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Marche Funèbre pour la dernière scène d’Hamlet
Extrait de Tristia, no. 3 (H 103 et 119B)

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Tristia
Extraits de la correspondance de Berlioz
Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet

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Tristia

    La Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet (H 103) fut publiée pour la première fois en 1852 comme le dernier d’un groupe de trois morceaux pour chœur et orchestre, sous le titre collectif de Tristia (H 119), les deux autres étant la Méditation religieuse (sur on poème de Thomas Moore; H 56) et la ballade la Mort d’Ophélie (sur un poème d’un ami de Berlioz, Ernest Legouvé; H 92). Les trois morceaix furent à l’origine conçus et composés séparément à différentes dates, et réunis seulement plus tard par Berlioz. Il est sans doute opportun de retracer brièvement l’histoire de chacun de ces morceaux et l’évolution de la collection Tristia, en se fondant en premier lieu sur les écrits du compositeur, et notamment sa correspondance, qui fournit les informations les plus détaillées. On a rassemblé ci-dessous dans une rubrique séparée les extraits des lettres les plus importantes quand elles ne sont pas déjà citées ailleurs sur ce site.

    (1) La Méditation religieuse est le seul des trois morceaux à être mentionné dans les Mémoires de Berlioz (vers la fin du chapitre 39, où Berlioz parle du nombre limité d’ouvrages qu’il avait pu composer pendant son séjour à Rome):

Il reste enfin à citer, pour clore cette liste fort courte de mes productions romaines, une méditation religieuse à six voix avec accompagnement d’orchestre, sur la traduction en prose d’une poésie de Moore (Ce monde entier n’est qu’une ombre fugitive). Elle forme le numéro 1 de mon œuvre 18, intitulée Tristia.

    La composition de l’ouvrage est fixée à 1831 par une allusion dans une lettre à Ferdinand Hiller datée du 1er janvier 1832 (CG no. 256), qui montre aussi que la version originale ne comprenait que des instruments à vent, mais pas de cordes; la date de 1831 est confirmée par une autre lettre beaucoup plus tardive, datée du 4 mai 1864 (CG no. 2856). La partition autographe de la version finale publiée en 1852 (voir ci-dessous) porte la date précise du 4 août 1831, qui est sans doute celle de la version originale. L’ouvrage compte parmi plusieurs de Berlioz qui attestent sa longue admiration pour les écrits de Thomas Moore.

    (2) La composition de la version originale de la Ballade sur la mort d’Ophélie est fixée à mai 1842 par une lettre du 8 de ce mois adressée à Ernest Legouvé, l’auteur du poème adapté d’après Shakespeare (CG no. 769bis). Le début de la mélodie de la ballade fait écho discrètement à l’idée fixe de la Symphonie fantastique, donc à Harriet Smithson, écho sans doute voulu: l’ouvrage fut composé à une époque où le mariage de Berlioz était en train de sombrer, et le rôle d’Ophélie était un des deux rôles dans lequel Harriet Smithson avait fait une impression si profonde sur Berlioz au Théâtre de l’Odéon à Paris le 11 et le 15 septembre 1827. La ballade acquiert ainsi le caractère d’un adieu.

    (3) La Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet fut la dernière des trois à être composée; elle date d’environ novembre 1844 d’après une allusion dans une lettre de Berlioz à sa sœur Nancy (CG no. 924). Elle était d’abord destinée à une représentation d’Hamlet en français à l’Odéon qui en l’occurrence n’eut pas lieu. La marche fut remaniée par la suite, et la partition autographe porte la date du 22 septembre 1848. Cette marche et la Mort d’Ophélie sont la seule musique composée par Berlioz pour le Hamlet de Shakespeare. En mai 1834 il avait été question de confier à Berlioz la composition d’un opéra sur le sujet de Hamlet pour l’Opéra de Paris, mais on ne sait rien de plus sur ce projet qui n’aboutit pas (CG no. 398). On pourrait avancer que Hamlet se prêtait moins facilement à être mis en musique ou traité comme un opéra que d’autres pièces de Shakespeare, telles que Roméo et Juliette.

    Quelle qu’en soit la raison, Berlioz attendit longtemps pour publier l’un ou l’autre de ces trois morceaux. Le premier à paraître fut la première version, pour chant et piano, de la Mort d’Ophélie, qui parut à Paris au début de 1848 alors que Berlioz se trouvait à Londres. Coïncidence ou non, Berlioz entreprit peu après une version remaniée de la mélodie, pour chœur de femmes avec accompagnement d’orchestre, en vue d’un concert projeté à Covent Garden qui serait composé d’ouvrages de lui inspirés par Shakespeare (CG nos. 1179, 1185). Le projet n’aboutit pas, sans doute à cause des exigences de Berlioz pour un nombre suffisant de répétitions; mais l’instrumentation de l’ouvrage n’en fut pas moins achevée (la partition autographe porte la date de Londres, 4 juillet 1848), mais elle resta inédite pendant encore plusieurs années. Comme on l’a vu dans le paragraphe précédent, Berlioz revit la même année la Marche funèbre et en donna la version définitive: il tenait donc à compléter ses deux compositions sur le sujet de Hamlet.

    En 1849 Berlioz publia maintenant ensemble deux des trois morceaux: la Méditation religieuse, qui parut ainsi pour la première fois, avec la Mort d’Ophélie, tous deux sous le titre de Tristia. À plusieurs égards ce recueil soulève des interrogations. Il excluait la version pour chœur et orchestre de la Mort d’Ophélie qui venait d’être achevée, pour revenir à la version originale pour chant avec accompagnement de piano. La Méditation religieuse était un arrangement pour chœur, piano, violon et violoncelle, fait par la pianiste Louise Matteman (qui est mentionnée plusieurs fois dans les feuilletons de Berlioz), et non la version originale avec instruments à vent, ni la version définitive avec petit orchestre (qui pourrait avoir précédé l’arrangement de Matteman, si cet arrangement était fait à partir de cette dernière version). Le recueil excluait aussi la Marche funèbre dont la grande partittion définitive existait aussi. On ne sait quelles étaient les intentions de Berlioz en publiant ce recueil partiel à ce moment et dans cette forme.

    Ce n’est qu’en 1852 que Berlioz publia finalement les 3 morceaux, et maintenant dans leur version développée avec orchestre, de nouveau sous le titre de Tristia. Le titre était maintenant expliqué: il était emprunté à un recueil d’élégies par le poète romain Ovide (43 av. J.C - AD 17), que Berlioz avait sans doute appris à connaître quand, jeune garçon, il apprenait le latin sous la direction de son père. Ovide écrivit ces poèmes pendant son exil sur la Mer Noire, et les envoya à Rome pour leur publication. Il mourut en exil sans avoir pu obtenir de l’empereur la permission de revenir à Rome. Une citation du premier poème est ajoutée sous le titre de Tristia, et montre toute la signification que Berlioz attachait à ses propres Tristia (voir CG no. 2856). Mais comme il le constate avec chagrin, il n’entendit jamais une note de sa musique (CG nos. 2320, 2856). Le concert shakespearien de 1848 à Londres n’eut jamais lieu. On sait que la Société philharmonique fondée par Berlioz à Paris en 1850 envisagea une exécution de la Marche funèbre à un de ses concerts, comme l’apprend le procès-verbal d’une réunion du comité de cette société le 25 juin 1850, mais en l’occurrence la Marche ne fut pas retenue (ce document est conservé au Musée-Hector-Berlioz à La Côte Saint-André). Au début de 1852 Berlioz pensa inclure la Mort d’Ophélie, dans une traduction anglaise, dans un de ses concerts à Exeter Hall à Londres, mais le projet ne fut pas réalisé (CG no. 1448). De nos jours les exécutions de Tristia sont peu fréquentes, ce qui se comprend: Tristia est trop sérieux et trop sombre, surtout la Marche finale, pour soulever l’enthousiasme du public. Mais le recueil compte parmi les pages les plus profondes et les plus émouvantes de Berlioz, et révèle un aspect de sa personnalité qui est trop souvent méconnu. Bien que composé de trois morceaux à l’origine indépendants, le recueil forme un ensemble cohérent qui progresse naturellement d’un morceau au suivant. La tonalité de la musique suit elle aussi un progression frappante par demi-tons, de sol majeur (la Méditation), à la bémol majeur (Ophélie), à la mineur (la Marche). Le poème de Moore (Ce monde entier n’est qu’une ombre fugitive) est un écho évident de La vie n’est qu’une ombre qui passe de Shakespeare, citation avec laquelle Berlioz ouvre puis clôt ses propres Mémoires, et donne ainsi une unité d’ensemble au recueil des Tristia.

Extraits de la correspondance de Berlioz

CG = Correspondance générale

À Ferdinand Hiller (CG no. 256; 1er janvier 1832)

Vous voulez savoir ce que j’ai fait depuis mon arrivée en Italie […] un autre chœur sur quelques mots de Moore avec accompagnement de sept instruments à vent, composé à Rome, un jour que je mourais de spleen, et intitulé: « Psalmodie pour ceux qui ont beaucoup souffert et dont l’âme est triste jusqu’à la mort ».

À Ernest Legouvé (CG no. 769bis [tome VIII p. 192-3]; 8 mai 1842)

Quand vous viendrez a Paris avertissez-moi, je vous prie. J’ai à vous faire entendre ce que j’ai écrit la semaine dernière sur vos vers charmants de la Mort d’Ophélie (que j’avais perdus et que j’ai retrouvés). Si cette musique vous plaît, j’instrumenterai l’accompagnement de piano pour un joli petit orchestre et je pourrai faire exécuter le tout à un de mes concerts.

À l’éditeur Gemmy Brandus (CG no. 1179; 24 février 1848, de Londres)

On s’occupe à Covent Garden de préparer la Musical Shakespeare’s Night dont vous avez parlé dans la Gazette Musicale. J’y donnerai en effet Roméo (en anglais), Le roi Lear, La Tempête (en Italien), et La ballade sur la Mort d’Ophélie (en chœur de femmes avec orchestre). La question est à cette heure de savoir si l’on peut me donner 15 répétitions du chœur et 5 d’orchestre. Je ne consentirai pas sans cela.

À Adolphe Duchêne de Vère (CG no. 1448; 10 février 1852)

Quant à moi, je me propose d’aller encore ennuyer Mme Duchêne pour aller arranger la traduction anglaise qu’elle a bien voulu faire de ma ballade sur la Mort d’Ophélie. Il y a quelques endroits où au moyen d’une inversion les paroles se trouveraient en rapport direct avec la musique.
Je crois qu’on chantera cela à l’un de mes concerts avec l’orchestre et le chœur de femmes. Faites-moi pardonner cette indiscrétion.

Au Baron von Donop (CG no. 2320; 2 octobre 1858)

J’ai écrit aussi un autre recueil intitulé Tristia, contenant un Hymne à six voix de Moore, une ballade pour un chœur de femmes sur la mort d’Ophélie, et la marche funèbre avec chœur invisible et grand orchestre pour la fin d’Hamlet; je n’en ai jamais entendu une mesure; c’est publié en grande partition; mais qui s’intéresse à cela?

À Humbert Ferrand (CG no. 2856; 4 mai 1864)

    Dites-moi si je vous ai envoyé une partition intitulée Tristia, avec cette épigraphe d’Ovide [Tristia I.13-14]:

Qui viderit illas [sc. lituras]
De lacrymis factas sentiet esse meis.
[Celui qui les verra (les taches sur mon texte)
Saura qu’elles ont été faites par mes larmes]

    Si vous ne l’avez pas, je vous l’enverrai, puisque vous aimez à lire des choses gaies. Je n’ai jamais entendu cet ouvrage. Je crois que le premier chœur en prose:

« Ce monde entier n’est qu’une ombre fugitive »

    est une chose. Je l’ai fait à Rome en 1831.

Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet

    La partition autographe porte en tête cette citation de la fin d’Hamlet (Acte V Scène II; Fortinbras parle):

Que quatre capitaines
Portent Hamlet comme un guerrier sur une estrade!
Car il était probablement destiné, s’il eût vécu,
A faire ses preuves royalement. Que sur son passage
La musique militaire, et les rites de la guerre,
Parlent hautement pour lui!
Emportez ce corps! Un tel spectacle
Convient à un champ de bataille; mais ici il choque la vue.
Allez, ordonnez aux soldats de faire feu! 

    La Marche montre clairement l’influence du second mouvement de la septième symphonie de Beethoven, pour lequel Berlioz avait une admiration particulière. Elle est dans la même tonalité de la mineur et se fonde sur le même rythme; à l’encontre de la symphonie elle n’a pas de section en la majeur pour faire contraste, mais oscille fréquemment entre tonalités mineures et majeures. L’une des inventions les plus frappantes de la partition est l’utilisation d’un chœur sans paroles placé derrière la scène; ses exclamations intermittentes de Ah! sont infiniment plus éloquentes qu’aucun texte pourrait l’être. L’idée aurait pu être développée par Berlioz à partir de la symphonie de Beethoven; on peut la considérer comme un prolongement de l’accord de la mineur soupiré par les instruments à vent et les cors au début du mouvement de la symphonie, accord qui revient tout à la fin pour clore le mouvement. Dans la partition de Berlioz le chœur commence de même le morceau et le termine, et se fait entendre aussi de façon intermittente, parfois dans la nuance p, et parfois f ou ff comme un cri de révolte ou d’horreur. Le chœur commence la marche sur la tonique la, mais termine sur une longue tenue d’ut naturel, qui semble contredire la tonalité du dernier pizzicato des cordes (la quinte la, mi). Dans son essai sur la symphonie de Beethoven évoqué ci-dessus, Berlioz souligne ‘l’harmonie indécise’ avec laquelle le deuxième mouvement de la symphonie se termine: il en est de même de la Marche.

    Marche Funèbre pour la dernière scène d’Hamlet (durée 6'20")
    — Partition en grand format
    (fichier créé le 2.01.2000; révisions le 6.01.2001 et le 4.01.2004)
    — Partition en format pdf

© Michel Austin pour toutes partitions et texte sur cette page.

Cette page revue et augmentée le 1er mai 2022.

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