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Lettres de la famille du compositeur

Divers

(Textes corrigés, en ordre chronologique)

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La transcription littérale des lettres de divers correspondants se trouve sur une page séparée

R96.863.2 Mardi 21 mai 1839 Louise Boutaud à Adèle Suat Transcription littérale Image

La famille Veyron, établie à Pointières au dessus de La Côte, était amie des Berlioz. En 1832 Louise Veyron épousa Louis Boutaud et alla s’installer à Tournon (voir 2011.02.122); ils eurent deux enfants, Raoul et Marthe. Tous ces noms figurent fréquemment dans la correspondance de la famille Berlioz. — Sur le mariage d’Adèle avec Marc Suat le 2 avril 1839 voir R96.861.1.

Tournon le 21 mai

    Vivent à jamais les maris qui savent, comme les nôtres, ma chère Adèle, aimer tendrement leurs femmes, les apprécier et leur procurer d’agréables surprises !... Le cœur m’a battu bien fort pour vous, quand j’ai appris votre départ pour Paris, et j’en ai aussi remercié mille fois Monsieur Suat. Vous allez donc revoir un frère chéri ! cette bonne belle-sœur, que vous ne connaissez pas encore, et ce beau petit Louis ! Que je comprends bien votre bonheur, chère amie, et que je le partage vivement, et puis ce beau Paris que vous saurez si bien admirer. Je suis sûre que de ce petit mois vous tirerez un parti étonnant, prodigieux ; résignez-vous d’avance à vous abîmer de fatigue ; mieux vaut se tuer (l’on ressucite plus tard) que d’emporter le regret de laisser encore quelque chose à admirer. Paris est aussi curieux, je trouve, pour les célébrités qu’il renferme que pour les monuments qui l’embellissent. Votre frère peut vous faire connaître tant d’hommes distingués.. Vous êtes heureuse de toutes manières, je le vois avec une douce joie. Nous le voyons, ma chère Adèle, il ne faut jamais désespérer de l’avenir, ni du bonheur, alors même qu’on n’y croit le moins ...
    Nous sommes arrivés ici depuis quinze jours. Notre voyage a été agréable et heureux. Si je ne connaissais que votre imagination et non votre âme, je me garderais bien, folle que vous êtes, de vous conter les nouveaux ennuis que j’ai éprouvés à mon arrivée. Mais je suis sûre de trouver ma sympathie au milieu même de tous vos entrains de départ. — Mon mari avait complètement oublié sa gastrite en voyage, et en fait il n’avait pas de motifs pour s’en souvenir, en sorte qu’il la traitait sans aucun ménagements ; mais la maudite s’en est bien vengée, à notre arrivée ici elle a reparu plus méchante que jamais. Mon pauvre Louis sort seulement depuis deux jours en voiture. Il est mieux, et nous nous promettons d’être bien sévères à l’avenir. Sans cette nouvelle maladie j’aurais bien eu depuis longtemps, ma chère, le plaisir de vous écrire. Mon dieu qu’il me tarde de vous voir avec votre nouveau titre de Madame.
    Je suis bien impatiente aussi de faire la connaissance de votre mari. Le mois de septembre nous réunira tous, je l’espère, ne manquez pas au rendez-vous, au moins je ne compte cette année ne rester à Pointières que jusqu’aux premiers jours d’octobre. Il faut bien que nous puissions passer un mois ensemble. — Je ne puis vous donner precisément l’adresse de ma tante Adélaïde. Elle ne nous a point écrit depuis qu’elle est arrivée à Paris, et en vérité nous aurions été un peu inquiètes sur le compte de nos parents, ces jours passés, si nous ne les savions tous d’une humeur énormément pacifique. Je sais cependant, q[u’elle] avait le projet d’aller loger dans l’hôtel dont votre oncle lui avait parlé, rue des filles St. Thomas. Au reste, si votre mari veut prendre la peine d’aller la demander chez M. Cornuault rue Coq-héron No. 3 (bis), il saura cela positivement.
    J’écrirai bientôt à Nancy. Je compte sur elle pour me donner de vos nouvelles et vous, écrivez-moi longuement à votre retour. Adieu, ma chère Adèle, ma mère veut que je lui laisse quelques lignes. Adieu je vous embrasse de toute mon âme Louise
    Raoul se porte à merveille, il envoie un baiser à Adèle.

[De la main de la mère de Louise Boutaud, Mme Veyron]

    Je partage, chère amie, ton bonheur, et le plaisir qui t’attend. Je remercie mille fois ton mari de te rendre la vie si heureuse, sa galanterie inépuisable vient de mettre le comble à ta joie, quel plaisir j’aurai à te revoir rajeunie comme tu le dis, j’en suis vraiment impatiente.
    Mme Camille arrive demain, je profiterai du retour de sa voiture, et à mon arrivée à La Côte j’irai bien vite me réjouir avec ton père en parlant de toi ; le pauvre homme doit être si heureux.
    Louise te prie de ne point oublier de les rappeler au souvenir de ton frère et de ta belle-sœur.
    Adieu, à bientôt car à ton retour nous voulons t’embrasser.

R96.861.5 Dimanche 21 juillet 1839 Nancy Clappier à Adèle Suat Transcription littérale Image  

Nancy Clappier était une vieille amie de la famille Berlioz; elle vivait à Uriage près de Grenoble. Le Musée Hector-Berlioz possède 33 lettres d’elle provenant du fonds Reboul et datant de 1816 à 1848, dont 6 sont adressées à Joséphine Berlioz, 26 à sa fille Nancy, et une aux deux ensemble. Cette lettre adressée à Adèle est la seule de la collection Chapot: elle date de 1839, l’année du mariage d’Adèle et de Marc Suat (voir R96.861.1), et c’est sans doute pour cela qu’Adèle a tenu à la conserver avec un ensemble d’autres lettres de cette année.

Uriage 21 juillet [1839]

    Je suis bien facile à convaincre, ma chère Adèle, quand il s’agit de croire que tu m’aimes toujours et que tu ne m’as point oubliée. Outre le plaisir que j’éprouve à retrouver ton amitié je t’ai connue trop bonne, trop dévouée à tes amies pour pouvoir me persuader que tu fusses devenue si differente de toi-même. J’accepte donc toutes tes raisons ; et puis on ne se marie qu’une fois ! Et quand on est au troisième ciel on ne distingue que confusément ce qui est si éloigné. Ceci n’est point une plaisanterie et encore moins une raillerie ; il est juste de faire une exception pour les tours heureux et uniques de la vie.
    Je suis heureuse de ton bonheur, j’espère qu’il sera aussi solide qu’il est doux. J’aurais désiré pouvoir en être le témoin et accepter votre aimable invitation pour laquelle je te prie de faire mes remerciements à Mr Suat ; mais je n’ose plus penser à aucun projet de voyage : à combien peu il a tenu, mon Dieu ! que je fusse absente lorsque nous avons perdu ma tante, et que de reproches j’aurais eu à me faire si mes désirs se fussent accomplis et que la providence n’y eût apporté des obstacles. La santé de ma tante Adélaïde n’est pas assez bonne pour me rassurer. Elle a bien des malaises, je la trouve bien défaite et bien vieillie. Si Dieu lui redonne des forces nous partirons ensemble pour aller voir nos nièces. Voilà tout ce que j’ose espérer et encore …..
    Il est bien décidé par exemple que nous ne passerons pas l’hiver ici. Si nous allons dans le département de la Drôme nous nous arrêterons à Grenoble au retour et nous [nous] y caserons tout de suite pour l’hiver. Celle qui nous rappelait près d’elle est disparue, et peu à peu nos liens se rompent. Ceux qui acceptaient nos soins et nos services nous quittent et quand nous ne sommes plus bons à personne nous languissons quelque temps inutiles et puis nous allons rejoindre nos pères. Mais pourquoi te ramener sur ces tristes pensées qui ne sont pas de ton âge et par lesquelles tu n’as cependant que trop souffert ?
    Je voudrais bien entrevoir le moment où tu viendras faire quelque course à Grenoble et je crains que ta grossesse n’y mette obstacle. Que votre bonheur ne vous fasse pas oublier votre projet de venir vous y fixer lorsqu’il se présentera une occasion favorable. Nancy est là d’ailleurs, entre elle et son mari ils sauront profiter des circonstances. Ce serait ce me semble un véritable adoucissement à la position de ton père si ses deux filles étaient à Grenoble. Ce serait un motif de plus pour y venir, il achèverait de se familiariser avec le séjour et tu pourrais toi-même lui faire de plus fréquentes visites. Cela sera sans doute un jour ; mais je voudrais bien que ce ne fût pas trop renvoyé.
    J’ai été satisfaite d’apprendre qu’Hector était heureux. L’avenir ne peut qu’apporter des améliorations dans son sort. Que vous avez dû avoir de joie et de bonheur à vous revoir ! Hélas tout est si difficile dans ce monde que les réunions si desirées, si naturelles rencontrent mille obstacles. — Je ne suis plus préparée à trouver dans Marie Béranger une grande et raisonnable jeune fille, ce serait par trop précoce : elle n’a pas encore onze ans et je crois que pour peu que ton examen ait duré tu aurais bientôt apprecié son enfantillage. Je suis charmée que Sophie ait pu vous être bonne à quelque chose et je suis bien sûre que sans l’état de souffrance de son mari ils y auraient mis l’un et l’autre plus d’empressement. Ils sont à Lisle dans ce moment ; on a conseillé les bains de rivière à Mr Béranger et il s’est décidé à quitter son Champrousset tout grillé pour venir à Lisle prendre des bains dans la Drôme. Il commençait à s’en bien trouver. Dieu veuille que cela dure et qu’il puisse retrouver une santé si précieuse à toute sa famille.
    Adieu, ma chère Adèle, je te charge de toutes mes amitiés pour ton père et pour la sœur, et je te prie de faire en sorte que lorsque je verrai ton mari la connaissance soit déjà faite à moitié. Prépare-moi les voies. Adieu encore, ton affectionnée et vieille amie

Nancy [Clappier]

R96.866 Dimanche 11 août 1839 Pauline Berthier à Adèle Suat Transcription littérale Image

Le nom de Pauline Berthier ne semble pas figurer dans les autres lettres de la famille Berlioz publiées ici. — Sur le mariage d’Adèle avec Marc Suat le 2 avril 1839 voir R96.861.1.

Grenoble 11 août 1839.

    Je ne sais comment il s’est fait que j’aie attendu de t’écrire jusqu’à ce jour, ma bien chère Adèle, malgré le besoin que je sentais de reprendre le cours de notre correspondance que ton voyage à Paris a interrompu ; ayant de tes nouvelles par Nancy [Pal], je me serais reprochée de te prendre un temps précieux par sa briéveté, pour voir tout ce que Paris renferme de curieux. Le temps que tu as été obligée de passer à te reposer a dû te faire tort ; je craignais que tu n’allasses au delà de tes forces, et ce m’a été un repos d’esprit de te sentir tranquillement chez toi. Tu dois me savoir bon gré d’être contente d’une chose qui m’a imposé une grande privation, car je comptais bien te voir à St Vincent ou ici. Maintenant Dieu sait quand ce sera. Si les circonstances ne nous maîtrisaient pas toujours, je me plairais à faire le projet de te voir chez toi dans le mois de septembre : et voici sur quoi je fonderais mon plan. François doit passer à Lyon le 14 septembre son examen pour l’école forestière, mon père l’accompagnera et si j’osais croire à un projet je ferais celui de les accompagner, et de là d’aller te voir ; mais je ne m’attache pas à cette belle idée parce qu’elle est accompagnée de tant d’obstacles qu’elle ne serait pas exécutable ; c’est le temps où nous partons pour Murianette, la pensée de m’éloigner seulement pour quelques jours pourra-t-elle être comprise de ma mère... enfin mille et mille choses prévues et imprévues qui font que je mets ce beau rêve au rang des châteaux en Espagne et puis chose à laquelle je ne pensais pas et qui me vient seulement à l’esprit, quoiqu’elle soit la plus importante, c’est qu’à cette époque tu seras vraisemblablement chez ton père pour y trouver Nancy ; ainsi c’est une affaire rayée du catalogue des choses possibles, et nous attendrons que tu nous amènes ton poupon auquel je souhaite heureux avènement.
    D’après ce que nous a dit Nancy tu as trouvé la position d’Hector mieux que tu ne t’y attendais. Il est heureux que sa femme soit si bonne et si sage, au moins il est heureux dans son intérieur et c’est l’essentiel. Car rien de peut dédommager de cette privation. Tu sens cela parce que tu possèdes ce bien et que tu sais l’apprécier, mais il n’est pas donné à tout le monde de savoir jouir de sa position et je vois peu de gens qui aient cette sagesse.
    Nous avons Mme Vallet depuis deux jours ; elle vient de faire la remise des fermes qu’elle a vendues et je crois que le cœur lui en saigne, il est certaines gens qui ne voient pas sans peine leur importance tomber en lambeaux, et cela à pure perte car il me semble que [Isidore?] a pris la place du couvent dans l’esprit de Fanny. On n’y a pas travaillé de toute cette année-ci, et je suis persuadée que si cette enfant eût occupé Fanny deux ans plus tôt son imagination n’aurait pas cherché d’autre pâture. Elle s’est affectionnée à elle d’une force qui m’étonne car cette petite n’a rien d’aimable. Le physique se développe beaucoup moins, je crains que l’esprit ne le soit pas. Ces pauvres enfants sont bien malheureux d’avoir perdu leur mère si jeune. Je crois que leur père mange le reste de leur fortune à Paris où il est depuis près d’un an sous prétexte de solliciter une place. Puisque tu as vu Mr Alphonse il a dû t’en parler.
    Nous attendons Nancy qui doit passer quelques jours ici pour la fête ; je pense qu’elle me donnera de tes nouvelles. Le temps me dure de voir Mathilde [Pal], je crains que l’absence ne nuise à sa belle affection ; j’en serais bien fâchée car elle m’amuse beaucoup.
    Depuis que je t’ai écrit je n’ai rien fait qui ait interrompu notablement mon petit train de vie ordinaire. Mes voyages ont été une visite de quelques jours à Jarie il y a un mois, et quatre jours de solitude à Murianette pour faire des confitures. J’espère aller à St Vincent passer un jour auprès de Nancy quand elle y sera retournée. Tu vois que je suis assez stationnaire, mais une vie plus errante me conviendrait peu et je m’accommode à merveille de celle-là.
    Mr Berthier a été très souffrant d’un mal de gorge qui donnait même de l’inquiétude car on parlait d’excroissance de chair ; heureusement les craintes n’ont pas été réalisées, et il est mieux ; à propos de mal de gorge Alexandre est ici avec sa mère, ils arrivent de Champagnai où ils ont passé près d’un mois. Il paraît que ses maux sont suspendus par l’effet de la chaleur mais que le fond de son mal n’est pas guéri ; je lui ai trouvé les yeux moins brillants qu’il ne les avaient cet hiver mais si maigre, si défait qu’on redoute une lésion profonde. La bonne Mélanie s’adresse à tous les saints pour obtenir sa guérison. Je crois que les autres remèdes n’y peuv[en]t pas grand chose. Il compte fuir l’hiver en all[ant] chercher le soleil d’Italie, il est de ces remèdes qui sont pénibles à voir emp[lo]ye[r], quoique son frère doive l’accompagner il me semble qu’il sera bien difficile de lui procurer hors de chez lui tous les soins dont il a besoin. J’ai tant de plaisir à causer avec toi, ma bonne amie, que je vais tant que je trouve de la place sur cette feuille que j’ai prise d’une grandeur démesurée, sans penser que tu dois être lasse de mon bavardage ; mais comme je voudrais toujours de bien longues épîtres de ceux que j’aime j’espère que tu seras du même goût. Il faut cependant que je te fasse mille amitiés pour mon père, ma mère et mes frères ; si tu n’étais pas si loin Victor te ferait hommage de sa Thèse de licence qu’il doit soutenir mercredi prochain, après quoi il sera M. l’avocat.
    Adieu ma chère amie, parle souvent de nous à ton mari afin que ce soit un commencement de connaissance. Nous voudrions bien qu’elle fût plus complète ; nous t’embrassons de tout notre cœur.

ton amie Pauline B.

R96.1007 Mardi 2 juillet 1844 Comité du Mont-Carmel à Marie Recio Transcription littérale Image

Voir le commentaire sur une page séparée.

Mademoiselle

    Permettez-moi de vous adresser, tant en mon nom qu’en celui de mes collègues et des dames patronnesses de l’œuvre du Mont-Carmel, l’expression de notre vive gratitude pour l’appui de votre beau talent au concert qu’a précédé la loterie. Les applaudissements de l’assemblée d’élite qui vous a entendue ont été pour vous un témoignage éclatant de leur admiration. Permettez-nous de vous exprimer la nôtre qui est aussi grande que sera durable le sentiment de reconnaissance qui nous anime.

    Veuillez agréer, Mademoiselle, l’expression des sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être

Votre très dévoué serviteur
Le Président
Cte de Ferney [?]

[d’une autre écriture]

Mais ce que le président du comité du Mont-Carmel n’a pu vous dire et que le g(énéral?) ose se permettre, ce sont les vibrations qu’a éprouvé son âme aux délicieuses harmonies de votre belle voix.

[signature]

[de l’écriture du Président]

Paris le 2 juillet 1844

Votre harmonieuse parole
Parfume l’air autour de vous
Quand de votre âme elle s’envole
Comme une note qui console
Et dont le ciel serait jaloux
     Escudery

Mademoiselle Marie Recio.

R96.868 Juillet 1844 Émile Deschamps à Marie Recio Transcription littérale Image

Voir le commentaire sur une page séparée.

à Mademoiselle Recio

Vous chantez – – et de douces larmes
Avec nous tombent à vos pieds.
Vous parlez – – ce sont mêmes charmes
Et c’est comme si vous chantiez.
Puis, votre voix pure et touchante
Vibre comme un écho du ciel,
On dirait un ange qui chante
Notre Dame du Mont Carmel.

Emile Deschamps

2011.02.385 Samedi 15 août 1848 Louise Boutaud à Nancy Berlioz-Pal Transcription littérale Image

Sur la mort du Dr Louis Berlioz voir aussi la lettre de Nancy Pal à Rosanne Goléty (2011.02.286). — On remarquera que Louise Boutaud tutoie Nancy Pal alors qu’elle dit toujours vous à sa sœur Adèle.

Pointières le 15 août 1848

    J’arrive de Plombières, ma chère Nancy, et c’est seulement à Lyon qu’une lettre de ma nièce m’a appris la douloureuse nouvelle qui vous afflige. Ce triste événement vous était annoncé depuis longtemps, et malgré cela la douleur est toujours aussi poignante. Je sais par moi-même, tout ce que les dernières séparations renferment de cruel ; il n’y a que la ferme espérance de se retrouver dans un meilleur monde qui puisse donner la résignation nécessaire dans un pareil moment. Votre pauvre père a été non seulement regretté par sa famille et ses amis, mais par toutes les personnes qui l’ont connu et ont pu apprécier les qualités de son cœur ; les témoignages de regrets qui lui ont été donnés doivent adoucir l’amertume de votre chagrin. C’est une consolation bien grande pour vous, de voir à quel point il était aimé et estimé dans son pays. Je te répète encore, ma pauvre amie, combien je regrette de ne pas m’être trouvée auprès de vous dans ce cruel moment. Il m’a fallu prolonger mon séjour à Plombières bien au delà du terme que j’avais fixé pour mon retour. Les eaux m’avaient tellement éprouvé qu’il m’a fallu les suspendre, et puis recommencer. J’avais annoncé mon arrivée à ma nièce, en sorte qu’elle a cessé de m’écrire, et je suis restée sans lettres pendant quinze jours, attendu que dans ce malheureux pays il fallait 10 jours pour avoir une réponse à une lettre…. Ma nièce m’a dit que tu étais partie bien fatiguée, bien brisée ; laisse toi soigner, chère amie, et ne te laisse pas aller à ce découragement et à ce dégoût de la vie qui suivent ordinairement une grande douleur. Tu as ta bonne Mathilde qui est pour toi une grande consolation, et pour ne pas trop l’affliger tu es obligée de faire un effort sur toi-même, et de tâcher de vaincre ta douleur ; il en coûte, mais c’est un sacrifice que l’on doit à ceux qui vous entourent, et pour qui l’on vit.
    Vous reviendrez tous un peu plus tard. Ton oncle et ma belle-sœur profiteront de ce moment pour se trouver ici, et j’espère bien que chaque année tu viendras ainsi que ton mari et ta fille, accepter l’affectueuse hospitalité que ma nièce et moi serons si heureuses de vous offrir. J’espère que tu nous places au nombre de ces amis que l’on n’oublie pas, et sur lesquels on peut compter à tout jamais …..
    Mon mari m’a annoncé hier Raoul à demi triomphant, il comptait sur un 1er Prix et il n’a eu que 3 accessit. Mr et Mme Manion [?] n’étaient pas encore arrivés. Votre cousin de Royer, ou plutôt sa fille est venue les chercher à Cette, et ils sont chez elle depuis quelques jours. Cependant ils ont annoncé leur retour pour cette semaine. Ma nièce t’a écrit samedi. Nous attendons de tes nouvelles avec impatience ; quand tu pourras nous écrire quelques lignes, tu sais tout le plaisir que tu nous feras.
    Adieu chère et bonne Nancy, compte à jamais sur une amitié sûre et sur un dévouement inaltérable.

Louise B(outaud)

    Mes compliments bien affectueux à ton mari. J’embrasse Mathilde de tout mon cœur et Raoul se permet encore, pour la dernière fois, d’en faire autant. —
    Mon mari t’adresse ses compliments ainsi qu’à Mr Pal et partage comme moi votre douleur. —

R96.863.4 Entre 1847 et 1855 Louise Boutaud à Adèle Suat Transcription littérale

Tournon 15 juin

    Je suis vivement désappointée, ma chère amie, de recevoir votre lettre au lieu de vous, que je comptais si bien embrasser aujourd’hui. Enfin, ma chère, tâchez de vous débarrasser le plus tôt possible de ces malencontreuses visites, qui choisissent un moment si inopportun.
    Mathilde [Pal] a annoncé hier son arrivée pour jeudi, vous voyez qu’elle vous devance ; ne retardez pas au delà de samedi soir 7 heures ½. Cette fois, c’est sans rémission : voici pourquoi. Mme Léonie Blanchet, qui arrive vendredi à St Vallier, m’a promis de venir passer avec nous la journée du dimanche. Je vous envoie notre programme. Dîner à 4 heures chez Mme Marmion et le soir soirée musicale et sauterie chez votre servante. Vous comprenez, ma chère, quel serait notre désappointement à tous si vous manquiez, Mesdames, à une petite réunion organisée en votre honneur, et à laquelle je suis bien aise de faire participer ma cousine et sa fille, qui seront charmées de vous trouver ici. — Maintenant récapitulons : la chaleur étant atroce vous ne pouvez arriver que par le train du soir. J’écris à Mme Léonie pour qu’elle prenne ainsi le samedi le même train. Une collation vous attendra, tablez là-dessus. Vos appartements seront tous disposés pour vous recevoir et bien d’autres encore. Dans certaines circonstances on apprécie les grandes maisons. Votre mari aura aussi sa chambre ; nous la lui réserverons s’il ne veut venir que le lendemain. Samedi soir nous irons donc vous attendre à la gare. En attendant, adieu chère amie, et puis prenez bien vos arrangements pour rester avec nous le plus longtemps possible. Mon départ pour les eaux n’est pas si prochain que vous le supposez.
    Allons adieu, aimable et ennuyeuse femme à bientôt samedi 7 heures ½

Louise B

2011.02.309 Samedi 3 juin 1854 Monique Nety à Mathilde Pal Transcription littérale Image

Le nom de Monique Nety, fidèle servante de la famille Berlioz pendant une bonne partie de sa vie, figure constamment dans les lettres de la famille Berlioz (il apparaît dès les premières lettres d’Adèle en 1828). Voir par exemple la lettre d’Adèle de juillet 1854 concernant un accident survenu à elle (2011.02.229): ‘j’aime cette pauvre Monique comme un des membres de la famille, et si elle avait péri d’un accident pareil je n’aurais pu m’en consoler’. Sur sa mort en 1857 voir 2011.02.249 et la lettre de Berlioz à sa sœur Adèle du 7 septembre de cette année (CG no. 2245): ‘Je partage sincèrement ton affliction; je regrette et je pleure comme toi cette excellent fille, plus encore pour l’affection et les soins qu’elle prodigua à notre père, que pour ceux dont elle entoura notre enfance.’

La Côte St André le 3 juin 1854

    Ma bonne demoiselle

    Je vous remercie de l’invitation que vous me renouvellez. Je suis fort sensible à vos bons souvenirs ; avant la perte que je viens d’éprouver de ma pauvre sœur c’était ma première pensée d’aller vous voir ; vous comprenez ma position : le chagrin m’a tellement éprouvé que je ne me sens pas [le] courage en ce moment, d’autant plus que la position de mon beau-frère est fort inquiète de son existence. Nous sommes en cherche de lui procurer quelqu’un de brave et fidèle à seul fin de pouvoir vaquer à ses travaux. Le petit de Pauline est toujours un peu mieux ; nous espérons que cela continuera. Vous aurez l’obligeance de remercier Henriette et Marie de l’amitié qu’elle(s) me porte(nt) car je n’en doute pas, elle(s) sont si bonne(s).
    Mon respect à Monsieur votre père.
    Je suis en attendant votre très devouée

Monique Nety

R96.867.1 Samedi 9 février 1856 (?) Anna Banderali à Marie Recio Transcription littérale

Après avoir commencé sa carrière en Italie, le célèbre chanteur Davidde Banderali (12 janvier 1789 – 13 juin 1849) vint s’établir à Paris en 1829 où il fut professeur de chant au Conservatoire pendant vingt ans jusqu’à sa mort. Berlioz le mentionne souvent dans ses feuilletons et toujours avec éloge (‘le maître des maîtres’ dit-il de lui dans le Journal des Débats du 7 janvier 1849). Les dates exactes de naissance et de mort de sa fille Anna Angelina ne semblent pas connues (voir deux portraits d’elle sur une page séparée). Elle semble être née dans les années 1830: elle épouse le compositeur Adrien Barthe le 4 décembre 1858, se produit comme cantatrice dans les années 1860 et 1870 (Berlioz l’entend en 1864 et 1865: CG nos. 2928 et 2991), et enseigne par la suite le chant. Elle est toujours en vie en 1907. Elle fut une amie intime de Marie Recio, son aînée d’une vingtaine d’années, qui l’institua légataire universelle dans son testament autographe daté du 31 juillet 1861, après sa mère, son mari Hector, et Louis le fils de celui-ci (le Musée Hector-Berlioz en possède une photocopie).
Cette lettre et la suivante supposent que Berlioz et Marie Berlioz-Recio sont alors en voyage, ce qui s’accorde avec le contexte de janvier-février 1856 quand ils se rendent à Gotha, puis Weimar. — ‘Maman you you’ est sans doute Mme Martin, la mère de Marie Recio.

Ce samedi 9 février.

Ma chère et tendre Marie

    Maman you you a eu grand plaisir à recevoir ta lettre, et d’autant plus que Mr Bennet ne s’était pas du tout chargé de la commission pour Maman you you et elle ne lui a pas parlé de votre bon voyage. Il paraît du reste qu’elle était un peu fachée que tu sois partie sans la voir ; tu as dû trouver dans ton dernier journal d’hier les numéros de la loterie où Maman you comme d’habitude n’a rien gagné. Dans ta prochaine lettre donne nous des détails sur le concert et dis nous ce que tu en penses. Maman you vient d’avoir une petite angine qui a été très peu de chose, mais qui a été très bien soignée par Mr Laguerre et par elle. (Style Maman you you). Tu n’as pas besoin de t’inquiéter car elle va parfaitement à présent et trotte comme un biche égarée. Mes souliers sont trop grands ; je vais ruiner ma forme pour la prochaine paire que je vais faire.
    Miss et Cocote toutes deux en parfaite santé se joignent à nous pour t’embrasser de tout cœur.

Ton amie folle aux ¾
Anna Banderali

R96.867.2 Jeudi 21 février 1856 (?) Anna Banderali à Marie Recio Transcription littérale Image

Voir la lettre précédente. Amussat, qui dans cette lettre rend visite à ‘Maman you you’ est le célèbre médecin, ami de longue date de Berlioz (Mémoires chapitres 5 et 53): ‘un homme de génie, un des premiers hommes de l’époque, qui a sauvé la vie et épargné des tortures atroces à bien des femmes’ dit Berlioz de lui (CG no. 1546). Berlioz fit souvent appel à ses services (voir CG nos. 960, 1524, 1765, SD 5 et 6 [tome VIII]), notamment pour soigner Marie Recio en 1845 (CG no. 964). Sa mort en 1856 toucha Berlioz profondément (CG nos. 2126, 2130).

Jeudi 21 février.

Ma chère Marie

    Maman you commençait à être inquiète et à trouver le temps long lorsque ta lettre lui est arrivée. Elle a été annoncer la bonne nouvelle à Mme Benete qui a été dans le plus grand des bonheurs en pensant que Tintin [?] jouera à la cour et qu’elle vous remercie d’avance d’avoir contribué à cela. Maman you you te fait dire qu’elle n’a pas pris ni chaud ni froid, qu’elle ne fait pas de nettoyages, et que Marianne a tout fait et qu’elle est très contente d’elle.
    Monsieur Amussat est venu voir Maman you deux fois ; son père est malade.
    Il y a un paquet de lettres pour Mr Berlioz ; Maman you ne l’envoie pas puisque vous allez arriver bientôt.
    Rien de nouveau pour Maman you ; quant à moi je te dis en passant que je vais ce soir aux Italiens pour la première représentation de l’opéra de Botésini.
    Je t’embrasse et Maman you comme tu penses me tient compagnie.
    Mille amitiés à Mr Berlioz.

Tout à toi
Anna Banderali

Je te ferais remarquer que malgré ma folie et mon étourderie je ne date pas mes lettres du mois de mars en plein mois de février.

R96.863.1 Samedi 6 novembre 1858 Louise Boutaud à Adèle Suat Transcription littérale

Voir R96.858.8. — Sur Louise Boutaud voir ci-dessus. — Berlioz publia ses Mémoires d’un musicien dans le Monde Illustré en 1858 et 1859.

Tournon le 6 novembre 1858.

    J’arrive, et j’apprends, ma chère Adèle, que Joséphine est encore un peu souffrante, qu’elle a repris quelques accès de fièvre. Nous pensons que le froid si inattendu et si vif en aura été la cause, et que depuis la lettre de Mr Suat les accidents ne se seront plus renouvelés. Tâchez de nous confirmer cette espérance. Nous attendons une lettre de vous avec une grande impatience. Nous n’avons pas encore fait notre voyage de Lyon, sans cela nous serions certainement allées vous voir, mais nous sommes revenues directement ici de La Côte, avec la pensée d’aller un peu plus tard faire nos emplettes d’hiver. Nous attendons pour cela que le froid ait cessé, quand même la nécessité d’un manteau se fait vivement sentir. Mme Marmion, avant son départ pour Hyères, a bien le projet d’aller passer avec vous une journée. Mais ce ne sera pas avant la fin du mois.
    Toute la famille est à peu près réunie ; ce froid janviénal a chassé tout le monde de la campagne. Ce n’est pas ce que nous avait promis la comète après un si beau mois d’octobre, nous nous étions flattés que l’hiver ressemblerait un peu à l’automne. Cette surprise est donc une véritable déception.
    Mr Dagrive, le notaire dont vous connaissez la mère, se marie dans quelques jours avec une charmante jeune fille jolie et riche, et qui a à peine 17 ans – il fait un beau mariage sous tous les rapports.
    Vous avez fait à Vienne l’acquisition de M. et Mme Pion. Ils sont très heureux tous les deux de cette nomination, cette jeune femme est charmante. Vous la trouverez très intéressante.
    Vous a-t-on parlé de la soirée de Mme Desplagnes, à l’occasion de Mr Nadaud, le chanteur et compositeur ? Joséphine doit certainement connaître quelque chose de lui. La Côte et les environs y ont été invités. La réunion a été fort agréable et très bien composée. Vous savez que depuis longtemps nous n’avions plus aucune relation, mais depuis un an elle s’est posée en Madelaine repentante ; je l’ai rencontrée très souvent chez ma cousine Amélie qui la voit beaucoup, nous avons échangé des paroles polies, enfin, ma chère, je n’ai pas voulu être plus prude que les autres, et j’y suis allée, à la grande satisfaction de Marthe, qui s’y est bien amusée. Mr Nadaud est un agréable et spirituel compositeur. Il a promis de revenir l’an prochain et Mme Camille a pris l’engagement d’inaugurer son beau salon pendant son séjour.
    Allons, ma chère Adèle, courage, ne vous désolez pas de voir revenir quelquefois cette fièvre, qui cependant s’éloigne et s’amoindrit toujours. Donnez-moi bien vite des nouvelles, quand on n’est pas sur les lieux on ne sait jamais rien d’une manière exacte, ou c’est plus ou c’est moins, suivant l’esprit ou les exagérations de chacun. Je compte donc sur une lettre bien délaissée.
    Raoul vient de changer de garnison. J’avais longtemps esperé qu’il viendrait à Lyon, mais on vient de l’envoyer à Vendôme : nouvelle déception pour moi. — Nous lisons les mémoires de votre frère dans le Monde Illustré ; pour nous, qui avons connu tous les détails qu’il raconte, ils ont un intérêt très grand, et puis le style est très bien. Je sais que le journal ne nous donne que des fragments, plus tard il faudra que je me procure l’ouvrage complet.
    Adieu chère amie, ma fille embrasse les vôtres. Je vous envoie mes meilleures amitiés et vous demande une lettre le plus tôt possible. Adieu.

R96.865 Mardi 23 novembre 1858 Eugénie Blachier à Adèle Suat Transcription littérale Image

Voir R96.858.8. — Sur Eugénie Blachier voir 2011.02.226.

    Je cède, bonne et chère Madame, à mon désir de venir vous dire la part que je prends à l’ennui que vous donne la santé de votre chère enfant. Je ne dis pas l’inquiétude, parce qu’il serait absolument déraisonnable d’en avoir. Les symptômes des affections nerveuses sont parfaitement connus et ils sont tellement clairs chez Joséphine qu’il est impossible de s’y méprendre. Je conviens que, quoique parfaitement rassurée sur la gravité du mal, il est bien douloureux de voir cette pauvre enfant en proie à de pareilles souffrances, mais heureusement ce n’est qu’une question de temps et c’est déjà beaucoup trop. J’ai eu une de mes amies dans un cas parfaitement semblable, seulement beaucoup plus souffrante encore, sa fièvre migraine [?] ayant été horriblement forte. Je vous avoue que, malgré l’avis de tous les médecins, la voyant dans un tel état, j’avais peine à me persuader que ce fût uniquement une affection nerveuse, et sa position m’inspirait une profonde tristesse. L’indisposition a disparu d’elle-même insensiblement et aujourd’hui elle est tellement bien remise qu’elle a rajeuni de 10 ans.
    Courage donc, bonne amie, point de découragement ! et soyez en sûre, votre enfant recouvrira la belle santé dont elle jouissait et qui est une des plus belles prérogatives de son âge. Le lait lui est-il contraire ? Si elle digérait bien le lait d’ânesse il pourrait avoir sur elle une grande action bienfaisante comme calmant. Sous ce rapport le fameux Vériul [?] en faisait grand cas et le conseillait surtout aux nerfs malades. Je sais bien que cette boisson est peut-être débilitante, mais il serait si facile de corriger cet inconvénient par une nourriture substantielle, fortifiante. Il me semble que dans aucun cas l’essai ne pourrait lui faire mal, et si elle en éprouvait quelque bien ce moyen vaudrait infiniment mieux que l’opium. Enfin, chère amie, soyez bien persuadée que si les vœux guérissaient, cette santé à laquelle est attachée votre bonheur serait bientôt parfaitement rétablie ! Pourquoi sont-ils impuissants ? Toutes, nous regrettons vivement que cette bonne Joséphine augmente son mal par son inquiétude sur la nature de ces bizarres souffrances, et voudrions bien pouvoir la convaincre que ce ne sera absolument rien, et que c’est une question de temps qu’un peu plus de tranquillité morale abrègerait certainement. Mais l’on comprend qu’à son âge il est bien difficile de se résigner à la souffrance, même pour un temps limité !
    Il est presque inutile de vous dire que Nancy va très bien, elle doit vous le dire elle-même presque tous les jours ; j’ai passé bien la soirée avec elle chez Mme Louise [Boutaud]. Je suis heureuse de vous dire bien sincèrement que tous la trouvent charmante de grâce, de simplicité, de naturel et mon approbation particulière lui est acquise en tous points, sur tout ce que j’en connais. L’on reconnait en elle l’ouvrière qui a façonné.
    Vous avez parfaitement bien fait de la confier à sa tante qui est enchantée de l’avoir, et elle me disait bien que cette enfant lui était un sujet de regret en vue de son départ pour le midi ; sans cette absence elle eût été heureuse que vous lui prétassiez ce charmant meuble pendant tout l’hiver ; ce sont ses propres expressions, ainsi soyez parfaitement tranquille sur le sujet indiscrétion, car oncle et tante s’arrangent fort bien de la posséder et cela ne m’étonne pas. Quant à la pauvre enfant je crois bien que pour rester longtemps au milieu de nous il lui faudrait mettre en jeu toute la raison dont elle est capable ; sa mère et sa sœur tiennent une trop grande place dans son souvenir pour qu’il en soit autrement, et sa sœur surtout est l’objet de sa préoccupation constante ; sa santé se trouvera bien de cette petite diversion, laissez-la nous tant qu’elle ne s’ennuiera pas trop. Mme Louise en réclame la survivance [surveillance?] quand Mme Marmion partira et c’est une demande faite avec le cœur ; n’en doutez pas, et consentez.
    Je vous quitte, bonne et chère amie, la nuit me talonne mais je suis satisfaite de vous avoir écrit ces quelques lignes, et en vous disant adieu je vous embrasse ainsi que votre époux et Joséphine avec une sincère affection.

Eugénie Blachier.

    Mon mari vous présente ses hommages et son bon souvenir à Monsieur Suat que j’aime je crois un peu trop.
    Vous ne douterez pas du plaisir que j’aurais à vous lire mais je vous dispense de répondre ; vous avez assez d’occupations et besoin de repos. Encore un bon baiser.
    E. B.
23 novembre [1858]

R96.863.5 Jeudi 16 décembre 1858 Louise Boutaud à Adèle Suat Transcription littérale

Voir R96.858.8, la lettre suivante, et la lettre de Nancy Suat R96.858.9 qui date très probablement du même jour. — Sur Mme Blachier voir sa lettre ci-dessus.

    La lettre de Monsieur Suat nous apprend, ma chère Adèle, que vous avez le projet de nous faire enlever Nancy. Je viens réclamer à ce sujet, et vous rappeler la promesse que vous m’avez faite à mon passage à Vienne. Nous nous sommes si bien accoutumées à la présence de votre chère fille, que bientôt nous ne saurons plus nous en passer, et nous sommes capables de ne vouloir plus vous la rendre. — Plus j’apprécie son aimable caractère et sa gaîté, plus je comprends aussi qu’il y a sacrifice pour vous dans cet éloignement ; mais ma chère amie, le sacrifice est vraiment nécessaire. Vous avez fait l’expérience que la présence de Nancy n’apportait aucun soulagement, aucune distraction à votre pauvre Joséphine tandis qu’au contraire, celle-ci peut par sa tristesse avoir une influence fâcheuse sur l’imagination vive et impressionable de sa sœur. Croyez moi, ma chère Adèle, prolongez encore ce sacrifice, Nancy est maintenant installée ici ; il vaut bien mieux nous la laisser, que de l’éloigner peu de jours après. — Je ne vous fais pas l’injure de supposer qu’il se mêle à votre pensée quelque fausse idée de discrétion, d’embarras, que sais-je ? Ce serait me faire douter de votre amitié, et Dieu merci, nous n’en sommes là ni l’une ni l’autre.
    N’allez pas croire, non plus, que votre fille mène ici une vie trop mondaine ; vous savez qu’à cet âge il faut si peu pour amuser. Dans ce moment par exemple, elles ont monté un petit Proverbe, qu’elles joueront dimanche, devant les mères et les tantes, et je vous assure qu’on ne s’en tire pas trop mal ; je regrette que vous n’amenez pas Joséphine. Cette petite distraction lui aurait peut-être fait plaisir. Nancy étudie beaucoup son piano. Son jupon brodé avance. Vous voyez qu’on ne néglige pas l’utile, et il n’y aura rien de changé quand elle sera définitivement ici, au contraire, elle assistera tous les jours à la leçon de littérature de Marthe. — Je n’ai pas besoin de vous dire que sa santé est très bonne. Aujourd’hui jeudi, Mme Blachier a engagé toutes les jeunes filles à aller goûter chez elle. On est fort entrain.
    La petite réunion de Mesdames Deville a été assez triste, on a fait une longue partie de Comète. Dans cette maison, par respect pour la belle-mère, le son du piano est interdit. C’est très louable, mais c’est ennuyeux pour les autres, surtout quand il y a de la jeunesse.
    Mme Marmion est sauvée, vous savez qu’elle vient d’échapper au charbon et à la lèpre d’Orient !! rien que cela ... Vous conviendrez qu’elle est heureuse de conserver toujours sa bonne santé, au milieu des fléaux, des maladies affreuses, dont elle est si souvent atteinte ; elle part décidément mardi.
    Allons, ma chère Adèle, voilà qui est convenu, nous gardons Nancy, et s’il vous fallait de nouvelles instances pour vous décider, ma mère se joindrait à moi et vous ne refuseriez pas au nom de cette vieille amitié.
    Puissiez-vous nous donner bientôt de meilleures nouvelles de votre Joséphine. Malheureusement l’hiver est une mauvaise saison, qui empêche l’essai de remèdes sur lesquels on a droit de compter. Courage et résignation, ma pauvre amie, c’est déjà une bien grande consolation que de pouvoir se dire qu’il n’y a rien à redouter de cette triste maladie. Si le présent est douloureux, si les effets sont affreusement pénibles, du moins le résultat n’est pas à redouter. Tâchez au moins de vous tranquilliser et de vous soigner si vous pouvez obtenir un peu de repos, que je désire si vivement pour vous. Adieu, chère amie, nous nous réunissons pour vous embrasser de demi. — Mes souvenirs bien affectueux à votre mari.

R96.863.3 Samedi 25 décembre 1858 Louise Boutaud à Adèle Suat Transcription littérale Image

Voir R96.858.8 et le commentaire sur la chronologie pour le contexte de novembre-décembre 1858. — Sur Louise Boutaud voir ci-dessus. — Sur Mlle Bressac voir aussi 2011.02.260, R96.858.4.

Samedi [25 décembre 1858]

    J’allais vous écrire, [mot illisible], chère Adèle, quand j’apprends par une lettre à votre fille que Mr Suat la vient chercher après les fêtes. Cette phrase est un peu ambigüe. Mais nous allons nous expliquer : ici comme ailleurs, on entend bien par les fêtes tout le temps compris entre Noël et les Rois ? Je pense que c’est ce que vous avez voulu dire ? Nancy a seulement pris hier possession de son domicile, et je prétends que vous nous la laissiez toute à nous pendant cette quinzaine. Mme Marmion a toujours le projet de partir lundi [27 décembre].
    Pour la première fois depuis que je suis à Tournon je suis allée à la messe de minuit, j’y ai conduit mes jeunes filles, que l’entrain de faire un petit réveillon animait beaucoup plus, ou du moins tout autant, que la ferveur religieuse.
    Je ne vous écris que quelques mots à la hâte, les exercices aujourd’hui remplissent presque la journée.
    J’ai appris avec une extrême satisfaction, je n’en doutais pas du reste, que l’opinion de Mlle Bressac était conforme à celle des médecins. Joséphine, il me semble, devrait commencer à se convaincre que son état si triste, si douloureux, ne présente pas la plus petite inquiétude, et elle le prolonge en se tourmentant comme elle le fait. J’espère, ma chère Adèle, que vous touchez à un temps meilleur, et que bientôt cesseront toutes vos angoisses. Adieu, il est bien entendu que Mr Suat ne viendra qu’après les Rois, avant, nous le recevrions excessivement mal et il nous désobligerait excessivement. Marthe est si bien accoutumée à la société de sa chère compagne, que je ne sais vraiment comment elle pourra se passer de cette douce habitude. Elles sont comme deux sœurs, elles font d’ici aux Rois une foule de petits projets, qu’il faut bien se garder de venir déranger.
    Adieu, chère amie nous vous embrassons de cœur.

Louise

R96.862.1 Septembre 1859 Ernest Caffarel à sa cousine Adèle Suat Transcription littérale

Ernest Caffarel (1833-1910), fils d’Odile Berlioz de son premier mariage avec Augustin Caffarel (2011.02.282, 2011.02.123); sur son amitié avec Louis Berlioz, fils d’Hector, voir R96.857.3 et la lettre suivante avec la citation de CG no. 2450. — En août-septembre 1859 Adèle et Joséphine Suat firent un séjour à Dieppe puis à Paris où elles rendirent visite à Hector (R96.857.2 et R96.858.5).

Dieppe, le     septembre 1859

    Ma chère cousine,

    Je vous envoie quelques croquis à la plume, que j’avais promis à Joséphine avant votre départ de Dieppe.
    Ils sont copiés sur des tableaux allemands dont j’ai tâché de reproduire la naïve bonhomie, mais j’ai fort mal réussi et ces croquis sont affreusement médiocres, dignes en tout point de figurer à côté des sépias mécaniques du Magasin des Demoiselles, dans l’album de ma chère cousine Nancy.
    Je dois dire pour m’excuser de les avoir commis, que depuis 6 ans je n’ai pas fait le moindre dessin et que ceux-ci l’ont été beaucoup trop vite.
    Quand j’aurai passé mes examens je vous enverrai comme dédommagement des dessins plus grands et meilleurs. En attendant tenez moi compte de l’intention.
    Depuis que vous êtes parties Dieppe est d’une tristesse mortelle. Les étrangers sont presque tous déjà loin ; ceux qui restent encore font leurs malles. Vous avez décidément emporté dans ce beau sac de nuit que vous savez le soleil et toute la gaîté de ce maudit pays. Il ne cesse de pleuvoir avec accompagnement d’un vent fantastique.
    Hier on a été obligé d’étayer le casino que le vent a failli emporter dans la soirée. Tout le monde s’est enfui, sauf les joueurs d’écarté qui sont restés à leur poste avec un héroïsme digne d’une meilleure cause. Le château est inhabitable, portes, fenêtres, ferrures, tableaux, cartes pendues aux murs, tout s’agite, tout grince, tout gémit, et le sable détaché des falaises par le vent du nord-ouest vient en tourbillonant mitrailler nos vitres. C’est un sabbat digne des plus beaux temps de la sorcellerie, et de temps en temps Louis hurle plus fort que le vent de ne pouvoir dormir tranquille « Ah ! sur la Reine des Clippers, jamais non jamais ... »
    Il travaille beaucoup, Louis, presque trop, à mon gré ; quand j’ai envie de causer, il a toujours quelque chose à faire et je ne suis plus de force à lutter de raisonnements avec son traité d’algèbre, ainsi je n’obtiens de lui que des monosyllabes « oui, non, tu m’embêtes, laisse-moi travailler, » voilà tout son répertoire, peu varié comme vous le voyez, mais en revanche très gracieux ; j’ai beau lui donner des coups de poing, renverser sa chaise, lui prendre son livre, rien n’y fait, il écrit toujours. Alors je reviens tristement m’asseoir dans mon bureau et en regardant la pluie ruisseler sur le toit d’en face, je m’abîme dans une série de réflexions philosophiques sur l’amabilité des cousins qui restent comparée à celle des cousines qui s’en vont, hélas, hélas !!
    ......... Madame Badel ... elle est toujours ici, augmentée et embellie d’une fluxion monumentale. Elle n’en continue pas moins à soutenir avec Mr Laurent, Louis et moi, les discussions les plus étranges. Quant à son départ, il n’en est plus question. Peut-être, aux approches de la Toussaint rentrera-t-elle au bercail. Miss Lee (vous l’avez jugée un peu trop favorablement) lui fait de temps en temps des traits d’enfants terribles. Si par exemple Mme Badel dit qu’elle est Française et paraît tenir beaucoup à cette flatteuse origine, Miss Lee dira d’un petit air pincé « ohhh ! votre mère est anglaise » ou bien si l’on dit a Mme Badel qu’elle a de beaux cheveux noirs, Miss Lee aussitôt « .. ohhh ! c’est que Madame a mis beaucoup de pommade aujourd’hui ! il y en a bien qui sont blancs !! » Bref Miss Lee est douée d’un tact égal à celui de ses estimables compatriotes, — ce qui du reste ne diminue en rien ses qualités et ses vertus morales. —
    J’ai écrit hier à ma mère pour l’engager à aller vous voir à son retour de la Salette ; si elle s’y décide j’irai vous faire une petite visite à la même époque. Cette réunion doublera pour moi la durée de mon congé.
    Au revoir ma chère cousine, dites mille choses affectueuses de ma part à mon cousin Marc et à mes cousines Joséphine et Nancy, et croyez bien à mon entière et sincère attachement

E. Caffarel

    P. S. Remarquez en passant que je n’ai pas fait de visages, qui j’ai écrit assez serré et que je n’ai pas bâillé pendant toute cette lettre.
    Remarquez aussi que je n’ai pas parlé de la santé de ma chère cousine Joséphine ; j’admets qu’elle est parfaitement et radicalement guérie. S’il en était autrement après avoir pris des bains de mer à Dieppe et avoir visité Paris de Versailles à Fontainebleau ce serait par taquinerie de sa part, et je la sais trop bonne et trop aimable pour la soupçonner d’une méchanceté si noire.

[dans la marge de droite au haut de la première page, d’une main différente] arrivée d’Ernest à Coupe-Jarrets le 7 octobre et part le 14

R96.862.2 Vendredi 20 janvier 1860 Ernest Caffarel à sa cousine Adèle Suat Transcription littérale Image

Voir la lettre précédente (R96.862.1). — Sur le séjour de Louis Berlioz et Ernest Caffarel à Paris en décembre 1859 voir la lettre de Berlioz à sa sœur Adèle du 16 décembre (CG no. 2450): ‘Louis est venu passer quatre jours ici, il avait été suivi d’Ernest Caffarel. Ils ont dîné tous les deux (avec Auguste [Berlioz]) à la maison. C’est en effet, comme tu me l’avais dit, un jeune homme très distingué qu’Alfred [sc. Ernest] et je suis bien heureux de voir un tel compagnon d’études à Louis. Ils sont allés ensemble au spectacle, j’ai mené Louis tout seul voir Orphée ; il n’y a pas moyen d’avoir une loge.’ — Mme Lawson était une amie de la mère de Louis Berlioz.

Dieppe le 20 janvier 1860

    Ma chère cousine,

    Pendant que Louis écrit à Joséphine des histoires presque aussi divertissantes que Peau d’âne ou le Chat botté, je vais vous rendre compte plus sérieusement si j’en suis capable des commissions dont vous m’avez chargé.
    D’abord la broche. J’ai passé 3 jours à la recherche de Jugelet et le 4e j’ai fini par le découvrir rue de la ville l’Evêque 58, dans son atelier, où il râclait mélodieusement sur le violoncelle un concerto d’Onslow. En me voyant, il a déposé sa grosse musique et m’a reçu avec la politesse exquise d’un artiste qui aurait été précepteur dans son jeune âge (preuve que la musique adoucit les mœurs). Je lui ai demandé tout d’abord la permission d’admirer les merveilles de son atelier et de ses cartons ... Ne vous effrayez pas trop tôt, ma chère cousine, cette longue, trop longue digression nous ramène tout droit à votre broche sans en avoir l’air.
    Après avoir brûlé sous le nez de mon personnage assez d’encens pour asphyxier un hippopotame, ou, si vous aimez mieux, après lui avoir débité toutes ces banalités flatteuses que les artistes acceptent toujours pour argent comptant, je lui ai montré votre broche, bien certain d’avance que la réparation ne me coûterait pas cher. Effectivement il l’arrangera pour rien et cependant il y a beaucoup à faire.
    Le maladroit ouvrier qui l’a montée a tellement éraillé les bords de la peinture qu’il faudra en rogner une partie, alors pour utiliser la monture que vous avez déjà et dans laquelle votre fixé ainsi réduit ne pourra plus s’encadrer, j’en ai acheté un nouveau plus beau que l’ancien et qui en a les dimensions primitives.
    Ce nouveau fixé coûte 10 fr. comme l’ancien.
    J’ai pris l’adresse de l’ouvier qui fait les montures de Jugelet et, si vous m’y autorisez, la première fois que j’irai à Paris je lui ferai monter votre ancienne broche pour Joséphine.
    Si je suis nommé à Grenoble je vous remettrai les 2 broches à mon passage à Vienne, sinon je vous les enverrai par la poste.
    Pendant le petit séjour que je viens de faire à Paris j’ai passé presque toute une journée avec mon cousin Hector. J’ai commencé par déjeuner avec lui, et, comme vous le pensez bien, nous avons beaucoup causé de Louis. Le soir nous sommes allés ensemble entendre Orphée, cet opéra de Gluck dont il a dirigé les répétitions et la mise en scène. C’est de la musique sérieuse, mais admirable et admirablement rendue par Mme Viardot. Orphée m’a fait un plaisir infini et m’a laissé les plus doux souvenirs.
    Après la représentation mon cousin a pris mon bras et comme il faisait un temps superbe nous voilà partis à pied à 1 heure du matin. Nous avons arpenté presque au pas de course toute la ligne de boulevards qui s’étend entre le théatre lyrique et la rue de la Chaussée d’Antin, lui déclamant ou chantant les Troyens et moi osant à peine l’interrompre par quelques exclamations de plaisir et d’admiration, mais sans en perdre une note. Grâce à Louis je savais déjà par cœur quelques morceaux des Troyens et cependant j’ai cru les entendre pour la 1ere fois. C’est que personne ne sait rendre comme l’auteur ces finesses, ces nuances, ces intentions qui échappent souvent à ceux qui l’écoutent.
    J’ai laissé mon cousin rue Blanche, bien gai, bien content, en parfaite santé, et j’ai regagné notre petit hôtel bien plus satisfait encore de l’emploi de ma soirée.
    Hier Louis a reçu une lettre de lui. Il ne se porte pas tout à fait aussi bien que le jour où je l’ai vu à Paris.
    Je suis allé faire une visite à Mr Eugène Fr[osmont] et à Mme Lawson. Louis avait prié cette dame de découvrir, s’il était possible, les intentions de la famille Ernest Fromont relativement au mariage de Melle B[erthe] et Mme Lawson ne lui avait pas encore répondu. J’ai donc été obligé de faire un peu de diplomatie pour me faire confier par Mme Lawson le résultat de ses démarches. Sans faire aucune demande directe elle a cru comprendre 1que l’on ne veut pas marier Melle B. qui a maintenant 18 ans avant 2 ans. 2o qu’il existe un cousin riche, bête et fat appelé Mr de Joinville et que ce gracieux prétendant est accueilli dans la famille avec tous les égards dûs à un parent si richement doué. Voilà l’ennemi, il sera probablement appuyé par Mme Frosmont, mais heureusement il n’est pas invincible et Melle B. qui est une fille d’esprit doit l’avoir jugé depuis longtemps. D’ailleurs Mrr Eugène et Ernest Fr. sont ainsi que Mme Lawson tout disposés à défendre les interêts de Louis.

à vaincre sans péril on triomphe sans gloire

J’ai saisi cette occasion pour faire à Mme Lawson un éloge de Louis complet et parti du cœur qui a paru lui causer le plus grand plaisir.
    Les anglaises, vous le savez ma chère cousine, sont bien entichés de tout ce qui tient à l’aristocratie, et en allant voir Mme Lawson j’avais pris la bague d’Auguste où sont gravées les armes de la famille Berlioz comptant bien faire naître l’occasion de les montrer. C’est ce qui est arrivé. Quand on m’a parlé du titre de M. de Joinville, j’ai prouvé à Mme Lawson que ce monsieur est un intrigant qui s’appellait Joinville tout court il y a 20 ans et que Louis est baron et très baron, et pour preuve j’ai retiré ma bague dont j’ai laissé deux empreintes superbes à Mme Lawson. Elle va lui faire graver ses armes sur une bague que lui a laissée Mr Lawson (c’est une surprise, ne lui en parlez pas). Louis qui n’est pour rien dans tout ce qui s’est passé pendant cette visite conserve du reste un air de modestie fort intéressant.
    Tous ces détails doivent vous paraître bien puérils, ma chère cousine, mais je suis persuadé qu’en ce bas monde on arrive à son but en ne négligeant aucun moyen, si petit et si mesquin qu’il puisse être, plutôt qu’en frappant de grands coups. Si j’ai eu tort du reste, c’est mon affection pour Louis qui m’a égaré.
    J’ai vu mon grand-père, et ma grand-mère que j’ai trouvée parfaitement rétablie. Elle se porte mieux que jamais. Quant à mon grand-père il est très sérieusement occupé à élever et à faire nicher 18 serins qui font un vacarme assourdissant dans sa chambre. On ne s’y entend pas parler. Quand je suis sorti j’avais une extinction de voix. Jules était absent.
    J’ai trouvé Auguste bien découragé de tous ses vains efforts pour arriver à une position sociale. Il s’est enfin décidé à entrer dans la magistrature, ce qu’il aurait dû faire depuis longtemps déjà, et il veut être nommé substitut, ou attaché tout au moins au ministre de la justice. Nous avons fait ensemble quelques visites dans ce but, et comme je sais combien ma mère désire le voir entrer dans cette voie, j’ai eu soin de le compromettre vis à vis de ses protecteurs de telle manière qu’il ne puisse plus reculer. C’est un excellent garçon qui a beaucoup de cœur et d’intelligence et dont toutes les illusions chimériques se sont dissipées à Paris. Il n’aspire plus maintenant qu’à être nommé substitut le plus tôt possible et serait au comble de tous ses désirs si son heureuse étoile lui faisait donner cette place à Vienne.
    Nous continuons à nous ennuyer Louis et moi avec un ensemble déplorable. Dieppe est une ville si attrayante en hiver ! aujourd’hui pour combler la mesure il était un peu malade, mais c’est une indisposition accidentelle et déjà passée. Par la pluie mêlée de brouillard dont nous sommes favorisés depuis quelques jours, la cheminée de sa chambre à coucher fume, et il s’est réveillé ce matin dans une atmosphère à couper au couteau. Il a eu la migraine toute la journée à la suite de cette mauvaise nuit.
    Il travaille bien autrement et ses professeurs le considèrent tous comme certain d’être reçu. Dans tous les cas s’il n’est pas reçu, aucun des candidats de Dieppe ne le sera ; car il est de beaucoup le plus fort de tous. En outre son professeur, s’il passait un mauvais examen, doit insister en sa faveur auprès des examinateurs.
    Je resterais avec lui probablement jusqu’au mois de mars. Je n’ai encore aucune nouvelle de mon changement. Il me reste bien peu de place, ma chère cousine, pour toutes les tendresses que je voudrais vous dire à vous, à mon cousin Marc et à mes cousines Joséphine et Nancy, mais votre imagination et surtout votre cœur y suppléera mieux que je ne pourrais le faire. Votre tout dévoué cousin Ernest

R96.864 Mercredi 1er février 1860 (?) Sophie Monet à Adèle Suat Transcription littérale Image

Cette lettre est signée seulement ‘Sophie’: il s’agit très vraisemblablement de Sophie Munet, amie d’Adèle Berlioz-Suat de longue date. Elle habitait Lyon (2011.02.151, 2011.02.154, 2011.02.188, 2011.02.201), où son mari avait une verrerie (2011.02.259). De son nom de jeune fille Sophie Justine Gautier, elle avait épousé son mari, Antoine Élisée Munet, le 15 juillet 1833 à Lyon. Ils eurent deux enfants, Hélène et Melchior; ce dernier épousa Marie Élise Dugas le 17 septembre 1859 à Lyon.
Le nom de Sophie Munet apparaît pour la première fois dans la correspondance d’Adèle en 1835 lors du séjour d’Adèle, non encore mariée, à l’Abergement dans l’Ain au bord de la Saône, où Sophie Munet, ou la famille de son mari, avait une propriété (2011.02.125 et 2011.02.126); son nom se retrouve assez souvent par la suite jusqu’en 1855. Adèle a sans doute voulu conserver ce témoignage de fidélité de la part d’une vieille amie; ce fut sans doute une des toutes dernières lettres reçues par Adèle, environ un mois avant sa mort. — Nous remercions bien vivement Josiane Boulard qui nous a généreusement communiqué le résultat de ses recherches à Lyon et dans la région sur la famille de Sophie Gautier/Munet, recherches dont nous avons largement tenu compte dans la transcription et l’interprétation de ce texte.

    Ta bonne lettre m’arrive à l’instant, ma bien chère Adèle, et elle me trouve confondue du long retard que j’ai mis à t’écrire ; sans rechercher si c’est toi ou moi qui avons écrit la dernière, promettons nous en nous excusant insuffisamment de ne plus rester si longtemps silencieuses l’une envers l’autre. Notre affection réciproque ne peut s’altérer, mais il faut savoir en donner plus fréquemment des témoignages. Depuis la nouvelle année bien souvent j’ai le projet de t’écrire, mieux que cela d’aller t’embrasser à Vienne ; ce projet formé comme l’année passée avec Mr Champin, qui est ici, ne peut manquer de s’exécuter bientôt, mais en attendant il faut que je te remercie très chaudement d’avoir été la première à rompre le silence obstiné qui a regné entre nous. Pourquoi faut-il que tu n’aies pas eu des nouvelles plus satisfaisantes à me donner de ta fille Joséphine ? J’espèrais sa guérison complète et radicale ; il faut espérer de même que le mieux qui se manifeste dans son état actuel se maintiendra de plus en plus et que les bains de mer l’année prochaine ne seront plus qu’une mesure de précaution ou de préservation. Toi, bonne amie, soigne-toi bien, la santé d’une mère est si précieuse et la tienne doit être bien ébranlée par tant d’inquiétudes et de soucis. C’est le lot des mères. Quant à nous tout ne va pas mal maintenant, Elisée est à peu près remis, il vient de passer quelque temps dans le midi et je suis allée avec mes deux filles le rejoindre à Avignon au couvent de la Visitation, où j’ai une chère cousine religieuse. Mme Fléchon va assez bien elle continue heureusement sa grossesse et la pensée d’avoir bientôt un petit poupou lui donne un bonheur inexprimable ; mais pour moi c’est un gros souci, nous pensons Elisée et moi aller à Paris pour ses couches dont nous ne savons pas bien l’issue qu’elle l’ignore elle-même.
    Melchior et sa jeune femme sont près de nous ; là règne un bonheur bien complet dont je jouis en mère dévouée, ils ont aussi des espérances de famille pour le mois de septembre. Si tu viens bientôt à Lyon comme tu me le fais espérer je serai heureuse de te faire faire connaissance de ma belle fille qui est charmante et que j’aime de tout cœur. Melchior est aussi très aimé dans sa nouvelle famille. Mr et Mme Dugas le comblent de bontés. Je communiquerai ce qui regarde la famille Pavie [?] à Mr Champin quand je le verrai demain peut-être. Elle tient aussi beaucoup à aller te voir et les voir à Vienne prochainement mais si nous le pouvons nous tâcherons de t’écrire un mot la veille.
    Tu ferais bien aussi quand tu viendras de m’écrire si tu le peux un mot la veille afin d’être sûre de ne pas manquer ta bonne visite, car ma santé étant assez bonne cette année je suis souvent en course ou en visite, et je ne me consolerai pas si tu venais en mon absence ; arrange-toi aussi pour venir avec nous avec ton oncle, nous vous recevrons avec tant de bonheur et de joie. Excuse mon affreux griffonnage, je t’écris à la lumière et ma main ne vaut pas plus que mes yeux, tout tremble et vieillit, mais mon affection pour toi ne vieillira jamais, elle se conserve vive et dévouée.

Toute à toi
Sophie.

1 février mercredi P. S.
    Mes filles embrassent les tiennes qu’elles pensent voir bientôt. Elisée te fait ses affectueux compliments ainsi qu’à Mr Suat et je me joins à lui de tout cœur.

2011.02.299 Lundi 25 avril 1864 Mme Mallet à Louis Berlioz Transcription littérale Image

Ce document datant du 25 avril 1864 s’insère dans un contexte plus large, sur lequel on se reportera à l’étude minutieusement documentée de Josiane Boulard et Lucien Chamard-Bois, Clémentine, la petite fille secrète d’Hector Berlioz (Edition BoD – Books on Demand, décembre 2015). Résumons les principaux faits connus ou déduits des documents rassemblés et analysés par les auteurs, notamment les actes de naissance et de baptême de Clémentine Mallet, et plusieurs lettres de la correspondance du compositeur, en particulier celles de Berlioz à son fils (CG nos. 2549, 2555 et 2577; 18 avril, 2 juin et 28 octobre 1861) et de Louis à son père (CG no. 2580bis [tome VIII]; 24 novembre 1861).
En séjour au Havre de mai à juillet 1860 pour poursuivre ses études et devenir Capitaine au long cours, Louis Berlioz se lie avec Zelia Mallet, fille de Mme Mallet, repasseuse au Havre. En août il l’enlève à sa famille et va s’installer avec elle à Marseille, où naîtra le 30 mars 1861 leur fille Clémentine. Elle sera baptisée le 9 avril dans la cathédrale Sainte Marie Majeure; l’acte de baptême donne comme nom de ses parents Louis Clément Berlioz et Zelia Mallet. Louis aurait voulu épouser Zelia, mais l’opposition résolue de son père le contraint à se séparer d’elle et de son enfant au début de l’été de 1862. Zelia retournera avec Clémentine au Havre chez ses parents. La lettre de Mme Mallet de 1864 laisse entendre qu’après un long silence Louis avait demandé des nouvelles de Zelia; on ne sait quelle fut sa réponse à cette lettre. Mme Mallet devait mourir au Havre l’année suivante, et Zelia à Paris en 1873. Quant à Clémentine, elle était encore en vie à Marseille en avril 1940 mais est morte avant juillet 1945, et ne semble pas avoir eu de descendance.

Monsieur

    J’ai reçu votre lettre que vous adressez à ma fille Zelia ; je ne lui ai pas donné, car je voudrais bien savoir avant de lui remettre vos intentions pour elle et la chère petite Clémentine qui est très intéressante. Mais comment avez-vous pu rester si longtemps sans donner de vos nouvelles ? Vous n’avez donc pas pensé au chagrin que vous lui avez fait endurer et quelle misère avec un enfant qui ne [le] mérite pas, la chère petite, car quand nous avons pu les retrouver elle était bien dans la misère. Jugez, une femme seule avec un enfant, sans aucune ressource et sans personne, puisqu’elle n’osait revenir à nous après la faute qu’elle avait faite de nous quitter. Mais à tout péché miséricorde ; depuis 20 mois nous nous sommes réconciliés et elle est presque toujours avec nous, et nous avons la petite toujours avec nous, la chère petite qui est charmante comme un petite ange. Mais pensez que c’est une grande charge pour nous, car cette chère petite elle n’est pas élevée et nous sommes sur l’âge et nous n’avons de ressource que notre travail ; si vous oubliez la mère au moins pensez à l’enfant qui doit être le vôtre. Si vous veniez au Havre vous pouvez venir la voir chez nous, si cela peut vous être agréable ; voilà bientôt le temps de la mettre en classe, nous aurions besoin de son acte de naissance ; s’il vous était possible de nous le faire parvenir vous nous feriez grand plaisir. Comment se fait-il que Zelia vous ait écrit lettre sur lettre et que vous ne parliez pas que vous en avez reçu ? Cependant la pauvre enfant elle a tout fait pour avoir de vos nouvelles, mais elle n’a pu en obtenir de personne.
    Mais puisqu’aujourd’hui vous demandez de ses nouvelles, elle se porte assez bien et Clémentine aussi, mais je ne lui donnerai votre lettre que quand vous en aurez envoyé une dans laquelle vous voudrez bien mettre vos intentions pour [elle] et son enfant qui doit être le vôtre, car vous comprenez que si vous n’aviez pour eux de bonnes intentions [il] serait inutile de lui faire de nouveaux chagrins qui altèrent beaucoup sa santé. Ainsi, Monsieur, j’attends votre réponse pour lui remettre votre lettre.
    En attendant je vous salue

Fme Mallet mère de Zelia
voilà mon adresse
Mme Mallet repasseuse
rue Louis-Philippe No 28
au Havre

Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; pages Lettres de la famille du compositeur créées le 11 décembre 2014, mises à jour le 1er avril 2015. Cette page mise à jour le 8 mars 2016. Révision le 1er décembre 2023.

© Musée Hector-Berlioz pour le texte et les images des lettres
© Michel Austin et Monir Tayeb pour le commentaire et la présentation

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