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BORDEAUX

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Le concert à Bordeaux
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Présentation

    Au fil des ans Berlioz reçut plusieurs invitations de Bordeaux pour y faire entendre sa musique, mais en l’occurrence ce n’est que tard dans sa carrière, en 1859, qu’il fit enfin le voyage pour y donner un concert. Concert couronné de succès, mais qui n’eut pas de suite. Cette page présente les données connues concernant les rapports que Berlioz eut avec Bordeaux, dont la plupart sont fournies par sa correspondance.

    Bordeaux n’est mentionné nulle part dans les Mémoires du compositeur, sauf pour une allusion passagère à son vin. Mais le nom de Bordeaux figure à plusieurs reprises dans les feuilletons de Berlioz pour le Journal des Débats, qui montrent qu’il se tenait au courant des activités musicales dans cette ville. La première allusion connue n’est pas flatteuse; vers la fin d’un feuilleton de 1835 Berlioz écrit:

Beethoven, l’année dernière, a été sifflé à Bordeaux. Il est vrai qu’aux bords de la Garonne, quand on va au spectacle, on rit, l’on jase et l’on raisonne, et l’on s’amuse un moment ; une exécution, même parfaite, ne pouvait donc faire paraître aux Gascons fort amusante la symphonie héroïque.

    Presque 20 ans plus tard, un feuilleton de 1854 donne une impression beaucoup plus favorable:

Le congrès musical de Bordeaux, dirigé et organisé avec la plus rare intelligence et un chaleureux dévouement par M. Mézerai, a fait grande sensation. La magnificence exceptionnelle de cette fête prouve à la fois et l’intérêt que prennent aux belles manifestations de l’art la population de Bordeaux et les ressources musicales que cette ville possède. Cela fait bien augurer de l’avenir de la musique dans le midi de la France, qui jusqu’à présent s’était un peu laissé distancer par les villes du Nord [Ici Berlioz pense sans doute particulièrement à Lille].

    Le chef d’orchestre en question était Costard de Mézeray (1810-1887), qui était aussi compositeur et chanteur. En 1843 il fonde à Bordeaux la Société Sainte-Cécile, et la même année est nommé chef d’orchestre au Grand-Théâtre de Bordeaux (Critique Musicale tome 8, p. 380 n. 50). Berlioz aura des rapports avec lui au cours de son voyage à Bordeaux en 1859 (voir ci-dessous), mais avant cela il a une autre occasion de faire son éloge, dans un feuilleton de 1858:

Maintenant quelques mots sur les provinces de France. On vient de mettre en scène Fernand Cortez à Bordeaux, avec une pompe et un soin dignes du chef-d’œuvre de Spontini. Les chœurs et l’orchestre, considérablement augmentés, ont fonctionné, dit-on, avec une verve tout exceptionnelle, sous l’habile direction de M. Mézerai.

Le concert à Bordeaux

    C’est semble-t-il en 1842 que Berlioz a pour la première fois l’idée de se rendre à Bordeaux pour y donner un concert, mais c’est en réponse à une invitation de la ville et non de sa propre initiative. Dans une lettre datée du 5 février il écrit à sa sœur Nancy (Correspondance Générale no. 765, ci-après CG tout court):

[…] On me demande de Bordeaux pour y organiser et diriger un Festival au mois de septembre, on construira une salle exprès, il y aura six cents exécutants, la ville donnera trente mille francs, je n’ai reçu encore qu’une communication officieuse, j’attends la lettre officielle. Probablement cela s’arrangera, alors en avant le Lacrymosa, et le grand tremblement du Requiem, et le final de Roméo et Juliette! avec quatre cents voix on peut dire convenablement ces chansons-là. […]

    Aucune autre information par la suite sur ce projet – il existe peu de lettres de Berlioz pour cette période – et Berlioz avait d’autres projets musicaux plus importants en tête à cette époque. En septembre il prend le chemin de Bruxelles en compagnie de Marie Recio pour préparer son premier grand voyage en Allemagne qu’il méditait depuis longtemps.

    Trois ans plus tard Berlioz envisage une visite plus étendue à Bordeaux, et fait part de son projet le même jour (6 juin 1845) dans deux lettres séparées à chacune de ses sœurs. Ici aussi le projet est en réponse à une invitation de Bordeaux (on ne sait de qui exactement elle émanait), et on remarquera les doutes que Berlioz émet sur les capacités musicales des orchestres de province; visiblement il n’était pas encore revenu des préventions qu’il exprimait dans son feuilleton de 1835. À Adèle il écrit (CG no. 969; cf. 968 plus brièvement à Nancy):

[…] Je vais aller donner des concerts à Bordeaux en attendant mieux, on me fait espérer quelque bon résultat de la curiosité des méridionaux. J’ai une peur atroce de leurs orchestres, et avec la chaleur qu’il fait des sueurs et des suées qu’ils vont me causer. La mauvaise musique m’est de plus en plus insupportable. Je ne serai qu’un mois absent tout au plus. […]

    Dans les deux lettres Berlioz omet curieusement de dire qu’il a déjà accepté une offre de se rendre à Marseille en juin, étape qui sera suivie d’une visite à Lyon en juillet, et qui fournira à Berlioz l’occasion de revoir son père à La Côte-Saint-André. En l’occurrence le projet bordelais est remis à après le voyage en août à Bonn pour participer aux célébrations en l’honneur de Beethoven, mais entretemps Berlioz continue ses préparatifs. Son ami George Hainl, chef d’orchestre à Lyon, écrit à Bordeaux pour son compte mais au début d’août est toujours sans réponse (CG nos. 987 et 989). Sur l’avis de deux amis Berlioz s’adresse alors directement à un marchand de musique à Bordeaux (CG no. 989, 7 août [texte complet dans le tome VIII]):

[…] Je pars aujourd’hui pour Bonn où je resterai jusqu’au 18. Mon intention étant de partir ensuite pour Bordeaux où je voudrais donner un concert; je viens vous prier de vouloir bien m’en faciliter les moyens en faisant annoncer mon arrivée pour le 24 ou le 25; et en demandant au directeur du théâtre ou à celui qui le représente s’il veut accepter les conditions que m’ont faites dernièrement encore, les directeurs de Marseille et de Lyon. Savoir: le partage de la recette après prélèvement de 300 fr de frais pour le théâtre et le partage des frais extraordinaires tels que musiciens supplémentaires, affiches et programmes. Il me fournirait gratis le concours de son orchestre et de ses chœurs; j’apporterais toute la musique et je dirigerais les études et l’exécution. Les prix devraient être un peu augmentés.
Veuillez, Monsieur, si vos occupations le permettent, arranger cette affaire avec l’administration […]. M. George Hainl a écrit de Lyon pour cela au chef d’orchestre du théâtre et n’en ayant reçu aucune réponse, je me vois obligé de commettre l’indiscrétion de vous demander ce service. […]

    Tout comme en 1842 le projet n’aura pas de suite, et Berlioz a d’autres projets plus pressants: à l’automne de 1845 et après son retour de Bonne, il entreprend la composition d’une de ses plus grandes partitions, la Damnation de Faust, et vers la fin d’octobre il est en route pour Vienne au départ de son deuxième grand voyage en Allemagne.

    En 1852 Berlioz reçoit une autre proposition d’aller donner des concert à Bordeaux fin février, mais de nouveau le projet n’aura pas de suite (brève mention dans CG nos. 1444 [4 février] et 1454 [22 février], toutes deux à Liszt). Berlioz va d’ailleurs bientôt quitter Paris pour aller donner une grande série de six concerts à Londres entre mars et juin. En 1856 encore un autre projet de voyage à Bordeaux échoue (brève allusion dans CG no. 2130 [23 mai]).

    Ce n’est que quelques années plus tard, en 1859, que Berlioz reçoit encore une invitation de Bordeaux qui cette fois sera suivie d’effet malgré ses réticences au départ: entre autres préoccupations sa santé est mauvaise et il s’évertue à faire monter à Paris l’opéra Les Troyens, sans doute sa plus grande œuvre. Le 13 avril il écrit à sa sœur Adèle (CG no. 2366; voir aussi les nos. 2364, 2368):

[…] Au commencement de juin je partirai pour Bordeaux; je me suis encore décidé à accepter un engagement pour aller y diriger un concert; toujours pour des raisons d’argent; car cela m’assomme.
À Bade c’est différent, j’y fais du grand art…… […]

    La France n’est pas en mesure de fournir les conditions idéales offertes par Édouard Bénazet à Bade – la possibilité d’organiser un concert chaque été où Berlioz est le maître absolu. Le concert à Bordeaux résulte d’une invitation par la Société de Sainte Cécile dont il a été question ci-dessus; il s’agit d’un concert de bienfaisance où Berlioz participera en dirigeant des extraits de ses propres œuvres – les deuxième et troisième mouvements de Roméo et Juliette, la Fuite en Égypte (deuxième partie de l’Enfance du Christ), et l’ouverture du Carnaval romain (CG no. 2368) – mais d’autres œuvres figureront au programme, sous la direction de Costard de Mézeray, le chef d’orchestre de la Société, sur lequel Berlioz avait formé une excellente impression selon ses feuilletons de 1854 et 1858 (mais ses lettres restent muettes sur la partie du concert qu’il ne dirige pas). Une lettre datant du début mai et adressée sans doute à Mézeray (selon CG) traite de l’envoi de parties d’orchestre pour la Fuite en Égypte et fait des recommendations pour les répétitions qui auront lieu avant l’arrivée de Berlioz (CG no. 2372):

[…] Vous allez, je pense, commencer vos répétitions d’orchestre. À ce sujet je vous recommande de choisir avec soin de bons musiciens pour les parties d’instruments à percussion; sans cela, nous mettrons tout en désarroi par les fautes de rythme que ne manquent jamais de faire les joueurs de cymbales, de g[rosse] caisse, de tambour de basque, etc. Puis les mauvais musiciens jouent à tour de bras, et ne savent faire qu’un bruit souvent ridicule.
C’est très dangereux. […]

    Une lettre de Berlioz à un destinataire inconnu datant du 19 mai fait une demande de permis de chemin de fer pour le voyage à Bordeaux, en alléguant ‘les conditions extrêmement modiques’ offertes par la Société (CG no. 2373). Berlioz quitte Paris le 5 juin (CG no. 2371) et séjourne à Bordeaux pendant huit jours (CG nos. 2368, 2378). Le concert a lieu au théâtre le 8 juin, ce qui suppose que Berlioz ne disposera que de peu de temps pour répéter avant le concert. L’orchestre compte 110 musiciens et le chœur 140 (CG no. 2377). Le lendemain du concert on offre un banquet en l’honneur de Berlioz. Berlioz est de retour à Paris le 12 juin (CG nos. 2377-8). Aucune lettre ne subsiste datant du séjour à Bordeaux, mais à son retour Berlioz ne tarde pas à faire part de sa visite à sa famille et à ses amis. Le 12 juin il écrit à sa sœur Adèle (CG no. 2378; cf. 2377 plus brièvement à Auguste Morel):

J’arrive de Bordeaux. Grande et belle exécution au théâtre; succès pyramidal, couronnes, palmes offertes par l’orchestre, devant un public immense, banquets, applaudissements, rappels, enfin tout ce qu’on peut faire pour fêter un artiste. Ce festival ne m’a pris que huit jours et au moins m’a-t-il rapporté mille francs. Mais je reviens inquiet de n’avoir pas encore de nouvelles de Louis…. Il devrait être arrivé… je n’y comprends rien.
Je suis toujours malade, mais l’air du midi semble m’avoir fait quelque bien; peut-être aussi la cordialité de ce beau public bordelais et celle des artistes y sont-elles pour beaucoup. […]
Comment prends tu les émotions de la guerre? Cela m’agite, me trouble, m’exalte au dernier point. Cette pauvre Mme Espinasse, ma voisine de la rue de Calais, était encore ma voisine à Bordeaux quand le préfet est venu lui annoncer la mort de son mari…… c’est terrible. […]

    La guerre dont il est question est celle qui venait d’éclater entre la France et l’Autriche, guerre qui pendant quelque temps menaçera d’entraîner l’annulation du festival d’été de Bade (cf. CG nos. 2379, 2380, 2383-4, 2386).

    Quelques semaines plus tard Berlioz écrit à son beau-frère Camille Pal (CG no. 2381, 3 juillet):

[…] Je suis toujours assez mal portant. Néanmoins un voyage que je viens de faire à Bordeaux semble m’avoir tant soit peu ranimé. On m’avait engagé pour diriger quelques-uns de mes ouvrages dans un Festival; tout a marché à merveille, le splendide théâtre était plein comble. On m’a applaudi, rappelé, on m’a donné une palme, or et feuillages, un banquet, enfin on m’a fêté de toutes les manières, et l’exécution a été fort belle. […]

    Berlioz ne retournera jamais à Bordeaux par la suite, et le concert du 8 juin 1859 restera donc le seul donné par lui dans cette ville. Mais un feuilleton de 1862 témoigne de l’impression très favorable faite sur lui par sa visite:

Mme Rosa Escudier-Kastner, la célèbre et charmante pianiste […] vient de faire un voyage musical à Bordeaux, dont le public si chaleureux et si connaisseur conservera longtemps le souvenir.

    On aimerait croire que le public bordelais avait conservé un souvenir semblable du concert de Berlioz en 1859.

Illustrations

    Toutes les images ci-dessous ont été reproduites d’après des cartes postales dans notre collection datant du début du 20ème siècle. © Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

Le Grand Théâtre de Bordeaux
Le Grand Théâtre de Bordeaux

(Image plus grande)

Le Grand Théâtre de Bordeaux
Le Grand Théâtre de Bordeaux

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    Le Grand Théâtre de Bordeaux, œuvre de l’archictecte Victor Louis (1731-1800), fut inauguré le 17 avril 1780. C’est la plus ancienne salle d’opéra à charpente de bois a avoir échappé à l’incendie et à ne pas avoir nécessité de reconstruction. L’intérieur cependant a été restauré à ses couleurs originales en 1991. De nos jours le théâtre abrite l’Opéra National de Bordeaux.

Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997;
Page Berlioz à Bordeaux créée le 11 décembre 2006. Révisée et augmentée le 1er juillet 2023.

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