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Dans les années 1820 Berlioz est un lecteur avide des romans de Walter Scott. Sa passion pour cet auteur trouve une première expression dans l’ouverture de Waverley de 1827; quelques années plus tard une nouvelle ouverture viendra s’y ajouter, celle de Rob Roy, plus exactement Intrata di Rob-Roy MacGregor pour lui donner son titre complet. Berlioz commence à la composer en mai 1831 à Nice, qui à l’époque faisait partie de l’Italie. Il avait fait le voyage d’Italie comme lauréat du concours pour le Prix de Rome de 1830, ce qui lui imposait un séjour de deux ans en Italie. Les circonstances qui l’amèneront à Nice en avril 1831 sont évoquées dans la page sur l’ouverture du Roi Lear. Quelques allusions dans la correspondance de Berlioz pour cette époque fournissent les rares détails connus sur la composition de l’ouverture de Rob Roy. Les voici:
À son père Louis Berlioz, de Nice (CG no. 228; 16 mai 1831):
Je viens de commencer un nouveau travail, après avoir bien revu et retouché ma partition du Roi Lear; c’est aussi de la musique instrumentale; en attendant que mon retour en France me permette de réaliser un grand projet de music dramatique, j’augmente mon répertoire de concert.
À Thomas Gounet, de Rome (CG no. 231; 14 juin 1831):
Ce voyage [à Nice] m’a enrichi de trois nouvells compositions: l’ouverture du Roi Lear, celle de Rob Roy et le Mélologue; je ne sais pas au juste ce que cela vaut, mais je sais que ma course à Nice m’a coûté mille cinquante francs.
À Ferdinand Hiller, de Rome (CG no. 256; 1er janvier 1832):
Vous voulez savoir ce que j’ai fait depuis mon arrivée en Italie; 10 ouverture du Roi Lear (à Nice), 20 ouverture de Rob Roy Mac Gregor (esquissée à Nice, et que j’ai eu la bêtise de montrer à Mendelssohn, à mon corps défendant, avant qu’il y en eût la dixième partie de fixée). Je l’ai finie et instrumentée aux montagnes de Subiaco. (Berlioz parle ensuite du Mélologue)
Le premier séjour prolongé de Berlioz à Subiaco a lieu en juillet 1831, et c’est sans doute alors qu’il termine l’ouverture de Rob Roy, mais par la suite il fera plusieurs autres séjours dans cette ville.
À son retour en France le plus important pour Berlioz est l’exécution de la Symphonie fantastique qu’il a beaucoup remanié au cours de son séjour en Italie, avec son nouveau complément le Mélologue qui s’intitule le Retour à la vie. Cet événement aura lieu au fameux concert du 9 décembre 1832 (qui sera répété le 30 décembre), et qui transformera la vie Berlioz en amenant son mariage avec Harriet Smithson. Mais Berlioz voulait aussi faire entendre ses autres compositions italiennes. On connaît une lettre de lui adressée au comité de la Société des concerts du Conservatoire et qui porte la date du 13 mars 1833: il demande qu’on inscrive l’ouverture de Rob Roy au programme d’un de leurs concerts (CG no. 328), et effectivement l’ouverture y est exécutée le 14 avril 1833 (l’ouverture du Roi Lear sera exécutée pour la première fois le 22 décembre de la même année).
Ce concert est évoqué dans le seul passage des Mémoires où il parle de l’ouverture de Rob Roy. Au chapitre 39, dans un contexte qui souligne l’atmosphère anti-musicale de Rome, Berlioz établit le maigre bilan de ses compositions à la Villa Medici au cours de son séjour italien, entre elles ‘Une ouverture de Rob-Roy, longue et diffuse, exécutée à Paris un an après [en fait deux ans], fort mal reçue du public, et que je brûlai le même jour en sortant du concert’. Une brève allusion dans deux lettres de 1838 confirme que Berlioz a détruit l’ouvrage. (CG no. 549, 31 mars, à Ludwig Rellstab: ‘L’ouverture de Rob Roy dont parle M. d’Ortigue [dans un article biographique sur Berlioz] n’existe plus, je l’ai brûlée après l’avoir entendue au Conservatoire’; de même CG no. 570; 20 septembre, à Humbert Ferrand).
On doit respecter le verdict de Berlioz: l’œuvre ne convainc pas, elle est décousue et la musique se répète, ce qui est rare chez Berlioz. Mais rien de Berlioz ne peut être totalement dépourvu d’intérêt, et l’ouverture comporte de belles pages. Mais au lieu de récrire l’ouverture, comme il fera plus tard pour La Tour de Nice qui deviendra l’ouverture du Corsaire, Berlioz la condamnera et réutilisera le meilleur de Rob Roy dans le premier mouvement de sa symphonie Harold en Italie. Rob Roy nous permet donc d’observer Berlioz au travail et d’établir des comparaisons entre différents états de la même musique. On pourra comparer en particulier les mesures 275-321 de Rob Roy avec les mesures 38-94 de Harold en Italie, et la différente utilisation du second sujet dans l’ouverture (mesures 170-210, 472-90) et dans la symphonie (mesures 167-92, 265-76, 335-57, 448-71). On remarquera aussi des différences dans l’instrumentation: le cor anglais, qui joue un rôle de premier plan dans l’ouverture, disparaît du premier mouvement de la symphonie pour faire place à l’alto solo, et la partie de harpe, très développée dans l’ouverture, est réduite dans la symphonie à l’adagio.
Berlioz affirme avoir détruit (ou ‘brûlé’) l’ouverture. Mais une copie a survécu, celle envoyée par Berlioz au Conservatoire comme un des ‘envois de Rome’ qu’il était astreint par le règlement à fournir. Cette copie fut exhumée et publiée bien des années plus tard, dans le tome 4 de l’édition Breitkopf et Härtel des œuvres musicales de Berlioz, qui parut entre 1900 et 1907 pour coïncider avec le centenaire de la naissance de Berlioz en 1903. L’œuvre avait donc à ce moment un cachet de nouveauté et fut exécutée plusieurs fois: par exemple à Berlin sous la diretion de Richard Strauss en avril 1900, à Paris sous la direction de Felix Weingarnter le 24 février 1901 (comptes-rendus dans le Ménestrel et le Journal des Débats), et deux fois au Conservatoire en décembre 1903 (compte-rendu dans le Ménestrel). Il y eut d’autres exécutions ailleurs. De nos jours l’ouverture est entendue de temps en temps et a été enregistrée (voir la Discographie), mais il n’est pas étonnant qu’elle n’ait jamais pu s’imposer au répertoire sur le même pied que les autres ouvertures de Berlioz.
La partition ne comporte aucune indication de métronome. Dans cette version l’allegro non troppo a été fixé à noire pointée = 104 (le tempo du premier mouvement d’Harold en Italie), le larghetto espressivo assai à croche = 80 (un peu plus rapide que l’adagio d’Harold en Italie pour lequel Berlioz donne croche = 76), et le presto final commence à noire pointée = 152 pour accélérer ensuite.
Ouverture:
Rob Roy (durée 14'9")
— Partition en grand format
(fichier créé le 3.08.2001)
— Partition en format pdf
© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.
Cette page revue et augmentée le 1er décembre 2021.