrel 30/12/1883, p. 39: […] Qu’il nous soit permis de répéter ici ce que nous avons dit tant de fois : nous sommes persuadés que certaines œuvres, comme le Faust de Berlioz, le Désert de David, gagneraient énormément si on y joignait une sorte de mise en scène, de décors appropriés qui entretiendraient l’illusion et doubleraient les effets.
H. Moreno, Le Ménestrel 6/1/1884, p. 43: […] On prête encore d’autres projets à M. de Lagrené [à l’Opéra-Populaire], tels que la reprise de Paul et Virginie, de Victor Massé et celle d’un opéra de Membrée. On dit aussi qu’il aurait l’intention de mettre en scène la Damnation de Faust de Berlioz, beau projet en théorie, mais d’une pratique assez logique. Enfin, il ne faut décourager personne, et M. de Lagrené moins que d’autres, s’il doit nous rendre les beaux jours de l’ancien Théâtre-Lyrique.
H. Barbedette, Le Ménestrel 4/1/1885 p. 39: — Concerts Modernes. […] M. Godard a fait entendre des fragments des Troyens, de Berlioz : l’air de Cassandre, dit avec un réel talent et un sentiment très dramatique par Mme Rambaud, et le duo de Cassandre et de Chorèbe, ce second rôle tenu très convenablement par M. Deteneuille. Ces fragments sont très remarquables, en ce sens qu’ils montrent combien Berlioz, toutes les fois qu’il trouvait la note juste et l’expression vraie, était hanté par le souvenir et les traditions de Gluck. La Marche Troyenne manque un peu de noblesse et de distinction; mais son admirable instrumentation a électrisé le public, qui l’a redemandée. […]
H. Moreno, Le Ménestrel 14/2/1886, p. 83: Dernière nouvelle de l’Opéra-Comique : Cinq ou six opéras, dont on poursuivait à la fois les études, ne pouvaient suffire à l’activité de M. Carvalho. Aussi vient-il de décider, par surcroît, la représentation prochaine du Benvenuto Cellini d’Hector Berlioz, dont on donne déjà la distribution suivante : […] Benvenuto Cellini est une œuvre de premier ordre, qui remplacera sans désavantage le Lohengrin, et du moins elle ne jettera pas le discrédit parmi nous. Tous seront d’accord pour applaudir à la partition du grand Français.
H. Moreno, Le Ménestrel 14/3/1886, p. 116: Pour un avenir encore lointain on commence à s’occuper du Benvenuto Cellini de Berlioz. Il n’est pas probable que l’œuvre puisse passer cette saison, tant elle exigera de soins et d’études. Déjà Mme Alfred Jaëll, qui est une admiratrice passionnée de cette partition, a eu des entrevues avec M. Carvalho, pour la lui faire entendre au piano, l’ensoleillant encore des mille feux de son beau talent de virtuose et se jouant comme à plaisir des difficultés qu’y a accumulées l’illustre maître français; Pour la verve, elle compare l’œuvre au Barbier de Séville de Rossini, et elle apporte tant de conviction et d’enthousiasme à sa démonstration qu’elle finit par vous en persuader. Voici comme elle conclut : « Comment penser au Lohengrin et à Wagner, quand on a Benvenuto et Berlioz sous la main ? » Il est vrai qu’en sa qualité d’Alsacienne, Mme Jaëll a le droit chèrement payé de se montrer doublement patriote.
H. Moreno, Le Ménestrel 20/6/1886, p. 232: L’association entre MM. Plunkett et Charles Lamoureux pour l’exploitation de l’Eden en Théâtre-Lyrique, fin de saison 1887, prend tout à fait bonne tournure. On commencerait par Lohengrin, puis on cite parmi les ouvrages qui suivraient : Don Juan, Benvenuto Cellini de Berlioz, et la Jolie Fille de Perth de Bizet, — ces derniers évidemment annoncés pour la montre et afin de faire tout d’abord passer sans encombre l’œuvre de Wagner. Tout en ayant le grand désir, pour bien des raisons, de voir enfin représenter le Lohengrin, nous croyons qu’il serait plus habile de commencer par une œuvre française et de mettre pour ainsi dire la nouvelle entreprise sous le patronage d’un compositeur national. Nous demandons que la crémaillère soit pendue en l’honneur de l’un des nôtres. MM. Plunkett et Charles Lamoureux s’assureraient ainsi du premier coup toutes les sympathies ; tous nous applaudirions à cette restitution d’une scène lyrique si vivement désirée, où il serait fait une juste part aux chefs-d’œuvre étrangers, sans négliger toutefois l’élément national. Si, au contraire, on n’entend faire de l’Eden qu’un temple pour le Dieu suprême de la musique allemande, il faut s’attendre à de légitimes protestations.
H. Moreno, Le Ménestrel 12/9/1886, p. 327: […] L’absence de Talazac [ténor chargé du rôle de Cellini], qui est en congé pendant tout le mois de septembre, retarde un peu les études de Benvenuto Cellini, et il n’est pas probable qu’on puisse en faire concorder la première représentation, comme on l’avait espéré, avec l’inauguration du monument élevé en l’honneur d’Hector Berlioz, place Vintimille, — inauguration fixée au 17 octobre. […]
Ernest Reyer, Journal des Débats, 26/9/1886 p. 1-2: À propos de la représentation de Benvenuto Cellini à l’Opéra-Comique
Oscar Comettant, Le Ménestrel 17/10/1886, p. 368-70: Hector Berlioz
Le Ménestrel 13/3/1887, p. 117: — Tandis que l’Opéra-Comique semble avoir renoncé à offrir à son public le Benvenuto Cellini de Berlioz, dont il avait été un instant question, le théâtre royal de Munich s’occupe activement de la mise à la scène de cet ouvrage, qui y fera sa première apparition vers le 15 avril.
Le Ménestrel 9/10/1887, p. 325: — On écrit de Carlsruhe que le théâtre Grand-Ducal prépare avec beaucoup de soin la représentation de l’opéra de Berlioz, Béatrice et Bénédict. La traduction allemande de l’ouvrage est due à M. Richard Pohl, l’éminent critique, et des récitatifs ont été écrits par M. Mottl. On compte sur un grand succès.
Ernest Reyer, Journal des Débats, 9/10/1887, p. 2 (Carvalho et Benvenuto Cellini)
A. Boutarel, Le Ménestrel 26/2/1888, p. 71 (extraits des Troyens aux Concerts Colonne)
H. Barbedette, Le Ménestrel 4/3/1888, p. 79 (extraits des Troyens aux Concerts Colonne)
A. Boutarel, Le Ménestrel 8/4/1888, p. 119 (extraits des Troyens aux Concerts Colonne)
Le Ménestrel 29/9/1889, p. 311-12: — L’ouverture du Grand-Théâtre de Rouen, qu’on pourrait appeler, en raison de ses grands projets de décentralisation musicale, le Théâtre-Lyrique-Interdépartemental, est fixée au jeudi 3 octobre. La troupe de grand opéra débutera dans l’Africaine ; la troupe d’opéra-comique dans Roméo et Juliette. Puis viendront: la Gwendoline, de M. Chabrier, avec Mlle Bankels et le ténor Gandubert ; un acte inédit de M. Henri Maréchal ; un autre, de M. Jules Bordier ; un ballet en trois actes, toujours inédit ; enfin, la représentation du Benvenuto Cellini d’Hector Berlioz, qu’on n’a vu sur aucun théâtre de France depuis son apparition à l’Opéra, il y a un demi-siècle.
Le Ménestrel 13/4/1890, p. 114-15: [Extraits
du manifeste de la Société des grandes Auditions musicales de France]
Une œuvre est en train de se fonder qui rendra les plus
grands services aux compositeurs français, et qui est assurée d’un légitime
succès parce qu’elle répond à un besoin public. C’est la « Société
des grandes Auditions musicales de France ».
On sait les difficultés qu’éprouvent nos compositeurs à
se faire jouer dans Paris, et la contrainte où ils se trouvent d’exporter
leurs partitions les plus remarquables.
Las d’attendre aux portes de nos théâtres lyriques, Reyer,
Gounod, Salvayre, Saint-Saëns, Chabrier, Litolff, Benjamin Godard, Lenepveu,
les frères Hillemacher, Théodore Dubois, Massenet, et le Maître, jadis,
Berlioz, se virent forcés d’expatrier leurs plus belles œuvres.
C’est ainsi que Londres eut la primeur de la Rédemption
et de Velléda, que Darmstadt donna la première de Samson et Dalila,
que Saint-Pétersbourg monta Richard III, et que la Monnaie de Bruxelles
offrit à un public d’élite, accouru de tous les points de l’Europe, une
série de premières inoubliées : Sigurd, Jocelyn, Hérodiade,
les Templiers, Saint-Mégrin, Salammbô, etc.
Quant aux opéras de Berlioz, représentés pour la plupart
en Allemagne, ils restent, dans leur ensemble, inconnus de la grande majorité
des Français et n’ont jamais été joués que par fragments dans les
concerts.
Cet exil doit avoir un terme. Aussi un groupe de Français,
composé de personnes du monde et d’artistes, a-t-il décidé de faire appel
au patriotisme de tous, pour fonder une Société qui assurerait enfin à notre
pays la primeur des œuvres françaises, et qui, dans de grandes auditions,
donnerait les partitions complètes de compositeurs anciens ou contemporains. La
Société s’appliquerait d’abord à mettre en pleine lumière les maîtres d’autrefois
et à monter les chefs-d’œuvre qui, toujours expatriés, sont restés fermés
pour des milliers de Français.
Cinq ou six représentations de chaque œuvre seraient données
consécutivement, puis un autre opéra serait étudié, préparé et joué, le
nombre des œuvres dépendant, bien entendu, des ressources de la Société.
Un des maîtres les plus applaudis, M. Gounod, est le
président d’honneur de cette Société éminemment française, qui a été
formée par les soins dévoués de Mme la comtesse Greffülhe, avec le
patronnage de la plupart des membres de l’Académie des Beaux-Arts et de Mmes
Carvalho et Krauss.
Le comité se compose, en outre, d’administrateurs et de
membres consultatifs. Les administrateurs sont le prince A. d’Arenberg, le
prince Pierre de Caraman-Chimay, le comte É. de Ganay, M. A. O’Connor et le
prince de Polignac, avec M. François Hottinguer, comme trésorier de l’œuvre.
Le comité consultatif comprend MM. César Franck, Camille
Benoît, Onfroy de Bréville, Chausson, Chevillard, Chabrier, Fauré, Vincent d’Indy,
André Messager, X. Perreau, Pillaut, Vidal, etc.[…]
La Société des grandes Auditions musicales de France veut,
pour son début, donner dans son intégrité l’une des plus belles œuvres de
Berlioz. Elle montera, dans les premiers jours de juin, sous la direction de M.
Ch. Lamoureux et avec l’aide de son merveilleux orchestre, Béatrice et
Bénédict. Cet opéra en deux actes du grand compositeur français n’a
jamais été joué qu’en Allemagne !
Ce détail en dit plus que tous les commentaires. Il faut que
tout Paris contribue au succès de cette fondation éminemment française ;
ce n’est pas une question de personnes en effet ; ce n’est pas une
question d’école ; c’est une question d’utilité
publique.
A. Boutarel, Semaine Théâtrale, Béatrice et Bénédict 1862-1890, Le Ménestrel 8/6/1890, p. 178-9
Ernest Reyer, Journal des Débats, 8 juin 1890 (p. 1) (Béatrice et Bénédict à l’Odéon)
H. Moreno, Le Ménestrel 4/1/1891, p. 3: […] Parlerons-nous de la fameuse Société des grandes auditions musicales de France qui devait tout casser et dont on n’entend déjà plus parler? Elle nous a donné la joie ineffable d’écouter Béatrice et Bénédict de Berlioz, en quoi elle a fait montre peut-être de quelque imprudence. Si on prétend jouer trop souvent du Berlioz, si on entend le prodiguer à tout propos, on ne tardera pas à lui faire perdre de son prestige. Elles sont rares, les œuvres vraiment complètes de ce génie très inégal, qui ne procédait guère que par soubresauts d’inspiration pour retomber bientôt dans l’ordinaire marécage des idées courantes et banales. On l’a vu dans Béatrice et Bénédict ; on le verra dans d’autres œuvres encore, si l’on n’agit pas à leur égard avec la plus grande circonspection. Nous avons un grand musicien ; soyons ménagers de sa gloire et ne la compromettons pas en de folles aventures.
Le Ménestrel 25/1/1891, p. 30-1: Les représentations des Troyens continuent, à Carlsruhe, avec un succès considérable. La Prise de Troie et les Troyens à Carthage sont donnés en deux soirées, à un jour d’intervalle, et sans la moindre coupure. Il n’est pas inutile de signaler ce respect des Allemands pour nos chefs-d’œuvre, au moment où l’on préparera, à Nice, cette étrange combinaison de la Prise de Troie avec UNE PARTIE des Troyens à Carthage !... Les représentations de Carlsruhe n’ont, certes, rien de commun avec cette fantaisie de casino. […]
L’Univers illustré, 14/2/1891, p. 83-84: Grand-Théâtre municipal de Nice : la Prise de Troie, opéra en
trois actes et quatre tableaux, d’Hector Berlioz.
Comme je l’annonçais en terminant ma dernière chronique,
la première représentation, en France, de la Prise de Troie, a été
donnée vendredi dernier [6 février] au Grand-Théâtre de Nice, et le succès
que m’avait permis de prévoir la répétition générale à laquelle j’avais
pu assister, avec mes confrères de la critique parisienne, s’est réalisé d’une
façon éclatante.
Les soins prodigués par M. Raoul Gunsbourg, avec tant de
zèle et un si grand amour de l’art, à la mise en scène du chef-d’œuvre
de Berlioz, ont été justement et largement récompensés. Le public choisi,
composé de tout ce que Nice renferme de personnalités artistiques et mondaines,
qui remplissait la salle du Grand-Théâtre municipal, a manifesté bruyamment
son admiration pour la belle partition du maître français.
La Prise de Troie, qui, depuis deux mois, est, à
Carlsruhe, l’objet d’un pèlerinage quasi universel de la part de tous les
amateurs de grande et belle musique, a, grâce à M. Gunsbourg, pris possession
d’une scène française et, nous en avons maintenant la certitude, prendra
bientôt sa place à l’Opéra de Paris.
L’enthousiasme des spectateurs de Nice a été
colossal : après le premier acte, deux rappels consécutifs ont forcé le
rideau à se relever ; après le célèbre Ottetto avec chœur du
second acte, la représentation a été suspendue pendant plus de cinq minutes,
tant les acclamations étaient vives et prolongées ; enfin la grande
scène de Cassandre et le chœur final des Troyennes ont été l’objet d’une
ovation vraiment émouvante.
Si le pauvre et regretté Berlioz avait été là, il eût
étouffé M. Gunsbourg dans ses embrassements. Songez donc, lui qui, dans ses Mémoires
[Postface],
écrivait : « O ma noble Cassandre, mon héroïque vierge, il faut
donc me résigner, je ne t’entendrai jamais ! »
Cette invocation prophétique, MM. Choudens, les éditeurs
des Troyens, — dont la Prise de Troie constitue la première partie,
retranchée jadis au Théâtre-Lyrique, — l’ont placée en tête de la
partition qu’ils ont si pieusement publiée dans toute sa majestueuse
intégrité.
Il est juste de dire que la troupe du Grand-Théâtre
municipal s’est montrée digne de l’honneur qui lui est échu de créer en
France cette œuvre grandiose : le rôle de Cassandre est chanté par une
jeune artiste de grand talent, Mlle Tylda, dont la voix est une des plus belles,
des plus étendues et des plus pathétiques qu’il nous ait jamais été donné
d’entendre ; M. Saléza chante avec beaucoup de goût le rôle d’Énée ;
le baryton Manoury est un Chorèbe superbe ; Mlle Vaillant-Couturier se
montre artiste consommée dans le rôle de Didon.
Le ballet est réglé avec beaucoup de goût par M. Guerra.
Mlle Monti mime avec talent le rôle d’Andromaque. Enfin, l’orchestre,
conduit avec infiniment de zèle et une grande maestria par M. Warnots, s’est
tiré à son honneur de la tâche très difficile qui lui incombait.
M. Gunsbourg a remporté une victoire dont il viendra
sûrement, — et plus tôt qu’il ne le pense peut-être lui-même, —
recueillir les bénéfices à Paris, où sa place est marquée parmi les
directeurs de nos grandes scènes musicales. FERNAND BOURGEAT.
[Note: ce compte-rendu plutôt dithyrambique est à confronter avec les notices beaucoup plus réservées du Ménestrel citées ci-dessus et ci-dessous, et avec les remarques critiques d’Adolphe Jullien dans ses articles de 1899 et 1900. Le critique laisse entendre que la représentation se limitait à la Prise de Troie, mais la mention de la cantatrice qui chantait Didon montre que le spectacle comprenait en outre des extraits des Troyens à Carthage: il s’agissait donc d’une version tronquée de l’ouvrage de Berlioz, comme les autres comptes-rendus le disent clairement. D’autre part les éloges prodigués aux éditeurs Choudens sont à traiter avec réserve: il ne peut s’agir que d’une partition chant et piano publiée vers 1889, et il faut savoir que les deux grandes partitions des Troyens à Carthage et de la Prise de Troie n’ont été imprimées, séparément, par Choudens en 1885 et 1899 que sous la contrainte d’un procès intenté par les exécuteurs testamentaires de Berlioz et n’ont jamais été mises en vente au public.]
H. Moreno, Le Ménestrel 5/4/1891, p. 106: [Bulletin théâtral — parmi les candidats à la direction de l’Opéra] M. Gunzbourg [Gunsbourg], candidature pour rire, le comique de la situation, l’imprésario farceur du théâtre municipal de Nice, celui qui annonce avec gravité sur ses affiches la Prise de Troyes (sic), d’Hector Berlioz, joue très bien à l’occasion les Ménélas de Barbe-Bleue ou les Gaspard des Cloches de Corneville. A un profond mépris pour les droits des compositeurs français, dont il représente les œuvres, sans bourse délier, sur les scènes de Pétersbourg. Titres éclatants, comme on voit, pour briguer la direction de la première scène lyrique de France. […]
H. Moreno, Le Ménestrel 2/8/1891, p. 243:
A l’Opéra-Comique, nous aurons cette année une saison d’hiver
particulièrement animée et élégante. M. Carvalho, avec le gracieux appui de
plusieurs grandes personnalités mondaines, vient en effet de décider que son
théâtre aurait désormais deux jours d’abonnement par semaine ; la
brillante clientèle que l’éminent directeur avait su attirer à la salle
Favart se trouvera ainsi réunie de nouveau, encore augmentée, à la place du
Châtelet, en attendant qu’elle reprenne la possession définitive de son
ancien théâtre reconstruit.
Les samedis de l’Opéra-Comique existant déjà, M.
Carvalho a formé un nouveau groupe d’abonnés en vue de constituer les jeudis,
et les souscriptions sont arrivées en tel nombre que presque tout a été
retenu sur l’heure. Nous ne donnerons pas ici la liste de tous les abonnés,
que notre confrère le Figaro a déjà donnée en détail. On y trouve
tous les plus beaux noms de l’aristocratie française, et en tête presque
tous ceux qui patronnent la Société des grandes auditions musicales de
France présidée par Mme la comtesse Greffülhe et M. Gounod. Cette
Société a pour but, on le sait, de faire exécuter les œuvres de nos maîtres,
malheureusement restés un peu en oubli.
Aussi ces grandes personnalités, en aidant à la création
des jeudis, ont-elles eu l’excellente pensée de faire profiter leur société
de ce mouvement artistique ; et elles ont demandé à M. Carvalho de monter,
pour cet hiver même, l’une des pièces que les grandes auditions tenaient le
plus à faire entendre en France : les Troyens, de Berlioz.
L’accord n’a pas tardé à se faire entre les
représentants des grandes auditions et M. Carvalho, à qui il ne pouvait
être qu’agréable de remonter le chef-d’œuvre de Berlioz, sur cette même
scène où il l’avait fait entendre déjà en 1863.
H. Moreno, Le Ménestrel 5/6/1892, p. 180: A l’OPÉRA-COMIQUE,
on nous a donné jeudi [2 juin] la répétition générale des Troyens.
Nous n’anticiperons pas trop sur les événements en prédisant un vif succès
à cette reprise de l’œuvre de Berlioz. Ce n’est pas à dire que la
partition ne se ressente des trente années passées déjà depuis le jour où
on la fit entendre pour la première fois dans cette même salle du Châtelet,
mais les cheveux blancs mêmes qu’elle a pu prendre lui donnent un grand
caractère. On dirait à présent l’une de ces belles fresques italiennes dont
les couleurs ont été un peu estompées par le temps, mais dont la ligne reste,
pure et majestueuse.
On parlera beaucoup de Mlle Delna, dont la voix est d’une rondeur et d’une
homogénéité admirables. Bel accueil aussi a été fait au ténor Lafarge. […]
L’Univers illustré, 11/6/1892, p. 280-1: Théâtre national de l’Opéra-Comique : les Troyens, de Berlioz.
L’événement théâtral de la semaine est la réapparition,
à l’Opéra-Comique, de l’immortel chef-d’œuvre d’Hector Berlioz, dont
un des titres de gloire de M. Carvalho est d’avoir jadis, dans son inoubliable
Théâtre-Lyrique, révélé la majestueuse beauté musicale.
Dans ce temps-là, — il y a vingt-cinq ans, — le succès
fut plus flatteur que fructueux. On plaisantait encore la musique dite
« de l’avenir ». Aujourd’hui, le triomphe des Troyens est
complet. « L’avenir » est venu. On comprend et on acclame les
efforts du Maître si longtemps méconnu.
Les représentations des Troyens sont merveilleuses.
Il est juste de reconnaître que, pour l’exécution de cette fière et
profonde musique, M. Carvalho a su recruter un ensemble d’artistes absolument
supérieurs.
Pour le rôle de Didon, il a eu le rare bonheur de découvrir
une jeune personne d’un immense avenir. Mlle Delna, — qui débute ainsi d’une
si belle façon, — était inconnue hier. Quelques leçons de Mme Laborde,
quelques conseils de la grande artiste qui s’appelle Mme Miolan-Carvalho, en
ont, en peu de semaines, fait une cantatrice et une tragédienne di primo
cartello. Possédant une admirable voix, pure, belle, étendue, jouant d’instinct
avec une intelligence exceptionnelle, originale, convaincue, passionnée pour
son art, Mlle Delna a produit un effet immense. Elle a été applaudie,
acclamée, rappelée après chaque acte. Son émotion, bien naturelle, n’a en
rien nui à ses moyens. Elle ne s’est traduite que par d’exquises gaucheries
dans sa manière de remercier les auditeurs des ovations écrasantes et
méritées qu’ils lui faisaient...
A côté d’elle, M. Lafarge, un ténor superbe, surtout
dans les passages de tendresse et de douceur, a remporté un immense succès
dans le rôle d’Énée. Mlle de Béridez est excellente dans celui d’Anna.
MM. Clément, Lorrain, Boudouresque, Mlle Delaru ont eu leur bonne part dans les
applaudissements qui ont accueilli cette splendide restauration d’un des plus
purs chefs-d’œuvre de la musique française.
Quant aux morceaux qui ont été particulièrement acclamés,
il faudrait énumérer tous les numéros de la partition. Signalons cependant l’air
de : Chers Tyriens, et le duo des deux femmes, et les « adieux
d’Énée à son fils » au premier acte ; la symphonie orchestrale
de l’orage dans la forêt ; l’hymne à la Nuit, — une merveille ;
— le duo de Didon et Énée : O Nuit d’ivresse et d’extase infinie,
au deuxième tableau ; enfin l’air d’Énée : Quand viendra l’instant
des suprêmes adieux, et le finale du troisième acte.
C’est avec l’aide de la Société des grandes auditions
musicales de France que M. Carvalho a pu remettre à la scène cette œuvre
magistrale : il revient donc à cette institution artistique une partie des
remerciements que les dilettantes doivent adresser à l’éminent directeur de
l’Opéra-Comique. FERNAND BOURGEAT.
Julien Tiersot, Le Ménestrel 12/6/1892, p. 187-9: Les Troyens à Carthage à l’Opéra-Comique
A. Boisard, Le Monde Illustré, 18/6/1892, p. 407: compte-rendu des Troyens à Carthage à l’Opéra-Comique
Le Ménestrel 26/2/1893, p. 71: — On écrit de Monte-Carlo : « La première représentation de la Damnation de Faust de Berlioz, transformée en opéra, vient de se terminer au milieu d’ovations triomphales, grâce à une interprétation superbe, à une mise en scène merveilleuse et à des parties mimées ingénieusement adaptées aux morceaux symphoniques de l’œuvre. Jean de Reszké admirable dans le rôle de Faust ; Mme d’Alba, exquise cantatrice et comédienne charmante en Marguerite ; Mélchissédec a joué Méphisto d’une façon très remarquable et très originale ; Mlle Zucchi s’est montrée grande artiste dans le long rôle mimé de « l’âme de Marguerite ». Acclamations générales pour les interprètes, l’orchestre et son excellent chef M. Jehin. Les décors et les costumes sont superbes. Le ballet des Roses lumineuses et des Sylphes est un chef-d’œuvre ; la course aux abîmes est extraordinaire comme mise en scène. »
Le Ménestrel 19/11/1893, p. 371: [extrait de
S. Gigon, Le cycle de Berlioz à Karlsruhe] La direction du théâtre de
Karlsruhe vient de célébrer une fête française : dans la même semaine,
du 5 au 12 novembre, elle a fait représenter Benvenuto Cellini, Béatrice
et Bénédict, la Prise de Troie et les Troyens à Carthage.
Cet hommage rendu à la mémoire de Berlioz n’est pas sans causer quelque
amertume aux Français qui aiment l’art et leur pays. N’est-il pas
incompréhensible qu’après le triomphe avéré de l’œuvre symphonique du
maître, une défiance inexplicable éloigne de nos scènes lyriques des opéras
considérés hors de notre pays comme des chefs-d’œuvre incontestés; et n’est-il
pas pénible de faire un long voyage, de passer le Rhin pour entendre ces belles
œuvres et les voir glorifiées par les applaudissements enthousiastes des
Allemands ?
Jusqu’à présent, Béatrice et Bénédict et les Troyens à
Carthage ont été seuls représentés en France. Le premier de ces opéras,
joué médiocrement devant le public sélect des « grandes
auditions », a eu cinq ou six représentations ; le second,
défiguré par des mutilations honteuses et joué avec un sans-façon qu’on n’admettrait
pas pour une œuvre d’Adolphe Adam, a disparu du répertoire de l’Opéra-Comique.
La Prise de Troie, chantée en 1879 aux concerts Colonne [et aussi aux Concerts
populaires de Pasdeloup], n’est plus connue que des musiciens ;
enfin, Benvenuto est oublié depuis 1838. On peut donc affirmer que l’œuvre
dramatique de Berlioz est inconnue en France. Après l’audition de ces quatre
opéras, représentés à Karlsruhe dans leur intégrité et avec le respect
absolu de la pensée du maître, on peut affirmer que le jour où un théâtre
lyrique (qui peut-être se croira hardi) voudra suivre l’exemple de l’Allemagne,
le succès sera certain. […]
Le Ménestrel 29/4/1894, p. 136: — Souhaitons que la nouvelle en soit vraie : le journal l’Événement annonce que la Prise de Troie d’Hector Berlioz serait montée prochainement à l’Éden-Théâtre par les soins de l’éditeur Choudens. C’est le chef d’orchestre du théâtre grand-ducal de Carlsruhe, M. Félix Mottl, dont le public parisien a pu dernièrement apprécier le talent, qui dirigerait l’exécution.
Le Ménestrel 26/8/1894, p. 271: Il se pourrait que les Troyens quittassent le répertoire de notre seconde scène lyrique. M. Choudens a obtenu du directeur de l’Opéra-Comique la remise de la partition. L’œuvre de Berlioz serait reprise cet hiver dans un théâtre qui n’est pas encore désigné, pendant une saison Berlioz-Wagner, dont le capellmeister Mottl viendrait diriger les exécutions.
Le Ménestrel 9/9/1894, p. 287: De notre confrère Nicolet du Gaulois : « Nous avons dit dernièrement que M. Félix Mottl, l’éminent chef d’orchestre de Carlsruhe, avait l’intention de venir donner à Paris une série de représentations d’œuvres exclusivement empruntées au répertoire de Berlioz et de Wagner. Le programme de cette intéressante tentative artistique est dès maintenant définitivement arrêté, pour cette année du moins. Berlioz en fait tous les frais : la Prise de Troie, les Troyens à Carthage, Benvenuto Cellini seront successivement représentés, du 15 mars au 15 avril prochain, sur la scène de la Gaîté, selon toute apparence. Chacune de ces pièces ne sera donnée que deux fois, quel qu’en ait été le succès auprès du public. M. Xavier Leroux, l’excellent musicien, est, en l’absence du capellmeister, chargé de la direction artistique de l’entreprise. Les auditions pour la formation des chœurs et de l’orchestre auront lieu du 20 au 30 septembre. Aussitôt ses engagements terminés, M. Leroux — qui sait déjà les trois partitions de Berlioz par cœur — ira passer un mois auprès de M. Mottl pour prendre ses mouvements. Les études commenceront dans la seconde quinzaine de janvier. En 1896, viendra le tour de Wagner avec la Tétralogie, les Maîtres Chanteurs, Tristan et Yseult. Rien n’est encore signé avec M. Debruyère au sujet de la location de la salle ; mais, si les pourparlers actuellement engagés n’aboutissaient pas, il n’y aurait de changé que le lieu de ces représentations qui seraient données soit à l’Eden, soit à la Porte-Saint-Martin. »
Le Ménestrel 27/1/1895. p. 31: — On parle encore timidement de représenter bientôt la Damnation de Faust de Berlioz à l’Opéra. C’est un bruit qui commence tout petit, mais qui grandira bientôt, comme celui de la calomnie du Barbier de Séville. Fameuse idée, d’ailleurs ! Le Faust de Gounod réalise de trop belles recettes. Donc, il faut se hâter de le tuer. O logique des directeurs, voilà de tes coups ! La représentation de l’œuvre de Berlioz ne tenait qu’à un truc ! L’esprit inventif de M. Gailhard vient de le découvrir ; donc, on peut marcher à présent. Ce truc a d’ailleurs été employé déjà en Angleterre et aux Variétés, sous la direction de M. Bertrand, dans une scène de courses : c’est un plancher mouvant qui se dérobait sous les pieds des chevaux en sens inverse de la course. Et voilà la « course à l’abîme » toute trouvée !
H. Moreno, Le Ménestrel 3/3/1895, p. 67: (Bulletin théâtral) […] A l’OPÉRA, autre guitare. La matinée du carnaval qui a fait florès, c’est Faust, une des plus belles œuvres musicales dont la France puisse s’enorgueillir et qui est pour notre Académie Nationale de musique une vraie poule aux œufs d’or. Aussi, qu’imaginent nos directeurs ? c’est de créer des « concurrences » à la partition de Gounod et de tenter de l’étouffer gracieusement. On parlait en un temps pour cette besogne d’égorgement du Méphistophélès de M. Boito, ce qui n’était pas très dangereux, mais à présent c’est de la Damnation de Faust de Berlioz qu’il s’agit ! Cela pourra bien démonétiser quelque peu l’œuvre de Gounod, tout en faisant le plus grand tort à l’œuvre de Berlioz. Mauvais coup double pour l’art français. En effet, le Faust de Berlioz n’est nullement conçu pour la scène, et on ne peut l’y faire entrer qu’en le torturant de toutes les façons. L’expérience qu’on en a faite à Monte-Carlo a été désastreuse ; c’était simplement ridicule. Et voilà ce que MM. Bertrand et Gailhard rêvent de renouveler à Paris. Véritable temps de carnaval, vous dis-je ! […]
Ernest Reyer, Journal des Débats 25/5/1895: La Damnation de Faust, à l’Opéra
Le Ménestrel 16/6/1895, p. 192: — L’Opéra renonce à représenter la Damnation de Faust, de Berlioz, et il fait bien. C’était une mauvaise idée que de transporter au théâtre une œuvre qui n’est nullement faite pour cela. Il est question, pour remplacer l’œuvre de Berlioz au programme de MM. Bertrand et Gailhard, de monter l’Orphée de Gluck, dans sa version originale, avec tous les ballets et divertissements que l’on avait cru devoir couper depuis la création.
H. Barbedette Le Ménestrel 24/1/1897, p. 30: […] Le duo de Béatrice et Bénédict, de Berlioz, est très joli et très poétique. C’est la seule chose qui subsiste d’un petit opéra composé pour le théâtre de Bade, et qui est des plus médiocres. […]
H. Barbedette, Le Ménestrel 28/3/1897, p. 100 (sur Benvenuto Cellini)
L’Illustration, 18/11/1899, p. 336: THÉÂTRE
DE L’OPÉRA : La Prise de Troie, d’Hector Berlioz (1ere
représentation)
« O ma noble Cassandre, mon héroïque vierge, il faut
donc me résigner, jamais je ne t’entendrai !… » s’était
écrié désespérément Hector Berlioz voyant sa chère Prise de Troie
dédaignée, rebutée de tous les directeurs. Et quelques mois [quelques années]
plus tard le pauvre grand homme s’éteignait lamentablement, murmurant dans sa
lente agonie : « Maintenant, on va pouvoir jouer ma musique ! »
Ce cri douloureusement prophétique se réalisa en partie : on sait la
triomphante carrière de la Damnation de Faust. Mais il y a trente ans
que Berlioz est mort et il y a plus de quarante ans qu’est écrite cette
partition que l’Opéra nous donne aujourd’hui, au lendemain de la première
représentation du Tristan et Yseut de Richard Wagner, que nous avons
attendu cinquante ans ! Triste et singulier rapprochement dans le sort de
ces deux hommes de génie de tempérament musical si différent pourtant !
Les très belles pages sont nombreuses dans la Prise de
Troie ; suffiront-elles à lui assurer une place définitive au
répertoire de l’Opéra, il est difficile de le préjuger. Mais tout le monde
sera d’accord pour admirer dans cette œuvre austère les strophes de
Cassandre au premier acte, la première partie du duo de Chorèbe et Cassandre,
l’impressionnante scène de l’apparition d’Hector et surtout la scène
mimée d’Andromaque, d’émotion si poignante et qui a valu à Mlle Flahaut,
belle et touchante à souhait dans ce rôle muet, un légitime succès (nos
lecteurs pourront d’ailleurs se convaincre de la beauté de cette superbe page
qu’ils trouveront dans le prochain supplément musical). L’œuvre de Berlioz
a été mise en scène de façon intéressante ; le fameux cheval de bois
et les lutteurs, dont il avait été tant parlé à l’avance, amuseront
assurément certaine portion du public ; les décors sont signés Jambon et
Amable ; les costumes, Charles Bianchini. Dans l’interprétation il
convient de citer au premier rang Mlle Delna et M. Renaud. M. Taffanel conduit l’orchestre.
A. de L.
Arthur Pougin, Le Ménestrel, 19/11/1899, p. 370-2: compte-rendu de la Prise de Troie à l’Opéra
Adolphe Jullien, Journal des Débats, 26/11/1899, p. 1: Opéra : La Prise de Troie, opéra en quatre actes, poème et musique d’Hector Berlioz
H. Barbedette, Le Ménestrel 17/12/1899, p. 404: M. Colonne avait repris, dimanche dernier, possession de son orchestre et conduit les différents morceaux du programme. C’était, pour le début, l’ouverture de Benvenuto Cellini. L’opéra de Berlioz fut représenté à Paris en 1838 et tomba ; on ne le réentendit jamais depuis et on ne joue, dans les concerts, que les deux ouvertures, la seconde connue sous le nom de Carnaval romain ; en Allemagne, Benvenuto Cellini est fréquemment joué et passe, dit-on, pour un chef-d’œuvre. […]
Adolphe Jullien, Le Théâtre, No. 25, Janvier 1900 (I), p. 6-14: compte-rendu de la Prise de Troie à l’Opéra
Le Ménestrel 28/10/1900, p. 342: La quatrième année du Répertoire des théâtres allemands publié par la maison Breitkopf et Haertel, de Leipzig, vient de paraître, et nous empruntons à cette publication utile une statistique intéressante des œuvres lyriques françaises que les scènes d’outre-Rhin ont jouées du 1er septembre 1899 au 31 août 1900. En tête marche Carmen avec 247 représentations, Mignon suit avec 211 représentations. Meyerbeer n’est pas encore mis au rancart ; on a joué les Huguenots 92, le Prophète 58, l’Africaine 80, Robert le Diable 22 fois et le Pardon de Ploërmel 2 fois. Berlioz a à son actif 4 représentations des Troyens, 3 de Béatrice et Bénédict et 2 de Benvenuto Cellini. Gounod a eu 187 représentations de Faust, 10 de Roméo et Juliette et 3 de Philémon et Baucis. […]
Le Ménestrel 14/4/1901, p. 120: — Où diable les journaux italiens ont-ils pris celle-là ? Les voici qui racontent tous, les uns après les autres, qu’à la représentation de la Damnation de Faust, qui a eu lieu récemment à Monte-Carlo avec Mme Caron, MM. Alvarez et Renaud, assistait « la fille de Berlioz, qui est âgée de 85 ans et qui avait fait un long voyage pour assister au triomphe de son père ». Ils ajoutent qu’on dut « la porter au théâtre sur une chaise ». Si ladite fille de Berlioz est âgée de 85 ans, sa naissance doit être fixée à 1816. Or, Berlioz étant né lui-même le 12 [11] décembre 1803, autant presque dire en 1804, il aurait eu douze ans environ lors de la venue précoce de cette enfant ! La vérité est que Berlioz n’eut point de fille, mais seulement un fils nommé Louis, qui fut officier de marine, lui causa beaucoup de chagrins et mourut plusieurs années avant lui.
Le Ménestrel 9/3/1902, p. 77: — A l’issue des représentations du Jongleur de Notre-Dame à Monte-Carlo M. Léon Jehin, l’éminent chef d’orchestre, a été promu, par le prince de Monaco, au titre de chevalier de l’ordre de Saint-Charles. Le prince a décerné la même distinction à M. Raoul Gunsbourg, au cours de la représentation de la Damnation de Faust, pour récompenser les services rendus depuis dix années au théâtre de Monte-Carlo par l’actif directeur.
Le Ménestrel 21/9/1902, p. 310: Parlant de la prochaine saison de la Scala, qui doit s’ouvrir par une exécution scénique de la Damnation de Faust, un de nos confrères de Milan se livre à quelques réflexions qui ne nous semblent pas intempestives : « La Damnation de Faust de Berlioz inaugurera la saison. Bien: c’est une œuvre superbe, une création musicale puissante. Elle est très connue, et a été par deux fois, il n’y a pas longtemps, exécutée à Milan. Imitant l’exemple donné par Monte-Carlo, elle sera exécutée scéniquement, avec le jeu des personnages, comme un véritable opéra. Pourquoi ? Berlioz ne l’a pas conçue ainsi, ni voulue. On dépensera beaucoup d’argent, en violentant la volonté d’un artiste. »
Le Ménestrel 25/1/1903, p. 32: — Encore une double idée. Le bruit court qu’à ce même théâtre Sarah-Bernhardt on donnerait au printemps prochain la Damnation de Faust de Berlioz, telle qu’elle a été arrangée pour la scène par M. Raoul Gunzbourg. Presque aussitôt on annonce, encore discrètement, il est vrai — que M. Gailhard a les mêmes intentions. Et nous pensons, nous, que le premier bruit n’a été lancé que pour amener précisément le directeur de l’Opéra à prendre une résolution définitive. Oh ! la politique des théâtres et des impresarii !
O. Berggruen, Le Ménestrel 1/2/1903, p. 38 (sur Benvenuto Cellini)
Le Ménestrel 1/2/1903, p. 40: — D’une
interwiew prise par l’Écho de Paris à M. Gailhard, qui se défend de
vouloir transporter sur la scène de l’Opéra la Damnation de Faust de
Berlioz, nous extrayons la conclusion :
Les œuvres symphoniques se suffisent à elles-mêmes ; les concréter, c’est
les affaiblir.
Un lapin ou deux bons fauteuils pour les Paillasses, que d’ailleurs on
ne joue plus, à celui qui comprendra le verbe « concréter », ainsi
qu’il est ici employé. Les Toulousains sont exclus du concours, à cause de
leur imagination trop éveillée.
Le Ménestrel 8/2/1903, p. 47: — Le projet qu’avait M. Gunsbourg de donner en scène des représentations de la Damnation de Faust au théâtre Sarah-Bernhardt, pendant le mois de mai prochain, semble prendre de la consistance, puisqu’on nomme déjà les interprètes de l’œuvre, qui ne seraient autres que MM. Alvarez, Renaud et Mlle Calvé. Et nous qui croyions Mlle Calvé liée pour toute une année avec l’Opéra-Comique !
Arthur Pougin, Le Ménestrel 10/5/1903, p. 147: La Damnation de Faust, adaptation scénique de M. Raoul Gunsbourg.
Le Ménestrel 17/5/1903, p. 159: — M. Raoul
Gunsbourg a reçu de la famille Berlioz la lettre suivante :
Monsieur,
Toute libre manifestation d’art exige le courage le plus
audacieux : la mode lui oppose d’avance des censeurs irréductibles.
Pour présenter au public une œuvre de Berlioz avec la
perfection indispensable, il faut un désintéressement prêt à tous les
sacrifices. Vous avez assumé cette grande tâche avec quelques artistes hors de
pair, animés du même enthousiasme généreux. Au nom de la famille du maître,
je viens vous remercier chaleureusement, heureux d’associer à votre nom ceux
de Mlle Calvé, de MM. Alvarez et Renaud, qui nous ont donné, grâce à votre
adaptation, géniale comme on le dit, des émotions inoubliables, toutes
nouvelles, et de féliciter M. Colonne de la maîtrise avec laquelle il a
entraîné son orchestre éprouvé et des chœurs exceptionnels.
Pour vous et vos glorieux collaborateurs, veuillez agréer,
monsieur, tous nos compliments reconnaissants.
Le mandataire des héritiers :
H. CHAPOT.
M. Chapot pourra tirer encore le sien devant Mlle Edel, une nouvelle Marguerite d’Allemagne qui arrive à la rescousse pour apporter de nouveaux attraits à la distribution de la Damnation de Faust. Nous avions déjà eu Mlles Calvé et Lafargue : ce n’était pas suffisant, parait-il : voici une troisième Gretchen qui vient tout à point pour compléter le trio des Grâces.
Le Ménestrel 28/6/1903, p. 206: On écrit de Moscou : « Un grand événement se prépare dans notre ville pour la fin de l’année, sur l’initiative de M. Kess, du Conservatoire philharmonique. A l’occasion du premier centenaire de la naissance de Berlioz, qui tombe au mois de décembre prochain, on donnera une représentation monstre de la Damnation de Faust, à laquelle a promis de prendre part la célèbre Van Zandt. Le ténor sera M. Sobinovv. » On sait que Berlioz a toujours eu de grands et nombreux admirateurs en Russie, et que c’est en ce pays, où il fut appelé à diverses reprises pour diriger des concerts de sa musique, qu’il obtint ses plus beaux succès. Il entretenait, comme nous le montre sa correspondance, des relations intimes et suivies avec plusieurs de ses musiciens, entre autres le général Lvovv, M. Balakirew et le fameux critique Vladimir Stassov.
Le Ménestrel 20/12/1903, p. 407: — On a fini
pourtant par s’apercevoir que Wagner à lui seul ne personnifiait pas toute la
musique, et l’hommage éclatant rendu à notre Berlioz à l’occasion de son
centenaire a pris les proportions d’une manifestation que l’on peut dire
universelle. En Allemagne, en Angleterre, en Suisse, en Belgique, en Hollande,
en Russie et jusqu’en Amérique les solennités se sont multipliées en son
honneur, et nous aurions besoin, pour les mentionner toutes, de plus d’espace
que celui dont nous pouvons disposer. Certains souvenirs, pourtant, nous sont
particulièrement chers. C’est ainsi qu’on écrit de Strasbourg, où, de son
vivant d’ailleurs, Berlioz fut toujours fêté et choyé :
Le théâtre municipal vient de célébrer le centenaire de Berlioz par une
représentation de Benvenuto Cellini, opéra du maître qui, depuis son
échec de 1838, n’a plus été représenté en France. Un nombreux public a
pris part à cette solennité artistique, qui a brillamment réussi, grâce à
la peine que se sont donnée tous les interprètes et aux efforts du chef d’orchestre,
M. Lohse, à l’artistique initiative de qui est dû cet hommage à la mémoire
du maître français. Mercredi prochain, le chœur du Conservatoire et l’orchestre
municipal exécuteront la Damnation de Faust, avec le concours de Mme
Nina Faliero-Dalcroze, de Genève, et de M. Paul Daraux, de Paris. […]
Le Ménestrel 27/12/1903, p. 413: Il semble que tous les théâtres musicaux, toutes les sociétés chorales, tous les orchestres symphoniques, aient voulu se distinguer en Allemagne par la célébration de quelque fête en l’honneur de Berlioz. A Leipzig, on a donné la Prise de Troie. Nous renonçons à citer le nom de toutes les villes qui ont repris Benvenuto Cellini ; dans le nombre il y a Dresde, Munich, Metz, Brunswick, Fribourg-en-Brisgau, Strasbourg... La Damnation de Faust a été mise en scène notamment à Cologne et à Mayence. Quant aux exécutions de ce dernier ouvrage et de Roméo et Juliette en entier ou par fragments, elles ont été, sont encore innombrables à l’heure qu’il est. On ne peut songer a énumérer les auditions d’œuvres svmphoniques. Il faut cependant faire exception pour les interprétations en différentes villes, et particulièrement à Munich, d’Harold en Italie et de la Symphonie fantastique dans un même concert, sous la direction de M. Félix Weingartner. Le célèbre chef d’orchestre avait eu un grand succès à Paris en produisant ces ouvrages dans les mêmes conditions aux concerts Lamoureux, le 2 mars 1902. Il faut citer encore l’interprétation de l’Enfance du Christ à Ratisbonne. Nous ne parlons pas du Requiem ; depuis plusieurs mois, il parait avoir été la composition favorite des grandes sociétés chorales, et les auditions toutes récentes de Munich et de Francfort ne sont qu’une sorte d’écho des précédentes. Les mélodies du maître n’ont pas été oubliées : plusieurs artistes les ont chantées, tantôt seules, tantôt en les associant à celles de Liszt et de Wagner dans une même soirée. Mme Johanna Dietz, par exemple, a fait entendre à Munich le cycle des Nuits d’été. Enfin il n’y a plus aucune trace de cette hostilité presque haineuse qui survivait en Allemagne, il y a une dizaine d’années, et que l’on appelait là-bas avec ironie : l’Anti-Berlioz-Tic.
Le Ménestrel 23/7/1905, p. 239-40: — Voici
le programme complet des trois représentations qui seront données, au
Théâtre Antique d’Orange, les 5, 6 et 7 août 1905, sous le patronage de la
Société des grandes auditions musicales de France présidée par la comtesse
Greffülhe.
Première soirée, le samedi 5 août, à 8 heures et demie du soir, les
Troyens, poème lyrique en trois actes, de Hector Berlioz :
Didon, Mme Litvinne ; Ascagne, Mme Chassang ; Anna, Mme Girard ;
Enée, M. Rousselière ; Iopas, M. R. Plamondon ; Narbal, M. Ananian ;
Panthée, M. Darcilly.
Les danses seront interprétées par Mlles Zambelli et Salle, de l’Opéra.
Deuxième soirée, le dimanche 6 août, à 8 heures et demie du soir, Mefïstofele,
opéra en quatre actes, de M. Arrigo Boïto. […]
Troisième soirée, le lundi 7 août, à 8 heures et demie du, soir, Jules
César, tragédie de Shakespeare, traduction de François-Victor Hugo,
musique de M. Gabriel Fauré. […]
Intermède musical par l’orchestre.
Œdipe roi (deuxième partie), tragédie de Sophocle, traduite par J.
Lacroix, musique d’Ed. Membrée. […]
Orchestre et chœurs dirigés par M. Edouard Colonne.
En cas de pluie, les représentations seront renvoyées au lendemain.
Le Ménestrel 20/8/1905, p. 267:
LES FÊTES D’ORANGE
Cette fois, les organisateurs de la
solennité artistique, à laquelle, depuis plusieurs années le Théâtre
Antique d’Orange sert de cadre, ont donné à la musique une place
prépondérante, en réservant exclusivement deux soirées sur trois à l’opéra
et en choisissant pour la troisième un spectacle dramatique accompagné d’intermèdes
musicaux. Comment s’étonner de cette place importante prise par l’élément
musical dans ce programme de 1905 quand on se rappelle que c’est la « Société
des Grandes Auditions Musicales de France » qui a patronné les trois
séances auxquelles nous venons d’assister et présidé plus ou moins
directement à l’organisation matérielle de cette intéressante
manifestation. Ce n’est certes pas nous qui blâmerons une préférence aussi
marquée pour la musique : mais nous tenons dès maintenant à formuler
certaines réserves sur la façon dont se sont affirmées les préférences des
organisateurs.
Tout d’abord le choix aurait dû se porter sur des opéras
comportant de gros effets musicaux plutôt que sur des partitions à contexture
plus délicate, remplies d’idées, d’intentions ou de prétentions musicales
qui exigent toutes sortes de sous-entendus et de finesses d’exécution dont
les effets viennent se perdre dans les profondeurs d’une salle (si l’on peut
ainsi parler) immense.
A ce point de vue l’erreur d’organisation initiale parait
manifeste ; la littérature musicale de M. Boïto et les préoccupations
intellectuelles de Berlioz sont venues échouer comme des flots impuissants au
pied des gradins du Théâtre Antique. La majeure partie du public n’a rien
compris et cette inintelligence prolongée a dégénéré en indifférence pour
se transformer définitivement en ennui.
La première soirée, celle du samedi 5 août, était
consacrée aux Troyens de Berlioz. L’interprétation de l’œuvre
reposait sur les puissantes épaules de Mme Litvinne et sur le jeune talent de
M. Rousselière ; la première a été remarquable de résistance et d’énergie
vocale ; le second a fait un couac désastreux au beau milieu du duo du
second acte (sur un si bémol) et, renonçant à la partie, a terminé le
duo en se contentant de donner timidement la réplique à son intrépide
partenaire, Mme Litvinne. Celle-ci a dû chanter toute seule le troisième acte,
car M. Rousselière n’a plus reparu devant le public.
L’infortuné Berlioz a encore joué de malheur ce soir-là,
et le grand septuor qui termine le premier acte a fini dans un bafouillage
fâcheux.
L’air d’Iopas, au début du second acte, chanté à mezza
voce par M. Plamondon a eu les honneurs du bis. M. Plamondon est un tenorino
adroit et délicat. Je ne lui reprocherai qu’un peu de monotonie dans son
exécution. D’ailleurs cette monotonie semblait s’être appesantie sur toute
l’exécution des Troyens languissante et compassée. […]
Ce que l’on a bien entendu, par exemple, c’est le
mistral, qui n’avait pas dû recevoir un service de presse, et qui a soufflé
désagréablement pendant les soirées de samedi et de dimanche. Une brise
plutôt glaciale tourbillonnait sur la scène faisant voltiger les péplum
légers de Didon et d’Ascagne ainsi que les feuillets des parties sur les
pupitres des musiciens de l’orchestre ; les bras et les épaules nus des
chanteuses contrastaient péniblement avec les couvertures dont les spectateurs
étaient emmitouflés. Le dimanche soir le chapeau à plumes de Faust (un
chapeau qui paraissait tout neuf) a été emporté par le vent facétieux au
plus fort d’une déclaration d’amour à Marguerite ! V. T.
Raymond Bouyer, Le Ménestrel 10/9/1905, p. 291-2:
« LES TROYENS A ORANGE » ET LE DESTIN DES TROYENS — à l’auteur
savant des « Berlioziana ».
Les poètes se promettaient de belles heures ; mais la
réalité déçoit souvent les poètes.
Il ne paraît point qu’en dépit de l’heureuse initiative
de la « Société des Grandes Auditions Musicales de France », la
soirée du samedi 5 août 1905 ait le droit de compter parmi les plus brillantes :
les poètes attendaient impatiemment la résurrection des Troyens sous un
ciel fleuri d’étoiles ; et bien des nuages ont glissé sur les étoiles...
Cela se voit. Les astronomes eux-mêmes ont de pareilles déceptions. Une belle
idée n’est pas nécessairement soutenue par le résultat, moins éloquent...
Tout arrive. Exécution défectueuse et coupures sans nombre : alors, tout
comme à Paris ? Passons.
Ne quittons point, toutefois, notre Bayreuth français sans
constater une fois de plus qu’une fatalité s’attache à certains noms, qu’une
malédiction semble peser sur certaines natures et sur certaines œuvres, et que
notre Hector musical a quelque peine à se relever de sa chute mémorable sous
les murs de Troie. […]
Le Ménestrel 4/3/1906, p. 69:
De notre correspondant de Belgique (1er février) :
La Damnation de Faust a remporté à la Monnaie un très grand succès,
dans lequel il est bien certain que les décorateurs, les machinistes et les
électriciens ont droit à une part aussi grande que celle des interprètes et
que celle du compositeur. On ne pensait pas qu’il fût possible, après Armide,
de charmer encore nos yeux éblouis. La direction de la Monnaie y a réussi
pourtant. Ç’a été un émerveillement. Le défilé de la marche de Racocksy,
le tableau bachique de la Cave d’Auerbach, la scène des Elfes surtout sont
autant de petits chefs-d’œuvre qui suffiraient, même sans la musique de
Berlioz, à captiver la foule la plus indifférente. Mais il y a aussi la
musique de Berlioz, qui a été l’objet des soins les plus attentifs et les
plus intelligents. L’œuvre était presque inconnue aux Bruxellois de la jeune
génération. La dernière exécution aux Concerts populaires date de
1894 ; la première avait eu lieu en 1879, par la Société de musique. La
version nouvelle de M. Gunsbourg a été dégagée de quelques maladresses un
peu irrespectueuses qui l’alourdissaient, et c’est avec une vénération et
une fidélité scrupuleuses que MM. Kufferath et Guidé ont procédé à l’adaptation
scénique de cette partition si pittoresque et si originale. L’orchestre et
les chœurs ont été admirables de souplesse, de nuances et de fini. Quant aux
rôles principaux, une double distribution assure la marche régulière du
spectacle et corse l’intérêt de l’interprétation, qui est confiée à MM.
Lafitte et Dalmorès (Faust), MM. Albers et Decléry (Méphistophélès) et Mmes
Aida et Lafitte (Marguerite) ; tous ont droit à des éloges. Et en voilà,
sans doute, pour de longues soirées. […]
Le Ménestrel 5/1/1907, p. 5: De notre
correspondant de Belgique (2 janvier):
Fidèle à sa promesse, la direction de la Monnaie a donné, à jour fixe, et de
la façon qu’elle avait dite, les Troyens de Berlioz. Nous avons eu d’abord
la Prise de Troie et, le lendemain, les Troyens à Carthage. La
première partie ne prend guère que deux heures de spectacle, et il est
regrettable qu’on n’ait pas pu la faire suivre, dans la même soirée, de la
seconde partie, en procédant, par exemple, comme on avait fait pour le
Crépuscule des dieux, le spectacle commençant à 6 heures, avec une
interruption d’une heure, de 8 à 9, pour le souper, — ce qui est tout à
fait « bayreuthien ». Il faut dire, cependant, que les Troyens à
Carthage sont beaucoup plus longs ; ils prennent, eux, près de quatre
heures de temps, c’eût été un bien gros morceau ! Mais on essayera
tout de même, m’assure-t-on ; il y a des estomacs qui ne reculent devant
rien. Hâtons-nous de déclarer que les Troyens ne sont pas de digestion
difficile, loin de là. On s’étonne même, en écoutant cette œuvre toute
pleine de respect pour les traditions classiques, et qui s’inspire parfois même
si étroitement des maîtres les plus simples, les plus purs, les moins
aventureux, qu’elle ait pu, il y a quarante ans, passer pour révolutionnaire
et susciter contre elle tant de moqueries et tant de colères. Il ne nous
appartient pas, d’ailleurs, de la découvrir encore ; les
représentations de la Prise de Troie à l’Opéra et des Troyens à
Carthage à l’Opéra-Comique, il y a peu d’années, avec Mlle Delna
incarnant successivement Didon et Cassandre, ont rendu justice à tout ce que la
partition de Berlioz contient de noble ambition, d’inspiration expressive et
vraiment élevée, en dépit même d’un poème sans véritable intérêt
scénique, et qui est bien plutôt celui d’un oratorio que d’un drame
lyrique ; on a dit, alors et depuis tout ce qu’il y avait à dire avec
une autorité qui dispense le signataire de ces lignes d’y rien ajouter.
Pourtant, ces représentations n’avaient pas rendu l’œuvre dans son intégralité ;
bien des mutilations la déparaient encore. Cette fois, elle nous est apparue
absolument pure et conforme à ce que le compositeur avait rêvé. Il y a bien,
par-ci par-là, quelques menus détails qui, au dernier moment, ont été
supprimés, telle que l’intervention assez bizarre de Mercure, à la fin du
deuxième acte des Troyens à Carthage, frappant sur son bouclier et
criant : Italie !... Mais ces modifications légères n’ont
rien qui puisse contrarier l’ombre de Berlioz : bien au contraire :
elle y aurait probablement souscrit elle-même. Pour le reste, tout a été
respecté. Et je dois dire que, avec le soin artistique et scrupuleux qu’y ont
apporté MM. Guidé et Kufferath, tout a paru absolument justifié au point de
vue de la pensée du maître et du but qu’il s’était proposé d’atteindre.
Il en est résulté une impression vraiment très forte en beauté ; la
première partie, avec ses beaux chœurs d’une allure si puissante, que
traverse la tragique déploration de Cassandre, est sinon de nature à
enthousiasmer un public banal, du moins assez imposante pour exciter son
admiration: la seconde partie, les Troyens à Carthage, beaucoup plus
favorable à l’effet scénique, et beaucoup plus variée, a été acclamée et
a remporté un très grand succès. Certes, je doute que cette œuvre, dont on
tenterait vainement de séparer les éléments, puisse se maintenir au
répertoire d’une manière durable, comme n’importe quelle œuvre wagnérienne ;
elle manque des éléments essentiels qui font vivre une œuvre dramatique dans
le plus large sens du mot. Il n’en est pas moins vrai qu’elle méritait d’être
réalisée, et qu’il en est même peu qui soient aussi dignes d’être
proposées à la vénération du public. C’est assurément un des efforts les
plus considérables de l’art musical français, un de ceux qui lui font le
plus d’honneur. Il faut louer grandement la direction de la Monnaie de l’avoir
considérée comme telle. L’interprétation, en général, a été remarquable.
Mlle Mazarin, dans la Prise de Troie, a soutenu avec une rare vaillance
le poids très lourd du rôle de Cassandre ; dans les Troyens à
Carthage, Mme Croiza a été une Didon pleine de charme et de
distinction : il faut louer aussi M. Lafitte-Enée, Mlle Bourgeois-Anna,
les chœurs, pleins de mouvement, d’attention, de zèle, l’orchestre de M.
Dupuis, souple et nuancé à souhait, la mise en scène, d’une vérité, d’une
harmonie, d’une intelligence rares, dans un cadre de décors superbes. Grâce
à tout cela, les plus belles pages de l’œuvre, telles que le final du second
acte de la Prise de Troie, avec l’impressionnante marche du cheval (du
cheval qui, par bonheur, ne se montre pas !), la mort des Troyennes et l’incendie
de la ville ; puis, dans les Troyens à Carthage, le délicieux
nocturne qui forme le deuxième acte tout entier, la jolie pantomime de la
« Chasse royale », la mort de Didon, etc., ont été mises en
complète lumière et n’ont laissé personne indifférent. Le résultat, en
somme, a été hautement satisfaisant : et ç’a été pour l’école
française une nouvelle victoire. L.S.
Le Ménestrel 13/4/1907, p. 117: — Après avoir assisté à la représentation de la Damnation de Faust, donnée le 4 avril dernier, par l’ensemble de l’Opéra de Monte-Carlo, à l’Opéra-Royal de Berlin, l’empereur s’est entretenu avec le directeur de la troupe, M. Raoul Gunsbourg, et celui-ci, questionné par un rédacteur du Berliner Tageblatt, a fait part de ses impressions dans les termes suivants : « Oui, l’entretien me parut n’avoir duré qu’une minute, et cependant il s’est prolongé pendant vingt minutes bien comptées. Et voulez-vous savoir ce qui m’a le plus ébahi (verblüfft) ? C’est l’érudition de cet homme-là (en français dans l’original). Combien de thèmes n’a-t-il pas effleurés pendant ce peu de temps, combien de sujets n’a-t-il pas abordés ! Je considère cela comme une énigme, car je ne sais pas comment un homme, dont le champ d’activité est si vaste, peut encore trouver le temps de s’occuper de littérature, de musique, de technique instrumentale et d’interprétation de rôles.... Ce que m’a dit l’empereur ? D’abord, que Berlioz n’est pas un romantique, mais un classique ; que l’on rencontre dans ses œuvres les éléments de tous les effets d’instrumentation moderne que l’on ne fait aujourd’hui que pousser plus loin encore. Ce qui lui a plu surtout dans la Damnation de Faust, c’est la psychologie musicale de la partition, psychologie qui trouve tout particulièrement son expression dans le personnage si dramatiquement présenté de Méphisto et, avec cela, caractérisé si philosophiquement. Il remarqua en passant combien Berlioz s’est pénétré du génie de Goethe. « Je comprends bien, continua votre empereur », — c’est toujours M. Gunsbourg qui parle, — « que les contemporains de Berlioz se soient tenus éloignés de cette musique rude et intransigeante, mais que lui-même en ait été réduit à souffrir directement la détresse et la pauvreté (direkt Not und Elend leiden), je tiens cela pour une toute particulière injustice du sort ». L’empereur a loué en eux, ajoute encore M. Gunsbourg, parlant spécialement des artistes de sa troupe, « la sobriété du jeu et des gestes (en français dans l’original), la simplicité dans les attitudes et dans la diction et le beau mouvement scénique ».
Le Ménestrel 3/4/1909, p. 109: — Le dernier ouvrage de Berlioz, Béatrice et Bénédict, qui fut joué pour la première fois au théâtre de Bade le 9 août 1862, et à Paris, dans la salle de l’Odéon, le 5 juin 1890, a été représenté fréquemment en Allemagne depuis une vingtaine d’années. Le livret, composé par Berlioz lui-même d’après la comédie de Shakespeare, Beaucoup de bruit pour rien, a paru susceptible d’amélioration, et M. Joseph Stransky, chef d’orchestre à l’Opéra de Hambourg, assisté d’un littérateur berlinois, M. Wilhelm Kleefeld, s’occupe en ce moment de remanier le charmant opéra-comique. Espérons qu’ils accompliront leur tâche avec le même respect que Berlioz apporta à la sienne lorsqu’il fut chargé, en 1841, de diriger les études du Freischütz de Weber, lors de sa mise en scène à l’Opéra de Paris.
Arthur Pougin, Le Ménestrel 18/6/1910, p. 194-5: La Damnation de Faust, adaptation scénique de M. Raoul Gunsbourg.
Alb. Bertelin, Comœdia illustré 1/7/1910, p. 573-4: A L’OPÉRA « La Damnation de Faust » légende dramatique en quatre parties d’Hector BERLIOZ.
Le Ménestrel 1/4/1911, p. 102: De notre correspondant de Belgique (29 mars). — Je me garderai bien de discuter l’opportunité qu’il y avait à transporter sur la scène l’Enfance du Christ, de Berlioz, que le Théâtre de la Monnaie vient d’offrir au public bruxellois comme spectacle de carême. La même question fut discutée ardemment quand M. Gunsbourg eut l’idée de mettre en pièce la Damnation de Faust. Berlioz n’étant plus là, il était difficile de lui demander son avis. On s’en est passé ; c’est ce qu’il y avait de mieux à faire ; et comme il n’a pas protesté, on a pu croire que, du haut du ciel, il était satisfait. Le succès, d’ailleurs, excuse tout ; c’est ce qui arriva en cette occasion. Il en sera de même cette fois, probablement, avec l’Enfance du Christ. L’œuvre n’a rien de dramatique ; elle ne saurait invoquer les raisons qui déterminèrent, par exemple, M. Massenet à laisser exécuter au théâtre sa Marie-Magdeleine ; mais en la mettant à la scène, on a eu le bon goût de lui conserver son caractère ; on s’est borné à l’envelopper de couleur et de mouvement, à en faire une sorte de « mystère » du moyen âge, où les yeux fussent émus autant que les oreilles. Ainsi traduite, l’Enfance du Christ nous apparaît comme une suite de tableaux vivants et parlants, qu’une réalisation soigneuse s’efforce, non sans bonheur, de rendre édifiants, et où un souci constant de l’art s’allie au respect le plus religieux. On ne pouvait moins attendre des sentiments tout à la fois pieux et artistiques de MM. Guidé et Kufferath. Nous mentirions si nous disions que le public profane a trouvé à ce spectacle un très grand plaisir ; mais la partition de Berlioz est d’une si sereine beauté, d’une forme si harmonieuse et d’une naïveté si sincère qu’elle a ravi tous les musiciens. L’admirable tableau de la « fuite en Egypte », et surtout la dernière partie, ont produit une impression charmante. L’interprétation, confiée à Mlle Demeltier (la Vierge), MM. Dua (le récitant), Billot (Hérode), La Taste (Joseph), Weldon (le charpentier), etc., a été très satisfaisante, et la mise en scène — décors, costumes, et lumières — ne laisse rien à désirer. La Monnaie donne l’Enfance du Christ avec le Feu de la Saint-Jean, dans le même spectacle. Le contraste est piquant. Je doute pourtant qu’il satisfasse tout ensemble les âmes bien pensantes et les mécréants.
Le Ménestrel 14/12/1912, p. 398: — Sous la présidence d’honneur du ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, la Société nationale de la fondation Berlioz organise pour dimanche prochain sa cinquième commémoration annuelle à l’occasion de l’anniversaire du génial auteur de la Damnation de Faust. La cérémonie aura lieu, à la « Maison de Berlioz », 22, rue du Mont-Cenis, où le maître composa, de 1834 à 1837, Harold en Italie et Benvenuto Cellini ainsi que le rappelle le marbre apposé en 1908 par la fondation. Mais ce qui donnera à cette célébration un caractère exceptionnel, c’est que la maison de Berlioz, condamnée par les alignements de la butte Montmartre, écartée du classement par la commission des monuments historiques, sera peut-être incessamment démolie. Ayant renouvelé son appel auprès des pouvoirs publics, la fondation Berlioz a également saisi de la question MM. Maurice Faure et J. Paul Boncour, anciens ministres, Louis Buyat, ancien rapporteur du budget des beaux-arts, et les élus du dix-huitième arrondissement. Aussi, la fondation compte-t-elle sur la manifestation du 15 décembre pour associer la presse et l’opinion à ses efforts, afin d’obtenir de la ville et des beaux-arts que la décision soit rapportée, selon le précédent créé dans un cas identique en faveur de la maison de Balzac. Ajoutons enfin qu’à la demande de la fondation Berlioz, « l’Association Lamoureux » exécutera Harold en Italie, le 8 décembre, et qu’une éclatante reprise de Benvenuto Cellini inaugurera, en mars prochain, le nouveau théâtre des Champs-Elysées. D’autres concerts commémoratifs seront donnés dans le courant du mois par les grandes sociétés musicales de province et de l’étranger.
Le Ménestrel 8/2/1913, p. 48: — Berlioz à l’Opéra. — Si les Troyens, du grand musicien romantique, n’ont encore été montés qu’en partie à l’Opéra, du moins le manuscrit du livret, avant toute coupure, vient d’entrer à la bibliothèque. On ne peut que féliciter M. Banès d’avoir sauvé ce précieux autographe. — Berlioz l’avait dédié à Rosine Stoltz, « l’aiglonne du chant dramatique ». Il espérait, en effet, qu’elle serait la Didon des Troyens.
Le Ménestrel 15/3/1913, p. 87:
— Au théâtre des Champs-Elysées. M. Gabriel Astruc retient les dates
suivantes pour les galas d’inauguration du théâtre des
Champs-Elysées :
Lundi soir, 31 mars : Répétition générale de Benvenuto Cellini,
d’Hector Berlioz.
Mardi soir, 1er avril : répétition générale du Freischütz, de
Weber (traduction G. Servières).
Mercredi soir, 2 avril : concert inaugural consacré à la musique
française, avec le concours de MM. G. Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Vincent d’Indy,
Claude Debussy, Paul Dukas qui conduiront leurs œuvres et de M. D.-E.
Inghelbrecht.
Jeudi 3, première représentation de Benvenuto Cellini, pour l’ouverture
du grand abonnement, et débuts d’Anna Pavlova dans le Cygne de Saint-Saëns.
Vendredi 4, première du Freischütz.
Dimanche 6 avril, première soirée du Festival Beethoven.
Les 31 mars, 1er, 3, 4 et 6 avril, M. Félix Weingartner dirigera l’orchestre.
Arthur Pougin, Le Ménestrel 5/4/1913, p. 106-8 (compte-rendu de Benvenuto Cellini au Théâtre des Champs-Élysées)
Le Ménestrel 20/9/1913, p. 303: — Le petit théâtre du Kursaal de Bade où, il y a un peu plus d’un demi-siècle, Béatrice et Bénédict, l’œuvre ravissante de Berlioz, vit pour la première fois la lumière de la rampe, sous la direction du maître lui-même au pupitre du chef d’orchestre, vient de subir une rénovation complète, sauf en ce qui concerne le rideau de la scène, demeuré le même qu’à l’époque où M. Bénazet réussit à faire un centre d’attraction exceptionnel de la jolie ville d’eaux de la Forêt-Noire. […] L’opéra de Béatrice et Bénédict, un peu trop dédaigné en France, surtout depuis que M. Lamoureux, en en dirigeant quelques représentations à l’Odéon, ne réussit qu’à en souligner les côtés faibles et à en dépoétiser l’ensemble, est souvent joué en Allemagne. En France, il n’eut jamais d’autres représentations que celles dont nous venons de parler ; il fait partie des œuvres qu’un wagnérisme idolâtre et brutal a tuées sans rémission. A l’époque de l’unique représentation de Lohengrin à l’Eden-Théâtre, les partisans de Wagner, voulant à tout prix ouvrir la voie à l’objet de leur culte aveugle, ont sacrifié trop facilement bien des œuvres françaises qui auraient mérité un autre sort. Béatrice et Bénédict fut une de celles-là et les Troyens une autre. Avant de songer à imposer Wagner, il eût fallu sauver de l’oubli ces deux œuvres. Avec le quart de l’argent que l’on a dépensé pour Lohengrin, on aurait facilement atteint ce but.
Sauf indication contraire, toutes les images sur cette page ont été saisies à partir de programmes de concerts et de journaux dans notre collection. Tous droits de reproduction réservés.
Le dessin ci-dessus, publié d’abord dans Le Figaro du 12 juin 1910, montre les chanteurs Renaud et Mlle Grandjean dans les rôles de Méphistophélès et Marguerite. L’image reproduite ici vient de la Bibliothèque Nationale de France.
Les deux images ci-dessus viennent de la Bibliothèque Nationale de France.
Sur Raoul Gunsbourg voir ci-dessus.
L’image montre le ténor russe Altchevsky dans le rôle de Raoul dans Les Huguenots de Meyerbeer.
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Tayeb et Michel Austin le 18 juillet 1997;
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Partisans créée le 15 mars 2012; cette page créée le 1er
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