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par Hector Berlioz
[Note: de 1830 à 1855 Berlioz fit subir au programme de la symphonie un certain nombre de modifications. Les deux versions principales sont reproduites ici, celle de la première édition de la symphonie en 1845, et celle de 1855; le lecteur pourra constater d’importantes divergences entre ces deux versions, notamment la plus grande importance attribuée au programme pour l’intelligence de la symphonie dans la première version. Voir aussi la reproduction d’un exemplaire du programme datant de décembre 1832]
Avertissement
Le compositeur a eu pour but de développer, dans ce qu’elles ont de musical, différentes situations de la vie d’un artiste. Le plan du drame instrumental, privé du secours de la parole, a besoin d’être exposé d’avance. Le programme* suivant doit donc être considéré comme le texte parlé d’un opéra, servant à amener des morceaux de musique, dont il motive le caractère et l’expression.
*La distribution de ce programme à l’auditoire, dans les concerts où figure cette symphonie, est ndispensable à l’intelligence complète du plan dramatique de l’ouvrage. [HB]
Première partie
Rêveries, passions
L’auteur suppose qu’un jeune musicien, affecté de cette maladie morale qu’un écrivain célèbre appelle le vague des passions, voit pour la première fois une femme qui réunit tous les charmes de l’être idéal que rêvait son imagination, et en devient éperdument épris. Par une singulière bizarrerie, l’image chérie ne se présente jamais à l’esprit de l’artiste que liée à une pensée musicale, dans laquelle il trouve un certain caractère passionné, mais noble et timide comme celui qu’il prête à l’objet aimé.
Ce reflet mélodique avec son modèle le poursuit sans cesse comme une double idée fixe. Telle est la raison de l’apparition constante, dans tous les morceaux de la symphonie, de la mélodie qui commence le premier allegro. Le passage de cet état de rêverie mélancolique, interrompue par quelques accès de joie sans sujet, à celui d’une passion délirante, avec ses mouvements de fureur, de jalousie, ses retours de tendresse, ses larmes, ses consolations religieuses, est le sujet du premier morceau.
Deuxième partie
Un bal
L’artiste est placé dans les circonstances de la vie les plus diverses, au milieu du tumulte d’une fête, dans la paisible contemplation des beautés de la nature; mais partout, à la ville, aux champs, l’image chérie vient se présenter à lui et jeter le trouble dans son âme.
Troisième partie
Scène aux champs
Se trouvant un soir à la campagne, il entend au loin deux pâtres qui dialoguent un ranz des vaches; ce duo pastoral, le lieu de la scène, le léger bruissement des arbres doucement agités par le vent, quelques motifs d’espérance qu’il a conçus depuis peu, tout concourt à rendre à son cœur un calme inaccoutumé, à donner à ses idées une couleur plus riante. Il réfléchit sur son isolement; il espère n’être bientôt plus seul… Mais si elle le trompait!… Ce mélange d’espoir et de crainte, ces idées de bonheur, troublées par quelques noirs pressentiments, forment le sujet de l’adagio. A la fin, l’un des pâtres reprend le ranz des vaches; l’autre ne répond plus… Bruit éloigné du tonnerre… solitude… silence…
Quatrième partie
Marche au supplice
Ayant acquis la certitude que son amour est méconnu, l’artiste s’empoisonne avec de l’opium. La dose du narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un sommeil accompagné des plus étranges visions. Il rêve qu’il a tué celle qu’il aimait, qu’il est condamné, conduit au supplice, et qu’il assiste à sa propre exécution. Le cortège s’avance aux sons d’une marche tantôt sombre et farouche, tantôt brillante et solennelle, dans laquelle un bruit sourd de pas graves succède sans transition aux éclats les plus bruyants. A la fin de la marche, les quatre premières mesures de l’idée fixe reparaissent comme une dernière pensée d’amour interrompue par le coup fatal.
Cinquième partie
Songe d’une nuit du Sabbat
Il se voit au sabbat, au milieu d’une troupe affreuse d’ombres, de sorciers, de monstres de toute espèce réunis pous ses funérailles. Bruits étranges, gémissements, éclats de rire, cris lointains auxquels d’autres cris semblent répondre. La mélodie aimée reparaît encore, mais elle a perdu son caractère de noblesse et de timidité; ce n’est plus qu’un air de danse ignoble, trivial et grotesque; c’est elle qui vient au sabbat… Rugissement de joie à son arrivée… Elle se mêle à l’orgie diabolique… Glas funèbre, parodie burlesque du Dies irae**, ronde du sabbat. La ronde du sabbat et le Dies irae ensemble.
**Hymne chanté dans les cérémonies funèbres de l’Église Catholique. [HB]
Avertissement
Le programme suivant doit être distribué à l’auditoire toutes les fois que la symphonie fantastique est exécutée dramatiquement et suivie en conséquence du monodrame de Lélio qui termine et complète l’épisode de la vie d’un artiste. En pareil cas, l’orchestre invisible est disposé sur la scène d’un théâtre derrière la toile
baissée.
Si on exécute la symphonie isolément dans un concert, cette disposition n’est plus nécessaire: on peut même à la rigueur se dispenser de distribuer le programme, en conservant seulement le titre des cinq morceaux; la symphonie (l’auteur l’espère) pouvant offrir en soi un intérêt musical indépendant de toute intention dramatique.
Programme de la symphonie
Un jeune musicien d’une sensibilité maladive et d’une imagination ardente, s’empoisonne avec de l’opium dans un accès de désespoir amoureux. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un lourd sommeil accompagné des plus étranges visions, pendant lequel ses sensations, ses sentiments, ses souvenirs se traduisent dans son cerveau malade en pensées et en images musicales. La femme aimée elle-même est devenue pour lui une mélodie et comme une idée fixe qu’il retrouve et qu’il entend partout.
Première partie
Rêveries, passions
Il se rappelle d’abord ce malaise de l’âme, ce vague des passions, ces mélancolies, ces joies sans sujet qu’il éprouva avant d’avoir vu celle qu’il aime; puis l’amour volcanique qu’elle lui inspira subitement, ses délirantes angoisses, ses jalouses fureurs, ses retours de tendresse, ses consolations religieuses.
Deuxième partie
Un bal
Il retrouve l’aimée dans un bal au milieu d’une fête brillante.
Troisième partie
Scène aux champs
Un soir d’été à la campagne, il entend deux pâtres qui dialoguent un Ranz des vaches; ce duo pastoral, le lieu de la scène, le léger bruissement des arbres doucement agités par le vent, quelques motifs d’espoir qu’il a conçus depuis peu, tout concourt à rendre à son cœur un calme inaccoutumé, à donner à ses idées une couleur plus riante; mais elle apparaît de nouveau, son cœur se serre, de douloureux pressentiments l’agitent: si elle le trompait… L’un des pâtres reprend sa naïve mélodie, l’autre ne répond plus. Le soleil se couche… bruit éloigné du tonnerre… solitude… silence…
Quatrième partie
Marche au supplice
Il rêve qu’il a tué celle qu’il aimait, qu’il est condamné à mort, conduit au supplice. Le cortège s’avance aux sons d’une marche tantôt sombre et farouche, tantôt brillante et solennelle, dans laquelle un bruit sourd de pas graves succède sans transition aux éclats les plus bruyants. A la fin, l’idée fixe reparaît un instant comme une dernière pensée d’amour interrompue par le coup fatal.
Cinquième partie
Songe d’une nuit du Sabbat
Il se voit au Sabbat, au milieu d’une troupe affreuse d’ombres, de sorciers, de monstres de toute espèce réunis pous ses funérailles. Bruits étranges, gémissements, éclats de rire; cris lointains auxquels d’autres cris semblent répondre. La mélodie-aimée reparaît encore: mais elle a perdu son caractère de noblesse et de timidité; ce n’est plus qu’un air de danse ignoble, trivial et grotesque: c’est elle qui vient au sabbat… Rugissements de joie à son arrivée… Elle se mêle à l’orgie diabolique… Glas funèbre, parodie burlesque du Dies Irae. Ronde du sabbat. La ronde du sabbat et le Dies Irae ensemble.
[...] Les essais de composition de mon adolescence portaient l’empreinte d’une mélancolie profonde. Presque toutes mes mélodies étaient dans le mode mineur. Je sentais le défaut sans pouvoir l’éviter. Un crêpe noir couvrait mes pensées; mon romanesque amour de Meylan les y avait enfermées. Dans cet état de mon âme, lisant sans cesse l’Estelle de Florian, il était probable que je finirais par mettre en musique quelques-unes des nombreuses romances contenues dans cette pastorale, dont la fadeur alors me paraissait douce. Je n’y manquai pas.
J’en écrivis une, entre autres, extrêmement triste sur des paroles qui exprimaient mon désespoir de quitter les bois et les lieux honorés par les pas, éclairés par les yeux [La Fontaine, Les deux pigeons] et les petits brodequins roses de ma beauté cruelle. Cette pâle poésie me revient aujourd’hui [avril 1848], avec un soleil printanier, à Londres, où je suis en proie à de graves préoccupations, à une inquiétude mortelle, à une colère concentrée de trouver encore là comme ailleurs tant d’obstacles ridicules... En voici la première strophe:
Je vais donc quitter pour jamais
Mon doux pays, ma douce amie,
Loin d’eux je vais traîner ma vie
Dans les pleurs et dans les regrets!
Fleuve dont j’ai vu l’eau limpide,
Pour réfléchir ses doux attraits,
Suspendre sa course rapide,
Je vais vous quitter pour jamais.
Quant à la mélodie de cette romance, brûlée comme le sextuor, comme les quintettes, avant mon départ pour Paris, elle se présenta humblement à ma pensée, lorsque j’entrepris en 1829 d’écrire ma Symphonie fantastique. Elle me sembla convenir à l’expression de cette tristesse accablante d’un jeune cœur qu’un amour sans espoir commence à torturer, et je l’accueillis. C’est la mélodie que chantent les premiers violons au début du largo de la première partie de cet ouvrage, intitulé: RÊVERIES, PASSIONS; je n’y ai rien changé. [...]
[…] Immédiatement après cette composition sur Faust [les Huit scènes de Faust], et toujours sous l’influence du poème de Gœthe, j’écrivis ma Symphonie fantastique avec beaucoup de peine pour certaines parties, avec une facilité incroyable pour d’autres. Ainsi l’adagio (Scène aux champs), qui impressionne toujours si vivement le public et moi-même, me fatigua pendant plus de trois semaines; je l’abandonnai et le repris deux ou trois fois. La Marche au supplice, au contraire, fut écrite en une nuit. J’ai néanmoins beaucoup retouché ces deux morceaux et tous les autres du même ouvrage pendant plusieurs années.
Le Théâtre des Nouveautés s’étant mis, depuis quelque temps, à jouer des opéras-comiques, avait un assez bon orchestre dirigé par Bloc. Celui-ci m’engagea à proposer ma nouvelle œuvre aux directeurs de ce théâtre et à organiser avec eux un concert pour la faire entendre. Ils y consentirent, séduits seulement par l’étrangeté du programme de la symphonie, qui leur parut devoir exciter la curiosité de la foule. Mais, voulant obtenir une exécution grandiose, j’invitai au dehors plus de quatre-vingts artistes, qui, réunis à ceux de l’orchestre de Bloc, formaient un total de cent trente musiciens. Il n’y avait rien de préparé pour disposer convenablement une pareille masse instrumentale; ni la décoration nécessaire, ni les gradins, ni même les pupitres. Avec ce sang-froid des gens qui ne savent pas en quoi consistent les difficultés, les directeurs répondaient à toutes mes demandes à ce sujet: “Soyez tranquille, on arrangera cela, nous avons un machiniste intelligent.” Mais quand le jour de la répétition arriva [mai 1830], quand mes cent trente musiciens voulurent se ranger sur la scène, on ne sut où les mettre. J’eus recours à l’emplacement du petit orchestre d’en bas. Ce fut à peine si les violons seulement purent s’y caser. Un tumulte, à rendre fou un auteur même plus calme que moi, éclata sur le théâtre. On demandait des pupitres, les charpentiers cherchaient à confectionner précipitamment quelque chose qui pût en tenir lieu; le machiniste jurait en cherchant ses fermes et ses portants; on criait ici pour des chaises, là pour des instruments, là pour des bougies; il manquait des cordes aux contrebasses; il n’y avait point de place pour les timbales, etc., etc. Le garçon d’orchestre ne savait auquel entendre; Bloc et moi nous nous mettions en quatre, en seize, en trente-deux; vains efforts! l’ordre ne peut naître, et ce fut une véritable déroute, un passage de la Bérésina de musiciens.
Bloc voulut néanmoins, au milieu de ce chaos, essayer deux morceaux, “pour donner aux directeurs, disait-il, une idée de la symphonie.” Nous répétâmes comme nous pûmes, avec cet orchestre en désarroi, Le Bal et la Marche au supplice. Ce dernier morceau excita parmi les exécutants des clameurs et des applaudissements frénétiques. Néanmoins, le concert n’eut pas lieu. Les directeurs, épouvantés par un tel remue-ménage, reculèrent devant l’entreprise. Il y avait à faire des préparatifs trop considérables et trop longs; ils ne savaient pas qu’il fallût tant de choses pour une symphonie.
Et tout mon plan fut renversé faute de pupitres et de quelques planches... C’est depuis lors que je me préoccupe si fort du matériel de mes concerts. Je sais trop ce que la moindre négligence à cet égard peut amener de désastres.
[…] Je ne voulus pourtant pas quitter Paris sans reproduire en public ma cantate de Sardanapale, dont le final avait été abîmé à la distribution des prix de l’Institut. J’organisai, en conséquence, un concert au Conservatoire [le 5 décembre 1830], où cette œuvre académique figura à côté de la Symphonie fantastique qu’on n’avait pas encore entendue. Habeneck se chargea de diriger ce concert dont tous les exécutants, avec une bonne grâce dont je ne saurais trop les remercier, me prêtèrent une troisième fois leur concours gratuitement. […]
L’exécution ne fut pas irréprochable sans doute, ce n’était pas avec deux répétitions seulement qu’on pouvait en obtenir une parfaite pour des œuvres aussi compliquées. L’ensemble toutefois fut suffisant pour en laisser apercevoir les traits principaux. Trois morceaux de la symphonie, Le Bal, La Marche au supplice et Le Sabbat, firent une grande sensation. La Marche au supplice surtout bouleversa la salle. La Scène aux champs ne produisit aucun effet. Elle ressemblait peu, il est vrai, à ce qu’elle est aujourd’hui. Je pris aussitôt la résolution de la récrire, et F. Hiller, qui était alors à Paris, me donna à cet égard d’excellents conseils dont j’ai tâché de profiter. […]
Symphonie Fantastique (commentaire et partition)
© Michel Austin. Tous droits de reproduction réservés.