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Être médecin ! étudier l’anatomie ! disséquer ! assister à d’horribles opérations ! au lieu de me livrer corps et âme à la musique, cet art sublime dont je concevais déjà la grandeur ! [...] Oh ! non, tout cela me semblait le renversement absolu de l’ordre naturel de ma vie. [...]
Ainsi s’exprime Berlioz au chapitre 4 des Mémoires, dans lequel il raconte comment, encore jeune homme à La Côte-Saint-André, il découvre d’abord la musique mais doit ensuite faire face à l’obligation imposée par son père de suivre sa carrière et entreprendre des études pour devenir médecin à son tour. Le chapitre suivant (chapitre 5) relate la suite après son arrivée à Paris à l’automne de 1821: malgré son aversion pour la médecine et sa passion grandissante pour la musique, il persévère consciencieusement dans ses études. L’esquisse autobiographique rédigée par Berlioz vers la fin de 1832, texte qu’on trouvera reproduit sur ce site, précise utilement la chronologie:
Peu après cette époque [à La Côte-Saint-André], Berlioz vint à Paris dans le but d’achever à l’école de Médecine des études si peu faites pour lui. Il vit l’amphithéâtre de dissection et l’Opéra. Placé ainsi entre la mort et la volupté, entre d’affreux cadavres et de ravissantes danseuses, entre la musique de Gluck et la prose de Bichat, il tint néanmoins pendant un an entier la promesse, faite à son père, de suivre assidûment les cours.
Les registres de la Faculté de Médecine confirment l’exactitude de ce récit: depuis son arrivée à Paris en novembre 1821 jusqu’à novembre de l’année suivante il s’inscrit régulièrement aux cours de médecine, mais s’arrête après cette date. On possède très peu de lettres de Berlioz datant du début de ses années d’étudiant à Paris, mais une lettre à sa sœur Nancy, qui porte la date du 13 décembre 1821, laisse entrevoir son trouble intérieur (CG no. 10):
Tu me demandes quels sont mes plaisirs et mes peines ; pour celles-ci je répondrai avec La Fontaine: « L’absence est le plus grand des maux » ; mais il s’en joint encore d’autres, causés, tantôt par une étude dégoûtante, tantôt par le découragement que j’éprouve souvent, lorsque après un travail opiniâtre, je réfléchis que je ne sais rien, que j’ai tant à apprendre, que peut-être papa ne sera pas content de moi, que peut-être... que sais-je moi ? je ne finirais pas si je voulais te peindre toutes les idées tristes qui m’accablent.
La suite de la lettre raconte les compensations du séjour à Paris: les cours d’histoire de Lacretelle, et surtout les visites à l’Opéra, où il assiste le 26 novembre à une représentation de l’Iphigénie en Tauride de Gluck. Les Mémoires (chapitre 5) évoquent sa première visite à l’Opéra peu avant: le 14 novembre il entend Les Danaïdes de Salieri, puis le 18 novembre Stratonice de Méhul (comme le montre la lettre à Nancy, l’attente de Berlioz pour entendre l’Iphigénie en Tauride de Gluck fut de plus courte durée que les Mémoires le laissent supposer). Ces expériences à l’Opéra, et sa fréquentation de la bibliothèque du Conservatoire qui commence quelques mois plus tard, ont une influence décisive sur sa carrière: il décide coûte que coûte d’abandonner la médecine pour devenir compositeur.
Malgré tout, cette unique année d’études de médecine marquera Berlioz de façon durable. Son aversion pour la médecine ne se traduit pas par une hostilité envers son professeur, le grand chirurgien Amussat, qui deviendra un ami à vie (Mémoires chapires 5 et 53; voir le commentaire sur la lettre à Anna Banderali). Berlioz manifeste une profonde admiration pour Amussat: pour lui c’est ‘un artiste en anatomie’. On pourrait sans doute renverser cette description: Berlioz, c’est en somme un artiste avec la tournure d’esprit d’un anatomiste. Parmi les traits de sa personnalité intellectuelle on reconnaît un don d’objectivité et une capacité d’analyse, capacité qui s’exerce tant envers lui-même et ses œuvres qu’envers les autres. On le voit dès ses premiers contacts avec l’anatomie, suivant le récit des Mémoires: en pénétrant pour la première fois dans la salle de dissection Berlioz réagit avec horreur et dégoût, mais dès le lendemain il se ressaisit et aborde la même tâche froidement et même avec humour. Un exemple parmi d’autres de cette capacité d'auto-analyse: sa description des effets physiques qu’il éprouve en entendant la musique (premier chapitre d’À Travers chants). On pourrait aussi faire remarquer que pour Berlioz le mot anatomiste a un sens positif: il loue Alexandre von Humboldt ‘cette éblouissante illustration de la science lettrée, ce grand anatomiste du globe terrestre’ (Mémoires, Premier voyage en Allemagne Lettre 9), et de même Balzac, ‘ce rare écrivain, cet incomparable anatomiste du cœur de la société française de notre époque’ (Mémoires chapitre 55).
Autre trait de Berlioz qui se rapporte sans doute à ses contacts avec l’anatomie: sa fascination pour le macable, fascination renforcée plus tard par sa découverte de Shakespeare en 1827 aux représentations données par une troupe anglaise à l’Odéon (la scène des fossoyeurs dans Hamlet, par exemple, fait une profonde impression sur lui). Divers exemples viennent à l’esprit: outre le rôle que joue la mort dans plusieurs œuvres (la Symphonie fantastique, le Requiem, et d’autres), on pourrait citer dans ses écrits la scène de l’enterrement d’une jeune femme à Florence au cours de son voyage en Italie (Mémoires chapitre 43) où l’exhumation d’Harriet Smithson et la translation de ses restes au grand cimetière Montmartre vers la fin de la Postface des Mémoires.
Les photos reproduites sur cette page ont été prises par Michel Austin en 1999; la gravure vient de notre collection. © Monir Tayeb et Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.
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© Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page. Page révisée et augmentée le 1er mars 2017.
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