(Textes corrigés, en ordre chronologique)
Liste chronologique des lettres d’Adèle Berlioz-Suat
La transcription littérale des lettres d’Adèle Berlioz-Suat se trouve sur des pages séparées:
I. Lettres R96.260.02, R96.856.1 à 3, 2011.02.116 à 153
II. Lettres 2011.02.154 à 196
III. Lettres 2011.02.197 à 265, 2011.02.298
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2011.02.116 | Samedi 29 mars 1828 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | Image |
Les premières lettres connues d’Adèle concernent un épisode de sa jeunesse: au printemps de 1828, âgée de 14 ans, elle est mise en pension à Grenoble par son père, mais Adèle refuse de s’y plier et écrit lettres sur lettres à sa famille et à ses connaissances pour exiger son retour à La Côte, et pour finir elle aura gain de cause… Voir aussi la lettre de son oncle Félix Marmion de juin 1828, après le retour d’Adèle au domicile familial (BnF). — On pourra comparer ces lettres écrites par la jeune Adèle loin du domicile familial pour la première fois de sa vie avec celles écrites 30 ans plus tard par sa fille Nancy Suat de Tournon dans des circonstances différentes (lettre R96.858.8 et suivantes).
Grenoble le 29 mars 1828
Vous dites dans votre charmante lettre, ma chère Maman, que vous croyez que la première lettre que je vous écrirai vous me trouverez tout-à-fait accoutumée. Hélas, c’est tout le contraire ; je suis plus ennuyée que jamais, de toute manière je vois que je ne puis pas m’accoutumer ; cela me tourmente, parce que je sais combien cela vous ferait plaisir à vous et [à] mon cher Papa ; d’un côté je m’ennuie horriblement, toutes ces réflexions me tourmentent tellement que je n’ai rien dormi cette nuit et que j’ai été agitée toute la nuit. Cependant je voudrais que vous fussiez contente de moi ; je trouve ma position très triste, sans cesse combattue par les deux pensées ; je ne trouve de plaisir qu’à pleurer tant que j’en ai envie. Écrivez je vous prie, ma chère Maman, aussitôt que vous aurez ma lettre ; vous ne pouvez pas vous imaginer le plaisir que m’a fait la vôtre, elle est si pleine d’expressions de bonté qu’elle m’a fait pleurer, et m’a donné encore plus de regret d’être séparée d’aussi bons parents. J’ai été très sensible au tendre souvenir de Victorine et de Monique ; dites-leur je vous prie bien des choses de ma part. Adieu, ma chère Maman, je vous embrasse et attends avec la plus vive impatience votre lettre, ne me la faites pas attendre, je vous en prie. Je suis avec respect votre soumise fille
Adèle Berlioz
Ah ! Si je retournais auprès de vous que je serais heureuse, j’espère en votre bonté car je ne serai heureuse qu’alors. Venez me chercher je vous en prie.
2011.02.117 | Jeudi 3 avril 1828 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116.
Grenoble le 3 avril 1828
Je suis si fatiguée, ma chère Nancy, aujourd’hui vous devez recevoir ma lettre qui contredit ce que mon oncle a écrit hier à Papa que cela n’était rien, mais aujourd’hui je suis beaucoup plus fatiguée que quand il a écrit d’abord. Voilà trois ou quatre jours que j’ai toujours bien mal au cœur, j’ai la tête qui me fait bien mal quand je marche, et ce matin quand je me suis levée j’ai pris un étourdissement qui m’a forcée à retomber sur mon lit. Je ne dors pas ce qui est contre mon ordinaire, je ne puis manger sans que cela augmente beaucoup mon mal de cœur. Hier j’ai eu un peu de fièvre et je crois même que j’en ai aujourd’hui, car j’ai beaucoup de frissons ; l’on nous a fait habiller de blanc et quoique je sors très chaudement j’ai toujours froid et j’ai été obligée de prendre un grand châle. Adieu, ma chère Nancy, je t’en conjure prie Papa de venir tout de suite, ou bien envoyez-moi Monique mais tout de suite.
Odile est ici avec moi ; sa mère a été très fatiguée et elle s’est mise hier des sangsues. J’ai reçu hier la lettre de maman et de Victorine ; je ne puis plus écrire car je suis très fatiguée ; ah ! ne m’abandonnez pas, ne me laissez pas ici souffrante et au désespoir. Adieu, ta malheureuse sœur
Adèle Berlioz
2011.02.118 | Jeudi 10 avril 1828 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116. D’après cette lettre Monique rendit visite à Adèle suivant sa demande (2011.02.117).
Grenoble le 10 avril 1828.
Tu me dis, ma chère Nancy, que tu crois que ta lettre me trouvera guérie de corps et d’esprit ; ma réponse va t’étonner, mais je ne puis te le cacher, je ne suis guérie ni de l’un de l’autre. Le jour que Monique est partie d’ici je fus extrêmement fatiguée ; ah ! que je regrettais que cela ce fut trouvé le jour même de son départ. Si je l’avais sentie auprès de moi me donnant des tendres soins, ah ! que cela m’aurait soulagé ; mais pour comble de malheur il faut encore pour augmenter mon ennui que je sois toujours souffrante. Je fais tous mes devoirs comme si je ne l’étais pas du tout ; l’on espérait que cela me distrairait et que je ne penserais pas tant à mon mal et à mon chagrin, mais l’on s’est trompé, je suis toujours aussi chagrine et aussi fatiguée, j’éprouve toujours dans l’estomac et dans les épaules des douleurs qui sont même assez fortes. Que je sois malade, que je ne le sois pas, je ne vois ni oncle, ni tante, ni cousins, ni cousines ; Madame Apprin avait bien promis à Maman de venir me voir. Les demoiselles
Durosier, Mme Vallet aussi, je n’ai vu personne ; qu’il est triste d’être abandonnée de tous ceux qu’on aime le plus sur la terre de ses parents. En te racontant mes chagrins je suis obligée d’essuyer mes larmes si je ne veux pas qu’elles mouillent mon papier ; ah ! montre-moi, ma chère Nancy, combien tu y prends part en m’écrivant bien souvent, en me racontant un peu ce qui se passe à La Côte ; je ne lui vois rien de comparable à présent que je ne l’habite plus.
Virginie passe ici presque toutes ses journées depuis que Monsieur Falque est parti avec Monseigneur, mais je ne la vois pas plus souvent pour cela parce qu’elle se tient assez loin des classes.
Monique m’a acheté ma robe bleue de costume ; Melle Payen lui avait promis de venir me l’essayer mardi, elle n’est point venue ; j’y ai envoyé quelqu’un, elle a répondu que je l’aurai bien sûrement pour dimanche, jour où j’en ai besoin.
La cousine de ma tante Mademoiselle Montlatruc va s’en aller à la fin de ce mois ; sa mère doit venir avec Monsieur l’abbé Anglais qui vient pour prendre ma tante pour aller avec lui à Roanne. Je suis très fâchée de cela parce que comme j’avais vu cette demoiselle chez ma tante je la connaissais ; elle est bien gentille, elle cherche toujours tout ce qu’elle peut imaginer pour me distraire ; quand elle sera partie le temps me durera encore davantage. Il faut donc que tous se réunissent contre moi, vraiment je suis bien à plaindre. Adieu, ma chère sœur, j’ai les yeux si pleins de larmes que je n’y vois plus.
Embrasse pour moi Papa, Maman, Prosper, Monique, Julie, Françoise, Melle Bertrand, et ma petite Nancy pour laquelle je brode un très joli col.
Adieu, plains ta malheureuse sœur Adèle Berlioz.
[de l’écriture de Louise]
Soyez parfaitement tranquille, Mademoiselle, sur le compte de notre bonne petite Adèle ; sa santé est assez bonne, elle mange de bon appétit, dort très bien, travaille avec suite, et commence à s’amuser. Le moyen le plus efficace pour l’accoutumer a été de ne pas avoir l’air de s’occuper de sa santé et de sa tristesse. Les douleurs dont elle se plaint ne sont rien, j’en ai parlé à Monsieur Berlioz qui m’a parfaitement rassuré. Encore quelques jours de patience et nous serons au bout de toutes nos peines, et nous éprouverons de la part de cette bien chère enfant de grandes consolations, j’en ai la douce confiance.
Louise
2011.02.119 | Mercredi 23 avril 1828 | À l’aumonier Petit | Transcription littérale | Image |
Voir 2011.02.116.
Grenoble le 23 avril 1828.
Monsieur
Je prends la liberté de vous écrire pour vous prier d’aller aussitôt que vous aurez reçu ma lettre chez mon père, et de faire tout votre possible pour le décider à me retirer d’ici et à me ramener auprès de lui. Ah ! Monsieur, quelle reconnaissance ne vous aurais-je pas toute de ma vie si vous parveniez à décider mes parents à venir me chercher ; ce n’est qu’alors que je me porterais bien et que je serais heureuse, car depuis que je suis ici je souffre toujours ; voilà deux jours que je sens que cela augmente beaucoup. Ah ! si Maman savait comme je souffre de corps et d’esprit, oui, elle retrouverait ses entrailles de mère qu’elle semble avoir perdues depuis pour moi depuis que je suis malheureuse ici.
Je serais au désespoir si vous ne parvenez pas à décider Maman ; je vous en conjure à genoux, faites tout ce qui dépendra de vous ; si vous croyez qu’en vous adressant à Maman premièrement vous réussiriez mieux, essayez, enfin employez tous les moyens que votre sagesse pourra vous suggérer. Je compte sur l’attachement que vous portez à
ma famille pour lui dire de ma part que j’ai fait tout mon possible pour m’accoutumer parce que je savais combien cela leur ferait plaisir, mais cela m’est impossible, absolument impossible ; que l’on ne croie point que c’est manque de bonne volonté, ah ! je vous en prie, dites leur bien le contraire. Non, mon Papa et Maman se sont montrés si bons à mon égard que je ne puis croire que me sachant toujours plus souffrante et plus malheureuse ils ne mettent un terme à mon désespoir ; tâchez je vous prie, Monsieur, de mettre ma sœur dans mes intérêts ; ah ! dites-lui de ma part qu’elle ne sait pas ce que c’est que d’être malheureuse et d’être éloignée de sa famille, mais elle n’en est jamais sortie et elle ne peut savoir les tourments qu’on
éprouve. Je vous prie de ne donner connaissance de cette lettre à aucun étranger ; répondez-moi je vous prie et instruisez-moi des sentiments
de ma famille à ce sujet. J’espère que vos instances auprès de Maman auront un bon résultat.
Je suis, Monsieur, avec le plus profond respect
Adèle Berlioz
2011.02.120 | Vendredi 25 avril 1828 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116.
Grenoble le 25 avril 1828
Ma chère Maman
Je voudrais bien avoir quelque chose de consolant à vous dire, mais hélas je suis tous les jours plus malheureuse, les réflexions affreuses qui me poursuivent ne me laissent pas un, pas un moment de repos ni le jour ni la nuit. Je [sais?] dans quel état je vous mets toutes les fois que je vou[s] écris. non je ne puis le croir[e] si vous pouviez lire au [fond] d[e] mon cœur ce qui s’y passe [lacune] de com[passion] à l’aspect des tourments que [lacune] je me dis à moi m[ais] pourquoi est-ce que je ne pourrais [lacune] que les autres j[ours ...] je vois tout gaie autour de [lacune] moi, tout le monde s’a[muse ...] et moi je n’ai que les larmes et les
tourments [lacune] partage, ainsi ce passe le printemps de la vie sans
être heureux sans être [aimé?...] vous dites que vos plus beaux jours sont ceux que [l’]on passe en pension, je ne [m’en] suis pas aperçu jusqu’à ce jour, je sais seulement que le Roi me promettrait son royaume pour recommencer les six mortelles semaines que je viens de passer que [je] le refuserais bien vite, je ne suis pourtant pas plus accoutumée que le premier jour, ah ! Maman je vous écris à genoux et mes larmes troublent ma vue, ne me laissez pas plus longtemps souffrir car vraiment je fais pitié. Hier Odile vint me voir avec Véronique qui l’accompagnait, cette pauvre fille se mit à pleurer, elle me [lacune] malheureuse qu’elle se mit à pleurer, n’y au[ra-t-]il donc qu’elle qui
fût sensible a mes tourments [lacune] cela ne peut s’appeler que comme cela Ma[m]an, ma chère, très chère Maman, je vous assure [q]ue j’ai fait tout mon possible pour m’accoutumer, toutes les réflexions les plus propres à me faire surmonter cela sont infructueuses. Je viens de faire mes Pâques, j’ai supplié Dieu de me faire la grâce de m’accout[um]er, impossible, impossible mes forces m’aband[onnent ; écrivez-] moi par pitié une lettre qui me donne un pe[u d’]espérance, en grâce, en grâce ayez pitié des affreux tourments que j’endure.
Je n’ai pas vu Madame Faure du tout, l’on vient de retirer sa nièce d’ici pour la mettre à Lyon dans les endroits ou l’on redresse [les] personnes bossues.
J’ai comm[encé] un peu à connaître les notes de
musique, c’est une chose [in]sipide mais comme ici je ne trouve que des choses comme cela mais pas des gens, car tout le monde est on ne peut pas plus aimable, mais je n’y trouve pas Maman, je vous cherche toujours mais en vain, je ne rêve qu’à vous, mais hélas l’affreux réveil vient dissiper cette illusion si douce et la réflexion que je suis éloignée de vous pour si longtemps m’accable. Adieu, ma très chère Maman, ayez pitié de votre malheureuse et aimante
fille Adèle Berlioz
P.S. Melle Payen vie[nt lacune] costume, c’était bien tem[ps ...] Dimanche passé les autres les avaient toutes et moi j’étais [la] seule en couleur différente. J’embrasse bien Papa, dite[s] lui qu’il a une fille qui est bien malheureuse ; je regrette [bien?] mon pauvre petit Prosper, Monique, Julie, Melle Bertrand ; j’écris à Victorine par la même occasion, cela me fait un plaisir indicible de voir quelqu’un de la Côte, ce pays que vous trouvez si triste, je ne puis y penser que les larmes ne viennent aux yeux.
2011.02.121 | Jeudi 8 mai 1828 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116.
Grenoble le 8 mai 1828
Que votre lettre m’a fait de mal, ma chère Maman, c’est tout au plus si j’ai le courage de vous écrire après une lettre si décourageante ; cependant comme Rose part demain je n’ose de peur de vous fâcher la laisser partir sans vous donner de mes nouvelles. Ah ! que je suis donc à plaindre, mon Dieu, mon Dieu, mes parents m’abandonnent ; il
seul [sait?] que je suis malheureuse, que je suis tellement tourmentée que je n’ai pas un moment de repos. Enfin Madame de Bourcet ma laissé sortir aujourd’hui pour n’avoir pas devant ses yeux ma malheureuse physionomie. Je vous écris de chez ma tante ; hélas, tout ici me rappelle le souvenir d’une mère que j’adore et qui hélas paraît vouloir oublier son Adèle, oui son Adèle, dont le seul souvenir de sa mère met au désespoir. Vous avez dit à ma tante que la dernière [lettre] que je vous avais écrite je m’étais creusé la tête pour la faire romanesque ; mais comment cette idée peut-elle vous être venue dans la tête ? non, vous ne connaissez pas à ce qui paraît mes sentiments à votre égard, car dans cette lettre je ne vous disais que ce que je pense ; mais il paraît que vous voulez que je sois dissimulée avec vous. Non, vous aurez beau faire, je vous le dis, je vous repète, je suis trop malheureuse, je ne peux plus y tenir, envoyez moi chercher, autrement ces Dames seront obligeés de me ramener elles-même. Je ne sais s’il faut compter sur ce que Rose m’a dit que mon père viendrait cette semaine ; mon cœur bat avec violence, ah ! mon père, votre malheureuse fille, n’éprouvez-vous plus rien de tendre pour elle ? Je ne puis le croire – ah ! mes chers parents, aimez-moi, mettez fin à mes chagrins.
Maman paraît fâchée que je ne la remercie pas des brioches
que vous avez eu la bonté de m’envoyer ; mon Dieu, j’en suis bien reconnaissante mais j’avais tant d’autres choses par la tête que je n’y ai plus pensé.
Rose m’attend pour aller voir Melle Nancy ; je la charge de vous dire ce que je [n]’ai pas le temps de vous dire, j’attends [mon] père [aujourd’hui?] ou après demain, s’il ne peut pas venir envoyez Monique me chercher.
Ma tante part à 9 heures du soir avec Odile et son oncle ; elles y resteront plus d’un mois. Ma tante Félicie vient de revenir de la campagne, aussi si vous venez vous trouverez quelqu’un ; ah ! venez, je ne peux plus prendre patience.
Votre respectueuse fille
Adèle Berlioz
2011.02.265 | Printemps 1828 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.116.
Ce que vous me demandez est au-dessus de mes forces ; je m’ennuie horriblement et vous ne voulez pas venir me chercher.
Ah ! mon père, vous m’avez abandonnée, oui je suis bien malheureuse ; ah ! mon père, mon père, ayez pitié de moi, venez me chercher. Je suis avec respect votre malheureuse fille, Adèle B.
Vous dites que je n’ai fait aucun effort pour vaincre le chagrin qui m’accable ; ah ! détrompez-vous, détrompez vous ; ah ! si vous saviez, oui j’ai fait ce que j’ai pu. Ahi ! que je suis malheureuse.
2011.02.298 | Mardi 4 août 1829 (?) | Prosper et Adèle Berlioz à leur sœur Nancy Berlioz |
Transcription littérale | Image |
Nancy Berlioz était à ce moment chez son amie Rosanne Goléty à Bourg (cf. 2011.02.272, 2011.02.273).
[De la main de Prosper]
La Côte St André le 4 juin 1829 [sic]
Je t’écris pour la première fois, ma chère sœur, j’ai pensé qu’il y en avait bien assez pour exercer la patience d’Adèle.
On m’a dit qu’Émile avait un peu souffert de son doigt, j’en suis bien fâché ; le temps me dure bien de le voir, car je m’ennuie bien tout seul.
Adieu, ma chère sœur, il faut que j’aille à l’ecole et d’ailleurs je ne sais pas que te dire ; je t’embrasse de tout mon cœur. Ton petit bout de frère
Prosper Berlioz
[De la main d’Adèle]
Ne recevant aucune nouvelle d’Hector, ma chère Nancy, nous n’avons cependant pas voulu te laisser plus longtemps sans te donner des nôtres. Je renvoyais de courrier en courrier espérant toujours d’avoir quelque chose à t’apprendre sur son compte, mais voyant que cela me menait loin, j’ai pris mon grand parti et je me suis mise à mon bureau sans trop savoir ce que j’allais te dire ; notre pauvre pays est tous les jours plus triste, Mme Blanquet est à l’agonie depuis deux jours, Rose est toujours entre la vie et la mort, tout cela comme tu vois n’est pas très gai ; je décidai cependant mercredi Maman à aller à Pointières voir Madame Augustin et à l’engager à venir diner à la maison le lendemain ; ces dames ne l’ayant pas pu ce jour-là ne sont venues que le vendredi. Mademoiselle Louise [Veyron] était toute désorientée et elle avait bien besoin que sa tante passât quelques jours avec elle pour la consoler de ton
départ.
Il paraît cependant que Mme Veyron va à Grenoble la semaine prochaine ; pour nous, nous y allons tous les jours en projets mais je doute fort qu’ils s’exécutent.
Françoise est revenue hier d’Uriage ; elle nous a dit que Mr Arvet avait pris une seconde attaque qui lui avait paralysé le gosier et qu’il ne pouvait rien avaler absolument. Mademoiselle Nancy [Clappier] paraissait très inquiète et très ennuyée ; elle craignait qu’il n’en prît une troisième qui ne l’enlève.
Françoise a apporté les dentelles que tu avais commandées
à Jeanneton ; je te prie de me dire dans ta première lettre si tu veux que je les donne à la Martin ; elle n’a encore rien rendu de l’ouvrage que tu lui avais laissé, pour moi j’ai achevé ma [mot
effacé] de tulle, elle est très jolie. Je vais commencer un voile ; Melle Louise a eu la complaisance de me donner un joli dessin. Malgré que je sois toujours dans l’enchantement d’être la fille aînée de la maison, tu me fais un grand vide et je commence à reconnaître qu’une vieille sœur a bien son prix. Adieu, ma chère Nancy, je t’embrasse et quoique j’en dise j’attends ton retour avec bien de l’impatience.
Ton affectionnée sœur
A B.
Mme Marmonière vient d’accoucher d’une quatrième fille.
Aucune lettre de cette année
Aucune lettre de cette année
2011.02.122 | Jeudi 12 juillet 1832 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
De retour de son voyage en Italie Hector Berlioz séjournait à ce moment chez sa sœur Nancy à Grenoble d’où il devait revenir bientôt à La Côte (CG nos. 280-2). — Le mariage de Nancy Berlioz et Camille Pal avait eu lieu le 16 janvier 1832 (voir 2011.02.287). — Sur Louise Boutaud voir R96.863.2.
La Côte St André jeudi [12 juillet 1832]
Je présume que ton pauvre mari t’a quitté hier, ma chère Nancy, je partage bien toute la peine que ce voyage doit te faire ; il faut convenir que votre chère tante n’est pas fort aimable, mais tu as sans doute déjà pris ton parti, ainsi il faut tâcher de l’oublier ; je pense que tu es maintenant à Uriage, je suis bien aise que tu y passes le temps de l’absence de famille ; tu y auras beaucoup plus de distractions, et de toute manière je te félicite de cet arrangement.
Plains-nous donc aussi, ma bonne sœur, nous avons Mr Anglais depuis hier soir ; mon père comme à l’ordinaire ne peut pas s’y résigner malgré qu’il n’ait presque pas mis les pieds au salon ; il vient de me dire qu’il allait se coucher. Cela ne m’a pas beaucoup inquiété parce que tu sais que c’est son usage en pareil cas, d’ailleurs il a besoin de se remettre un peu de la frayeur qu’il a eue hier soir. Un incendie horrible a éclaté au Chuzeau à côté de la ferme de Mme Pion ; comme tu sais qu’on crie souvent pour une poignée de paille qui brûle, je ne me suis d’abord pas du tout effrayée, au contraire, je pensais que les mines attrapées des gens qui allaient revenir en disant que tout était fini, m’amuseraient beaucoup. Maman, mon père et les filles y étaient courus ; au bout d’une heure quand j’ai vu que personne ne revenait j’ai commencé à prendre peur, j’y suis allée, et je t’assure que j’étais bien loin de m’attendre à ce que je vis : trois maisons en flammes, plusieurs autres qui couraient les plus grands dangers, une foule immense, immense occupée à faire la chaîne, et qui de temps en temps poussait des cris de terreur en voyant des poutres énormes tomber avec
fracas, des murs menaçant à chaque instant d’écraser les gens occupés à
éteindre le feu ; heureusement il n’y a péri personne, et à force de peine on est parvenu à concentrer l’incendie dans les trois maisons qu’il était impossible de sauver, et la grange de Mr Pion n’a point eu de mal, elle en a été quitte pour la peur, mais elle en est presque malade. Pour moi il faut que je te fasse ma confession, mais je t’assure qu’à part la pitié que me faisait naturellement les victimes de cet événement je trouvais ce spectacle magnifique ; il faisait un très beau clair de lune, ces gerbes de feux qui retombaient au milieu de ces arbres bien droits, cette foule qui se ruait autour, ces cris, enfin tout cela réuni faisait un coup d’œil vraiment atrocement beau comme dirait Hector. J’espérais un peu qu’il serait revenu cette nuit et je l’ai attendu en vain, le temps me dure beaucoup qu’il
revienne, toutes ces belles émotions ne me font pas prendre patience.
Mme Simian est de retour de Tournon, elle est
dans le ravissement de toute cette famille Boutaud ; Louise a trouvé un
appartement meublé comme celui d’une princesse absolument, son beau père lui remit 1000 fr [?] le jour de son arrivée, en lui disant
« Ma chère fille, plus vous en dépenserez, plus je serai content de
vous » ; j’espère que voilà qui est gentil, mais c’était fait pour elle, aussi je suis sûre que cela ne lui paraît pas fort extraordinaire, elle est dans l’enchantement. J’ai appris tous les détails avec grand plaisir.
J’aurais encore un million de choses à te dire, mais ma pauvre mère est seule avec son aimable hôte, et tu sens qu’il est temps que je retourne lui aider un peu à soutenir une conversation qui a déjà été vingt fois à l’agonie.
Adieu écris-nous vite, donne-nous de bonnes nouvelles, c’est ce que tu peux faire de mieux.
Ton affectionnée sœur
A B
Baise Hector pour moi si tu le vois.
Aucune lettre de cette année
2011.02.123 | Samedi 24 mai 1834 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | — |
Adèle était alors en séjour chez sa sœur Nancy à Grenoble. Mathilde Pal, née le 13 juin 1833, avait moins d’un an. — Le petit d’Odile est Ernest Caffarel, né en janvier 1833.
Grenoble samedi [24 mai 1834]
Je profite vite, ma chère Maman, d’un petit moment qui me reste avant dîner pour vous écrire un mot ; je ne sais comment le temps passe ici, mais je n’ai pas eu une minute à moi depuis ce matin ; Mathilde nous occupe une grande portion de la journée, elle est si gentille, si jolie, qu’on ne s’en passe pas. Hier nous avons couru toute l’après-midi ; je suis allée d’abord chez mon oncle Victor que j’ai trouvé ainsi que ces dames, il m’a dit qu’il avait écrit à mon père. Je pense qu’il lui a fait part de sa nouvelle mésaventure ; le Drac a emporté entièrement toutes les digues, et les plantations qui lui avaient coûté tant d’argent et de peine, et vous jugez combien il a dû être contrarié ; aussi tous ses malheurs coup sur coup l’ont vieilli étonnamment, et il est aussi changé que ma pauvre tante. Pour Odile [Caffarel] elle avait un peu repris, mais l’inquiétude que son petit lui a donné lui a fait perdre ce qu’elle avait gagné ; vraiment il est miraculeux que cet enfant existe, il a eu des accès de fièvre pernicieuse si violents que trois fois, il est resté comme mort ; et sa pauvre mère était au désespoir. Enfin à présent il va tout à fait bien.
Je suis allée de là chez ma tante Félicie que j’ai
trouvée très bien ainsi que tout son monde ; puis chez Mme
Vallet que je n’ai pas trouvée parce qu’elle court toujours ; mais j’ai vu Fanny qui tenait compagnie à Mademoiselle Victoire son ancienne institutrice, qui était venue passer deux jours avec elle, et qui m’a chargée de la rappeler à votre souvenir. Elle nous a fait mille amitiés à Nancy et à moi, et nous venons de lui envoyer Mathilde qu’elle nous a demandé vivement. En sortant de là nous avons vu les dames Mallein et les demoiselles Lastellet, qui nous ont promis de venir ce soir nous prendre pour la promenade.
Mme Buisson sort d’ici, elle était dans toute sa parure ; hier nous y étions allés, mais elle était à table, et nous prenions nos chapeaux pour y retourner lorsqu’elle est entré.
Je ne pense pas, ma bonne mère, qu’il soit possible de m’en retourner avec elle ; Camille me charge de vous dire qu’il veut absolument que je tienne compagnie à sa femme pendant son absence, et que si je ne trouvais pas d’occasions pour m’en aller, il m’accompagnerait jusqu’a Voiron [?], et que de cette manière tout s’arrangerait très bien, et je me laisse dire tout cela.
Je suis si contente de mon métier de bonne et je me fais une si grande fête de not[re] séjour à Meylan que je n’ai pas le cou[rage] de penser encore au retour ; mais ma chère Maman, je suis à vos ordres ; Camille va bien à présent, demain après la messe il nous mènera à Meylan où il passera la journée avec nous ; il doit partir à la fin de cette semaine seulement. Nous trouverons d’aimables voisines, les dames Fontanil ; elles sont venues aujourd’hui, et nous ont beaucoup engagé à les voir. Adieu, adieu ma chère Maman, voilà la troisième fois que je laisse ma lettre, on m’appelle, Melle et Mme Teisseire viennent d’entrer et on prétend que c’est pour moi ; je dois vite.
J’embrasse mon père, mes compliments à Mme Pion.
Votre affectionnée fille, Adèle.
2011.02.124 | Vendredi 6 juin 1834 | À sa mère Joséphine Marmion-Berlioz | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.123.
Meylan vendredi [6 juin 1834]
J’ai reçu hier votre longue lettre, ma chère Maman, j’ai été [très?] désolée d’apprendre que mon silence vous avait donné de l’inquiétude ; pour ne pas m’exposer à de nouveaux reproches je me dépêche à vite vous répondre.
Nous passons toujours notre temps très agréablement, tous
les jours nous avons presque des visites, soit de Grenoble, soit d’ici ; hier Mr Henri Pal est venu nous demander à dîner ; le soir nous fîmes avec lui une immense promenade, pour lui montrer plusie[urs] jolies habitations de nos environs ; il était venu également mardi passé avec sa mère et sa sœur ; mais ces dames ne vinrent que le soir de sorte que nous ne pûmes pas trop leur faire admirer les beautés de Meylan.
Mme Pal trouva sa petite fille [Mathilde] bien portante, si elle était venue la veille elle n’aurait pu en dire autant ; dans la nuit du dimanche au lundi elle prit un violent accès de fièvre qui nous a fait passer deux jours dans l’inquiétude. Nancy écrivit à mon oncle pour le prier de venir s’il allait à Mont-Fleuri ; il le promit à la domestique, mais lorsqu’elle fut de retour la petite n’avait plus de mal, en conséquence nous lui fîmes dire de ne pas se donner la peine de monter. Il paraît que cette petite indisposition était occasionnée par deux grosses dents qui voulaient se faire jour ; enfin elle va à merveille maintenant ; c’est un diable s’il en fut ; personne ne peut plus l’approcher que sa mère et sa bonne ; pour moi je suis disgraciée irrévocablement depuis que j’ai refusé de lui
passer un caprice par trop violent, depuis lors il n’est sorte de prières, de supplications, [d]e promesses que je n’ai faites pour rentrer en grâce, impossible de la décider à venir avec moi ; et dès qu’elle m’aperçoit elle me regarde avec son air malin, et si je fais un pas pour l’approcher elle fait des cris épouvantables, puis quand je recule effrayée de ses larmes, elle prend une physionomie si conquérante qu’elle nous fait mourir de rire ; mon pauvre grand-père fait des exclamations d’étonnement ; et Bobos [?] brochant sur le tout, en voulant essayer de rapprocher la tante désolée, et la nièce endiablée avec des raisonnements si drôles, achève de compléter la tragi-comédie.
Je suis bien aise d’apprendre, ma bonne mère, que vos vers à soie vont bien ; ceux de mon grand-père sont bientôt finis, et jusqu’à présent paraissent réussir ; cependant il ne faut pas encore trop se féliciter ; ils ont très mal réussi dans les environs, ce qui ne laisse pas de donner des craintes ; la feuille n’est pas aussi belle qu’à l’ordinaire, mais cependant je la trouve superbe en comparaison de celle de la Côte.
Nous mangeons ici force cerises et fraises dont il y a en
quantité, mais dont nous [ne] nous lassons pas.
Je vous remercie, chère Maman, de [nous] donner des nouvelles de Louise [Boutaud] ; je [suis] fâchée qu’elle n’exécute pas son projet de voy[age], je voudrais bien la voir ailleurs qu’à Pointières.
Je vous prie de vous informer si elle a reçu un paquet de laine rouge que j’avais remis à Prud’homme pour le mettre dans la caisse de mon père ; depuis que je suis ici je n’en ai pas su nouvelle, et comme il y en a pour cinq francs je ne serais pas amusée qu’il fut perdu ; ne manquez pas de me rassurer dans votre prochaine lettre.
Adieu, ma chère Maman, ne vous fatigue[z] pas trop ainsi que mon père ; dites de ma part à notre aimable voisine que je compte sur elle pour vous soigner un peu tous deux, et embrassez-la de ma part ainsi que mon père et Prosper.
Votre affectionnée fille Adèle
Mme Buisson vous a-t-elle remis vos gants ?
2011.02.125 | Mercredi 6 mai 1835 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Sur Sophie Munet, la famille de son mari, et l’Abergement voirR96.864. — ‘Un jeune veuf pour beau-frère’: la sœur de Sophie avait épousé le frère du mari de Sophie, mais était décédée le 29 janvier 1834 (nous remercions Josiane Boulard pour ce renseignement).
L’Abergement le mercedi 6 mai [1835]
J’ai bien du temps de libre ici, ma chère Nancy, pour t’écrire de longues lettres ; ce sera plus qu’un plaisir pour moi, c’est un besoin. Depuis mon départ de Lyon il me prend par moment une tristesse affreuse de me sentir si loin de vous tous ; il me semble que je suis dans un pays perdu ; je passe mon temps d’une manière très calme et très uniforme, cependant je ne m’ennuie pas le moins du monde. C’est absolument mon genre de vie de la Côte, animé par la société d’une amie intime d’un commerce très agréable, et cela seul me suffit ; nous travaillons beaucoup en babillant, nous avions tant de choses à nous dire ! Puis nous avons des livres intéressants ; nous jouons avec les enfants, et cela me rappelle ma petite Mathilde ; après cela nous faisons tous les jours d’immenses promenades. Le pays n’est pas très curieux à parcourir mais dans ce moment la campagne est toujours belle ; nous sommes presque habituellement seules Sophie et moi, ces Messieurs sont tous les jours dans les champs, du reste j’aime autant et même mieux car ce
sont des jeunes gens, si graves, si polis, si saints, si parfaits en un mot, que je ne suis pas encore très à mon aise en leur présence. Ce n’est pas que je les croie très redoutables, car leur conversation est si simple que je puis bien me mettre à leur niveau ; mais c’est un genre qui m’engourdirait plutôt. Sophie se trouve très heureuse, dans le fait elle a tous les élements d’un vrai bonheur ; son mari est
bon, attentionné, doux, bien élevé, riche, beau garçon, jeune ; eh bien je n’ose presque te l’avouer, ma chère Nancy, je ne voudrais pas
d’un bonheur semblable ! .. C’est si calme, si fade, que c’est à en faire soulever le cœur ; point d’exaltation, rien, rien qui ranime, pas même la plus légère contradiction, c’est trop de perfection vraiment, j’aimerais presque encore mieux un aimable mauvais sujet. Ne me gronde pas, bonne sœur, de mon enfantillage, ce n’est qu’à toi seule que je dis de semblables folies. Mais je ne veux pas qu’elles me fassent oublier de te parler de mon charmant voyage sur le bateau à vapeur ; j’en suis encore dans le ravissement, ce sera
un des souvenirs les plus agréables de ma vie. Le temps était à souhait,
nous avons pu rester sur le pont presque tout le jour ; nous avions une
immensité de compagnons de voyage de toutes espèces ; de beaux jeunes gens à moustaches ! de jolies et gracieuses jeunes femmes, et surtout de ravissantes petites filles qui faisaient faire le péché d’envie ; puis mieux que tout cela encore deux Anglais !
Comprends donc ma joie Nancy, moi qui désirais depuis si longtemps d’en voir ; j’ai pu les écouter, les examiner à mon aise, ils chantaient, ils causaient avec chaleur, et leurs physionomies étaient si expressives, leurs gestes si animés que je comprenais leur admiration pour le beau pays qui nous parcourions. Tu m’avais beaucoup vanté les rives de la Saône, elles ont encore surpassé mon attente ; j’étais si heureuse par moment qu’il me semblait rêver, tout était enchantement pour moi ; ce que c’est que de n’être point blasée ! .........
Je te voudrais ici avec moi, chère et bonne sœur, pour te
faire apprécier davantage ton intérieur de famille (ta belle-sœur à part bien entendu). Figure-toi une vieille belle-mère de 88 ans, bonne, mais froide et
sévère, et qui pour ma part m’a horriblement intimidé ; à présent je ne la redoute presque plus ; plus un beau-père, grave et silencieux autant que possible ; un jeune veuf pour beau-frère, qui est sombre, très convenablement, et qui ne s’occupe que de sa petite fille, tout cela réuni dans une maison de campagne isolée, et à côté de laquelle tu trouverais ton St Vincent un paradis terrestre ; presque jamais de visites autre que celle d’un bon et simple curé ; vois, chère amie et compare ! ........
Demain s’il fait beau nous devons aller passer la journée à Bourg ; c’est très près d’ici, et Sophie est bien aise de me faire faire ce petit voyage ; moi, j’en suis enchantée ! Cette pauvre amie me répète à chaque instant combien elle est heureuse de m’avoir, elle me comble de témoignages d’amitié ; elle se tourmente beaucoup dans la crainte que je ne m’ennuie, mais elle a tort tout à fait, il n’en est rien.
Adieu, ma chère Nancy, peut-être trouveras tu les détails que je te donne un peu longs, j’avais trop besoin de te mettre au courant de tout ce que je fais. Je pense que ma lettre te trouvera établie chez toi ; notre pauvre mère doit se trouver bien tristement depuis ton départ ; je lui ai écrit avant-hier une grande lettre dans l’espoir de la distraire, pour toi j’aurais tant et tant de choses à te conter que je ne puis me résigner à finir ; cependant il faut garder quelque chose à nous dire. Adieu.
Des amitiés par centaines à ton Camille, et à ma chère petite nièce des millions de baisers.
Toute à toi
Ton affectionnée sœur
A B
2011.02.126 | Jeudi 14 mai 1835 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.125.
L’Abergement le 14 mai jeudi [1835]
Je suis bien reconnaissante de ta longue et aimable lettre, ma chère Nancy ; d’après ce que tu me dis du trouble qui règne dans votre intérieur, je ne saurais assez te remercier d’avoir pu surmonter ton ennui et ton irritation au point de me mettre au courant de tout ce qui m’intéresse. Le mariage de ta cousine Louise m’a peu étonné, mais comme toi je suis encore à comprendre comment elle est assez résignée pour aller habiter avec un vieux beau-père et sa sœur ; pour moi dont la position est bien différente de la sienne sous tous les rapports, je crois que jamais je n’y aurais consenti ; l’expérience de toutes les jeunes femmes à commencer par toi et à finir par Sophie, me prouve que c’est chose fort ennuyeuse, et très difficile à supporter même pour les meilleurs caractères. Aussi je prie Dieu de toute mon âme de n’être jamais mise à semblable épreuve, je ne suis pas assez parfaite ! Conclusion !......
Depuis ma dernière lettre notre genre de vie s’est beaucoup animé ; ces Messieurs se sont tout à fait apprivoisés
avec moi, ils causent bien, et je vois maintenant qu’il ne leur manquait que la bonne volonté de montrer tous leurs moyens. Les heures des repas sont toujours maintenant très agréables ; les grands parents et le vieux intendant parlent de leur coté très gravement ; mais nous, tout bas, nous plaisantons à qui mieux mieux. Je vois les gens et les choses sous un aspect beaucoup plus favorable que les premiers jours ; le pays est vraiment riant et très varié, nous faisons toutes les après-midi de longues promenades, il y a dans les environs tout plein de petites villes dans le genre de la Côte et même mieux ; ainsi les buts ne nous manquent pas. Nous avons une ânesse sur laquelle nous montons alternativement, de la sorte nous pouvons faire de plus longues courses ; ces Messieurs nous accompagnent, et se divertissent un peu à nous faire galoper pour juger de notre adresse ou plutôt de notre gaucherie. Dimanche pour varier un peu ils cédèrent enfin aux instances de Sophie et se mirent à chanter chemin faisant,
seuls et en partie, de manière à me faire grand plaisir ; ils ont tous deux d’assez jolies voix, mais surtout le mari de Sophie, aussi il fallait voir comme elle était contente de mon admiration. Les femmes aiment tant à fait ressortir leur mari, par tous pays elles sont de même, je le vois bien ; l’autre jour nous avons fait de bons rires à ce sujet, sur la route de Bourg ; mais je te conterai tout cela plus tard. Que je te dise seulement que notre voyage fut on ne peut plus agréable, mais à part les promenades, et l’église de Brou, le reste de la ville a peu répondu à l’idée que je m’en étais formée ; je trouve que Grenoble est un second Paris en comparaison. Nous devons aller à Mâcon cette semaine ; l’on m’assure que cela vaut infiniment mieux, nous verrons ? Pourvu que Mme Sabine ne s’arrange pas de manière à trop brusquer mes plaisirs ; Sophie ne peut se résigner à cet arrangement, elle voudrait absolument me garder au moins six semaines, et se chargerait de me ramener ; mais malgré tout le désir que j’en aurais, je ne parlerai pas de cela à ma bonne mère ; je sens trop combien il est généreux de sa part de se passer de moi dans ce moment, son
isolement m’attriste quand j’y songe. Je compte beaucoup sur tes lettres et les miennes que je ne ménage pas, et sur la société de Mme Pion pour la distraire.
Pour moi je me trouve si bien ici que j’aurai de la peine à en partir ; Sophie ne cesse de me remercier de ma visite, elle prétend que de parler avec moi était un besoin impérieux pour elle, et que ses malaises ne venaient que de ses longs silences. Aussi Dieu sait que nous ne ménageons pas le remède ; ces Messieurs s’amusent souvent à nous regarder parler de loin, et ne peuvent comprendre comment nous y tenons, ils nous contrarient toujours à ce sujet ; mais tout en riant avec eux nous n’en disons pas un mot de moins.
Je voudrais pouvoir te faire connaître et apprécier Sophie, ma chère Nancy, je suis sûre que tu l’aimerais aussi ; elle est si naïve, si bonne, et avec cela a tant de raison, un jugement si parfait, que je suis toujours à l’admirer. Je crois que ma visite me sera très utile sous beaucoup de rapports ; je remarque aussi avec plaisir qu’elle a souvent les mêmes idées que toi sur bien des sujets ; depuis son mariage elle s’est formée d’une manière extraordinaire et c’est une femme parfaite, si toutefois il y en a ?.......
Je ne puis me résigner à finir, chère sœur, j’ai encore tant à dire ; mais l’heure du dîner approche, Sophie m’attend, et veut même absolument que je te remercie particulièrement de sa part pour avoir bien voulu engager Maman à me laisser venir ! .....
Adieu, chère et bonne Nancy, il y a des vis[ites a]ujourd’hui, il ne faut pas que je me fasse attendre ; ne m’oublie pas auprès de mon cher frère Camille, je t’embrasse bien tendrement ainsi que Mathilde.
Ton affectionnée sœur
A B
2011.02.127 | Dimanche 24 mai 1835 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.125. Sur les rapports de Nancy avec Rosanne Goléty voir la table des lettres de Nancy Berlioz-Pal.
L’Abergement le dimanche 24 mai [1835]
J’attendais ta lettre avec grande impatience, chère Nancy, et je t’en remercie bien malgré le ton un peu sévère que j’y ai trouvé à chaque ligne et qui m’a
chagriné beaucoup à la première lecture ; puis en y réfléchissant je me suis convaincue que ton intention n’était pas de me gronder, et pourquoi le ferais-tu en effet, chère sœur ? Je prolonge beaucoup mon séjour ici, c’est vrai, mais c’est d’après les offres réitérées de notre bonne mère que je n’ai pas cru mal faire en cédant aux instances de Sophie ; et quoique tu en dises, belle Dame, je ne galope point à droite et à gauche la bride sur le cou, de manière à avoir de la peine à rentrer sous le joug maternel, suivant tes propres expressions. Je suis dans une famille aussi respectable et considérée que possible, tout le monde y a un ton très réservé, et très convenable sous tous les rapports ; la vieille grand-mère malgré ses 88 ans, n’est ni sourde, ni aveugle, ni impotente, bien loin de là et je réponds que c’est un Mentor qui en vaut bien d’autres ; quant aux Messieurs ce que je puis te dire de plus capable de te rassurer, c’est que depuis que je t’ai quitté je ne me suis pas trouvée une seule fois (entends-tu bien ?) dans une position embarrassante pour une jeune personne, jamais un mot de trop, jamais ! ........ Quant à ma conduite à moi je ne
pense pas avoir rien à me reprocher sous aucun point et tu sais que je
suis difficile à contenter ; je sais positivement que Mmes Gautier et Munet m’ont trouvé l’air bien élevé et surtout très réservée !.. Pour les hommes Sophie m’a avoué qu’ils m’avaient jugée un peu froide au premier abord, mais à part cela hem ! .... je te conterai, puis les compliments, je ne veux pas que tu en perdes un mot ; lis je te prie une portion de ma lettre à Camille, j’ai peur que lui aussi ne se tourmente un peu de ce que je deviens ici, et je tiens singulièrement à vous rassurer tous deux. Dis-lui que la Chinoise a fait de l’effet ici (modestie à part !), on a déclaré à l’unanimité que coiffée ainsi je n’avais que quinze ans ; du reste Sophie sagement ne m’en donne que 18 en dépit de notre conformité d’âge que j’oublie de nier à chaque instant, et ce qui m’attire des reproches de sa part. Cette bonne amie a une vanité extrême pour moi, et sait très bien sans la moindre affectation faire ressortir ce que j’ai de passable ; je suis entre bonnes mains, je te le repète, et malgré ma mauvaise tête je saurai profiter d’un aussi bon modèle ! ...
À présent parlons de mon voyage à Bourg, chère Nancy, il faut que j’ai le cœur net de tous tes reproches ; Maman m’en a fait beaucoup aussi à ce sujet, et Dieu sait que j’ai été
horriblement triste de tout cela ? moi qui avait cru agir très sagement en passant dans cette ville incognito ; je pensais qu’il valait mieux ne pas aller tomber comme de la lune dans la famille Goléty ; expliquer avec qui, chez qui, et où j’étais ? j’étais si lasse des présentations, et des visages inconnus, que je conviens que la froideur ordinaire de Mme Rosanne n’était pas capable de m’encourager assez pour surmonter ma timidité ; puis je redoutais (puisqu’il faut tout dire) la comparaison des deux sœurs, cette idée-là m’aurait rendue encore cent fois plus gauche et plus bête ; mais enfin j’aurais surmonté tout cela, n’en doute pas je
te prie chère sœur, si je n’avais cru faire mieux que bien, et si j’avais su que tu le désirais ainsi que nos parents ; il y a de quoi me dégoûter à jamais de mes prudences mal placées.
Voilà ma confession faite sur tous les points ; il ne me reste plus qu’à faire des vœux pour qu’elle te trouve disposée à l’indulgence et à l’équité ; c’est la dernière fois que tu recevras de mes nouvelles d’ici, nous partirons probablement samedi pour Lyon, Mme Pion n’y arrivant que lundi il est à présumer que je ne serai à la Côte qu’à la fin de l’autre semaine. Ainsi je te prie, réponds-moi chez Mr Gautier ; tu me feras grand plaisir de me dire si mes explications t’ont pleinement satisfaite.
La lettre de Mathilde m’a rendue fière et contente de son petit souvenir ; il me tarde bien de revoir cette chère petite. En attendant je pouponne bien ici, et souvent je me trompe et j’appelle Mathilde pour Helène ou Melchior ; ce sont aussi de beaux et gentils enfants que je me prends à aimer tout à fait, et dont je veux te parler longuement à mon retour ; mais qui sait quand je te verrais ? et pourtant j’aurai tant et tant de choses à te conter ! ...
Adieu, ma chère Nancy, Sophie trouve que je ne finis plus, et s’impatiente chaque fois que je bavarde si longuement avec toi. Adieu, adieu je t’embrasse tendrement ainsi que Camille et Mathilde.
Ton affectionnée sœur
AB
P.S. J’oubliais de te remercier de nous avoir découvert une cuisinière, vraiment j’en suis bien contente ; j’ai écrit hier à Maman, et je n’ai pas songé à l’en féliciter.
Aucune lettre de cette année
2011.02.133 | Dimanche 31 décembre 1837 (?) | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Cette lettre semble être la première à traiter de la maladie de Joséphine Berlioz dont elle allait mourir quelques semaines plus tard (voir les lettres suivantes).
La Côte St André, dimanche [31 décembre 1837 (?)]
Je t’envoie enfin le fameux volant, ma chère Nancy, il y a bien fallu toute ma ténacité pour le finir hier. J’avais travaillé toute la semaine avec ardeur, aussi les huit aunes que je m’étais imposées étaient terminées de bonne heure, mais le peu que j’avais voulu faire broder m’a donné plus de peine que tout le reste, d’abord pour trouver des ouvrières, puis elles me manquaient de parole, me faisaient des bêtises malgré toutes mes précautions. Enfin si tu n’es pas contente ce ne sera pas ma faute, chère sœur, j’ai fait de mon mieux pour tout.
Je veux me débarrasser avant de parler d’autres choses de l’article commissions. La plus importante, le brochet, tu peux y compter, on le pêchera jeudi, il sera de dix à douze livres, nous te l’enverrons par Dumont avec une provision de beurre frais, des fleurs, et une nappe que Maman te (prêtera) ; le gibier se trouvera aussi, je pense, on ne peut l’acheter d’avance et dans tous les cas nous t’avertirons à temps …… voilà.
Tes lettres nous font toujours grand plaisir, chère amie, Maman s’intéresse à tout ce que tu racontes de tes plaisirs, elle jouit de penser que toi au moins tu passes quelques moments agréables. Pour nous tous les jours sont aussi tristes, Maman est toujours de même, c’est désolant, je ne vois pas de terme à cette maladie, elle n’a pas eu la force d’aller à la messe aujourd’hui, et se plaint maintenant d’une douleur de côté.
Son dégoût pour les vivres continue ; mon père s’en inquiète, il craint que l’estomac s’accoutume trop à se reposer, et que Maman perde ses forces ; tu sais que ce n’est pas sa crainte ordinairement, et cela m’étonne beaucoup. Je suis ennuyée plus que je ne saurais dire et je finis l’année dans une triste disposition d’esprit ; je me suis fait un long sermon avant de commencer ma lettre pour me décider à ne pas te faire de lamentations ; je me permettrai seulement de te dire que les visites ennuyeuses me tuent !…. Je croyais de ne pouvoir trouver un instant pour t’ecrire, de l’une à l’autre c’est continuel et les moins agréables sont les plus longues et presque habituelles ; si cela dure encore quelque temps mes pauvres nerfs en seront victimes !.. Conçois donc, pas une minute de solitude et de liberté !….. Maman ne pouvant pas trop parler il faut que je m’extermine moi pour soutenir la conversation absolument, et encore j’ai l’air enchanté, cela fait plaisir à Maman trop heureuse ! À chaque jour suffit sa peine ; je me couche tous les soirs rendue de corps et d’esprit ; patience égale.
Prudemment j’essaye de m’accoutumer à l’idée de point aller à Grenoble ce carnaval, je me surprends par ma résignation quelquefois ; il y a trois ou quatre ans une pareille perspective m’aurait mise au désespoir ! La belle chose que de vieillir ! …. Je prendrais mon parti de tout, pourvu que tu te portes bien et que tu sois contente ; cette pensée me repose délicieusement l’esprit, que te manquerait-t-il dans ce moment pour cela ?… Ainsi donc pour souhait de bonne année je désire que rien ne change autour de toi … santé, repos, aisance, n’est-ce pas le bonheur avec un Camille et une Mathilde….. ? À propos de cette chère petite endiablée je lui envoie un petit ménage très complet, j’aurais voulu trouver mieux mais c’est peu facile ceci ; ce n’est donc qu’un petit souvenir de sa folle de tante, qui la punirait bien ce soir de bon cœur en rugissant [?]. Cependant jeudi Mr Hypolyte m’invita avec mes fillettes, vraiment je suis charmée de cette attention, il pleuvait, je m’ennuyais et cette diversion était précieuse. Les dames Pion sont toujours absorbées dans leurs affaires, puis je t’avoue que j’ai perdu l’habitude des conversations malveillantes, des curiosités sur tout le monde et toutes choses ; j’y trouve moins que du plaisir, de l’irritation…
L’autre jour j’allai chez ces Dames un moment, il ne fut question que de la douleur [de] Mme Jîmieu critiquée, comme [lacune] sans pitié on savait tout [lacune] .. puis Mme Sab[ine… lacune …]ant sur tout on s’étonnait, on s’exclamait sur sa manière de vivre après la banqueroute de son mari ; je ne trouvais rien à répondre, mais je souffrais plus que je ne puis dire et n’y suis pas retourné depuis. Avec tout ce genre intolérable la belle Nancy devient laide et ne fait pas fureur, à ce qu’il paraît la République n’aide pas à trouver des maris ; Mr Monet attend toujours aussi que son usine reprenne ses travaux, comme François son inaction l’irrite, je les comprends ; ma tante doit s’agiter de l’avenir de ses enfants si fort compromis, la perspective de se faire paysan à Murianette est peu séduisante à mon avis, et je regrette doublement pour lui Melle Monet ; je n’ai pas su si le mariag[e…] se faisait cette saison et si [les] Assises étaient terminées, Mme [Ve]yron étant à Rives je ne la [verr]ai pas.
Adieu, chère sœur, l’idée de retourner chez moi me fait battre le cœur de joie, mais quand je regarde notre pauvre père il ne me reste plus que de la tristesse…. et du découragement ; je t’écrirai un mot avant de partir. J’embrasse Mathilde de moitié avec toi tendrement
A
Pour le chapeau je n’ose rien promettre de positif.
2011.02.129 | Samedi 13 janvier 1838 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.133. Quelques jours après cette lettre Adèle écrivit à son frère Hector; la lettre de ce dernier à sa mère datée du 18 janvier (CG no. 535) reprend évidemment les termes d’Adèle qui décrit la maladie comme un rhumatisme.
La Côte St André samedi soir [13 janvier 1838]
Tu as vraiment bien fait, chère amie, de ne pas te casser bras ou jambes en tombant, car je ne t’aurais pas pardonné cette sottise, dans ce moment surtout ; j’ai besoin de vous tous dispos, et satisfaits, c’est la seule pensée qui me repose de mes tristes préoccupations.
Maman a été encore très souffrante depuis ma dernière lettre. Les douleurs dans le côté étaient revenues pires que jamais,
hier soir elle ne pouvait faire un mouvement dans son lit sans crier ; aujourd’hui elles sont beaucoup moins fortes, elle est calme et ne s’inquiète pas à notre grand soulagement ; je ne sais si je dois attribuer ce mieux aux sangsues qu’on a appliqué ce matin et qui saignent encore ?
Il paraît prouver maintenant que ma pauvre mère a un rhumatisme aigu, des moins violents il est vrai, mais comme au lieu de se porter sur un membre, il est dans l’intérieur, il sera je
le crains plus long et plus difficile à guérir. Il faut donc s’armer plus que jamais de patience, et se trouver heureux encore d’être
exempt d’inquiétudes sur la gravité de la maladie.
Pour tout le reste grâce à Dieu je me sens du courage, je ne veux pas absolument me laisser dominer par l’ennui, et quand je serais tentée de cela je songe vite aux gens plus malheureux que nous, à Mme Scimieu [?] par exemple qui depuis 17 jours ne peut faire un mouvement dans son lit à cause d’un dépôt de lait qu’elle a au bras et qui la fait souffrir le martyre ; en pensant à la position de cette malheureuse femme je rougis de me plaindre.
Les jours s’écoulent bien vite tout tristes qu’ils sont pour nous ; on a assez à faire d’un remède à l’autre, on arrive au soir sans avoir le temps de se retourner ; Monique jusqu’à présent a couché dans la chambre de Maman mais c’est à mon tour maintenant, et j’ai déclaré que je voulais qu’elle se reposât, si cela se prolonge tout l’hiver il ne faut pas s’abîmer tous à la fois ; la force et la bonne volonté ne me manquent pas, ainsi ne t’inquiète pas de moi chère s[œur.]
Mon père est plus résigné [mais?] sa santé est passable,
Maman [est] plus calme, et sa force est étonnan[te] pour quelqu’un qui ne mange rien que quelques cuillerées de bouillon clair. Depuis quinze
jours, elle n’a pas de fièvre maintenant, cela me tranquillise beaucoup.
Tes lettres lui font grand plaisir, cela la distrait un peu des ses maux ; je lui ai lu la relation de ton dîner brillant, mais j’ai cru prudent de ne pas lire l’article du Parterre. Je te remercie des détails que tu me donnes sur les plaisirs de Grenoble ; l’année prochaine qui sait si je ne prendrai pas ma revanche ? En attendant amuse-toi pour deux ; je compte sur une invitation du bal de Mme Simon, il me faut cette distraction, ainsi fais-toi belle, chère sœur, et vas-y !
Adieu, adieu, je te dis les choses telles qu’elles sont, ainsi ne te tourmente pas hors de propos ; sois tranquille, je ne voudrais pas t’abuser, ce n’est pas mon système, écris-moi à ton aise aussi ; je prends mes précautions, dis ce que tu voudras.
Je vous embrasse bien tendrement ; mille choses tendres à Camille de ma part et à mon cher Bijou. Ton affectionnée AS
2011.02.130 | Jeudi 18 janvier 1838 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Voir 2011.02.133. Sur le bal auquel Nancy venait d’assister voir la lettre précédente (2011.02.129).
La Côte St André jeudi soir [18 janvier 1838]
Je t’écris aussi au lendemain, ma chère Nancy, mais il a peu de rapports avec celui d’un bal, j’ai passé la nuit à faire mon bas, près du lit de Maman.
J’étais si heureuse de l’entendre dormir quelques instants, de sentir mon père et Monique se reposer un peu, que je ne sentais pas le moindre sommeil, le calme qui régnait autour de moi me faisait éprouver une jouissance indicible.
Maman me semble un peu mieux, les angoisses nerveuses ont été moins violentes le matin, car c’est toujours entre huit et neuf heures que la crise (je ne saurais appeler cela autrement) est plus violente ; grâce à un lavement d’opium elle est très calme depuis plusieurs heures ; ces courts moments de trêve sont bien précieux pour nous tous, on reprend courage, on en a besoin !!
Cela m’attriste, chère sœur, de répondre à tes descriptions de fêtes et de toilettes brillantes par des détails de maux et de remèdes ; depuis ma dernière lettre on applique encore ses sangsues sur le terrible côté, puis après des ventouses, et ensuite un large vésicatoire par-dessus tout cela ; en espérait beaucoup de ce dernier pour attirer l’irritation à l’extérieur, mais il ne donne pas et la douleur est toujours de même à peu de chose près ;
Monsieur Buisson serait d’avis encore des sangsues ; mon père d’un autre vésicatoire, et Maman est si lasse des essais inutiles qu’elle ne veut plus que le repos ; je conçois bien son découragement, on en aurait à moins.
J’ai l’esprit si péniblement préoccupé, chère
sœur, que j’avais oublié le fameux bal ; je m’étonnais beaucoup de ton silence depuis vendredi passé, Maman en était presque un peu irritée, de sorte que je ne savais trop que faire ce matin avec ta lettre. J’avais peur que le récit des plaisirs ne fît un mauvais effet dans sa disposition d’esprit ; il n’en a rien été grâce à Dieu, elle s’est intéressée plus que je n’osais l’espérer aux détails que tu nous donnes.
Mon père ne va pas mal, mais il est sourd d’une
manière désespérante ; du matin au soir il faut que je répète le moindre mot, que je serve d’écho au plus léger gémissement de notre pauvre mère, encore le tout contie[nt] des quiproquo. Quand je suis enco[re] fatiguée j’ai toutes les peines du monde à retenir un mouvement d’irritation ; cela est souverainement injuste, je le sais, et je fais tous mes efforts pour dissimuler ce que j’éprouve.
Adieu, chère sœur, adieu je prends mon mal en patience et j’espère toujours pour le lendemain ; je crois qu’on finit par s’accoutumer à tout. Il me semble je ne saurais plus avoir d’autres idées ; adieu, adieu, je ne sais ce que je dis, je rêve debout.
Camille depuis un siècle ne me fait dire un mot d’amitié, Mathilde m’oublie ! Mais pas toi, j’en suis sûre, chère Nancy.
Toute à toi
AB
Nos compliments bien empressés à Mme Augustin.
Les fameuses Lancettes pour samedi ; si tu pouvais aussi me choisir quelques livres chez Maréchal ce serait une charité.
2011.02.131 | Mardi 30 janvier 1838 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.133. Depuis la lettre précédente (2011.02.130) Nancy Pal avait rendu visite à ses parents à La Côte et venait de repartir; sa lettre du 1er février (2011.02.284) est en réponse à cette lettre.
La Côte – mardi [30 janvier 1838]
Le Mieux se soutient !... il est sensible aujourd’hui même pour notre bonne mère ; félicitons-nous donc, chère sœur, et prenons courage, nous marchons, et pour être moins rapide, notre marche en sera plus sûre. Hier après ton départ maman dormit quelques heures ; l’après-midi fut moins tranquille, deux tentatives pour avaler de l’opium provoquèrent des efforts violents et des vomissements qui nous effrayèrent un peu ; mais plus tard elle prit du bouillon qui lui redonna des forces, elle se leva sans éprouver de faiblesses, et resta deux heures sur son fauteuil, tout à fait bien à notre grande joie. Elle m’écouta longtemps lire avec plaisir, puis Mme Pion vint, elle prit part à notre conversation, comme une personne bien portante. Je jouissais délicieusement et je regrettais que tu ne fus pas là, chère Nancy, pour partager ma joie ; la soirée fut excellente, j’espérais une aussi bonne nuit, mais elle n’a pas dormi du tout. Ce matin un lavement d’opium a encore occasionné le même effet qu’hier ; c’est étrange, mais à
présent il sera tous les jours moins nécessaire, ainsi cela m’inquiète peu. Maman vient de remplacer sa mauvaise nuit par un sommeil paisible de trois heures ; en se réveillant elle a pris une soupe un peu plus forte qu’à l’ordinaire qui ne la fatigue nullement, une petite dose d’eau et de vin sucré a bien réussi également, et depuis hier ce n’est pas la première ; mais nous irons bien prudemment, sois tranquille.
Pendant que je t’écris Maman essaye de se rendormir ; j’ai soussigné la poste et je puis à mon aise te communiquer mes
bonnes nouvelles.
Mon Dieu que cela fait du bien de ne plus avoir de montagne sur l’estomac ! Je respire ; mes nerfs se détendent ; c’est bien temps, ma chère, il me semble que la mesure était
comble et je remercie le ciel cent fois par minute d’être enfin venu à
notre secours ! ...
Je ne puis te dire combien je suis contente de pouvoir t’écrire sans combiner mes phrases, franchement sans arrière-pensée te dire que Maman est mieux, décidement mieux, qu’elle-même en convient, qu’elle ne se désole plus, qu’elle commence à faire des projets pour manger.
Cependant en nous répondant, ne parle pas trop de tout ce que je te dis, il faut encore des ménagements ; un mieux officiel impatienterait peut-être ? Mais je suis satisfaite quand même !...
J’ai vu aujourd’hui sur le journal la décision sévère du Ministre de la Guerre au sujet du duel de Vesoul, le Chef d’escadron qui s’est battu est destitué, un des témoins condamné à un mois de prison et le second aux Arrêts de rigueur pendant
quinze jours ainsi que le colonel !… C’est un peu fort pour ce
dernier et je conçois son irritation, on n’en aurait à moins ; si j’ai le temps je lui écrirai à ce pauvre oncle [Félix Marmion].
Adieu, chère sœur, soigne-toi, tu dois avoir besoin de repos et de distraction après ta campagne de la Côte ; jouis sans arrière-pensée du plaisir de te retrouver chez toi près de ton bon Camille et de ta Mathilde, sors un peu je te l’ordonne et ne t’inquiète plus de nous maintenant. Nous ne sommes pas si à plaindre, et tu as bien fait de partir je te le répète ; je jouis de te savoir plus agréablement qu’auprès de nous, cela me console de tout ; j’aime mieux gémir seule qu’avec ceux que j’aime, mais maintenant je ne gémirai plus j’espère. Ainsi soyons tous contents ; adieu, adieu, mille et mille amitiés à mon bon frère Camille ; j’ai eu beaucoup de remords de ne t’avoir chargé de rien de tendre pour lui, mais j’étais si péniblement [ab]sorbée que je suis pardonna[ble], maintenant que j’ai l’esprit [et] le cœur plus contents ma première pensée est pour mon bon frère, et ma Mathilde. Je vous embrasse tous bien tendrement.
Toute à toi
AB
2011.02.132 | Janvier-début février 1838 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.133.
La Côte lundi soir
Je saisis avec empressement, chère sœur, toutes les occasions de te donner des nouvelles de notre bonne mère ; je serais bien heureuse si je pouvais enfin t’annoncer un Mieux positif, le moment n’est pas encore venu, et je ne puis que te répéter ma formule ordinaire depuis un mois, « c’est toujours de même ». Il y a des gens qui penseraient que je ferais aussi bien de ne pas t’écrire si souvent n’ayant rien de mieux à dire, mais moi je pense que tu préfères encore savoir à quoi t’en tenir jour par jour, de cette manière on s’inquiète moins s’il est possible.
Maman a été passablement cet après-midi, elle est resté
levée sans trop de fatigue une heure de plus qu’hier ; j’ai remarqué qu’il y a toujours alternativement un jour moins mauvais que l’autre, les douleurs n’ont pas été aigües, les angoisses nerveuses moins fréquentes ; Monsieur Buisson a décidé d’accord avec mon père qu’il fallait cependant se décider demain à faire une nouvelle application de sangsues, et à frotter les piqûres avec la terrible pommade épipastique ; je frissonne au seul nom de ce remède, très efficace il est vrai, mais si douloureux !…..
Je ne saurais t’en dire plus long, chère sœur, je suis si asphyxiée d’ennui, de froid, de sommeil qu’il me serait impossible de rien tirer de ma pauvre tête ; je suis incapable d’autre chose que de chauffer des linges à Maman, de gémir, et de foudroyer mon bas, c’est mon souffre-douleur.
Adieu, adieu, je vous embrasse tous bien tendrement.
Ton affectionnée
AB
Maman s’étonne de l’indifférence de mes oncles et tantes à son égard, est-ce à tort ? Mr Charles Bert qui te remettra ma lettre pourra te parler plus en détail de l’état de Maman, il l’a vue hier.
Mon père réclame encore ses Lancettes, et voudrait savoir si le cher Prud’homme est payé ?
2011.02.135 | Lundi 8 avril 1839 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | — |
Sur le mariage d’Adèle et Marc Suat le 2 avril 1839 voir R96.861.1.
Anjou lundi soir 8 avril [1839]
Étant resté un jour de plus ici, mon cher papa, je craindrais que vous ne fussiez en peine si j’attendais notre arrivée à St Chamond pour vous donner de nos nouvelles.
Je ne puis vous dire, mon bon père, avec [q]uel aimable
empressement nous avons été [ac]cueillis par la famille Jourdan, on [n]ous attendait ; hier nous avons eu un grand déjeuner chez le père, puis le soir un dîner splendide ici chez son fils aîné ; c’est tout à fait une maison montée pour recevoir, rien n’y manque, aussi mon oncle se retrouve sur son terrain, lui qui aime tant le confortable ; j’ai occupé sa chambre d’honneur, et la première place à
table, chose qui me troublait un peu.
Mais j’en jouissais de devoir toutes ces aimables
distinctions à mon bon mari qui est traité comme l’enfant de la maison.
Nous partons demain matin, et nous arriverons à quatre heures à St Chamond. Je pense que Camille vous quitte aujourd’hui, mon bon père, et cette pensée m’attriste plus que je ne puis dire ; quand je me vois entourée de tant d’affection votre isolement me trouble comme un remords.
Le temps est si froid et si mauvai[s] depuis notre départ que je crains que vous n’ayez été privé de vos distraction[s] ordinaires ; écrivez-moi je vous prie pou[r] me rassurer bien vite, nous vous donnerons encore de nos nouvelles cette semaine soit de St Chamond soit de Lyon où nous serons mercredi soir.
Je suis horriblement pressée, il y arrive du monde pour le
dîner, et mon excellent mari est à côté de moi qui me donne des distractions
par les aimables douceurs qu’il me répète sans me lasser ; je l’aime déjà de toute mon âme ; ne riez pas mon bon père, je ne saurais faire autrement, impossible.
Je suis bien aise de vous dire que je fais honneur à mon
mari ; il a reçu beaucoup de compliments hier sur mon compte, le fait est que [la fin de la lettre manque]
2011.02.136 | Samedi 8 juin 1839 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | Image |
Cette lettre répond à celle de son père du 4 juin. — Adèle avait annoncé son voyage à Paris à son frère qui répondit le 17 mai par une lettre enthousiaste (CG no. 651; R96.186 ): ‘À la bonne heure ! il n’y a que toi dans la famille, pour te décider enfin à ce gigantesque voyage !!! Bonne sœur je te remercie. Henriette est transportée de joie et Louis court dans toute la maison en criant comme un fou qu’il va voir sa tante Adèle !’. Sur le voyage des Suat à Paris voir R96.861.1. — L’ami ‘immensément riche’ de Berlioz est Georges Kastner; sur la visite à Versailles, voir le lettre suivante (2011.02.137). — Du voyage à Paris en 1839 date l’affection des Suat pour Louis Berlioz que durera pour le reste de sa vie; voir aussi 2011.02.137, 2011.02.138 et R96.861.2, R96.861.3 sur la réaction de Nancy (en 1839); 2011.02.192 et 2011.02.185 (en 1844); 2011.02.209, 2011.02.211, 2011.02.142, 2011.02.213, 2011.02.128, 2011.02.217 et 2011.02.218 (en 1847); 2011.02.229, 2011.02.233, R96.260.02, 2011.02.235 et 2011.02.293 (en 1854); 2011.02.247 et R96.857.1 (en 1857); R96.862.2 (en 1859); 2011.02.313 (en 1862); 2011.02.331 (en 1864).
Paris samedi 8 juin [1839]
Votre lettre m’a fait de la peine, mon bon père, vous paraissez triste, souffrant, l’influence du mauvais temps agissait aussi sur nous ; je pourrais être de même aujourd’hui car ce ciel fond en eau depuis ce matin. Je me console parfaitement d’être condamnée à rester chez moi ce soir, j’avais plusieurs lettres à écrire, puis je tiens beaucoup à me reposer un peu maintenant que j’ai à peu pres la douce certitude d’être enceinte !…. Vous comprenez, mon bon père, combien mon mari et moi nous sommes heureux de cette bonne nouvelle ? et je me hâte de vous la communiquer espérant aussi qu’elle vous sera agréable.
Je suis presque pas fatiguée mais Marc ne me laisse pas faire d’imprudence. Soyez tranquille, cher Papa, j’ai là un tendre surveillant, et je suis très docile.
Heureusement nous avions fait toutes les courses pénibles en arrivant, avant que je pus me douter de ma grossesse, ainsi je pourrai achever de satisfaire ma curiosité sans danger.
Nous nous voyons tous les jours avec Hector ; je ne puis vous dire, mon père, toutes les aimables attentions qu’il a pour moi, j’en suis émerveillée avec son état de préoccupation ordinaire ; il travaille beaucoup dans ce moment à une nouvelle Symphonie sur Roméo et Juliette, il paraît que c’est un ouvrage immense et qu’il espère terminer avant l’hiver. Sa femme espère beaucoup … du reste, ils sont calmes, heureux et très unis .. Hector a pris les idées d’un père de famille, il pense à l’avenir de son enfant, Henriette aussi a des goûts très simples, s’occupe de son ménage avec zèle et ne sort presque jamais. Demain nous devons aller ensemble à Versailles dîner chez un ami d’Hector immensément riche et qui a eu l’obligeance de nous inviter ; je n’ose vous dire le plaisir que je me promets de cette journée, cher Papa, sans vous effrayer de la chaleur avec laquelle je vous parle de mes impressions ; je suis cependant très calme
habituellement, mais lorsque je vous écris je m’anime au souvenir de tout ce que j’ai vu ; Paris est une ville de merveille capable de ranimer l’esprit le plus stupide ; je jouis encore plus qu’une autre parce que j’ai le cœur satisfait, mais je ne me crois point à l’abri des tribulations de la vie, l’expérience a été trop douloureuse pour l’oublier.
Mais, cher père, je ne vois pas la nécessité de gâter mon
présent par des appréhensions, et des craintes ?..
J’achèterai votre écuelle de mon mieux.
Louis parle très souvent de son grand-père de la Côte et de sa bonne Monique qu’il voudrait bien connaître ; dites cela à la pauvre fille, elle sera heureuse d’être connue de ce cher enfant. Lundi nous dînons tous chez Alphonse [Robert], il m’a fait l’accueil le plus empressé ainsi que sa femme qui est effrayante de laideur … mais elle paraît très bonne !….
Adieu, cher papa, je ne sais si vous pourriez me lire, je n’y vois plus, et je suis très pressée ; mes amitiés à Mme Pion et à Mme Veyron quand vous les verrez.
Nous serons probablement à la Côte avant la fin du mois et je m’en fais une fête.
J’espère que nous vous ranimerons un peu par le récit de notre voyage.
Adieu encore, bon père, mon mari et moi nous vous embrassons tendrement.
Votre affectionnée
A
2011.02.137 | Mercredi 12 juin 1839 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.136. Nancy avait écrit à sa sœur plusieurs fois au cours de son séjour à Paris (R96.861.1, R96.861.2, R96.861.3).
Paris 12 juin [1839]
Je voulais t’écrire samedi, chère sœur, en même temps qu’à mon père, mais cela me fut impossible ; depuis nous sommes allés à Versailles où nous avons passé deux jours, à notre retour j’avais un dîner chez Alphonse [Robert], où se trouvaient Mr Al. Teisseire et Mr Duchadeau. Hector y vint avec nous ; sa femme était un peu souffrante et ne put y venir ; nous étions allés ensemble dimanche à Versailles dîner chez Mr Castner, un ami d’Hector immensément riche. La réunion fut assez agréable, il y avait plusieurs gens aimables de Paris, entre autres Mr Tissot l’académicien dont (sans me vanter) j’ai fait la conquête ?… Ne sois pas jalouse, si tu peux, chère Nancy.
Je me repose un peu sur mes lauriers maintenant, car je t’écris de mon lit ; la course de Versailles a été un peu trop
forte. Le parc est immense ; les galeries de tableaux plus encore ; j’ai voulu tout voir me persuadant que ma fatigue ne signifiait rien ; mais comme j’ai de bonnes raisons de croire que je suis au commencement d’une grossesse il faut que je [me] repose pour réparer ma petite imprudence, et je compte d’après le conseil d’Alphonse
rester encore demain tout le jour dans mon lit, du reste je m’y trouve à merveille. Mon bon mari est toujours à côté de moi, il m’entoure de
tous les soins et de toute la tendresse possible, il ne se pardonne pas de
m’avoir tant laissé courir à Versailles, mais dans notre inexpérience nous ne croyions pas être imprudents. Hector et sa femme passèrent hier la soirée dans ma chambre ; Louis vint aussi me distraire par son gentil
babillage ; que ne puis-je avoir aussi mon bijou, ma Mathilde ?…
J’ai fait ton emplette de robes après des indécisions ridicules comme à ma louable habitude ; celle de Mme Pochin est de 32 sols couleur noisette avec une petite feuille verte et rouge, et pour toi après une heure d’anxiété j’en ai pris une de 36 sols fond blanc avec une petite rayure verte assez jolie ; je ne sais, chère sœur, si tu seras satisfaite ? Je n’en ai pris que 8 aunes chacune pensant qu’à des robes de ce prix-là on ne pouvait trop mettre un volant ; cependant réponds-moi si tu en désires une, je puis encore les changer ; pour la pélerine j’en ai acheté une charmante très bien brodée à 3 frs [?] toute garnie ; si elle te convient tu la garderas, je te laisserai le choix avec celle que je prendrai pour moi.
J’ai acheté les mitaines de Mathilde.
Adieu, chère sœur, Marc veut absolument que je finisse ; il t’embrasse ainsi que moi bien tendrement.
Toute à toi A S.
Ne t’inquiète pas de ma petite indisposition ; ce n’est absolument rien, je suis si heureuse d’être enceinte que rien ne me coûte.
Mes amitiés à Camille.
2011.02.138 | Dimanche 11 août 1839 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Adèle devait recevoir une lettre de son père quelques jours plus tard (R96.853.4). La lettre d’Hector est CG no. 657 qui accompagnait la lettre d’Harriet (R96.187). — Remarquer que dans sa lettre Adèle ne fait pas état de tensions entre les Pal et les Suat à cette date qu’on connaît par une lettre de Félix Marmion à Adèle datée du même jour (R96.859.6).
St Chamond dimanche 11 août [1839]
J’ai reçu hier mon fameux canapé, chère sœur, je me hâte d’en accuser la reception à Camille, en lui faisant de nouveau mes remerciements à ce sujet ; je le prie de faire des reproches au tapissier seulement pour la manière dont il l’avait emballé, à peine si les pieds étaient entourés de papier, le dossier n’en avait qu’un seul double, et comme tout le poids reposait dessus il a été assez fortement rongé, ce qui est grand dommage tu conviendras. J’espère cependant que l’ébéniste me l’arrangera avec un peu de cire qui mastiquera les trous ; du reste je suis enchanté de mon bel ouvrage, et je me suis vite dépêchée à faire
couper et faufiler l’enveloppe, pour m’en servir sans crainte de la ternir.
J’espérais un peu une lettre de mon père, mais je n’ai encore eu de ses nouvelles que par toi ; il paraît que son accès de tristesse ne diminuera point et cela m’afflige beaucoup ; pourquoi faut-il donc avoir toujours quelques douloureuses pensées qui viennent troubler le bonheur le plus complet ?…..
J’ai reçu depuis mon retour une lettre d’Hector, et une de sa bonne et excellente femme ; il me l’avait
adressée à la Côte, et je suis bien fâchée de n’avoir pu te la montrer ; je ne pensais pas qu’Henriette pût se tirer si bien d’une lettre en français, elle m’a fait un plaisir extrême.
Comme elle me l’avait promis il paraît qu’elle est allé faire une seconde visite à mon portrait avec Louis, Mademoiselle Zodalie aura été bien satisfaite ; Henriette me raconte qu’on avait en vain cherché à tromper le petit en lui montrant plusieurs portraits, et qu’enfin l’ayant laissé chercher tout seul il a fini par découvrir le bon caché derriere un fauteuil, et que triomphant il s’etait mis à crier « voilà ma Tante Adèle ! c’est elle ! c’est elle !…… »
Sa mère avait été attendrie de sa joie en me
reconnaissant, elle même avait été bien heureuse de me revoir encore ?…
car Dieu seul sait, ajoute-t-elle, quand nous nous rencontrerons maintenant ?……
D’après ce que tu me dis, chère sœur, ta brillante réception
aura eu lieu mardi passé ; décidement le père Apprin a pris une
passion pour toi, prends garde, méfie-toi de lui, le petit fripon pourrait bien troubler ton repos ; cela m’inquiète sérieusement, et comme je désire que tu conserves ton beau calme je te conseille de ne pas accepter tant de déjeuners ; nos parents seraient responsables alors de te négliger si fort sur ce chapitre, ils ne savent pas à quoi ils t’exposent.
Pour moi, ma chère, je n’ai pas le temps de faire des conquêtes, les jou[rnées] passent comme une heure ; je serais tenté[e] d[e] désirer comme Mme Arvet qu’elles en eusse[nt]
cinquante huit au lieu de vingt quatre pour pouvoir accomplir tous mes projets. Cette semaine je me suis un peu libérée des visites les plus urgentes, mais je suis encore loin d’être sur mon courant, il faudrait passer une vie à cela vraiment.
Mon mari est excessivement occupé depuis notre retour, les affaires lui arrivent en foule, ce qui nous fait grand plaisir à tous deux ; je commence à flairer les clients, et à les apprécier beaucoup.
Nous sommes allés hier visiter un appartement en face de
celui où nous sommes ; je l’ai trouvé bien petit, mais si celui de l’original de Monsieur ne me convenait pas celui-là pourra à la rigueur nous caser tous ; comme il est tout neuf il serait très gai, point essentiel ; nous déciderons cette importante affaire dans quelques jours, dans tous les cas j’ai maintenant la certitude d’être logée cet hiver……
Adieu, chère sœur, je vais faire ma toilette — nous sommes invités ce soir à prendre des glaces à la maison de campagne de Mr Richard. Je vois avec plaisir que sa jeune femme désire beaucoup me voir souvent ; comme elle est très agréable je me réjouis des avances qu’elle me fait ; le député est de retour, sa maison est charmante ; nous sommes parfaitement accueillis, sa femme aime beaucoup à recevoir et tous les dimanches soir on y va, particulièrement. Ils avaient été très aimables pour nous à Paris.
Adieu, adieu, chère sœur, ma santé est excellentissime ; j’embrasse Camille et Mathilde.
AS.
2011.02.139 | Dimanche 10 novembre 1839 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
[Le début de la lettre manque]
Je travaille quand j’ai le temps à un petit trousseau ; j’ai fait des petits bonnets délicieux sans qu’il m’en coûte rien ; des cravates de mon mari m’ont servi pour des collets, souviens [toi?] que j’ai de [mot non déchiffré] chère sœur ? Si tu voyais donc ma vieille capote de satin blanc rajustée de ma façon ce serait bien autre chose ; je m’admire chaque fois que je la porte ; notre jeune modiste est à Lyon, à son retour des emplettes je me déciderai cependant à me faire faire un chapeau d’hiver.
J’ai trouvé ici parfaitement tout ce qu’il me fallait en toile pour drapeau ; bazin piqué pour langes et jolies petites couvertures, dentelles etc. etc.
Tout le monde a tant d’argent ici ? ….
Je voudrais bien être à la mode du pays sous ce rapport ; en attendant les affaires arrivent assez à mon mari, il est chargé de plusieurs ventes considérables, et comme on paye bien cela bouchera un peu les trous de cette ann[ée] mémorable pour nous et nous commenceron[s] bientôt j’espère l’ère économique…
Nous serons parfaitement bien logés et meublés ; quand viendras-tu, chère sœur, admirer tout ce[la ?] J’aurai une gentille petite chambre à t’offrir plus mon salon. Si tu veux, je ne pourrais la garder pour une meilleure occasion ?.. Quand je me rappelle comme tu étais mal cela m’attriste …..
Adieu, chère amie, j’espère que la dimension de ma lettre est convenable ; il faut bien savoir que tu n’as pas grand’chose à faire pour espérer faire lire avec intérêt des détails aussi
insignifiants ; il me semble que cela nous rapproche, chère sœur, cette habitude de tout écrire est trop précieuse pour la perdre ; j’espère que tu es du même avis.
Dis à Monique que sa nièce se porte à merveille ; elle paraît fort entrain du prochain déménagement, et plus encore de travailler au petit trousseau ; j’en suis toujours très contente ; dis-lui cela de ma part ; Julie comme toutes les vieilles domestiques paraît tres empressée pour notre futur enfant, elle en sera folle, je le vois, et ne parlera peut-être plus de nous quitter si vite…. Adieu encore, chère sœur, j’embrasse tendrement mon père et Mathilde ; merci encore du fameux tapis.
Ton affectionnée sœur Adèle.
Mon mari rentre et veut que je te fasse ses amitiés ; j’espère que Camille sera parti, et nous réservons nos compliments.
2011.02.140 | Vendredi 20 décembre 1839 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
St Chamond vendredi le 20 décembre [1839]
Décidément, chère Nancy, je veux t’écrire par le courrier de ce matin ; depuis plusieurs jours j’en fais en vain le projet, d’une chose à l’autre je suis constamment dérangée, et je crains que tu ne me trouves un peu en retard, surtout après ta dernière lettre si affectueuse et si détaillée comme je les aime tant. Je t’en remercie, bonne sœur, et te prie de recommencer souvent ; plus habile que moi, tu sais mieux sans doute suffire à tout ce que tu désires faire ; malgré les jours si courts je suis un peu comme Mme Arvet, en retard habituellement ; je sais faire, il est vrai, beaucoup de choses à la fois.
Les exercices de la mission que je veux suivre un peu au
moins à la fin m’absorbent et m’agitent ; il faut, dit-on, avoir assisté à cinq sermons pour gagner l’indulgence, malheureusement ils se font toujours à l’heure de notre déjeuner ou de notre dîner ; il faut que je me précipite, ou que j’y aille sans manger, ce qui me fatigue beaucoup ; puis je crains horriblement la foule, la chaleur. Marc ne veut pas me laisser aller seule absolument, il faut donc ou qu’il m’accompagne, ce qui l’ennuie beaucoup, [ou] que mes domestiques quittent ce qu’elles ont à faire pendant une heure et demie, et l’ouvrage de la maison en souffre, ce que je crains plus que je ne puis dire. Enfin cela finira le jour de Noël, et comme je ne me suis pas fatiguée du tout ces jours-ci, grâce à Dieu je pourrai j’espère
terminer mon affaire convenablement.
J’ai eu une repasseuse, une lessive à compter et à mettre en ordre cette semaine ; le tapissier est enfin venu de Lyon poser mon lit, je suis maintenant meublée comme une petite maîtresse, rien n’est frais coquet comme mes draperies Renaissance avec des glands et des galons bleus et blancs assortis à mon meuble. Ma petite chambre fait l’admiration de tout le monde ; je ne me trouve pas digne de tant de jolies choses ; mon mari prétend qu’il ne saurait trop me dédommager d’avoir été si mal jusqu’à présent, mais cela est cause que je jouis davantage de tout.
J’ai été veuve pendant deux jours cette semaine ; Marc a été obligé d’aller à Lyon pour une affaire assez importante, et qui lui rendra au moins huit ou neuf cents francs, ce qui vaut bien la peine de se déranger [et] qui nous ira à merveille ; c’est le revenu d’un domaine. À propos de cela il a eu l’occasion de voir le notaire de ton mari Mr Pantin ; il lui a demandé s’il ne trouvait point d’acheteur pour les Houteaux, mais il paraît qu’il a peu d’espoir à ce sujet.
Marc est aussi allé chez Sophie [Munet] ; comme tu peux le présumer, la première chose qu’elle lui a demandé c’est si Pauline ne se marierait pas ?… Elle était chargée de chercher une femme modèle pour un monsieur de sa connaissance du plus grand mérite, très religieux, très aimable ayant 36 ou 40 ans et 500,000 frs. (?) de fortune. Heu ! que dis-tu de cela, chère sœur !..
Mais, mais, un mais insurmontable pour notre chère
cousine c’est qu’il faudrait aller habiter pendant cinq ans devine quelle ville ?… St Pétersbourg ! Ne sautes-tu pas d’horreur comme moi, après tant de belles choses j’étais en colère … Enfin ce Monsieur ne demande qu’une femme de mérite, une femme unique, et Sophie m’ayant souvent entendu vanter Pauline comme une merveille en a eu tout de suite l’idée, mais je pense que sans me compromettre je puis répondre qu’il n’y faut pas penser.
Le mariage de Mlle Rolland m’a fait grand
plaisir ; Marc connaît le Monsieur de vue et de réputation, il est en
effet très bien et très riche. Sa famille jouit d’une grande considération dans le pays, elle est tres Légitimiste, et a des manières tout à fait aristocratiques ; cela ira avec Monsieur Ferrand… Je désirerais avoir l’occasion de connaître cette jeune femme, nous serions assez voisines pour établir ensemble des relations agréables. On dit que les dames de Rives de Gier trouvent le séjour charmant ?… Je vois d’ici ton étonnement, mais c’est une chose prouvée, la société y est très agréable à ce qu’il paraît pour compenser le reste.
Pour achever de te surprendre je te dirai, chère sœur, que j’ai eu hier une petite réunion de quinze personnes très gentilles vraiment, pour notre coup d’essai nous ne nous en sommes pas trop mal tirés, tout le monde avait l’air enchanté. J’ai inauguré ton beau
thé, tout était neuf depuis le salon jusqu’au panier de Boston … C’était bien vraiment, mais cela te ferait pitié à toi, grande dame à
Lustre et à Lampes, et Camille hausserait les épaules ; mais c’est égal, je suis parfaitement satisfaite. Plaisanterie à part, chère sœur, jamais je ne me suis trouvée si heureuse ; j’aime à te le redire, sûre que cette rabâcherie ne peut que te faire plaisir.
Il me semble que j’écrirais des volumes, j’ai le cœur et la tête si pleins.
Mon père quand donc ira-t-il te rejoindre ?.. Je lui ai donné de mes nouvelles depuis peu, et j’ai écrit dimanche une grande lettre à Mme Veyron qui me répondra j’espère bientôt.
Fais mes compliments sincères à Mélanie sur la convalescence de son frère ; j’ai appris cette bonne nouvelle avec un grand plaisir… Ne savez-vous rien de Mme Burdet — dit Caffarel ?.. Je parie pour des maux de cœur ?…. Mille tendresses à Tété [Mathilde] ; son tapis m’a fait beaucoup d’honneur, je l’ai entouré d’une frange noire magnifique, et je suis très fière de dire : c’est l’ouvrage
de ma charmante petite nièce !..
Je l’embrasse tendrement en attendant sa lettre prochainement … j’ai le projet d’y répondre sur du papier de dentelle rosé, enfin tout ce que j’ai de plus magnifique, je ne garderai rien pour une meilleure occasion, dis-le lui ?..
Camille doit continuer ses courses à St Vincent avec le temps doux et bénin que nous avons ; s’il n’y est pas aujourd’hui je me permettrais de l’embrasser sans façon à son retour de l’audience, quand il se sera assuré « qu’il n’y a pas du monde » ! Tu pourras t’acquitter peut-être de ma commission. À quand le grand dîner ?..
Adieu, chère sœur, ne me punis pas d’être resté trop
longtemps sans t’écrire en faisant de même ; mon mari te dit mille
choses affectueuses.
Je t’embrasse tendrement.
Toute à toi
A S
2011.02.145 | Vendredi 3 avril 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Joséphine Suat était née le 12 février 1840. — Nancy Pal fit une voyage à Paris au cours du printemps de 1840 mais la date exacte ne semble pas connue (voirCG no. 709). — La lettre de Berlioz aux Suat la plus proche en date de celle-ci date de fin mars 1840 (CG no. 708); elle est adressée à Marc Suat et n’est d’après son contenu pas la lettre à laquelle Adèle fait allusion. — Le ‘fameux projet’ dont il est question pourrait être la Symphonie funèbre et triomphale qui fut exécutée pour la première fois à Paris le 26 juillet 1840.
St Chamond vendredi soir [3 avril 1840]
Je ne sais si je me trompe, chère sœur, mais il me semble qu’il y a un siècle que je ne t’ai pas écrit. Tu m’attends de pied ferme à ce qu’il paraît, et il faut bien que je trouve une minute pour te provoquer et ce n’est pas chose facile ; je ne m’appartiens plus absolument depuis que ma garde est partie. Ma fille m’occupe du matin au soir ; depuis quelques jours surtout elle a des accès de coliques terribles ; ce pauvre ange pleure à me fendre le cœur, puis quand elle est enfin un peu calmée je suis si lasse que je suis incapable de rien. Marguerite m’est bien précieuse, sans elle je ne m’en tirerais pas ; elle est d’une adresse admirable pour langer ma petite, et moi j’ai tant peur de lui faire mal que je suis gauche à m’exaspérer ; ses cris me font perdre la tête.
Ce matin j’etais inquiète ; nous avons envoyé chercher le médecin qui m’a complètement rassurée ; comme elle
grossit beaucoup cela peut être la cause. Cette chère petite dort paisiblement à côté de moi, et je t’écris sur mes genoux pour ne pas la perdre de vue.
Ne vas pas croire pour cela, chère sœur, que je suis mère trop faible ; quand la pauvre enfant ne souffre pas je suis très calme ; et je me permets bien de la quitter quelques heures.
J’ai rendu toutes mes visites de couches déjà et je trouve que c’est superbe.
Il me tarde, chère amie, de savoir positivement vos projets pour la Côte et Paris ; je voudrais bien te voir quelques jours avant ton départ, mais d’un autre côté pour rester avec mon père le plus possible en ton absence, il faudra me limiter et cela me paraît difficile à concilier ; nous voilà à Pâques tout à l’heure sans que j’y ai songé. Je pense que quinze jours après je me rendrai près de vous d’après tes premières combinaisons. Je prends mes arrangements en conséquence ; il y a pourtant près de six mois que je ne vous ai vus !…
Le voyage m’effraye avec ma petite ; par Lyon il faudrait passer une nuit et par Vienne changer trois fois de voiture !… Je n’en dormirai p[as] de soucis ; je deviens pour cela la digne fille de notre pauvre mère ; tous les jours j’en suis plus convaincue.
Nous avons reçu hier quelques lignes d’Hector ; il parle très vaguement de son fameux projet, sa femme a été encore malade ; la dernière lettre de mon père était assez rassurante, mais il y a déjà quelques jours que je l’ai reçue et il me tarde que tu m’en donnes de récentes ; le beau temps doit le ranimer un peu et ses
réparations doivent l’occuper beaucoup.
Le mariage de Mr Hypolyte est-il fait ? Je
l’ai appris avec étonnement et plaisir.
Adieu, chère sœur, il est tard et j’ai un besoin extrême de mon lit après une laborieuse journée. J’embrasse tendrement Camille et Mathilde ; mon mari te dit mille choses affectueuses.
Adieu, adieu, écris-moi toi qui a le temps.
Toute à toi A
2011.02.146 | Dimanche 28 juin 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond dimanche 28 juin [1840]
J’attends depuis plusieurs jours de tes nouvelles, chère sœur, je t’avais écrit à Voreppe, aussitôt après ton départ de la Côte ; j’espérais donc que ta solitude te permettrait de m’envoyer une longue lettre ; ordinairement, chère Nancy, tu es d’une exactitude charmante, pourquoi perdre une si bonne habitude ? Si le courrier de ce soir m’attrappe encore comme celui de midi, je commencerai à être inquiète ; j’ai reçu il est vrai une lettre de mon père, mais qui ne me disait rien, ni de lui ni de vous, ainsi je ne sais donc rien et je prends le parti de t’en demander raison, chère sœur, tout en gardant ma
Finette [Joséphine] que je croyais bien endormie, et qui ouvre ses grands yeux en jargonnant. Cette chère petite commence à savoir s’amuser seule dans son berceau ; je veux l’accoutumer à y prendre patience souvent, si faire se peut ! –
J’ai eu de grandes occupations cette semaine ; mon ancienne cuisinière est partie, cela m’a fait de la peine, l’attachement de cette brave Julie pour la famille de mon mari était extrême ; elle avait d’ailleurs d’excellentes qualités, et je suis sûre que je la regretterai plus d’une fois. Ma veuve est installée, elle ne fait pas mal la cuisine je crois, mais je ne puis trop savoir encore à quoi m’en tenir sur son compte, et il y a trop peu de temps d’apprendre ; conserve précieusement ta Françoise, chère sœur, tu ne pourrais trouver de pareille et c’est une ennuyeuse chose que ces changements de domestiques.
Une autre importante affaire que je fais aujourd’hui, c’est de mettre sa première robe à Joséphine !
Te souviens-tu, chère Nancy, du grand jour où nous en mîmes une à Mathilde ? J’étais aussi entrain si ce n’est plus que pour ma fille, cependant j’ai tenu beaucoup à la faire moi-même, et comme je ne fais plus rien depuis longtemps c’est un tour de force. Le fait est que ma fille m’occupe et m’absorbe nuit et jour, j’en suis folle à lier, mais pas plus que son père ; nous nous la disputons souvent, elle est si gracieuse, si sage, si rose, si blanche etc. etc. etc. Je ne sais ou je m’arrêterais, chère sœur, dans l’énumeration de toutes ses rares qualités. J’interromps ma lettre à chaque ligne pour l’admirer jouant avec un plumeau d’une manière remarquable pour son âge ; que ma chère Titi [Mathilde] ne rie pas des enthousiasmes de sa Tante, dis-lui que pour elle c’etait pis encore ! J’ai acheté des amours de petites bottines tricotées pour compléter sa toilette avec sa robe rose ; je sens que sa cousine donne son opinion sur sa mère, elle qui a un goût si difficile. Tout est en sens dessus dessous ici pour la procession, déjà dimanche c’était magnifique ; le fait est que comme les cérémonies de ce genre sont tout à fait dans l’esprit du pays, et qu’on a beaucoup d’argent, on fait des choses charmantes, d’une fraîcheur et d’un luxe extrême ; es-tu allée admirer les reposoirs de Voreppe ce matin ? que fais-tu sous tes frais ombrages ? n’es-tu point allée à Grenoble encore ? es-tu sans des nouvelles d’Hector, de mon Oncle ? Je n’ai pas signe de vie d’eux depuis des siècles ; allons écris-moi donc, chère sœur, et dis-moi vite que rien de sérieux n’est cause de ton silence. Toi qui n’est pas nourrice, et qui n’a pas de
cuisinière à initier à tes habitudes, n’as tu pas le temps d’écrire ? puis Mathilde ne pourrait-elle pas la remplacer bientôt ?… Si elle n’y prend garde Finette lui passera devant ; dis-lui cela de ma part en l’embrassant.
Je voudrais pouvoir remplir encore une page blanche, chère sœur, mais malgré tout ce que j’aurais à te dire, il faut que je finisse. Finette perd patience et veut se lever. J’ai permis à sa bonne d’aller à Vêpres avec Philippe, et maintenant on sonne à chaque instant ; je ne puis suffire à écrire, répondre, et bercer. Adieu donc, chère sœur, comprends ma position du moment, et imite mon empressement à t’écrire en dépit de tout ; fais je te prie [me]s amitiés à Camille, si tu vois Pauline ne m’oublie pas auprès d’[elle].
Finette embrasse Tante Nancy et cousine Mathilde de moitié
avec moi et avec toute l’affection possible.
Adieu encore, chère sœur.
AS
2011.02.147 | Dimanche 8 novembre 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Berlioz avait donné un grand concert à l’Opéra le 1er novembre, et en avait donné un récit détaillé le lendemain même dans une lettre à Adèle (CG no. 734); il est étonnant qu’Adèle n’en fasse pas mention dans sa lettre datée du 8 novembre. La lettre de Berlioz est certainement arrivée, puisqu’elle fait maintenant partie du fonds Chapot au Musée Hector-Berlioz (inventaire R96.194), mais sans doute avec un retard de plusieurs jours. L’original comporte ni enveloppe, ni adresse, et n’a donc pas de timbres postaux qui permettraient de vérifier la date d’arrivée. — Sur Alphonse Figuet-Dufeuillant, ami de Berlioz, voir CG VIII, index p. 756. — Le projet de Berlioz d’aller à Lille en 1840 ne semble pas avoir eu de suite. — Sur la translation des cendres de Napoléon qui eut lieu le 15 décembre, voir la lettre de Berlioz à Adèle (CG no. 739) et l’allusion dans la lettre d’Adèle du 17 décembre (2011.02.151).
St Chamond dimanche 8 novembre [1840]
J’attendais de vos nouvelles avec une vive impatience, ma chère Nancy, bien que les rivières de la Côte ne soient pas à redouter, je craignais quelques désastres pour les propriétés de mon père ; je n’entends parler que de sinistres depuis tant de jours que je vais finir par m’y accoutumer.
L’eau a fait ici assez de mal ; plusieurs maisons et fabriques sont écroulées, notre petite rivière du Gier était effrayante à voir, les rues ont été plusieurs fois presque navigables
dans certains quartiers, mais qu’est ce que cela auprès de Lyon ?…
Le chemin de fer est interrompu, pour plusieurs mois peut-être, à notre grande contrariété, cela paralyse tout pour St Chamond. Pour moi je ne puis me consoler de ne plus espérer la visite de Louise [Boutaud] à cause de cela, car je n’admettrais point sa raison de n’oser venir seule dans les wagons ; en prenant la première voiture, toujours très bien composée, il n’y a rien à redouter ; témoigne-lui je te prie tous mes regrets, je présume d’ailleurs que Louise attendra afin de ne pas être obligée de faire des emplettes en bateau ; tous les magasins étant fermés dans la rue St Dominique et sur le quai de Saône surtout, il me semble qu’il y aurait de la folie à faire le voyage dans ce moment.
Nous avons depuis hier soir Mr Dufeuillant
fils ; il m’a donné des nouvelles d’Hector très détaillées,
son festival a assez bien réussi ; la salle de l’Opéra était remplie par la plus brillante société, il y a eu de bruyants applaudissements à certains passages, puis un seul coup de sifflet qui a fait sangloter la pauvre Henriette ; il n’a pas su nous dire quel avait été le résultat sonnant ; mais la fatigue avait été horrible pour Hector, il l’avait laissé encore tout brisé, et moulu.
Comme je ne présume pas qu’il ait encore écrit à la Côte je me hâte de vous communiquer mes récentes nouvelles ; il était aussi sur le point de se décider à aller à Lille pour donner un autre Festival, mais comme il avait reçu des propositions à ce sujet il voudrait prudemment régler l’article argent avant de prendre un parti
définitif.
Voilà, chère amie, où il en est maintenant ; Mr Dufeuillant est venu exprès de Paris pour passer quatre ou cinq jours avec nous, il y retournera pour assister à la cérémonie de la translation de
Napoléon, puis reprendra ses courses vagabondes. Il compte passer son hiver en Espagne ; comme il a beaucoup vu nécessairement nous avons beaucoup à le questionner ; mon mari est vraiment heureux de sa visite et lui sait un gré infini d’être venu de si loin à notre seule intention, c’est une preuve d’amitié tres grande. Je l’ai accueilli avec tout l’empressement possible ; son affection pour mon Marc et pour Hector suffirait pour le faire bienvenir pour moi en toutes occasions, puis c’est un excellent jeune homme malgré ses bizarreries.
La relation brillante que tu me fais de vos bals m’a fort intéressé, j’ai appris avec grand plaisir que tu t’y étais bien amusée ; les distractions sont si rares par le temps qui court qu’on les appréciera d’autant mieux.
Ta lettre m’a fait vraiment du bien ; mon père est en bonne santé, tout disposé à passer son hiver à Grenoble.
Mais c’est charmant toutes ces bonnes nouvelles ; pour riposter je te dirai que la coqueluche de ma Finette [Joséphine] est presque finie, jamais elle n’a été si rose, si grosse, et si diable ; elle a repris ses gentilles bonnes grâces qui faisaient ma joie et mon orgueil.
Les nuits sont meilleures aussi, puis dans la journée elle
reste des heures entières assise sur mon tapis s’amusant paisiblement pendant que je travaille ; maintenant je me porte à merveille, je me trouve engraissée, et bonne mine [la fin de la lettre manque]
[dans la marge de gauche de la première page, fin du texte qui commençait sans doute à la fin de la dernière page de la lettre] n’aye point été invité aux soirées, cela devait te fendre le cœur, ma jolie Titi [Mathilde] aurait si bien figuré.
2011.02.148 | Mercredi 2 décembre 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond mercredi 2 décembre [1840]
Je t’adresse ma lettre à Grenoble, chère sœur, et j’aime à me flatter qu’elle t’y trouvera installée depuis deux jours au moins.
Je ne puis te dire la peine que j’ai éprouvé en lisant la tienne dimanche soir ; je me disposais à aller passer la soirée chez les dames Ardaillon, mais je n’en eus plus le courage. J’avais le cœur serré des tristes détails que tu me donnais au sujet de notre père ; ta position devait être bien cruelle, chère sœur, personne plus que moi ne saurait le comprendre et le plaindre ; nous devions cependant un peu nous attendre à la conduite de mon père ; tous les ans c’est la même indécision douloureuse, mais en dépit de l’expérience passée on veut espérer mieux, on en a tant besoin !….
Je lui écrirai aujourd’hui pour faire une diversion d’une seconde à ses tristes pensées, le beau soleil que nous avons depuis hier sera, j’espère, plus puissant que toutes les lettres ; Mathilde lui fera peut-être encore un plus grand vide que toi. Cette chère petite est probablement enchantée de se retrouver à Grenoble ;
remercie-la je te prie de ses charmantes pantoufles ; elles iront à
merveille avec une gentille paire de bas à jour qu’une vieille demoiselle de mes amies a eu l’attention de me tricoter.
Si tu avais trouvé une occasion pour Vienne ou même Lyon je les aurais facilement fait prendre.
La mort de la pauvre Mme Golety m’a fait
beaucoup de peine, Mme Félicie a dû passer de bien cruels moments ; quand on en a comme nous la si douloureuse expérience on partage
sincèrement de pareils chagrins ! Si ta belle-sœur avait été à Vienne j’aurais éprouvé le besoin de lui écrire à cette occasion ; crois-tu son retour prochain ?….
J’avais appris par Louise [Boutaud] la banqueroute
Simon ; quelque étendue que soit la réputation merveilleuse de ces dames, elle est complètement ignorée dans [le] département de la Loire. Louise me parlait aussi d’un projet de mariage pour Mlle Méline à Paris ; comme tu ne m’en dis rien je pense que rien n’est décidé ; je serais bien enchantée d’apprendre cette bonne nouvelle.
Mademoiselle Nancy [Clappier] sera enchantée de ton retour ; je jouis de la savoir installée paisiblement à la ville pour tout l’hiver. Fais-lui donc une visite de ma part je t’en prie et dis-lui tout ce que tu pourras imaginer de plus affectueux pour moi ; il y a un siècle que je ne lui ai pas écrit, mais ma Finette m’occupe tellement, puis toutes mes habitudes de vie lui sont si étrangères maintenant que je craindrais de ne pouvoir guère l’intéresser.
Gronde Pauline de ma part sérieus[ement], elle ne mérite plus que je surmonte ma paresse en sa faveur ; mes reproches faits embrasse-la pour moi quand même ! ..
Les Michal sont-ils donc toujours au même point ?.. Parle-moi de tous nos amis et parents, tu me feras grand plaisir, chère sœur.
Ma Finette est toujours plus gentille ; elle se porte à ravir, la coqueluche est complètement passée grâce à Dieu, aussi les nuits sont moins pénibles, à part la dernière où il a fallu la tenir jusqu’à
une heure ; en rentrant hier soir à onze heures la croyant profondément endormie, elle jouait comme une petite folle.
Mon mari est allé à St Etienne aujourd’hui pour ses affaires, je vais profiter de son absence pour écrire à vous tous ; j’ai mes jours de lettres, mes jours de visites, et mes jours de congé.
Mr Dufeuillant n’était que quatre jours ici ; je lui avais remis une lettre pour Henriette à son départ ; il m’avait promis quelques détails sur eux, mais il n’a point encore écrit.
Adieu, chère sœur, mes compliments à Camille ; je pense que comme à sa louable habitude il t’aura apporté des merveilles de Lyon. Adieu encore, toute à toi.
2011.02.150 | Dimanche 13 décembre 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur les tensions qui se font jour de temps en temps entre les deux sœurs, voir la lettre de Félix Marmion à Adèle du 11 août 1839 (R96.859.6) et la lettre suivante (2011.02.151).
St Chamond dimanche 13 décembre [1840]
J’ai attendu plusieurs jours avant de te répondre, chère sœur, j’avais besoin d’être plus calme ; certain passage de ta dernière lettre m’avait affecté et surpris bien douloureusement, je t’avoue que je me croyais bien plutôt en droit d’adresser de semblables reproches que d’en recevoir ; depuis l’époque de mon mariage votre conduite a été une énigme pour moi.
Vous seuls m’avez méconnue, repoussée d’une
manière si étrange, qu’il me semblerait que vous [ne] me pardonnez point d’être heureuse, et d’aimer mon mari comme il le mérite, en dépit de tout ce que vous avez pu faire ! ..
Mais ne revenons pas sur le passé, chère sœur, je sens mon
cœur bondir à certains souvenirs, laisse-moi oublier, et pour cela croire que votre cœur n’y était pour rien, mais que votre jugement seul
avait été étrangement égaré.
Je ne comprends pas pourquoi ton mari m’adresse des hommages respectueux ; il me semble que j’ai toujours été la même à son égard, si par hasard il en a été autrement c’est bien certainement sa faute et non la mienne ! ……
Qui pourrait dire, chère sœur, s’il était possible de pousser plus loin que moi l’affection et le dévouement exalté, pour toi et tout ce qui t’appartenait ?..
Je n’ai point oublié non plus toutes les preuves d’amitié que vous me prodiguiez jusqu’à l’époque où j’ai cru à mon tour pouvoir vous initier à ma vie nouvelle, à mon amour, à mon bonheur, et vous m’avez repoussé avec un dédain, une froideur que j’étais loin d’attendre.
Votre conduite a été une des plus amères déceptions de ma vie, mais j’étais trop fière pour vous en demander l’explication, ou pour m’en plaindre.
Mon cher Marc pourrait te dire toutes les larmes que j’ai versé à ce sujet, j’aurais peut-être oublié ce que c’était que le chagrin sans cela.
J’espérais toujours que vous reviendriez à moi.
Maintenant, ma chère, je ne sais plus que croire ; le temps apprend beaucoup de choses !… Il me serait bien doux de penser qu’il ne m’apportera que des consolations à ce sujet, et qu’un jour enfin nous serons tous unis de cœur comme je le désire, et j’ose le dire comme je n’ai jamais cessé de le mériter.
J’ai appris la maladie de notre bonne cousine Pauline avec la peine la plus vive, j’espère cependant que son état n’est point aussi alarmant que tu parais le croire.
Mon père m’a écrit dimanche dernier, il ne paraissait pas trop [mot illisible] ; je ne présume pas qu’il soit encore disposé à partir pour Grenoble.
Adieu, chère sœur, adieu Camille, embrassons nous comme
autrefois, avec la plus vive et la plus sincère affection, et oublions tous tout ce qui pourrait avoir altéré nos sentiments réciproques.
Toute à toi
A Suat
2011.02.151 | Jeudi 17 décembre 1840 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.150. — Sur Sophie Munet voir R96.864. — Le concert de Berlioz du 13 décembre est présenté par lui comme un grand succès dans sa lettre à Adèle écrite quelques jours après (CG no. 739; R96.195).
St Chamond jeudi [17 décembre 1840]
Tu as bien raison, ma bien chère sœur, assez de récriminations et d’explications comme cela ; de grâce n’y revenons plus, cela nous fait trop de mal à toutes deux, et comme tu le dis oublions tout, et aimons nous toujours ; c’est ce qui ne me sera certes pas plus difficile qu’à toi, si tu le veux franchement comme je l’espère. Le facteur m’a remis ta lettre hier soir au moment où j’arrivais de Lyon à moitié gelée ; j’y étais allée la veille par un temps très supportable, j’avais plusieurs commissions à faire, et surtout plusieurs personnes à voir, Sophie [Munet] en première ligne. Mais j’ai pu en jouir à peine quelques heures ; la noce de son frère qui avait été retardée
malencontreusement pour moi, avait eu lieu la veille, et l’absorbait
complètement. Enfin elle m’a un peu promis de venir le jour de ma Loterie pour me dédommager ; je pense que j’aurai beaucoup de monde ; Mme Richard (Mlle Boissat) me prêtera j’espère son piano droit dont la dimension s’accordera très bien avec la petitesse de mon salon ; j’aurai une demoiselle de Lyon amie des dames Roche qui est d’une force aussi remarquable que sa complaisance, puis les demoiselles Ardaillon ; ainsi j’aurai avec
un ou deux Messieurs un orchestre assez bon. On vient de m’interrompre
pour me remettre trois Lots délicieux, un gentil métier à tapisserie en
citronnier, ouvrage d’un vieux Monsieur, puis des chiffonnières, et des
bretelles brodées en soie d’un goût parfait ; c’est à qui me
témoignera le plus d’empressement. J’espère que nous nous amuserons ; que ne peux tu, ma bien chère, venir m’aider à faire mes honneurs ; ma gentille nièce Titi [Mathilde] m’aurait été bien nécessaire pour tirer les billets, elle m’aurait fait beaucoup d’honneur, surtout à présent qu’elle apprend la grammaire !. et la géographie !…. ce doit être un prodige en tout point, je suis bien aise de savoir que cette chère petite que j’aime tout comme ma fille aimée, fait de rapides progrès ; il me semble que j’aurai aussi un peu le droit d’en être fière, n’avons nous pas appris ensemble les capitales de l’Europe ? ……
J’aurais prochainement une occasion pour Vienne pour
apporter les fameuses pantoufles ; ma Finette [Joséphine] aime
déjà beaucoup les jolies choses, il fallait la voir hier admirer le chapeau que je lui apportais de Lyon en peluche grise avec une petite plume de la même nuance ; elle n’était pas difficile de la trouver à son gré, car il est charmant. Cette chère enfant m’occupe exclusivement ; pourvu qu’elle ait ce qui lui faut, peu m’importe ma toilette. Je n’ai rien acheté cet hiver absolument, c’est plus tôt fait ………
Je suis heureuse d’apprendre que mon père ne va pas
mal ; je bénis de grand cœur le Blottoir [?], dont la construction utile ou non l’occupe et le distrait ; le froid atroce que nous avons depuis deux jours le déterminera peut-être à aller vous joindre.
Je te remercie de me donner de bonnes nouvelles de notre
chère cousine Pauline ; je charge Mathilde de lui faire une visite en mon nom, j’espère qu’elle accepte ma commission avec plaisir.
Hector et sa famille ne vont pas mal ; Mr
Dufeuillant en donne des nouvelles aujourd’hui en écrivant à mon mari ; il paraît que le concert a été peu nombreux ; notre pauvre frère choisit mal ses moments. La cérémonie Napoléonienne absorbait tout le monde.
Finette veut absolument m’empêcher de continuer ma lettre ; je ne sais comment résister à ses agaceries. Je te remercie du désir que tu me témoignes de t’initier à ses petits progrès, le fait est qu’elle [est] gracieuse à croquer, mon mari en est fou, nous nous la disputons souvent, elle trône sur la table tous les jours à déjeuner et à dîner, mangeant de tout avec nous et faisant mille petites singeries que nous admirons avec enthousiasme ! …
Elle commence à marcher pas mal en lui mettant une serviette sous les bras, comme nous faisions à Mathilde s’il t’en souvient ?. mais avant le printemps je n’espère pas qu’elle coure seule.
Tu comptes donc ouvrir tes salons au mois de janvier ; je te souhaite autant de succès que l’année passée, ton amabilité en est garant.
Mme Veyron ne m’écrit pas plus qu’à toi ; je suis navrée d’apprendre que la pauvre Mme Prost retourne à Gillonay ; le malheur se cramponne à cette femme sans relâche, elle me fait une pitié indicible ! …..
Adieu, ma bien chère sœur, adieu, mon cher frère Camille ; je vous embrasse tous deux avec la tendresse la plus parfaite.
Mon mari vous fait ses compliments affectueux ; un bon baiser à Mathilde.
Ne m’oublie pas auprès de Mlle Clappier et des personnes qui voudront bien se souvenir de moi, Mme Pochin par exemple. J’avais écrit à Mme Felicie.
Adieu encore, aime-moi comme je t’aime, t’aimerai et comme je t’ai toujours toujours aimée ; et je n’aurai rien [à (lacune)]
Toute à toi
Adèle Suat
2011.02.153 | Mardi 12 ou mercredi 13 janvier 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond mercredi 12 janvier [sic] [1841]
Decidément, ma chère Nancy, nous devenons si absorbées l’une et l’autre que ce n’est pas sans peine que nous parvenons à continuer notre correspondance avec la même exactitude ; depuis trois jours je fais en vain le projet de t’écrire ; hier j’avais un grand dîner de deux heures et une petite soirée, de sorte que je n’ai pas eu une minute à moi, je suis rentrée à minuit truffée, c’est le mot. Quel dîner !…. saumon, chevreuil, pâté de foie, dinde truffée etc. etc. etc. enfin, j’avais un brillant appétit à dépenser heureusement.
J’ai trouvé en rentrant une longue lettre de Pauline qui m’a fait bien plaisir ; elle me donnait de bonnes nouvelles de mon père et de ta soirée ; il paraît, chose incroyable, qu’il avait hésité s’il irait au salon ?..
Je ne puis te dire, chère amie, combien je jouis de savoir ce bon père tranquillement auprès de toi ; j’espère que cet hiver se passera mieux que celui de l’année dernière. Mon projet est d’aller le voir à la Côte les premiers jours du Carême ; pour peu qu’il prolonge son séjour à Grenoble il se trouvera peu seul, les jours seront plus longs à cette époque, la saison moins rigoureuse ; je pourrai emmener Finette et par conséquent rester plus longtemps auprès de notre bon père ; nous faisions ce plan hier avec Marc ; si rien de nouveau ne survient je l’exécuterai, ton habitude étant de venir à Pâques à la Côte nous ne ferions pas ainsi double emploi, ce qu’il ne faut pas.
Ma lettre t’arrivera probablement demain au moment où tu t’habilleras pour ta soirée ; à propos j’adopte les manches plates ; es-tu à la hauteur depuis longtemps ?.. Mathilde a de brillants succès à ce que m’apprend la renommée ; j’ai reçu les pantoufles, elles sont charmantes.
Madame Félicie m’a répondu la semaine dernière, elle
est bien profondément triste ; crois-tu que Mr Henri ait quelques chances pour obtenir la place de Mr Blachette ? ou Mr Burdet ?… Je souhaite que toutes ces ambitions soient satisfaites. C’est encore plus sûr de n’en point avoir.
Il y a un siècle que je n’ai point de nouvelles de mon oncle ; tiens-moi au courant.
Je te prie de me rappeler bien tendrement au souvenir de Mlle Nancy [Clappier] et de Pauline ; je fais sérieusement le
projet de leur écrire sous peu pour répondre à Mme Pion ; j’ai été interrompu si souvent que je croyais ne pas en finir.
Finette va bien ; elle est endiablée et veut toujours être à terre maintenant, ce qui fatigue beaucoup ; elle annonce être aussi gourmande qu’une charmante jeune personne que Mathilde connaît intimement ; pour des confitures ou du café Finette fait tout ce qu’on veut, c’est le moteur de sa première éducation, sans cela elle n’appr[endrait] aucune petite gentillesse.
Adieu, ma chère sœur, écris-moi donc de longues relations de tes brillantes réunions.
Je trouve que Camille a très fort raison d’étendre
tes invitations ; il ne t’en coûtera ni plus d’argent, ni plus d’embarras ; il n’y a que le premier pas qui coûte.
J’embrasse bien tendrement mon père ; Mathilde lui fera une visite de ma part dans sa chambre pour faire ma commission ; mes amitiés à Camille, je te prie ; mon souvenir à Monique.
Ton affectionnée sœur
Adèle Suat
2011.02.154 | Jeudi 28 janvier 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur la soirée à St Etienne voir 2011.02.152 et 2011.134.
St Chamond jeudi 28 janvier [1841]
Je te porte malheur, chère sœur, chaque fois que je te félicite de garder notre bon père je choisis
toujours le moment où il part pour cela. J’ai reçu une lettre de lui depuis son retour à la Côte assez satisfaisante ; il me parle avec joie de la visite que je lui promets pour le Carême. Je te remercie beaucoup de celle que tu m’annonces aux féries de Pâques ; je serai bien heureuse, chère sœur, de ta visite chez moi, il y a si longtemps que j’espère en vain ta visite. Je regrette seulement qu’à cette époque différentes personnes de ma connaissance intime seront absentes, les dames Ardaillon surtout, avec qui j’aurais été bien aise de te faire faire connaissance. J’aime tant ces dames, leur maison est si agréable que leur séjour à Paris est un vrai chagrin pour moi ; elles sont parties cette semaine.
Enfin, ma chère, je ferai mon possible pour que tu ne t’ennuies pas trop avec nous ; je t’avoue que cela me préoccupe d’avance ; je ne puis oublier ce que Camille m’avait dit de la fâcheuse impression que tu avais remporté de St Chamond la première fois ; il est vrai que tout est bien changé autour de moi et que matériellement tu seras mieux. Si tu amenais Mathilde, ce que je n’ose espérer, je serais bien plus tranquille.
Quant à mon voyage à St Vincent il se fera bien
aussi j’espère à la fin de l’été, avant mon second séjour à la
Côte ; mais Finette sera plus grande, elle marchera seule, et sera plus raisonnable ; de cette manière nous ne resterons pas trop longtemps sans nous voir cette année.
Mon mari doit partir demain pour Beaurepaire, il verra mon
père un instant, j’espère ; ce voyage d’affaires m’ennuie beaucoup. Sophie [Munet] m’écrit pour m’engager instamment à aller avec ma petite charmer mon veuvage avec le sien ; Mr Munet est absent pour quelque temps, mon mari me prendrait à Lyon en revenant. Tout cela est bien tentant, mais je deviens extrêmement paresseuse pour sortir de chez moi ; je m’y trouve si bien sous tous les
rapports que je ne désire jamais en sortir, puis mes indécisions sans fin !…
Il faut cependant que j’aille faire faire ma fameuse robe de velours ; je suis invitée à une brillante soirée à St Etienne et mon mari tient beaucoup à ce que rien ne manque à ma toilette. C’est donc une occasion de faire voir le jour à la belle robe ; puis je viens de faire faire un corset à la fameuse Mademoiselle Jocourt qui me fait une taille de poupée. Tu vois, ma chère, que je ne veux pas trop être
arriérée ; quand on vieillit, il faut se soigner.
J’ai reçu ces jours derniers une lettre de mon oncle ; il paraît assez ennuyé de son long séjour à Huningues, je le comprends ; il a le projet d’aller à Paris au p[rintemps?]. Sa belle robe de foulard a dû ren[dre] Mathilde bien heureuse, le corset de velours bien plus encore ; je la vois charmante avec le joli costume que tu me dépeins, son père doit être heureux et fier de ses succès. Je ne serais pas étonnée que ce ne fût pour sa fille qu’il ait désiré recevoir toutes les semaines.
J’ai eu lundi un petit dîner de six dames très gai ; mon mari avait un banquet au cercle, et j’ai eu l’idée de nous réunir à cette occasion. Je crois, ma chère, que tu aurais apprecié mon excellent dîner ; j’avais voulu traiter ces dames dignement, nous avons attendu ces Messieurs jusqu’à deux heures du matin.
Finette va bien ; elle veut absolument marcher, c’est un petit démon ; ses dents la font souffrir depuis quelques jours. Si je vais à Lyon j’irai sans elle positivement.
Adieu, chère sœur, ta soirée d’aujourd’hui sera sans doute brillante, amuse-toi bien ; apprécie comme ils méritent les compliments que tu reçois, c’est une finale peut-être. Je ne sais si j’aurai aussi plus tard mon été de la St Martin ; comme qu’il en soit, peu m’importe !
Je vous embrasse tous.
Ton affectionnée sœur
Adèle Suat
2011.02.155 | Vendredi 12 février 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
St Chamond vendredi [12 février 1841]
Il paraît que tu vas suivre mon mauvais exemple, chère sœur, car si je compte bien il y a aujourd’hui seize jours que je n’ai pas de vos nouvelles, et je t’ai écrit deux fois dans cet intervalle. J’ignore si mon père est auprès de toi ; ton silence m’inquiète à cause de lui, peut-être y-t-il une lettre perdue ? Les plaisirs nombreux seraient-ils seulement la cause de ce retard, j’aime à me le persuader, mais chaque année à cette époque je deviens plus craintive. Rassure-moi donc vite, ma bonne sœur, jusque-là je ne saurais que te dire ; je craindrais trop les hors de propos. On nous annonce une nouvelle inondation ; la Saône grossit épouvantablement, Dieu veuille nous préserver, les pauvres Lyonnais doivent étre effrayés. On ne redoutait encore rien la semaine dernière pendant mon séjour à Lyon : il paraît que les pluies que nous avons depuis sans interruption en sont cause.
Nous allons tous bien ; Finette met des dents à force qui la rend bien pénible les nuits, elle commence à faire de temps en temps quelques pas seule, mais je n’espère pas qu’elle marchera parfaitement avant un mois ou deux.
Sa préférence pour son père est tous les jours plus marquée ; je suis loin d’en être fâchée ; mon bon Marc en est si heureux, puis entre nous tout est de moitié.
Adieu, ma chère amie, j’ai une dame à dîner, et il faut que j’aille faire un tour de cuisine.
Je n’avais voulu t’écrire qu’après l’arrivée du dernier courrier, et il est tard ; mille tendres caresses à notre père qu’il voudra bien partager avec vous tous, grands et petits.
Ton affectionnée sœur
A S
2011.02.152 | Jeudi 25 février 1841 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | — |
Sur la soirée à St Etienne voir 2011.02.154 et avec plus de détails 2011.02.134. — Sur les musiciens Italiens ambulants voir aussi 2011.02.134. — Sur les ennuis de domestiques des Suat à cette époque voir aussi 2011.02.157, 2011.02.158.
St Chamond jeudi [25 février 1841]
Je serais désolée, mon bon père, de déranger le moins du monde vos projets ; je comprends très bien que vous en changiez suivant la disposition de votre santé ; le temps redevenant triste et froid c’est un motif de plus pour vous décider à partir pour Grenoble samedi ; j’irai vous voir alors à votre retour, et quand vous le désirerez je trouverai bien moyen de m’arranger je l’espère. Dans ce moment je suis dans les ennuis de cuisinière ; nous avons donné son congé à la nôtre ce matin ; c’est une langue d’enfer. Il me sera difficile peut-être d’en
avoir une autre maintenant ; elle fait une réputation affreuse à Marguerite, et ce sont des scènes habituelles chaque jour ; cela me rend à plaindre. Une dame de ma connaissance m’en avait indiqué une du Bourg-Argentat, les renseignements que j’avais pris me convenaient ; cette fille avait fait le voyage pour me parler, ma diablesse de cuisinière a dit que je n’y étais pas pendant trois jours de suite, et maintenant il faut que j’écrive à cette fille pour lui faire mes conditions et l’engager sans la voir. Marguerite prétend qu’elle ne doit pas rester ici après tout ce que l’autre a dit d’elle ; ce sont des larmes de part et d’autre qui m’ennuient plus que je ne puis dire. Ce qui n’empêche pas, cher père, que nous n’ayons très gaiement fini le carnaval ; lundi la soirée de St Etienne a été très brillante, il y a un luxe effréné dans la maison où nous étions, on nous y a reçu avec un empressement recherché, rien n’avait été négligé pour me faire passer ces deux jours agréablement. Mme Dumoret est une très jolie femme, et remarquable aussi par son esprit et la distinction de ses manières ; elle me fait toutes les avances possibles.
Mardi ma soirée finale a été d’une gaîté folle, c’était tout à fait nos intimes, j’avais procuré une surprise à
ces dames. J’avais entendu dans la journée des musiciens Italiens, la
bonne inspiration m’est venue de les faire venir le soir nous faire danser. J’ai donc bien gardé mon secret, et à neuf heures et au beau milieu d’une partie de vingt-et-un tout à coup les portes de mon salon se sont ouvertes et mon orchestre inconnu a préludé au milieu des exclamations de surprise. Les jeunes personnes étaient ravies ; nous nous sommes mis à danser tou[s] comme des fous, la musique était si agréable que nous ne touchions pas terre, et jusqu’à une heure du matin nous nous sommes amusés avec un entraînement très rare. Pendant le souper les musiciens ont joué et chanté délicieusement en s’accompagnant de la harpe ; c’était charmant d’à propos, les pauvres artistes ambulants étaient aussi enchantés de leur aventure, ils ont bien bu, bien mangé, et fait une recette comme cela ne leur arrive pas souvent. Enfin nous nous sommes bien amusés, jamais je n’avais vu mon mari si entrain, il dansait comme un écolier, nous rivalisions tous de jeunesse ; Finette s’en mêlait aussi, elle était trop drôle ; elle sera bien comme sa mère, cette chère petite.
J’ai peur que la poste ne parte et je finis vite mon bon père.
Je vous embrasse bien tendrement.
Votre affectionnée fille
Adèle
2011.02.134 | Vendredi 26 février 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Voir 2011.02.152.
St Chamond vendredi [26 février 1841]
Merci, ma chère sœur, des détails que tu me donnes sur tes plaisirs et tes toilettes, cela nous rapproche il me semble ; à mon tour que je te raconte que j’ai passé très gaiement mes derniers jours gras. Mon voyage à St Etienne a été charmant, en dépit de la pluie battante qui nous y a accompagné dimanche ; cela a été la dernière malencontre. Mr Dumoret nous attendait avec sa voiture au chemin de fer, et pendant deux jours nous avons été comblés de toutes les attentions les plus aimables. La recherche de Mme Teisseire et de Mme Jourdan pâlissait devant celle de Mme Dumoret ; il est impossible de rien désirer de plus confortable que cette maison. La soirée de lundi était excessivement nombreuse et parfaitement bien ; la maîtresse de la maison était jolie comme un ange. Mais que je te divertisse un peu à mes dépens : croirais-tu, ma chère, que pour danser la seconde contredanse (comprends-tu, la seconde ?) j’en ai été reduite à un criquet de clerc d’avoué envoyé par le maître de la maison !….. Oh humiliation… J’étais si outrée que je voulais refuser, mais cependant la crainte de m’ennuyer toute la soirée à faire tapisserie m’a décidé à subir mon triste début ; pour me consoler je me rappelais alors mes succès d’autrefois du temps de Dada et de mille autres, je m’exagérais même mes vieux triomphes par pitié….. Puis j’ai réfléchi que je m’étais peut-être trop modestement cachée dans un coin du salon ; alors j’ai fait un tour de salon avec un aplomb rare, j’ai avancé mon fauteuil davantage, en un mot je n’ai rien négligé. De ce moment-là tout est allé à merveille, ma toilette était une des plus jolies, et mon mari m’assurait que je lui faisais beaucoup d’honneur…
Enfin cela n’empêche pas, suffit !… À mon retour j’ai fait rire les dames aux larmes en leur racontant mes succès ; Mme Richard m’a avoué alors que pareille chose lui était arrivée à St Etienne l’année passée, et comme elle est très bien, très bien cela m’a consolé. Nous sommes revenus mardi à midi ; à peine ai-je eu le temps d’embrasser Finette, on nous attendait au second pour dîner. Marguerite avait heureusement tout préparé pour le soir ; ma réunion a été d’une
gaîté folle, je ne trouve pas dans mes souvenirs de jeune fille aucune occasion où je me sois tant amusée.
J’avais entendu dans l’après-midi des musiciens ambulants ; l’idée me vint de les faire venir le soir. Marc toujours si empressé de me faire plaisir ne me laissa pas le temps d’en exprimer le désir que tout était arrangé ; il me gâte, ce pauvre ami, j’en étais vraiment touchée plus que je ne puis dire. Nous
gardâmes bien notre secret : nous commençons une raisonnable partie de vingt-[et]-un ; je ne me donnais à dessein aucune peine pour l’animer, lorsqu’à neuf heures les deux portes de mon salon s’ouvrent et mon orchestre improvisé est introduit au milieu des exclamations de surprise de tout le monde. Ils étaient trois réfugiés Italiens d’un talent rare ; l’un d’eux chantait très bien, un autre l’accompagnait de la harpe, ils nous jouèrent des contredanses délicieuses. Les jeunes personnes étaient ravies, du reste leur entrain fut contagieux comme c’était tout à fait dans l’intimité ; il y avait beaucoup d’abandon ; nous avons dansé et galopé jusqu’à minuit, la musique était enlevante, nous ne touchions pas le parquet ; mon mari était d’une gaîté comme je ne l’avais jamais vu, il dansait avec folie. Vraiment ma collation était charmante ; pendant que nous mangions les musiciens nous jouèrent des morceaux délicieux, nous applaudissions à outrance [la fin de la lettre manque]
2011.02.156 | Lundi 7 ou mardi 8 mars 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
La première lettre connue de Berlioz à Adèle en 1841 date du 14 mars (CG no. 745; R96.196). — D’après une lettre de Berlioz à Marc Suat de la fin avril 1841 il ressort que les Suat avaient parlé à Berlioz de la société philharmonique de St Chamond (CG no. 747; R96.198).
St Chamond 8 mars lundi [sic]
Chère sœur
Voilà plusieurs jours que je fais en vain le projet de t’écrire, et je suis toujours dérangée au moment où je me dispose à prendre ma plume ; mais décidément je le veux et me voilà lancée…
Je te remercie, bonne sœur, de m’avoir bien vite instruit de la définitive résolution de mon père ; j’espère de cette manière que mes tribulations de domestiques seront enfin terminées à l’époque où j’irai à la Côte ; mais je ne puis former encore de plan à ce sujet, peut-être à l’heure qu’il est mon père pense déjà à retourner chez lui, le beau soleil va le tenter !
Je comprends, chère sœur, quelle difficulté il y a pour toi à avoir constamment des distractions à lui offrir ; il me serait bien doux de partager avec toi, mes ressources ne pourront jamais lutter avec les tiennes malheureusement. Mon père ne viendra jamais chercher chez moi quelques jours de douces jouissances de famille ; je pense souvent à cela avec tristesse ; mon mari [et moi] serions si empressés, si heureux de le recevoir, ce pauvre père. Mais il ne faut pas espérer, je le crains, qu’il puisse se décider à faire un si long voyage ; la route de Grenoble est la seule maintenant qui lui soit familière ; c’est déjà un beau triomphe d’obtenir, et nous devons tous nous en féliciter. À propos de félici[ta]tions, Marc a vu hier dans le Moniteur la nomination de ton beau-frère ; j’ai appris cette bonne nouvelle avec grand plaisir, la société de ta belle-sœur te sera bien agréable, Madame Pochin doit être ravie comme vous tous et plus encore.
J’ai écrit hier quelques lignes à Mme
Félicia à cette occasion et pour lui rappeler qu’elle nous avait promis une visite ; j’espère que comme elle sait tout accommoder, déménagement et autres choses, elle sera assez aimable pour venir ici avant son départ et profiter au moins une fois du voisinage. Ce n’est vraiment qu’une promenade de Vienne [à] ici maintenant que les jours sont longs.
Nous avons eu hier un brillant concert ; notre Société philharmonique est d’un zèle admirable et fait merveille. La salle est neuve et bien décorée, ces Messieurs ont deux très bons maîtres de
musique, des répétitions fréquentes, aussi ils jouent de manière à faire
plaisir et avec beaucoup d’ensemble ; ils sont très nombreux ; ils avaient fait venir de Lyon Mr Beaumann [?], célèbre violon qui a un talent admirable ; je ne me figurais pas qu’un violon
pût faire autant de plaisir ; puis une excellente chanteuse et un chanteur distingué. En résumé la soirée a été cha[rmante], il y avait foule d’etrangers, [Mme] Richard avait Mr et Mme Bergeron et un grand dîner en leur honneur avant le concert ; puis nous avons également terminé [?] jusqu’à minuit chez elle ; j’ai beaucoup causé de Grenoble avec ma charmante anglaise, elle était consternée en apprenant la catastrophe de Henry [?] Simon !..
Mlle Michal, Mlle Lesage et beaucoup d’autres ont été le sujet de notre conversation. Point de nouvelles d’Hector ; comme toi je compte sur mon oncle pour savoir ce qu’ils deviennent tous. Louise [Boutaud] ne me répond point non plus, Mlle Méline à qui j’avais écrit par les dames Ardaillon il y a six semaines, pas un mot ! Mais en revanche j’ai reçu une lettre charmante de cette dernière ce matin, on ne peut plus affectueuse.
Finette va bien, mais elle ne se lance pas à marcher seule, moins même qu’il y a quelques jours. Adieu, chère sœur, mille caresses à mon pere et à Mathilde de ma part, et à toi et à ton mari une bonne embrassade toute fraternelle.
Adele Suat
2011.02.157 | Vendredi 19 mars 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur les embarras financiers de Berlioz à cette époque voir ses lettres à Adèle du 14 mars, à Nancy du 29 mars, et à Marc Suat de la fin avril (CG nos. 745, 746, 747). — Sur les ennuis de domestiques des Suat voir 2011.02.152. — Cette lettre est semble-t-il la dernière de cette collection où Adèle appelle Mathilde Pal ‘Titi’.
St Chamond vendredi 19 mars [1841]
J’ai reçu hier soir, ma chère sœur, ta seconde lettre, et celle qu’elle contenait m’a aussi profondément affecté que toi. Comme tu le dis très bien, ma chère, il ne nous est plus possible de nous associer à tous les rêves de fortune et de gloire de notre pauvre frère ; une longue expérience à ce sujet nous fait voir sa position sous son véritable et triste jour, l’avenir de sa femme et de son enfant est effrayant avec une semblable manière de faire, mais toutes ces réflexions ne sont pas d’hier et ne changeront rien malheureusement.
Quant aux six mille francs qu’il demande à mon père, mon mari aurait écrit de suite pour offrir à ce dernier de les lui avancer, mais en y réfléchissant il a pensé qu’il valait mieux que ce fût toi qui fît cette offre de notre part à mon père ; mon mari ignorant ses affaires ne voudrait pas paraître empressé de s’y mêler sans qu’il le désirât, mais au premier mot à ce sujet il s’empressera de retirer cette somme et de la mettre à la disposition de mon père ; il pense d’ici à un mois, il faut ce temps pour le retirer. Maintenant il nous semble qu’il serait peut-être plus sage, sous le prétexte de manque de fonds de mon père, et dans le but de forcer Hector à manger plus lentement son petit capital, de ne lui envoyer que 3 ou 4000 frs [?] à la fois ; du reste, ma chère, cela est indifférent à mon mari, tu le comprends, et dans l’intérêt seul d’Hector. Nous lui aurions écrit à ce sujet, mais comme il ne s’est point adressé à nous, tu voudras bien, ma chère, arranger cela comme tu plairas, de même que pour
apprendre cela à [mo]n père en temps opportun ; je ne lui en écrirai rien avant que tu m’aies répondu ce que tu as fait.
Maintenant, ma bonne sœur, pour me distraire de toutes ces pénibles pensées parlons un peu du plaisir que nous aurons bientôt de nous embrasser ; je te remercie mille fois de ta visite promise, j’y pense sans cesse, je fais mille projets pour te dorloter de mon mieux pour que tu te trouves bien chez moi afin de t’engager à y venir souvent.
Le plan de campagne que tu me proposes me convient à merveille, et j’espère que rien ne m’empêchera de repartir avec toi pour la Côte, mais je t’avertis que si tu ne m’amènes pas ma
Titi [Mathilde] je ne m’engage à rien, pas même à te recevoir de bonne grâce ; j’ai déjà organisé une réunion de petites filles en son honneur, où elle m’en ferait beaucoup. Comme tu ne me dis rien à ce sujet j’ai grand peur que tu médites quelque coup de mère barbare que je ne te pardonnerais de ma vie, je t’en préviens ; à Mathilde à veiller à ses intérêts et aux miens par conséquent !
Finette ne marche toujours point dans ce moment ; cela me serait cependant bien commode avec mes embarras. Si je voulais te faire les détails de mes tribulations de cuisinière je te ferais peut-être pitié, ce serait une histoire à la Bardousse.
Voilà dix jours que ma méchante femelle est partie ;
dimanche j’en avais installé une autre à grand’peine, je m’abonnais [?] à la former faute de mieux. Lundi je l’envoyai à la rivière sottement, là ma vieille bavarde avait tellement fait de rapports absurdes qu’en rentrant cette fille me déclara qu’elle voulait s’en aller, qu’on lui avait dit que j’étais terrible, que je ne gardais point de domestiques, qu’on mourait de faim chez moi etc. etc. et mille autres bêtises auxquelles je ne ferais point attention si cela n’avait une conséquence fort ennuyeuse.
Mon mari impatienté de cela pria cette fille de faire son
paquet et de décamper de suite, elle nous fit une scène ; j’étais tremblante comme une imbécile, et maintenant me voilà ; je ne puis te dire combien ces tracasseries sont pénibles, je me donne une peine affreuse. Finette fait exprès de ne vouloir pas rester une minute assise, j’ai pris une ouvrière pour la tenir, mais elle a pris hors de propos un amour de mère désolant. Je voulais prendre une femme de ménage, impossible de la voir de plusieurs jours.
Marguerite se multiplie de bonne grâce ; c’est
bien quelque chose, mais cette fille est souffrante, et je voudrais pouvoir la faire reposer, mais comment faire, mon prochain voyage à la Côte augmente mon impatience de voir ma maison désorganisée à ce point. Comment laisser mon mari seul si je n’ai pas enfin installée quelqu’un sur qui je puisse compter pour le servir convenablement ? Enfin je ne veux pas trop me tourmenter ; avec de la patience tout s’arrangera, j’espère.
J’ai reçu hier une lettre de Mme Félicie qui me promet une visite dans 15 jours. J’en serais bien enchantée, je trouverais bien moyen de leur faire faire [un] bon dîner en dépit de tout.
Louise [Boutaud] m’écrit hier également, pour elle la vie se passe, sans fatigue et sans inquiétude aucune, les plaisirs et la parure, voilà son affaire. Elle me donne une commission énorme de rubans ; je ne sais quand je trouverai le loisir de m’en occuper, je ne m’appartiens pas, pour t’écrire si longuement il faut que je [me] mette en colère. Finette me rompt la tête, et je ne sais comment s’appellera notre déjeuner.
Mon mari ne veut point que je l’oublie auprès de vous tous.
Je t’embrasse tendrement
Toute à toi
Adèle
J’écrivis de même avant hier à mon père. Adieu, chère sœur, à bientôt ; cette perspective me paraît bien douce, mais Mathilde ou rien, je te le déclare !….
À Pauline une visite de ma part en attendant que je puisse
lui écrire.
Mon mari attendra ta réponse avant de demander son argent.
2011.02.158 | Mardi 23 mars 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Voir 2011.02.157, et sur les ennuis de domestiques des Suat 2011.02.152.
St Chamond lundi soir [22 mars 1841]
Tu as bien raison, ma bonne sœur, d’attendre ton arrivée à la Côte pour mettre mon père au courant des affaires d’Hector ; ses décisions sont toujours si promptes, et souvent si bizarres qu’il est prudent de parler au lieu d’écrire. Quant à ce que tu as écrit à Hector, mon mari avec sa bonté et sa délicatesse extraordinaires est presque fâché que tu aies exigé qu’il s’adressât directement à lui ; il craint que cela ne blesse la fierté de notre frère, qui dans cette occasion croyait ne demander que ce qui lui appartenait. Il se doute même qu’il ne préfère chercher des ressources ailleurs à des intérêts exorbitants ; son premier mouvement a été de le prévenir en lui écrivant de suite pour le mettre à l’aise, mais après avoir pensé comme lui d’abord, j’ai réfléchi qu’il était peut-être plus sage de laisser aller les choses, et d’attendre l’effet de ta lettre sans écouter l’impulsion de notre cœur. Marc a eu de la peine à se résigner ; il lui semble que ce doit être si cruel de frapper à plusieurs portes quand on est dans une gêne de ce genre, mais si cette peine pouvait engager notre pauvre frère à l’économie, il faut le tenter sans l’espérer trop, malheureusement.
Je viens de recevoir une lettre de mon père qui m’a fait plaisir en me donnant de bonnes nouvelles de sa santé, mais qui n’a pas simplifié mon embarras, tant s’en faut ; je suis horriblement contrariée qu’il ait pris sans me prévenir une jeune fille pour me la former, je l’avais prié de me dire si Monique ne connaîtrait personne qui pût me convenir, et de me l’écrire tout simplement. Au lieu de cela sans perdre une minute, sans savoir si j’en ai trouvé une ici, rien, il commence l’éducation d’une cuisinière à mon intention. Tu comprends, ma chère, que cela ne peut me convenir en aucune manière ; je ne puis attendre mon retour de la Côte, et laisser Marc seul ici sans personne, et dans le doute si celle qu’on prend me conviendra ; puis j’ai découvert une bonne Auvergnate, qui sait faire la cuisine, et qui désire venir chez moi, ses maitres quittant St Chamond où elle tient à rester. Je l’aurai ainsi dans huit jours, ce qui est bien différent ; il faut donc que j’écrive de suite à mon père qu’il s’est trop pressé, au risque de le vexer ; mais comment faire mieux, dis-moi ?..
Il paraît qu’il est contrarié horriblement que mon séjour à la Côte ne coïncide pas avec le tien ; il me dit qu’il se croira obligé de me tenir compagnie souvent, que ce sera un souci pour lui ; mais comprends-tu cela, ma chère ? Cela m’a attristé plus que je ne puis dire. Je vois que je voudrais contenter tout le monde et que je n’y réussirai pas ; je crois que mon père avait déjà cette idée-là quand je parlais d’aller le voir au commencement du Carême, et qu’il avait cru changer les choses en allant à Grenoble passer quelques jours.
Mon mari ne peut comprendre cela. Pour moi les idées de
notre pauvre père m’étonnent moins.
Pour m’achever hier j’ai eu une frayeur épouvantable. Joséphine s’est echappée des mains de sa bonne et est
tombée un coup affreux à la renverse sur la tête ; pendant deux heures elle a poussé des cris horribles, nous envoyâmes chercher notre médecin, impossible de le joindre ; ne sachant que devenir nous lui mîmes de la moutarde ; il vint ensuite et nous rassura. Elle dormit assez paisiblement, mais à son reveil rien ne pouvait la distraire ; ses yeux étaient éteints, nous étions fous d’inquiétude ; hier soir cependant elle a repris sa vivacité et son teint ordinaire ; aujourd’hui elle va bien et je commence à croire que la chute n’était pas seule cause de l’état où elle était hier mais une crise de dents ; le tout joint ensemble elle ne voulut pas me quitter une minute, l’inquiétude et la fatigue m’ont abîmée ; quelle journée affreuse nous passâmes hier ; je croyais qu’elle avait duré au moins 48 heures !……
Dieu merci, j’espère qu’elle n’aura pas de suite ; je lui ai fait prendre un bain d’une heure mais ce soir elle est agitée, souvent elle l’est autant, mais tu sais, ma chère, que lorsqu’on a eu de l’inquiétude on a peur de tout. Adieu, ma chère, je te quitte pour aller me coucher ce dont j’ai grand besoin ; mais Finette ne me permet guère d’espérer de bien dormir.
Tu es bien sotte de ne pas me promettre d’amener Mathilde ; les terreurs de Camille me paraissent un peu fortes, mais on aime tant ces pauvres enfants qu’on en devient absurde ; mais en première ligne [mot effacé] je n’ose trop insister, mais il m’en coûte beaucoup beaucoup, cette chère petite avait déjà son lit prêt, je me préoccupais chaque jour de ce qui pourrait lui faire plaisir …… Arrange-toi au moins pour me rester le plus possible en compensation. Il faudra bien que je me repose un peu de mes tracas sans départir ; je n’ai pas eu le temps de m’asseoir aujourd’hui à peine pour dîner.
Toute à toi, Adèle
J’ai reçu cette semaine une lettre de Mme Méline qui me dit que les dernières
nouvelles de Mme Julhiet n’annonçaient pas que son mari
se trouvât mieux du séjour de Nice.
Cette pauvre femme espère tout du temps. J’admire sa persévérance et je la plains plus encore.
Mardi matin
Finette a dormi contre notre attente, elle va très bien ce
matin, elle est là assise par terre qui s’amuse paisiblement.
2011.02.159 | Samedi 3 avril 1841 | À son père Louis-Joseph Berlioz | Transcription littérale | — |
La lettre de Berlioz à Marc Suat dont il est question ne semble pas avoir survécu. — Le projet de Berlioz de donner un festival au Panthéon ne semble pas connu par ailleurs; il n’en est pas question dans ses lettres de cette époque.
St Chamond dimanche [sic] [Samedi 3 avril 1841]
Il y a bien des jours que je forme en vain le projet de vous écrire, mon cher papa ; mon temps ne m’appartient plus maintenant, ma petite fille m’occupe du matin au soir, et pour trouver moyen de faire une lettre c’est souvent une chose impossible, malgré toute ma bonne volonté. Cette semaine surtout la pauvre enfant avait des coliques si violentes que j’étais inquiète ; quand je voyais de grosses larmes inonder sa petite figure, cela me fendait le cœur ; elle grossit beaucoup, c’est ce qui est cause de cela probablement. Depuis deux jours grâce à Dieu elle n’a plus de ces accès, elle est rose et blanche et fait de bons sommeils et de bons repas ; cette chère enfant n’est point méchante, quand elle ne souffre pas je la garde des heures entières très sagement éveillée à me faire de gentilles bonnes grâces ; il me tarde bien, mon cher papa, de vous la faire admirer. Le temps approche où je songerai à me mettre en route pour la Côte ; j’attendrai le mot d’ordre de Nancy pour fixer mes projets ; jamais je n’étais resté six grands mois loin de vous tous, c’est long ! bien long, et je vous embrasserai, bon père, avec une joie inexprimable ! J’espère que je vous trouverai en bonne santé, je veux vous faire compliment sur votre bonne mine absolument. Vos grandes réparations doivent commencer à s’avancer ; comment vous résignez vous avec ce beau soleil de printemps à rester dans la maison pour les surveiller ?
Pour moi ces jours-ci je me suis occupée de mon parterre ; il y a devant le cabinet de mon mari une petite terrasse grande comme un mouchoir de poche, et c’est là où je travaille à avoir quelques fleurs ; il y avait ici un marchand très bien fourni, et j’ai acheté plusieurs arbustes qui me donnent les plus belles espérances pour cet été ; ce soi-disant jardin me sera précieux pour promener ma petite, et pour la faire jouer au soleil quand elle aura deux ou trois ans.
Mon mari a reçu la procuration d’Hector pour l’affaire de la maison Charbonnel ; il lui écrivait quelques lignes à la hâte en la lui envoyant ; il est très occupé à ce qu’il paraît à courir les Ministères, mais pourquoi ?… mais qu’espère-t-il, point d’explication ! son fameux Festival dans le Panthéon réussira-t-il ? pas un mot à ce sujet, j’en suis toujours réduite aux conjectures. Comme avec mon oncle, il ne faut pas être trop curieuse avec ces deux Messieurs depuis quelques temps.
Le mariage de Mr Hypolyte quand se fait-il ? J’espère tous les jours u[ne] lettre de Mme Veyron qu’elle m’avait fait annoncer par mon mari ; si vous la voyez, cher papa, rappelez lui cela, et faites lui mille amitiés de ma part.
Marguerite est très adroite pour ma petite, j’ai pleine confiance en elle quand je sors ; elle m’a dit qu’elle resterait chez moi cette année si je lui donnais 200 frs. [?] de gage. Mon mari trouve comme moi que nous n’avons rien de mieux à faire que d’en passer par où elle voudra ; nous la remplacerions difficilement sous tous les rapports, et pour la petite surtout nous arrangerons cela à la Côte.
Mes amitiés à Monique.
Adieu, mon cher papa, Joséphine se réveille et il faut que je finisse ; nous vous embrassons bien tendrement tous trois.
Votre affectionnée fille
Adèle
2011.02.160 | Jeudi 6 mai 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Suivant la promesse de la lettre précédente (2011.02.159) Adèle fit un séjour à La Côte de vers la fin avril jusqu’au mois suivant.
La Côte St André jeudi [6 mai 1841]
Tu es bien gentille, ma chère Nancy, d’avoir su trouver le temps de nous écrire malgré tous tes
embarras ; je commence à croire qu’il n’y a que moi qui ne sais pas suffire à tout malgré ma bonne volonté et mon activité. Je te remercie de tes offres de services pour mes emplettes de draps. J’ai écrit à Marc pour savoir si cela lui conviendrait ; il doit venir lundi et s’il est d’avis de faire cette emplette il apporterait l’argent pour cela. Il me semble qu’avec 300 frs [?] on pourrait en avoir 6 paires de neufs très beaux en mettant la toile à quatre francs l’aune ; ainsi partant de ce point il serait facile de voir si on les mise trop haut.
Je suis fâchée, ma chère amie, que Camille ne veuille point profiter de tes renseignements acquis à la sueur de ton front pour un portail en fer ; tu ne pouvais douter du zèle que mon mari aurait mis à cette grande affaire.
Mon père va assez bien ; il a eu cependant depuis un mal de doigt assez violent pour l’empêcher de dormir l’avant
dernière nuit, et me disait que cela pouvait facilement devenir gangréneux !…… Je commençai à m’effrayer puis en y réfléchissant et surtout en voyant le doigt je me rassurai bien vite ; il ne faut plus trop prendre au pied de la lettre ce que dit notre pauvre père.
Ma bonne est revenue seulement hier dans la nuit, et j’en avais passé trois sans dormir avec Finette, et dans la journée je n’avais pu trouver personne pour la garder, mais j’en étais presque bien aise ; cela me distrayait.
Je passe toujours mon temps ici assez péniblement ; il me semble qu’il y a des siècles que j’ai quitté Marc. Sa visite me remontera, il passera j’espère deux jours avec moi, puis je ne repartirai probablement qu’à la fin de mai ; je me suis imposé cela quoiqu’il puisse m’en coûter. Nous nous promenons tous les soirs avec mon père du Chuzeau au Moulin et à la Grange ; l’essentiel est que cela lui fasse plaisir, je jouis quand je vois qu’il
se distrait avec moi et ma Finette, mais sa surdité me fatigue horriblement,
non pas d’irritation d’esprit mais de [mot non déchiffré].
J’ai quelques visites à faire aujourd’hui et je ne puis m’y décider.
J’ai à peine vu Mme Pion de[puis?..] toi elle avait cinq ouvrier[s… les?] plus intrépides reculeraient […] t[u] conviendras. Je pense [que] nous irons à Beaurepaire av[ec mon] mari …… Je suis allée au couvent lundi, Mme Giroux t’attendait pour te remettre des commissions pour les dames Gagnon ; elle fut consternée en apprenant ton départ.
Adieu, chère sœur, mille amitiés de ma part à tous nos
parents et amis, à Mme Félicie un souvenir particulier en reconnaissance de son aimable visite à St Chamond ; j’embrasse Camille et Mathilde de moitié avec toi.
Adèle Suat
2011.02.161 | Lundi 10 mai 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
La Côte St André lundi [10 mai 1841]
Je te remercie, ma chère amie, de l’empressement que tu veux bien me témoigner pour mes
commissions ; les gants vont parfaitement, quant aux draps mon mari étant d’avis de profiter de cette occasion d’après ce que tu m’en avais écrit, il a apporté l’argent et nous te l’enverrons ou par eux [en?] effet, ou vendredi par Dumond.
Tu feras comme pour toi, chère sœur, seulement si il en a six plus fins que les autres nous préférons y mettre 5 fr l’aune au besoin s’il le faut, et prendre les plus beaux, et les plus neufs. Nous te prierons, chère sœur, de nous faire faire une caisse et de nous les adresser directement à St Chamond par le roulage ; mille remerciements d’avance pour tout l’embarras que cela vous causera, mais à charge de revanche.
Mon mari est arrivé cette nuit, mais ses affaires ne lui
permettent pas de faire un séjour de plus de deux jours ; nous allons ensemble cet après-midi faire une visite à Mme Veyron, demain nous allons à Beaurepaire, et après-demain il pense repartir. Je me retrouverai encore plus tristement après son départ ; notre Finette est plus endiablée que jamais ; voilà trois nuits que je dors à peine quelques heures.
Marguerite est malade, ainsi fatiguée ou nous [?] il faut que Marc et moi nous la gardions ce soir ; j’ai encore plus de peine ici que chez moi parce que j’ai une cuisinière de moins pour le matin et Claudine pour les nuits ; Monique ne peut absolument rien, elle était hier d’une humeur massacrante ; je dînais chez Mme Laroche et pendant que je n’y étais pas elle fit une scène à mon père très déplacée, à propos d’une paire de bas qu’il lui demandait. Tu vois, chère sœur, qu’il ne faut pas s’y frotter.
Mme Pion est enchantée de la mousseline que tu lui as envoyée ; mais elle en désirerait encore 2 aunes, les robes
seraient trop étroites à deux largeurs d’abord, puis les plis en
prendront beaucoup et il en manquerait évidemment. Elle te prierait ensuite de lui acheter 3 paires de gants en filets noir, d’un prix modéré, ni des plus chers, ni des meilleurs marché.
Puis des remerciments et des excuses s[ans] fin : je comprends chè[re] sœur que l’absence prolong[ée] d’Henriette doit multiplier les embarras.
Connais-tu le mariage de Mr Joseph Lacroix avec Melle Bonnard de Vienne, 120,000 frs comptant, 17 ans et une figure charmante… C’est magnifique j’espère ; j’ai dîné hier avec lui, il était rayonnant.
Adieu, chère sœur, je vous embrasse tous bien tendrement, mon mari te dit mille choses affectueuses.
Toute à toi
Adèle S
2011.02.162 | Mardi 10 août 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pa | Transcription littérale | — |
St Chamond mardi 10 août [1841]
Depuis ma dernière lettre, chère sœur, j’ai eu beaucoup d’inquiétudes au sujet de Finette ; je commence seulement depuis hier à respirer plus librement, cette malheureuse dentition éprouve horriblement cette chère enfant. Je craignais un épanchement au cerveau et tu peux deviner quelle angoisse me déchirait. Le médecin m’assurait bien qu’il n’y avait pas le moindre danger, mais quand je voyais ma pauvre petite si brûlante, les yeux si éteints, et gémissant en me disant « Mal, maman, mal ! » .. je croyais de perdre la tête, je ne vivais plus, c’est le mot, nuit et jour je la promenais ; enfin le médecin s’est décidé à lui donner un coup de lancette dans la gencive et depuis lors elle a été soulagée, mais je ne puis te dire, chère sœur, l’émotion que j’ai éprouvé en tenant ma pauvre enfant pendant cette petite opération. Elle faisait des cris atroces ; on me dit cependant que ce n’est pas douloureux et qu’il y avait plus de peur que de mal ; peut-être même faudra-t-il y revenir de l’autre côté, et il faudra bien reprendre mon courage. Mais tout cela joint au manque complet de sommeil depuis quinze jours m’a abîmée ; mon mari se désespérait de ne pouvoir rien pour me soulager, mais que faire ? Joséphine ne voulait pas me quitter à peine pour sa bonne ; cette tendresse extraordinaire me frappait, du reste, chère sœur, tu sais combien mon imagination est ingénieuse en pareil cas …… Maintenant grâce à Dieu elle en est aux caprices ; je les trouve adorables et je ne sais rien lui refuser ; et pour t’écrire j’ai fait acte de courage en la faisant crier pour la faire emporter de ma chambre ; c’est sublime pour moi dans ce moment.
J’ai reçu hier quelques lignes de mon père ; il allait très bien. Mon mari n’est pas allé à Beaurepaire comme tu penses bien à cause de la petite ; maintenant des affaires le retiennent ici, et il est probable qu’il n’ira plus qu’au commencement d’octobre en m’accompagnant à la Côte. Tous nos projets ont été dérangés cet été, maintenant je ne désire qu’un peu de repos complet.
Marc est invité aujourd’hui [au d]îner de baptême de Mr Deloye ; sa femme est accouchée très heureusement en une heure d’un magnifique garçon. Je ne puis te dire le plaisir que cela m’a fait, elle croyait rêver ! Elle ne pouvait croire que ce bel enfant fût à elle ; la pauvre femme se frappait horriblement les
derniers jours de sa grossesse, elle ne pouvait voir aucune de nous sans fondre en larmes, cela me fendait le cœur. Mr Munet est venu nous voir il y a quelques jours ; Mme Richard est repartie ce matin pour Mon Chat ; elle m’a fait promettre d’y aller passer quelques jours avec les dames Ardaillon à la fin du mois.
Adieu, chère sœur, je te quitte pour déjeuner ; il est onze heures, et c’est bien l’heure pour une femme qui a veillé et bercé une partie de la nuit.
Je commençais à engraisser, et à recevoir des compliments sur ma bonne mine.
C’est dommage que m[lacune]lle n’arrête en si bonne disposition, mais [lacune g]agnerai le temps perdu.
Avant d’aller à la Côte, j’espère, dis à Mathilde que Finette lui dira laide et polissonne tant qu’elle
voudra ; mes compliments à Camille.
Toute à toi, Adèle.
2011.02.163 | Samedi 11 septembre 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Sur l’invation des Richard voir 2011.02.162, et sur le séjour d’Adèle voir aussi 2011.02.164.
St Chamond samedi 11 septembre [1841]
Tu as un temps à souhait pour ton voyage, chère sœur, j’en profiterai aussi car je pars à quatre heures avec Mr Richard pour sa campagne de Mon Chat. Je laisse ma Finette à Marc, ainsi je suis tranquille ; du reste elle va à merveille, c’est un petit diable gentil à croquer, elle mange comme deux afin de vous présenter une meilleure figure à la Côte.
Mme et Mlles Ardaillon sont parties ce matin, et nous allons mener toutes ensemble la vraie vie de Château ; je suis sûre que Mme Richard doit recevoir à merveille, cette partie était projetée depuis cet hiver.
Marc viendra me chercher à la fin de la semaine.
J’ai eu avant hier une surprise agréable en voyant arriver notre cousin Victor B[erlioz], mais le motif de son voyage à Lyon m’a étonné bien tristement, c’est un secret.
Il a amené Pauline à la Ferrandière au Sacré Cœur où elle
veut se faire religieuse. Ma tante n’a pu lui résister davantage, elle tourmentait pour partir depuis plusieurs mois. Son pauvre frère était navré, navré, il en pleurait comme un enfant ; je le comprenais mieux que
personne, quel vide Pauline va faire dans cette famille. Il craignait que la
santé de son père n’eût reçu un choc.
Ils sont partis incognito, et veulent retarder le plus
possible d’en parler, dans la crainte ou l’espoir plutôt qu’elle ne s’y accoutumera pas.
Je serai à deux pas de son couvent à Mont Chat, mais Victor m’a prié de ne pas aller la voir encore pour ne pas la contrarier.
Il est parti ce matin.
J’ai des millions de choses à faire, je viens de donner une lessive afin de la trouver prête à fermer et repasser à mon retour et faire ensuite paisiblement mes préparatifs de départ pour la Côte. Notre projet est de partir le 28 ou le 29 ; nous passerons par Beaurepaire, je pense, pour différentes raisons et le 2 octobre je pense que j’aurai le plaisir de vous embrasser. J’ai écrit avant-hier à Hector … Que fait mon oncle ?
Adieu, chère sœur, embrasse notre bon père bien tendrement
pour nous ; mille choses à Camille, à Mathilde, mes amitiés à Mme Pion ; dis-lui que j’emporte ses plumes à Lyon pour en tirer le meilleur parti possible.
J’ai écrit à Louise [Boutaud] la semaine passée ; adieu, le temps me presse et je ne suis pas habillée.
Toute à toi
Adè[le]
Il vient de nous arriver ici une Grenobloise mariée au directeur de la poste. C’est Mlle
de Galbert.
Je ne sais si je pourrai en tirer parti, j’ai peur que non ; son mari est très bien, il s’appelle Mr de Morgues, il était à Crest.
2011.02.164 | Mardi 21 septembre 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | Image |
Voir 2011.02.163. — L’invention du daguérréotype, dont il est question dans cette lettre, remonte, on le sait, à 1839.
St Chamond mardi [21 septembre 1841]
J’ai trouvé ta
lettre hier en arrivant, chère sœur, ayant prolongé un peu mon séjour à Mon
Chat ; j’y étais si agréablement sous tous les rapports que je n’ai pu résister aux instances de Mme Richard. Sa campagne est magnifique, tu peux t’en faire une idée quand tu sauras que cette propriété vaut cinq cents mille francs ! C’est un parc immense au milieu duquel il y a une forêt de haute futaie qu’on traverse par des délicieux sentiers, devant la maison une immense pelouse, puis des jardins anglais de chaque côté, et tout cela tenu avec un soin et un goût parfait.
Il est impossible de mieux faire ses honneurs que Mme Richard, tous les dimanches il y a du monde chez elle ; rien ne manque, piano, billard, jeux de toute espèce, album, journaux, puis un gentil petit cheval corse, et une calèche miniature pour se promener dans le parc. Le temps a été à souhait, nous pouvions rester dehors toute la soirée, les enfants tiraient des petits feux d’artifice qui faisaient un très joli effet dans la verdure. Le matin nous prenions notre café dehors sur une charmante table rustique.
J’aurais joui bien davantage de tout cela si mon mari et ma Finette en avaient pris leur part ; Marc a pu en profiter seulement dimanche.
Tu penses bien, chère sœur, que pour être à la hauteur de
cette vie j’ai fait de mon mieux pour être gentille ; les dames Ardaillon faisaient aussi beaucoup de frais, aussi nous avons fini par conclure (modestie à part) que nous avions été aimables à qui mieux mieux !.. Pour ma part j’ai fait deux conquêtes ! … Je ne te dirai pas de qui pour ne rien gâter.
Étant à deux pas de la Ferrandière je n’ai pas pu
résister à aller voir Pauline ; cependant prudemment je lui avais écrit un mot pour savoir s’il n’y aurait pas d’indiscrétion ; elle me fit répondre qu’elle m’attendait. Je ne puis te dire, chère sœur, l’impression pénible que m’a laissé cette visite, j’en étais malade ; c’est que je n’avais déjà plus retrouvé que l’ombre de notre bonne et si aimable cousine ; elle me parlait de sa famille comme si elle n’y était nullement nécessaire,
comme y étant déja complètement étrangère, je n’oserais dire un mot plus expressif ; peut-être faut-il attribuer cela à la préoccupation inséparable d’un nouveau genre de vie.
Son idée fixe était que je fis dire à sa mère qu’elle était très contente, pensant qu’elle me croirait mieux que ses lettres ; enfin je la quittai le cœur bien gros je t’assure, je n’aurai probablement pas le désir de renouveler souvent de semblables visites. Pour me remettre j’en fis une autre le même jour plus agréable, j’allai chez Mme Bouchardon, où je trouvai sa mère et les Faure [?], toutes me firent l’accueil le plus aimable, Mme Reval [?] surtout me remerciait beaucoup d’être venue les voir. Elle me fit visiter avc orgueil la propriété de son Eugène qui me parut bien mesquine, et bien peu confortablement tenue en comparaison de Mon Chat ; cela sent la boutique un peu, à part de beaux ombrages que j’admirai convenablement comme tu devines bien ; enfin je passai une heure tres agréable à parler d’autrefois ; de douloureux souvenirs de part et d’autre furent rappelés aussi, comme tu
peux le présumer.
Mme Bouchardon fut enchantée d’apprendre que tu pouvais rivaliser de rotondité avec elle, et me chargea de mille choses pour toi, le jour où elle est venue ensuite me voir avec sa sœur Joséphine, que j’ai trouvé horriblement changée.
Comme j’avais deux équipages à mes ordres j’ai fait plusieurs courses à Lyon ; je me suis occupée un peu de ma toilette afin de faire honneur à la Côte. On y est si difficile que ce n’est pas une plaisanterie, malgré toute la peine [que] je me suis donnée je n’espère guère recevoir beaucoup de suffrages, cependant une élégante robe de gros de Naples garnie en passementie, un canezou d’un genre nouveau orné de ma belle dentelle Valenciennes, mon chapeau blanc restauré coquettement ... Si ensuite toutes vos réunions d’automne ont eu lieu avant mon arrivée, comme cela est probable d’après ce que tu m’écris, je regretterai beaucoup la peine inutile que je me suis donnée en votre honneur et gloire.
Que je te dise encore, chère sœur, que j’ai voulu procurer une petite surprise à mon père ; je me suis rappelé qu’il m’avait témoigné ce printemps le désir de voir des daguérréotypes et en faisant faire par ce procédé le portrait de mon mari qu’il m’avait promis depuis longtemps, j’ai eu l’idée de porter le mien à mon père ; mais la lumière m’a très mal traité, j’en suis furieuse ; pour me consoler Marc est d’une ressemblance frappante, frappante. Je ne puis te dire combien j’en suis heureuse.
Pour moi il paraît qu’il m’est impossible de rester assez immobile pendant une minute pas davantage, il faut qu’on vous fixe la tête dans un cercle, et toujours avoir les yeux sur un objet sans remuer les paupières. C’est horriblement difficile, à cause de la réverbération du soleil, puis l’idée que le plus imperceptible mouvement peut faire manquer l’opération vous donne un besoin de bouger horrible ; beaucoup de personnes ne peuvent pas supporter cela. On m’a recommencé deux fois, peut-être à la troisieme aurais-je été plus heureuse ; mais le temps nous manquait.
Cette expérience m’a intéressé au delà de toute
expression, cela tient du prodige ; et je ne regrette pas mes 15 frs ni ma laide figure ; en voulant être trop gracieuse il paraît que j’ai bougé les lèvres et j’ai été punie. — Morale Ma vivante image (qui ne l’est guère).
Ma chère Finette m’a fait des tendresses extraordinaires à mon arrivée ; elle se porte à merveille, je lui ai trouvé bien meilleure mine, c’est un diable s’il en fut et je réclame d’avance toute l’indulgence du grand-père et de la tante. Je l’ai déjà avertie que l’oncle Camille ne la supporterait pas à table ; j’espère que Mathilde la protègera de sa sagesse. Dis à cette chère petite qu’elle m’[a] bien fait courir à Lyon
p[our] un gentil canezou à lui a[pporter?] Si je n’ai pas reussi ce n’es[t pas] ma faute, c’est très simple [lacune] mais assez gentil, je […] mieux comme à mon ordinai[re lacune]
Je ferai ta commission [pour des?] rubans si je peux, tu [lacune] pour [?] que ce n’est pas toujours [lacune]
soigne donc bien ta gripp[e je te] prie, quelle idée absurde [lacune]
tousser avec ce temps tiède et [lacune] le papier me manque, j’ai tant a dire. Je vis tellement depuis quelques temps que je deviens prodigieusement bavarde. Il me fallait cependant reprendre haleine avant d’aller vous voir.
Mes compliments à la [mot non déchiffré] étrangère que j’espère encore trouver à Beauregard.
[Mes] amitiés à Mme et Mlle Pion [… on ne] peut rien faire des plumes [elles n]’en valent pas la peine ; [j’]embrasse Louise [Boutaud] et sa mère, [ell]es ont dû briller à Rives ?…
Adieu, chère Nancy, adieu père, à bientôt.
Adèle S.
Je te souhaite des cailles comme celles que j’ai mangé à Mon Chat tous les jours.
2011.02.165 | Dimanche 12 décembre 1841 | À sa sœur Nancy Berlioz-Pal | Transcription littérale | — |
Remarquer dans cette lettre l’allusion discrète à la grossesse d’Adèle; Nancy Suat devait naître le 19 juillet 1842 (voir 2011.02.167, 2011.02.168).
St Chamond dimanche 12 décembre [1841]
Que je commence par te
féliciter, chère sœur, d’être enfin pourvue d’une cuisinière et d’une bonne à ce qu’il paraît, le provisoire a toujours beaucoup d’inconvénients et peu d’économie ; il était temps que tu en fusses sortie vraiment.
Ta longue lettre m’avait beaucoup intéressée, les détails qu’elle contenait sur notre famille et nos amis étaient précieux pour moi ; l’état de notre pauvre tante Félicie me fait une peine profonde. Dis-lui donc je te prie mille choses bien affectueuses pour moi à ta première visite.
Pauline, j’en suis toujours plus convaincue, a été entraînée à cette folle démarche par quelque idée fixe ; impossible à deviner, c’est une énigme d’un autre genre que celle d’Odile [Burdet], mais non moins étrange ; dis-moi s’il valait la peine à cette dernière de vouloir se remarier à tout prix pour vivre constamment séparée de son mari ? Il faut du reste (affection à part) tenir bien peu de compte de l’opinion publique pour arranger ainsi sa vie !… Les pauvres Michal sont un sujet d’une pitié profonde ; il ne leur manquait plus que la maladie de Mélanie pour compléter leur affreuse position, c’est trop !…. pour une patience humaine vraiment…
Mon père m’avait donné de ses nouvelles la semaine
dernière, ce qui m’avait surpris très agréablement, je t’assure ; je pense lui écrire demain ainsi qu’à mon oncle Félix [Marmion] avec qui je suis très en arrière, mais j’attendais de savoir où le prendre définitivement. La garnison de Thionville ne le consolera pas beaucoup il me semble de son long Carême à Huningues ; sa douce philosophie lui sera d’un secours indispensable dans cette occasion.
La nouvelle du départ de Mlle Lucie pour Paris
m’a fait crier Oh ! et Ah ! avec plaisir, mais je veux te gronder de ne point me raconter l’événement arrivé à leur cousin Blanchat. Cela me préoccupe, une de leurs petites filles est morte sans doute
malheureusement ?…… Quel coup pour sa mère si impressionable. Je t’assure que j’ai fait comme tu t’y attendais de ta relation Poussielgue, les découvertes souterraines sont charmantes, très heureusement trouvées ; le séjour d’Aubenas est fait exprès pour le sujet, on ne peut plus convenablement tomber ……
Je la vois délicieuse avec le costume de mariée, d’honneur Mr Gourmier a fait preuve d’un grand courage ce jour-là…. Je le tiens pour intrépide …… C’est dommage que tu sois privée de ce jeune ménage pour l’ornement de tes salons ce carnaval, auras-tu Mme Didier ? cette laide-là au moins serait précieuse, je le souhaite pour l’agrément de tes soirées. Pour moi je rumine un grand dîner pour les premiers jours de janvier ; je renonce à un bal pour des raisons que je te dirai un peu plus tard, rien ne presse … devine — si tu peux ?…..
Nos réunions se bornent jusqu’à présent aux —
dimanches, ce soir nous dînons chez Mme Richard, dimanche passé c’était chez Mme Ardaillon …
Je suis rassasiée de truffes déjà, cependant j’apprécie infiniment ces bons petits dîners, où le confortable est si complet, mais plus de truffes de grâce, l’odeur seule me rassasie ……
Je te disais que nous sommes sur le point de terminer notre marché de voiture avec .. Mme Charmeil, en dépit de tout ce que le diable de sellier a fait pour la déprécier. Il paraît d’après ce m’écrivait hier Mme Charmeil qu’il a fait plus, qu’il l’a cassée, car quand Mr Casimir [Faure] l’a essayé elle penchait horriblement d’un côté, et elle était en très bon état positivement. Marc est de toute colère de cela et lui
écrit vertement, je pense que cela se terminera à 35o à cause de ces dégâts ; il faut baisser le prix, c’est égal, nous
serons enchantés d’en être débarrassés aussi bien. Marc vient d’écrire à Mr Casimir pour terminer ; je n’ose encore trop me féliciter, j’ai peur de quelque nouvelle anicroche.
Joséphine continue à aller à merveille ; elle dort mieux la nuit, et du reste elle supporte sagement Claudine la nuit quand il le faut ; c’est un point capital pour nous ……
Elle attend le jour de l’an avec impatience parce que son père lui promit un grand cheval qui aura des bonbons dans le ventre ; elle raconte cela à sa manière très drôlement, elle est enchantée aussi de mettre la cuisinière en colère en lui disant « grosse Auvergnate ». Sa passion pour le clerc de son père est toujours plus forte.
Cela promet, conviens[-en] chère sœur ? Rien au monde ne vaut son Berthaud, elle se précipiterait par la fenêtre si elle le voyait
dans la rue ; c’est incroyable vraiment, aussi je lui recommande de ne pas se montrer pour éviter des scènes affreuses. Pendant que j’y
pense, tu ne voudrais point par hasard acheter un mouchoir de poche … une bonne occasion. Tu te rappelles celui que j’avais donné à broder aux demoiselles Ginet pour Mme Richard ?…. eh bien, la jeune personne à qui elle voulait le donner (Mlle Séguier, cette fameuse pianiste de Lyon dont je t’avais parlé souvent) vient de mourir subitement, en conséquence Mme Richard qui l’aimait
beaucoup ne veut pas revoir ce mouchoir, cela lui ferait de la peine. Elle pense le donner à vendre à sa lingère à Lyon ; mais peut-être cela te
conviendrait-il, dans ces cas-là on fait de bons marchés ; réponds-moi à ce sujet ? Il est encore à la Côte ; je pense que tout compris il coûterait à peu pres 22 fr — pour moi j’en aurai pour longtemps avant de faire pareille emplette. Je ne rêve qu’économie, tout en dépensant de l’argent, je recule pour mieux sauter. Je viens de prier Mme Richard de m’acheter à Lyon où elle va demain un joli chapeau dont j’ai un besoin urgent ; comme à ma louable habitude je lui ai dit de faire comme pour elle ; je suis sûre que le choix sera parfait, elle a un goût exquis, je connais peu de femmes qui se mettent aussi bien.
Je pense ce soir me faire très belle ; je mettrai un
bonne[t] très frais arrivé de Lyon ; il est très gracieux, surtout d’un cóté ; de l’autre il déplaît, mais je crois que c’est parce qu’il est à moi ; je ne suis jamais satisfaite de ce que j’ai, c’est une maladie.
Adieu, chère sœur, assez bavarder sur des riens ; mille amitiés à ton mari, à Mathilde des caresses, mes compliments à tes belles-sœurs ; remercie Mme Dubaux de son bon souvenir. Mon mari ne veut point être oublié près de toi.
Adèle
Site Hector Berlioz créé par Michel Austin et Monir Tayeb le 18 juillet 1997; pages Lettres de la famille du compositeur créées le 11 décembre 2014, mises à jour le 1er avril 2015. Révision le 1er décembre 2023.
© Musée Hector-Berlioz pour le texte et les images des lettres
© Michel Austin et Monir Tayeb pour le commentaire et la présentation
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