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Le déménagement de Berlioz du 58 rue de la Harpe au 96 rue de Richelieu est attesté pour la première fois dans une lettre datée du 27 avril 1828 (CG no. 81); il a sans doute eu lieu peu avant, mais on ne sait exactement quand. Ce changement d’adresse amène Berlioz pour la première fois à la rive droite et au cœur de Paris: par exemple, le magasin de l’éditeur de musique Maurice Schlesinger, très fréquenté par Berlioz, est en face au no. 97, à l’autre bout de la rue se trouve le Café Le Cardinal, et la Salle Favart est tout près. Berlioz séjournera à cette adresse jusqu’à la fin de décembre 1830 et son départ pour l’Italie. L’adresse se trouve pour la dernière fois dans une lettre du 4 décembre 1830 (CG no. 189bis [tome VIII]). Le séjour à la rue de Richelieu coincide avec une période particulièrement fertile dans la carrière du compositeur: c’est là qu’il écrit, entre autres ouvrages, les Huit scènes de Faust et les Neuf Mélodies (plus tard appelées Irlande) en 1829, la Symphonie fantastique et l’ouverture sur la Tempête de Shakespeare en 1830, et de plus il remporte le Prix de Rome cette même année.
La rue de Richelieu est également chargée de souvenirs personnels dans la vie de Berlioz. En septembre 1827 il s’est épris de l’actrice irlandaise Harriet Smithson après avoir assisté à des représentations de Hamlet et de Roméo et Juliette au Théâtre de l’Odéon; quand il s’installe à sa nouvelle adresse il ignore qu’à ce moment Harriet et sa mère habitent tout près. ‘Un hasard (auquel elle n’a jamais cru) m’avait fait venir me loger rue Richelieu, no 96, presque en face de l’appartement qu’elle occupait au coin [no. 1] de la rue Neuve-Saint-Marc’, écrit-il dans ses Mémoires (chapitre 24). De sa fenêtre au 4ème étage (étage du haut), Berlioz peut donc suivre quotidiennement les allées et venues de Harriet Smithson. La correspondance du compositeur révèle ses tourments alors qu’il tente vainement d’atteindre l’actrice au moyen d’intermédiaires et de faire impression sur elle (CG nos. 102, 111, 113, 114, 117). Finalement, le 3 mars 1829, elle quitte Paris pour Amsterdam, et Berlioz bouleversé peut assister à la scène; une lettre écrite la veille décrit ce qu’il voit ce soir-là (CG no. 117; cf. Mémoires ch. 24):
[…] Elle vient d’éteindre sa lumière, elle dormira tout à l’heure. […]
Sa mère est encore occupée dans son appartement. J’entends le bruit des masques sous mes fenêtres; les cabriolets ébranlent en même temps mes fenêtres et les siennes. Demain elles ne seront plus les siennes.
Je sortirai de bonne heure: elle part à midi. […]
(Il existe une lettre autographe de la main de Harriet Smithson, écrite au No. 1 rue Neuve Saint-Marc et datée du vendredi 11 juillet 1828; à ce moment Berlioz était en loge à l’Institut pour le concours du Prix de Rome, où il obtint le second prix.)
Comme on le sait, l’histoire ne se terminera pas avec le départ de Harriet pour la Hollande, ni avec celui de Berlioz pour l’Italie à la fin de l’année suivante. Il revient finalement d’Italie à Paris le 7 novembre 1832, et une lettre écrite ce jour même à un ami confie mystérieusement: ‘J’arrive à l’instant. Je loge rue Neuve-St-Marc, no 1, dans l’ancien logement d’H. Sm… C’est curieux!…’ (CG no. 290, cf. 291 le lendemain). Un passage des Mémoires explique ce qui s’est passé (chapitre 44):
N’ayant pas trouvé libre l’appartement que j’occupais rue Richelieu avant mon départ pour Rome, une impulsion secrète me poussa à en aller chercher un en face, dans la maison qu’avait autrefois occupée miss Smithson (rue Neuve-Saint-Marc, no 1) ; et je m’y installai. Le lendemain, en rencontrant la vieille domestique qui remplissait depuis longtemps dans l’hôtel les fonctions de femme de charge : « Eh bien, lui dis-je, qu’est devenue miss Smithson ? Avez-vous de ses nouvelles ? — Comment, Monsieur, mais... elle est à Paris, elle logeait même ici il y a peu de jours ; elle n’est sortie qu’avant-hier de l’appartement que vous occupez maintenant, pour aller s’installer rue de Rivoli. Elle est directrice d’un théâtre anglais qui commence ses représentations la semaine prochaine. » Je demeurai muet et palpitant à la nouvelle de cet incroyable hasard et de ce concours de circonstances fatales. Je vis bien alors qu’il n’y avait plus pour moi de lutte possible. Depuis plus de deux ans, j’étais sans nouvelles de la fair Ophelia ; je ne savais si elle était en Angleterre, ou en Écosse, ou en Amérique ; et j’arrivais d’Italie au moment même où, de retour de ses voyages dans le Nord de l’Europe, elle reparaissait à Paris. Et nous avions failli nous rencontrer dans la même maison, et j’occupais un appartement qu’elle avait quitté la veille...
Le même chapitre raconte en détail la suite – Harriet Smithson assiste au concert qu’il donne au Conservatoire le 9 décembre 1832, et le lendemain elle est présentée à Berlioz. Leur mariage a lieu quelques mois plus tard le 3 octobre 1833 à l’ambassade britannique. Après une courte lune de miel à Vincennes (CG nos. 347-9, 351) les nouveaux-mariés s’installent d’abord rue Neuve-St-Marc, puis déménagent à Montmartre en avril 1834; ils semblent cependant avoir continué à utiliser l’adresse rue Neuve-St-Marc jusqu’à juin 1834 au moins (cf. CG nos. 391, 400).
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