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Berlioz en Italie

Subiaco

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Présentation

Subiaco est un petit bourg de quatre mille habitants, bizarrement bâti autour d’une montagne en pain de sucre. L’Anio, qui, plus bas, va former les cascades de Tivoli, en fait toute la richesse en alimentant quelques usines asses mal entretenues.
Cette rivière coule, en certains endroits, dans une vallée resserrée; Néron la fit barrer par une énorme muraille dont on voit encore quelques débris, et qui, en retenant les eaux, formait au-dessus du village un lac d’une grande profondeur. De là, le nom de Sub-Lacu.

    Telle est la description donnée de Subiaco par Berlioz dans ses Mémoires (chapitre 38). Subiaco est avec Nice la partie de l’Italie qui enchante Berlioz le plus, mais à l’encontre de la lointaine Nice, Subiaco, à environ 50 km à l’est de Rome au delà de Tivoli, peut être atteint à pied par un marcheur aguerri tel que Berlioz. Cette pittoresque bourgade et ses montagnes avoisinantes sont un séjour de prédilection recherché par artistes et peintres, et Berlioz a dû bien vite en être informé par ses camarades de la Villa Medici. Il découvre Tivoli en juin 1831 et forme bientôt le projet de s’installer à Subiaco pour s’évader de Rome. Le 2 juillet il écrit à Mme Lesueur (CG no. 233, de Rome):

[…] Je vais dès maintenant m’établir dans les montagnes de Subiac[o], à dix-huit lieues de Rome, où je recommencerai ma vie libre de Nice: mais, Dieu! je n’y trouverai pas la mer; cette belle et vaste mer qui s’étendait sous mes fenêtres, qui me charmait par le flou-flou de sa robe verte, qui rugissait avec moi dans mes jours de rage, et me laissait dormir sur ses cailloux blancs, en se contentant de venir lécher mes pieds, dans mes journées calmes ou mélancoliques… N’importe, il faut que je redevienne seul. […] J’emporte une mauvaise guitare, un fusil à deux coups, des albums pour prendre des notes et quelques livres; un bagage aussi modeste ne peut tenter les brigands, avec lesquels, à dire le vrai, je serais charmé de faire connaissance. […]

    Dès son arrivée à Subiaco après être passé par Tivoli Berlioz est ravi (CG no. 236, 10 et 17 juillet):

Il pleut enfin! je vois des nuages! Ah! béni soit le ciel de Subiaco et maudit soit le ciel de plomb de Rome qui brûle toujours et n’a ni tonnerre ni éclairs! Ce pays-ci est le plus pittoresque que j’aie encore vue de ma vie. Il n’y a pas les cascades de Tivoli, mais on y voit un torrent furieux presque aussi grand que l’Anio et qui se précipite en deux ou trois endroits avec autant de fracas sinon de majesté que la grande cascade de Tivoli. Et puis des montagnes! Ah des montagnes! J’en arrive il y a une heure. […]

    Berlioz est tellement séduit par Subiaco qu’il y retourne constamment. Après quinze jours en juillet il y revient deux fois en septembre (CG nos. 240, 241), s’y arrête vers la fin octobre sur la route de retour de Naples (CG nos. 246, 247, 250), y séjourne encore vers le 20 novembre (CG no. 248), puis à nouveau au début de février 1832 (CG nos. 261, 263), et y rend sans doute visite une dernière fois en avril avant de repartir pour la France (Mémoires, chapitre 42). Il y resterait encore plus longtemps sauf pour des impératifs d’argent: alors qu’il est logé et nourri gratuitement à la Villa Medici, à Subiaco il doit payer pour son séjour. ‘Je reviens à Rome quand je n’ai plus d’argent. C’est cette irrésistible raison qui m’y retient encore depuis quinze jours’ écrit-il à son ami Albert du Boys de Rome au début de mars 1832 (CG no. 264). Subiaco est la retraite idéale, et lui rappelle aussi Meylan, comme il l’écrit à son grand-père Nicolas Marmion (CG no. 240, 15 septembre 1831, de Rome):

[…] Aussi me suis-je plu davantage dans les montagnes sauvages des frontières du royaume de Naples où j’ai déjà passé près d’un mois et où je retourne incessamment.
Je trouve délicieuse cette vie isolée, ces courses dans les rochers, ces bains dans le torrent, cette société de paysans dont quelques-uns sont pleins d’une affectueuse bonhomie; séparé entièrement du tracas insipide de la ville, je prends les mœurs agrestes d’autant plus volontiers que la contrainte imposée par celles du monde civilisé (de Rome s’entend) ne se trouve compensée par rien. Je comprends mieux que jamais le plaisir que vous trouvez dans votre solitude de Meylan. […]

    Deux jours plus tard il écrit à son ami Ferdinand Hiller (CG no. 241, 17 septembre):

[…] Êtes-vous toujours dans votre hermitage du Bois de Boulogne? Je vais retourner dans le mien à Subiaco; rien ne me plaît tant que cette vie vagabonde dans les bois et les rochers, avec ces paysans pleins de bonhomie, dormant le jour au bord du torrent, et le soir, dansant la saltarelle avec les hommes et les femmes habitués de notre cabaret. Je fais leur bonheur par ma guitare; ils ne dansaient avant moi qu’au son du tambour de basque, ils sont ravis de ce mélodieux instrument. J’y retourne pour échapper à l’ennui qui me tue ici. […]

    La première lettre citée ci-dessus (CG no. 233) évoque les brigands: thème qui concerne Berlioz particulièrement au cours de son séjour en Italie. Dès avant son voyage Berlioz s’est intéressé à l’idée, très à la mode à l’époque, du brigand idéalisé, personnage libre qui s’est affranchi des contraintes du monde civilisé. En 1829 il met en musique un poème de Victor Hugo, le Chant des pirates (CG no. 113), et peu après il compose une Chanson de brigands sur des paroles de son ami Humbert Ferrand (CG no. 149). Ces compositions ont pu être réutilisées sur un texte différent pour la Chanson de brigands qui fait partie du Mélologue commencé à Nice en 1831 et achevé à Rome quelques mois plus tard. Le dernier mouvement de la symphonie Harold en Italie, composé en 1834 après le retour à Paris, a pour titre ‘Orgie de brigands’. L’idée du brigand séduit Berlioz à l’époque, et au cours de ses courses dans les montagnes sauvages autour de Subiaco il s’imagine partager la vie d’un brigand, comme sa correspondance le laisse supposer. La tirade du Mélologue qui amène la Chanson de brigands se trouve presque mot pour mot dans des lettres des premiers mois de 1831: ‘J’ai envie d’aller au mont Pausilippe, dans la Calabre ou à l’île de Capri, demander du service à quelque chef de bravi, dussé-je n’être qu’un simple brigand. Alors au moins je verrai des crimes magnifiques, des vols, des assassinats, des rapts […] Allons donc, voilà la vie!’ déclare-t-il à sa sœur Nancy (CG no. 213, 25 mars); de même à Humbert Ferrand quinze jours plus tard (CG no. 216, 12 avril).

    En plus de son fusil Berlioz emporte souvent une guitare dans ses excursions à Subiaco et aux alentours, comme la lettre CG no. 233 le précise. Privé d’orchestres dignes du nom et de concerts symphoniques pendant son séjour en Italie, Berlioz se voit obligé de les remplacer par sa guitare, que ce soit pour accompagner des extraits d’opéras les soirs à la Villa Medici (CG no. 232; Mémoires, chapitre 36), les danses de paysans à Subiaco et aux environs (CG nos. 236, 241), ou ses propres improvisations (Mémoires, chapitre 37). Ce n’est sans doute pas par hasard que c’est précisément dans des partitions ayant trait à l’Italie — notamment les opéras Benvenuto Cellini et Béatrice et Bénédict — que Berlioz utilise la guitare pour accompagner plusieurs chœurs: on peut y voir un souvenir de son voyage en Italie.

    Subiaco évoque d’autres souvenirs musicaux pour Berlioz. Il raconte dans ses Mémoires avoir d’abord entendu les pifferari à Rome aux approches de Noël, mais d’avoir été bien plus impressionné en les entendant chez eux dans les Abruzzes (chapitre 39). Dans un autre chapitre des Mémoires (38) Berlioz note une mélodie chantée à lui pour la première fois à Subiaco par son ami Crispino: les Mémoires ne précisent pas qu’il reprendra ce thème dans un des chœurs de Benvenuto Cellini. C’est aussi à Subiaco que Berlioz termine l’ouverture de Rob Roy commencée à Nice, et compose en février 1832 la mélodie la Captive sur un poème de Victor Hugo, comme il est dit dans les Mémoires (chapitre 39):

[…] Il me souvient, en effet, qu’un jour, en regardant travailler mon ami Lefebvre, l’architecte, dans l’auberge de Subiaco où nous logions, un mouvement de son coude ayant fait tomber un livre placé sur la table où il dessinait, je le relevai; c’était le volume des Orientales de V. Hugo; il se trouva ouvert à la page de La Captive. Je lus cette délicieuse poésie, et me retournant vers Lefebvre:
— Si j’avais là du papier réglé, lui dis-je, j’écrirais la musique de ce morceau, car je l’entends.
— Qu’à cela ne tienne, je vais vous en donner.
Et Lefebvre, prenant une règle et un tire-ligne, eut bientôt tracé quelques portées, sur lesquelles je jetai le chant et la basse de ce petit air; puis, je mis le manuscrit dans mon portefeuille et n’y songeai plus. Quinze jours après, de retour à Rome, on chantait chez notre directeur, quand La Captive me revint en tête. […]

    La mélodie est exécutée pour la première fois à la Villa Medici par Louise Vernet, à qui une version est dédiée fin 1832. Le succès est immédiat: presque tout le monde à la Villa Medici se met à la chanter, y compris les domestiques (CG nos. 261, 263, 265-7). De retour à Paris Berlioz développe et instrumente la mélodie, mais ce n’est qu’en 1848 qu’elle atteindra sa forme définitive.

    Berlioz laissera une trace visible de son passage à Subiaco qui durera pendant bien des années. Au cours de son tout premier séjour en juillet 1831 il construit une petite pyramide de pierres sur une montagne face à Subiaco (CG no. 236), qu’il évoque dans les Mémoires (chapitre 37):

[…] En face, sur l’autre rive de l’Anio, grande montagne à dos de baleine, où l’on voit encore à cette heure une petite pyramide de pierres que j’eus la constance de bâtir, un jour de spleen, et que les peintres français, amants fidèles de ces solitudes, ont eu la courtoisie de baptiser de mon nom. […]

    Quelques années après son retour d’Italie, dans une lettre datée du 27 septembre 1836 à Liszt, qui avait l’intention de se rendre en Italie, Berlioz lui demande de rendre visite à la pyramide pour son compte (CG no. 478):

[…] Si tu vas en Italie, tu iras à Subiaco. Si tu vas à Subiaco informe-toi de la pyramide que j’ai bâtie sur le grand rocher du côté gauche de l’Anio, et va la voir de ma part, j’ai su que les pâtres ne l’avaient pas entièrement démolie. […]

    Bien des années plus tard, Berlioz est toujours curieux de savoir ce qui est devenu de son monument. Dans une lettre datée du 23 décembre 1863 à la princesse Sayn-Wittgenstein, qui s’était établie à Rome, il écrit (CG no. 2814):

[…] Dites-moi si vous êtes allée par hasard à Subiaco, et si vous y avez vu une pyramide de pierres que j’ai bâtie au sommet d’une montagne voisine du village, il y a TRENTE-DEUX ANS. Des peintres français m’assuraient l’an dernier qu’elle existait encore. […]

Subiaco en images

    Sauf indication contraire, les images sur cette page ont été reproduites d’après les gravures et autres publications dans notre collection. © Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.

Subiaco en 1864

Subiaco

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    L’original de la gravure ci-dessus a fait l’objet d’un don par nous au Musée Hector Berlioz qui en détient le droit de reproduction.

Vue panoramique de Subiaco

Subiaco

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Le village d’Olevano, près de Subiaco

Subiaco

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    Tableau de Corot (1827), intitulé Vue d’Olevano. Olevano est un des villages perchés en haut de colline que Berlioz visite pendant ses randonnées dans la campagne romaine et les pieds des Abruzzes.

Vue panoramique de Subiaco en 2004

Subiaco

(Image plus grande)

    Nous remercions bien vivement notre ami Pepijn van Doesburg de nous avoir envoyé cette photo.

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