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Berlioz à Paris

Un concert en janvier 1845

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    Cette page présente la transcription du texte d’un compte-rendu contemporain du concert donné par Berlioz le 19 janvier 1845. Le concert eut lieu au Cirque Olympique, dit aussi Cirque des Champs-Élysées, le premier d’une série de quatre grands concerts donnés par Berlioz entre janvier et avril 1845. Le programme comprenait la première exécution de la nouvelle ouverture La Tour de Nice, remaniée plus tard par Berlioz pour devenir l’ouverture du Corsaire (Berlioz composa La Tour de Nice pendant sa deuxième visite à Nice en 1844).

    Le texte du compte-rendu et l’image qui l’accompagne sont reproduits ci-dessous d’après notre propre exemplaire du numéro du 25 janvier 1845 de l’Illustration. Nous avons conservé la syntaxe et l’orthographe du texte original.

 

L'Illustration

 

Concert 1845

Chronique musicale.

    C’est un infatigable athlète que M. Berlioz, et un conquérant insatiable. Une entreprise n’est pas encore menée à bien, que déjà il rêve une autre, et il ne se repose des fatigues d’un combat qu’en dressant le plan d’une bataille. Je gagerais que l’été dernier, pendant qu’il dirigait l’exécution du « Grand Festival de l’Industrie, » il prenait déjà ses mesures pour la « Grande Fête musicale » qui vient d’avoir lieu.

    En effet, quelle distance y a-t-il du lieu où était campée l’an passé l’industrie nationale au Cirque des Champs-Elysées ! Quelques pas à peine : rien que la grande allée à traverser ? En attendant la salle de concert que certains journaux ont conseillé à l’administration municipale de faire construire, — conseiller n’est pas payer, — M. Berlioz trouvait là une salle de concert toute faite, décorée avec une magnificence pleine de goût, et dont les vastes proportions étaient tout à fait en rapport avec ces immenses déploiements de forces sonores où il met son plaisir et sa gloire.

    Il est certain que le Cirque des Champs-Elysées s’est trouvé beaucoup plus favorable à la musique que cette incommensurable et informe baraque où fut donné le Festival industriel. Plus d’angles rentrants, plus de toiles assourdissantes ; une grandeur raisonnable, une coupole arrondie, sous laquelle les vibrations harmoniques se propageaient par un mouvement égal et régulier… La musique était là dans ses conditions normales, et les trois cent cinquante exécutants de dimanche dernier ont produit deux fois plus d’effet que les neuf cent cinquante de l’an passé.

    De tous les morceaux qui ont été exécutés dans ce concert, un seul était nouveau. C’est une ouverture intitulée : Ouverture de la Tour de Nice, sans doute parce que M. Berlioz l’a composée dans cette ville, où il a fait récemment un voyage. C’est une compostion extrêmement originale, pleine d’effets fantastiques et de caprices bizarres. On dirait un conte d’Hoffmann. Cela vous jette dans un malaise indéfinissable ; cela vous tourmente comme un mauvais rêve, et remplit votre imagination d’images étranges et terribles. Assurément cette tour de Nice est habitée aujourd’hui par des centaines de hiboux et d’orfraies, et les fossés qui l’entourent sont remplis de couleuvres et de crapauds. Peut-être a-t-elle servi de retraite à des brigands ou de forteresse à quelque tyran du moyen âge ; peut-être quelque prisonnier illustre, quelque belle innocente et persécutée y ont-ils expiré dans les angoisses de la faim, ou sous le fer des bourreaux. Vous pouvez tout supposer et tout croire quand vous entendez ces violons qui grincent, ces haut-bois qui croassent, ces clarinettes qui gémissent, ces basses qui grondent, ces trombonnes qui râlent. L’Ouverture de la Tour de Nice est l’ouvrage le plus étrange et le plus curieux peut-être qu’ait jamais enfanté l’imagination d’un musicien.

    L’ouverture du Carnaval romain, très-originale aussi, est cependant beaucoup moins bizarre. L’IIlustration l’a analysée 1’année dernière, et n’a plus à y revenir. Elle a produit son effet accoutumé, et l’auditoire l’a vigoureusement applaudie. Le Dies iræ a eu pareille fortune. Au tuba mirum, l’explosion successive des trompettes et trombonnes placés aux quatre points cardinaux… de l’orchestre a fait trembler la vaste salle sur ses larges fondements ; elle ne s’est pas écroulée cependant, et cela fait honneur à l’architecte qui l’a bâtie. Je voudrais savoir le nom de cet architecte, afin de le recommander aux propriétaires qui aiment les constructions solides. Hyperbole et plaisanterie à part, le tuba mirum de M. Berlioz est un morceau qui atteste une grande puissance, et qu’on ne peut entendre sans être violemment ému.

    Le chœur du sommeil, d’Atys, œuvre célèbre de Piccini, est très-expressif ; il persuade le sommeil, comme dit Virgile : suadent cadentia sidera somnos. Piccini n’est-il pas effectivement un astre tombé ?

    Madame Eugénie Garcia a exécuté avec un goût exquis, un style pur et sévère, beaucoup d’intelligence et d’expression, d’admirables scènes d’Alceste, qui malheureusement ne sauraient se passer de l’action dramatique. Madame Garcia y a fait un grand effet : quel effet n’eût-elle pas produit, si elle avait dit cette puissante musique en costume et sur la scène, et si elle avait pu compléter son chant par l’accompagnement indispensable de son geste et de sa physionomie !

    M. Ponchard a fort bien dit la grande scène d’Orphée, et l’on n’a que des éloges à adresser à MM. Haumann et Hallé, qui ont exécuté, le premier un air varié de sa composition, le second, ce beau concerto en mi bémol qui est de la composition de Beethoven. Je suis persuadé que M. Haumann aime beaucoup sa musique ; je le lui pardonne, à condition qu’il me pardonnera d’aimer celle de Beethoven.

Chacun, dit-on, a son goût sur la terre,
Et le meilleur est celui que l’on a.

[Le compte-rendu parle ensuite de quelques autres concerts qui ont lieu ailleurs à Paris et sans rapport avec celui de Berlioz.]

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; cette page créée en le 1er avril 2012.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

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