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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 23 NOVEMBRE 1844 [p. 1-2]

DISTRIBUTION DES PRIX DU CONSERVATOIRE.

    La séance a été ouverte par un discours de M. de Kératry, vice-président de la Commission des théâtres royaux. Ce discours, plein de vues excellentes sur l’art, a été vivement applaudi ; puis la distribution des prix a commencé. Et Dieu sait s’il y en a de ces prix ! Il y a le premier grand prix, le deuxième premier grand prix, le premier second grand prix, le deuxième second grand prix, quelquefois même le troisième second grand prix. On se perd au milieu de cet amalgame de premiers qui sont des seconds, de seconds qui ne sont que des troisièmes, et de deuxièmes qui ne sont ni premiers, ni troisièmes, ni seconds ; ce qu’il y a de sûr, c’est qu’ils sont tous grands. Pourquoi n’a-t-on institué que ceux-là ? Une certaine quantité de petits prix aurait pourtant encore pu être fort agréable à une foule de petites bonnes gens, et il y en aurait eu ainsi pour tout le monde. Voyez la joie de ces pauvres enfans qui, au lieu de recevoir un modeste accessit, ou de ne rien recevoir du tout, pourraient dire en se jetant dans les bras de leurs parens en larmes : « J’ai remporté le vingt-troisième second petit prix de solfége, ou de flageolet ! » On leur donnerait, à la place des grandes partitions des grands maîtres qu’on accorde aux grands prix, quelque babiole musicale ou non, moins que rien, un recueil de polkas ou un album de romances de la bonne faiseuse.

    Malheureusement le jury n’a pas semblé cette année disposé à s’engager dans cette voie. Loin de là, il a jugé qu’il n’y avait pas lieu à décerner un premier prix, grand ni petit, de contrepoint et de fugue ; il a montré la même réserve sévère à l’endroit de la classe d’harmonie et accompagnement pratique réunis, de la classe de chant pour les hommes, et de la classe de tragédie. Il s’est borné à partager des prix en quatre, et c’est déjà beaucoup, c’est même beaucoup trop, au dire de certaines gens, que ces glorieuses quadrinités éblouissent, et qui ne comprennent pas qu’on puisse mériter un quart de prix. Mais le jury, tout sévère qu’il soit, veut par là montrer sa bonne volonté et prouver que, dans l’occasion, il se met en quatre pour satisfaire les amours-propres de ces parens, toujours prêts à jeter les hauts cris si leur progéniture n’est pas couronnée, et à lancer à la face du directeur cette menace terrible : « Si mon fils n’a pas de prix cette année, je vous préviens, Monsieur, que je le retire de la classe de solfége ; et après cela, ma foi, le gouvernement s’arrangera comme il pourra ! ».

    Maintenant parlons sérieusement, s’il est possible, car ces distributions solennelles me donnent toujours des envies de rire irrésistibles. Est-il rien de plus plaisant, en effet, que de voir, autour de la classique table, revêtue du classique tapis vert, messieurs les professeurs et mesdames les (ah ! ma foi, j’allais créer un féminin que n’admettent ni le goût, ni la langue) ; enfin Mme Damoreau et Mlle Mars, magistralement assis, accueillant avec un sourire paterne tous ces jeunes triomphateurs qui viennent recevoir la palme de leur victoire musicale. Entrent Mlles Montdutaigny, Tabou, Roullié, Morize ; et M. Auber, en leur remettant de belles partitions reliées en maroquin rouge, pense involontairement à la distribution des prix de l’Institut, où il est d’usage que M. le président et MM. les professeurs embrassent les lauréats. Maintenant voici venir M. Gassier, grand jeune homme de talent, à la physionomie ouverte et spirituelle, que la même pensée frappe à son tour en apercevant Mlle Mars et Mme Damoreau, et qui se hâte de sortir après avoir salué ces dames profondément. C’est ensuite le petit Lemon, à qui Mme Damoreau remet une flûte, et M. Masurel, qui reçoit de ses blanches mains un modeste basson. On se dispense seulement de présenter aux lauréats des instrumens peu portatifs, tels que la contrebasse, la harpe et le piano.

    A cette solennelle distribution succède le concert, où les élèves couronnés sont admis à fournir en public une preuve de leur habileté, et à justifier ainsi la distinction qui leur a été accordée. Ce concert est ordinairement fort grave ; aussi l’envie de rire m’a-t-elle tout à fait passé en y songeant. C’est là qu’on peut observer la production incessante de notre école, la marche progressive qu’elle suit de certains côtés, et son utilité évidente. Chaque année il sort de ses classes, sinon des chanteurs (les chanteurs sont rares), au moins des musiciens, des accompagnateurs et des instrumentistes excellens, dignes de prendre rang dans ces merveilleux orchestres qu’on voit de temps en temps se former à Paris, pour l’étonnement des amateurs et des artistes étrangers de toute nation.

    Il y a peu d’années, le nombre de classes diverses du Conservatoire était assez restreint, l’enseignement restait incomplet, et l’on savait fort mauvais gré à ceux qui regrettaient ces lacunes, de vouloir les signaler au public et à 1’autorité. Il n’y avait point alors de classe de contrebasse ; on n’enseignait ni la harpe, ni la trompette, ni le trombone. Mais, après une trentaine d’années de réflexions, on finit par découvrir cette incontestable vérité : à savoir que ces instrumens, étant tous employés dans les orchestres de théâtre et de concert, dans les cérémonies religieuses et dans les bandes militaires, il entrait dans les fonctions et dans les obligations du Conservatoire d’en conserver la pratique et la théorie. Et les classes de contrebasse, de harpe, de trompette et de trombone furent fondées. Après cet effort on se reposa. On prend des forces maintenant pour pouvoir enfin, dans dix ou quinze ans, compléter tout à fait l’enseignement du Conservatoire. Qui vivra verra. En attendant, il faut prendre en patience notre incurable habitude de procéder si lentement, de toujours faire les choses à demi, et de ne jamais regarder qu’un côté des questions ; et nous devons être indulgens, très indulgens pour les artistes qui pratiquent certaines parties de l’art musical, parties essentielles et injustement méprisées, puisqu’on ne daigne pas même en enseigner dans nos écoles les premiers élémens.

    Mais qu’a-t-on donc oublié, me dira-t-on ? Est-ce parce qu’il n’y a point au Conservatoire de classe d’ophicléïde ni de timbales, que vous parlez ainsi ? Eh mon Dieu ! vous croyez rendre mon reproche ridicule en le dirigeant sur ce point ; mais je veux bien vous répondre qu’on trouvait aussi très amusans, il y a vingt ans, les gens qui demandaient les classes de trombone, de trompette et de contrebasse, et que l’ophicléïde et les timbales, étant employés par tous les compositeurs, le Conservatoire devrait être tenu d’en maintenir l’enseignement ; qu’il résulte de cette exclusion singulière un tort fort grave pour l’art, puisque dans une capitale comme Paris, pour deux ou trois artistes vraiment habiles et qu’on peut employer avec sécurité dans un orchestre bien composé, on trouve une multitude de gens qui, tirant d’horribles beuglemens d’un tuyau de cuivre, croient jouer de l’ophicléïde, ou, frappant à tort et à travers sur deux peaux de mouton, croient jouer des timbales, quand ils ne savent en réalité ni le mécanisme, ni le caractère de ces instrumens.

    Mais, sans parler de ceux-ci, n’en est-il pas d’autres, au moins aussi utiles, qu’il serait bon d’étudier ? Et n’y a-t-il que la partie instrumentale qui laisse à désirer ? On trouverait certes beaucoup de choses excellentes à dire à ce sujet, et par suite de très bonnes choses à faire, n’était la grande difficulté qui paralyse les plus intelligentes et les plus ardentes volontés… l’argent. « Nous n’avons pas d’argent, dit le directeur ; nous n’avons pas d’argent, disent les administrateurs ; nous n’avons pas d’argent, dit le ministre ; nous n’avons pas d’argent, disent les députés. » Une fois au pied de ce mur constitutionnel, il faut bien se résigner et se souvenir qu’on n’a jamais d’argent en France que pour faire les choses déjà faites ailleurs, quand nous aurions pu les faire les premiers mieux que personne. N’avons-nous pas, sur une échelle bien autrement vaste que la question qui m’occupe, l’exemple des chemins de fer, des bateaux à vapeur, des navires à hélice, du télégraphe électrique, des objectifs de Bontemps, des fusils à capsules, des ballons, et de vingt autres découvertes du génie humain, dont l’application est encore à faire où se fait d’une si mesquine façon qu’il semble que ces misérables tentatives nous soient arrachées par une sorte de honte, plutôt que par cette sympathie chaleureuse dont un peuple comme le nôtre devrait toujours être animé pour tout ce qui tend à élargir sa sphère d’activité et à accroître sa puissance.

    Il faut donc presque s’étonner du point où le Conservatoire de Paris est à cette heure parvenu, et ne pas s’imaginer d’ailleurs que les écoles de musique d’Italie et d’Allemagne lui soient en rien supérieures. Loin de là, on croirait à peine possibles les habitudes barbares qui se sont perpétuées dans la plupart des Conservatoires italiens, et ce n’était certes pas à eux que je faisais allusion tout à l’heure en disant que nous restions toujours en arrière des autres nations civilisées. Mon observation avait trait à l’application générale des grandes découvertes des sciences plutôt qu’au déploiement des ressources musicales connues et aux moyens à prendre pour en faire naître de nouvelles. Pour être conséquent avec moi-même, je dois donc dire : il n’y a point encore en Europe de Conservatoire de musique vraiment digne de l’état actuel de l’art ; mais si le nôtre est un des meilleurs, il est à craindre qu’il soit dépassé de beaucoup avant peu par quelque institution rivale, conçue sur de plus larges bases, à cause de notre tendance à l’immobilité ou tout au moins au mouvement circulaire, et surtout à cause de nos institutions politiques. La musique n’est pas un art constitutionnel. Quant aux capitalistes, possesseurs de très grandes fortunes, qui pourraient aisément faire ce que le gouvernement n’essaie pas, ce n’est point à eux qu’une idée pareille viendra jamais. Ils entendent par le mot musique, une cavatine italienne chantée par la diva à la mode, et ils ne conçoivent pas ce qu’on peut désirer pour l’art si la Grisi se porte bien.

    En outre, on crée d’une main ce qu’on détruit de l’autre ; le Conservatoire produit, par exemple, de jeunes compositeurs parmi lesquels l’Institut fait un choix ; et les lauréats pensionnés du gouvernement, envoyés à Rome, ne peuvent ensuite, au retour (si la barbarie romaine et l’énervant sirocco n’ont pas éteint l’étincelle d’enthousiasme qui brillait en eux), trouver moyen de se produire d’une façon convenable. On a fait de ces jeunes gens des compositeurs pour qu’ils ne composent pas. Les quelques exceptions prises parmi les lauréats dont l’Opéra-Comique a joué de petits ouvrages n’infirment en rien ce que j’avance ; car, outre l’insuffisance d’un acte ou de deux actes d’opéra-comique, représentés dans l’intervalle de deux ou trois ans, pour donner carrière à un compositeur, de quelle importance vraiment musicale sont pour lui de pareilles tentatives ? Que voulez-vous qu’il trouve au milieu de ces petites intrigues de vaudeville où l’on parle quatre fois plus qu’on ne chante, où il n’a presque jamais la faculté de développer un morceau d’ensemble ni un chœur, où il est limité par le temps qu’on lui accorde sur la durée d’un spectacle, par la nature du sujet qu’on lui a confié, par les interprètes qu’on lui impose ? Et ceci me ramène directement au concert de la dernière distribution des prix du Conservatoire. Il a commencé par une ouverture de M. Bazin, qui obtint le prix au concours de l’Institut en 1838, je crois, et n’a pas pu, depuis cette époque, faire exécuter à Paris six notes de sa composition. Cette ouverture cependant a des parties très remarquables ; il y a abus de grosse caisse et de cymbales au début et à la fin, mais ce défaut, on le voit, n’est dû qu’à l’entraînement de l’exemple et à cette crainte qu’ont toujours les commençans d’encourir le reproche de pauvreté et de faiblesse d’instrumentation, comme s’il y avait quelque mérite à bourrer une partition de trombones et de grosses caisses, quand la pensée, quand l’effet ne les motivent d’aucune façon ! A part ce reproche, qu’avec un peu de réflexion M. Bazin n’eût pas encouru, son ouverture mérite beaucoup d’éloges ; elle est écrite dans un style franc et vigoureux ; la mélodie principale, que chantent deux fois les violons, est passionnée autant qu’originale, et les modulations très hardies sont enchaînées avec la plus heureuse adresse.

    On demandait pour le programme de ce concert un trio pour trois pianos (le directeur était sans doute obligé de faire paraître trois pianistes !). Mais où prendre un morceau semblable ? Qui jamais s’est avisé d’écrire pour trois pianos ? Bach, il est vrai, a laissé un concerto pour trois clavecins, qui fut exécuté, il y a deux ans, par Mendelssohn, Hiller et Hallé, à Francfort, où j’eus le bonheur de ne pas me trouver, ce jour-là. Les trois virtuoses juraient leurs grands dieux que c’était très… intéressant. Le public, qui n’en croyait rien, eut l’imprudence d’aller entendre ; je ne ferai jamais comme lui, je croirai.

    Enfin, tant il y a que M. Zimmerman s’est dévoué et a composé un morceau que tout le monde redoutait (à cause des trois pianos), mais qui a généralement plu cependant, tant l’auteur a mis de grâce dans les traits, d’éclat dans l’harmonie et de sobriété dans les développemens. Il a été exécuté avec beaucoup d’ensemble et d’aplomb par Mlles Farrenc, Diett et M. Philipot. Ce sont trois pianistes qui savent jouer du piano.

    Sept autres premiers prix se sont ensuite réunis pour exécuter un septuor de M. Vogt, écrit dans le but de faire briller successivement et également tous les concertans. Il y avait une flûte (M. Lemou, âgé de quinze ans et demi), un hautbois (M. Cras), une clarinette (M. Soualle), un basson (M. Masurel), un cor ordinaire (M. Boulcourt), un cor à pistons (M. Gillette), et une harpe (Mlle Verney), le tout avec accompagnement d’orchestre. Les six instrumens à vent et la harpe ont prouvé qu’ils possédaient bien leur mécanisme ; ils avaient sans doute longuement étudié leurs parties, mais je suppose qu’ils sont tous musiciens ; ils n’ont au moins laissé échapper aucune faute qui tende à indiquer le contraire. Mlle Tabon, sur laquelle plusieurs personnes fondent des espérances, a chanté un air de Robert-le-Diable : En vain j’espère. Mlles Morize et Morange ont ensuite voulu chanter un duo d’Anna Bolena ; elles se sont trompées en commençant, c’est-à-dire l’une d’elles s’est trompée, et l’autre ne pouvant plus continuer, toutes les deux se sont enfuies en véritables écolières ; mais à la seconde tentative elles en sont venues à leur honneur. Mlle Morize a une voix qui ne manque pas de caractère dans son extrémité inférieure, elle chante souvent juste ; cela arrive moins souvent à Mlle Morange, dont le soprano tend à monter.

    Je n’ai pas entendu le concerto pour deux violons ; mais je sais depuis longtemps que MM. Boulard et Briard, qui l’ont exécuté, sont des virtuoses très méritans et qui font honneur à leur maître, M. Habeneck.

    On avait réservé pour la fin, et comme le bouquet du concert, le duo de Don Pasquale, chanté par Mlle Montdutaigny et Gassier. Les deux lauréats ont eu beaucoup de succès. Mlle Montdutaigny, qui avait paru quelques jours auparavant dans la Juive à l’Opéra, possède une belle voix pure et assez forte, mais dont les notes hautes n’ont pas assez d’ampleur pour des rôles terribles et aussi terriblement accompagnés que celui de la Juive ; elle a aussi une légère tendance à chanter trop haut quelquefois. Mais ses dispositions sont remarquables, et on aurait dû, par intérêt pour elle, brusquer un peu moins ses débuts. Gassier a des qualités brillantes ; sa voix de baryton, souple, agile et mordante, le rend propre à une foule de rôles. Je me souviens de lui avoir vu jouer et chanter fort bien don Juan à l’un des exercices publics du Conservatoire ; il y mit de la verve, de l’élégance et une aisance qu’on trouve rarement chez les débutans. Ou je me trompe fort, ou Gassier est appelé à une belle carrière dramatique et musicale. M. Crosnier, dont la main est heureuse, on le sait, n’a pas manqué de l’engager au plus vite et de lui promettre un opéra nouveau pour ses débuts. Gassier est élève de Banderali. Ce maître a déjà produit un nombre considérable de bons élèves. Il se donne, il est vrai, corps et âme à son art, et quand un sujet lui paraît doué de qualités saillantes, il ne se borne pas, pour les développer, à ses cours du Conservatoire, il fait venir l’élève chez lui et lui donne gratis de précieuses leçons. Le concert était entremêlé de petits bouts de comédie et de tragédie assez drôles, que les acteurs n’ont point mal chantés.

Méthode de violon, par Alard.

    Ceci ne sort point du Conservatoire. Alard, l’un des plus excellens virtuoses que cet établissement ait formés, y professe maintenant. Il a recueilli une partie de l’héritage de Baillot ; certes elle ne pouvait tomber en meilleures mains. La méthode qu’il vient de publier est complète et progressive. Tout ce qui constitue aujourd’hui l’art du violon y est soigneusement étudié, et présenté à l’élève d’une façon claire et dans un ordre parfaitement logique. Les explications sont concises, et les exemples et exercices nombreux et supérieurement composés. Je citerai surtout la leçon pour préparer la cadence, celle pour le croisement des doigts, l’étude pour l’emploi des première, deuxième et troisième positions, les études pour le grand détaché, pour le martelé, pour le sautillé, pour le bariolage, pour le staccato élastique et volant, pour l’arpége à trois cordes, pour le tremolo, et le curieux morceau où il a employé le mélange des sons harmoniques et du pizzicato de la main gauche. Je lui reprocherai seulement de n’avoir accordé aucune attention au pizzicato de la main droite, celui dont on se sert généralement, et dont l’art est, selon moi, encore en enfance, même parmi les violonistes de première force. La plupart d’entre eux n’ont jamais songé à l’étudier ; et quand on leur parle du parti qu’on en pourrait tirer, ils répondent ordinairement : « Vous voudriez donc nous faire jouer de la guitare sur le violon ! » Pourquoi donc pas ? Nous voudrions vous voir tirer du violon tout ce qu’il peut produire, ni plus ni moins. M Alard a été peut-être aussi un peu trop laconique à l’endroit des sons harmoniques. Il n’a pas fait entrer dans son tableau des intervalles effleurés et des sons réels la sixte effleurée, et cependant plus loin, dans une gamme en sol à la troisième position, il en fait usage sans que l’élève en soit prévenu. C’est une petite lacune à combler au prochain tirage. Cette méthode doit avoir un véritable succès : elle a tous les élémens qui constituent les bons ouvrages didactiques, et le nom de l’artiste qui l’a écrite est une garantie suffisante de sa tendance progressive.

Méthode de cornet à trois pistons,
PAR FORESTIER.

    A la bonne heure, voilà des noms qui représentent quelque chose ; et quand des virtuoses tels qu’Alard et Forestier prennent la peine d’indiquer comment on doit jouer de leur instrument, il faut les croire ; car ce qu’ils disent, ils en sont bien sûrs. Forestier est, en effet, du petit nombre d’instrumentistes qui savent à la fois chanter et faire la difficulté, qui ont du son, du mécanisme et du style. Il a fait sur le cornet à trois pistons un très beau et très bon travail que nous recommandons non seulement aux exécutans, mais aussi et plus encore peut-être aux compositeurs, la plupart d’entre ces derniers écrivant les instrumens de cuivre, les cornets et trombones surtout, à peu près au hasard et sans en connaître seulement l’étendue. Forestier fait depuis quelques mois partie de l’orchestre de l’Opéra, où ses solos dans les ballets font sensation.

    Nous aurons, le mois prochain, deux intéressantes matinées musicales, montées avec luxe et avec soin. Il s’agit d’abord d’un grand opéra biblique, paroles de M. Maurice Bourges, musique de M. Kastner, qui sera exécuté sous la direction de M. Habeneck, et avec le concours de presque tout notre olympe chantant, dans la salle du Garde-Meuble de la Couronne ; puis d’une grande symphonie intitulée le Désert, que M. Félicien David fera entendre dans le même local, avec plusieurs autres compositions, inspirées, dit-on, par l’éblouissante nature orientale que l’auteur a eu le bonheur d’admirer.

    Liszt est toujours à Madrid où les belles Espagnoles s’entretuent à son sujet ; où on le couvre de bravos et de réaux ; où le piano de Boisselot sur lequel il a joué au théâtre del Circo a été mis à l’enchère et vendu au prix extravagant de 5,000 fr. C’est encore une révolution ; on en oublie les fusillades ; les conspirations avortent, languissent ; les Espagnols ne sont plus reconnaissables sous ce nouveau gouvernement.

    Sax revient d’Angleterre où ses nouveaux instrumens ont été appréciés comme ils le méritent, non seulement des artistes, mais du premier amateur des trois royaumes, de S. A. R. le prince Albert, qui a accueilli l’ingénieux artiste avec la plus flatteuse bienveillance.

    On m’écrit de Bruxelles que Th. Hauman y fait de nouveau fanatisme, et que Snel, le savant maître de chapelle de Sainte-Gudule, a fait exécuter à la kermesse de Courtrai une grande scène nouvelle de sa composition, pour chœurs et orchestre d’harmonie, avec un succès triomphal. En voilà-t-il de la gloire !…

    Il me reste à annoncer les fêtes musicales que nous allons donner bientôt au Cirque des Champs-Elysées, avec la permission toutefois du conseil des hospices, et quand on aura terminé les préparatifs que la nouvelle destination de la salle rend nécessaires. On ne se plaindra pas du moins cette fois, nous l’espérons, du peu de sonorité du local ; et trois cents musiciens, placés sur les gradins de cet amphithéâtre circulaire, produiront à coup sûr plus d’effet que huit cents dans la salle de l’Opéra : nous en avons fait l’épreuve.

H. BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er juillet 2015.

© Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

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