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Église Saint-Roch

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Église Saint-Roch en images

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Présentation

     Construite entre 1653 et 1740, l’église Saint-Roch, l’une des plus grandes de Paris, est le théâtre d’un évènement marquant dans la carrière de Berlioz. C’est en effet dans cette église qu’a lieu le 10 juillet 1825 la première exécution de sa Messe solennelle, sa première œuvre d’envergure. L’évènement fait bruit et porte le jeune compositeur à la connaissance du public parisien, avant même son inscription comme étudiant au Conservatoire. L’œuvre avait été écrite en 1824, mais l’exécution prévue pour décembre de la même année ayant fait long feu, Berlioz en profite pour remanier sa partition avant sa première exécution quelques mois plus tard. Dans ses Mémoires Berlioz raconte l’histoire de la composition et de l’exécution de l’œuvre (chapitres 7 et 8; il publiera en octobre et novembre 1858 une version antérieure de ces chapitres dans Le Monde Illustré). Ce récit, de plusieurs années postérieur à l’événement, réduit la portée de l’ouvrage, mais plusieurs lettres de Berlioz de 1825 donnent un récit plus circonstancié et montrent le prix que Berlioz attachait alors à sa messe et au succès de sa première exécution, notamment à cause de l’hostilité de ses parents envers ses projets d’une carrière musicale. D’abord une lettre à son oncle Victor, plusieurs mois avant la première exécution (CG no. 41, 18 février 1825):

[…] J’espère beaucoup d’un Messe solennelle, qui sera certainement exécutée d’ici à quatre ou cinq mois. Dernièrement, j’avais voulu la faire entendre, comme vous l’avez peut-être apris ; mais l’impossibilité de réunir, sans payer, le grand nombre d’artistes indispensable et sa trop grande difficulté d’exécution pour un ouvrage qui ne doit pas être répété souvent, ont été des obstacles insurmontables. Je viens de retoucher ma partition et d’en élaguer toutes les grandes difficultés ; je l’ai de nouveau montré à M. Lesueur, qui, après l’avoir lue attentivement pendant quatre jours, me l’a rendue en me disant : « Il est désespérant que vous parents veuillent vous arrêter ; je ne mets plus le moindre doute à ce que vous réussissiez en musique ; on voit que vous irez grandement. Il y a dans cet ouvrage une imagination inconcevable, une masse d’idées qui m’étonne ; le défaut, c’est qu’il y en a de trop ; modérez-vous, modérez-vous, tâchez d’être plus simple. » Voilà ensuite ce qu’il a dit de ma messe à quelqu’un qui me l’a répété. « Ce garçon-là a une imagination du diable ; sa messe est étonnante ; il y a tant d’idées qu’avec sa partition j’en ferais dix des miennes ; mais c’est plus fort que lui, il faut absolument qu’il lâche sa bordée ; il veut foudroyer son monde à toute force. » Les mêmes choses m’ont été dites à peu près par le chef d’orchestre de l’Opéra [Valentino] qui, après avoir étudié ma partition pendant 8 jours, s’est engagé à en diriger l’exécution. J’ai reçu une lettre de compliments et de conseils de la part de M. Lefebvre, l’organiste de Saint-Roch, qui avait assisté à la répétition que nous commençâmes et que je ne laissai pas achever, la veille du jour où je devais donner ma messe dans cette église [27 et 28 décembre 1824]. Un monsieur de ma connaissance lui parlait de moi directement, et entre autres choses M. Lefebvre dit : « Ce sera peut-être dans quelques années le premier compositeur que nous ayons. » […]

    Ensuite deux lettres écrites après la première exécution le 10 juillet, lettres qui méritent d’être confrontées; la première est adressée à sa mère (CG no. 47, 14 juillet):

Vous avez sans doute appris par Edouard [Rocher] que je venais d’obtenir un succès assez brillant par l’exécution de ma messe. Si j’ai tardé jusqu’à présent de vous en faire hommage, ce n’est pas que j’ai eu le moindre doute sur le plaisir que cette nouvelle vous ferait; malgré le désir que vous auriez ainsi que papa de me voir tourner mes études d’un autre côté, votre tendresse pour moi est trop grande, pour que ce qui m’a causé tant de joies puisse vous faire de la peine. Apprenez donc, ma chère maman, que la seule cause de ce retard, est le désir que j’avais de voir mon succès sanctionné par les journaux, il y en a une sixaine qui me donnent des encouragements et des éloges, malheureusement pas un n’est reçu à la Côte: ce sont, l’Aristarque, le Drapeau blanc, le Moniteur, le Corsaire, et le Journal de Paris. A mesure qu’ils paraissent, je les achète, je veux arriver près de vous armé de mes pièces justificatives.
J’ai eu la plus belle exécution qu’on puisse voir, j’avais cent cinquante musiciens; les protections de mon maître, du directeur de l’Opéra [Duplantys], du chef d’orchestre [Valentino], et surtout le zèle qu’ils y ont mis, m’ont fait surmonter les obstacles les plus grands.
Dès la fin de l’exécution, les compliments, les questions, les invitations de toute espèce me sont tombés dessus comme la grêle, je ne savais à qui répondre. Mais tout cet engouement d’amateurs était loin de me satisfaire, c’était le suffrage des artistes, celui seulement des connaisseurs, que j’ambitionnais, j’ai eu le bonheur de l’obtenir. Quel plaisir d’entendre tous ces musiciens blasés sur les esthètes de leur art, venir me dire que je les avais fait frissonner, que j’avais le diable au corps, que mes crescendo leur avaient fait perdre haleine, que j’irais loin, qu’il fallait me modérer, etc., etc., etc. Après avoir essuyé une harangue d’un quart d’heure de la part du Curé de Saint-Roch, qui voulait me prouver que J.-J. Rousseau avait perverti le goût en musique comme en littérature, et que j’étais appelé à ramener le public dans la bonne voie, je me suis sauvé chez mon maître qui m’avait fait dire qu’il m’attendait.
En entrant, M. Lesueur m’a embrassé; je ne savais plus où j’en étais; il m’a témoigné sa joie, sa satisfaction, je dirai même son enchantement de manière à me bouleverser tout à fait. Puis il m’a raconté que s’étant caché dans un coin de l’église pour n’être pas reconnu, il avait vu et entendu l’effet prodigieux de ma musique sur le public. Mme Lesueur et ses filles qui étaient placées dans une autre partie de Saint-Roch, me rapportaient ce qu’elles avaient également vu et entendu, les compliments qu’on leur avait adressés sur mon compte; le dépit des élèves de Berton qui étaient singulièrement vexés de tout cela.
Enfin voilà le premier pas fait heureusement, mais je n’en ai pas moins vu combien j’ai besoin de travailler; des défauts nombreux qui avaient échappé à la multitude entraînée par la fougue des idées m’ont été signalés, je les ai reconnus, et je m’efforcerai de les éviter une autre fois. […]

    La deuxième est à son ami Albert Du Boys à Grenoble (CG no. 48, 20 juillet):

[…] Ma messe a été exécutée.
Parfaitement (il faut que cela soit vrai pour que l’auteur le dise).
Par cent cinquante musiciens — de l’Opéra et du Théâtre-Italien.
Valentino conduisait.
Prévost chantait. […]
Je crois que ma messe a produit un effet d’enfer ; surtout les morceaux de force tels que le Kyrie, le Crucifixus, l’Iterum venturus, le Domine Salvum, le Sanctus. Quand j’ai entendu le crescendo de la fin du Kyrie, ma poitrine s’enflait comme l’orchestre, les battements de mon cœur suivaient les coups de la baguette du timbalier. Je ne sais ce que je disais mais à la fin du morceau, Valentino m’a dit: « Mon ami, tâchez de vous tenir tranquille, si vous ne voulez pas me faire perdre la tête. » Dans l’Iterum venturus, après avoir annoncé par toutes les trompettes et trombones du monde l’arrivée du jugement suprême, le chœur des humains séchant d’épouvante s’est déployé; ô Dieu! je nageais sur cette mer agitée, je humais ces flots de vibrations sinistres; je n’ai voulu charger personne du soin de mitrailler mes auditeurs, et après avoir annoncé aux méchants, par une dernière bordée de cuivres, que le moment des pleurs et des grincements de dent était venu, j’ai appliqué un si rude coup de tam-tam que toute l’église en a tremblé. Ce n’est pas ma faute si les dames surtout ne se sont pas crues à la fin du monde.
Le peuple des amateurs s’est prononcé en faveur du Gloria in excelsis, morceau brillant et en style léger; c’était immanquable.
Rien de plus curieux que le moment qui a suivi l’exécution de mon ouvrage. En deux minutes j’ai été environné, pressé, accablé, par les artistes, exécutants et auditeurs dont l’église était garnie, l’un me prenait la main, l’autre me tirait par mon habit : « Vous avez le Diable au corps. — Monsieur, il faut vous modérer, vous vous tueriez. — J’en ai encore la chair de poule. — Jeune homme, vous irez loin, voilà des idées. — Voilà bien des enfoncés, de cette affaire; j’en vois d’ici qui ne rient pas. »
Peu à peu les amateurs ont franchi les barrières, sont venus dans l’orchestre et demandaient aux musiciens de leur montrer l’auteur. L’un des plus empressés courait, renversant chaises et pupitres, il est enfin parvenu jusqu’à moi : « Monsieur, où est le maître de chapelle, je vous prie ? — Qui ? lui dis-je, M. Lesueur ? — Non. — Celui qui menait l’orchestre, M. Valentino ? — Non, non, l’auteur de la musique. — C’est moi, monsieur. — Ah… ah… ah… ah… ah… ah… » Et je l’ai laissé à la première lettre de son alphabet. Les compliments me pleuvaient comme la grêle. Ici, on demandait si mon meilleur morceau n’était pas le Sanctus ou tel autre qu’on préférait. Là, on m’assurait que je n’aimais pas la musique absurde, que toutes mes idées peignaient la situation, que toutes mes notes portaient coup. Au milieu de tout cela, les demoiselles Lesueur avec leur mère venaient me dire que mon maître m’attend chez lui. J’allais y courir, quand un envoyé du curé me force d’entrer à la sacristie, et d’y entendre un discours d’un quart d’heure. Le Pasteur voulait me dire que mes idées ne venaient pas de la tête mais du cœur. « Ex pectore, monsieur, ex pectore, comme l’a dit le grand saint Augustin. » Enfin je m’échappe, je vole chez mon maître, je sonne, Mlle Lesueur m’ouvre : « Papa, le voilà ! — Venez que je vous embrasse ; morbleu vous ne serez ni médecin ni apothicaire, mais un grand compositeur ; vous avez du génie, je vous le dis parce que c’est vrai ; il y a trop de notes dans votre messe, vous vous êtes laissé emporter, mais, à travers cette pétulance d’idées, pas une intention n’est manquée, tous vos tableaux sont vrais ; c’est d’un effet inconcevable. Et je veux que vous sachiez que cet effet a été senti de la multitude, car je m’étais placé exprès tout seul dans un coin pour observer le public, et je vous réponds que si ce n’eût pas été dans l’église, vous auriez reçu trois ou quatre fameuses salves d’applaudissements. »
Mon cher Albert, j’en reste là, je ne puis tout vous dire, je vous raconterai le plus intéressant. […]
Les journaux qui parlent de moi sont :
Le Moniteur du 11.
Le Jnl de Paris du 11.
L’Aristarque du 11.
Le Corsaire du 13.
Le Drapeau blanc du 13.
Les Débats du 14.
La Quotidienne du 15. […]

    La Messe solennelle sera exécutée une deuxième fois le 22 novembre 1827, mais cette fois dans l’église plus vaste de Saint-Eustache et sous la direction de Berlioz lui-même. Pour cette exécution on dispose également, outre la mention dans les Mémoires, d’un récit contemporain de la plume de Berlioz (CG no. 77). En dépit du succès de l’exécution Berlioz n’est à la longue pas satisfait de l’ouvrage qu’il détruira par la suite, en ne conservant que le Resurrexit, d’où il fait des emprunts pour le Tuba Mirum du Requiem (1837), la fin du 1er Acte de son opéra Benvenuto Cellini (1838), et le Christe du Te Deum (1849). Par un hasard extraordinaire un exemplaire de la partition complète sera redécouvert en 1991 dans une église à Anvers en Belgique, et publié en 1994. Cette découverte révéle d’autres emprunts jusqu’alors insoupçonnés de cette œuvre de jeunesse dans des compositions postérieures: Lesueur avait raison de souligner la ‘pétulance d’idées’ qui caractérise la partition.

Église Saint-Roch en images

Toutes les photos modernes reproduites sur cette page ont été prises par Michel Austin en 2002; les gravures du 19ème siècle viennent de notre collection. © Michel Austin et Monir Tayeb. Tous droits de reproduction réservés.

Saint-Roch en 1843
Saint-Roch

[Image plus grande]

La gravure ci-dessus fut publiée dans un livre intitulé Les Églises de Paris (Paris, 1843), dont un exemplaire est dans notre collection.

Saint-Roch en 1859
Saint-Roch

[Image plus grande]

La gravure ci-dessus fut publiée dans Le Monde Illustré du 5 mars 1859, dont un exemplaire est dans notre collection.

Saint-Roch en 2002
Saint-Roch

[Image plus grande]

Saint-Roch en 2002
Saint-Roch

[Image plus grande]

Saint-Roch en 2002
Saint-Roch

[Image plus grande]

Magasin d’antiquités du XVIIème siècle dans le mur gauche de l’église
Magasin

[Image plus grande]

La date de 1638 donnée pour la fondation de ce magasin précède la construction de l’église.

L’intérieur de l’église en 2002
Saint-Roch

[Image plus grande]

L’intérieur de l’église en 2002
Saint-Roch

[Image plus grande]

© Michel Austin et Monir Tayeb pour toutes les images et informations sur cette page.

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