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La visite faite par Berlioz à l’île de Nisida est une des excursions à des lieux chargés de souvenirs virgiliens faites par le compositeur au cours de son séjour à Naples du 1er au 14 octobre 1831, les autres étant celles au Posilippe et au tombeau dit de Virgile.
Nisida — que Berlioz appelle parfois Nisita — est une toute petite île blottie au pied du mont Pausilippe, pas loin de Naples. Berlioz y fit une brève visite que l’on peut dater précisément du 7 octobre 1831 d’après le passage d’une lettre à sa famille où il la décrit le jour-même (CG no. 244):
[…] J’ai pris congé ce matin de mes compagnons de voyage et je suis parti pour l’île de Nisida. Oh! quelle journée!… Je me suis levé dans une disposition tout à fait mélancolique, plein de cette tristesse romanesque qu’on éprouve à quatorze ans, lorsqu’on croit encore au bonheur, qu’on voit la vie à travers un prisme poétique, qu’on pleure aux romans de Florian et qu’une vieille tour sur un rocher noir fait partir la tête. Je suis arrivé un peu fatigué à la baie de Baïa; c’est là que Néron prépara à sa mère Agrippine une partie de plaisir, dont elle se sauva à la nage au grand regret de son illustre fils. C’est là aussi que Virgile fait aborder Enée avec sa flotte délabrée. J’ai pris sur le bord de la mer une petite barque avec quatre rameurs, qui m’ont conduit rapidement à Nisida, petite île charmante, couverte d’arbres fruitiers, oliviers, orangers, figuiers et vignes; haute, d’une forme bizarre, verdoyante, rouge et dorée. En la voyant de loin je pensais à ma mélodie irlandaise du coucher du soleil, « à ces îles heureuses que dérobent des voiles d’or ». Je m’attendais cependant à quelque cruel désenchantement; aussi n’ai-je pas été fort surpris en arrivant au sommet, d’y trouver une prison de galériens et d’entendre, au lieu de chants pastoraux, le bruit des chaînes et les cris des forçats. […] Comme le vent fraîchissait, un de mes rameurs est venu me chercher et je me suis rembarqué. Les vagues étaient déjà fortes et notre coquille de noix sans voile ni agrès avait l’air d’une feuille morte balancée sur les flots; nous sommes toutefois arrivés sans encombre. […]
On comparera ce récit avec celui donné plus tard par Berlioz dans ses Mémoires, récit quelque peu embelli et où l’on peut relever quelques différences dans le détail (chapitre 41):
Je marchais donc nonchalamment au bord de la mer, en songeant, tout ému, au pauvre Tasso, dont j’avais, avec Mendelssohn, visité la modeste tombe à Rome, au couvent de Sant’Onofrio, quelques mois auparavant, philosophant, à part moi, sur le malheur des poètes qui sont poètes par le cœur, etc., etc. Tout d’un coup, Tasso me fit penser à Cervantès, Cervantès à sa charmante pastorale Galatée, Galatée à une délicieuse figure qui brille à côté d’elle dans le roman et qui se nomme Nisida, Nisida à l’île de la baie de Pouzzoles qui porte ce joli nom, et je fus pris à l’improviste d’un désir irrésistible de la visiter.
J’y cours; me voilà dans la grotte du Pausilippe; j’en sors, toujours courant; j’arrive au rivage; je vois une barque, je veux la louer; je demande quatre rameurs, il en vient six; je leur offre un prix raisonnable, en leur faisant observer que je n’avais pas besoin de six hommes pour nager dans une coquille de noix jusqu’à Nisida. Ils insistent en souriant et demandent à peu près trente francs pour une course qui en valait cinq tout au plus; j’étais de bonne humeur, deux jeunes garçons se tenaient à l’écart sans rien dire, avec un air d’envie; je trouvai bouffonne l’insolente prétention de mes rameurs, et désignant les deux lazzaronetti:
« — Eh bien! oui, allons, trente francs, mais venez tous les huit et ramons vigoureusement. »
Cris de joie, gambades des petits et des grands! nous sautons dans la barque, et en quelques minutes nous arrivons à Nisida. Laissant mon navire à la garde de l’équipage, je monte dans l’île, je la parcours dans tous les sens, je regarde le soleil descendre derrière le cap Misene poétisé par l’auteur de l’Énéide, pendant que la mer qui ne se souvient ni de Virgile, ni d’Énée, ni d’Ascagne, ni de Misène, ni de Palinure, chante gaiement dans le mode majeur mille accords scintillants...
Comme je vaguais ainsi sans but, un militaire parlant fort bien le français s’avance vers moi et m’offre de me montrer les diverses curiosités de l’île, les plus beaux points de vue, etc. J’accepte son offre avec empressement. Au bout d’une heure, en le quittant, je faisais le geste de prendre ma bourse pour lui donner la buona mano d’usage, quand lui, se reculant d’un pas et prenant un air presque offensé, repousse ma main en disant:
« — Que faites-vous donc, monsieur? je ne vous demande rien,... que de... prier le bon Dieu pour moi.
— Parbleu, je le ferai, me dis-je en remettant ma bourse dans ma poche, l’idée est trop drôle, et que le diable m’emporte si j’y manque. »
Le soir, en effet, au moment de me mettre au lit, je récitai très-sérieusement un premier Pater pour mon brave sergent, mais au second j’éclatai de rire. Aussi je crains bien que le pauvre homme n’ait pas fait fortune et qu’il soit resté sergent comme devant.
Je serais demeuré à Nisida jusqu’au lendemain, je crois, si un de mes matelots, délégué par le capitaine, ne fût venu me héler et m’avertir que le vent fraîchissait, et que nous aurions de la peine à regagner la terre ferme, si nous tardions encore à lever l’ancre, à déraper. Je me rends à ce prudent avis. Je descends; chacun reprend sa place sur le navire [...].
Toute les images sur cette page vient de notre collection. © Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.
La gravure ci-dessus fut publiée dans L’Univers Illustré en 1861 (page 132) – un des abonnés du journal avait envoyé cette gravure à l’éditeur qui l’a publiée par la suite.
La gravure ci-dessus fut publiée dans l’Illustrated Times le 1er novembre 1856 (page 296).
Cette photo fut prise par le célèbre photographe Giorgio Sommer (1834-1914).
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