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Voyez aussi Livrets de Berlioz; Berlioz et sa musique: auto-emprunts
Tout au long de sa carrière Berlioz se montra sans doute le plus lettré parmi les grands compositeurs, dont la musique s’inspirait volontiers d’influences littéraires. Une de ses premières passions littéraires qui durera toute sa vie fut pour le poète irlandais Thomas Moore (1779-1852). Berlioz découvre son œuvre (en traduction fraçaise) au milieu des années 1820 et son affection pour lui ne faiblira jamais, comme en témoigne les nombreuses allusions ou citations de ce poète dans ses Mémoires. Par exemple, au chapitre 11 il raconte à propos de son séjour au 27 rue de Harlay en 1825-26:
Comme on était alors dans la belle saison, en sortant de faire mes emplettes gastronomiques chez l’épicier voisin, j’allais ordinairement m’asseoir sur la petite terrasse du Pont-Neuf, aux pieds de la statue d’Henri IV : là [...] je faisais mon frugal repas, en regardant au loin le soleil descendre derrière le mont Valérien [...] l’imagination ravie des splendides images des poésies de Thomas Moore, dont je venais de découvrir une traduction française que je lisais avec amour pour la première fois.
En 1829 Berlioz met en musique plusieurs poèmes de Thomas Moore dans une traduction française de son ami Thomas Gounet. Le recueil est publié l’année suivante sous le titre de Neuf Mélodies et dédié à Thomas Moore lui-même; dans une édition ultérieure le titre est changé en Irlande. Quand Berlioz part pour l’Italie en 1831 il emmène avec lui son enthousiasme pour Moore, qui portera fruit au cours de son voyage. Son séjour à Nice en avril-mai 1831 marque le début d’une période d’activité créatrice: après l’ouverture du Roi Lear Berlioz commence tout de suite à composer deux autres ouvrages qui vont l’occuper au cours des semaines suivantes, d’abord l’ouverture de Rob Roy, puis le Mélologue. Plusieurs lettres donnent des détails sur la composition de ce dernier ouvrage, par exemple une lettre à Thomas Gounet de Rome datée du 14 juin 1831 (CG no. 231; voir aussi CG nos. 232, 233, 234):
Je travaille beaucoup; j’achève en ce moment un mélologue faisant suite à l’épisode de la vie d’un artiste; ce sera pour être exécuté après la symphonie et cela complèra un concert. J’ai fait les paroles en venant de St-Lorenzo à Rome, dans mon dernier voyage; j’avais laissé derrière moi la voiture et en cheminant j’écrivais sur mon portefeuille. La musique est faite aussi, je n’ai plus qu’à copier. Il y a six monologues et six morceaux de musique, chant seul, chœurs, orchestre seul, ou chœur et orchestre. Je regrette bien de ne pouvoir pas vous montrer mon coup d’essai en littérature, et profiter de vos conseils, mais ce n’est que différé. Pour les vers je ne me suis pas amusé à courir après la rime, j’en fais de la prose cadencée et mesurée, c’est tout ce qu’il faut pour la musique. C’est Moore qui m’en a donné l’idée; toutefois, la présence de la musique est justifiée dans le mien et c’est sous une forme dramatique que j’ai présenté le sujet. La scène commence après le songe d’une nuit du Sabbat, au moment où l’artiste revient à la vie.
Le mot mélologue, qui désigne un mélange de déclamation et de musique, est en fait une invention de Thomas Moore. Il est probable que Berlioz méditait un ouvrage de ce genre depuis quelque temps. Au cours des dernières années il avait composé divers morceaux qui n’avaient pas encore trouvé leur destination finale: aucun des morceaux de musique du Mélologue, qui aura pour titre Le Retour à la vie, n’est en fait original, mais dérive entièrement de différentes sources, parmi lesquelles deux de ses cantates pour le Prix de Rome (La Mort d’Orphée de 1827 et Cléopâtre de 1829). Berlioz avait aussi de fortes convictions sur un ensemble de questions artistiques et musicales sur lesquelles il souhaitait s’exprimer librement, et le Mélologue lui en fournissait l’occasion.
À son retour à Paris en 1832 le premier ohjectif de Berlioz est de faire entendre la version revue de la Symphonie fantastique suivie de son nouveau complément Le Retour à la vie. Il passe l’été de 1832 à La Côte-Saint-André à copier des parties pour le concert projeté. Les deux ouvrages sont exécutés ensemble dans un concert qui fera date le 9 décembre 1832, et qui sera répété le 30 décembre. Les deux concerts marquent un tournant dans la vie de Berlioz, comme il le raconte dans ses Mémoires (chapitre 44; voir aussi CG nos. 293, 295, 299, 304). Ils ont pour conséquence son mariage l’année suivante avec Harriet Smithson, mais en même temps Berlioz se fait un ennemi décidé dans la personne du musicologue François-Joseph Fétis, auquel Berlioz s’en était pris ouvertement dans un des monologues.
Le Mélologue ne fut rejoué qu’une seule fois à Paris avec la Symphonie fantastique (3 mai 1835), mais quelques morceaux extraits de l’ouvrage furent parfois exécutés par la suite (la ballade le Pêcheur en 1833 et 1835, et la Scène de Brigands à Vienne en novembre 1845). Le programme de la symphonie et le texte du Mélologue furent imprimés et distribués aux concerts de décembre 1832, et Berlioz en envoya des exemplaires à sa famille et à ses amis (CG no. 299). Trois morceaux pour voix furent publiés en 1833 (le Pêcheur, le Chant de bonheur et la Scène de Brigands), tous trois dédiés à Harriet Smithson. Mais l’ouvrage dans son ensemble resta inédit (la Symphonie fantastique parut finalement en 1845, mais séparément).
Les choses en restèrent là pendant plus de vingt ans, mais la mort de Harriet Smithson le 3 mars 1854 semble avoir incité Berlioz à reprendre son ouvrage. Profitant du fidèle soutien prodigué par son ami Liszt à Weimar, Berlioz soumit le Mélologue à une révision en apportant des modifications aux monologues: il supprima deux paragaphes sur Beethoven et mit l’accent sur l’inspiration shakespearienne au cœur de l’ouvrage (les deux différentes versions du livret de 1832 et celui de 1855 sont reproduites côte à côte dans la New Berlioz Edition, tome 7 pages 232-40; la version de 1855 est reproduite sur ce site). L’ouvrage dans son ensemble était maintenant encore plus étroitement lié à Harriet Smithson, et était aussi rebaptisé Lélio ou le retour à la vie. L’idée fixe, qui dans la version de 1831-2 n’apparaît que dans la symphonie, est maintenant introduite deux fois, dans le premier morceau (le Pêcheur), et tout à la fin après la Fantaisie sur la Tempête de Shakespeare. Dans cette version remaniée l’ouvrage fut représenté à Weimar le 21 février 1855 et eut grand succès (CG nos. 1897, 1899, 1903). Berlioz décida maintenant de publier l’ouvrage dans son intégralité. La partition piano et chant parut la même année, et la grande partition en 1857; l’œuvre était dédiée à Louis Berlioz, fils du compositeur. Berlioz profita aussi de l’occasion pour étendre le titre Épisode de la vie d’un artiste, qui à l’origine ne s’appliquait qu’à la symphonie (cf. CG nos. 152, 158), pour inclure à la fois la symphonie et son complément.
Le morceau intitulé La harpe éolienne. Souvenirs est le seul morceau purement instrumental du Mélologue. Il est tiré de la première cantate de Berlioz pour le Prix de Rome, son essai malheureux de 1827 qui avait pour titre La Mort d’Orphée (H 25). Pour son travail sur le Mélologue en 1831 Berlioz dut faire appel à une copie envoyée de Paris de la partition originale pour suppléer à sa mémoire (CG nos. 234, 239, 250). C’est le dernier morceau de la partition – un souvenir morcelé dans un mouvement lent d’un air chanté par Orphée plus tôt dans la cantate. La version dans Lélio est pratiquement identique à celle de la cantate, sauf pour quelques élaborations des parties de cordes, et la tonalité est aussi transposée de la bémol en la majeur. Berlioz avait évidemment un certain faible pour cette page évocatrice qu’il cite intégralement dans son Traité d’instrumentation (chapitre sur la clarinette; voyez aussi Mémoires chapitre 19 sur la répétition au Conservatoire en mai 1828). On a inclu ici la fin (instrumentale) du mouvement précédent, le Chant de bonheur (pour ténor et orchestre), pour faire ressortir l’adaptation de la mélodie dans ce mouvement.
Chant
de bonheur (fin) (durée 1'2")
— Partition en grand format
— Partition en format pdf
La
harpe éolienne (durée 2'10")
— Partition en grand format
— Partition en format pdf
(fichiers créés le 30.08.2000; révision le 23.12.2001)
© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.
Cette page revue et augmentée le 1er décembre 2021.