2017
Cette page présente les comptes-rendus d’exécutions et représentations qui ont eu lieu en 2017. Nous remercions très vivement les auteurs de leurs précieuses contributions.
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Par Pierre-René Serna
- 6 octobre 2017, Opéra de Dresde.
- 8 octobre 2017, Opéra de Nuremberg.
Chaque saison, il convient de faire le voyage en Allemagne, si l’on souhaite voir les opéras de Berlioz. Et chaque saison en Allemagne amène son lot de nouvelles productions des Troyens, en sus d’occasionnels Benvenuto Cellini et Béatrice et Bénédict. N’insistons pas trop, une fois encore, sur la déficience en la matière du pays où Berlioz est malencontreusement né, la France… Mais retenons le fait que les initiatives outre-Rhin viennent de maisons lyriques les plus variées. Il n’est que de se reporter aux comptes-rendus sur ce site, année après année, pour l’attester.
Cette saison 2017-2018 s’ouvrait donc sur deux nouvelles productions des Troyens, à Dresde et à Nuremberg. Disons d’emblée que l’approche et le résultat ne pouvaient être plus dissemblables. Les vertus et défauts d’une réalisation se complétant en miroir inversé de l’autre.
À DRESDE : DES TROYENS QUASI RESPECTÉS
On sait que Berlioz avait séjourné à deux reprises à Dresde, en 1843 et 1854, pour y diriger ses œuvres à l’Opéra de la ville (voir sur ce site). Bien que ce théâtre ne soit plus exactement le même aujourd’hui, incendié en 1869, puis reconstruit, puis à nouveau détruit, en 1945 lors du bombardement de la ville, puis rebâti presque à l’identique après la guerre. Mais dans l’actuel Semperoper aucune trace, plaque ou autre, ne vient le rappeler ou le commémorer (apparemment). Alors que figurent, dans les couloirs et dépendances du théâtre, nombre de bustes et portraits de compositeurs et musiciens ayant marqué la vie musicale de la cité. Colin Davis, un temps directeur de la Staatskapelle de Dresde, a toutefois son buste en bonne place. Comme un hommage dissimulé à notre compositeur… C’est donc une forme de retour, d’une certaine manière, que cette production des Troyens au Semperoper.
C’est aussi un retour pour le chef d’orchestre John Fiore, qui avait déjà dirigé les Troyens en 2005 au Deutsche Oper am Rhein (voir sur ce site: Les Troyens à Duisburg et Düsseldorf et Les Troyens à Covent Garden de McVicar en 2012). Mais cette fois, bien évidemment, les intervenants diffèrent. John Fiore, en parfait connaisseur de l’œuvre, retrouve, avec les belles couleurs de la Staastskapelle dans la fosse, les nuances au plus près, entre l’échelonnement des répartitions instrumentales, forte et pianos, dans des tempos fidèles aux indications métronomiques (le vif Quintette du quatrième acte). L’équilibre avec le plateau des chanteurs reste parfaitement maintenu, bien que l’acoustique du vaste Semperoper, assez étouffée, ne le favorise pas toujours. C’est ainsi que le chœur vibre en phase, alors que les pupitres féminins l’emportent par leur homogénéité face à une acoustique difficile.
À noter que la partition est dans l’ensemble respectée (suivant l’édition Bärenreiter), hors deux coupures peu dommageables (les Entrées au troisième acte, les premier et troisième Ballets à l’acte suivant), et une autre plus impardonnable et incompréhensible (le Septuor du quatrième acte !). On remarque également la cadence orchestrale (venue de la division tardive de l’opéra) qui clôt le duo entre Cassandre et Chorèbe, en place de la transition orchestrale. Mais la satisfaction, car satisfaction il y a, vient de la transmission musicale.
Le plateau vocal se coule ainsi dans une facture appropriée. À cet égard, Christa Mayer figure la triomphatrice de la soirée, Didon resplendissante dans l’éclat ou la douleur. Jennifer Holloway serait une Cassandre un cran en-deçà, non pas pour la caractérisation, d’un tragique vocalement affirmé, mais pour la projection qui ne parvient pas toujours à franchir la vaste salle. Bryan Register campe pour sa part un Énée de belle allure, vaillant et subtil avec un timbre au registre soutenu. Et le reste de la distribution, de se révéler en phase avec leurs rôles (hors un épisodique Panthée), qui plus est dans une parfaite élocution française : le Chorèbe adapté de Christoph Pohl, le Narbal bien planté d’Evan Hughes, le délicat Iopas de Joel Prieto, l’Ascagne clair d’Emily Dorn, l’Anna au sombre alto d’Agnieszka Rehlis, ou la ferme Ombre d’Hector d’Alexandros Stavrakakis.
La mise en scène pour sa part laisserait plus dubitatif. Elle revient à Lydia Steier, habituée des scènes lyriques allemandes bien que venue des États-Unis (tout comme John Fiore). Sa conception serait plutôt sage, qui ne prend pas l’œuvre à contrepied ni ne verse forcément dans la grande originalité. Les personnages sont ainsi campés, de manière incongrue mais convenue, façon XIXe siècle quelque peu corrigé (du déjà vu en l’espèce, notamment dans la production de David McVicar à Covent Garden en 2012 – voir sur ce site), au sein de décors passe-partout. Avec parfois quelques détails croquignolets : dans les épisodes situés à Troie, les personnages agitent des petits drapeaux bleus ; puis à Carthage, des drapeaux rouges, tout en levant le poing et brandissant des faucilles et marteaux ! Amusant, quand on sait l’historique de la ville de Dresde, et son passé récent comme cité de la RDA ! Il est vrai que la neuve Carthage évoque un phalanstère… Pour le reste, il y a d’autres effets de caricature parfois appuyés, comme ces maquillages façon clown ou ces saltimbanques de cirque pour les ballets… On note toutefois de judicieux éclairages, violents pour les scènes de foule puis concentrés sur les protagonistes. Mais dans un ensemble sans réelle consistance ni inconvenance. Une mise en place, davantage qu’une réelle mise en scène.
À NUREMBERG : DES TROYENS TRONQUÉS
À l’Opéra de Nuremberg : autre chanson (à défaut de Chant d’Hylas) ! À commencer par la litanie des coupures infligées à la partition. Elles sont de deux ordres : insidieuses et brutales, pour environ trois quarts d’heure de musique retranchés. Soient : le ballet du premier acte écourté ; idem pour le chœur qui précède ; de même pour la Scène d’Andromaque ; suppression de l’introduction orchestrale du deuxième acte ; de même pour toute la scène introductive du deuxième tableau de l’acte ; élimination de l’introduction du troisième acte et des trois Entrées ; au quatrième acte, suppression du duo Anna/Narbal et de tous les ballets, mais aussi du Septuor (décidément !) ; au cinquième acte, suppression de tout le passage jusqu’à l’air d’Énée, du duo entre Énée et Didon, puis des coupures partielles dans les scènes (dont les interventions d’Anna et Narbal) jusqu’à la mort de Didon. Ce qui fait beaucoup ! Mais la structure d’ensemble reste maintenue. Ouf ! Reconnaissons aussi que parfois certaines coupures peuvent trouver une justification : le duo Anna/Narbal et le deuxième ballet au quatrième acte ; le duo Didon/Énée au cinquième acte ; dont on ne sait trop s’ils figuraient dans les intentions initiales de l’œuvre. Puisque l’on peut toujours discuter en la matière…
Il n’en reste pas moins que cela témoigne d’une piètre ambition. Avec la fausse excuse d’un ouvrage (trop ?) long… Puisque, en l’occurrence, s’ajoutent quelques passages étrangers à l’œuvre : une scène parlée déplacée, débitée en français incompréhensible (mais surtitrée en allemand et anglais), et des temps morts où l’action se fait attendre, au tout début de soirée et au milieu du cinquième acte entre des déménagements bruyants… Tics de metteur en scène célèbre, qui se croit tenu d’en rajouter.
Car la mise en scène revient à un nom flatteusement et internationalement reconnu (bien que venu d’Espagne) : Calixto Bieito, qui s’essaye pour la première fois à une œuvre de Berlioz. Sa conception s’insère tout à fait dans l’esprit de l’œuvre, ce qui frappe par un aspect tragique forcené (au rebours des clowneries vues à Dresde). Nous sommes ainsi à une époque actuelle ou intemporelle, avec des personnages sortis de guerre, vêtus de treillis couleur de grisaille, qui peu à peu se maculent de traces ensanglantées. Les gestes, les situations, sont tracés dans un jeu d’acteurs assez statique mais précis, au sein de lumières blafardes et d’un omniprésent, et angoissant autant qu’abstrait, échafaudage de bois. Saisissant ! Que notre metteur en scène ne s’en est-il tenu là !
La distribution vocale ne mérite pour sa part que des éloges, si l’on oublie un Chorèbe grommeleur. Roswitha Christina Müller plante une Cassandre ardente, d’une douleur possédée mais toujours musicale. Katrin Adel figurerait une Didon plus limitée dans ses moyens, mais dans une vocalité bien menée. Irréprochable, l’Énée de Mirko Roschkowski s’acquitte de son lourd rôle sans défaillance. Tout aussi adaptés, l’Ascagne d’Ina Yoshikawa, le Iopas d’Alex Kim et l’Anna d’Irina Maltseva, bien qu’avec une tessiture par trop légère pour cette dernière. Et tous, ou presque, dans une impeccable diction française. Le chœur quant à lui serait perfectible, plus criard que cohérent. Comme l’orchestre, assez terne et peu nuancé, sous la battue uniforme de Marcus Bosch. Quelle différence avec Dresde ! D’autant que, cette fois, l’acoustique très présente du théâtre ne pardonne rien.
Pierre-René Serna
Par Pierre-René Serna
- 29 août : « la Tempête », par l’ensemble la Tempête.
- 30 août : la Damnation de Faust, par l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique, le Monteverdi Choir, le National Youth Choir of Scotland, les Petits Chanteurs de Lyon, solistes vocaux, sous la direction de John Eliot Gardiner.
- 31 août : ouverture Parisina de William Sterndale Bennnett, Harold en Italie, Quatrième Symphonie « Italienne » de Mendelssohn, par l’Orchestre national de Lyon, Tabea Zimmermann (alto), sous la direction d’Omer Meir Wellber.
- 1er septembre : après midi : quatrième concert de l’intégrale des quatuors londoniens de Haydn, par le London Haydn Quartet ; soir : ouverture les Hébrides de Mendelssohn, « arrangement » du cycle Irlande, Symphonie écossaise de Mendelssohn, par l’Orchestre de chambre de Paris, sous la direction de Douglas Boyd.
- 2 septembre : fin d’après-midi : « Sous le balcon d’Hector », par Michel Godard et Gavino Murgia ; soir : les Nuits d’été, Symphonie fantastique, par l’Orchestre philharmonique de Radio France, avec Christine Rice (mezzo), sous la direction de Roger Norrington
Intitulée « Berlioz à Londres », la dernière édition du Festival Berlioz rend honneur à sa thématique, en mettant l’accent tout particulièrement sur les transmetteurs de notre compositeur venus de Grande-Bretagne, ce pays à qui Berlioz doit tant (y compris sur ce site). Comme en témoigne la seconde semaine du Festival à laquelle nous avons assisté. Avec, aux sommets de ces transmetteurs, le prestige incomparable de John Eliot Gardiner et de Roger Norrington.
NORRINGTON EN APOTHÉOSE
Roger Norrington est depuis longtemps un interprète élu de Berlioz. Depuis une lointaine « Berlioz Experience » à Londres en mars 1988, il n’a cessé de défendre un compositeur qu’il sert avec une rigueur et un élan comme peu. L’un des plus grands parmi les grands transmetteurs de Berlioz ! Et pour sa première apparition au Festival Berlioz, en quasi clôture, il répond à toutes les attentes et promesses mises en lui. Le programme de son concert pourrait pourtant paraître a priori convenu : Les Nuits d’été et la Symphonie fantastique… Mais avec Norrington, tout est nouveau, pour un Berlioz neuf comme au premier jour, hors de toutes les (mauvaises) habitudes.
Confrontée aux plus fameuses divas qui se sont emparées du cycle mélodique de Berlioz, la mezzo Christine Rice pâlirait, mais elle sait conjuguer expressivité et ligne de chant bien menée. Et déjà l’Orchestre philharmonique de Radio France, en petite formation, distille des couleurs diaphanes ou voluptueuses dans une parfaite cohésion avec la soliste, au sein de l’auditorium provisoire sis dans la cour du château de la Côte-Saint-André ; auditorium dont l’acoustique se révèle nettement améliorée, par quelques modifications de structure, par rapport aux années précédentes.
Vient alors la Fantastique. La partition choisie correspond au dernier état de la symphonie, comportant les reprises dans le premier et le dernier mouvement, sans la partie de cornet dans « Un Bal » (ajoutée tardivement, mais non retenue par le compositeur dans sa publication). De sa battue suprêmement élégante, Norrington se conforme scrupuleusement aux innombrables indications de tempos et de nuances, sans débordement intempestif mais avec l’impétuosité quand il faut, face aux 94 instrumentistes réunis d’un Philharmonique soulevé et emporté. Coutumier des formations sur instruments d’époque, le chef impose aux constituants de cet orchestre conventionnel un son net, sans vibrato, sans rubato déplacé (le tempo régulier implacable de la « Marche au supplice »), des attaques et coups d’archets d’une manière quasi baroqueuse. Le Philharmonique de Radio France s’en retrouve transfiguré, pour une restitution entièrement renouvelée d’une œuvre qu’il a pourtant à son répertoire régulier. « Une précision extrême unie à une verve irrésistible » : les vertus réclamées par Berlioz surgissent telles qu’il les aurait lui-même transmises, veut-on croire...
Norrington trône en intercesseur de Berlioz, jusque dans l’humour : quand il s’adresse à un public qui ne peut réfréner son enthousiasme en applaudissant à tout rompre entre les mouvements. Un concert à demeurer gravé dans une mémoire éblouie, parmi le florilège déjà imposant, depuis sa prise en main par Bruno Messina, du Festival Berlioz de la Côte-Saint-André. Sachant que Radio France n’a prévu aucune captation de ce moment d’exception, qui n’est pas appelé non plus à être repris par ailleurs.
UNE DAMNATION DE SPLENDEURS
Gardiner est, lui, un fidèle du Festival Berlioz depuis quatre éditions. Il revient cette fois avec la Damnation de Faust, à la tête toujours de son Orchestre Révolutionnaire et Romantique et de son Monteverdi Choir, accompagnés en la circonstance du National Youth Choir of Scotland et des Petits Chanteurs de Lyon. Et ce, après avoir étrenné le même concert aux Proms de Londres (le 8 août dernier), comme il en avait été l’an passé pour Roméo et Juliette. Le plateau vocal fait appel également à des habitués de l’œuvre, en l’occurrence Michael Spyres et Laurent Naouri. C’est ainsi qu’aux ordres acérés du chef, répondent, toujours dans l’auditorium provisoire, des interprètes hautement éprouvés.
Spyres dispense cette expression intériorisée qu’il sait trouver dans les héros de Berlioz (comme son récent Énée sous la direction de John Nelson), avec une technique de ténor mixte idoine, que seule dépare une note arrachée à la fin de son « Invocation à la nature » (signe de fatigue au long de la soirée). Naouri renoue avec une tessiture de ferme baryton qu’il avait quelque peu perdue au cours de sa longue et prestigieuse carrière, à laquelle il ajoute à une caractérisation qu’il sait faire toujours vigoureuse pour un Méphisto diabolique à souhait. Mais la belle surprise vient d’Ann Hallenberg, Marguerite d’un délié souverain à travers une intensité maintenue douloureuse. Excellent épisodique Brander d’Ashley Riches. On regrettera seulement que les trois chanteurs masculins soient parfois relégués en fond de plateau ou auprès des chœurs, au détriment de l’impact détaché de leur participation soliste.
Les minutieuses indications de la partition sont respectées au plus près, dans un entrelacs et un contrepoint des différents plans sonores d’une égale lisibilité, malgré certains tempos que l’on aurait aimé parfois moins vifs. Dans une sorte de perfection, Sir John Eliot, en maître de l’esthétique de Berlioz, allie une lecture des plus attentives à cette flamme que le compositeur souhaite, transmetteur glorieux du compositeur dans le cadre de ce festival qui lui est dédié.
BERLIOZ AUTRE ET INCONGRUITÉS
Hors ces deux concerts phare, la musique de Berlioz est également représentée, plus parcimonieusement, lors de deux autres concerts dans l’auditorium de cette seconde semaine du Festival. Ainsi Harold en Italie par l’Orchestre national de Lyon sous la direction d’Omer Meir Wellber avec la participation de l’alto de Tabea Zimmermann. Excellente altiste, au demeurant, dans une texture poétiquement enlevée, face à un orchestre bien soutenu. Le même orchestre s’attaque à une ouverture Parisina de William Sterndale Bennett (1816-1875), compositeur britannique que Berlioz a quelque peu côtoyé, transmis dans un esprit romantique qui évoquerait Mendelssohn. Et de ce dernier compositeur, et autre ami de Berlioz, une Quatrième Symphonie « Italienne », dans une saveur délicatement emportée. Un bis s’ajoute, non annoncé et qui fait s’interroger le public : la mélodie la Captive, mais transcrite de la voix à l’alto instrumental, dans une même tessiture, soutenue par l’orchestration originale de Berlioz cette fois. Petite incongruité sans conséquence…
Autre incongruité, plus pesante et lourde de conséquences : le cycle mélodique Irlande « arrangé » par Arthur Lavandier (ayant par ailleurs récemment commis un « arrangement » de la Symphonie fantastique à grands renforts d’électroacoustique !). Arrangé, c’est-à-dire retranscrit pour une seule voix (en place des différentes tessitures et formations vocales requises), sur une nouvelle orchestration et différents changements dans la ligne mélodique et sa poursuite, dans l’alternance des pièces, et y compris même dans les paroles (à l’occasion livrées en… anglais !). « Corrections et perfectionnements » parfaitement inutiles pour un « ridicule outrage » ! Même si l’on peut parfois trouver ingénieux certains détails d’orchestration (Lavandier ne manque pas de talent), mais aussi les trouver parfois épais et faciles (comme la fin à toutes trompettes de la subtile Élégie, par ailleurs édulcorée dans sa ligne de chant). Un peu douloureux pour une oreille habituée aux mélodies originales, et encore davantage habituée aux orchestrations de Berlioz (Hélène, la Belle voyageuse et Chant sacré) qui ici tournent à la comparaison affligeante ! Et pourquoi ?... Quand certains s’indignent à juste titre, et sur ce site même, d’autres arrangements perpétrés et « horribles mutilations », comme des Troyens par un autre compositeur, Pascal Dusapin (voir l’article Berlioz et les réducteurs de tête par Christian Wasselin)… Et pourquoi pas ?... Les arrangements d’œuvres d’autres compositeurs ont toujours existé, depuis que les compositeurs existent. Sauf que ce même festival n’a jamais présenté le cycle Irlande tel que et tel qu’il fut conçu ! Cruelle lacune ! Comme le dit si bien Christian Wasselin : « Berlioz arrangé, ce n’est plus Berlioz ! » (Festival Berlioz 2010 : quelques impressions, article sur ce site).
C’est l’Orchestre de chambre de Paris à qui revient la tâche, aux ordres de Douglas Boyd. Alors qu’à Antoinette Dennefeld revient la partie chantée soliste (par la force des choses) dont elle tire un honorable parti. L’orchestre et le chef offrent de Mendelssohn une ouverture Les Hébrides et une Symphonie écossaise, fidèles cette fois et fidèlement bien transmises.
AUTRES CONCERTS
La semaine avait commencé par un concert-spectacle, mêlant musiques, danses et éclairages autour de quelques praticables, dans la ravissante chapelle des Apprentis d’Auteuil, évocateur bâtiment fin XIXe siècle aux alentours immédiats de la Côte. C’est la compagnie la Tempête qui est en charge de ce spectacle intitulé « la Tempête » inspiré de Shakespeare, sous la direction de Simon-Pierre Bestion, pour des pages musicales brèves, baroques et contemporaines, chorales, instrumentales et électroacoustiques. Un spectacle original, qui aurait pu verser dans le bric-à-brac, n’était un ensemble musical et scénique parfaitement réglé et figuré.
Autre concert en marge : « Sous le balcon d’Hector » au Musée Hector-Berlioz, avec Michel Godard au serpent (instrument à vent historique s’il en est) et Gavino Murgia au saxophone, pour des pages façon jazz ou improvisation (dont une transposition de Sur les lagunes !) qui ne manquent pas de conviction. Enfin, il convient de faire mention de l’intégrale des quatuors londoniens de Haydn, en cinq concerts dans la petite église de la Côte, par le London Haydn Quartet au nom tout indiqué. Du quatrième concert, et des trois quatuors présentés (opus 74 n°2, opus 64 n°2, opus 64 n°5), nous retiendrons l’allant et la précision des interprètes.
AU MUSÉE
Et comme chaque année, le Musée Hector-Berlioz présente une exposition en appendice du festival, intitulée « Berlioz à Londres, au temps des Expositions universelles » comme il se doit. Minutieuse présentation de documents et objets, toujours grâce au travail ingénieux d’Antoine Troncy, conservateur du Musée, certains provenant du fonds du Musée et d’autres prêtés, comme parmi ces derniers une captivante série d’instruments d’époques, dont les fameux saxhorns de l’ami de Berlioz Adolphe Sax. À ne pas manquer. (jusqu’au 30 septembre).
Pierre-René Serna
Par Christian Wasselin
Francfort, 18 mars 2017
Strasbourg, 17 avril 2017
Les Troyens se suivent et se ressemblent sans vraiment se ressembler tout à fait. Même s’ils sont dirigés par John Nelson, familier de la partition (il en a dirigé une version de concert dès 1972 à Carnegie Hall avant de retrouver l’ouvrage au Metropolitan Opera de New York, puis à Genève par deux fois, à Amsterdam et à Stuttgart), qui l’a récemment repris à l’occasion d’une production scénique à Francfort puis de deux concerts à Strasbourg.
Confiée au metteur en scène Eva-Maria Höckmayr, la nouvelle production des Troyens donnée à l’Opéra de Francfort (où, il y a plus de trente ans, Anja Silja incarnait Cassandre sous la direction de Michael Gielen, dans une mise en scène de Ruth Berghaus) constituait pour John Nelson une manière de galop d’essai. Production honorable au bout du compte, sans grande inspiration mais très éloignée des mises en scène avec terrains vagues, radiateurs oxydés et cannettes de bière qu’on voit un peu trop souvent outre-Rhin ; il ne s’agit pas là de démythifier l’ouvrage (et, par là, le genre de l’opéra en soi et l’héritage européen en général) en humiliant les personnages, mais de servir l’ouvrage, ce qui est louable, en préservant son unité, à partir d’un constat simple : l’opéra est moins fait de deux parties successives (la première à Troie, la seconde à Carthage) que simultanées. D’où l’idée de ce plateau tournant qui permet de présenter tantôt des scènes d’intérieur (dans une espèce de salon), tantôt des scènes d’extérieur (avec très peu de décor, ce qui ne va pas sans handicaper le chœur). Le résultat est parfois surprenant : ainsi, Cassandre adresse son premier air (« Malheureux roi ») au roi Priam en personne, présent avec elle dans le salon. Faute d’une vraie direction d’acteurs, l’idée tourne au procédé, d’autant qu’Eva-Maria Höckmayr fait intervenir des personnages muets, tel Sichée, le premier mari de Didon, qui parfois ajoutent de la confusion.
Hécube parmi les prêtresses
Plus irritant est le traitement réservé au second tableau du deuxième acte. Hécube, qui n’a rien à faire là (oui mais sommes-nous vraiment dans le temple de Cybèle ?), lance le chœur des femmes troyennes, puis Andromaque se fait enlever par les Grecs (ce que nous raconte en effet Racine), enfin Cassandre se laisse ravir à son tour alors que Berlioz la fait se suicider ; les femmes troyennes, qui devraient elles aussi se sacrifier, ne réagissent pas. Contre-sens ? Sur le plan vocal, le travail de troupe est tout à fait honorable, avec la Cassandre un peu trop retenue de Tanja Ariane Baumgartner et la Didon un peu trop humaine de Claudia Mahnke, mais aussi de bonnes surprises (Thomas Faulkner en Spectre d’Hector, Gordon Bintner en Chorèbe). Une distribution qui est malgré tout, comme on l’imagine, très en-dessous de celle réunie à Strasbourg. Où, cette fois, John Nelson est maître à bord : Warner/Erato a réuni pour lui en effet une équipe de solistes presque idéale, abordant pour la plupart leur rôle pour la première fois, car il s’agit, outre les deux concerts, d’effectuer un enregistrement destiné à célébrer dignement le cent-cinquantième anniversaire de la mort de Berlioz (2019). La direction de Nelson n’est pas très différente d’une ville à l’autre ; le chef bénéficie simplement à Strasbourg de bien meilleures conditions, à commencer par l’absence de mise en scène, même si l’acoustique du Palais des congrès et de la musique, avec son chœur placé dans une espèce d’entonnoir, favorise un peu trop les basses et grossit le trait. Mais la fluidité de l’ensemble, la poésie, le souci du détail, la fièvre extrême de certains moments (l’Ottetto du premier acte, la fin du deuxième, la Chasse royale), nous comblent. Nelson connaît ses Troyens aussi bien que Berlioz possédait son Énéide.
L’idéal à portée de voix
Quant à la version choisie, elle n’étonnera pas : il s’agit de la version dite « de Covent Garden », ce qui peut se défendre (les berlioziens attentifs apprécieront que Nelson fasse la reprise dans la reprise du chœur « Gloire à Didon »), même si l’on aurait souhaité qu’au moins pour le disque, en appendice, soient interprétés la scène de Sinon, le finale originale du dernier acte, et pourquoi pas le Prologue des Troyens à Carthage dont on ne connaît que le Lamento. Le triple ensemble choral (Chœur philharmonique de Strasbourg, Chœur de l’Opéra national du Rhin, Badischer Staatsopernchor) est aussi vaillant que l’orchestre mais un peu moins précis (notamment dans le premier tableau du cinquième acte), peut-être à cause de l’entonnoir que nous avons cité. Défaut facile à corriger pour l’enregistrement. Idéale sur le papier, la distribution l’est presque dans la réalité. Marie-Nicole Lemieux, retenue d’abord, exaltée ensuite, est la Cassandre qu’on attendait – tout comme elle fut Carmen, il y a quelques semaines, au Théâtre des Champs-Élysées, ne sacrifiant jamais le chant à la situation. Joyce DiDonato tient pour sa part à montrer, par sa hauteur souveraine, qu’elle est une reine ; elle attend le dernier acte pour détimbrer et poitriner, mais toujours dans un sens expressif. Stéphane Degout (Chorèbe), Jean Teigen (le Spectre d’Hector), Marianne Crebassa (Ascagne), Nicolas Courjal (Narbal) sont irréprochables d’aisance, de présence, d’intelligence ; il n’y a guère qu’Hanna Lipp, surtout dans son duo avec Didon, pour manquer de cette rondeur et de ces graves qui doivent faire le contrepoint avec le mezzo relativement clair de Joyce DiDonato. Cyrille Dubois est un Iopas élégiaque comme on les aime (mais qui nous prive d’une ineffable note en voix de tête sur le mot « fais ») et Stanislas de Barbeyrac un Hylas de luxe, un peu trop viril peut-être : on devine l’Énée magnifique qu’il pourra être un jour ou l’autre.
Humain, trop humain
À Strasbourg, c’est Michael Spyres qui incarne le héros troyen. Qui chante le rôle, plutôt, car le ténor peine à s’engager, là où une Marie-Nicole Lemieux est une Cassandre corps et âme. Le récit de la mort de Laocoon est un récit, certes, mais il s’agit ensuite d’être un personnage, un demi-dieu qui plus est, ce que la prestation uniforme de Michael Spyres, avec un do périlleux dans son air du cinquième acte, interdit. Mais le chant est soigné, comme le sont les nuances et la diction : Énée est rarement à ce point un sujet de satisfaction. Un mot sur le programme de salle, où l’on apprend comiquement ceci : « L’œuvre ne pouvait plaire à un public venant au théâtre essentiellement pour se divertir et siffler dans la rue de belles mélodies. Quatre heures de récitatifs, de grands ensembles sans profusion de mélodies… c’en était trop ! ». Les Troyens : quatre heures de récitatifs, vraiment ? Il est vrai que pour certains, cultiver le luxe mélodique ne peut pas être le fait d’un compositeur audacieux.
Christian Wasselin
Par Christian Wasselin
Béatrice et Bénédict, Paris, Palais Garnier, 24 mars 2017
L’amoureux de la musique de Berlioz est las de faire la liste des coupures et autres tripotages dont sont victimes ici et là les opéras du compositeur. Certes, la partition de Benvenuto Cellini, même éditée par Bärenreiter, doit faire l’objet de choix (qui nécessitent intelligence et non pas désinvolture) mais celle des Troyens, souvent malmenée, ne pose aucun problème particulier, et c’est le cynisme ou la routine qui guident les mauvais choix ou les attentats. C’est encore plus vrai pour Béatrice et Bénédict, qui n’a pas connu quinze ou vingt états différents et ne propose pas tel air alternatif à tel autre. Créé en 1862 à Bade, sous la direction du compositeur, l’opéra-comique fut par la suite étoffé du trio du second acte et du chœur lointain qui suit, et voilà tout.
C’est pourquoi il est stupide et malhonnête de constamment s’en prendre à l’architecture de l’œuvre comme on l’a fait tant de fois, à l’Opéra Comique en 2010 par exemple, ou plus récemment à La Monnaie ou à Toulouse. C’est à chaque fois la même chanson : l’ouvrage serait bancal, les dialogues malvenus, il serait donc nécessaire de montrer à Berlioz comment il aurait dû faire s’il avait eu un peu de talent. Et il est vrai que l’auteur de ces lignes n’a assisté qu’une seule fois dans sa vie à une représentation de Béatrice et Bénédict simplement respectueuse de la partition et du texte, dans leur contenu et dans leur déroulement : c’était à Nancy, en 2000, sous la direction de Jean-Yves Ossonce et dans la mise en scène de Pierre Constant.
Une seule soirée
Au Palais Garnier, on y est presque. On pouvait cependant craindre le pire après la désastreuse Damnation de Faust dirigée par Philippe Jordan en 2015. Car l’Opéra de Paris nous annonce un cycle Berlioz, crée un cercle Berlioz (qui permettra aux généreux donateurs de suivre la progression du nouveau… Don Carlos donné en novembre prochain), et s’arrête au milieu du gué : le Benvenuto Cellini du printemps 2018 ne sera guère qu’une reprise de la production de Terry Gilliam déjà vue à l’English National Opera et à Amsterdam (avec en outre une distribution a priori mal conçue et ne comportant pratiquement pas de chanteurs francophones). Et Béatrice et Bénédict, qui nous occupe ici, n’a eu droit qu’à une seule soirée, et dans une version de concert. Espérons que Les Troyens annoncés pour 2019 viseront plus haut.
Mais ne boudons pas notre plaisir. On y est presque, oui : Béatrice et Bénédict est présenté au Palais Garnier sans travestissement, l’ordre des numéros est celui indiqué par la partition, aucun récitant ne vient débiter un texte en lieu et place des dialogues, bref, on n’a aucun motif structurel de se crisper – sauf, tout à coup, au milieu du second acte, quand Leonato vient nous raconter l’intrigue de Much ado about nothing, la manière dont Héro et Claudio ont été abusés, puis la façon dont heureusement tout finit bien ; alors seulement, la musique peut reprendre son cours. Moment incompréhensible, dans tous les sens du mot, comme si on ne pouvait pas, décidément, laisser Béatrice vivre sa vie jusqu’au bout.
Un violoncelle
On a parlé de version de concert : il s’agit en réalité d’une mise en espace améliorée. Il n’y a certes pas de décor, mais les personnages sont costumés, ils ont appris leur rôle par cœur et se déplacent sur la scène comme au théâtre. Mais on se demande bien pourquoi Stephen Taylor leur a mis dans les mains des accessoires (une rose, un violon, un violoncelle, etc.) dont ils ne savent souvent que faire. À dire vrai, il n’y a que le chœur, installé sur plusieurs rangées de sièges, qui se contente d’entrer et de sortir sans vraiment se déplacer.
De tous les personnages, c’est Stéphanie d’Oustrac qui incarne le mieux son personnage, même si elle est affublée, tout comme Bénédict, d’un double qui dit une partie des dialogues – mais une partie seulement, ce qui rend l’action parfois incompréhensible : n’aurait-il pas été plus simple de laisser la chanteuse, comédienne très à l’aise, dire tout son texte parlé ? Certes, il y a Bénédict : mais Stanislas de Barbeyrac, prévu à l’origine, n’aurait pas été en peine de lui donner la réplique, et Paul Appleby, après tout, excellent chanteur qu’il est, aurait très bien pu lui aussi dire les dialogues.
Le reste de la distribution est excellemment choisi, à commencer par Aude Extrémo, Ursule à la voix ample et poivrée, et par Sabine Devieilhe, Héro idéale de candeur, qui livre une magnifique leçon de chant. Les voix d’hommes sont parfaites, et Philippe Jordan, cent fois plus à l’aise ici que dans La Damnation de Faust, dirige avec brio, avec feu, avec finesse. Un peu plus de fébrilité ici, un peu plus d’abandon là, et cette soirée eût été presque parfaite.
Christian Wasselin
Par Pierre-René Serna
Opéra de Francfort, 19 février 2017 (première).
Comme désormais de règle, il importe de voyager chaque saison en Allemagne si l’on veut voir des opéras de Berlioz. La France figure à cet égard le mauvais élève, avec aucun opéra dignement représenté cette saison 2016-2017, si l’on oublie le Béatrice tripatouillé (une fois encore !) du Capitole de Toulouse en octobre ; et pendant que le cycle Berlioz annoncé en grandes pompes par l’Opéra de Paris se limite à un Béatrice et Bénédict donné en seule version de concert et pour une seule soirée.
L’Opéra de Francfort accueille donc une nouvelle production des Troyens. Production qui succède à celle, remarquable à tous égards, de Ruth Berghaus dans ce théâtre, sous la direction de Michael Gielen, étrennée en 1983 puis reprise dans les années qui suivirent. C’est cette fois à John Nelson que revient la direction musicale. On sait que le chef d’orchestre a dirigé plusieurs fois l’ouvrage, depuis ses premiers pas en 1973 au Met de New York, et par la suite, comme au grand Théâtre de Genève par deux fois (1974 et 2007), ou à l’Opéra d’Amsterdam (2010). Mais il ne l’avait jamais enregistré, lui qui nous a laissé un certain nombre de Berlioz mémorables au disque. Ce sera désormais bientôt chose faite, pour Warner, avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, assorti de deux concerts à la mi-avril et parution prévue de la gravure en 2019 (cent-cinquantenaire de la disparition de Berlioz).
À Francfort, les participants diffèrent toutefois de ceux prévus pour l’enregistrement ; avec les forces musicales propres de l’Opéra, troupe de chanteurs comprise, et une distribution vocale internationale inédite dans cette œuvre. Au chapitre de la restitution, elle se veut fidèle à la partition Bärenreiter, sans donc revenir à l’état initial (la « Scène de Sinon » ou le final primitif, par exemple), comme il en sera de l’enregistrement promis, selon ce que nous avons pu en savoir. À quand, enfin, des Troyens dans leur version originale ?... La découverte récente de la partition manuscrite piano-chant datée de 1859, acquise par la Bibliothèque nationale de France, devrait pourtant y inciter. Avis aux éventuels postulants !... Relevons cependant deux petites coupures à Francfort, que l’on serait tenté de qualifier sans dommage : la deuxième Entrée au troisième acte et le deuxième ballet du quatrième acte (coupure en outre ici justifiable au plan musicologique). Par ailleurs, on ne sait pourquoi l’intervention du chœur dans la « Chasse royale » a disparu (raisons scénographiques ?)… Mais la reprise du chœur « Gloire à Didon », si souvent omise, est maintenue.
Si la direction de John Nelson se révèle scrupuleuse et attentive, avec une battue souvent vive en rapport avec les indications métronomiques, les deux premiers actes peinent toutefois à trouver leur exacte mesure. La faute à l’orchestre et au chœur, ce dernier surtout, soumis à des imprécisions sans le souffle et l’unité que l’on attendrait. Il est vrai que l’acoustique étouffée de ce théâtre bâti dans les années 50 ne les favorise guère. Gageons qu’après cette première encore en rodage, ces quelques tâtonnements se rectifieront au fil de prochaines représentations devant s’étaler sur plus d’un mois. Mais peu à peu tout se met mieux en place au cours des trois actes suivants, pour parvenir au prodige d’un cinquième acte porté par un souffle incandescent où la direction méticuleuse de Nelson trouve enfin ses fruits.
Le chant soliste y contribue largement, à commencer par la Didon de Claudia Mahnke, dans une transmission vocale d’un tragique effréné, mais aussi d’un lyrisme phrasé éperdument maintenu. Dans les deux premiers actes, Tajan Ariane Baumgartner ne lui cède en rien, Cassandre d’une ardeur passionnée qui ne faiblit pas un instant et grande triomphatrice de ces épisodes dans la ville de Troie. Deux magnifiques interprètes, dont on n’aurait pas espéré autant pour deux chanteuses peu connues. À leurs côtés, Bryan Register plante un Énée vaillant et subtil quand il faut, d’une belle endurance. Petites mentions pour le Narbal parfaitement soutenu d’Alfred Reiter, le Iopas élégiaque de Martin Mitterrutzner et l’Ombre d’Hector (ainsi que Mercure) à la charge d’un franc et ferme Thomas Faulkner. Bon appoint de l’Ascagne d’Elizabeth Reiter. Une distribution vocale de haute volée, inattendue à la simple lecture des noms, internationaux et sans vedettariat, qui la constitue. Bravo pour ces choix ! Les autres chanteurs s’acquittent honorablement, avec des fortunes diverses ; comme pour l’Anna un peu acide de Judita Nagyová ou le Chorèbe sans trop de finesse de Gordon Bintner. Mais tous, avec une diction française parfaitement projetée, pour ces chanteurs issus (sauf Register et Bintner) d’une troupe d’Opéra allemand sans aucun francophone. Témoignage du rigoureux travail préparatoire mis en œuvre par l’Opéra de Francfort.
Pour la mise en scène, Eva-Maria Höckmayr verserait dans une lecture simple, avec un côté illustratif parfois naïf. Parmi ces naïvetés, figure un gros cheval de bois, plutôt joli mais par trop omniprésent au cours du premier acte (et même fugacement aux cours du deuxième). Quand Berlioz précisait qu’il ne devait pas apparaître sur scène, pour son arrivée évoquée à la fin du premier acte… Autre naïveté, la présence, tout aussi constante, de danseurs grimés façon commedia dell’arte en arrière-plan de l’action. Joli également, parfois en situation (comme pour animer les ensembles vocaux de la fin du quatrième acte), mais un peu lassant… D’autant que leurs interventions viennent souvent à contre-sens : dans les deux pantomimes devenues ballets, et des ballets cantonnés à la pantomime… Des plateaux tournants distribuent les changements d’atmosphères et de situations, scènes de foule ou cadre intime, assez efficacement mais sans toujours favoriser le chœur mis aussi ici à l’épreuve. On note quelques incongruités dans les passages en coulisse dudit chœur, comme pour la Pantomime d’Andromaque. Des costumes actuels ou décalés, pantalons courts pour la troupe troyenne, smokings tout de noir pour la soldatesque grecque, falbalas crypto-baroques pour l’assemblée carthaginoise, accompagnent des mouvements d’ensemble et individuels bien réglés, sous des propices lumières de pénombre ou d’éclat. Pour une proposition scénique assez efficace et qui ne prend pas l’œuvre à contre-pied (comme McVicar à Covent Garden), mais sans l’immanence que savait conférer une Ruth Berghaus, naguère dans ce même théâtre.
Pierre-René Serna
Prochaines représentations : 26 février, 3, 9, 12, 18 et 26 mars 2017.
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