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Hector Berlioz: Feuilletons

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FEUILLETON DU JOURNAL DES DÉBATS

DU 29 DÉCEMBRE 1844 [p. 1-2]

 Cours de perfectionnement pour les violonistes, par Haumann. — Nouvelle Sonate de piano, par Thalberg. — Sophie Bohrer. — La petite Scheibel et Luigi Elena. — Les Albums du Jour de l’An. — L’orgue de Saint-Eustache et l’orgue-mélodium. — La Société des Amateurs allemands. — Les Chœurs de Macbeth, par le docteur Locke. — M. Lumbye. — Les Fêtes musicales du Cirque des Champs-Elysées.

    La saison musicale s’annonce, on le voit, d’une façon formidable, sans compter les artistes qui nous sont arrivés et ceux qui nous arriveront encore. En tête des premiers il faut citer Théodore Haumann. Après le nouveau voyage qu’il vient d’achever en Russie, et malgré le séduisant accueil qu’il y a reçu, le brillant virtuose s’est fixé à Paris, où il se propose d’ouvrir une école de perfectionnement pour les jeunes violonistes déjà forts. Certes l’enseignement est une rude carrière pour les grands artistes habitués comme Haumann à s’émouvoir en jouant de leur instrument, à ne plus s’occuper du mécanisme, ou du moins à ne travailler qu’à leurs heures et en vue d’un effet spécial à produire presque immédiatement sur le public. Quelle tâche que celle d’entendre trois fois par semaine, et pendant des heures entières, jouer médiocrement du violon, d’avoir à reprendre un élève sur la mollesse de son coup d’archet, sur sa froideur, sur la platitude de son style, sur la qualité de son qu’il tire de l’instrument, ou sur le mauvais goût de ses ornemens !….. Et pourtant si les véritables maîtres ne consentaient jamais à enseigner ce qu’eux seuls savent bien, les progrès de l’art n’auraient-ils pas par trop à en souffrir ?……. Il faut donc que les plus courageux se dévouent ; Haumann est un de ceux-là. De Bériot a déjà donné cet exemple à Bruxelles, et voici le jeune Auguste Moëser, un de ses élèves, qui lui fait, dit-on, le plus grand honneur. Auguste Moëser, récemment arrivé à Paris, se fera sans doute entendre prochainement.

    — Thalberg vient de publier une grande sonate pour piano seul, c’est un événement dans le monde des pianistes. Cette œuvre est importante par son style, par sa forme et par ses vastes développemens. L’auteur réhabilite ainsi la sonate que des préventions injustes et un mauvais bon mot devenu populaire voulaient reléguer parmi les inconvéniens, sinon parmi les calamités de la vie civilisée. Tant il est vrai que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des gens persuadés de leur amour pour la musique ne connaissent pas les sonates de Beethoven. La belle composition de Thalberg offre, en outre de ses mérites mélodiques et harmoniques, un mérite tout spécial d’instrumentation que les pianistes seuls peuvent complétement apprécier. Son succès est certain.

    — Sophie Bohrer, cette pianiste phénoménale de douze ans dont j’ai déjà parlé plusieurs fois, devrait être ici depuis un mois, mais le grand succès qu’elle a obtenu à La Haye la retient encore en Hollande. Elle a joué avec son père, Antoine Bohrer, l’un des premiers violonistes de l’Allemagne, chez la reine et chez la princesse d’Orange, et ses concerts à Utrecht et à Amsterdam attirent constamment la foule. Sophie Bohrer renouvellera sans doute à Paris la vogue excitée il y a deux ans par les petites Milanollo ; il ne faut pas la confondre toutefois avec ce qu’on est convenu d’appeler les enfans prodiges. Sophie Bohrer possède un talent sérieux, très rare, et une organisation plus rare encore. C’est une artiste consommée, malgré son extrême jeunesse.

    — Une enfant prodige, dans la véritible acception du mot, c’est la petite Scheibel, que j’ai entendue dernièrement. Cette pianiste de huit ans exécute des morceaux d’une très grande difficulté avec un aplomb et une expression passionnée qui ont quelque chose d’étrange. Ses mains sont trop petites pour faire les octaves ; elle trouve le moyen de les arpéger si rapidement que les deux notes semblent frappées en même temps. Quant aux pédales, ses petites jambes n’y peuvent atteindre, et c’est sa maîtresse, Mlle Loveday, qui se charge de les faire mouvoir quand la virtuose joue en public. Ce qu’il y a de charmant c’est que Mlle Scheibel donne des leçons et compose des morceaux appropriés, dit-elle, à la force de ses élèves. Le point sur lequel elle se montre d’une extrême sévérité dans son enseignement, c’est l’expression. Les traits les mieux jetés, l’harmonie la plus savante ne l’intéressent guère si l’exécution est froide ; c’est de l’entraînement, c’est de la passion qu’elle veut, et rien ne lui paraît plus méprisable, dit-elle, que les gens sans âme qui font voir par leur jeu qu’ils n’ont jamais souffert.

    Elle a pour l’accompagner un violon italien de sa taille et de son âge, nommé Luigi Elena, qui aura un jour de l’expression, car il a l’air de souffrir beaucoup, le pauvre petit bonhomme, quand Mlle Scheibel le traite du haut de sa grandeur. Ces deux enfans seraient un joli cadeau à offrir pour étrennes aux dilettanti de huit à dix ans et même aux grandes personnes qui aiment le genre passionné.

    — Puisque voilà le grand mot d’étrennes lâché, il faut bien citer quelques-unes de celles que les éditeurs de musique trament contre les habitués des salons où l’on essaie de chanter. Je recommande d’abord aux amateurs du genre romancé la Belle Marjolaine, la Mère au bal, les Yeux bleus et Fleur de Madone, de M. Etienne Arnaud ; ceci est élégamment écrit, modulé avec goût et adresse et (chose la plus importante de toutes) d’une exécution facile. Il faut très peu connaître le clavier pour accompagner ces romances ; il y en a même une pour laquelle il est nécessaire de ne pas le connaître du tout. Quant à la partie de chant, je me garderai d’en signaler la simplicité, ce serait leur faire tort : tout le monde aujourd’hui ne sait-il pas chanter, triller, vocaliser, comme les marquis de Molière, sans l’avoir appris ? Il faut se hâter de cueillir ces fleurettes musicales, qui vivent ce que vivent les roses artificielles, l’espace d’un hiver ; et celles-ci déjà ne sont plus très jeunes, elles ont deux jours tout au moins.

    Le même conseil est de saison pour l’album du Ménestrel, recueil d’autant plus charmant qu’on s’attend moins à le trouver tel, puisque Mlle Puget, comme j’ai eu la cruauté de vous l’avouer dernièrement, n’a rien écrit cette année, absolument rien. Elle n’avait pourtant pas le droit, disons la vérité, de traiter aussi rudement ce pauvre public à qui ses romances étaient devenues un besoin, et qui se morfondait à les admirer. Les romances de Mlle Puget se vendaient par milliers ; que seraient donc devenus les consommateurs, si M. Heugel n’eût appelé à son aide un bataillon d’hommes de talent pour leur faire oublier cette catastrophe ? Chi lo sa ?… Et pourtant, tenez, il faut que je parle dans une circonstance aussi grave que celle-ci, je dois à M. Heugel la vérité, toute la vérité ; il en arrivera ce qui pourra. L’album qu’il publie cet année est de beaucoup supérieur à ceux des trois années dernières ; il contient surtout un petit morceau (la Glaneuse) de Labarre, qui est autrement tourné que les chansonnettes dont on se contentait à cette époque reculée ; la Mère de l’Ecossais, le Pauvre Marin, que Roger et Ponchard font si bien valoir, me semblent aussi de beaucoup au-dessus de ces mélodies tant soit peu monotones et fades d’expression dont le titre même est aujourd’hui un problème. Maintenant M. Heugel, j’ai dit, prenez ma tête.

    Et l’album de M. Bernard Latte, c’est celui-là qui va avoir une vogue foudroyante ! Tout le monde y a travaillé, il contient des morceaux remarquables dans tous les genres ; l’éditeur espérait même obtenir de M. Warmwasser, de Vienne, un Lied à deux voix qui eût été sans doute d’un effet ravissant, mais le compositeur, ne se sentant pas en verve en ce moment, n’a pas voulu exposer à la critique parisienne sa haute réputation. On ne peut guère acheter en fait d’albums que ces deux-là. Maintenant voici un livre de luxe, presque musical, qui a pour titre : Beautés de l’Opéra. C’est des beautés d’art qu’il traite plus encore que des charmes de ces dames. Pourtant une belle femme, et même une femme seulement jolie, sont des objets d’art assez rares pour qu’on puisse avec chances de succès leur consacrer un livre enluminé de gravures et de vignettes sur acier, imprimé sur velin et rédigé par Th. Gautier, Soulié et Janin, comme celui-là. On trouve dans ce livre, avec un luxe éblouissant de portraits et de dessins représentant les personnages et les scènes principales des ouvrages qui firent la gloire de l’Opéra, des analyses de ces mêmes ouvrages, supérieurement faites, et des descriptions perfides qui donnent envie de les aller voir.

    — Vous savez l’orgue magnifique de Saint-Eustache, qu’on avait reçu avec tant de pompe il y a quelque(s) mois, que le fameux Hesse de Breslaw était venu toucher du fond de la Silésie pour cette réception solennelle. Hélas, voilà bien la preuve que toutes les pompes de ce monde sont impuissantes quelquefois à garantir les beaux ouvrages de la plus triste fin ! l’orgue de Saint-Eustache est brûlé, fondu, réduit en cendres. Si l’incendie n’eût anéanti que ces horribles jeux de mutation qui font que l’on joue toujours dans trois tons à la fois, et que le mode majeur est mêlé au mode mineur, harmonie à faire fuir les ânes, que l’usage a consacrée et que les organistes et facteurs d’orgues perpétueront jusqu’à la consommation des siècles, il faudrait s’en réjouir ; mais tout, le buffet si soigneusement sculpté, la soufflerie, enfin tout ! c’est trop. C’est une perte immense. Parlez-moi des orgues-mélodium de M Alexandre ; celles-là produisent un excellent effet dans les églises et dans les théâtres. On a pu l’apprécier déjà maintes fois au Théâtre-Italien dans Linda et dans I Puritani ; celles-là peuvent brûler sans ruiner leurs propriétaires et sans qu’il faille des années pour leur reconstruction. Le bon marché, la bonté de ces instrumens, le peu de place qu’ils occupent, les font rechercher de toutes parts. La plus petite église de campagne, le moindre théâtre où l’on essaie d’exécuter la Juive, ou Robert-le-Diable, doivent avoir maintenant leur orgue-mélodium. Ce n’est pas un objet de luxe, mais de première nécessité.

    — La distribution des prix de l’Association polytechnique, école gratuite pour les adultes, a eu lieu dernièrement à la Halle aux Draps, sous la présidence de M. de Rambuteau. Les intermèdes de cette intéressante cérémonie étaient occupés par des chœurs exécutés sans accompagnement par les ouvriers de l’Association, élèves de M. Levy. Plusieurs morceaux, bien rendus par cette masse énorme de voix, ont produit beaucoup d’effet, entre autres l’Adieu du Soldat, de M. Stern, et un chœur de Donizetti. La méthode de Wilhem, adoptée pour l’enseignement musical dans les écoles primaires, a produit, on le sait, depuis plusieurs années, de bons résultats ; mais, dans ce cas, ne serait-ce point au talent, au zèle et à l’activité de M. Levy qu’il faudrait surtout rapporter l’honneur des progrès remarquables de ses élèves ?…

    Le même jour, à une autre heure, la Société des amateurs allemands donnait dans la salle de Pleyel une matinée musicale sous la direction de M. Stern. Les chœurs étaient chantés par vingt-deux amateurs allemands. Il n’y a réellement que des éloges à donner à leur exécution ; leurs voix sont fraîches, vigoureuses, vibrantes, d’un beau timbre, et ils chantent avec un ensemble parfait. Il y a peut-être un peu d’exagération dans leur manière de brusquer les nuances de force ; mais, tel qu’il est, ce chœur est un des meilleurs qu’on puisse entendre à Paris. Les vingt-deux amateurs ont chanté un morceau de Reissiger, intitulé la Foi. Cette hymne remplit toutes les conditions du bon style religieux, les harmonies en sont très distinguées et les développemens pleins de science.

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    Pauvre jeune homme, à quatorze ans, avoir déjà des idées aussi lugubres ! Le Schwertlied (chant de l’épée) de Weber, au contraire, est étincelant de verve et bouillonne d’héroïque ardeur ; c’est ainsi que doivent chanter les braves. L’auditoire l’a redemandé. Le même honneur a été fait à l’Adieu du Soldat de M. Stern, dont j’ai parlé tout à l’heure, et que je venais d’entendre, exécuté en langue française par les élèves de M. Levy. Ce morceau gagne beaucoup à être chanté en allemand. Tout le monde connaît maintenant à Paris l’Hymne à Bacchus, de Mendelssohn, et la Chanson du Rat de Liszt, qui figuraient encore sur le programme. Quant à saint Paul médecin, chant comique de Zelter, et à la Carte du Restaurant, farce de Zöllner, comme ma passion pour ce genre de bouffonneries allemandes n’est pas absolument insurmontable je me suis efforcé de ne pas les entendre, et j’y suis parvenu.

    Les nouveaux instrumens de Sax sont à la mode en Angleterre ; la famille Distin, dont on n’a pas oublié le talent et qui fit tant de plaisir l’hiver dernier à Paris, vient d’obtenir de grands succès en jouant ces instrumens dans les théâtres et les concerts de Londres, et S. A. R. le prince Albert s’est déclaré le patron de l’ingénieux facteur.

    — Du reste, si nos artistes réussissent à Londres, les artistes anglais ne réussissent pas moins bien à Paris. Macready et les tragédies de Shakspeare réunissent trois fois par semaine, dans la salle Ventadour, le public lettré de la nouvelle école, ce public intelligent et passionné que Victor Hugo, Alexandre Dumas et Alfred de Vigny ont eu tant de peine à former. Que je voudrais être homme de lettres pour avoir le droit de parler du grand acteur et des merveilles shakspeariennes ! Le directeur, M. Mitchell, s’occupe en ce moment à organiser la mise en scène de Macbeth avec toutes les ressources chorales et instrumentales du Théâtre-Italien. C’est un chanteur anglais qui remplira le rôle d’Hécate. Quant aux choristes italiens et français chargés de nous faire connaître la musique du docteur Locke dans la scène des sorcières, ils prononceront l’anglais comme ils pourront ; ils ont droit de compter sur l’indulgence de cette partie de l’auditoire qui serait choquée de leur manière d’articuler la langue de Shakspeare. Ces chœurs sont écrits dans le style de Handel, avec entrées fuguées et progressions harmoniques vocalisées. Le vieux style de plusieurs morceaux leur donne une physionomie singulière qui s’harmonise tout à fait avec la couleur étrange de la scène et l’époque où elle est censée se passer. L’orchestre seulement doit être au-dessous de la situation : Locke n’en savait pas plus, en fait d’instrumentation, que les autres compositeurs de son temps. Au reste, il est évident que pour traiter convenablement dans son ensemble une pareille scène, le génie de Gluck, celui de Beethoven et celui de Weber réunis n’eussent pas été de trop.

    Mais sortons du nuage doré de la poésie, il me reste à parler encore de M. Lumbye, compositeur de valses célèbres dans le nord de l’Europe, et qu’on compare à Strauss pour son originalité et la grâce coquette de ses mélodies. M. Lumbye voyage en ce moment pour faire connaître ses compositions. L’effet qu’elles viennent de produire dans la salle Vivienne ne peut qu’accroître beaucoup la réputation de leur auteur. M. Lumbye est Danois, il retourne à Copenhague d’où ses compatriotes, jaloux de le conserver, ne le laisseront probablement plus sortir. Le mérite de ses valses n’est pas seulement dans leur tournure agaçante et jolie, elles sont d’ailleurs bien écrites et bien instrumentées, sans exagération de bruit, sans recherche et sans charlatanisme.

FÊTES MUSICALES
du Cirque des Champs-Élysées.

    C’est le 19 du mois prochain que nous nous proposons d’inaugurer la nouvelle salle destinée aux grandes solennités musicales. Si j’appelle cette salle nouvelle, ce n’est pas qu’elle soit inconnue du public, mais seulement parce qu’on va pour la première fois la disposer en salle de concerts. Longtemps elle a été désignée, par l’opinion des artistes, comme le seul local de Paris où l’on pût réunir, avec de bonnes conditions d’acoustique, des masses imposantes de voix et d’instrumens ; longtemps aussi toutes les tentatives pour l’obtenir ont échoué contre la ferme volonté du directeur de ne pas lui donner d’autre destination que celle pour laquelle elle a été construite. Mais enfin l’administration est revenue de l’idée que tout exercice différent des exercices équestres serait fatal à l’avenir du Cirque, et c’est elle-même qui, de son propre mouvement, est venue au-devant de la musique et l’a invitée à s’y installer. Mais il a fallu des travaux considérables pour convertir en salle d’hiver cet édifice qu’on n’avait jusqu’ici ouvert à la foule qu’aux beaux jours d’été seulement. Plusieurs calorifères y ont été établis, et les diverses ouvertures de la partie supérieure, parfaitement closes, permettent de donner à l’atmosphère intérieure une température aussi élevée qu’on pourra le désirer. Bien que les concerts aient lieu dans le jour, le cirque, l’amphithéâtre, les couloirs, les foyers, tout sera splendidement éclairé au gaz. Les dispositions musicales sont les suivantes :

    Un plancher établi sur l’arène de l’hippodrome recevra l’orchestre seulement. Les instrumentistes occuperont ainsi et en entier le cirque, point central de l’édifice, d’où les sons rayonnant dans tous sens, se répandront également sur la masse des auditeurs. Sur l’un des côtés de ce plan horizontal s’élèvera une petite estrade destinée aux solistes, au chef d’orchestre, et, dans l’occasion, à un petit chœur de douze à quinze voix. Au côté opposé et en face de l’estrade, le grand chœur s’élèvera en amphithéâtre sur une partie des gradins qu’occupait autrefois le public. Devant ces gradins seront les maîtres de chant, l’œil sur le chef d’orchestre et communiquant la mesure et les mouvemens aux chanteurs. Cette disposition aura cela de particulier que les chanteurs solistes, dominant les instrumens de quelques pieds, seront séparés du chœur par toute la largeur de l’orchestre, et regarderont les choristes en face au lieu de les avoir derrière eux, comme dans tous les théâtres où l’on a monté de grands concerts. On en verra surtout l’avantage dans les compositions telles que l’Orphée de Gluck, où un personnage seul dialogue avec le chœur. Le fameux Non des dieux infernaux, dans la scène du Tartare, ne peut manquer d’y gagner en force et en terreur. Il en sera de même pour la symphonie de Roméo et Juliette que j’espère pouvoir y faire exécuter. Le petit chœur du prologue racontant l’action du drame de Shakspeare ne sera pas mêlé, comme il l’était forcément dans la salle du Conservatoire, aux deux chœurs des Capulets et des Montaigus, et le père Laurence, parlant en face à ceux-ci, pourra donner bien plus de force à ses interpellations. Le nombre des exécutans n’excédera pas trois cent cinquante, et chaque groupe sera exercé séparément, avant la répétition générale, d’après la méthode que nous avons adoptée au mois de juillet dernier pour le festival de l’industrie. Ce nombre nous est imposé par la forme et la capacité de la salle du Cirque, où un chœur de deux cents voix est plus que suffisant pour produire un effet très puissant. Quant à l’orchestre, il remplit tellement l’hippodrome, qu’il serait impossible de l’augmenter de trois ou quatre musiciens seulement. Nous entrons dans ces détails pour répondre aux réclamations quotidiennes et quelquefois très pressantes des chanteurs et instrumentistes qui n’ont pas été portés sur la liste des exécutans. Il ne s’agit point ici d’un congrès musical, et nous ne pouvons pas, à cause de l’heureuse tentative du 1er août dernier, avoir maintenant à réunir en toute occasion une population de mille à douze cents âmes d’artistes.

    Ce que nous voulons et ce que nous avons tout lieu d’espérer, ce sont des exécutions grandioses et excellentes de belles œuvres peu connues des Parisiens, ce sont des solennités vraiment dignes du titre de fêtes musicales qu’on leur a donné. La beauté, la sonorité de ce vaste cirque moderne, le confortable que les auditeurs y trouveront, le talent et le zèle des artistes auxquels l’exécution sera confiée, nos propres efforts pour les bien diriger, et l’amour de plus en plus remarquable du public pour la grande musique, telles sont les chances de succès dont nous avons tenu compte dans cette entreprise, et sur lesquelles, sans trop de présomption, il semble permis de compter.

    Chaque séance, malgré la variété abondante des programmes, ne durera que deux heures et demie au plus. Elles auront lieu les dimanches, une ou deux fois par mois, et, commençant à deux heures, finiront conséquemment à quatre heures et demie.

H. BERLIOZ.

Site Hector Berlioz créé le 18 juillet 1997 par Michel Austin et Monir Tayeb; page Hector Berlioz: Feuilletons créée le 1er mars 2009; cette page ajoutée le 1er août 2015.

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