Adolphe Jullien

Site Hector Berlioz

Benvenuto Cellini

Un compte-rendu par

Adolphe Jullien

Journal des Débats, 13 avril 1913, p. 1-2

Journal des Débats

 

Preséntation

    Construit en 1913, le Théâtre des Champs-Élysées fut inauguré avec des représentations de Benvenuto Cellini (le 31 mars) et du Freischütz (le 1er avril) sous la direction de Felix Weingartner. Pour plus de détails voir la page qui reproduit un premier compte-rendu, par Arthur Pougin, de l’exécution de Benvenuto Cellini.

    Cette page présente un deuxième compte-rendu, des deux représentations, par Adolphe Jullien, dont le texte à été transcrit par nous à partir d’un image du Journal des Débats du 13 avril 1913 sur le site internet de la Bibliothèque Nationale de France. — Sur les comptes-rendus des représentations de Benvenuto Cellini en 1838, voir la page Exécutions et articles contemporains.

Note: pour les lettres de Berlioz citées par Jullien on a ajouté entre crochets des renvois au numérotage de la Correspondance Générale, par exemple [CG no. 2404]

FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

du 13 avril 1913
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REVUE MUSICALE
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Théâtre des Champs-Elysées : Benvenuto Cellini, opéra en trois actes de Léon de Wailly et Aug. Barbier, musique d’Hector Berlioz ; Le Freischütz, opéra romantique en trois actes, de Weber  (traduction nouvelle de M. Georges Servières). […]

    Etait-il donc écrit que ce serait toujours de quelque théâtre nouvellement bâti tout près de la Seine que Berlioz devait attendre et obtenir la réputation tardive à laquelle il aspirait comme compositeur de musique dramatique ? En 1859, lorsqu’il frappait à toutes les portes pour faire représentater ses bien-aimés Troyens et qu’il s’était tourné du côté de Carvalho, directeur du Théâtre-Lyrique, alors installé au boulevard du Temple : « Ce serait pour l’année prochaine, écrivait-il à son fils, et dans un nouveau théâtre qu’on construira sur la place du Châtelet, sur le bord de la Seine. Attendons. » [CG no. 2404, 23 septembre 1859] Ce fut effectivement là que se jouèrent les Troyens, mais trois ans plus tard que ne l’espérait Berlioz, après que Carvalho eut abandonné pendant deux ans la direction du Théâtre-Lyrique et ne l’eut reprise que pour inaugurer la salle de la place du Châtelet, où la première nouveauté d’importance qu’il fit représenter fut effectivement la tragédie lyrique des Troyens à Carthage. Et voilà que, aujourd’hui, c’est encore dans une grande et belle salle édifiée d’hier non loin des bord de la Seine que M. Gabriel Astruc, à la fois le fondateur et le directeur de ce nouveau théâtre, offre à l’ombre de Berlioz la réparation que celui-ci attendit en vain durant toute sa vie et qui n’est rien moin que la résurrection de son opéra Benvenuto Cellini, si rapidement expédié sur la scène de notre Académie royale de musique, en 1838.

    Se pouvait-il voir idée plus heureuse que de mettre ainsi ce brillant théâtre sous le patronage de Berlioz, en y représenter le seul de ses ouvrages dramatiques qu’on n’eût pas encore remis en scène chez nous depuis qu’il a passé de vie à trépas, le seul aussi que se soit installé graduellement, d’abord par la hardie initiative de Liszt, ensuite grâce au zèle toujours en éveil d’un Mottl ou d’un Weingartner, sur quantité de scènes d’Allemagne ou d’Autriche ? Cette préférence exclusive s’explique, à mon sens, par ce fait que les amateurs des pays allemands ont trouvé dans Benvenuto, non pas certes un grand opéra comparable à ceux dont ils font leur régal habituel, mais une partition de demi-caractère, presque un opéra comique analogue à tant d’autres éclos en Allemagne ou venus de France, datant pour la plupart de la même époque et auxquels ils se délectent encore alors que nous en faison fi, nous, peut-être un peu trop à la légère. Il ne faut pas oublier, en effet, que Berlioz, à l’origine, n’avait pas prétendu faire autre chose qu’un « opéra comique », qu’il le déclarait « le plus délicieux qu’on pût trouver » dès que Léon Wailly, aidé d’Auguste Barbier, l’eut tiré sur sa demande des Mémoires de Benvenuto Cellini, et que c’est seulement après avoir été éconduits par Crosnier, directeur de l’Opéra-Comique, que les trois collaborateurs se tournèrent du côté de l’Opéra. Voilà donc l’opéra-semi-seria de Berlioz, pour employer le terme exact, qui reparaît aujourd’hui dans le cadre le plus favorable et se rapprochant le plus de la plupart des scènes allemandes où il s’est implanté de longue date : en vérité, on ne saurait rêver réparation plus complète ni mieux préparée que celle organisée par le directeur du Théâtre des Champs-Elysée.

    A l’origine, il y eut comme un mot d’ordre parmi les critiques favorables à Berlioz, — et lui-même ne répugnait pas à l’accepter, sans se déjuger d’une façon formelle après avoir déclaré tout d’abord parfait le poème de ses amis, — un mot d’ordre qui tendait à expliquer par la pauvreté du livret et la façon maladroite dont il était bâti l’échec irrémédiable de Benvenuto Cellini. Cette explication, qui pouvait flatter l’amour-propre de Berlioz et que ses amis répétaient tant et plus dans une excellente intention, ne me paraît guère plausible, car ce livret romanesque, où le comique se mêle au sentimental, sinon au tragique (la mort du spadassin Pompeo ne pouvant toucher personne), ne différait pas sensiblement de tant d’autres que le public de 1840 trouvait fort à son goût ; il répondait complètement, par son animation scénique et la façon dont les personnages étaient présentés, sans oublier le soupirant ridicule, aux préférences bien établies de nos pères. Et la musique, au demeurant, n’aurait pas dû les dérouter davantage, car elle s’adapte à merveille à ce livret de la vieille école et pas un moment, ni par le plan général des scènes, très nettement séparées les unes des autres, ni par la suppression d’ornements du style italien le plus pur, ni par la forme des morceaux, tous établis sur une coupe tout à fait conventionnelle et reliés entre eux par le récitatif le plus simple qui soit, Berlioz n’avait innové le moins du monde et risqué d’offenser le public. Quoi qu’il en pût dire ou penser, — ce qui est très différent, surtout avec lui, — il ne s’était nullement revolté contre les exigences des directeurs auxquels il proposait son opéra, des artistes qui devaient l’interpréter et des auditeurs qui seraient appelés à l’entendre. Aussi bien par le livret que par la musique, Benvenuto Cellini représente encore aujourd’hui le type achevé des ouvrages lyriques tels qu’ils florissaient sur l’une ou l’autre de nos scènes lyriques vers le milieu du siècle dernier.

    En somme, le poème de Barbier et de Wailly, avec un sonnet en guise de préface et des titres inusités en tête de chaque partie : Lundi gras, Mardi gras, Mercredi des Cendres — ce qui en accentue encore la caractère romantique — n’était pas sans présenter, sinon un intérêt bien vif, du moins quelques scène assez dramatiques, et offrait à un musicien du tempérament de Berlioz des tableau brillants et animés à mettre en musique : qu’aurait-il donc pu demander de plus ? Cellini le dissipateur, Cellini le coureur de filles, Cellini, véritable « sacripant de génie », ainsi que Berlioz le qualifie, est, par un contraste bien « Jeune-France », amoureux fou d’une adorable enfant, Teresa, la propre fille du trésorier Balducci qui dispense aux artistes les libéralités du pape Clément VII. Cellini se glisse dans la maison du bonhomme, roucoule avec Teresa, la décide à venir le retrouver sur la place Colone [sic, pour Colonne], au milieu des masques, le lendemain mardi gras, et s’esquive à temps pour n’être pas surpris, mais un autre soupirant, agréé par le père, le sculpteur Fieramosca, très pusillanime, a perçu d’une oreille très nette les conditions et le lieu du rendez-vous convenu entre les deux amoureux. Il se substitute à Cellini, autrement dit se déguise en pénitent blanc, exactement comme Cellini doit l’être, et se fait accompagner du spadassin Pompeo sous la tunique d’un capucin semblable à celui que doit revêtir le jeune Ascanio pour seconder Cellini, de telle façon qu’au moment décisif, au milieu d’une bagarre soulevée par des saltimbanques complices de Cellini, la pauvre Teresa se trouve entre deux pénitents blancs et deux capucins. Les rivaux dégainent et Cellini escofie Pompeo. Il est arrêté, mais tout à coup le canon du fort Saint-Ange retentit, le carnaval est fini, les moccoli s’éteignent, la nuit s’étend, le valeureux Cellini parvient à s’enfuir et c’est encore le malchanceux Fieramosca que son déguisement blanc fait prendre pour le meurtrier de Pompeo ; on l’accable de coups tandis qu’Ascanio, se substiuant à Cellini, entraîne Teresa dans l’atelier du sculpteur. Celui-ci, grâce à son costume, a pu se joindre à un cortège de pénitents blancs et revient de la sorte au logis d’où il fuirait bien vite avec Teresa si le père et le fiancé de la jeune fille ne lui barraient la route. Il va pour les bousculer lorsque paraît le cardinal Salviati (originairement ce devait être Clément VII en personne) qui vient sommer Cellini de tenir la promesse faite au Pape et de fondre enfin son Persée. Le prélat pense surtout à la statue annoncée et se montre beaucoup plus irrité de la paresse du sculpteur que de ses déportements. Aussi devant la belle indignation de celui-ci, qui menace de briser son chef-d’œuvre plutôt que de le laisser terminer par un autre, et sans plus inquiéter de Balducci et de Fieramosca qui réclament justice contre le ravisseur de Teresa, le cardinal rend son arrêt : que Cellini se décide à tenter l’épreuve et qu’il réussisse, alors son crime lui sera pardonné et il épousera celle qu’il a ravie ; s’il échoue, il sera pendu. Ces conditions une fois posées, quel serait le spectateur assez naïf pour concevoir le moindre doute au suject de la réussite de la fonte du Persée, de l’union des deux amoureux et de la déconfiture définitive de Fieramosca ?

    Autant Berlioz, dans ses œuvres de concert, montrait de méprise pour les formes consacrées, les brisait au gré de son caprice et heurtait ainsi de front les goûts routiniers des auditeurs pris en masse, autant, dès qu’il abordait le théâtre, il se montrait respectueux des conventions scéniques, je le répète, et pour la coupe des morceaux et pour le style vocal. Néanmoins il gardait la même spontanéité mélodique, la même indépendance orchestrale, de façon que le plan purement conventionnel des morceaux, le retour régulier des motifs formaient un constraste absolu avec la nouveauté des combinaison rythmiques et harmoniques qui donnent à son instrumentation tant de vie et de couleur. C’est par là seulement que la partition de Benvenuto pouvait surprendre et dérouter les spectateurs de l’Opéra, infiniment plus nombreux et moins musiciens que le public habituel des concerts et qui, ne connaissant Berlioz que de renommée, incapables d’ailleurs d’en juger autrement que sur l’étiquette, le considéraient, même alors qu’il respectait les traditions, comme un révolutionnaire, un barbare en musique, un contempteur de tous les génies, de tous les talents reconnus et consacrés par le succès. C’est par là seulement, par le défaut de clairvoyance absolu chez le public qu’on peut expliquer l’insuccès d’un pareil ouvrage, alors qu’il s’y rencontrait tant de pages propres à conquérir l’auditoire si elles avaient porté une autre signature, et c’est également par là que peut se justifier à nos yeux l’intérêt qu’il y avait à le rejouer aujourd’hui, afin d’y retrouver, principalement du côté de l’orchestre et des chœurs, par l’adresse déjà marquée de l’auteur à concevoir, à réaliser de grandes scènes d’ensemble, le Berlioz que nous connaissons de reste et que nous admirons : celui de Roméo et Juliette et de la Damnation de Faust.

    Dans le fait, tout l’opéra de Benvenuto Cellini repose sur le grand tableau du Carnaval : c’est là, d’un bout à l’autre, une création de premier ordre dont tous les épisodes, gais ou tendres, dramatiques ou burlesques, sont traités avec une richesse, une variété d’instrumentation surprenante et forment un ensemble d’une confusion, d’une fourmillement extraordinaires où les rumeurs croissantes, la bousculade et les cris de la foule ont une réalité saisissante, exception faite peut-être des dernières mesures qui prennent une allure assez vulgaire. Mais, au fait, sous quelle signature ai-je donc déjà lu, il y a quelque vingt-cinq ans, cette opinion aujourd’hui confirmée que cette scène si bourdonnante, si grouillante en musique pouvait donner un lointain avant-goût du charivari nocturne des Maîtres Chanteurs ? Il se trouve encore ailleurs, n’en doutez pas, des pages pleines de noblesse, comme le sextuor qui s’édifie sur la large phrase d’entrée du cardinal, ou d’une belle vigueur, comme le chant des ciseleurs qui jaillit, avant tout autre morceau, du cerveau de l’auteur et couronne dignement l’ouvrage ; il y en a de bien déclamées, comme le récit mesuré que fait Cellini de sa fuite après le meurtre de Pompeo, ou de très légèrement troussées comme le trio, si joliment accompagné, pendant lequel Fieramosca surprend le rendez-vous que se donnent Cellini et Teresa. D’autres, toutes menues, font penser à certaines mélodies un peu pleurardes de Berlioz et en découlent, en effet, comme la lutte mimée d’Arlequin et de Pasquarello, où reparaît au cor anglais une ancienne romance de sa façon, comme certain chant plaintif des ouvriers ciseleurs bâti sur un thème populaire entendu par l’auteur durant son séjour en Italie ; enfin, il ne faut pas méconnaître le joli effet, d’ailleurs très courant en musique, obtenu par la prière que Teresa et Ascanio chantent sur la scène, tandis que se déroule dans la rue le cortège des pénitents dont les lointaines psalmodies arrivent à notre oreille. Assurément, il n’y avait rien, dans tous ces morceaux-là, qui fût le moin du monde anticonventionnel.

    Mais, malgré l’agrément de ces pages plus ou moin originales, à côté d’autres dont la banalité nous chagrine, il faut réserver toute notre admiration pour ce merveilleux orchestre, tour à tour si délicat, si impétueux, si coloré, — « L’orchestre sans paroles est incontestablement le domaine de Berlioz », écrira plus tard Ehlert, — et lui-même, d’instinct, devait bien sentir de quel côté était sa véritable supériorité puisque, non content d’avoir écrit après coup sa superbe ouverture de Benvenuto Cellini, il composait encore, cinq ou six ans plus tard, l’étourdissante ouverture du Carnaval romain, qui prend généralement place, au théâtre, en tête du second acte. Deux admirables préfaces pour un seul ouvrage et deux préfaces qui offrent dans un raccourci lumineux toute la quintessence de l’opéra, voilà quels sont, sans oublier le tourbillonnant tableaux instrumental et choral de la foule masquée sur la place Colonne, les trois sommets d’un ouvrage au sujet duquel Berlioz écrivait fièrement à son ami Humbert Ferrand : « Quand je vous dirai : « Telle partition est douée de toutes les qualités qui donnent la vie aux œuvres d’art » vous pouvez me croire et je suis sûr que vous me croyez. La partition de Benvenuto est dans ce cas. » [CG no. 570, 20 septembre 1838] Et le compositeur Xavier Boisselot, gendre de Lesueur qui avait été le maître de Berlioz, terminait de son côté le compte-rendu de Benvenuto qu’il donnait à la Gazette musicale par cette heureuse prophétie : « La musique de Benvenuto aura, tôt ou tard, un grand et loyal succès, car toujours le public a rendu justice à ce qui est noble et beau. » [16 septembre 1838] Fasse le ciel que cette prédiction se réalise enfin aujourd’hui, au bout de soixante-quatorze ans, par la grâce de M. Astruc, car autrement il y aurait bien des chances pour qu’elle ne se réalisât jamais, du moins dans ce beau pays de France, aux suffrages duquel Berlioz tenait par dessus tout et qu’il se désespérait de ne pas obtenir !

    Après Berlioz, Weber. Après Benvenuto Cellini, le Théâtre des Champs-Elysées inscrivait sur son affiche le Freischütz, c’est-à-dire un des ouvrages qui bouleversèrent le plus Berlioz dès la première heure, et pour lequel il professait une admiration voisine du culte, une si violente admiration qu’il acceptait l’orner de récitatifs de sa façon pour que les portes de l’Opéra pussent s’ouvrir devant un tel chef-d’œuvre. Aujourd’hui, la mode est de réagir le plus possible contre tant de modifications ou d’additions qu’il fut longtemps dans nos habitudes de fair subir à toutes les œuvres littéraires ou musicales qui nous arrivaient de l’étranger, et rien de plus judicieux ni de plus défendable en principe. Aussi le Freischütz qu’on nous offre aujourd’hui est-il, texte et musique, d’une exactitude absolue, avec non plus de courts récits, mais tout le dialogue parlé de Frédéric Kind qui se déroule entre les morceaux de musique et nous paraît bien un peu long, un peu naïf. Les amateurs actuels ont ainsi la faculté d’entendre l’opéra de Weber dans sa forme originale, scrupuleusement respectée par le nouveau traducteur, M. Georges Servières, et nous en profitons aussi, non sans nous rappeler que Carvalho nous avait déjà procuré le même plaisir au Théâtre-Lyrique dans des représentations presque aussi exactes. Comme le proclame, d’ailleurs, M. Servières lui-même dans la préface très nourrie et très instructive qu’il a placée en tête de sa traduction-modèle. J’ajouterai avec lui que ces représentations données en 1866 à la place du Châtelet avec Mmes Carvalho et Daram, MM. Michot et Troy, dans les principaux rôles, atteignirent le chiffre de soixante-treize, ce qui doit lui paraître et me paraît aussi d’assez bon augure pour ce nouveau Freischütz intégral.

    Maintenant ces exécutions, religieusement exactes du Freischütz, qui me le rendent tel qu’il me fut donné l’entendre à Hanovre, ont-elles fait plus dans le passé ou feront-elles plus dans l’avenir pour la gloire de Weber que d’autres représentations moins fidèles et qui déformaient gravement, nous dit-on, la physionomie si charactéristique du chef-d’œuvre ? Je ne demande pas mieux que le croire, mais j’éprouve tout de même un léger doute à cet égard. J’ai, dans ma jeunesse, assisté au Théâtre-Lyrique du boulevard du Temple à la représentation de l’odieux « tripatouillage » de Castil-Blaze, Robin-des-Bois, dont on ne prononce plus le titre qu’avec une sainte horreur, mais qui n’en a pas moins fait en France la popularité de la musique de Weber ; j’ai ensuite entendu je ne sais pas combien de fois, soit le Freischütz avec les récits de Berlioz à l’Opéra, soit celui de la version-Carvalho au Théâtre-Lyrique, et j’avoue en rougissant que cette partition si merveilleusement colorée, d’un fantastique et d’une poésie si intenses, m’a toujours également frappé d’admiration sous quelque forme qu’elle me fût présentée. Il ne m’était certes pas plus difficile de faire abstraction des récits de Berlioz, si tant est qu’ils fussent si déplaisants, que du dialogue de Frédéric Kind, qui est passablement dépourvu d’intérêt et traîne fort en longueur. L’action proprement dite de la pièce étant tout à fait insignifiante et n’ayant nullement besoin d’être éclaircie à nos yeux, ce ne sont là que propos quelconques sur les légendes qui courent le pays, ou la fabrication des balles franches, ou les pronostics de mort qu’on peut tirer de tel ou tel accident de la vie ordinaire, et tous ces bavardages — combien d’autres doivent penser comme moi, qui ne le disent pas ? — gagneraient beaucoup à être écourtés le plus possible. Et la musique même, ce que je crois, ne perdrait rien à être plus ramassée, à ce que ces morceaux fussent plus rapprochés les uns des autres, à ce qu’elle fît mieux balle, pour employer une expression dont on ne contestera pas l’à-propos.

    Ces manifestations en l’honneur de Berlioz et de Weber ont été préparées avec un soin pieux par la direction du Théâtre des Champs-Elysées (en suivant pour Benvenuto la troisième version, celle établie à Weimar en 1856) et j’aurai tout dit d’un mot en disant que c’était M. Félix Weingartner, un des chefs d’orchestre qui ont fait le plus en Allemagne pour la gloire de Berlioz, qui dirigeait magistralement ces deux représentations, en ajoutant que c’est M. Ernest Van Dyck, l’excellent ténor wagnérian, qui avait accepté de mettre en scène ces ouvrages selon les meilleures traditions établies en Allemagne. Ils avaient d’ailleurs affaire à des troupes instrumentales et chorales bien recrutées, bien préparées par MM. Inghelbrecht et F. Lamy, et dont la sûreté a brillé aussi bien dans les ensembles si mouvementés, si travaillés de Benvenuto Cellini que dans le chœurs d’une si belle sonorité du Freischütz. Les solistes, d’autre part, ne nous ont guère moins satisfaits : des deux ténors, M. Lapelletrie (Benvenuto) a certainement plus de voix et sait mieux chanter que M. Sens (Max), mais celui-ci n’est nullement à dédaigner ; Mlle Vorska est également charmante dans la Teresa de Berlioz et l’Annette de Weber, tandis que Mlle Rose Féart fait apprécier un organe encore solide, avec un réelle science du chant, dans Agathe et que Mlle Judith Lassalle n’est nullement inférieure au rôle très sensiblement raccourci d’Ascanio. La basse, M. Balancard, par malheur, manque un peu trop de grave dans le rôle du Cardinal et ne prête pas suffisamment d’éclat ni de mordant au personnage diabolique de Kaspar ; M. Georges Petit se montre assez amusant, soit dans les couplets de Kilian, soit dans l’air plus important de Fieramosca et M. Dangês a souvent à l’Opéra d’autres rôles plus avantageux pour lui que celui du trésorier Balducci. Il n’importe, et quel que soit le degré de leur mérite, applaudissons également tous ces chanteurs — en faveur de Weber et de Berlioz.

[…]

Adolphe Jullien

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée le 1er novembre 2013.

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