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Voir aussi: Une lettre autographe d’Édouard Alexandre à Édouard Colonne
Dans le monde musical de son époque Berlioz avait de nombreux amis et connaissances — musiciens d’orchestre, virtuoses, chanteurs, écrivains et critiques, et d’autres. Un petit groupe qui retient l’attention est celui des fabricants d’instruments; parmi eux, dans le cas de Berlioz, deux noms se signalent particulièrement: le belge Adolphe Sax, inventeur du saxophone et de bien d’autres instruments, et la famille Alexandre — le père Jacob Alexandre (1804-1876), fondateur de la firme en 1829, et son fils Édouard Alexandre (1824-1888), qui en pratique gérait l’entreprise à l’époque où Berlioz avait des rapports avec lui. Il y a très peu sur Jacob Alexandre dans les écrits de Berlioz, et en pratique ce qu’on sait des rapports de Berlioz avec la firme Alexandre se rapporte essentiellement à Édouard. La maison Alexandre se spécialisait dans les petites orgues, utilisées par les particuliers chez eux, dans les églises, théâtres et petites salles de concert. La firme prospéra: vers la fin des années 1850 elle employait plus de 600 ouvriers, selon une lettre de Berlioz à l’emperur Napoléon III, dans laquelle il recommande Édouard Alexandre pour la Légion-d’Honneur (CG no. 2237ter [tome VIII]; 15 juillet 1857): ‘Cet ingénieux manufacturier occupe déjà plus de six cents ouvriers; il est certainement le plus célèbre représentant de cette branche de l’industrie française’. Édouard Alexandre fut de fait promu au grade de Chevalier de la Légion-d’Honneur, mais seulement en 1860 (Journal des Débats, 23 février 1860).
Les rapports entre Berlioz et Alexandre sont connus à partir de 1844. Dans une lettre à sœur Nancy datée du 5 novembre, Berlioz dit qu’il est extrêmement occupé: entre autres obligations ‘Je dois avant quinze jours avoir terminé un petit recueil de morceaux pour l’orgue-mélodium, qui m’ont été demandés par le facteur de ce nouvel instrument’ (CG no. 924). Quelques mois plus tôt on trouve la première mention de l’instrument dans un des articles de Berlioz (Débats, 23 juin 1844). Il est fort possible que Berlioz et Alexandre se connaissaient depuis quelque temps déjà; mais en tout cas c’est l’invention du nouvel instrument, l’orgue-mélodium, en 1844 qui donne lieu à la commande pour Berlioz. Au fil des ans Berlioz et Alexandre deviennent plus proches; Berlioz finit par le considérer comme un ami, et Alexandre de son côté lui est d’un grand soutien. Peu de lettres de Berlioz à Alexandre ont survécu (comme ils habitaient tous deux Paris ils avaient moins d’occasions de correspondre). Alexandre figure particulièremt dans la correspondance de Berlioz de la fin de 1852 et de 1853: Liszt était désireux de se faire construire deux instruments à clavier spéciaux, un ‘clavi-harpe’, et un autre instrument capable d’imiter les instruments de l’orchestre. Berlioz recommande Alexandre à Liszt comme l’homme indiqué pour la tâche; Alexandre de son côté s’enthousiasme pour ces projets, fait un voyage à Weimar pour voir Liszt, et pour finir construit des instruments à l’usage du virtuose (voir notamment CG nos. 1549, 1552, 1556, 1558, 1559, 1568, 1589, 1617, 1620, 1624). Citons ici un extrait d’une de ces lettres, lettre révélatrice de l’attitude de Berlioz envers les instruments de musique (CG no. 1568, à Liszt; 23 février 1853):
Je voudrais aussi, s’il est possible, que l’instrument ne fût pas laid de forme. Cela ne manque pas d’importance. Je ne puis combattre la répulsion que m’inspirent certaines machines musicales, telles que les mélodiums et les petites orgues, qui ressemblent plus ou moins à des commodes ou à des armoires à serrer le linge. Et si j’aime tant la harpe, son aspect est peut-être pour quelque chose dans mon affection. Je voudrais te voir gouverner un bel esclave. J’en parlerai à Alexandre.
À plusieurs reprises Alexandre rend de grands services à Berlioz. En 1859 il offre de faire une avance de 50,000 frs à l’impresairo Carvalho pour l’encourager à mettre en scène les Troyens à son Théâtre Lyrique (CG nos. 2405, 2407, 2519). En 1862 il achète un terrain au Cimetière de Montmartre dont il fait don à perpétuité à Berlioz pour les tombes de ses deux femmes (Mémoires, Postface). En 1864 on le voit s’efforcer de procurer pour Berlioz une source de revenus pour dix ans, et aussi d’avancer la carrière de son fils Louis dans la marine (CG nos. 2863, 2864).
Berlioz de son côté ne cesse de vanter dans ses articles des Débats les mérites des instruments d’Alexandre, et particulièrement le mélodium. Sur le mélodium voir notamment Débats 23 juin et 29 décembre 1844; 14 février 1847; 25 décembre 1852; 12 janvier et 3 mai 1856; 14 mai 1863. Sur une autre invention d’Alexandre, le piano-orgue, voir Débats 15 novembre 1856, 26 avril et 24 septembre 1857.
On a suggéré (CG tome VII, p. 50 n. 2) qu’en fait Alexandre aurait versé à Berlioz une rente annuelle de 2000 frs pendant un certain temps, qui aurait influencé Berlioz dans ses éloges pour Alexandre dans ses feuilletons. Mais la correspondance de Berlioz montre qu’il avait une admiration réelle pour le talent d’Alexandre (voir par exemple les lettres à Liszt mentionnées ci-dessus); à la fin de sa vie il le considérait comme un ami sûr. Quand il rédige son testament en 1867, Berlioz nomme Alexandre un de ses deux exécuteurs testamentaires (l’autre est Berthold Damcke). Au cours du dernier voyage de Berlioz en Russie en 1867-68, Alexandre appartient à un petit groupe d’amis auxquels le compositeur raconte en détail le succès de ses concerts (CG no. 3315; 15 décembre 1868, de St Pétersbourg).
Sur le soutien qu’Alexandre a continué à prodiguer à Berlioz après sa mort, voir la page Une lettre autographe d’Édouard Alexandre à Édouard Colonne.
Parmi les instruments créés par Alexandre le mélodium était le mieux connu et celui qui eut le plus de succès; la version originale de l’instrument est lancée en 1844 (Débats, 23 juin 1844), puis fait l’objet d’un perfectionnement sensible en 1847 (Débats, 14 février 1847). Berlioz consacre un chapitre au mélodium dans la version revue de 1855 de son Traité d’instrumentation, dont on trouvera de larges extraits sur ce site. Il traite des caractéristiques techniques de l’instrument et de ses possibilités expressives. On y lit notamment: ‘Les sons du Mélodium étant d’une émission un peu lente ... le rendent plus propre au style lié qu’à tout autre, fort convenable au genre religieux, aux mélodies douces, tendres, et d’un mouvement lent’. Il a évidemment à l’esprit sa propre caractérisaion de l’instrument quand en 1844, en réponse à la demande d’Alexandre, il écrit ses 3 morceaux pour le mélodium. Ce sont, soit dit en passant, de rares exemples de musique instrumentale de la plume de Berlioz. Le seul autre morceau comparable est le Trio pour deux flûtes dans la 3ème partie de l’Enfance du Christ, musique de chambre insérée dans un oratorio. Les 3 morceaux pour le mélodium comptent parmi les œuvres les moins connues du compositeur; les exécutions en sont rares, et il existe peu d’enregistrements (voyez Discographie de Berlioz).
La lettre où il est question de la commande (CG no. 924) ne précise pas le nombre de morceaux que Berlioz devait fournir. En l’occurrence il en écrivit trois, et quand le recueil parut, sans doute avec peu de retard, il comprenait un quatrième morceau, une prière de la plume de Meyerbeer. Les deux premiers morceaux sonnent comme du Berlioz authentique. Ils évoquent par leur atmosphère de piété rustique la 2ème partie de l’Enfance du Christ. On pourra également rapprocher du premier la Sérénade (3ème mouvement) d’Harold en Italie. Tous deux font écho de manière directe aux souvenirs d’Italie de Berlioz datant de son voyage de 1831-2, où il entendit la musique des ‘pifferari’ à Rome et dans les Abruzzes. Par contre le troisième morceau, simplement appelé Toccata, surprend: on dirait un exercice d’école, sans caractère expressif particulier, et qui étonne chez Berlioz. Il se peut que Berlioz, pressé par de multiples obligations, n’ait tout simplement pas eu le temps d’écrire une musique plus caractéristique.
On ne trouve aucune indication métronomique dans la partition de Berlioz. Dans la version présente les tempi ont été établis comme suit. 1er morceau, andantino, noire pointée = 52; allegro assai, noire pointée = 96. 2ème morceau, noire = 69. 3ème morceau, blanche = 60.
1.
Sérénade agreste à la Madone sur le thème des pifferari romains
(durée 2'52")
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2.
Hymne pour l’élévation (durée 4'22")
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3.
Toccata (durée 2'19")
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(fichiers créés le 26.04.2000; révision le 22.10.2001)
© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.
Cette page revue et augmentée le 1er mars 2022.